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T-2380-89
Joseph E. Seagram & Sons, Limited (demande- resse)
c.
Hiram Walker & Sons, Limited (défenderesse)
RÉPERTORIE: JOSEPH E. SEAGRAM & SONS, LTD. c. HIRAM WALKER & SONS, LTD. (1" INST.)
Section de première instance, juge Addy—Ottawa, 4 et 12 décembre 1989.
Injonctions Demande d'injonction interlocutoire visant à interdire à la défenderesse d'utiliser «Limited Editionu sur les bouteilles de whisky Canadian Club Est inacceptable le principe énoncé dans certaines causes selon lequel, lorsqu'un cas défendable a été établi relativement à une marque déposée, la balance des inconvénients n'a plus d'importance et n'a pas à être prise en considération Cela est contraire aux principes d'équité qui servent de fondement à l'injonction— L'injonction est refusée en ce qui concerne les bouteilles sur lesquelles seules les étiquettes sont différentes, mais elle est accordée en ce qui concerne les bouteilles en forme de carafe spécialement emballées pour être vendues uniquement dans des boutiques hors-taxe et portant la marque «Limited Edition».
Marques de commerce Contrefaçon Demande d'in- jonction interlocutoire interdisant à la défenderesse d'utiliser la marque déposée «Limited Edition» La demanderesse utilise la marque pour distinguer son whisky Canadien vieilli de catégorie A, qu'elle vend 10 $ de plus la bouteille que sa marque Crown Royal La défenderesse commercialise le whisky Canadian Club dans une bouteille portant l'inscription «Limited Edition», qui se vend 65 cents de plus que la bou- teille ordinaire Seule l'étiquette est différente Aucune indication que l'expression «Limited Edition» s'applique au contenu Suivis du mot «Bottle», ces termes décrivent sans aucun doute le contenant Aucune probabilité de confusion ni aucune preuve de confusion réelle La durée de l'utilisa- tion et la composition de la marque (originalité ou caractère distinctif) ont été prises en considération Injonction refusée Interdiction de vendre le Canadian Club Classic en forme de carafe portant l'inscription «Limited Edition» et destiné à être vendu dans des boutiques hors-taxe Rien n'indique que ces mots servent autrement qu'à titre de marque La forme de la bouteille est semblable à celle des bouteilles de la demanderesse Forte probabilité de confusion Existence d'une cause fort défendable et même d'une apparence de droit.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap. T-13, art. 6, 20.
AVOCATS:
Jacques Léger et Laurent 'Carrière pour la demanderesse.
Douglas N. Deeth et Mary G. Manocchio pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Léger, Robic & Richard, Montréal, pour la demanderesse.
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour la défenderesse.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE ADDY: Au moment d'accorder en partie l'injonction interlocutoire sollicitée par la demanderesse en l'espèce, j'ai informé les avocats que de brefs motifs s'ensuivraient.
La demanderesse réclame une injonction interlo- cutoire interdisant à la défenderesse d'utiliser sa marque déposée «Limited Edition» qui avait été demandée le 23 juin 1987 et enregistrée le 20 octobre 1989 sous le numéro TMA-360519. Elle a commencé à utiliser la marque en septembre 1989 pour les fins de ses boissons alcooliques distillées. Le matériel produit indique que la demanderesse entendait utiliser et utilise effectivement la marque uniquement pour distinguer ce qu'elle considère être son whisky Canadien vieilli de catégorie A qu'elle vend 10 $ ou 10,50 $ de plus que sa marque Crown Royal.
La défenderesse, qui a durant de nombreuses années produit son whisky Canadian Club en con currence avec la marque Crown Royal de la demanderesse, a également commencé à commer- cialiser son whisky Canadian Club dans une bou- teille spéciale de couleur noire et or. Celle-ci porte l'inscription «Limited Edition Bottle» et se vend 65 cents de plus que la bouteille de whisky ordinaire Canadian Club. Il est admis que, contrairement à la Crown Royal Limited Edition, il n'y a aucune différence entre le Canadian Club commercialisé dans la bouteille traditionnelle de couleur ambre et celui qui est vendu dans la bouteille noire et or avec l'inscription «Limited Edition Bottle».
L'avocat de la demanderesse a longuement argumenté sur la question de savoir si l'article 20
ou l'article 6 de la Loi sur les marques de com merce [L.R.C. (1985), chap. T-13] s'appliquait.
Je pense cependant qu'il existe une question préliminaire à trancher. Lorsqu'il s'agit d'une demande d'injonction interlocutoire, la validité de la marque de commerce ne peut pas être prise en considération; par contre, la question préliminaire de savoir si le demandeur a une cause défendable dépend manifestement non pas seulement de l'exis- tence de la marque mais de la question de savoir s'il semble y avoir un cas défendable de contrefa- çon de la marque par le défendeur à la lumière des éléments de preuve présentés dans le cadre de la requête.
Nonobstant la jurisprudence qui a évolué récem- ment par suite de l'introduction du principe de la cause défendable par opposition à celui de l'appa- rence de droit qui a servi de règle de base pendant plusieurs années, l'injonction interlocutoire demeure un recours exceptionnel fondé sur des principes d'équité. Elle ne doit pas être accordée simplement parce que le demandeur est le proprié- taire d'une marque de commerce déposée, qu'il a intenté une action et qu'il pourrait y avoir une faible possibilité qu'une action soit recevable. La Cour doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes révélées par les affidavits et les pièces déposés avant d'en arriver à une décision finale quant à savoir si une injonction est recevable à cette étape des procédures. Je ne suis pas disposé à accepter le principe invoqué dans certaines causes selon lequel, lorsqu'un cas défendable a été établi relativement à une marque déposée, la balance des inconvénients n'a plus aucune espèce d'importance et n'a pas à être prise en considération. À mon avis, cela va à l'encontre des principes de base en matière d'équité qui servent de fondement à l'injonction.
Il est manifeste que la demanderesse Seagram utilise sa marque afin de distinguer son mélange particulier de whiskies Canadien vieillis et qu'elle n'a jamais employé la marque uniquement sous la forme sous laquelle elle a été déposée mais en y inscrivant invariablement l'expression «Crown Royal Limited Edition». Les termes «Crown Royal» présentent toutefois un caractère différent de celui des mots «Limited Edition». Il est égale- ment admis que le programme de commercialisa tion de la «Limited Edition» a été spécialement
conçu pour marquer cette année pendant la période de Noël le cinquantième anniversaire de l'inauguration de la marque Crown Royal qui a été utilisée pour la première fois à l'occasion de la visite royale au Canada du roi George VI et de la reine Elizabeth en 1939.
L'étiquette de la défenderesse est demeurée à peu près inchangée pendant cent ans. Afin de promouvoir ses ventes durant la période de Noël cette année, la défenderesse a conçu la bouteille de couleur noire et or qui porte l'étiquette habituelle Canadian Club en y ajoutant les mots «Limited Edition Bottle» (un exemplaire de cette bouteille noire et or est déposé en l'espèce sous la cote RD-7). Cette bouteille présente l'aspect tradition- nel de toutes les bouteilles Canadian Club, ressem- blant ainsi à une bouteille de vin Bordeaux. La même expression «Limited Edition Bottle» figure également à l'arrière de la bouteille avec la note indiquant que le dessin commémoratif a été pro- duit en nombre limité. Il n'y a pas la moindre indication que l'expression «Limited Edition» s'ap- plique à son contenu.
Suivis du mot «Bottle», ces termes décrivent le contenant et ne constituent pas, à mon avis, une marque de commerce. Je ne peux pas voir com ment une personne dotée d'un minimum d'intelli- gence et de jugement et qui voit la bouteille Cana- dian Club de couleur noire et or portant l'inscription «Limited Edition Bottle», pourrait confondre cette bouteille avec le produit Crown Royal Limited Edition ni comment il pourrait y avoir confusion si ces deux produits étaient vus séparément. Je ne suis donc pas disposé à conclure, compte tenu de la preuve qui m'a été soumise, qu'il pourrait y avoir confusion. Quant à savoir s'il y a effectivement eu confusion, aucun élément de preuve ne m'a été présenté: les deux exemples mentionnés dans l'affidavit de Richard Fiamelli et confirmés par les affidavits de Bruce Morrison et d'Adrian Van Helvoirte ne sont pas une preuve de confusion en Colombie-Britannique car à cette époque, le produit de la demanderesse n'était dis- tribué nulle part dans cette province. Il est très difficile d'accepter qu'il y a effectivement preuve de confusion lorsque la personne qui prétend con- fondre les deux produits n'a même pas vu l'un de ceux-ci.
Lorsqu'une marque déposée est composée de mots ordinaires qui ne peuvent être considérés comme étant ou bien originaux ou bien intrinsè- quement distinctifs, et que cette marque n'a pas été employée pendant une certaine période ou d'une manière telle que, dans l'esprit du public, elle est clairement liée aux marchandises de son propriétaire, ladite marque ne bénéficiera pas du degré de protection auquel elle pourrait autrement avoir droit. C'est par conséquent l'un des fac- teurs dont il faut tenir compte lorsqu'il s'agit de décider si une injonction interlocutoire devrait ou ne devrait pas être accordée.
En l'espèce, en ce qui concerne la durée de l'utilisation, il semble que les deux marques ont commencé à être employées en même temps, c'est-à-dire en septembre 1989.
Les mots Limited Edition n'ont rien d'original ni d'intrinsèquement distinctif, qu'ils soient considé- rés comme une expression ou séparément. Ce sont des mots ordinaires bien connus de la langue. Pour ce qui est de leur usage à des fins de commerciali sation, l'étiquette d'emballage Limited Edition a servi et a été décrite comme telle, au cours des années, pour des produits tels que le cognac, le scotch whisky, les boissons non alcoolisées, la bière, les vêtements et même les automobiles, comme moyen d'inciter le public à acheter des produits dont la quantité est limitée avant qu'il n'en reste plus. La défenderesse a effectivement, en d'autres occasions, employé les mots «Limited Edition, pour indiquer différentes formes d'embal- lage de son whisky Canadian Club et afin de rappeler des événements particuliers. Dans chaque cas, les bouteilles portaient les mots «Limited Edi tion Bottle». Cela s'est d'ailleurs produit récem- ment, en 1986, alors qu'on a produit 1 400 caisses contenant des bouteilles spéciales de Canadian Club portant l'inscription Limited Edition en vue de commémorer Expo 86.
Il ne s'agit pas d'un cas la défenderesse, connaissant l'existence d'une marque déposée, a pris un risque calculé et commercialisé un produit sous une marque qui pourrait créer de la confu sion. J'accepte la preuve présentée en son nom selon laquelle, contrairement à son habitude de toujours s'enquérir des marques ou des demandes de marques antérieures avant de commercialiser un produit sous un nom ou une marque, elle n'a
pas, en l'espèce, fait une telle recherche qui aurait révélé l'existence de la demande d'enregistrement de la demanderesse, pour la simple raison que la défenderesse considérait les mots en question comme étant purement descriptifs et n'avait pas l'intention de s'en servir à titre de marque. J'ac- cepte également la preuve portant que, si elle avait été au courant de la demande d'enregistrement de la demanderesse, elle aurait déposé une opposition formelle auprès du registraire.
Une marque supérieure de whisky connue sous le nom de Canadian Club Classic a déjà été vendue dans un emballage portant l'inscription Limited Edition dans des boutiques hors-taxe avant que la défenderesse ne produise des bouteil- les de couleur noire et or portant l'inscription Limited Edition et la demanderesse n'a formulé aucune plainte à cet égard. Celle-ci ne s'est pas opposée à l'origine à la vente du Canadian Club Classic portant l'inscription Limited Edition parce qu'elle ignorait complètement la situation dans les boutiques hors-taxe avant que la présente demande ne soit entendue. Curieusement, ce n'est qu'à la fin du mois de septembre de cette année que la défen- deresse a également appris que la demanderesse entendait commercialiser la marque «Limited Edi tion» de Crown Royal.
Pour ces motifs, l'injonction est refusée en ce qui concerne le whisky Canadian Club vendu dans la bouteille noire et or.
La situation est cependant tout à fait différente dans le cas du Canadian Club Classic, spéciale- ment emballé pour être vendu uniquement dans des boutiques hors-taxe et portant la marque «Limited Edition».
La marque «Limited Edition» est très proémi- nente puisqu'elle est gravée sur la bouteille. Il n'y a rien sur le devant de la bouteille qui indique que ces deux mots servent autrement qu'à titre de marque. Sa forme est très différente de celle d'une bouteille normale Canadian Club. Les bouteilles Canadian Club Classic en question, qui portent la marque «Limited Edition» ont la forme d'une carafe et ressemblent étrangement aux bouteilles bien connues en forme de carafe dans lesquelles les whiskies Crown Royal et Crown Royal Limited Edition sont commercialisés.
Même si la bouteille est contenue dans une boîte de bois au style recherché, il est probable que cette bouteille sera présentée sur la boîte ou que le couvercle sera ouvert si elle est dans la boîte, auquel cas une personne pourrait fort bien être induite en erreur par l'usage de la marque.
On ne m'a présenté aucune preuve de confusion mais, pour les motifs indiqués dans les paragraphes ci-hauts, je n'hésite pas à conclure qu'il existe une forte probabilité de confusion. Cela est suffisant pour répondre aux critères de la confusion.
La balance des inconvénients ne semble pas jouer un rôle bien important puisqu'un nombre très limité de bouteilles Limited Edition Canadian Club Classic a été produit pour être vendu dans les boutiques hors-taxe par comparaison à la Crown Royal Limited Edition. Qui plus est, la demande- resse a présenté une cause fort défendable. Si les critères qui étaient auparavant exigés .s'appli- quaient, je conclurais qu'on a établi une forte apparence de droit. La balance des inconvénients dans la présente affaire qui concerne une marque déposée devrait nettement favoriser la défende- resse afin de justifier la négation du droit à une injonction interlocutoire.
L'injonction concernant le Canadian Club Clas sic portant l'inscription «Limited Edition» et des- tiné à être vendu dans des boutiques hors-taxe est par conséquent accordée.
Les deux parties obtenant gain de cause, elles s'en tiendront à leurs engagements respectifs et les dépens suivront l'issue de la cause.
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