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T-1191-88
Wagon -Wheel Concessions Ltd. (demanderesse) c.
Stadium Corporation of Ontario Limited et Dome Consortium Investments Inc. (défenderesses)
RÉPERTORIÉ: WAGON -WHEEL CONCESSIONS LTD. c. STADIUM CORP. OF ONTARIO LTD. (1' INST.)
Section de première instance, protonotaire-chef adjoint Giles Toronto, 5 et 15 décembre 1988.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Compétence du protonotaire Requête en radia tion de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action Stadium Corp. demande que soit donné un avis public d'adoption et emploi par une autorité publique au Canada des marques «Skydome», «Skydome Design» et «Dome», en vertu de l'art. 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce La demanderesse a adopté la marque «Skydome» et en a demandé l'enregistrement Il est allégué dans la déclaration que Stadium n'avait pas le droit d'avoir recours à l'art. 9(1)n)(iii) et que l'art. 9(1)n)(iii) est inconstitutionnel La poursuite intentée contre Dome est fondée sur les actes accomplis par un associé, Stadium Le protonotaire a compétence pour entendre une requête portant sur des questions constitutionnelles Le législateur a délégué le pouvoir de nomination des protonotaires au gouverneur en conseil (art. 12 de la Loi sur la Cour fédérale); le pouvoir de leur conférer des compétences aux juges (art. 46); et le pouvoir d'ordonner l'exercice de ses compétences au juge en chef adjoint (art. /5) La Règle 336(/)g) confère au protonotaire le pouvoir d'entendre et de juger les requêtes interlocutoires L'autorité du juge en chef adjoint est directe plutôt que déléguée par un délégué lorsqu'il adopte la directive générale
Le droit d'appel automatique à l'égard des décisions du protonotaire équivaut à la surveillance prévue à l'art. 46(1)h)
Les pouvoirs conférés au protonotaire ne sont pas restreints aux questions de fait comme le prévoit l'art. 46(1)a)(vi), sinon l'art. 46(1)h) serait redondant, ce qui serait contraire à la règle d'inteprétation des lois portant que, dans la mesure du possi ble, l'on doit accorder un sens à chaque mot Il n'y a aucune cause d'action contre Dome Aux fins de l'art. 9(1)n)(iii) une autorité publique doit agir en son propre nom et non en sa qualité d'associé La déclaration est radiée sous toute réserve puisqu'il existe peut-être une cause d'action fondée sur l'existence d'un complot.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de /982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982 chap. 11 (R.-U.). Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice III.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' supp.), chap.
10, art. 12, 15, 46(1 )a)(vi),b),h).
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap.
T-10, art. 9(I)n)(iii).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
336(1)g),(2),(5), 419.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Hill v. William Hill (Park Lane), Ld., [1949] A.C. 530 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Crofter Hand Woven Harris Tweed Co., Ld. v. Veitch, [1942] A.C. 435 (H.L.); Hamlyn v. Houston & Co., [1903] 1 K.B. 81 (C.A.); Hodge v. Reg. (1883), 9 App. Cas. 117 (P.C.); Rex. v. Nat Bell Liquors, [1922] 2 A.C. 128 (P.C.).
AVOCATS:
Ian J. Tod pour la demanderesse.
David G. Allsebrook pour la défenderesse Stadium Corporation of Ontario Limited. Alan S. Alexandroff pour la défenderesse Dome Consortium Investments Inc.
PROCUREURS:
Torkin, Manes, Cohen & Arbus, Toronto, pour la demanderesse.
Fasken & Calvin, Toronto, pour la défende- resse Stadium Corporation of Ontario Limi ted.
Tory, Tory, Deslauriers & Binnington, Toronto, pour la défenderesse Dome Consor tium Investments Inc.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
GILES P.-C.A.: Cette requête est présentée dans le cadre d'une poursuite portant que la défende- resse, Stadium Corporation of Ontario Limited (ci-après désignée «Stadium»), a présumément demandé au registraire des marques de commerce de donner un avis public d'adoption et emploi par une autorité publique au Canada, des marques «Skydome», «Skydome Design» et «Dome», en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les mar- ques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, à une époque Stadium savait que la demanderesse avait adopté la marque «Skydome» et en avait demandé l'enregistrement. La demanderesse a
intenté une poursuite contre Stadium et Dome Consortium Investments Inc. (ci-après désignée «Dome»). Au paragraphe 4 de sa déclaration, la demanderesse prétend que [TRADUCTION] «pen- dant toute la période en cause, Stadium agissait en son propre nom et pour le compte de la demande- resse Dome Consortium, en leur qualité d'associées pour la construction et l'exploitation d'un stade polyvalent dans la ville de Toronto, et que cette société de personnes sera le véritable bénéficiaire de tous les droits acquis par Stadium qui détient ces droits en fiducie au nom de la société.»
Au paragraphe 14, la demanderesse prétend que les défenderesses l'ont menacée de poursuites. Dans sa demande de redressement, la demande- resse cherche à obtenir des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, présumément des deux défenderesses.
À première vue, les allégations ne visent pas directement Dome, sauf celles prévues au paragra- phe 14. Les arguments que la demanderesse oppose à Dome portent que Stadium a commis les actes présumés dont on l'accuse, en sa qualité d'associée de Dome, comme le prévoit le paragra- phe 4. On allègue que Dome est responsable envers la demanderesse des actes de son associée agissant à ce titre et qu'il y a donc une cause d'action contre Dome. Comme le démontre la déclaration, dont une copie est jointe à l'annexe «A» des motifs, les arguments de la demanderesse sont fondés en grande partie sur l'allégation portant que Stadium n'avait pas le droit d'avoir recours au sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, que ce sous-alinéa est ultra vires ou encore que ce sous-alinéa contrevient aux droits de la demande- resse, garantis par la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III].
Vers la fin de son introduction résumant la réponse qu'il avait l'intention de faire aux préten- tions des défenderesses, l'avocat de la demande- resse a mis en doute ma compétence à entendre une requête portant sur des questions constitution- nelles.
Puisque l'audition de cette requête avait déjà duré une heure et demie environ, j'ai estimé que je devais entendre les arguments relatifs à ma compé- tence plutôt que de renvoyer la question en vertu de la Règle 336(2) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. Toutefois, j'ai ordonné que la question de compétence soit discutée et tranchée immédiatement, avant de passer aux autres élé- ments de la réponse et de la réplique.
Après une brève période d'ajournement, l'avocat de la demanderesse a prétendu que l'interprétation d'une question constitutionnelle devrait être con- fiée à un juge et que le protonotaire a seulement le pouvoir de juger des faits. De plus, l'avocat a mis en doute le pouvoir d'adopter la Règle 336(1)g) et la directive générale du juge en chef adjoint faite en conséquence, en invoquant le droit qui se résume par la maxime latine delegatus non potest delegare (celui qui est délégué ne peut déléguer).
Les arguments de l'avocat de la demanderesse portaient tout d'abord sur l'article 12 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] qui prévoit que les pouvoirs et les fonctions des protonotaires sont déterminés par les Règles.
L'avocat a ensuite invoqué l'article 46 de la Loi qui prévoit de fait que «les juges de la Cour peuvent ... établir des règles ... générales ... prévoyant le renvoi de toute question de fait pour enquête et rapport devant un juge ou une autre personne agissant en qualité d'arbitre» (sous-alinéa 46(1)a)(vi)) et «donnant pouvoir à un protonotaire d'exercer une autorité ou une compétence, sous la surveillance de la Cour, même si cette autorité ou compétence est d'ordre judiciaire» (alinéa 46(1)h)).
L'avocat semble croire que l'article 46 vise à établir que la compétence du protonotaire est res- treinte au pouvoir de juger des questions de fait, que ce soit à la suite d'un renvoi, en vertu du sous-alinéa 46(1)a)(vi), ou conformément à l'ali- néa 46(1)b). De plus, l'avocat a mis en doute le fait que la procédure d'appel prévue à la Règle 336(5) constituait «la surveillance de la Cour» prévue à l'alinéa 46(1)h). L'avocat a également prétendu que l'article 46 déléguait aux juges le pouvoir d'adopter les règles prévues à l'alinéa 46(1)h) et qu'un délégué ne pouvait déléguer ses pouvoirs au juge en chef ou au juge en chef
adjoint, par exemple, comme les juges semblent l'avoir fait en vertu de la Règle 336(1)g).
À l'audience, j'ai conclu que le législateur, en adoptant l'alinéa 46(1)h), avait l'intention de pré- voir que des règles pouvaient être établies pour donner au protonotaire des pouvoirs de nature judiciaire qui comprendraient le pouvoir d'inter- préter les lois, y compris la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. J'ai également arrêté que l'appel prévu à la Règle 336(5) équivalait à «la surveillance de la Cour» qu'exige l'alinéa 46(1)h).
Quant à l'argument fondé sur la délégation de pouvoirs par un délégué, j'ai conclu que l'autorité du juge en chef adjoint était directe plutôt que déléguée par un délégué.
Ayant conclu que j'en avais le pouvoir, j'ai alors entendu les autres éléments de la requête. À la conclusion de l'audience, j'ai fait part aux parties de mon intention d'accueillir la requête au motif qu'un associé peut agir soit en son nom soit pour le compte de son associé, et que pour demander un avis en vertu du sous-alinéa 9(1)n) (iii) de la Loi sur les marques de commerce, une autorité publi- que devait agir en son propre nom et ne pouvait, en droit, agir en sa qualité d'associé; par conséquent, il n'y avait aucune cause d'action contre Dome. L'avocat de la demanderesse a souligné, avec raison, que l'avocat de Dome n'avait pas soulevé cet argument. Il a ajouté que l'avocat de Dome l'avait informé des arguments qu'il avait l'inten- tion de soulever sans toutefois mentionner celui-là. L'avocat de la demanderesse a donc demandé un ajournement afin de préparer une réponse à cette question qui l'a pris par surprise. De fait, l'avocat de Stadium n'a fait qu'une brève allusion à l'arti- cle 9 et à la société de personnes au cours d'une présentation d'environ cinq minutes portant sur différentes questions. L'avocat de Stadium n'avait pas avisé l'avocat de la demanderesse des questions qu'il avait l'intention de soulever.
J'ai conclu que l'avocat n'était pas tenu d'aviser son adversaire à l'avance des arguments qu'il pré- senterait; j'ai donc refusé l'ajournement, tout en permettant aux parties de présenter d'autres argu ments. L'avocat de la demanderesse a prétendu que ses arguments étaient fondés sur le fait même qu'une société de personnes, comprenant un asso-
cié autre qu'une autorité publique, ne pouvait obtenir une marque en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) et que ce même acte répréhensible était le fondement de ses arguments contre Dome. J'ai jugé que, même s'il pouvait y avoir une cause d'action dans une affaire de complot, comme celle relevée dans l'arrêt Harris Tweed [Crofter Hand Woven Harris Tweed Co., Ld. v. Veitch, [1942] A.C. 435 (H.L.)], cette possibilité n'avait pas été plaidée par les parties. La requête en radiation devrait donc être accueillie mais, puisqu'il existe peut-être une cause d'action, mon ordonnance est prononcée sous toute réserve. L'avocat m'a demandé de motiver par écrit mon ordonnance relative au sous-alinéa 9(1)n)(iii) ainsi que ma décision à l'égard des pouvoirs du protonotaire.
Voyons d'abord s'il suffit tout simplement d'al- léguer l'existence d'une société de personnes pour avoir une cause d'action à l'encontre de Dome, à la suite de l'acte présumément répréhensible de son associé présumé Stadium, c'est-à-dire l'obtention d'une marque en vertu de l'article 9. Le critère applicable à la responsabilité d'un associé pour les actes répréhensibles d'un autre associé comporte deux volets. Tout d'abord, l'acte répréhensible a-t-il été commis dans le cours normal des affaires de cette société de personnes? Si on répond par l'affirmative, il faut ensuite déterminer si les résul- tats de l'acte illégitime auraient pu être obtenus de façon légitime. Si le même résultat aurait pu être atteint de façon légitime, il semble que l'associé soit responsable de l'acte répréhensible de son associé même s'il s'agit d'un acte expressément interdit ou illégal (Hamlyn v. Houston & Co., [1903] 1 K.B. 81 (C.A.)).
En l'occurrence, une société dont l'un des asso- ciés n'était pas une instance officielle n'aurait jamais pu obtenir une marque en vertu de l'article 9; par conséquent, aucun argument fondé unique- ment sur l'existence d'une société de personnes ne tient contre un associé.
D'après les faits allégués, on pourrait peut-être prétendre qu'il y a eu coalition ou complot en vue de faire du tort à autrui comme ce fut allégué, mais non prouvé, dans l'arrêt Crofter Hand Woven Harris Tweed Co., Ld. v. Veitch, [1942] A.C. 435 (H.L.). Je radie la déclaration sous toute réserve.
Quant à la décision que j'ai rendue sur la ques tion de la compétence, il faut tout d'abord tenir compte du fait que j'ai conclu que le juge en chef adjoint a exercé des pouvoirs directs et non des pouvoirs délégués par des délégués. L'article 46 confère aux juges le pouvoir d'établir des règles. L'article 15 prévoit que le juge en chef adjoint a notamment le pouvoir de prendre «toutes les dispo sitions qu'il peut être nécessaire ou utile de pren- dre pour la tenue d'audiences ou, à quelque autre titre, pour l'expédition des affaires de la Section de première instance». À la lecture des deux disposi tions ensemble, il est évident que la Règle 366(1)g) confère au protonotaire le pouvoir d'en- tendre et de juger les requêtes interlocutoires. Mais pour donner effet à l'autorité conférée par l'article 15 au juge en chef adjoint, il a fallu restreindre ces pouvoirs en prévoyant qu'ils ne pouvaient être exercés que dans les affaires con- fiées au protonotaire par le juge en chef adjoint (ou le juge en chef).
La délégation de pouvoirs permettant non seule- ment l'établissement de règles et de règlements mais également l'affectation de tâches aux person- nes nommées pour l'exécution des règles et des règlements établis par les délégués a été reconnue dans l'arrêt Hodge v. Reg. (1883), 9 App. Cas. 117 (P.C.). Dans le cas des protonotaires, le Parle- ment a délégué le pouvoir de nomination au gou- verneur en conseil (article 12), le pouvoir de leur conférer des compétences aux juges (article 46) et le pouvoir d'ordonner l'exercice de ces compéten- ces au juge en chef adjoint (article 15).
Examinons maintenant la question de savoir si la Règle 336(5) prévoit la surveillance de la Cour tel que l'exige l'alinéa 46(1)h) de la Loi sur la Cour fédérale. Comme le démontre la jurispru dence, les brefs de certiorari employés par une cour supérieure pour examiner les décisions ren- dues par une cour ou une instance inférieure sont considérés comme une forme de «surveillance» de la cour supérieure ou la cour inférieure (voir notamment Rex v. Nat Bell Liquors, [ 1922] 2 A.C. 128 (P.C.)). Le recours au bref de certiorari est semblable à l'appel par sa portée et son objec- tif. Lorsqu'il existe un droit d'appel automatique devant une cour supérieure, comme c'est le cas pour les décisions du protonotaire, il me semble que le degré de surveillance est encore plus grand
que lorsqu'on a recours au certiorari, et que, par conséquent, le droit d'appel équivaut certainement à la surveillance prévue à l'alinéa 46(1)h).
Traitons maintenant de l'argument portant que les pouvoirs conférés au protonotaire doivent être restreints aux questions de fait comme le prévoit le sous-alinéa 46(1)a)(vi). J'estime que le protono- taire peut être considéré comme «une autre per- sonne» au sens de cette disposition. Si c'est toute la portée que devait avoir l'alinéa 46(1)h), il serait redondant ou répétitif. Voici ce qu'a affirmé le vicomte Simon, dans l'arrêt Hill v. William Hill (Park Lane), Ld., [1949] A.C. 530 (H.L.), aux pages 546 et 547: [TRADUCTION] «bien qu'un document adopté par le Parlement (tout comme un discours prononcé par un membre du Parlement) puisse répéter la même chose sans ajouter quoi que ce soit au texte, il ne faut pas présumer qu'il y a répétition dans le cas d'une loi adoptée par le Parlement. Lorsque le pouvoir législatif adopte une expression particulière, on suppose que cette expression apporte des éléments nouveaux. La règle portant que l'on accorde un sens à chaque mot d'une loi signifie, à moins de bonnes raisons de croire le contraire, que chacun de ces mots modifie le texte en lui apportant un sens particulier.» Par conséquent, l'alinéa 46(1)h) signifie bien ce qu'il stipule et le sous-alinéa 46(1)a)(vi) ne vient pas en préciser le sens mais peut-être même en élargir la portée.
C'était une version un peu plus étoffée et ordonnée des motifs prononcés à l'audience.
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