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A-454-89
Shibamoto & Company Ltd. et Ocean Fisheries Ltd. (appelantes) (demanderesses)
c.
Western Fish Producers, Inc., C.N. Holding, Inc., Jorn Nordmann, S.M. Properties Ltd. et Le navire Nicolle N (intimés) (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: SHIBAMOTO & CO. c. WESTERN FISH PRODU CERS, INC. (CA.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci et juges Mahoney et MacGuigan, J.C.A.—Vancouver, 12 octobre; Ottawa, 14 novembre 1989.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Une demande reconventionnelle est alléguée l'inexécution d'un contrat relève-t-elle de la compétence de la Cour fédérale dans une action en dommages-intérêts découlant d'une entente quant à l'achat et à la transformation de poisson en haute mer Le juge de première instance a légitimement conclu que les questions en litige faisaient partie intégrante du droit maritime Toutes les conditions essentielles à la compétence de la Cour fédérale ont été remplies.
Compétence de la Cour fédérale Contrat exigeant l'utili- sation d'un navire Le droit maritime canadien, qui com- prend le droit des contrats et de la responsabilité délictuelle dans la mesure cela est nécessaire, est essentiel à la résolution du litige Le droit maritime canadien relève du pouvoir sur «la navigation et la marine marchande» prévu à l'art. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 L'art. 22(2)i) tel qu'il s'applique relève également du pouvoir en matière de navigation et de marine marchande.
Le litige découle d'un contrat aux termes duquel l'intimée Western, exploitante d'un navire-usine, devait acheter et trans former en haute mer du saumon et des veufs de saumon pour le compte de la demanderesse Shibamoto, laquelle finançait l'opé- ration. Ocean Fisheries devait agir à titre de mandataire nord- américain de Shibamoto. L'intimée devait déterminer le prix payé pour le poisson sous réserve d'un plafond fixé par le représentant de Shibamoto à bord du navire au cas le prix atteindrait un niveau susceptible d'entraîner une perte à la revente. Peu après le début des opérations, le représentant a décidé que le seuil de non-rentabilité avait été atteint et il a mis fin au contrat. L'action des demanderesses a pour objet la propriété du poisson à bord, les sommes non encore utilisées, les dépenses et le pouvoir discrétionnaire de suspendre les achats. Les défendeurs ont présenté une demande reconventionnelle fondée sur l'inexécution du contrat ainsi que sur la fraude, le dol et le complot en vue d'inciter à la violation du contrat. Le présent appel a été interjeté à l'encontre de l'ordonnance du juge Rouleau qui a autorisé la modification de la défense par ajout de la demande reconventionnelle en concluant que cette dernière relevait de la compétence de la Cour.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Les trois conditions pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale, établies dans l'arrêt ITO—International
Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., ont toutes été remplies. (1) L'exigence de l'attribution de compétence par une loi du Parlement est remplie par l'alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale puisque l'utilisation d'un navire était expressément prévue et exigée en vertu du contrat même s'il ne s'agissait pas dans les faits d'une utilisation intégrale. (2) Il est satisfait à la deuxième condition puisque le droit maritime canadien, ensemble de règles de droit fédérales, est essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence, et que le droit des contrats et de la responsabilité délictuelle relève du droit maritime canadien dans la mesure la résolution du litige l'exige. (3) La condition relative à la constitutionnalité est remplie étant donné que l'arrêt ITO confirme que le droit maritime canadien relève du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 (la compétence fédérale sur (la navigation et la marine mar- chande») et que l'alinéa 22(2)i) relève pareillement de cette catégorie de pouvoir dans la mesure il vise l'utilisation d'un navire pour la pêche.
Bien que, dans plusieurs arrêts récents, la Cour suprême du Canada ait soumis l'existence de la compétence de la Cour fédérale à un critère très rigoureux en jugeant que les termes pertinents pour définir cette compétence sont ceux que l'on retrouve à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, savoir (administration des lois du Canada», aucun de ces arrêts ne porte sur une question de droit maritime. Il reste que l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale ne doit pas recevoir une interprétation qui excéderait la portée de cette expression. La décision de la Cour suprême dans l'arrêt ITO confirme cependant la tendance à reconnaître la compétence de la Cour fédérale sur les questions de droit maritime.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5], art. 91(10),(12), 101.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 2, 22.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autres, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 68 N.R. 241; 34 B.L.R. 251.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Kuhr c. Le Friedrich Busse, [1982] 2 C.F. 709; (1982), 134 D.L.R. (3d) 261 (1' inst.); Dome Petroleum Ltd. c. Hunt International Petroleum Co., [1978] 1 C.F. 11 (1' inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Quebec North Shore Paper Co. et autres c. Canadien Pacifique Liée et autres, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976),
71 D.L.R. (3d) 111; 9 N.R. 471; McNamara Construc tion (Western) Ltd. et autres c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; (1977), 75 D.L.R. (3d) 273; 13 N.R. 181; R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autres, [1980] 1 R.C.S. 695; (1979), 106 D.L.R. (3d) 193; 30 N.R. 249; 12 C.P.C. 248; Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476; (1979), 105 D.L.R. (3d) 44; 13 C.P.C. 299 (1 re inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [1979] 2 R.C.S 157; (1979), 99 D.L.R. (3d) 235; 10 C.P.C. 9; 26 N.R. 313; Antares Shipping Corporation c. Le navire aCapricorn» et autres, [1980] 1 R.C.S. 553; (1979), 111 D.L.R. (3d) 289; 30 N.R. 104; Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Ship builders Ltd. et autres, [1981] 1 R.C.S. 363; (1981), 121 D.L.R. (3d) 517; 35 N.R. 288.
DOCTRINE
Evans, J. M. «Case Comment» [«Federal Jurisdiction—A Lamentable Situation»] (1981), 59 Re. du Bar. Can. 124.
Hogg, P. W. «Case Comment» [«Constitutional Law— Limits of Federal Court Jurisdiction—Is there a Fede ral Common Law?»] (1977), 55 R. du B. Can. 550. Jones, P. F. M. «Jurisdiction at Sea» (1982), 3 Supreme Court L.R. 445.
Kerr, R. W. «Constitutional Limitations on the Admi ralty Jurisdiction of the Federal Court» (1979), 5 Dalhousie L.J. 568.
Laskin, J. B. et Sharpe, R. J. «Constricting Federal Court Jurisdiction: A Comment on Fuller Construction» (1980), 30 U.T. L.J. 283.
Rogers, D. N. «Admiralty Jurisdiction in Canada: Is There a Need for Reform?» (1985), 16 J. Mar. L.& Comm. 467.
Scott, S. A. «Canadian Federal Courts and the Constitu tional Limits of their Jurisdiction» (1982), 27 R. de D. McGill 137.
Shorter Oxford English Dictionary, vol. II, 3rd rev. ed. Oxford: Clarendon Press, 1975, «navigation».
AVOCATS:
David F. McEwen pour les appelantes (demanderesses).
J. W. Perrett pour les intimés (défendeurs).
PROCUREURS:
McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour les appelantes (demanderesses).
Campney & Murphy, Vancouver, pour les intimés (défendeurs).
Ce qui, suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Il s'agit en l'es- pèce d'un appel contre une ordonnance du juge Rouleau [T-1810-88, ordonnance en date du 2 octobre 1989, encore inédite] faisant droit à la requête par laquelle les intimés visaient à modifier leur défense en y ajoutant, entre autres, une demande reconventionnelle. Les appelantes contes- tent la décision du juge portant que la demande reconventionnelle relève de la compétence de la Cour fédérale.
Le litige découle du contrat conclu entre Shiba - moto & Company Ltd. («Shibamoto»), Ocean Fis heries Limited («Ocean») et Western Fish Produ cers Inc. («Western») le 16 mai 1988. Aux termes de ce contrat, il était stipulé que Western, exploi- tante du navire-usine Nicolle N («le navire»), était désireuse de conserver et de transformer le poisson en Alaska pour le compte d'une partie ayant le capital voulu pour financer l'opération, que Shiba - moto, une société commerciale japonaise, souhai- tait acheter du saumon et des veufs de saumon en Alaska pour les revendre au Japon et enfin qu'O- cean agirait à titre de mandataire nord-américain de Shibamoto, effectuant toutes les opérations en son nom. En vertu de l'entente, Shibamoto devait, par l'entremise de son mandataire, avancer les fonds suffisants (en tout 1,8 million $ US) pour acheter trois millions de livres de saumon sockeye à Western, laquelle convenait d'acheter et de transformer le saumon et les veufs de saumon sur le navire en haute mer pendant la saison de pêche 1988. Western devait déterminer le prix payé pour le poisson sous réserve d'un plafond fixé par le représentant de Shibamoto à bord du navire au cas le prix atteindrait un niveau susceptible d'en- traîner une perte à la revente. Se trouvaient égale- ment à bord du navire huit techniciens spécialisés dont Shibamoto fournissait les services pour la préparation du saumon et des veufs de saumon selon les exigences du marché japonais. Après avoir acheté, apprêté et surgelé le poisson, Western devait le charger le plus rapidement possible à bord de navires de tramping. Il était enfin prévu que l'entente devait [TRADUCTION] «être appli- quée et interprétée conformément aux lois de la province de la Colombie-Britannique» (clause 8.01).
Peu de temps après le début des opérations selon les stipulations du contrat en juin 1988, le prix du saumon a augmenté au point le représentant de Shibamoto a décidé que le seuil de non-rentabilité avait été atteint.
Les appelantes ont intenté une action devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique puis devant la Cour fédérale. Les questions en litige y portent sur la propriété du poisson à bord du navire, les sommes non encore utilisées, les dépen- ses engagées dans la transformation du poisson et le pouvoir discrétionnaire des appelantes de sus- pendre leurs achats. Les intimés se sont vu refuser un sursis de l'action portée en Cour fédérale pour le motif que l'un des recours qui y était prévu, savoir l'exercice d'un privilège contre le navire, ne pouvait être obtenu en Cour suprême de la Colombie-Britannique.
Dans leur demande reconventionnelle, les inti- més allèguent qu'il y a eu inexécution du contrat, ainsi que fraude, dol et complot en vue d'inciter ou de contraindre à la violation de l'entente (Dossier d'appel, aux pages 260 et 261).
La compétence à l'égard de la demande recon- ventionnelle dépend de l'interprétation qu'il con- vient de donner à l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] («la Loi»), ainsi que du partage constitutionnel du pou- voir législatif.
Voici les dispositifs pertinentes de l'article 22:
22. (1) La Division de première instance a compétence con- currente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
i) toute demande née d'une convention relative au transport de marchandises à bord d'un navire à l'utilisation ou au louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
m) toute demande relative à des marchandises, fournitures ou services fournis à un navire, que ce soit, pour son exploitation ou son entretien, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, les demandes relatives à l'acconage ou gabarage;
Est également pertinente la définition de «droit maritime canadien» que l'on retrouve à l'article 2 de la Loi:
2....
adroit maritime canadien» désigne le droit dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridic- tion d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifica tions apportées à ce droit par la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du Canada;
Il convient également de citer le passage suivant des motifs d'ordonnance du juge de première ins tance [Shibamoto & Co. c. Western Fish Produ cers, Inc., ordonnance en date du 2 octobre 1989, section de première instance de la Cour fédérale, T-1810-88, encore inédite] (Dossier d'appel, aux pages 271 274):
L'une des décisions importantes dans laquelle la compétence de la Cour fédérale a été analysée et qui est d'une grande importance est l'arrêt ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre de la Cour suprême du Canada publié dans [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. 4th 641. A la page 774 R.C.S., le juge Maclntyre tient les propos suivants que je paraphrase: Pour déterminer si une affaire donnée soulève une question maritime ou d'amirauté, nous devons éviter d'empiéter sur ce qui constitue une matière d'une nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils ou les questions qui relèvent essentiellement de la compé- tence exclusive d'une province. A la page 774 R.C.S., il ajoute que la question doit être entièrement liée aux affaires mariti- mes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale.
En analysant les litiges de cette nature, on doit examiner l'essence de la réclamation faite et de la réparation demandée. Il s'agit en l'espèce de l'engagement d'un navire-usine, du financement et de la transformation du poisson en haute mer. On doit déterminer le fondement réel du litige. L'entente entre la demanderesse et la défenderesse dans cette opération parti- culière prévoyait essentiellement que la demanderesse devait fournir des fonds aux défendeurs, et que ceux-ci devaient rendre disponible le navire Nicolle N pour l'achat et la trans formation du poisson et des œufs de saumon en mer.
Les défendeurs prétendent que la Cour peut connaître des questions soulevées dans la demande reconventionnelle en vertu de la compétence qu'elle tient du paragraphe 22(1) et des alinéas 22(2)i) et m) de la Loi sur la Cour fédérale.
Je préfère de beaucoup le raisonnement adopté par le juge Addy dans l'affaire Kuhr c. Le Friedrich Busse, [1982] 2 C.F. 709 (1" inst.). Les faits de celle-ci ressemblent quelque peu à ceux de l'espèce, et il y a été décidé que la Cour avait compétence. Dans cette affaire, la défenderesse était proprié- taire d'un navire-usine traitant le poisson, et les demandeurs ont prétendu que la défenderesse violait un contrat portant
fourniture de poissons en mer au navire défendeur qui devait demeurer sur certains champs de pêche spécifiés pour recevoir livraison des prises et les payer. Comme en l'espèce, le navire défendeur a été saisi à la requête des demandeurs. Dans une requête en radiation, on a invoqué des arguments selon lesquels la Cour n'avait pas compétence, aucune action ne pouvait être intentée puisque la fourniture de poissons en vertu d'un contrat n'était visée par aucun des alinéas du paragraphe 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale, et plus particulièrement, n'était pas visée par les alinéas i) et m), et l'essence de l'affaire ne relevait pas de la compétence maritime. Le juge Addy a tenu les propos suivants à la page 714:
J'admets qu'un contrat de fourniture de poissons à un navire ne saurait être considéré, simplement du fait que le navire traite du poisson et utilise le poisson fourni, comme une «convention relative ... à l'utilisation ... d'un navire» aux termes de l'alinéa i). Il est clair que dans ce contexte, l'emploi du terme «utilisation» vise l'utilisation que fait d'un navire un tiers autre que le propriétaire: une convention pour son usage de même qu'un contrat de nolisement ordinaire seraient ejusdem generis.
Toutefois, la question de savoir si l'alinéa m) s'applique n'est pas aussi claire. Il se peut fort bien que le terme «exploitation» de cet alinéa vise non seulement le fait pour ce navire de naviguer mais aussi l'exploitation générale de toutes ces fonctions comme celle de recevoir livraison de poissons en haute mer et de les traiter même lorsque ce traitement consiste en la même opération que celle qu'effec- tue une usine de traitement de poissons à terre.
Le juge Addy a ajouté que, bien que les dispositions en cause n'aient pas expressément mentionné ce qui devrait être inter- prété comme étant un équipement nécessaire à un navire, il est certain que lorsqu'il s'agit d'une telle catégorie, la Cour fédé- rale a compétence.
Le juge Addy cite également l'affaire Western Nova Scotia Bait Freezers Limited v. The Ship «Shamrock», [1939] R.C.É. 53. Dans cette affaire, il s'agissait d'un navire qui se livrait à des opérations de pêche, et le contrat concernait la fourniture de bouette et de glace. On statua que la bouette et la glace constituaient des fournitures nécessaires.
On soutient que l'argent, dans ce cas particulier, ne saurait être considéré comme une fourniture nécessaire puisque, en l'espèce, il s'agit d'une garantie financière. On peut le préten- dre, mais je doute sérieusement que les faits étayent cet argu ment. La raison en est que l'entente exigeait de retenir les services d'un navire en vue de la transformation du poisson à laquelle a donné lieu l'engagement financier. Le contrat entre les parties prévoyait que le navire Nicolle N devait opérer en haute mer pour acheter du poisson dans un champ de pêche spécifié et recevoir, transformer et livrer le poisson. Compte tenu du raisonnement adopté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt ITO précité, c'est-à-dire l'analyse faite à la page 775 R.C.S. la Cour a considéré que la proximité des activités par rapport à la mer suffisait à mettre en cause du droit maritime, je suis convaincu que je n'excède nullement les limites de la compétence conférée à cette Cour, et que les questions sont entièrement liées au droit maritime.
Je me permets d'ajouter qu'il serait illogique, semble-t-il, qu'un demandeur puisse faire valoir le droit de saisir la Cour
fédérale du Canada d'une action, réclamer un privilège mari time et saisir un navire sur le fondement du droit des États- Unis et puis rejeter avec succès une demande reconventionnelle de dommages-intérêts qui découle de la même rupture de contrat mettant en cause le même navire. Peut-être la répara- tion demandée par les défendeurs dans la demande reconven- tionnelle pourrait-elle donner lieu aussi à un privilège maritime sous le régime du droit des États-Unis. Je le dis sans bénéficier d'une assistance quelconque pour étayer soit l'affirmation faite par les demanderesses dans leur plaidoirie ou ma connaissance indépendante quant à ce qui peut donner lieu à un privilège devant les instances américaines.
C'est au regard de l'article 101 de la Loi constitu- tionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution- nelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5]] que doit d'abord être examinée la compé- tence attribuée par la Loi à la Cour fédérale du Canada puisque lui seul confère au Parlement le pouvoir d'établir ce tribunal:
101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute dis position contraire énoncée dans la présente loi, lorsque l'occa- sion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer, mainte- nir et organiser une cour générale d'appel pour le Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administra tion des lois du Canada.
Dans plusieurs arrêts récents, la Cour suprême du Canada a jugé que les termes pertinents de l'arti- cle 101 étaient «administration des lois du Canada». Aussi l'article 22 ne doit-il pas recevoir une interprétation qui excéderait la portée de cette expression.
Le premier de ces arrêts de la Cour suprême est Quebec North Shore Paper Co. et autres c. Cana- dien Pacifique Ltée et autres, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976), 71 D.L.R. (3d) 111; 9 N.R. 471. Le juge en chef Laskin (qui a prononcé les jugements unanimes de la Cour dans les deux affaires) a peut-être le mieux résumé l'effet de cette décision dans l'arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. et autres c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; (1977), 75 D.L.R. (3d) 273; 13 N.R. 181, aux pages 658-659 R.C.S.:
Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Company c. Le Cana- dien Pacifique Limitée, ... cette Cour a statué que les disposi tions de l'art. 101 posent comme condition préalable à l'exer- cice par la Cour fédérale de sa compétence, l'existence d'une législation fédérale applicable sur laquelle on puisse fonder les procédures. Il ne suffit pas que le Parlement du Canada puisse légiférer sur un domaine dont relève la question soumise à la Cour fédérale. Comme l'a indiqué cette Cour dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Company, la compétence judiciaire
en vertu de l'art. 101 ne recouvre pas le même domaine que la compétence législative fédérale. Il s'ensuit qu'il ne suffit pas que la compétence exclusive du Parlement s'exerce dans les domaines ... [visés par les par. 91(1A) et 91(28) de la Loi constitutionnelle de 1867], et que l'objet du contrat de cons truction en l'espèce puisse relever de l'un ou l'autre de ces domaines législatifs, ou des deux, pour fonder la compétence de la Cour fédérale à l'égard de la présente action en dommages- intérêts. [C'est moi qui souligne.]
Dans cette affaire, la Cour a conclu que l'action que la Couronne avait intentée contre une tierce partie en dommages-intérêts pour inexécution de contrat n'était fondée sur aucune loi ni aucun principe de common law fédéraux.
Bien que certaines opinions incidentes émises dans l'arrêt McNamara donnent à penser que le résultat aurait été différent si la question en litige avait été celle de la responsabilité de la Couronne envers une tierce partie, la Cour (le juge Martland étant dissident) n'est pas allée, dans l'arrêt R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autres, [1980] 1 R.C.S. 695; (1979), 106 D.L.R. (3d) 193; 30 N.R. 249; 12 C.P.C. 248, jusqu'à autoriser la Couronne à délivrer un avis à la tierce partie réclamant une indemnisation fondée sur le contrat et la négligence contributive. Et ce, même si la propre responsabilité de la Couronne aurait être établie en vertu du droit fédéral pour que cette dernière puisse réussir dans sa demande vis-à-vis de la tierce partie. Au nom de la majorité, le juge Pigeon a déclaré ce qui suit à l'égard de la réclamation de la Couronne en vertu du contrat la page 711 R.C.S.):
A mon avis, la question en l'espèce est: «Le litige soulevé par l'»avis à la tierce partie» relève-t-il du droit fédéral?» A mon avis il n'en relève pas. La Loi sur la responsabilité de la Couronne porte seulement sur la responsabilité qui est invoquée dans l'action principale. Il est vrai qu'il n'y aurait pas de demande d'indemnisation sans cette responsabilité, mais cette demande ne découle pas de cette responsabilité mais seulement du contrat et de The Negligence Act [R.S.O. 1970, chap. 296.] ... En l'espèce, l'objection à la compétence n'est pas fondée sur l'interprétation de la loi, mais découle de la restriction constitu- tionnelle du pouvoir du Parlement laquelle, en ce qui a trait au système judiciaire canadien, le limite à l'établissement de «tri- bunaux ... pour la meilleure administration des lois du Canada». En l'espèce, les lois sur lesquelles se fonde «l'avis à la tierce partie» ne sont pas celles du Canada mais celles de la province de l'Ontario.
En ce qui concerne la réclamation fondée sur la négligence, le juge Pigeon écrit ceci (aux pages 712 et 713 R.C.S.):
Même s'il me fallait endosser l'opinion de la Cour d'appel de l'Ontario sur l'effet de The Negligence Act, [savoir qu'aucune contribution ne pouvait être recouvrée d'une partie si elle n'avait pas été réclamée avant le jugement dans l'action princi- pale] je n'admettrais pas que cela puisse justifier la conclusion que Sa Majesté doit pouvoir instituer des procédures de mise en cause devant la Cour fédérale afin de ne pas être privée du bénéfice de The Negligence Act. Il faut tenir compte de ce que le principe fondamental régissant le système judiciaire canadien est la compétence des cours supérieures des provinces sur toutes questions de droit fédéral et provincial. Le Parlement fédéral a le pouvoir de déroger à ce principe en établissant des tribunaux additionnels seulement «pour la meilleure administration des lois du Canada». L'établissement de ces tribunaux n'est donc pas nécessaire pour mettre ces lois à exécution. Par conséquent, je ne vois aucun fondement à l'application de la doctrine du pouvoir accessoire qui est limitée à ce qui est vraiment néces- saire à l'exercice efficace de l'autorité législative du Parlement. Si l'on estime souhaitable d'être en mesure d'invoquer une loi provinciale sur la négligence contributive qui n'est susceptible d'application que devant les cours de la province, la solution appropriée est de rendre possible l'exercice de ce droit de la manière prévue à la règle générale de la Constitution du Canada, c'est-à-dire devant la cour supérieure de la province.
Ces arrêts soumettent l'existence de la compé- tence de la Cour fédérale à un critère très rigou- reux' et sembleraient à première vue invalider l'avis qu'a exprimé le juge de première instance dans le dernier paragraphe, précité, de ses motifs. En effet, le simple fait que le demandeur puisse exercer une action contre un navire en Cour fédé- rale ne constitue pas le fondement d'une demande reconventionnelle en dommages-intérêts, même si les dommages découlent [TRADUCTION] «de la même rupture de contrat mettant en cause le même navire». La demande reconventionnelle serait comparable à une action intentée contre une tierce partie: il s'agirait d'une nouvelle instance et non d'un simple incident de l'action principale. Cependant, j'accepte l'argument de la partie inti- mée selon lequel ce passage des motifs revêt un caractère incident, le juge ayant formulé l'essentiel de son raisonnement à la fin du paragraphe précé- dent il a écrit: «je suis convaincu que je n'ex- cède nullement les limites de la compétence confé- rée à cette Cour, et que les questions sont entièrement liées au droit maritime».
' Dans la décision Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476; (1979), 105 D.L.R. (3d) 44; 13 C.P.C. 299 (1" inst.), à la p. 490, le juge Collier a qualifié de «lamentable» la situation créée par suite des limitations juridictionnelles qu'a imposées la Cour suprême dans ces décisions. Les commenta- teurs ont pour leur part unanimement critiqué le raisonnement de la Cour. Dans «Case Comment» [«Constitutional Law—
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Aucun des arrêts précités de la Cour suprême ne porte sur une question de droit maritime. Lors- qu'appelée à se prononcer sur des litiges dans ce domaine, la Cour a confirmé la compétence de la Cour fédérale dans Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [ 1979] 2 R.C.S. 157; (1979), 99 D.L.R. (3d) 235; 10 C.P.C. 9; 26 N.R. 313; Antares Shipping Corporation c. Le navire «Capricorn» et autres, [1980] 1 R.C.S. 553; (1979), 111 D.L.R. (3d) 289; 30 N.R. 104; et Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd. et autres, [1981] 1 R.C.S. 363; (1981), 121 D.L.R. (3d) 517; 35 N.R. 288. Ce courant a été récemment confirmé dans un jugement partagé de la Cour suprême (4 contre
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Limits of Federal Court Jurisdiction—Is there a Federal Common Law?»] (1977), 55 R. du B. Can. 550, à la p. 555, le professeur Peter W. Hogg écrit que [TRADUCTION] «le seul critère pratique et rationnel pour déterminer ce qui constitue une «loi du Canada» est celui de la compétence législative fédérale qui prévalait avant les arrêts Quebec North Shore et McNamara Construction. Dans «Constricting Federal Court Jurisdiction: A Comment on Fuller Construction» (1980), 30 U.T.L.J. 283, à la p. 286, les professeurs John B. Laskin et Robert J. Sharpe mettent en contraste la solution américaine: [TRADUCTION] «Confrontées à une difficulté analogue—savoir des tribunaux fédéraux saisis d'affaires dont les ramifications dépassent leur compétence constitutionnelle limitée—les cours de justice américaines ont élaboré les notions de compétence «accessoire» et «suspensive» pour permettre à un tribunal fédéral de connaître de tous les aspects d'un litige dont il pouvait par ailleurs entendre la demande principale». Dans «Canadian Federal Courts and the Constitutional Limits of their Jurisdic tion» (1982), 27 R. de D. McGill 137, à la p. 161, le professeur Stephen A. Scott parle de [TRADUCTION] «l'exigence constitu- tionnelle d'un «droit fédéral» de fond qui se dérobe». Enfin, dans Case Comment [«Federal Jurisdiction—A Lamentable Situa tion»] (1981), 59 Re. du Bar. Can. 124, aux p. 132 et 133, le professeur J. M. Evans écrit: [TRADUCTION] «Limiter si étroi- tement la compétence que le Parlement peut conférer à la Cour fédérale que même les parties clairement valides de cette compétence en deviennent pratiquement déficientes au point de nécessiter une réforme législative radicale, paraît constituer une usurpation remarquable de pouvoir.»
3) 2 , l'arrêt ITO—International Terminal Opera tors Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autres, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 68 N.R. 241; 34 B.L.R. 251.
Dans l'affaire ITO, le transporteur maritime avait convenu, par contrat constaté par un connais- sement, de transporter des cartons de calculatrices électroniques du Japon à Montréal pour livraison au destinataire. A son arrivée à Montréal, la mar- chandise a été prise en charge et entreposée par ITO, une compagnie de manutention et d'acco- nage. Avant que la livraison ne soit effectuée au destinataire, des voleurs ont pénétré par effraction dans le hangar de transit ils ont volé la majorité des cartons. La Cour suprême a analysé la ques tion en présumant que la perte par suite de vol était le résultat de la négligence dont aurait fait preuve ITO. Le destinataire avait intenté des pour- suites en Cour fédérale tant contre le transporteur que contre les acconiers.
La Cour a finalement conclu que le destinataire n'avait aucune cause d'action à faire valoir contre le transporteur, parce qu'elle a jugé que la limita tion de responsabilité expressément stipulée au contrat s'appliquait même en cas de négligence et s'étendait également à l'acconier.
Avant d'en arriver à cette conclusion, la Cour a toutefois défini la compétence de la Cour fédérale en matière d'amirauté. Le juge McIntyre a résumé ainsi les conditions essentielles pour pouvoir con- clure à cette compétence la page 766 R.C.S.):
2 Dans «Constitutional Limitations on the Admiralty Juris diction of the Federal Court» (1979), 5 Dalhousie L.J. 568, le professeur Robert W. Kerr a prévu que la compétence en matière d'amirauté pourrait échapper aux limitations constitu- tionnelles imposées dans les arrêts Quebec North Shore et McNamara Construction en raison de l'élaboration historique d'une common law fédérale dans ce domaine. Dans «Jurisdic- tion at Sea» (1982), 3 Supreme Court L.R. 445, la p. 451, le professeur P.F.M. Jones estime, à la suite de l'arrêt B.C. Marine, qu'[TRADucTIoN] «on peut conclure que la compé- tence de la Cour fédérale en matière d'amirauté n'obéit pas à la philosophie de la "solution appropriée" a exprimé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Fuller, savoir qu'il convient d'exercer les droits en cause devant la cour supérieure de la province». Dans «Admiralty Jurisdiction in Canada: Is There a Need for Reform?» (1985), 16 J. Mar. L.& Comm. 467, David N. Rogers préfère la solution adoptée par la Cour d'appel fédérale à celle suivie jusqu'alors par la Cour suprême (c'est-à- dire jusqu'à l'arrêt ITO).
1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.
2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada» au sens cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Les juges formant la majorité n'ont eu aucune hésitation à juger que le paragraphe 22(1) de la Loi satisfaisait à la première condition. Ils se sont ensuite demandé si le droit maritime canadien était essentiel à la solution du litige et constituait le fondement de l'attribution légale de compétence la page 769 R.C.S.):
Le droit maritime canadien, tel qu'il est défini à l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale, peut être divisé en deux catégories. Il s'agit du droit:
(1) dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridiction d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de quelque autre loi; ou
(2) qui en aurait relevé si cette cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté.
La première catégorie englobe la compétence et le droit en matière maritime qui existaient en Angle- terre en 1934, date à laquelle a été adoptée la première loi canadienne en matière d'amirauté à la suite du Statut de Westminster. Cependant, comme le droit maritime anglais était, dès 1934, confiné aux délits commis entre le flux et le reflux, à l'exclusion des délits survenus à terre, il ne s'appliquerait pas à la négligence en l'espèce. La Cour s'est donc attachée à l'examen de la deuxième catégorie du droit maritime canadien (aux pages 774 776 R.C.S.):
Je suis d'accord pour dire que la compétence historique des cours d'amirauté est importante pour déterminer si une demande particulière est une matière maritime au sens qu'en donne la définition du droit maritime canadien que l'on trouve à l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Je n'irais pas cependant jusqu'à limiter la définition de matière maritime et d'amirauté aux seules demandes qui cadrent avec ces limites historiques. Une méthode historique peut servir à éclairer, mais ne saurait autoriser à limiter. À mon avis, la seconde partie de la définition que donne l'art. 2 du droit maritime canadien a été adoptée afin d'assurer que le droit maritime canadien com- prenne une compétence illimitée en matière maritime et d'ami- rauté. À ce titre, elle constitue une reconnaissance légale du droit maritime canadien comme ensemble de règles de droit fédérales portant sur toute demande en matière maritime et d'amirauté. On ne saurait considérer ces matières comme ayant été figées par la Loi d'amirauté, 1934. Au contraire, les termes «maritime» et «amirauté» doivent être interprétés dans le con- texte moderne du commerce et des expéditions par eau. En
réalité, l'étendue du droit maritime canadien n'est limitée que par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867. Je n'ignore pas, en tirant cette conclusion, que la cour, en déterminant si une affaire donnée soulève une question maritime ou d'amirauté, doit éviter d'em- piéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une matière d'une nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils ou toute autre question qui relève essentiellement de la compétence exclusive de la province en vertu de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il est donc important de démontrer que la question examinée dans chaque cas est entiè- rement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale.
Pour en venir à la demande adressée par Miida contre ITO, on peut constater qu'elle met en cause la négligence dont aurait fait preuve un manutentionnaire acconier dans l'entreposage à court terme de marchandises à l'intérieur de la zone portuaire, en attendant leur livraison au destinataire.
Il est clair, à mon sens, que cet entreposage accessoire par le transporteur lui-même, ou par un tiers lié par contrat avec le transporteur, est aussi une affaire d'intérêt maritime en vertu du «rapport étroit existant en pratique entre le transit et l'exécution du contrat de transport» (le juge Le Dain en Cour d'appel). On peut donc conclure que la manutention et l'entre- posage accessoire, avant la livraison et pendant que la mar- chandise reste sous la garde d'un acconier dans la zone por- tuaire, est suffisamment liée au contrat de transport maritime pour constituer une affaire maritime qui relève du droit mari time canadien, au sens de l'art. 2 de la Loi sur la - Cour fédérale.
Au risque de me répéter, je tiens à souligner que la nature maritime de l'espèce dépend de trois facteurs importants. Le premier est le fait que les activités d'acconage se déroulent à proximité de la mer, c'est-à-dire dans la zone qui constitue le port de Montréal. Le second est le rapport qui existe entre les activités de l'acconier dans la zone portuaire et le contrat de transport maritime. Le troisième est le fait que l'entreposage en cause était à court terme en attendant la livraison finale des marchandises au destinataire. À mon avis, ce sont ces facteurs qui, pris ensemble, permettent de caractériser la présente affaire comme mettant en cause du droit maritime canadien.
Cette analyse ayant mené à la conclusion que la demande fondée sur la négligence relevait du droit maritime canadien, la question qui se posait ensuite était celle du contenu de ce droit sur le plan des règles de fond (aux pages 776 et 777 R.C.S.):
Le droit maritime canadien, en tant qu'ensemble de règles de fond, englobe les principes du droit maritime anglais élaborés et appliqués par la Cour d'amirauté d'Angleterre (La Reine c. Canadian Vickers Ltd., précité, et la jurisprudence qui y est citée, pp. 683 et 684) [[1978] 2 C.F. 675; (1977), 77 D.L.R. (3d) 241 (le juge Thurlow, alors juge en chef adjoint)]. En 1934, lorsque, comme je l'ai déjà noté, un ensemble de règles de droit maritime d'Angleterre a été incorporé dans le droit cana- dien, la Haute Cour de justice, en sa juridiction d'amirauté,
pouvait connaître des affaires contractuelles et délictuelles con- sidérées comme des affaires en matière d'amirauté. En exami- nant ces affaires, la cour a appliqué les principes de common law en matière délictuelle et contractuelle nécessaires à la résolution des points litigieux. Les règles de common law en matière de négligence, par exemple, étaient appliquées dans les affaires d'abordage (aCubau (The) v. McMillan (1896), 26 R.C.S. 651, aux pp. 661 et 662) et E. Mayers, Admiralty Law and Practice in Canada (1916), à la p. 146.) Les principes en matière de dépôt ont été appliqués dans les affaires de perte de cargaison (aWinkfield» (The), [1902] P. 42 (C.A.)) Ainsi, l'ensemble de règles de droit maritime qui a été emprunté à l'Angleterre pour constituer le droit maritime canadien englo- bait à la fois les règles et principes spéciaux en matière d'amirauté et les règles et principes puisés dans la common law et appliqués aux affaires d'amirauté selon que ces règles et principes ont été, et continuent d'être, modifiés et élargis dans la jurisprudence canadienne. (Voir, par exemple, l'arrêt de cette Cour Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd., [1981] 1 R.C.S. 363, les princi- pes de common law en matière de négligence et de droit des contrats ont été utilisés pour résoudre le pourvoi.)
Le droit maritime canadien est donc cet ensemble de règles de droit fédérales existantes qui est essentiel à la solution de l'espèce et qui constitue le fondement de la compétence attri- buée à la Cour fédérale par l'art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale. Ainsi, la seconde condition nécessaire pour conclure que la Cour fédérale a compétence se trouve remplie.
Il est donc clair que le droit maritime canadien englobe non seulement les règles et principes spé- ciaux en matière d'amirauté mais également les principes de common law en matière délictuelle et contractuelle, selon l'interprétation actuelle qu'en donnent les tribunaux (en présumant, bien entendu, que la demande en question relève du droit maritime).
Afin de dissiper toute ambiguïté, la Cour a poursuivi son analyse en se demandant si, en appli- quant la common law, la Cour fédérale se trouvait à appliquer le droit provincial la page 779 R.C.S.):
Je suis d'avis, comme je viens de l'expliquer, que le droit maritime canadien constitue un ensemble de règles de droit fédérales qui englobe les principes de common law en matière de responsabilité délictuelle, de contrat et de dépôt. Je suis aussi d'avis que le droit maritime canadien est uniforme partout au Canada, un point de vue partagé par le juge Le Dain de la Cour d'appel qui a appliqué les principes de common law en matière de dépôt pour résoudre la demande de Miida contre ITO. Le droit maritime canadien est l'ensemble de règles de droit que définit l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Ce droit, c'est le droit maritime d'Angleterre qui a été incorporé au droit canadien; ce n'est pas le droit d'une province canadienne.
La Cour ajoute (aux pages 781 et 782 R.C.S.):
La Cour fédérale est constituée pour la meilleure administra tion des lois du Canada. Elle n'est pas cependant restreinte à
l'application du droit fédéral aux affaires dont elle est saisie. Lorsqu'une affaire relève, de par son «caractère véritable», de sa compétence légale, la Cour fédérale peut appliquer accessoire- ment le droit provincial nécessaire à la solution des points litigieux soumis par les parties ...
On fait valoir qu'en l'absence d'une règle ou d'une disposition particulière de droit maritime, la loi du lieu se déroulent les procédures s'applique. Cela résulte, soutient-on, de l'incorpora- tion dans un régime fédéral d'un ensemble de règles de droit incomplet emprunté à un État unitaire. Comme les principes de common law en matière de négligence et de dépôt peuvent être appliqués accessoirement dans les affaires d'amirauté, de même le Code civil peut être appliqué accessoirement dans les litiges qui ont pris naissance dans la province de Québec. On peut répondre brièvement à cet argument. Le droit maritime cana- dien, tel qu'adopté historiquement au Canada, puis finalement incorporé dans le droit canadien par l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale, inclut les principes de common law qui s'appli- quent en matière d'amirauté. Ainsi, comme le montre l'analyse qui précède, les principes de common law ainsi incorporés constituent du droit fédéral et non une application accessoire du droit provincial.
En conclusion, on peut donc dire que les principes de common law en matière de négligence et de dépôt ont été empruntés à l'Angleterre et font maintenant partie du droit maritime canadien.
À la lumière d'un énoncé aussi catégorique, il ne peut à mon avis subsister de doute que le droit maritime canadien comprend les principes de common law en matière délictuelle et contrac- tuelle, lesquels constituent ainsi du droit fédéral. Ne saurait donc être déterminant en l'espèce le fait que les parties ont prévu l'application du droit de la Colombie-Britannique.
Il importe de souligner que si, à quelques repri ses, le juge McIntyre se réfère uniquement au droit de la négligence lorsqu'il évoque les règles provin- ciales de common law en matière de responsabilité délictuelle, c'est manifestement parce que c'était le seul droit applicable dans l'affaire ITO. Voilà pourquoi, dans le dernier paragraphe de l'extrait ci-dessus, il ne mentionne que «les principes de common law en matière de négligence et de dépôt», objets du litige en l'espèce. Auparavant, il s'était borné à déclarer que «le droit maritime canadien constitue un ensemble de règles de droit fédérales qui englobe les principes de common law en matière de responsabilité délictuelle, de contrat et de dépôt».
Enfin, dans l'arrêt ITO, la Cour a estimé que la troisième condition pour qu'il y ait compétence de la Cour fédérale était aussi facilement remplie que la première la page 777 R.C.S.):
La troisième condition, savoir que la loi en question soit une loi du Canada au sens cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, est aussi remplie du fait que le droit maritime canadien et les autres lois qui portent sur la navigation et les expéditions par eau relèvent du par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, confirmant ainsi la compé- tence législative fédérale.
Je conclus donc que la Cour fédérale a compétence pour instruire les demandes formées par Miida [le destinataire] contre à la fois Mitsui [le transporteur maritime] et ITO [l'acconier].
Ainsi éclairé par l'arrêt ITO, il nous est mainte- nant possible de revenir à la présente espèce pour déterminer si les trois conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédé- rale à l'égard de la demande reconventionnelle ont été remplies.
La première condition repose sur l'attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral. À mon avis, cette attribution se trouve au paragraphe 22(1) et plus particulièrement à l'alinéa 22(2)i):
22. (2) ...
i) toute demande née d'une convention relative ... à l'utili- sation ... d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
Voici en quels termes le juge ayant instruit la requête a analysé l'essence du contrat: [TRADUC- TION] L'entente entre la demanderesse et la défen- deresse dans cette opération particulière prévoyait essentiellement que la demanderesse devait fournir des fonds aux défendeurs et que ceux-ci devaient rendre disponible le navire Nicolle N pour l'achat et la transformation du saumon et des oeufs de saumon en mer». Et plus loin: [TRADUCTION] «Le contrat entre les parties prévoyait que le navire Nicolle N devait opérer en haute mer pour acheter du poisson dans un champ de pêche spécifié et recevoir, transformer et livrer le poisson.» En d'au- tres mots, l'utilisation d'un navire était expressé- ment prévue et exigée en vertu du contrat.
L'appelante a fait valoir que l'alinéa i) ne pou- vait s'appliquer compte tenu de ce passage de la décision Kuhr c. Le Friedrich Busse, [1982] 2 C.F. 709; (1982), 134 D.L.R. (3d) 261 (1r° inst.), le juge Addy écrit, à la page 714 C.F.:
J'admets qu'un contrat de fourniture de poissons à un navire ne saurait être considéré, simplement du fait que le navire traite du poisson et utilise le poisson fourni, comme une «con- vention relative ... à l'utilisation ... d'un navire» aux termes de l'alinéa i). Il est clair que dans ce contexte, l'emploi du terme «utilisation» vise l'utilisation que fait d'un navire un tiers autre
que le propriétaire: une convention pour son usage de même qu'un contrat de nolisement ordinaire seraient ejusdem generis.
En présumant, sans en décider, que le juge Addy a correctement conclu que l'utilisation visée à l'ali- néa i) est celle que fait d'un navire un tiers autre que le propriétaire, il y a lieu de faire une distinc tion entre cette affaire et les faits de l'espèce. Non seulement le représentant de Shibamoto était-il présent à bord du navire à toutes époques pertinen- tes aux fins de la fixation des prix, mais, plus important encore, le contrat stipulait que Shiba - moto fournissait à bord les services de huit techni- ciens spécialisés, chargés de la préparation du poisson et des veufs destinés au marché japonais. À mon avis, bien qu'on ne puisse parler ici d'utilisa- tion intégrale d'un navire, il s'agit néanmoins de son utilisation manifeste par Shibamoto aux fins du contrat, ce qui est suffisant pour satisfaire aux exigences de l'alinéa i).
De ce point de vue, il y a également lieu de distinguer l'espèce d'avec l'arrêt Dome Petroleum Ltd. c. Hunt International Petroleum Co., [1978] 1 C.F. 11 (1 r° inst.), le juge Dubé déclare, à la page 14:
En bref, la question est de savoir si la réclamation de Dome est fondée sur une convention relative au transport de marchan- dises à bord d'un navire, ou bien à l'utilisation ou au louage d'un navire au sens général de l'article 22 qui traite de naviga tion et de marine marchande.
La convention évoquée dans la déclaration et signifiée à Hunt ex juris avec celle-ci, ne traite pas du transport de marchandises à bord d'un navire, ni de l'utilisation ou du louage d'un navire ou reliés à un navire. Elle traite du forage d'un puits d'essai. [C'est moi qui souligne.]
Vu cette conclusion de fait, la convention en cause dans cette affaire ne pouvait, à la différence de l'espèce, constituer en soi le fondement de la com- pétence de la Cour fédérale.
Puisqu'à mon avis la compétence de la Cour fédérale peut être fondée sur l'alinéa 22(2)i), il n'y a pas lieu de se demander si elle peut également être justifiée aux termes de l'alinéa m), comme l'a estimé le juge saisi de la requête en s'appuyant sur la décision Kuhr.
La première condition juridictionnelle est donc remplie.
À mon avis, il est par ailleurs facilement satis- fait à la deuxième condition à la lumière de l'arrêt ITO. À cet égard il faut examiner non pas l'es-
sence de la convention, comme pour la première condition, mais, comme les appelantes le soutien- nent, la cause d'action de la demande reconven- tionnelle.
Or, contrairement à ce qu'elles allèguent, il est absolument impossible, vu l'arrêt ITO, de soutenir que le sabotage d'une entreprise de transformation du poisson par la fraude, le dol, le complot et l'inexécution de contrat est une matière de droit provincial plutôt que de droit maritime canadien. Etant donné que le droit des contrats et de la responsabilité délictuelle relève du droit maritime canadien dans la mesure la résolution d'un litige l'exige, on ne saurait soutenir que certaines parties de cet ensemble de règles de droit ne relèvent pas du droit maritime. Selon la définition énoncée dans l'arrêt ITO, le droit maritime cana- dien est l'ensemble des règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
La troisième condition est celle de la constitu- tionnalité. On pourrait manifestement soutenir que le contrat relève du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867, à savoir de la compé- tence fédérale sur les pêcheries côtières. Mais cette troisième condition ne nécessite pas l'examen de l'entente contractuelle elle-même mais bien celui du droit maritime canadien ainsi que de l'alinéa 22(2)i) de la Loi, selon l'interprétation que j'en ai faite. Or, la constitutionnalité du droit maritime canadien a déjà été confirmée par l'arrêt ITO aux termes du paragraphe 91(10) de la Loi constitu- tionnelle de 1867 traitant de la compétence fédé- rale sur «La navigation et les bâtiments ou navires».
Dans la mesure il vise l'utilisation d'un navire pour la pêche, l'alinéa 22(2)i) relève pareillement de la compétence en matière de navigation et de marine marchande. Même si l'on devait limiter le sens de cette dernière expression au seul transport de marchandises, l'utilisation de navires pour la pêche continuerait d'être comprise dans la défini- tion du terme «navigation», dont le Shorter Oxford English Dictionary, [vol. II, 3e éd. revue et corri- gée, Oxford, Clarendon Press, 1975], donne comme première acception:
[TRADUCTION] Navigation ... 1. Le fait de naviguer; le fait de se déplacer sur l'eau à bord d'un navire ou autre bâtiment
Il me semble par conséquent incontestable que le fait de se déplacer sur l'eau au cours d'une activité de pêche côtière constitue de la navigation.
Les trois conditions pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale relativement à la demande reconventionnelle ayant, à mon avis, toutes été remplies, je rejetterais l'appel, avec dépens suivant l'issue de la cause.
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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