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T-1798-86
Berl Baron (requérant) c.
Sa Majesté la Reine, le procureur général du Canada et l'honorable Otto Jelinek, en qualité de ministre du Revenu national (intimés)
T-1804-86
Berl Baron (requérant) c.
Sa Majesté la Reine, le procureur général du Canada et l'honorable Otto Jelinek, en qualité de ministre du Revenu national (intimés)
T-1805-86
Berl Baron et Howard Baron, C.A. (requérants) c.
Sa Majesté la Reine, le procureur général du Canada et l'honorable Otto Jelinek, en qualité de ministre du Revenu national (intimés)
T-1284-89
Berl Baron et Howard Baron, C.A. (demandeurs) c.
Sa Majesté la Reine, le procureur général du Canada et l'honorable Otto Jelinek, en qualité de ministre du Revenu national (défendeurs)
T-1920-89
Steven Grossman et Interact Laser Industries Inc. (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine, le procureur général du Canada et l'honorable Otto Jelinek, en qualité de ministre du Revenu national (défendeurs)
RÉPERTORIE: BARON C. CANADA (P INST.)
Section de première instance, juge Reed—Mont- réal, 21 septembre; Ottawa, 5 décembre 1989.
Impôt sur le revenu Saisies Les dispositions de l'art. 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives aux perquisi- tions et aux saisies sont valides Les mandats qui ont été dflment décernés conformément à ces dispositions sont valides.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales L'art. 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu ne contrevient pas à l'art. 8 de la Charte en l'espèce Les dispositions relatives aux perquisitions et aux saisies n'empêchent pas le juge d'ajouter des conditions au mandat qu'il décerne.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité L'art. 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu ne contrevient pas à l'art. 15 de la Charte même s'il existe différentes possibilités d'appel.
Pratique Communications privilégiées Les communi cations privilégiées entre le comptable et son client ne sont pas protégées dans les litiges concernant l'impôt sur le revenu fédéral Les communications privilégiées entre l'avocat et son client sont traitées différemment afin de garantir la bonne administration de la justice Procédure suivie pour protéger les communications privilégiées entre l'avocat et son client durant l'exécution des mandats Les mandats sont valides.
Les requêtes et les demandes de jugement déclaratoire soulè- vent toutes la même question, savoir la validité de l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Jugement: les requêtes et les demandes doivent être rejetées.
Les cinq arguments soulevés ont tous été examinés récem- ment par les tribunaux, sauf le dernier. L'état actuel du droit à ce sujet est exposé dans les motifs.
(1) L'argument selon lequel le paragraphe 231.3(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu contrevient à l'article 8 de la Charte parce qu'il n'accorde pas au juge le pouvoir discrétionnaire d'empêcher les perquisitions abusives ne repose en l'espèce sur aucun élément factuel. Les perquisitions et les saisies effectuées n'étaient pas abusives et, par conséquent, il n'a pas été néces- saire de trancher la question d'interprétation de savoir si le paragraphe 231.3(3) accorde un tel pouvoir discrétionnaire. La jurisprudence n'est pas unanime sur cette question. Toutefois, la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Solvent Petroleum c. M.R.N. s'applique. Il se peut qu'on puisse invoquer les articles 1 et 2 de la Déclaration canadienne des droits pour préserver le pouvoir discrétionnaire du juge d'empê- cher les perquisitions et les saisies abusives. Même s'il est clair que le paragraphe 231.3(3) limite le pouvoir discrétionnaire du juge, cela ne l'empêche aucunement d'ajouter des conditions au mandat qu'il décerne.
(2) Les perquisitions et les saisies prévues aux paragraphes 231.3(3), (4) et (5) de la Loi ont été dûment autorisées car elles respectaient le critère applicable.
(3) La question de savoir si l'expression «motifs raisonnables» constitue un critère moins sévère que l'expression «motifs rai- sonnables et probables», ce qui invaliderait le paragraphe 231.3(3) parce qu'il ne respecterait pas les exigences de l'article 8 de la Charte, a été examinée d'une manière persuasive dans la jurisprudence. Il en est ressorti que le terme «raisonnable» pris dans le sens de «plus probable qu'improbable» respectait le critère applicable. Quoi qu'il en soit, la Cour a statué dans l'affaire Solvent Petroleum que le paragraphe 231.3(3) res- pecte les normes minimales applicables à cet égard.
(4) Le paragraphe 231.3(3) ne contrevient pas à l'article 15 de la Charte. Si l'existence de différentes possibilités d'appel est source de discrimination, ce n'est pas à cause de l'article 231.3 de la Loi. Par ailleurs, s'il y a de la discrimination qui découle de l'existence de procédures différentes d'un ressort à l'autre, ce n'est pas ce genre de discrimination que vise l'article 15 de la Charte.
(5) Les mandats ne sont pas invalides parce que le juge n'a prévu aucune modalité d'exécution visant à protéger le droit au secret. Même si l'on reconnaît que le droit québécois protège les communications entre le comptable et son client dans les litiges, cette règle ne s'applique pas dans les litiges concernant l'impôt sur le revenu fédéral. Le secret professionnel du comptable n'a pas la même raison d'être que le secret professionnel de l'avo- cat, qui a pour objet de protéger le droit fondamental qu'ont les particuliers d'intenter des poursuites en justice et de préparer des défenses. La bonne administration de la justice n'exige pas que l'on protège les communications entre le comptable et son client. Même si les mandats ne précisaient aucune modalité d'exécution, la procédure appropriée pour protéger le secret professionnel du comptable a effectivement été suivie en l'es- pèce, et c'est tout ce qui compte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44], art. 8, 15. Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977, chap. C-12, art. 9, 56.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 443, 446(1). Code de déontologie des comptables agréés, R.R.Q. 1981, chap. C-48, r. 2, art. 3.02.25.
Code des professions, L.R.Q. 1977, chap. C-26, art. 87(3).
The Court of Appeal Act, R.S.S. 1965, chap. 72, art. 6. Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), Annexe III, art. 1, 2.
Judicature Act, S.N.S. 1972, chap. 2, art. 35.
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 3(1), 11.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 231(1),(2), 231.3 (mod. par S.C. 1986, chap. 6, art. 121), 232(3),(4),(5) (mod., idem, art. 122). Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 10(1).
Loi sur le Barreau, L.R.Q. 1977, chap. B-1.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 27(1),(4), 50.
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Solvent Petroleum Extraction Inc. c. M.R.N., [1990] 1 C.F. 20; (1989), 50 C.C.C. (3d) 182; 28 F.T.R. 79; 99 N.R. 22 (C.A.); Solvent Petroleum Extraction Inc. c. Canada (M.R.N.), [1988] 3 C.F. 465; (1988), 18 F.T.R. 286 (V° inst.).
DECISIONS APPLIQUÉES:
Hunter c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 108; 69 C.R. (3d) 97; 96 N.R. 115; Descô- teaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 141 D.L.R. (3d) 590; 70 C.C.C. (2d) 385; 28 C.R. (3d) 289; 1 C.R.R. 318; 44 N.R. 462.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Kourtessis v. M.N.R. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.); Kourtessis v. M.N.R. (1988), 30 B.C.L.R. (2d) 342; 44 C.C.C. 79 (C.S.); F.K. Clayton Group Ltd. c. M.R.N., [1988] 2 C.F. 467; [1988] 1 C.T.C. 353; 88 DTC 6202; 82 N.R. 313 (C.A.); M.R.N. c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535; (1984), 13 D.L.R. (4th) 706; 12 C.R.R. 45; [1984] CTC 506; 84 DTC 6478; 55 N.R. 255 (CA.); R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; (1988), 55 D.L.R. (4th) 673; 45 C.C.C. (3d) 296; 66 C.R. (3d) 297; 89 N.R. 1; Missiaen v. Minister of National Revenue (1967), 61 W.W.R. 375; [1967] C.T.C. 579; 68 DTC 5039 (C.S. Alb.).
DÉCISIONS CITÉES:
Société Radio-Canada c. Lessard, [1989] R.J.Q. 2043 (C.A.); inf. [1987] R.J.Q. 2543 (C.S.); Pacific Press Ltd. v. Queen in right of B.C. et al., [1977] 5 W.W.R. 507; (1977), 37 C.C.C. (2d) 487; 38 C.R.N.S. 296 (C.S.); F Ltée c. Québec (Directeur, Division des enquêtes spécia- les, ministre du Revenu national Impôt), (C.S. Qué.), juge Boilard, non publiée; McLeod and Red Lake Super markets v. The Queen, C.S. Ont., 1987, non publiée; Re Church of Scientology et al. and The Queen (No. 6) (1987), 31 C.C.C. (3d) 449 (C.A. Ont.); Re Hertel et al. and The Queen (1986), 37 D.L.R. (4th) 706; 8 B.C.L.R. (2d) 104; 32 C.C.C. (3d) 335; [1987] 1 C.T.C. 15 (C.S.); R. v. Young (1984), 46 O.R. (2d) 520; 13 C.C.C. (3d) 1; 3 O.A.C. 254 (C.A.); R. v. Miles of Music Ltd. (1989), 48 C.C.C. (3d) 96 (C.A. Ont.); Bernstein c. R., (C.A.) Montréal, 500-10-000210-888, 30 janvier 1989, juges Beauregard, Nichols, Rothman, encore inédite; C.S. Montréal, 500-36-000170-889, 5 mai 1988, juge May- rand, non publiée; Knox Contracting Ltd. et Knox c. Canada et Ministre du Revenu national et autres (1988), 94 N.B.R. (2d) 8; 89 DTC 5075 (C.A.); Deputy Attorney General of Canada v. Brown, [1965] R.C.S. 84; (1964), 47 D.L.R. (2d) 402; [1964] C.T.C. 483; 64 DTC 5296; Edmonds c. Sous -procureur général du Canada S.C. 759; [1980] CTC 192; 80 DTC 6201 (C.S.Qué.); Nor- mandin c. Canada (Procureur général), C.S. Qué., 460-05-000044-888, 15 juin 1989, juge Mercure, non publiée; St. Georges c. Québec (Procureur général), [1988] R.D.F.Q. 86 (C.S.).
DOCTRINE
Brun, Henri. «Le recouvrement de l'impôt et les droits de la personne» (1983), 24 C. de D. 457.
Côté, Jacques. «Le secret professionnel et l'expert-comp- table», [1988] 10 R.P.F.S. 449.
Marquis, Paul-Yvan. «Le secret notarial et le fisc» (1976), 79 R. du N. 4.
AVOCATS:
Guy Du Pont pour les requérants Berl Baron et Howard Baron.
Guy Gagnon pour les demandeurs Steven Grossman et Interact Laser Industries Inc. Pierre Loiselle pour les intimés (défendeurs).
PROCUREURS:
Phillips & Vineberg, Montréal, pour les requérants Berl Baron et Howard Baron. Spiegel Sohmer, Montréal, pour les deman- deurs Grossman et Interact Laser Industries Inc.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés (défendeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Il s'agit ici d'une autre contesta- tion des dispositions relatives aux fouilles et aux perquisitions qui sont énoncées à l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, mod. par S.C. 1986, chap. 6, art. 121. On soutient que ces dispositions sont invalides pour les motifs suivants: (1) le paragraphe 231.3(3) n'accorde au juge aucun pouvoir discrétionnaire de prévenir les fouilles et perquisitions abusives; il impose au juge l'obligation de délivrer un mandat s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonna- bles de croire qu'une infraction a été commise et qu'il est vraisemblable de trouver la preuve de cette infraction dans certains endroits; (2) le para- graphe 231.3(5) permet les fouilles et perquisitions générales sans autorisation appropriée et ne res- pecte donc pas les exigences d'un pouvoir de fouille et de perquisition constitutionnellement valide qui sont énoncées dans Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; (3) les conditions énoncées au paragraphe 231.3(3) ne respectent pas les critères de l'arrêt Hunter c. Southam (précité), parce qu'elles exigent simplement l'existence de motifs
raisonnables de croire qu'une infraction a été com- mise, ce qui constitue un critère moins sévère que l'existence de motifs «raisonnables et probables»; (4) les dispositions de l'article 231.3 contrevien- nent à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]] parce qu'il existe deux façons d'obtenir des mandats (soit une demande devant la cour supérieure d'une province soit une demande devant la Cour fédérale) et que les dispositions relatives à l'appel diffèrent selon la solution choisie; (5) certains des mandats en ques tion sont invalides, parce qu'ils ne renferment pas de clause protégeant les documents qui font l'objet du privilège des communications entre l'avocat et son client ou qui découlent d'une communication privilégiée entre le comptable et son client.
Suivant une entente entre tous les avocats, les requêtes et demandes de jugement déclaratoire exposées dans les dossiers énumérés dans l'intitulé de la cause ont été entendues ensemble le 21 septembre 1989. La question qui est soulevée dans chacun de ces dossiers est identique.
L'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit:
231.3 (1) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut décerner un mandat écrit qui autorise toute personne qui y est nommée à pénétrer dans tout bâtiment, contenant ou endroit et y perquisitionner pour y chercher des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpétration d'une infraction à la présente loi, à saisir ces documents ou choses et, dès que matériellement possible, soit à les apporter au juge ou, en cas d'incapacité de celui-ci, à un autre juge du même tribunal, soit à lui en faire rapport, pour que le juge en dispose conformément au présent article.
(2) La requête visée au paragraphe (1) doit être appuyée par une dénonciation sous serment qui expose les faits au soutien de la requête.
(3) Le juge saisi de la requête décerne le mandat mentionné au paragraphe (1) s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire ce qui suit:
a) une infraction prévue par la présente loi a été commise;
b) il est vraisemblable de trouver des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpétra- tion de l'infraction;
c) le bâtiment, contenant ou endroit précisé dans la requête contient vraisemblablement de tels documents ou choses.
(4) Un mandat décerné en vertu du paragraphe (1) doit indiquer l'infraction pour laquelle il est décerné, dans quel bâtiment, contenant ou endroit perquisitionner ainsi que la
personne accusée d'avoir commis l'infraction. Il doit donner suffisamment de précisions sur les documents ou choses à chercher et à saisir.
(5) Quiconque exécute un mandat décerné en vertu du paragraphe (1) peut saisir, outre les documents ou choses mentionnés à ce paragraphe, tous autres documents ou choses qu'il croit, pour des motifs raisonnables, constituer des éléments de preuve de la perpétration d'une infraction à la présente loi. Il doit, dès que matériellement possible, soit apporter ces docu ments ou choses au juge qui a décerné le mandat ou, en cas d'incapacité de celui-ci, à un autre juge du même tribunal, soit lui en faire rapport, pour que le juge en dispose conformément au présent article.
(6) Sous réserve du paragraphe (7), lorsque des documents ou choses saisis en vertu du paragraphe (1) ou (5) sont apportés à un juge ou qu'il en est fait rapport à un juge, ce juge ordonne que le ministre les retienne sauf si celui-ci y renonce. Le ministre qui retient des documents ou choses doit en prendre raisonnablement soin pour s'assurer de leur conservation jus- qu'à la fin de toute enquête sur l'infraction en rapport avec laquelle les documents ou choses ont été saisis ou jusqu'à ce que leur production soit exigée aux fins d'une procédure criminelle.
(7) Le juge à qui des documents ou choses saisis en vertu du paragraphe (1) ou (5) sont apportés ou à qui il en est fait rapport peut, d'office ou sur requête sommaire d'une personne ayant un droit dans ces documents ou choses avec avis au sous-procureur général du Canada trois jours francs avant qu'il y soit procédé, ordonner que ces documents ou choses soient restitués à la personne à qui ils ont été saisis ou à la personne qui y a légalement droit par ailleurs, s'il est convaincu que ces documents ou choses:
a) soit ne seront pas nécessaires à une enquête ou à une procédure criminelle;
b) soit n'ont pas été saisis conformément au mandat ou au présent article.
(8) La personne à qui des documents ou choses sont saisis conformément au présent article a le droit, en tout temps raisonnable et aux conditions raisonnables que peut imposer le ministre, d'examiner ces documents ou choses et d'obtenir reproduction des documents aux frais du ministre en une seule copie.
Tous les arguments soulevés par les demandeurs (requérants), sauf un, ont récemment été examinés par les tribunaux, que ce soit la Cour d'appel fédérale, la Cour d'appel de la Colombie-Britanni- que ou la Cour suprême de la Colombie-Britanni- que. Des demandes d'autorisation d'en appeler de certaines de ces décisions ont été déposées devant la Cour suprême. Ainsi, dans un sens, la décision que l'on me demande de rendre servirait simple- ment à maintenir les présentes causes en suspens jusqu'au résultat des différents appels interjetés.
Aucun pouvoir discrétionnaire d'empêcher les fouilles et perquisitions abusives
L'avocat soutient d'abord que le paragraphe 231.3(3) contrevient à l'article 8 de la Charte, parce qu'il oblige le juge à délivrer un mandat, s'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise et que la preuve de cette infraction se trouve vraisemblablement à l'endroit visé par la demande de perquisition. Ainsi, selon l'avocat, la loi enlève au juge le pouvoir discrétion- naire, qu'il aurait par ailleurs, de refuser de déli- vrer des mandats abusifs, bien qu'ils respectent les exigences du paragraphe 231.3(3). Ces situations pourraient exister, par exemple, dans les cas l'on aurait obtenu plusieurs mandats antérieurs autorisant la perquisition du même endroit ou lorsque, en raison de la situation spéciale qui pré- vaut, il est souhaitable d'ajouter des conditions au mandat. Voir, par exemple, Société Radio- Canada c. Lessard, [1989] R.J.Q. 2043 (C.A.); inf. [1987] R.J.Q. 2543 (C.S.); Pacifie Press Ltd. v. Queen in right of B.C. et al., [1977] 5 W.W.R. 507; (1977), 37 C.C.C. (2d) 487; 38 C.R.N.S. 296 (C.S.); F Ltée c. Québec (Directeur, Division des enquêtes spéciales, ministre du Revenu national Impôt) (C.S. Qué.), le juge Boilard, non publié).
Cet argument selon lequel le paragraphe 231.3(3) ne permet pas au juge d'empêcher les fouilles et perquisitions abusives est fondé sur la description suivante que le juge Desjardins a faite de cette disposition dans l'arrêt Solvent Petroleum Extraction Inc. c. M.R.N., [1990] 1 C.F. 20; (1989), 50 C.C.C. (3d) 182; 28 F.T.R. 79; 99 N.R. 22 (C.A.), à la page 24 C.F.; conf. [1988] 3 C.F. 465; (1988), 18 F.T.R. 286 (l rc inst.):
Le paragraphe 231.3(1) dit que «un juge peut décerner.» Le paragraphe 231.3(3) énonce que «le juge saisi de la requête décerne». En conséquence, il ressort, semble-t-il, du texte du paragraphe 231.3(3) que si le juge qui décerne le mandat parvient à la conclusion que les conditions posées par les alinéas 231.3(3)a),b) et c) sont remplies, il n'a pas ni n'est autorisé à examiner si, auparavant, le contribuable s'est volontairement conformé à la demande de production de documents, si d'autres documents pourraient être remis volontairement, ou si le demandeur de mandats a pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir les renseignements d'une autre source avant de solliciter les mandats. En bref, si les conditions sont remplies, il doit décerner le mandat.
La décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Solvent Petroleum est directement pertinente et doit s'appliquer aux fins du présent litige. La Cour suprême a refusé l'autorisation d'en appeler de cette décision le 23 novembre 1989 (dossier 21556 de la C.S.C.).
L'opinion précitée qui a été formulée dans l'ar- rêt Solvent Petroleum est semblable à celle qui a été exprimée dans McLeod and Red Lake Super markets v. The Queen (C.S. Ont., octobre 1987, non publié). Dans Re Church of Scientology et al. and The Queen (N° 6) (1987), 31 C.C.C. (3d) 449 C.A. Ont.), à la page 545, la Cour d'appel de l'Ontario a décidé, relativement au paragraphe 446(1) du Code criminel' [S.R.C. 1970, chap. C-34], que le mot «shall» avait un caractère obli- gatoire. A la page 545, elle a dit que le mot «shall» (ou «doit») du paragraphe 446(1) ne peut être interprété comme étant l'équivalent de «may» (ou «peut») (page 545):
[TRADUCTION] Dans R. v. Zaharia and Church of Scientology of Toronto (1985), 21 C.C.C. (3d) 118, 5 C.P.C. (2d) 92, le
446. (1) Lorsqu'une chose saisie aux termes de l'article 445 ou en vertu d'un mandat décerné conformément à l'article 443 est portée devant un juge de paix, ce dernier doit, à moins que le poursuivant ne convienne d'une autre procédure, retenir cette chose ou en ordonner la rétention, en prenant raisonnablement soin d'en assurer la conservation jusqu'à la conclusion de toute enquête ou jusqu'à ce que sa production soit requise aux fins d'une enquête préliminaire ou d'un procès; mais rien ne doit être retenu sous l'autorité du présent article durant une période excédant trois mois après la date de la saisie, à moins que, avant l'expiration de cette période,
a) un juge de paix ne soit convaincu, à la suite d'une demande, que, compte tenu de la nature de l'enquête, la prolongation de sa rétention pendant une période spécifiée est justifiée et qu'il ne l'ordonne; ou
b) des procédures n'aient été entamées au cours desquelles la chose retenue peut être requise.
(2) Lorsqu'un prévenu a été renvoyé pour subir son procès, le juge de paix doit faire parvenir toute chose à laquelle s'appli- que le paragraphe (1) au greffier de la cour devant laquelle le prévenu a été renvoyé pour subir son procès, afin que ce greffier la détienne et qu'il en soit disposé selon les instruc tions de la cour.
(3) Lorsqu'un juge de paix est convaincu qu'une chose saisie aux termes de l'article 445, ou en vertu d'un mandat décerné conformément à l'article 443, ne sera pas requise pour quel- que fin mentionnée au paragraphe (1) ou (2), il peut,
a) en cas de légalité de la possession de cette chose par la personne entre les mains de qui elle a été saisie, ordonner qu'elle soit retournée à ladite personne, ou
b) en cas d'illégalité de la possession de cette chose par la personne entre les mains de qui elle a été saisie,
(i) ordonner qu'elle soit retournée au propriétaire légitime ou à la personne ayant droit à la possession de cette chose, ou
(ii) ordonner qu'elle soit confisquée ou qu'il en soit disposé de quelque autre façon en conformité de la loi, lorsque n'est pas connu le propriétaire légitime, ni la personne ayant droit à la possession de cette chose.
savant juge des requêtes a formulé les remarques suivantes à l'égard de cet article (p. 124-125):
Dans la mesure le paragraphe 446(1) doit être lu comme autorisant des procédures ex parte, il devrait être déclaré invalide, parce qu'il viole l'article 8. À mon avis, toutefois, il n'est pas nécessaire de lire l'article de cette façon. Le paragra- phe 446(3) n'exige pas en toutes lettres une audition ou un avis lorsqu'on demande à un juge d'agir, mais il est reconnu que la pratique réelle consiste à procéder par voie d'avis et d'audition.
De la même façon, on a allégué que l'utilisation du mot «shall» («doit») au paragraphe 446(1) constituait un affaiblisse- ment non justifié du pouvoir discrétionnaire de l'agent qui doit agir sur le plan judiciaire. À mon avis, ce mot devrait être considéré comme ayant un caractère permissif plutôt qu'obliga- toire; en conséquence, l'article est valide.
En ce qui a trait à cette décision du savant juge des requêtes, l'appelante Church of Scientology et la Couronne ont reconnu que le juge a eu tort de dire que le mot «may» pouvait être assimilé au mot «shah[». Nous sommes d'accord pour dire qu'il s'agissait d'une erreur et, à notre avis, cette erreur a incité le savant juge des requêtes à faire une fausse interprétation fondamentale en ce qui a trait au but et à l'effet du paragraphe 446(1).
Toutefois, dans Re Hertel et al. and The, Queen (1986), 37 D.L.R. (4th) 706; 8 B.C.L.R. (2d) 104; 32 C.C.C. (3d) 335; [1987] 1 C.T.C. 15 (C.S.), il a été décidé que le Parlement voulait réellement dire «may» («peut») plutôt que «shall» (exprimé dans la version française par l'indicatif présent) au paragraphe 231.3(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu. En outre, dans Kourtessis v. M.N.R. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.), le juge Locke a fait les remarques suivantes [aux pages 28 32]:
[TRADUCTION] Le motif de constitutionnalité suivant est le fait que le texte des paragraphes 231.3(1) et (3) est incompati ble avec les art. 7 et 8 de la Charte, parce qu'il n'accorde aucun pouvoir discrétionnaire au juge, lequel serait fondamental.
Dans Re Hertel 8 B.C.L.R. (2d) 104, 32 C.C.C. (3d) 335, [1987] 1 C.T.C. 15, 37 D.L.R. (4th) 706 (sub nom. Hertel v. R.), le juge Bouck devait se prononcer sur une demande (fondée sur le paragraphe 231.3(6) de conservation des docu ments ou choses saisis par le ministre du Revenu national jusqu'à la fin de l'enquête. Cet article se lit comme suit:
(6) ... lorsque des documents ou choses saisis ... sont apportés à un juge ou qu'il en est fait rapport à un juge, ce juge ordonne que le ministre les retienne sauf si celui-ci y renonce...
Il s'est attardé sur l'argument selon lequel l'indépendance de l'appareil judiciaire était en jeu, étant donné que le juge de première instance ne conservait aucun pouvoir discrétionnaire. Il a répondu à cet argument comme l'a fait le juge Osier dans R. v. Church af Scientology (1985), 14 C.R.R. 303, 21 C.C.C. (3d) 118 (sub nom. R. v. Zaharia) (H.C. Ont.), en disant ce qui suit [p. 116]:
De la même façon, je suis d'avis que le Parlement voulait vraiment dire «may» («peut») au lieu de «shall» (exprimé, dans la version française par l'indicatif présent) au paragra- phe 231.3(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette interprétation laisse à la Cour le pouvoir discrétionnaire de déterminer si le ministère du Revenu national peut conserver des articles saisis lorsqu'il demande une ordonnance...
Il a dit que la doctrine de la séparation des pouvoirs entre l'appareil exécutif et l'appareil judiciaire était directement contestée et il s'est attardé aux décisions allant dans les deux sens au Canada, mais dans les trois décisions américaines qu'il a citées, le texte législatif a été jugé inconstitutionnel pour le motif qu'il empiétait sur le pouvoir de l'appareil judiciaire, puisqu'il retirait complètement à celui-ci le pouvoir de refuser de délivrer un mandat dans certains cas.
Le motif de l'ingérence dans l'indépendance de l'appareil judiciaire n'a pas été soulevé devant nous, mais j'en prends dûment note. Le principal argument était fondé sur l'arrêt Hunter c. Southam et sur l'importance que la Cour a accordée à l'évaluation du juge. Les paragraphes 231.3(1) et (3) ont été comparés à l'article 443 [maintenant l'art. 487] du Code criminel, qui se lit comme suit:
443. (1) Un juge de paix qui est convaincu, à la suite d'une dénonciation faite sous serment suivant la formule 1, qu'il existe un motif raisonnable de croire ... peut, à tout moment, lancer un mandat sous son seing, autorisant une personne y nommée
(d) à faire une perquisition pour rechercher ... et pour la saisir ...
Les tribunaux ont interprété cette disposition dans Descô- teaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, 28 C.R. (3d) 289, 70 C.C.C. (2d) 385, 141 D.L.R. (3d) 590, 1 C.R.R. 318, 44 N.R. 462 [Que], le juge Lamer a résumé les arguments et donné son avis sur le pouvoir de la Cour de fixer des conditions [p. 888-889]:
Certains pourraient prétendre que le juge de paix n'a pas la discrétion de refuser la délivrance du mandat de perquisition ou encore d'imposer des modalités d'exécution dès lors que les conditions de forme et de fond de l'art. 443 ont été satisfaites. Ils pourraient arguer que, dans le contexte de l'art. 443, le mot «peut» a le sens de «doit» et qu'il n'octroie pas une discrétion. Selon cette interprétation, si le juge de paix ne peut délivrer un mandat que s'il est convaincu qu'il existe un motif raisonnable pour croire qu'une des choses prévues à l'art. 443(1) se trouve dans l'endroit que l'on veut fouiller, il doit le faire, par ailleurs, dès lors qu'il en est convaincu, et la seule modalité d'exécution sur les lieux qu'il lui est loisible d'imposer se trouve à l'art. 444 du Code:
«444. Un mandat décerné en vertu de l'article 443 doit être exécuté de jour, à moins que le juge de paix, par le mandat, n'en autorise l'exécution de nuit.»
D'autres, au contraire, reconnaîtraient de façon générale au juge de paix la discrétion de refuser le mandat, en autant que cette discrétion soit exercée judiciairement et que la décision de refuser le mandat ne tienne pas du caprice ou de la fantaisie ...
Le juge de paix a, selon moi, le pouvoir, lorsque les circons- tances le commandent, d'assortir le mandat de perquisition de modalités d'exécution; j'irais même jusqu'à lui reconnaître le droit de refuser le mandat dans certaines circonstances très
particulières, telles celles que l'on trouve dans Re Pacific Press Ltd. and The Queen et al., précitée.
Dans Hunter c. Southam, la Cour a insisté sur le rôle crucial de l'arbitre indépendant, en l'occurrence, le juge, et énoncé un critère objectif. Le juge doit assurer l'équilibre entre les intérêts opposés de l'État, d'une part, et ceux des particuliers, d'autre part. Compte tenu de ce qui précède, j'analyse maintenant l'article 231.3 qui, sous sa forme abrégée, se lit comme suit:
231.3 (1) Sur requête ex parte ... un juge peut décerner un mandat ...
(2) La requête visée au paragraphe (1) doit être appuyée par une dénonciation sous serment qui expose les faits au soutien de la requête
(3) Le juge saisi de la requête décerne le mandat mentionné au paragraphe (1) s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire ce qui suit ...
b) il est vraisemblable de trouver des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpé- tration de l'infraction; et
c) le bâtiment ... précisé dans la requête ... contient vraisemblablement de tels documents ...
À mon avis, ces trois paragraphes doivent être lus ensemble. Le rôle crucial du juge consiste à déterminer si les faits qui lui ont été présentés justifient une ingérence dans la vie privée. Il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire pour le juge. Les critères à appliquer pour exercer ce pouvoir discrétionnaire sont énoncés au paragraphe (3). Si la preuve ne respecte pas les critères de cette disposition, le juge ne sera pas convaincu et refusera de décerner le mandat. Si la preuve est suffisante, la loi dit qu'il décerne[ra] (en anglais, «shall») le mandat.
On soutient que cela enlève au juge son pouvoir discrétion- naire. Cela ne l'empêche pas de déterminer si un mandat devrait être décerné et c'est une question à l'égard de laquelle il joue son rôle de maintien de l'équilibre. Cela l'empêche de déterminer si le mandat est effectivement décerné une fois qu'il rend la première décision essentielle.
L'on pourrait se demander, d'un point de vue rhétorique, et pourquoi pas? Une fois que la première décision est prise, l'estampillage du document n'a certainement aucune impor tance. Le mot à caractère obligatoire enlève au juge le pouvoir discrétionnaire débattu dans l'arrêt Paroian, il a été décidé qu'il n'était pas nécessaire de délivrer le mandat, étant donné que le ministre avait déjà suffisamment de documents. Il n'appartient pas à la Cour de trancher cette question, mais, à mon avis, les critères de l'arrêt Hunter c. Southam ont été respectés. Le rôle crucial du juge a été rempli et il ne reste rien d'autre à faire, sinon estampiller le document. Il est vrai que le pouvoir discrétionnaire a été affaibli sur le plan administratif, mais le rôle premier du juge n'a aucunement été atténué. En outre, il est aussi évident que le juge peut toujours imposer des conditions relatives à la façon d'exécuter le mandat, et ce, de son propre chef, selon la doctrine du pouvoir inhérent.
Je ne crois pas que l'indépendance de l'appareil judiciaire soit menacée: seul le juge a le pouvoir de déterminer si le mandat sera décerné et il a la possibilité de le faire. Ce qui suit est du surplus.
À mon avis, l'article 231.3 n'enlève pas à la Cour le pouvoir discrétionnaire de remplir ses fonctions primordiales comme arbitre indépendant entre l'État et les particuliers.
Selon ce que l'avocat aurait appris, une permission de porter la décision Kourtessis en appel devant la Cour suprême serait demandée. À tout événement, il est évident qu'il n'y a pas consensus sur la question de savoir si le paragraphe 231.3(3) accorde au juge le pouvoir discrétionnaire de refu- ser de délivrer des mandats pouvant être abusifs.
On m'a également cité l'article 11 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), chap. I-21, qui se lit comme suit:
11. L'obligation s'exprime essentiellement par l'indicatif pré- sent du verbe porteur de sens principal et, à l'occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L'octroi de pouvoirs, de droits, d'autorisations ou de facultés s'exprime essentiellement par le verbe «pouvoir» et, à l'occasion, par des expressions comportant cette notion.
Cependant, cet article n'ajoute pas vraiment d'élé- ment nouveau à l'argument, puisqu'il doit être lu à la lumière du paragraphe 3(1) de la Loi d'interprétation:
3. (1) Sauf indication contraire, la présente loi s'applique à tous les textes, indépendamment de leur date d'édiction.
Si le Parlement avait manifestement eu l'intention d'accorder au juge le pouvoir discrétionnaire de refuser de décerner un mandat dans les cas la perquisition contreviendrait à l'article 8 de la Charte, cette interprétation l'emporterait sur la règle d'interprétation générale énoncée à l'article 11 de la Loi d'interprétation.
Les tribunaux ont décidé à maintes reprises dans le passé que le mot «shall» («doit») peut avoir un caractère obligatoire ou facultatif. Cette jurispru dence pourrait être pertinente à l'interprétation du paragraphe 231.3(3). Cependant, ce qui est plus important, c'est qu'il se peut que cette disposition doive être interprétée, compte tenu de la Déclara- tion canadienne des droits [L.R.C. (1985), Annexe III], de façon à préserver le pouvoir dis- crétionnaire du juge de refuser de décerner des mandats, en cas de fouilles et perquisitions abusi- ves. L'article 2 de cette Déclaration, conjugué à l'article 1, prévoit ce qui suit:
Toute loi du Canada ... doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre ... le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne...
Subsidiairement, le pouvoir inhérent de la Cour de contrôler l'utilisation abusive de ses propres procé-
dures pourrait permettre à un juge de refuser de délivrer un mandat abusif. Voir, de façon générale, R. v. Young (1984), 46 O.R. (2d) 520; 13 C.C.C. (3d) 1; 30 A.C. 254 (C.A.); R. v. Miles of Music Ltd. (1989), 48 C.C.C. (3d) 96 (C.A. Ont.) et l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7]. Toutefois, ce ne sont que des suppositions et l'avocat n'en a pas parlé. Il m'appa- raît évident que le juge évitera de décerner un mandat abusif contrevenant à l'article 8 de la Charte s'il sait, au moment la demande est présentée, que le mandat est abusif. À tout le moins, je ne crois pas que le paragraphe 231.3(3) interdise au juge d'ajouter des conditions à un mandat demandé. Le paragraphe 231.3(3) ne dit aucunement que le juge doit délivrer un mandat selon des conditions identiques à celles du mandat recherché.
Le problème dans le présent litige réside dans l'absence de fondement factuel à l'appui de l'argu- ment invoqué. Il n'y a pas eu, en l'espèce, de fouille ou perquisition abusive faite contrairement à l'article 8 de la Charte. Ainsi, l'argument selon lequel le paragraphe 231.3(3) enlève au juge de première instance le pouvoir discrétionnaire d'em- pêcher les fouilles et perquisitions inconstitution- nelles est théorique. Il est évident que cette disposi tion enlève au juge une partie de son pouvoir discrétionnaire, notamment dans les cas mention- nés par le juge Desjardins (refus de délivrer un mandat parce que le contribuable s'est déjà volon- tairement conformé ou parce qu'on n'a fait aucun effort pour obtenir les renseignements ailleurs). Mais il se peut que le juge conserve encore, le pouvoir de refuser de délivrer des mandats qui contreviendraient à l'article 8 de la Charte. Toute- fois, en l'absence de faits concrets, il est difficile de dire de quel genre de mandats il pourrait s'agir. Aux fins de la présente demande, il n'est tout simplement pas nécessaire de trancher la question d'interprétation qui est soulevée. En l'espèce, les fouilles et perquisitions n'étaient pas abusives. En conséquence, il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument de fond que l'avocat a soulevé sur ce point.
Les fouilles et perquisitions générales qui ne sont pas dûment autorisées
Dans l'affaire Solvent Petroleum Extraction (précitée), la Cour d'appel fédérale a récemment
examiné l'argument selon lequel le paragraphe 231.3(3) permet indirectement des fouilles et per- quisitions générales qui n'ont pas été dûment auto- risées. Cette décision a été rendue à la lumière de la jurisprudence suivante. Dans Hunter c. Sou- tham (précité), la Cour suprême a déclaré que le paragraphe 10(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23] était invalide, parce qu'il était trop large et qu'il per- mettait des fouilles et perquisitions non dûment autorisées de façon indépendante. Voici le texte de cette disposition:
10. (1) Sous réserve du paragraphe (3), dans une enquête tenue en vertu de la présente loi, le directeur [des enquêtes et recherches de la Direction des enquêtes sur les coalitions] ou tout représentant qu'il a autorisé peut pénétrer dans tout local le directeur croit qu'il peut exister des preuves se rapportant à l'objet de l'enquête, examiner toutes choses qui s'y trouvent et copier ou emporter pour en faire un plus ample examen ou pour en tirer des copies tout livre, document, archive ou autre pièce qui, de l'avis du directeur ou de son représentant autorisé, selon le cas, est susceptible de fournir une telle preuve.
Voici ce que le juge en chef a dit au sujet de cette disposition à la page 160 de l'arrêt Hunter:
Si la question à résoudre en appréciant la constitutionnalité des fouilles et des perquisitions effectuées en vertu de l'art. 10 était de savoir si en fait le droit du gouvernement d'effectuer une fouille ou une perquisition donnée l'emporte sur celui d'un particulier de résister à l'intrusion du gouvernement dans sa vie privée, il y aurait alors lieu de déterminer la prépondérance des droits en concurrence après que la perquisition a été effectuée. Cependant, une telle analyse après le fait entrerait sérieuse- ment en conflit avec le but de l'art. 8. Comme je l'ai déjà dit, cet article a pour but de protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l'État dans leur vie privée. Ce but requiert un moyen de prévenir les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu'elles ne se produisent et non simplement un moyen de déterminer, après le fait, si au départ elles devaient être effectuées. Cela ne peut se faire, à mon avis, que par un système d'autorisation préalable et non de validation subséquente.
L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituelle- ment la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une telle exigence impose à l'État l'obligation de démontrer la supériorité de son droit par rapport à celui du particulier ...
Et à la page 167:
L'établissement d'un critère objectif applicable à l'autorisa- tion préalable de procéder à une fouille, à une perquisition ou à une saisie a pour but de fournir un critère uniforme permettant de déterminer à quel moment les droits de l'État de commettre ces intrusions l'emportent sur ceux du particulier de s'y oppo- ser. Relier ce critère à la conviction raisonnable d'un requérant que la perquisition peut permettre de découvrir des éléments de preuve pertinents équivaudrait à définir le critère approprié
comme la possibilité de découvrir des éléments de preuve. Il s'agit d'un critère très faible qui permettrait de valider une intrusion commise par suite de soupçons et autoriserait des recherches à l'aveuglette très étendues. Ce critère favoriserait considérablement l'État et ne permettrait au particulier de s'opposer qu'aux intrusions les plus flagrantes. Je ne crois pas que ce soit un critère approprié pour garantir le droit d'être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.
À cette époque, les paragraphes 231(1) et (2) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquaient aux fouilles effectuées aux fins de la Loi:
231. (1) Toute personne qui y est autorisée par le Ministre, pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la présente loi, peut, en tout temps raisonnable, pénétrer dans tous lieux ou endroits dans lesquels l'entreprise est exploitée ou des biens sont gardés, ou dans lesquels il se fait quelque chose se rapportant à des affaires quelconques, ou dans lesquels sont ou devraient être tenus des livres ou registres, et
a) vérifier ou examiner les livres et registres et tout compte, pièce justificative, lettre, télégramme ou autre document qui se rapporte ou qui peut se rapporter aux renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou regis- tres, ou le montant de l'impôt exigible en vertu de la présente loi,
b) examiner les biens décrits dans un inventaire ou tous biens, procédés ou matière dont l'examen peut, à son avis, lui aider à déterminer l'exactitude d'un inventaire ou à contrôler les renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou registres, ou le montant de tout impôt exigible en vertu de la présente loi,
c) obliger le propriétaire ou le gérant des biens ou de l'entreprise et toute autre personne présente sur les lieux de lui prêter toute aide raisonnable dans sa vérification ou son examen, et de répondre à toutes questions appropriées se rapportant à la vérification ou à l'examen, soit oralement, soit, si cette personne l'exige, par écrit, sous serment ou par déclaration exigée par la loi et, à cette fin, obliger le proprié- taire ou le gérant de l'accompagner sur les lieux, et
d) si, au cours d'une vérification ou d'un examen, il lui semble qu'une infraction à la présente loi ou à un règlement a été commise, cette personne autorisée peut saisir et empor- ter tous documents, registres, livres, pièces ou choses qui peuvent être requis comme preuves de l'infraction à toute disposition de la présente loi ou d'un règlement.
(2) Le Ministre doit retourner les documents, livres, regis- tres, pièces ou choses à la personne sur qui ils ont été saisis
a) dans les 120 jours de la date de la saisie de tous docu ments, registres, livres, pièces ou choses conformément à l'alinéa (1)d), ou
b) si pendant ce délai une demande est faite en vertu de ce paragraphe et est rejetée après l'expiration du délai, immé- diatement après le rejet de la demande,
à moins qu'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, sur demande faite par ou pour le Ministre avec preuve fournie sous serment établissant que le Ministre a des motifs raisonnables pour croire qu'il y a eu infraction à la présente loi ou à un règlement et que les documents, registres, livres, pièces ou choses saisis sont ou peuvent être requis comme preuves à
cet égard, n'ordonne qu'ils soient retenus par le Ministre jus- qu'à leur production en cour, ordonnance que le juge peut rendre sur demande ex parte.
Dans F.K. Clayton Group Ltd. c. M.R.N., [1988] 2 C.F. 467; [1988] 1 C.T.C. 353; 88 D.T.C. 6202; 82 N.R. 313, la Cour d'appel fédé- rale a déclaré, aux pages 475 et 476 C.F., l'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) invalides parce qu'ils ne respectaient pas le critère établi dans l'arrêt Hunter et Southam:
Le droit à la vie privée n'est pourtant pas le seul droit protégé par l'article 8. Ainsi qu'il ressort des motifs de jugement prononcés dans l'affaire Southam, la règle voulant que la perquisition soit préalablement autorisée par un mandat découle de la nécessité de protéger les droits de propriété. En l'espèce, les appelants ont un droit de propriété important sur les choses saisies qui sont, par définition, les livres et registres de l'entreprise qu'ils exploitent. J'estime que la Cour devrait prendre connaissance d'office du fait que la saisie de ces livres et registres et leur retrait des locaux commerciaux de la société doivent avoir la plus sérieuse incidence sur la capacité de cette dernière d'exploiter son entreprise.
Tout bien considéré, j'estime que le juge de première instance a eu raison de conclure que l'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) étaient incompatibles avec la protection contre les fouil- les, les perquisitions ou les saisies abusives prévue à l'article 8.
En premier lieu, la saisie, effectuée sans mandat, est à première vue abusive; elle n'a pas la sanction préalable d'un arbitre impartial «en mesure d'agir de façon judiciaire..
En deuxième lieu, la législation n'établit aucune norme objective permettant de vérifier la validité de la saisie. Selon le libellé de l'alinéa 231(1)d), le fonctionnaire peut apprécier de façon totalement subjective la nécessité de saisir:
231. (1) ...
d) si . il lui semble...
En troisième lieu, la norme établie par la Loi est beaucoup trop basse, exigeant seulement l'apparence d'une violation pour justifier la saisie.
En quatrième lieu, j'estime que la saisie autorisée par l'alinéa 231(1)d) est d'une portée trop générale. Selon l'interprétation du ministre, dès lors qu'une violation de la Loi ou du Règle- ment a eu lieu, cet alinéa autorise la saisie de registres «qui peuvent être requis comme preuves de l'infraction à toute disposition de la Loi..
C'est précisément ce type de disposition que cette Cour a déjà trouvé incompatible avec l'article 8: [Notes en bas de page omises.]
Enfin, dans M.R.N. c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535; (1984), 13 D.L.R. (4th) 706; 12 C.R.R. 45; [1984] CTC 506; 84 DTC 6478; 55 N.R. 255, la Cour d'appel fédérale a déclaré invalide le paragraphe 231(4), dont le texte était le suivant:
231....
(4) Lorsque le Ministre a des motifs raisonnables pour croire qu'une infraction à cette loi ou à un règlement a été commise ou sera probablement commise, il peut, avec l'agrément d'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, agrément que le juge est investi par ce paragraphe du pouvoir de donner sur la présentation d'une demande ex parte, autoriser par écrit tout fonctionnaire du ministère du Revenu national ainsi que tout membre de la Gendarmerie royale du Canada ou tout autre agent de la paix à l'assistance desquels il fait appel et toute autre personne qui peut y être nommée, à entrer et à chercher, usant de la force s'il le faut, dans tout bâtiment, contenant ou endroit en vue de découvrir les documents, livres, registres, pièces ou choses qui peuvent servir de preuve au sujet de l'infraction de toute disposition de la présente loi ou d'un règlement et à saisir et à emporter ces documents, livres, registres, pièces ou choses et à les retenir jusqu'à ce qu'ils soient produits devant la cour.
S'exprimant au nom de la majorité de la Cour, le juge Pratte a dit ce qui suit à la page 549:
Je serais prêt à admettre que, dans certains cas, il peut être justifié de conclure, lorsqu'un contribuable a commis une infraction grave à la Loi de l'impôt sur le revenu, qu'il a probablement commis d'autres infractions à la Loi. Cependant, je ne peux admettre la proposition générale voulant que le simple fait qu'un contribuable ait, à un certain moment,. commis une infraction à la Loi de l'impôt sur le revenu ou aux règlements, si peu importante que soit cette infraction, consti- tue une justification suffisante du pouvoir général de perquisi- tion et de saisie conféré par le paragraphe 231(4). À mon avis, ce paragraphe contrevient à l'article 8 de la Loi constitution- nelle de 1982 en ce qu'il viole le droit du contribuable la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.»
Les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu ont été modifiées par S.C. 1986, chap. 6 [art. 121]. Pour faciliter la compréhension du litige, je reproduis à nouveau ci-après le libellé des paragraphes 231.3(3), (4) et (5) de la Loi actuellement en vigueur:
231.3.. .
(3) Le juge saisi de la requête décerne le mandat mentionné au paragraphe (1) s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire ce qui suit:
a) une infraction prévue par la présente loi a été commise;
b) il est vraisemblable de trouver des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpétra- tion de l'infraction;
c) le bâtiment, contenant ou endroit précisé dans la requête contient vraisemblablement de tels documents ou choses.
(4) Un mandat décerné en vertu du paragraphe (1) doit indiquer l'infraction pour laquelle il est décerné, dans quel bâtiment, contenant ou endroit perquisitionner ainsi que la personne accusée d'avoir commis l'infraction. Il doit donner suffisamment de précisions sur les documents ou choses à chercher et à saisir.
(5) Quiconque exécute un mandat décerné en vertu du paragraphe (1) peut saisir, outre les documents ou choses mentionnés à ce paragraphe, tous autres documents ou choses qu'il croit, pour des motifs raisonnables, constituer des éléments de preuve de la perpétration d'une infraction à la présente loi. Il doit, dès que matériellement possible, soit apporter ces docu ments ou choses au juge qui a décerné le mandat ou, en cas d'incapacité de celui-ci, à un autre juge du même tribunal, soit lui en faire rapport, pour que le juge en dispose conformément au présent article.» [C'est moi qui souligne.]
Comme je l'ai souligné, la Cour d'appel fédérale a examiné, dans l'arrêt Solvent Petroleum (pré- cité), la question de savoir si ces dispositions res- pectaient ou non le critère établi dans l'affaire Hunter c. Southam (précitée). Elle a répondu à cette question par l'affirmative.
En dernier lieu, ils prétendent que la disposition autorisant à les décerner qui est l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu est ultra vires parce qu'elle va à l'encontre de la Charte et ne saurait servir de fondement aux mandats en l'espèce. Leur attaque vise à la fois une saisie de choses dont le mandat a fait état (paragraphe 231.3(3)) et une saisie de choses non mention- nées dans le mandat que la personne qui exécute le mandat «croit, pour des motifs raisonnables, constituer des éléments de preuve de la perpétration d'une infraction à la présente loi■ (paragraphe 231.3(5)).
Dans la décision M.R.N. c. Kruger, [1984] 2 C.F. 535 (C.A.), à la page 549, rendue avant que la Cour suprême ne rende son arrêt Hunter c. Southam, [1984] 2 R.C.S. 145, cette Cour a statué que le paragraphe 231(4) contrevenait à l'article 8 de la Charte parce qu'il conférait au ministre, lorsqu'il avait des motifs de croire qu'une infraction spécifique avait été commise, le pouvoir d'autoriser des recherches et une saisie sans restriction, relativement à la violation de toute disposition de la Loi ou des règlements pris en vertu de celle-ci. (Voir également Vespoli, D. et al. c. La Reine et al. (1984), 84 DTC 6489 (C.A.F.) rendue le même jour.)
Dans la décision Print Three Inc. et al. and The Queen, Re (1985), 20 C.C.C. (3d) 392 (C.A. Ont.), rendue après l'affaire Hunter c. Southam, la Cour d'appel de l'Ontario a invoqué des motifs supplémentaires pour étayer la conclusion que le para- graphe 231(4) contrevenait à l'article 8 de la Charte. Il est dit à la page 396:
[TRADUCTION] À notre avis, il existe des motifs qui s'ajou- tent à ceux invoqués par la Cour d'appel fédérale pour statuer que le paragraphe contrevient à l'art. 8. Il est clair que pour remplir les normes du caractère raisonnable, il doit y avoir tout d'abord un arbitre indépendant (juge) qui est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables pour croire qu'une infraction a été commise (voir Hunter et al c. Southam Inc., susmentionné). Dans les paragraphes 231(4) et (5), c'est le ministre qui doit avoir les motifs raisonnables et probables et il n'existe pas de précédent quant aux normes ou conditions sur lequel le juge peut fonder son appréciation de la question de savoir si la croyance du ministre est bien fondée. M. Kelly soutient que la seule interprétation raisonnable du par. 5 réside dans ce que les faits doivent être présentés au juge afin qu'il puisse être con-
vaincu que le ministre a des motifs raisonnables et probables. Même si le paragraphe peut être ainsi interprété, il existe, ainsi que nous l'avons souligné, des vices qui entachent les par. 231(4) et (5). Il n'est pas nécessaire que le ministre ait des motifs de croire qu'un élément de preuve est susceptible d'être découvert au lieu la perquisition a été effectuée, et il n'est pas nécessaire qu'il présente ces motifs au juge. De même, il n'existe aucune instruction sur ce que le juge doit décerner en accordant son «agrément». C'est le ministre qui décerne ce qui est essentiellement le mandat. En dernier lieu, le ministre n'est pas tenu d'indiquer dans son autorisation les choses qui doivent faire l'objet de la perquisition. [C'est moi qui souligne.]
L'actuel paragraphe 231.3(3) exige que le juge qui décerne le mandat soit convaincu que le ministre a un motif raisonnable de croire qu'une infraction a été commise, que les choses précisées doivent faire l'objet de la perquisition et que des éléments de preuve soient susceptibles d'être découverts au lieu de la perquisition indiqué dans la demande. Ces conditions correspondent aux défauts notés dans la décision ci-dessus en ce qui concerne les anciens paragraphes 231(4) et 231(5) ...
Pour ce qui est du paragraphe 231.3(5), les appelants sou- tiennent qu'on ne saurait établir un parallèle entre l'article 489 du Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46 et le paragraphe 231.3(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu en ce que la,doctrine «plain view» ne s'applique pas à une situation telle que l'espèce présente des documents commerciaux complexes sont en cause. À la différence du cas où, à l'entrée, un agent de police peut voir des stupéfiants qui s'exposent à la vue, des documents tels que ceux mentionnés au paragraphe 231.3(5) exigeraient que les autorités fassent un examen détaillé pour déterminer s'ils constituent la preuve d'une violation de la Loi. Le.paragra- phe prévoit donc une «fouille, une perquisition générale» de la maison d'un citoyen, ce qui constitue un principe incompatible avec les articles 7 et 8 de la Charte.
En common law, la règle concernant la doctrine «plain view» est que si, au cours de l'exécution d'un mandat légal, un agent repère quelque chose qu'il croit, pour des motifs raisonnables, constituer des éléments de preuve de la perpétration d'un crime, il peut le saisir (Chan! v. Jones, [1970] 1 Q.B. 693 (C.A.), lord Denning, M.R., à la page 706; Chic Fashions (West Wales) Ltd. v. Jones, [1968] 2 Q.B. 299 (C.A.), lord juge Diplock, à la page 313; Reynolds v. Comr. of Police of the Metropolis, [1984] 3 All E.R. 649 (C.A.), aux pages 653, 659 et 662; Re Regina and Shea (1982), 1 C.C.C. (3d) à la page 316 (H.C. Ont). Le principe est connu du Canada et aux Etats-Unis (Texas v. Brown, 75 L.Ed. (2d) 502 (1983 U.S.S.C.)) 4 . Les tribunaux suivants ont confirmé la saisie pratiquée de cette façon: R. v. Longtin (1983), 5 C.C.C. (3d) 12 (C.A. Ont.), à la page 16; Re Regina and Shea (1982), 1 C.C.C. (3d) 316 (H.C. Ont.) aux pages 321 et 322.
° Dans l'affaire Texas v. Brown susmentionnée, quatre juges de la Cour suprême des États-Unis ont adopté, comme point de repère pour une nouvelle discussion la p. 511), le point de vue de la majorité dans Coolidge v. New Hampshire, 403 U.S. 443 (1971). A la p. 510, le juge Rehnquist en son nom et au nom du juge en chef Burger, le juge White et le juge O'Connor ont dit que la doctrine «plain view» permet la saisie sans mandat des biens privés lorsque trois conditions sont remplies:
(Suite à la page suivante)
En tout état de cause, il ressort du contexte légal de la recherche et la saisie de documents visés par la doctrine «plain view», c'est-à-dire au cours de la recherche et de la saisie de documents commerciaux en vertu d'un mandat qui entraîne- raient [sic] évidemment l'examen de documents par le cher- cheur pour déterminer si leur saisie est autorisée par le mandat, que l'autorisation de saisir d'autres documents commerciaux non visés par le mandat remplit le critère du caractère raison- nable et donc de la validité.
Cette décision doit s'appliquer à la présente cause.
Les motifs raisonnables constituent-ils un critère moins sévère que les motifs raisonnables et probables?
En troisième lieu, les demandeurs (requérants) soutiennent que le paragraphe 231.3(3) est inva- lide parce qu'il exige uniquement des motifs rai- sonnables de croire qu'une infraction a été com- mise avant qu'un mandat ne soit délivré. On soutient qu'il s'agit d'un critère moins sévère que celui qui exige des motifs raisonnables et probables et que la disposition ne respecte donc pas les exigences de l'article 8 de la Charte.
La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a examiné cet argument dans Kourtessis v. Minister of National Revenue (précité) [aux pages 24 à 28]:
[TRADUCTION] On allègue que le nouveau paragraphe 231.3(3) est invalide parce qu'il ne renferme pas les mots «et probables»:
(3) Le juge saisi de la requête décerne le mandat mentionné ... s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire ce qui suit ...
Sous réserve de ce qui suit, il n'existe aucune autorité canadienne portant directement sur la question de savoir si le mot «raisonnables» veut nécessairement dire la même chose que les mots «raisonnables et probables» et il faut examiner des indices généraux. L'avocat de la partie appelante s'est donné la peine de remettre à la Cour une liste de 54 lois canadiennes allant de la Loi sur les normes des produits agricoles canadiens à la Loi sur le Yukon, chacune de ces lois renferme des
(Suite de la page précédente)
[TRADUCTION] En premier lieu, l'agent de police doit légalement faire une «intrusion initiale» ou autrement se trouver légalement dans une position d'où il peut inspecter un endroit particulier. Id., aux p. 465-468, 29 L. Ed. 2d 564, 91 S. Ct 2022. En deuxième lieu, l'agent doit découvrir la preuve incriminante par «inadvertance», c'est-à-dire qu'il ne peut «connaître à l'avance l'endroit se trouvent [certains] éléments de preuve et avoir l'intention de les saisir», s'ap- puyant sur la doctrine «plain view» uniquement comme pré- texte. Id., à la p. 470, 29 L Ed 2d 564, 91 S Ct 2022. En dernier lieu, la police doit «se rendre compte immédiatement» que les articles qu'elle observe peuvent constituer la preuve d'un crime, d'une contrebande, ou autrement être suscepti- bles de saisie. Id., à la p. 466, 29 L Ed 2d 564, 91 S Ct 2022.
dispositions distinctes sur les fouilles et les perquisitions ainsi que des dispositions concernant l'exercice du pouvoir judiciaire par le juge ou une autre autorité. Les lois ont été produites à l'appui d'un autre argument dans cette affaire-là, mais, à tout événement, seules deux de ces lois renfermaient les mots «motifs raisonnables et probables», soit la Loi sur le transport des marchandises dangereuses, L.R.C. (1985), chap. T-19, et la Loi sur le Yukon, L.R.C. (1985), chap. Y-2. Le 12 décembre 1988, les modifications apportées à ces deux dernières lois ont été proclamées; il s'agissait de modifications qui ont vraisemblable- ment été apportées conformément à la Loi sur la revision des lois, L.R.C. (1985), chap. S-20, qui permet à la Commission de révision des lois de faire les modifications de langage requises pour préserver un mode d'expression uniforme. A tout événe- ment, les mots «et probables» ont été supprimés de ces lois.
À l'article 443 [actuellement l'art. 487] du Code criminel (dénonciation relative à un mandat de perquisition), seul le mot «raisonnables» est utilisé et il en a toujours été ainsi.
L'article 455 du Code criminel (édition 1988 de Martin) se lit comme suit:
455. Quiconque croit, pour des motifs raisonnables et proba bles, qu'une personne a commis un acte criminel peut faire une dénonciation ...
L'article correspondant de l'édition de 1989 de ce même Code, soit l'article 504, ne renferme pas les mots «et probables». Ces mots ont également été supprimés de la formule 2, soit la formule générale de dénonciation. En vertu de l'article 10 [actuellement art. 11 et 12] de la Loi sur le contrôle des stupéfiants, un agent de la paix peut:
10. (1) ...
c) saisir et enlever tout stupéfiant dans un tel endroit', toute chose qui s'y trouve et dans laquelle il soupçonne, en se fondant sur des motifs raisonnables, qu'un stupéfiant est contenu ...
(2) un juge de paix convaincu, d'après une dénonciation faite sous serment, qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'un stupéfiant ... se trouve dans une maison d'habitation quelconque peut délivrer un mandat ...
Toutefois, le mot «probables» apparaît encore à la formule 7, le mandat d'arrestation, et dans certains autres articles du Code criminel portant notamment sur l'autodéfense. *
Dans Hunter c. Southam, le juge en chef a également dit ce qui suit aux pages 158-159:
Le Quatrième amendement de la Constitution des États-Unis garantit également un droit général. Il prévoit:
[TRADUCTION] «Le droit des citoyens d'être garantis dans leurs personnes, domiciles, papiers et effets, contre des per- quisitions et saisies abusives ne sera pas violé, et aucun mandat ne sera délivré, si ce n'est pour un motif plausible, soutenu par serment ou affirmation, ni sans qu'il décrive avec précision le lieu à fouiller et les personnes ou choses à saisir.»
* Note de l'arrêtiste: Ce paragraphe ne paraît pas dans les motifs de jugement tels qu'ils ont été publiés dans Kourtessis v. M.N.R. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.). Par contre, il paraît dans les motifs de jugement tels qu'ils ont été rendus par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. 11 figure également dans les motifs tels qu'ils ont été publiés dans la banque de données Quicklaw (B.C.J.).
Interprétant cette disposition dans l'arrêt Katz v. United States, 389 U.S. 347 (1967), le juge Stewart qui a prononcé le jugement de la Cour suprême des États-Unis à la majorité déclare, à la p. 351, que «le quatrième amendement protège les personnes et non les lieux». Le juge Stewart a rejeté tout lien nécessaire entre cet amendement et le concept d'intru- sion. Avec égards, j'estime que ce point de vue est également applicable à l'interprétation de la protection offerte par l'art. 8 de la Charte des droits et libertés.
Dans R. v. DeBot (1986), 54 C.R. (3d) 120, 30 C.C.C. (3d) 207, 26 C.R.R. 275, 17 O.A.C. 141, le juge Martin, J.C.A., a commenté comme suit l'arrêt Hunter c. Southam:
[TRADUCTION] Le critère des «motifs raisonnables de croire» et celui du «motif plausible» du quatrième amendement de la Constitution américaine sont identiques ... Le critère ... ne saurait être assimilé à une preuve au-delà de tout doute raisonnable ou à une preuve prima facie. Le critère à respec- ter en est un de probabilité raisonnable.
La Cour suprême a déjà cité des décisions des États-Unis et détermine si elle en appliquera le raisonnement en prenant bien soin de préciser chaque fois que ces causes sont d'une utilité restreinte, bien que leur philosophie sous-jacente soit souvent éclairante. Dans un article qui nous a été cité, «The Incredible Shrinking Fourth Amendment» (1984), 21 Amer. Crim. L. Rev. 271, l'auteur Cyrus J. Wasserstrom analyse savamment divers changements d'interprétation que la Cour suprême des États-Unis a adoptés au fil des années depuis la déclaration du Quatrième amendement. Voici ce que dit l'auteur à la page 306:
L'expression «motif plausible» renvoie certainement à une preuve à tout le moins suffisante pour établir une probabilité de plus de cinquante pour cent, du moins à une certaine norme de prépondérance de la preuve (plus probable qu'im- probable). Bien que la Cour n'ait pas exprimé le critère du motif plausible en termes aussi précis, elle a constamment énoncé l'exigence d'une façon qui sous-entend un degré de probabilité encore plus élevé. En effet, la Cour a dit qu'un motif plausible d'arrestation existe lorsque la preuve est «suffisante pour permettre à un homme prudent de croire que le prévenu a commis ou était en train de commettre une infraction». La Cour a également utilisé les mêmes propos pour décrire le degré de preuve requis pour justifier une perquisition: l'agent de la paix doit avoir des motifs raison- nables de croire que la preuve recherchée se trouve dans l'endroit visé par la demande de perquisition. Cette croyance ne serait manifestement pas justifiée si, d'après les faits portés à sa connaissance, l'agent avait autant de chance d'avoir tort que raison. Cette interprétation du motif plausi ble comporte également une autre caractéristique très impor- tante: elle impose une norme stricte et intelligible pour l'agent qui envisage de procéder à une arrestation ou à une perquisition. Elle lui dit que, à moins qu'il ne croie que la fouille lui permettra, et non pas pourrait lui permettre, de trouver des éléments de preuve ou à moins qu'il ne pense que le suspect a, et non pas pourrait avoir, commis une infrac tion, il devra poursuivre son enquête avant de pouvoir faire une perquisition ou saisir des éléments de preuve ... [Les italiques sont de moi et de l'auteur.]
Lorsque j'examine l'uniformité comparative des dispositions législatives canadiennes se rapportant aux fouilles et aux per- quisitions, je constate qu'aujourd'hui, dans presque tous les cas,
le mot «raisonnables» est utilisé et non les mots «raisonnables et probables». L'argument de l'appelant à cet égard est fondé sur un paragraphe de la décision rendue dans Hunter c. Southam, lequel paragraphe établirait une norme de conduite à suivre pour la délivrance des mandats de perquisition. Je reconnais que le mot est utilisé à nouveau, quatre ans plus tard, dans Simmons, l'on a tenté de résumer la décision rendue dans Hunter, mais cinq ans plus tôt, dans Coopers & Lybrand, le mot «probables» n'était pas mentionné.
Trois autres commentaires découlent d'une autre lecture de l'arrêt Hunter c. Southam. D'abord, le paragraphe 10(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions qui faisait alors l'objet du litige ne renferme ni le mot «raisonnables» ni le mot «probables». En deuxième lieu, le juge Prowse, J.A., de la Cour d'appel de l'Alberta, et le juge en chef, dans le texte principal de son jugement, ont cité tous deux l'article 443 du Code criminel («motifs raisonnables») sans apparemment le désap- prouver et, enfin, lorsque le juge en chef compare l'art. 443 du Code criminel à la Déclaration américaine des droits, à la p. 167, il dit ce qui suit:
La formulation est légèrement différente mais le critère est identique dans chacun de ces cas.
Lorsque j'examine les choses dans leur contexte, je constate que le mot «probable» est pour ainsi dire disparu de la jurispru dence relative aux lois fédérales. Pourquoi en est-il ainsi? Est-ce pour une question d'uniformité? A-t-on présumé que les mots «raisonnables et probables» voulaient dire la même chose? A mon avis, tel n'est pas le cas et je me reporte aux commentai- res précités de Wasserstrom.
À mon sens, les motifs «raisonnables» susmentionnés sont entièrement satisfaisants pour tous les cas autres que les man- dats de perquisition. Notre Cour a récemment formulé des commentaires concernant l'intrusion d'une maison d'hàbitation dans R. c. Parent, [1989] B.C.W.L.D. 979 (non encore publié) et la Cour suprême du Canada en a fait autant dans l'arrêt Simmons. J'ai du mal à accepter que, si le mot «raisonnables» signifie que le requérant espère trouver quelque chose alors que les mots «raisonnables et probables» signifient qu'il s'attend à trouver quelque chose, le critère moins élevé suffira pour permettre l'intrusion d'une maison d'habitation.
À mon avis, une lecture des deux expressions côte à côte ne permet pas de dire que l'utilisation du mot «raisonnables» est suffisante.
Toutefois, si les mots du juge en chef Dickson «la formulation est légèrement différente mais le critère est identique» au sujet de la Constitution américaine signifient quelque chose, ils doivent vouloir dire que les mots peuvent faire l'objet de diverses interprétations. Ainsi, si le mot «raisonnables» est interprété de façon à signifier que les policiers doivent avoir des motifs raisonnables de croire que la preuve recherchée sera trouvée à l'endroit visé par la perquisition, alors je serai satis- fait, car il s'agit d'un critère signifiant que la probabilité est plus grande que l'improbabilité. L'application d'un critère infé- rieur à cette norme me semble être une exploration qui ne devrait pas être permise.
Si l'interprétation littérale seulement était retenue, cela signifierait qu'il faudrait annuler toutes les dispositions relati ves à la fouille et à la perquisition au Canada. Si cette interprétation pouvait être nuancée, ces dispositions demeure- raient valides. Toutefois, je n'examine qu'une seule loi, soit la
Loi de l'impôt sur le revenu. C'est le juge qui, conformément au paragraphe 231.3(3), doit être convaincu de l'existence d'un motif raisonnable de croire a) qu'une infraction prévue à cette Loi a été commise; b) qu'il est vraisemblable de trouver des documents ou choses pouvant constituer des éléments de preuve de la perpétration de l'infraction; et c) que le bâtiment, conte- nant ou endroit précisé dans la requête contient vraisemblable- ment de tels documents ou choses.
On notera que les alinéas b) et c) renferment le mot «vrai- semblable» ou «vraisemblablement», ce qui est important. Cet élément doit ressortir de la preuve présentée au juge. S'il est convaincu que le déposant croit qu'il est vraisemblable de trouver le document dans les lieux, j'estime que la norme de la probabilité plus grande que l'improbabilité aura été respectée. Ainsi, en dernier ressort, j'estime que le critère établi dans l'arrêt Hunter c. Southam est respecté.
Selon l'avocat, dans R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; (1988), 55 D.L.R. (4th) 673; 45 C.C.C. (3d) 296; 66 C.R. (3d) 297; 89 N.R. 1, la Cour suprême a dit clairement, à la page 523, que le critère constitutionnel était l'existence de motifs raisonnables et probables. Il en est ainsi, dit-il, même si, dans Hunter c. Southam (précité), aux pages 158 et 159 R.C.S., le critère a été établi en fonction de motifs raisonnables seulement. la page 168 R.C.S. de ce même arrêt, le critère mentionné était celui de l'existence de «motifs raisonnables et probables»).
La Cour d'appel fédérale a également examiné cet argument dans l'affaire Solvent Petroleum (précitée):
Il ne fait pas de doute que le paragraphe 231.3(3) satisfait à ces normes minimales (Voir Kohli v. Moase et al. (1987), 86 N.B.R. (2d); 219 A.P.R. 15, (N.B.Q.B.)). J'ajoute que la différence possible entre l'expression «motifs raisonnables» figu- rant au paragraphe 231(4) et l'expression «motifs raisonnables» du paragraphe 231.3(3) n'a pas fait l'objet d'une discussion devant nous comme ce fut le cas devant le juge Lysyk dans l'affaire Kourtessis and Hellenic Import Export Co. Ltd. v. M.N.R. (1988), 89 DTC 5214 (B.C.S.C.). La conclusion tirée par le juge Lysyk ne soulève aucune difficulté pour moi. Ayant noté que l'ancien article 443 du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. 34] (maintenant l'article 489 du Code criminel, L.R.C. (1985), chap. 46.) parlait de «motif raisonnable» et que le Quatrième amendement de la Constitution des États-Unis (Le Quatrième amendement de la Constitution des États-Unis ets ainsi conçu: [TRADUCTION] Le droit des citoyens d'être garan- tis dans leurs personnes, domiciles, papiers et effets, contre des perquisitions et saisies abusives ne sera pas violé, et aucun mandat ne sera délivré, si ce n'est pour un motif plausible, soutenu par serment ou affirmation, ni sans qu'il décrive avec précision le lieu à fouiller et les personnes ou choses à saisir.) est différent de l'article 8 de la Charte, le juge a conclu à la page 5218 de la décision:
[TRADUCTION] La seule norme expressément prévue par l'art. 8 de la Charte est celle du caractère raisonnable. La jurispru-
dence ne démontre pas et, à mon avis, les principes ne recom- mandent pas la proposition faite par les requérants, à savoir que l'absence d'une exigence légale de motifs probables ainsi que raisonnables est fatale sur le plan constitutionnel.
L'avocat des demandeurs (requérants) fait valoir que le juge Desjardins, lorsqu'elle a rédigé sa décision dans l'affaire Solvent Petroleum (pré- citée), et le juge Lysyk, lorsqu'il a rendu son jugement dans l'affaire Kourtessis (précitée), n'ont pas eu l'avantage de lire le jugement de la Cour suprême dans Simmons (précité). Toujours selon l'avocat, cette dernière décision exige que l'on en arrive à une conclusion contraire à celle qui a été tirée dans les affaires Solvent Petroleum et Kourtessis.
Ce n'est pas ce que j'ai compris à la lecture de l'arrêt Simmons. Je ne crois pas que la Cour suprême se soit penchée sur l'argument que l'avo- cat désire tirer de cette décision. Le raisonnement du juge Lysyk est irrésistible. Il est difficile de comprendre comment une personne pourrait avoir des motifs raisonnables de délivrer un mandat de perquisition si ces motifs raisonnables ne devaient pas implicitement être aussi des motifs probables. L'avocat soutient que les commentaires formulés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Solvent Petroleum à ce sujet étaient des remarques inci- dentes, puisque cette question n'a pas été débattue dans cette affaire-là. C'est peut-être vrai, mais, comme je l'ai déjà mentionné, le raisonnement suivi dans l'affaire Kourtessis est très convaincant et la Cour suprême ne s'en est pas éloignée par la décision qu'elle a rendue dans l'arrêt Simmons.
L'article 15 de la Charte des droits—la Cour fédérale ou les cours supérieures des provinces et différentes possibilités
En quatrième lieu, l'avocat allègue que l'article 231.3 contrevient à l'article 15 de la Charte, parce qu'il permet d'utiliser deux méthodes pour obtenir un mandat (demande auprès d'un juge de la Cour fédérale ou d'un juge de la cour supérieure de la province):
231. Les définitions qui suivent s'appliquent aux articles 231.1 à 231.5.
«juge» Juge d'une cour supérieure compétente de la province l'affaire prend naissance ou juge de la Cour fédérale.
Si c'est un juge de la Cour fédérale qui décerne le mandat, cette décision pourra être portée en appel devant la Cour d'appel fédérale (tout comme la décision fondée sur le paragraphe 231.3(7) relati- vement à un refus de retourner des documents saisis en vertu d'un mandat). Les paragraphes 27(1) et 27(4) de la Loi sur la Cour fédérale se lisent comme suit:
27. (1) Il peut être interjeté appel, devant la Cour d'appel fédérale, des décisions suivantes de la Section de première instance:
a) jugement définitif;
b) jugement sur une question de droit rendu avant l'instruction;
c) jugement interlocutoire.
(4) Pour l'application du présent article, est assimilé au jugement définitif le jugement qui statue au fond sur un droit, à l'exception des questions renvoyées à l'arbitrage par le jugement.
Si c'est un juge de la cour supérieure d'une pro vince qui délivre le mandat, la décision, du moins dans certaines provinces, sera considérée comme une décision non définitive qui ne pourra donc pas être portée en appel devant la cour d'appel de la province: Kourtessis (précité); Bernstein c. R., (C.A.) Montréal, 500-10-000210-888, juges Beau- regard, Nichols, Rothman; 30 janvier 1989, C.S. Montréal, 500-36-000170-889 (5 mai 1988, juge Mayrand). En outre, dans Knox Contracting Ltd. et Knox c. Canada et Ministre du Revenu national et autres (1988), 94 N.B.R. (2d) 8; 89 DTC 5075 (C.A.), il a été décidé que la délivrance d'un mandat de perquisition était un acte administratif faisant partie du processus d'enquête et non une décision pouvant faire l'objet d'un appel. La Cour d'appel du Nouveau-Brunswick s'est fondée sur le texte du paragraphe 231.3(3) qui prévoit qu'un juge «décerne un mandat» et non pas «ordonne qu'un mandat soit décerné». Les décisions rendues dans Knox et Bernstein ont toutes deux été portées en appel devant la Cour suprême du Canada (dos- siers respectifs 21271 et 21411 de la C.S.C.).
À ce sujet, il convient de souligner, d'abord, que les différences de procédure existent non seulement entre la Cour fédérale et les cours supérieures provinciales, mais aussi entre les cours supérieures des provinces elles-mêmes. Ainsi, en Saskatche- wan, la loi intitulée The Court of Appeal Act, R.S.S. 1965, chap. 72, art. 6, permet à la Cour d'appel d'entendre les appels [TRADUCTION] «de
tout jugement, ordonnance ou décision d'un juge de la Cour du Banc de la Reine». En Nouvelle- Écosse, la loi intitulée Judicature Act, S.N.S. 1972, chap. 2, art. 35, accorde à la Cour d'appel la compétence voulue pour entendre les appels [TRA- DUCTION] «de toute décision, verdict, jugement ou ordonnance». Les différences qui, selon l'avocat, constituent une discrimination contraire à l'article 15 de la Charte, sembleraient résulter des diverses lois provinciales, des règles de pratique adoptées sous l'autorité de ces lois et d'une-différence dans la jurisprudence quant à la question de savoir si un juge agissant en vertu de l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu rend une décision judi- ciaire ou administrative et quant à la question de savoir si les décisions fondées sur l'article 231.3 sont finales ou interlocutoires.
Le juge Lysyk a examiné cet argument dans Kourtessis v. M.N.R. (1988), 30 B.C.L.R. (2d) 342; 44 C.C.C. 79 (C.S.), à la page 355 B.C.L.R.:
[TRADUCTION] Je présumerai, sans m'arrêter à relire les causes citées par Mc Du Pont, que les droits d'appel relatifs à l'article 231.3 ne sont pas entièrement uniformes au Canada. Si tel est le cas et même si l'on va plus loin et que l'on présume que les différences en question peuvent constituer une discrimination au sens du paragraphe 15(1) de la Charte, cette inégalité touchant les droits d'appel ne découle pas des dispositions de la loi attaquée elle-même. En conséquence, l'élimination de la disposition contestée ne constituerait pas une réponse appro- priée au problème. On n'a pas proposé d'autres formes de redressement pour éliminer cette soi-disant différence de traite- ment et l'examen de cet argument à cet stade-ci serait prématuré.
Enfin, l'avocat des demandeurs (requérants) a porté à mon attention la décision que la Cour suprême a rendue dans R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 108; 69 C.R. (3d) 97; 96 N.R. 115. Cette décision portait sur le fait qu'en Ontario, une personne accusée de meur- tre ne pouvait choisir de subir son procès devant un juge seul. Si cette personne avait été poursuivie en Alberta, elle aurait pu faire ce choix. À la page 1329 R.C.S. de la décision Turpin, la Cour suprême a dit ce qui suit:
Partant de l'hypothèse que la définition qui précède donne le contenu minimal du droit à l'égalité devant la loi que garantit l'art. 15 de la Charte, je suis d'avis de conclure que les dispositions contestées portent atteinte à l'égalité des appelants devant la loi. Les appelants veulent subir un procès devant un juge seul, mais ils en sont empêchés à cause de l'effet conjugué des art. 427 et 429 du Code criminel. D'autre part, l'art. 430 du Code criminel permet aux personnes accusées de la même
infraction en Alberta d'être jugées devant un juge seul. En conséquence, les appelants sont privés de la possibilité de se prévaloir de ce qui est accessible aux autres, privation qui, comme l'a souligné la Cour d'appel aux p. 299 et 300, peut défavoriser les appelants:.. .
Et aux pages 1330-1331 R.C.S.:
b) La discrimination
Après avoir conclu que les appelants ont été privés d'au moins un des droits à l'égalité énumérés à l'art. 15 de la Charte, je dois passer à l'étape suivante et déterminer s'il est possible de dire que cette privation constitue de la discrimination. L'article 15 autorise des différences de traitement pourvu que cela se fasse «indépendamment de toute discrimination». Comme l'af- firme le juge McIntyre dans l'arrêt Andrews la p. 182 R.C.S.):
Un plaignant en vertu du par. 15(1) doit démontrer non seulement qu'il ne bénéficie pas d'un traitement égal devant la loi et dans la loi, ou encore que la loi a un effet particulier sur lui en ce qui concerne la protection ou le bénéfice qu'elle offre, mais encore que la loi a un effet discriminatoire sur le plan législatif.
Pour déterminer s'il y a discrimination pour des motifs liés à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, il importe d'examiner non seulement la disposition législative contestée qui établit une distinction contraire au droit à l'égalité, mais aussi d'examiner l'ensemble des contextes social, politique et juridique. Le juge McIntyre a souligné dans l'arrêt Andrews la p. 167 R.C.S.):
En effet, comme on l'a déjà dit, une mauvaise loi ne peut être sauvegardée pour la simple raison qu'elle s'applique également à ceux qu'elle vise. Pas plus qu'une loi sera nécessairement mauvaise parce qu'elle établit des distinctions.
Et à la page 1333 R.C.S.:
Établir une distinction, pour les fins du mode de procès, entre les personnes accusées en Alberta d'infractions énumérées à l'art. 427 et celles qui sont accusées des mêmes infractions ailleurs au Canada ne favoriserait pas, à mon avis, les objets de l'art. 15 en remédiant à la discrimination dont sont victimes les groupes de personnes défavorisées sur les plans social, politique ou juridique dans notre société ou en les protégeant contre toute forme de discrimination. Il serait inutile de chercher des signes de discrimination tel que des stéréotypes, des désavantages historiques ou de la vulnérabilité à des préjugés politiques ou sociaux en l'espèce parce que ce qui est comparé c'est la situation de personnes qui sont accusées, ailleurs au Canada, d'une des infractions énumérées à l'art. 427, avec celle des personnes ainsi accusées en Alberta. A mon avis, faire droit aux demandes des appelants en vertu de l'art. 15 de la Charte serait «aller au delà de l'objet véritable du droit ou de la liberté en question»; voir R. c. Big M Drug Mart Ltd., à la p. 344 [C.S.C.].
Je ne veux pas dire que la province de résidence d'une personne ou le lieu du procès ne pourraient pas, dans des circonstances particulières, être une caractéristique personnelle d'un individu ou d'un groupe d'individus susceptible de consti- tuer un motif de discrimination. je dis simplement que ce n'est pas le cas en l'espèce.
À mon avis, l'argument des demandeurs (requé- rants) ne peut être retenu. À l'instar du juge Lysyk, je reconnais que, s'il y a discrimination, ce n'est pas en raison de l'application de l'article 231 de la Loi de l'impôt sur le revenu et, s'il y a des recours, ils se trouvent ailleurs que dans le fait de déclarer l'article 231.3 inconstitutionnel. Deuxiè- mement, la décision de la Cour suprême dans l'affaire Turpin indique clairement que le type de discrimination, si discrimination il y a, qui découle de l'existence de différentes procédures d'un terri- toire à l'autre n'est pas le type de discrimination visé par l'article 15 de la Charte.
Secret professionnel de l'avocat—Secret profes- sionnel du comptable
Enfin, l'avocat allègue que les mandats délivrés conformément à l'ordonnance du juge Strayer en date du 7 août 1986 sont invalides parce qu'ils n'ont pas été assujettis aux conditions d'exécution visant à protéger le droit au secret de leurs clients respectifs. Cet argument se rapporte aux mandats délivrés qui permettaient des perquisitions dans les bureaux de Baron & Abrams (avocats) et Baron & Merton (comptables agréés).
J'examinerai d'abord le secret professionnel du comptable. L'avocat souligne que l'obligation au secret professionnel du comptable est reconnue sur le plan législatif et énoncée dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q. 1977, chap. C-12:
9. Chacun a droit au respect du secret professionnel.
Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.
Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel.
56. (1) Dans les articles 9, 23, 30, 31 et 38, le mot «tribunal» inclut un coroner, un commissaire-enquêteur sur les incendies, une commission d'enquête et une personne ou un organisme exerçant des fonctions quasi-judiciaires.
(2) Dans l'article 19, les mots «traitement» et «salaire» incluent les compensations ou avantages à valeur pécuniaire se rapportant à l'emploi.
(3) Dans la Charte, le mot «loi» inclut un règlement, un décret, une ordonnance ou un arrêté en conseil adoptés sous l'autorité d'une loi.
Les dispositions pertinentes du Code des profes sions, L.R.Q. 1977, chap. C-26, paragraphe 87(3) et du Code de déontologie des comptables agréés, R.R.Q. 1981, chap. C-48, r. 2 (article 3.02.25) ont également été citées:
87. Le Bureau doit adopter, par règlement, un code de déonto- logie imposant au professionnel des devoirs d'ordre général et particulier envers le public, ses clients et sa profession, notam- ment celui de s'acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité. Ce code doit contenir, entre autres:
(3) des dispositions visant à préserver le secret quant aux renseignements de nature confidentielle qui viennent à la con- naissance des membres de la corporation dans l'exercice de leur profession;
3.02.25 Le membre est tenu au secret professionnel et il ne peut divulguer les renseignements confidentiels qui lui ont été révélés en raison de son état ou profession, à moins qu'il n'y soit autorisé par celui qui lui a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.
L'avocat allègue que c'est la loi de la province qui détermine les privilèges qui s'appliquent dans le contexte des litiges: voir Deputy Attorney Gene ral of Canada v. Brown, [1965] R.C.S. 84; (1964), 47 D.L.R. (2d) 402; [1964] C.T.C. 483; 64 DTC 5296. Dans Edmonds c. Sous-procureur général du Canada, [1979] C.S. 759; [1980] CTC 192; 89 DTC 6201 (C.S. Qué.) et Normandin c. Canada (Procureur général) C.S. Granby (Qué.), (460-05- 000044-888, 15 juin 1989, juge Mercure, non publié) la Cour a cité les dispositions pertinentes de la Loi sur le Barreau [L.R.Q. 1977, chap. B-1] et de la Charte des droits et liberté de la personne du Québec [L.R.Q. 1977, chap. C-12] dans une cause concernant le secret professionnel de l'avo- cat. On a également cité l'article intitulé «Le recouvrement de l'impôt et les droits de la per- sonne» (1983), 24 C. de D. 457, aux pages 473 et 474 ainsi que l'article de Me Marquis intitulé «Le secret notarial et le fisc», 79 R. du N. 4. Dans St-Georges c. Québec (Procureur général), [1988] R.D.F.Q. 86 (C.S.), à la page 91, le juge Gonthier (tel était alors son titre) a décidé que les communi cations entre le comptable et son client étaient protégées par les règles de droit du Québec.
Même si je reconnais que le droit du Québec protège les communications entre le comptable et son client dans les litiges, je ne suis pas convaincu
qu'une règle similaire ait été adoptée dans le cas des litiges concernant l'impôt sur le revenu fédéral. Si le législateur avait voulu que cette règle s'appli- que, celle-ci aurait été énoncée expressément dans la Loi sur la preuve au Canada [L.R.C. (1985), chap. C-5] ou dans la Loi de l'impôt sur le revenu.
Dans Missiaen v. Minister of National Revenue (1967), 61 W.W.R. 375; [1967] C.T.C. 579; 68 DTC 5039 (C.S. Alb.), le juge Primrose s'est exprimé de la façon suivante la page 378 W.W.R.]:
[TRADUCTION] Bien que le caractère confidentiel de la cor- respondance échangée entre le client et le comptable agréé agissant pour les requérants n'ait pas été invoqué et que la Loi de l'impôt sur le revenu ne renferme aucune disposition pré- voyant ce privilège, il semblerait que cette prétention soit fondée. Dans re Wiliam W. Kask (1966), 20 DTC 5374, le juge en chef Wilson énonce succinctement les principes qui consti tuent le fondement du secret professionnel de l'avocat. Il est bien certain que le comptable agréé se trouve envers son client dans une position analogue à celle de l'avocat vis-à-vis son client et il est plutôt étrange qu'aucun privilège ne soit accordé ou demandé dans ces circonstances. [C'est moi qui souligne.]
Enfin, dans l'article de M. Côté intitulé «Le secret professionnel et l'expert-comptable», [1988] 10 R.P.F.S. 449, on peut lire l'extrait suivant aux pages 454 et 455:
En conclusion, tous les intervenants travaillant dans le domaine de la fiscalité, sauf peut-être ceux travaillant pour les deux paliers gouvernementaux, ne pourront que se réjouir de l'avènement de l'article 9 de la Charte et de son interprétation telle qu'énoncée dans l'arrêt St-Georges en ce qui a trait au secret professionnel de l'expert-comptable. Il était de plus en plus évident pour les fiscalistes faisant de la planification fiscale, de la nécessité de reconnaître ce droit au secret profes- sionnel compte tenu de la relation étroite qui unit les experts- comptables, les avocats fiscalistes et les clients ainsi que de l'information très privilégiée à laquelle l'expert-comptable a accès. Il ne reste qu'à espérer que le ministère du Revenu national reconnaîtra, lui aussi, ce droit au secret professionnel dans sa législation ou que les tribunaux, à défaut d'une telle reconnaissance par le fédéral, reconnaîtront l'application de l'article 9 de la Charte québécoise même au niveau de la législation fédérale. Il serait en effet malheureux que les contri- buables du Québec ne puissent bénéficier au niveau fédéral du droit fondamental qu'est le secret professionnel. [C'est moi qui souligne.]
Il est bien normal que le droit au secret profes- sionnel de l'avocat existe en ce qui a trait à la preuve pouvant être exigée devant les tribunaux, tandis que ce droit n'existe pas pour le comptable. L'objet de ce droit est d'assurer des communica tions libres et dénuées de toute contrainte entre l'avocat et son client, de façon que celui-ci puisse
recevoir une aide juridique efficace. Ce privilège préserve le droit fondamental qu'ont les particu- liers de poursuivre et de préparer des contestations. Comme l'a dit le juge Lamer dans Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [ 1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 141 D.L.R. (3d) 590; 70 C.C.C. (2d) 385; 28 C.R. (3d) 289; 1 C.R.R. 318; 44 N.R. 462, la page 883 R.C.S., le privilège est reconnu parce qu'il est nécessaire pour assurer l'administration appropriée de la justice. Je ne crois pas qu'il existe un principe prépondérant de cette nature dans le cas de la communication entre le comptable et son client. Le comptable peut être tenu, conformément à une règle de déontologie, de préserver le secret des communications et autres renseignements con- cernant son client. Mais cette obligation ne résulte nullement de la nécessité d'assurer l'administration efficace de la justice.
J'en arrive maintenant au secret professionnel de l'avocat. Dans Descôteaux (précité), le juge Lamer a écrit ce qui suit à la page 870 R.C.S.:
Il n'est pas nécessaire de procéder à la démonstration de l'existence du droit d'une personne à la confidentialité des communications avec son avocat. Maintes fois affirmée, son existence a été tout récemment confirmée à nouveau par cette Cour dans Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, M. le juge Dickson disait la p. 839):
On peut s'écarter de la notion actuelle du privilège et aborder l'affaire dans une optique plus large, savoir (i) le droit de communiquer en confidence avec son conseiller juridique est un droit civil fondamental, fondé sur la relation exceptionnelle de l'avocat avec son client et ...
Il a poursuivi en ces termes à la page 875:
Il est, je crois, opportun que nous formulions cette règle de fond, tout comme l'ont fait autrefois les juges pour la règle de preuve; elle pourrait, à mon avis, être énoncée comme suit:
1. La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances ces'communica- tions seraient susceptibles d'être dévoilées sans le consente- ment du client;
2. À moins que la loi n'en dispose autrement, lorsque et dans la mesure l'exercice légitime d'un droit porterait atteinte au droit d'un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité;
3. Lorsque la loi confère à quelqu'un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l'espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confidentialité, la décision de le faire et le choix des modali- tés d'exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d'un souci de n'y porter atteinte que dans la mesure absolu- ment nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante;
4. La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées restrictivement.
L'affaire Descôteaux portait sur un mandat décerné par un juge de paix conformément à l'arti- cle 443 du Code criminel. Il a été décidé qu'un mandat autorisant une perquisition dans le bureau d'un avocat ne devrait pas être délivré en vertu de cet article, à moins que le juge de paix ne se soit demandé (1) s'il existait une autre possibilité rai- sonnable d'obtenir les renseignements, et (2) dans l'affirmative, si des mesures raisonnables avaient d'abord été prises pour obtenir les renseignements de cette source. A mon avis, ces prérequis ne s'appliquent pas aux mandats délivrés en vertu du paragraphe 231.3(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Compte tenu du texte législatif, ces restric tions ne sauraient s'appliquer.
Toutefois, dans l'affaire Descôteaux, le juge Lamer a également dit que, lorsque le bureau d'un avocat doit faire l'objet d'une perquisition, certai- nes mesures de protection doivent être prévues dans le mandat (pages 891 et 892 R.C.S.):
De plus, même si ces conditions sont satisfaites, le juge de paix doit assortir l'exécution du mandat de modalités qui concilient la protection des intérêts que cherche à promouvoir ce droit avec celle des intérêts que cherche à promouvoir le pouvoir de perquisitionner, et limiter à ce qui est strictement inévitable l'atteinte au droit fondamental ...
De façon générale, lorsqu'il s'agit de perquisitionner chez un avocat, que ce soit pour y chercher des choses prévues aux al. a), b) ou c) de l'art. 443(1), le juge de paix devrait se montrer particulièrement exigeant ... Il sera parfois souhaitable que, dés les premières démarches du dénonciateur, le juge de paix voie à ce que le procureur de la Couronne du district soit avisé, si ces démarches sont faites à son insu, ainsi que les autorités du Barreau. Assisté de ceux-ci, il devrait normalement pouvoir plus facilement arrêter de concert avec les forces de l'ordre des modalités de perquisition acceptables à tous et qui respecte- raient le droit à la confidentialité des clients du bureau de l'avocat sans frustrer la police de son droit de rechercher les preuves du crime allégué.
À cette fin, il pourrait s'inspirer, tout en les adaptant bien sûr à chaque cas d'espèce, des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, 1970-71-72 (Can.), chap. 63, art. 232.
De plus, la perquisition devrait, dans la mesure du possible, être faite en présence d'un représentant du Barreau.
Et plus loin, à la page 893 R.C.S.:
Avant de permettre la perquisition d'un bureau d'avocat pour y rechercher des preuves d'un crime, le juge de paix devra, sous peine d'excéder sa compétence, refuser la délivrance du mandat à moins d'être satisfait qu'il n'existe pas d'alternative raisonna-
ble à la perquisition (la règle de fond). Délivrant le mandat, que ce soit pour chercher des preuves ou d'autres choses, il devra de toute façon assortir le mandat de modalités d'exécu- tion susceptibles de sauvegarder au maximum le droit à la confidentialité des clients de l'avocat. [C'est moi qui souligne.]
Les demandeurs (requérants) allèguent que l'omis- sion d'intégrer ces conditions dans les mandats en l'espèce est fatale.
Pour sa part, l'avocat des défendeurs (intimés) fait valoir qu'il n'est pas nécessaire d'énoncer les conditions exigées selon l'arrêt Descôteaux, lors- que le mandat est délivré en vertu du paragraphe 231.3(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. En effet, dit-il, cette Loi renferme un code visant à protéger le privilège du secret professionnel de l'avocat. Voici le libellé des paragraphes 232(3), (4) et (5) [mod. par S.C. 1986, chap. 6, art. 122]:
232... .
(3) Le fonctionnaire qui, conformément à l'article 231.3, est sur le point de saisir un document en la possession d'un avocat qui invoque le privilège des communications entre client et avocat au nom d'un de ses clients nommément désigné en ce qui concerne ce document, doit, sans inspecter ou examiner celui-ci ni en faire de copies,
a) d'une part, le saisir, ainsi que tout autre document pour lequel l'avocat invoque, en même temps, le même privilège au nom du même client, en faire un colis qu'il doit bien sceller et bien marquer;
b) d'autre part, confier le colis à la garde soit du shérif du district ou du comté la saisie a été opérée, soit de la personne que le fonctionnaire et l'avocat conviennent par écrit de désigner comme gardien.
(4) En cas de saisie et mise sous garde d'un document en vertu du paragraphe (3) ou de rétention d'un document en vertu du paragraphe (3.1), le client ou l'avocat au nom de celui-ci peut:
a) dans les 14 jours suivant la date le document a ainsi été mis sous garde ou a ainsi commencé à être retenu, après avis au sous-procureur général du Canada au moins trois jours francs avant qu'il soit procédé à cette requête, demander à un juge de rendre une ordonnance qui:
(i) d'une part, fixe la date—tombant au plus 21 jours après la date de l'ordonnance—et le lieu il sera statué sur la question de savoir si le client bénéficie du privilège des communications entre client et avocat en ce qui con- cerne le document,
(ii) d'autre part, enjoint de produire le document devant le juge à la date et au lieu fixés;
b) signifier une copie de l'ordonnance au sous-procureur général du Canada et, le cas échéant, au gardien dans les 6 jours de la date elle a été rendue et, dans ce même délai, payer au gardien le montant estimé des frais de transport aller-retour du document entre le lieu il est gardé ou retenu et le lieu de l'audition et des frais de protection du document;
c) après signification et paiement, demander, à la date et au lieu fixés, une ordonnance il soit statué sur la question.
(5) une requête présentée en vertu de l'alinéa (4)c) doit être entendue à huis clos. Le juge qui en est saisi:
a) peut, s'il l'estime nécessaire pour statuer sur la question, examiner le document et, dans ce cas, s'assure ensuite qu'un colis du document soit refait et que ce colis soit rescellé;
b) statue sur la question de façon sommaire;
(i) s'il est d'avis que le client bénéficie du privilège des communications entre client et avocat en ce qui concerne le document, il ordonne la restitution du document à l'avocat ou libère l'avocat de son obligation de le retenir, selon le cas;
(ii) s'il est de l'avis contraire, il ordonne:
(A) au gardien de remettre le document au fonction- naire ou à quelque autre personne désignée par le sous- ministre du Revenu national pour l'impôt, en cas de saisie et mise sous garde du document en vertu du paragraphe (3),
(B) à l'avocat de permettre au fonctionnaire ou à l'autre personne désignée par le sous-ministre du Revenu national pour l'impôt d'inspecter ou examiner le docu ment, en cas de rétention de celui-ci en vertu .du para- graphe (3.1).
Le juge motive brièvement sa décision en indiquant de quel document il s'agit sans en révéler les détails.
Si j'ai bien compris, la question que je dois trancher est celle de savoir si les dispositions de l'article 232 sont suffisantes, ou si les modalités d'exécution doivent également être énoncées dans le mandat lui-même.
À mon avis, les remarques du juge Lamer indi- quent que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu ne sont pas suffisantes en soi. Ces dispo sitions n'offriraient aucune protection dans le cas le bureau d'un avocat ferait l'objet d'une per- quisition en présence de personnel auxiliaire seule- ment et qu'aucun avis du droit de revendiquer le privilège ne serait donné. En l'espèce, les mandats ne renferment aucun élément indiquant à première vue que des modalités d'exécution appropriées ont été énoncées. Toutefois, on ne semble guère douter du fait que des modalités appropriées ont été sui- vies. D'après les rapports présentés au juge Strayer conformément à l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, un avocat était présent lorsque la perquisition a été faite et des demandes de privi- lège ont été faites conformément à l'article 232 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les documents à l'égard desquels l'avocat a invoqué le privilège ont
été placés sous enveloppe et remis à Regent Doré, comme gardien. Une demande en vue de détermi- ner si les documents ont dûment été soumis à la protection du privilège du secret professionnel de l'avocat a été déposée devant la Cour supérieure du Québec. Cette demande a subséquemment été retirée. À cet égard, il y a lieu de consulter l'affi- davit et le rapport au juge d'Yvon Demers en date du 30 octobre 1986 (paragraphes 3d) et 4) ainsi que l'affidavit et le rapport au juge de Gilles Thériault en date du 2 juin 1987, tous deux dépo- sés dans le dossier T-1798-86. Dans ces circons- tances, il n'y a pas de motif sérieux de déclarer les mandats en question invalides. D'après ce que j'ai compris en lisant les commentaires du jugé Lamer dans l'affaire Descôteaux, ce qui est nécessaire, c'est que la procédure appropriée soit effective- ment suivie. Le fait que la procédure elle-même n'a pas été énoncée sur le mandat ne permet pas en soi de trancher le litige.
Pour les motifs exposés, les requêtes et deman- des en question sont rejetées. Les défendeurs (inti- més) ont le droit de recouvrer leurs dépens dans les actions, mais un seul mémoire de frais leur est adjugé.
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