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T-401-89
462657 Ontario Limited, R & N Enterprises (Windsor) Inc., R G R Associates Limited et Raymond Quenneville (requérants)
c.
Ministre du Revenu National (intimé)
RÉPERTORIÉ: 462657 ONTARIO LTD. c. M.R.N. (1 1e INST.)
Section de première instance, juge Strayer— Toronto, 30 août; Ottawa, 6 septembre 1989.
Impôt sur le revenu Enquêtes Enquête sur les affaires financières des requérants en vertu de l'art. 231.4 de la Loi Le particulier requérant est soupçonné d'évasion fiscale et de déclarations mensongères dans ses déclarations d'impôt sur le revenu; les sociétés requérantes sont soupçonnées d'avoir touché des commissions secrètes imposables entre les mains du particulier requérant Le bref qui force les requérants à divulguer des renseignements ou des documents qui pourraient servir à les incriminer dans quelqu'action future ne viole pas les art. 7 et 8 de la Charte ni l'art. 2d) de la Déclaration des droits.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Il s'agit de savoir si l'enquête sur les affaires financières des sociétés et du particulier requérants en vertu de l'art. 231.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de ce qui serait des infractions fiscales et si le subpoena duces tecum contraignant le particulier requérant à comparaître et à témoigner à l'en- quête violent les art. 7 et 8 de la Charte ou l'art. 2d) de la Déclaration des droits.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité L'enquête de Revenu Canada sur les affaires financières de la société et du particulier requérants et le subpoena duces tecum contraignant le particulier requérant à comparaître et à témoigner à l'enquête ne violent pas l'art. 7 de la Charte même s'ils créent la possibilité que les requérants soient tenus de divulguer des renseignements ou des documents qui pourraient être utilisés pour les incriminer dans quelqu'ac- tion future Les garanties prévues à l'art. 7 ne s'appliquent pas aux sociétés La protection réclamée ne constitue pas un des préceptes fondamentaux de notre système juridique.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Fouille, perquisition et saisie Enquête sur ce que l'on soupçonne être des infractions fiscales L'obligation de produire des documents en vertu d'un subpoena duces tecum n'équivaut pas à une fouille, une per- quisition et une saisie au sens de l'art. 8 de la Charte.
Déclaration des droits Protection contre l'auto-incrimi nation Enquête en vertu de l'art. 231.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu sur ce que l'on soupçonne être des infractions fiscales Il s'agit de savoir si le bref en vertu duquel les requérants pourraient être contraints de divulguer des rensei- gnements et des documents qui pourraient servir à les incrimi- ner dans quelqu'action future porte atteinte à l'art. 2d) de la Déclaration des droits Le requérant n'a pas été privé de la protection contre son propre témoignage, car il peut invoquer la protection de l'art. 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada et
de l'art. 13 de la Charte La protection offerte par l'art. 2d) s'applique aux témoignages, et non à l'obligation de fournir d'autres formes de preuve, telle la production de documents.
En avril 1988, le requérant, Quenneville, a été soupçonné d'avoir fait des déclarations mensongères dans ses déclarations d'impôt pour les années d'imposition 1983, 1984, 1985 et 1986 et il a aussi été soupçonné d'évasion fiscale à l'égard de ces années. Les sociétés requérantes ont aussi été soupçonnées d'avoir touché des commissions secrètes au sens de l'article 383 du Code criminel, lesquelles commissions seraient imposables entre les mains de Quenneville.
Une enquête sur les affaires financières des requérants a par la suite été tenue sur autorisation du sous-ministre du Revenu national en vertu de l'article 231.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu. En janvier 1989, le président d'enquête a décerné un subpoena duces tecum contre Quenneville, lui enjoignant de témoigner sur toutes les questions dont il avait connaissance relativement aux affaires financières des sociétés et du particu- lier requérants en l'espèce et de produire certains documents. Les requérants demandent des brefs de prohibition et/ou de certiorari pour faire annuler aussi bien l'enquête que le sub poena, au motif que, selon Quenneville, l'un des objets de l'enquête est d'obtenir des renseignements pour fonder une poursuite contre lui.
Les questions en litige sont les suivantes: (1) cet acte de procédure contrevient-il à l'article 7 de la Charte en suscitant la possibilité que les requérants soient tenus de divulguer des renseignements qui pourraient servir à les incriminer dans quelqu'autre poursuite à l'avenir; (2) l'obligation de produire des documents tel que l'exige le subpoena duces tecum adressé à M. Quenneville équivaut-elle à une fouille, une perquisition ou une saisie abusives visées à l'article 8 de la Charte; (3) l'acte de procédure en cause viole-t-il l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits.
Jugement: les demandes devraient être rejetées.
Il est bien établi que les garanties de l'article 7 ne s'appli- quent pas aux sociétés. Et en l'espèce, l'article ne s'applique même pas à Quenneville. Pour voir dans l'article 7 une garantie procédurale, il faut: premièrement, être convaincu que la pro tection dont on fait état constitue l'un des préceptes fondamen- taux de notre système juridique, et deuxièmement, rechercher si l'on doit conclure par déduction nécessaire que les définitions particulières des droits données aux articles 8 à 14 ont exclu du libellé général de l'article 7 d'autres garanties visant essentielle- ment le même objet.
Tout d'abord, on ne peut dire que l'un des préceptes fonda- mentaux de notre système juridique interdit d'exiger des témoi- gnages oraux et des documents dans tous les cas il est possible que les renseignements ainsi obtenus—qu'ils l'aient été directement ou comme conséquence des divulgations origina- les—soient utilisés dans le cadre d'une éventuelle instance criminelle intentée contre celui qui les a donnés. Et les garan- ties pertinentes prévues à l'alinéa 11c) et à l'article 13 de la Charte ne s'appliquent pas en l'espèce. L'alinéa 11c) vise seulement les inculpés, et la protection offerte à l'article 13 contre l'auto-incrimination vise clairement la possibilité qu'une personne soit légalement tenue de témoigner au cours d'une poursuite et donc de fournir des éléments de preuve qui, n'était-ce de cet article, pourraient constitutionnellement être utilisés dans une seconde poursuite. En tout état de cause, il
serait prématuré de décerner à ce stade un bref de prohibition ou de certiorari: l'enquête n'a pas encore débuté, aucune ques tion n'a été posée; l'immunité n'a été réclamée à l'égard d'aucune question particulière; les requérants ne se sont opposés à la production d'aucun document, et aucun d'entre eux n'a démontré comment la réponse ou le document concernés pour- raient être susceptibles de l'incriminer.
L'article 8 de la Charte ne s'applique pas à l'espèce puisqu'il a été statué que l'exécution d'une ordonnance exigeant la production de documents ne constitue pas une saisie. La vali- dité de l'ordonnance peut être contestée avant son exécution et toute peine sanctionnant le défaut de s'y conformer doit être approuvée par le tribunal. Et même s'il s'agissait d'une saisie, elle ne pourrait être considérée abusive en l'espèce car aucun contribuable ne peut raisonnablement s'attendre à pouvoir cacher aux fonctionnaires du Revenu les renseignements qu'ils recherchent de bonne foi et qui ont trait à son revenu imposable.
L'alinéa 2d) de la Déclaration des droits ne s'applique pas à l'interprétation de l'article 231.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu puisque les paragraphes (5) et (6) accordent expressé- ment à quiconque comparaît dans le cadre d'une enquête, comme témoin ou comme objet de l'enquête, le droit d'être représenté par avocat. Cette personne n'est pas privée de la protection contre son propre témoignage car elle peut se préva- loir du paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada. De plus, cette disposition et l'article 13 de la Charte peuvent être invoqués pour faire obstacle à l'utilisation de tout témoignage incriminant dans une instance postérieure. Les requérants ne peuvent non plus s'appuyer sur l'alinéa 2d) pour s'opposer à la production des documents réclamés conformément au subpoena duces tecum, car il est bien établi que cet alinéa ne s'applique qu'au témoignage des témoins et qu'il n'accorde aucune protec tion contre l'obligation de fournir d'autres formes de preuve.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) art. 7, 8, 11c), 13, 24(1),(2).
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 383 (mod. par S.C. 1985, chap. 19, art. 57).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice Ill, art. 2d).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 231.4 (édicté par S.C. 1986, chap. 6, art. 121).
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10; L.R.C. (1985), chap. C-5, art. 5(2).
Ontario Evidence Act, R.S.O. 1980, chap. 145.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Irwin Toys Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; 94 N.R. 167; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of Investiga tion & Research et al. (1986), 30 C.C.C. (3d) 145 (C.A.
Ont.); Haywood Securities Inc. v. Inter-Tech Resource Group Inc. (1985), 24 D.L.R. (4th) 724 (C.A. C.-B.); Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F. 608 (C.A.); McKinlay Transport Ltd. et al. v. The Queen, [ 1988] 1 C.T.C. 426 (C.A. Ont.); Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; Marcoux et autre c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 763; (1975), 24 C.C.C. (2d) 1.
DECISIONS CITÉES:
R. v. Wooley (1988), 40 C.C.C. (3d) 531 (C.A. Ont.); Guay v. Lafleur, [1965] R.C.S. 12.
AVOCATS:
J. David McCombs et David E. Harris pour
les requérants.
Roslyn J. Levine pour l'intimé.
PROCUREURS:
Carter, McCombs & Minden, Toronto, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française de l'ordon- nance rendus par
LE JUGE STRAYER:
Les recours demandés
Il s'agit en l'espèce d'une part, d'une demande de bref de prohibition appuyée d'un bref de certio- rari ou simplement d'une demande de bref de certiorari visant à annuler l'autorisation par laquelle le sous-ministre de Revenu Canada per- mettait la tenue d'une enquête sur les affaires financières des requérants, et d'autre part, d'une demande de bref de prohibition appuyée d'un bref de certiorari ou simplement d'une demande de bref de certiorari, visant à annuler le subpoena délivré contre le requérant Raymond Quenneville en date du 6 janvier 1989 le contraignant à compa- raître et à témoigner à ladite enquête.
Les faits
Le 14 avril 1988, des fonctionnaires de Revenu Canada obtenaient un mandat de perquisition pour rechercher à la résidence particulière du requérant Raymond Quenneville différents dossiers bancaires et comptables le concernant ainsi que son épouse et les sociétés requérantes. Les infractions que Ray- mond Quenneville est soupçonné d'avoir commises
et qui font l'objet du mandat de perquisition con sistent en des déclarations mensongères dans les déclarations d'impôt pour les années 1983, 1984, 1985 et 1986 ainsi que l'évasion fiscale délibérée à l'égard de ces années d'imposition. Le mandat a été délivré à la suite de la dénonciation sous ser- ment dans laquelle un fonctionnaire de Revenu Canada énonçait des motifs raisonnables et proba bles de croire que Quenneville avait commis les infractions susmentionnées à la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63]. La dénon- ciation portait aussi que le dénonciateur avait des motifs raisonnables et probables de croire que les sociétés requérantes avaient touché des commis sions secrètes au sens de l'article 383 du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34 (mod. par S.C. 1985, chap. 19, art. 57)] et que ces commissions constituaient des avantages imposables entre les mains de Raymond Quenneville.
Subséquemment, une enquête a été autorisée en vertu de l'article 231.4 [édicté par S.C. 1986, chap. 6, art. 121] de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui est libellé comme suit:
231.4(1) Le ministre peut, pour l'application et l'exécution de la présente loi, autoriser une personne, qu'il s'agisse ou non d'un fonctionnaire du ministère du Revenu national, à faire toute enquête que celle-ci estime nécessaire sur quoi que ce soit qui se rapporte à l'application et l'exécution de la présente loi.
(2) Le ministre qui, conformément au paragraphe (1), auto- rise une personne à faire enquête doit immédiatement deman- der à la Cour canadienne de l'impôt une ordonnance soit nommé un président d'enquête.
(3) Aux fins d'une enquête autorisée par le paragraphe (1), le président d'enquête nommé en vertu du paragraphe (2) a tous les pouvoirs conférés à un commissaire par les articles 4 et 5 de la Loi sur les enquêtes et ceux qui sont susceptibles de l'être par l'article 11 de cette loi.
(4) Le président d'enquête nommé en vertu du paragraphe (2) exerce les pouvoirs conférés à un commissaire par l'article 4 de la Loi sur les enquêtes à l'égard des personnes que la personne autorisée à faire enquête considère comme appro- priées pour la conduite de celle-ci; toutefois, le président d'en- quête ne peut exercer le pouvoir de punir une personne que si, à la requête de celui-ci, un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté atteste que ce pouvoir peut être exercé dans l'affaire exposée dans la requête et que si le requérant donne à la personne à l'égard de laquelle il se propose d'exercer ce pouvoir avis de l'audition de la requête 24 heures avant ou dans le délai plus court que le juge estime raisonnable.
(5) Quiconque témoigne à une enquête autorisée par le paragraphe (1) a le droit d'être représenté par avocat et, sur demande faite au ministre, de recevoir transcription de sa déposition.
(6) Toute personne dont les affaires donnent lieu à une enquête autorisée par le paragraphe (I) a le droit d'être présente et d'être représentée par avocat tout au long de l'enquête, sauf si le président d'enquête nommé en vertu du paragraphe (2) en décide autrement, sur demande du ministre ou d'un témoin, pour tout ou partie de l'enquête, pour le motif que la présence de cette personne et de son avocat ou de l'un d'eux nuirait à la bonne conduite de l'enquête.
Le 29 novembre 1988, la Cour canadienne de l'impôt nommait John Weir président d'enquête devant qui devait se tenir une enquête [TRADUC- TION] «sur les affaires financières» des requérants nommés dans cette requête. Cette nomination avait été faite sur demande du ministre conformé- ment au paragraphe 231.4(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le 6 janvier 1989, le président d'enquête a décerné un subpoena contre le requé- rant Raymond Quenneville lui enjoignant de témoigner sur toutes les questions dont il avait connaissance relativement aux «affaires financiè- res» des sociétés et des particuliers requérants en l'espèce. L'enquête a été remise en attendant qu'il soit statué sur cette demande.
Dans ces requêtes, les requérants cherchent à faire annuler à la fois l'enquête elle-même, autori- sée en vertu du paragraphe 231.4(1), qui doit être tenue devant le président d'enquête, et le subpoena adressé à M. Quenneville. Le seul élément de preuve produit à l'appui des requêtes est un affida vit dans lequel M. Quenneville expose les faits énoncés plus haut. Le déposant se montre d'avis que l'un des objets de l'enquête est d'obtenir des renseignements à l'appui d'une action dirigée contre lui. Il dit au moins à deux reprises dans son affidavit que selon lui, l'enquête est une tentative de l'amener à se perdre. L'enquête n'ayant pas encore débuté, il n'a pu mentionner aucune ques tion posée ni aucun document requis susceptibles d'avoir cet effet. Au cours d'un long contre-inter- rogatoire sur son affidavit, le déposant n'a pu ou n'a pas voulu donner des exemples précis d'auto- incrimination possible, bien qu'il ait invoqué, avant le contre-interrogatoire, la protection de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10] et de la Ontario Evidence Act [R.S.O. 1980, chap. 145].
Les questions en litige
Bien que dans leurs avis de requête les requé- rants se soient appuyés sur les articles 7, 8, l'alinéa
11c) et l'article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], dans leur plaidoirie, ils ont invoqué des moyens quelque peu différents. En effet, les requérants ont concédé que ni l'alinéa 11c) ni l'article 13 de la Charte ne s'appliquaient directement à la tenue de l'enquête ou à l'obligation faite à M. Quenneville de témoi- gner. Les questions litigieuses dont il a été fait état sont plutôt les suivantes:
(1) Ces procédures contreviennent-elles à l'article 7 de la Charte en suscitant la possibilité que les requérants soient tenus de divulguer des renseignements ou des documents qui pour- raient servir à les incriminer dans quelqu'autre poursuite à l'avenir?
(2) L'obligation de produire des documents tel que l'exige le subpoena duces tecum adressé à M. Quenneville équivaut-elle à une fouille, une perquisition ou une saisie abusives visées à l'article 8 de la Charte?
(3) L'acte de procédure en cause viole-t-il l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] ?
Conclusions
Il convient tout d'abord de faire certaines obser vations d'ordre général.
Bien que les requérants me demandent dans leurs conclusions de déclarer invalide à sa simple lecture l'article 231.4 comme violant la Charte, j'estime que leurs moyens n'appuient pas du tout une telle conclusion. Rien dans le libellé de l'arti- cle n'exige qu'il soit utilisé de façon à violer la Charte. Il est clair que l'article pourrait aussi s'appliquer à l'obtention de renseignements et d'éléments de preuve auprès de tiers qui ne seraient nullement incriminés à la suite de cette production, bien que ces renseignements et élé- ments de preuve pourraient être utiles dans une action future contre les requérants. De plus, il est clair que certains droits prévus par la Charte et la common law et invoqués par les requérants ne s'appliquent pas aux sociétés, de sorte que l'article a des emplois, lorsque le contribuable est une société, qui ne sont pas régis par la Charte.
De plus, les requérants ont avancé leurs argu ments en présumant qu'il existe un rapport direct et nécessaire entre cette enquête et des poursuites futures, qu'elles soient engagées en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ou du Code criminel. Les requérants ont renoncé à toute prétention que l'en- quête a été entreprise pour d'autres fins que celles qui sont mentionnées au paragraphe 231.4(1), à savoir «l'application et l'exécution» de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ils tiennent cependant pour acquis, sans réellement le démontrer, qu'il existe une progression inévitable ou tout au moins fort vraisemblable qui va de l'obtention d'un mandat de perquisition, à la tenue de l'enquête et enfin, à des poursuites engagées contre les requérants. Cepen- dant, aucune accusation n'a été portée. En outre, le mandat de perquisition portait sur de possibles infractions à la Loi de l'impôt sur le revenu par Raymond Quenneville. L'enquête porte sur «les affaires financières» de tous les requérants. L'idée que l'enquête vise à obtenir des éléments de preuve devant être utilisés contre les requérants dans des poursuites futures est pour le moins de la spécula- tion, et cela doit se refléter dans mes conclusions sur l'applicabilité actuelle des garanties prévues par la Charte et la Déclaration des droits.
J'ajouterais également que la plupart des sour ces jurisprudentielles sur lesquelles s'appuient les requérants sont des remarques incidentes dans des affaires dont les faits ne ressemblent guère à ceux de l'espèce. En outre, la plus grande partie d'entre elles parlent de l'exclusion possible à l'instruction d'éléments de preuve obtenus au cours d'enquêtes ou de procédures antérieures. En l'espèce, l'en- quête n'a même pas encore débuté. Aucune ques tion n'a été posée au témoin Quenneville. Aucun privilège n'a été invoqué dans le cadre d'une telle enquête relativement à des questions ou à des demandes de documents particulières. Par consé- quent, les sources citées, bien qu'elles donnent à réfléchir, n'ont qu'une utilité restreinte pour les fins présentes.
Je vais traiter de chacune des questions à tour de rôle.
Article 7 de la Charte
Dès le début, il convient de souligner que les garanties prévues à l'article 7 ne s'appliquent pas
aux sociétés'. Ainsi, cette disposition ne pourrait s'appliquer éventuellement qu'au requérant Quen- neville.
On trouve dans la jurisprudence une controverse considérable, que je n'ai pas à répéter ici, sur la question de savoir si l'article 7 de la Charte qui garantit que:
7. Chacun à droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
comprend, en leur donnant de l'extension, les droits particuliers prévus aux articles 8 à 14 de la Charte. Il me semble que pour voir dans l'article 7 une garantie procédurale il faut: premièrement, être convaincu que la protection dont on fait état constitue l'un des «préceptes fondamentaux de notre système juridique» 2 , et deuxièmement, rechercher si l'on doit conclure par déduction nécessaire que les définitions particulières des droits données aux articles 8 à 14 ont exclu du libellé général de l'article 7 d'autres garanties visant essentiellement le même objet'.
Prenons par exemple le principe selon lequel les aveux ne doivent pas être obtenus par la torture, qui devrait les rendre irrecevables. Il ne fait aucun doute que c'est un des «préceptes fondamentaux de notre système juridique», et donc un «principe de justice fondamentale»". Les garanties particu- lières prévues aux articles 8 à 14 ne traitent pas non plus du droit de garder le silence au cours des enquêtes ni de la recevabilité des déclarations antérieures au procès. Ainsi, la conclusion ne s'im- pose donc pas nécessairement que ces droits doi- vent être exclus du contenu de l'article 7.
' Irwin Toys Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, aux p. 1002 1004; 94 N.R. 167, aux p. 253 et 254.
2 Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, à la p. 503.
3 Par exemple, le juge Le Dain a dit dans l'arrêt R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613 que la Cour ne doit pas conclure que le paragraphe 24(1) permet à un tribunal d'ex- clure la preuve dans toute circonstance qu'elle estime indiquée, les rédacteurs de la Charte ayant précisé au paragraphe 24(2) les circonstances dans lesquelles les éléments de preuve obtenus en violation de la Charte peuvent être exclus. Cela enlèverait autrement tout sens aux limites particulières prévues au para- graphe 24(2). La Cour a fait sienne cette position dans l'arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 1 265, à la p. 276.
° Voir par exemple l'arrêt R. v. Wooley (1988), 40 C.C.C. (3d) 531 (C.A. Ont.), à la p. 539.
Ce dont il est question en l'espèce est une enquête qui pourrait se révéler fort vaste dans les affaires financières d'un particulier et de trois sociétés, tous liés les uns aux autres. À première vue, l'objet de cette enquête semble être d'aider le ministère du Revenu national à évaluer l'assujettis- sement des requérants à l'impôt sur le revenu. Il n'est fait aucune menace à la «liberté» de M. Quenneville, sauf peut-être en cas de refus de répondre à des questions légitimes, «danger» auquel fait face tout témoin. La possibilité que les renseignements obtenus servent plus tard à d'au- tres fins relève pour le moment de la simple con jecture. Je ne suis pas convaincu que l'un «des préceptes fondamentaux de notre système juridi- que» s'oppose même à ce qu'une telle enquête soit tenue ou à ce qu'un témoin soit convoqué 5 . De fait, la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of Investigation & Research et al. 6 a statué la page 150] que tout droit au silence qui pourrait constituer «un principe de justice fondamentale» au sens de l'article 7:
[TRADUCTION] ... doit se restreindre aux enquêtes par la police et autres choses semblables et aux procédures à l'instruction.
La Cour a confirmé dans cette affaire la validité d'une enquête conduite conformément à ce qu'était alors l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23]. Ces enquêtes impliquaient le témoignage obligatoire de personnes qui pourraient peut-être plus tard être poursuivies en vertu de cette Loi ainsi que leurs sociétés. De la même façon, une majorité de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a statué dans l'arrêt Haywood Securities Inc. v. Inter-Tech Resource Group Inc. 7 que l'article 7 n'interdisait pas en général de poser des questions à des témoins au cours d'un examen à l'appui d'une ordonnance d'exécution, qui est un bref en matière civile, même si ces personnes objectaient que leurs répon- ses pourraient être susceptibles de les incriminer dans des poursuites criminelles pendantes. Rédi- geant pour la majorité, le juge d'appel Macfarlane a concédé que [TRADUCTION] «l'on pourrait soute-
5 Voir Guay v. Lafleur, [1965] R.C.S. 12, qui concerne la disposition qui a précédé l'article actuel.
6 (1986), 30 C.C.C. (3d) 145, aux p. 150 et 151.
7 (1985), 24 D.L.R. (4th) 724.
nir» que si l'instance visait uniquement à obtenir des éléments de preuve à l'appui d'une poursuite criminelle contre le témoin, alors il ne devrait peut-être pas être contraint de divulguer des ren- seignements qui pourraient entraîner sa condam- nation'. Les requérants sont loin en l'espèce d'avoir établi que telle est la situation, même si l'on devait suivre la remarque incidente du juge d'appel Macfarlane.
Bref, je ne crois pas que l'on puisse dire que l'un des préceptes fondamentaux de notre système juri- dique interdit d'exiger des témoignages oraux et des documents s'il est possible que les renseigne- ments ainsi obtenus—qu'ils l'aient été directement ou comme conséquence des divulgations origina- les—soient utilisés dans le cadre d'une éventuelle instance criminelle intentée contre celui qui les a donnés.
Ce point de vue se trouve renforcé si l'on appli- que le second critère que j'ai énoncé, savoir la recherche des déductions pouvant se dégager du libellé précis des garanties prévues aux articles 8 à 14. Les garanties pertinentes aux fins présentes sont celles que l'on trouve à l'alinéa 11c) et à l'article 13, et qui correspondent aux protections prévues par la common law et par la loi (Loi sur la preuve au Canada, article 5). Le libellé de ces dispositions de la Charte laisse croire qu'elles ont été soigneusement rédigées pour inscrire dans la Constitution les protections légales existantes, mais rien de plus. Étant donné que l'alinéa 11c) vise seulement les inculpés et leur évite unique- ment d'être contraints de témoigner contre eux- mêmes dans toute poursuite intentée contre eux pour l'infraction qu'on leur reproche, est-il plausi ble que l'on doive interpréter l'article 7 comme s'il donnait la même protection à une personne qui n'est pas accusée d'une infraction lorsqu'elle est témoin dans une poursuite qui ne concerne aucune infraction dont elle est accusée? Si tel est le cas, il faut considérer que l'alinéa 11c) n'a aucun sens et que l'insertion de ses termes limitatifs est futile. La
protection offerte par l'article 13 la personne tenue de témoigner dans le cadre d'une poursuite, relativement à l'usage de ce témoignage au cours d'autres procédures, vise clairement la possibilité qu'une personne soit légalement tenue de témoi- gner au cours d'une poursuite et donc de fournir
8 Ibid., à la p. 749.
des éléments de preuve qui, n'était-ce de cet arti cle, pourraient constitutionnellement être utilisés dans une seconde poursuite.
Je suis donc incapable de voir à l'article 7 une garantie aussi grande que le prétendent les requé- rants. Je n'ai pas à déterminer s'ils pourraient légitimement réclamer l'immunité à la suite d'une question donnée au cours de l'enquête, pas plus que je ne saurais déterminer à l'avance la recevabi- lité, au cours d'une quelconque poursuite ulté- rieure contre ces requérants, d'un élément de preuve ainsi obtenu. Ceci renforce un autre motif pour lequel je déciderais, en tout état de cause et dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui est le mien, de ne pas décerner à ce stade-ci un bref de prohibition ou de certiorari. À cet égard, je ne saurais faire mieux que de citer le jugement dissi dent du juge d'appel Lambert dans l'arrêt Hay- wood Securities 9 , que les requérants ont par ail- leurs adopté. Il a dit à la page 743:
[TRADUCTION] Je dois préciser que l'article 7 de la Charte ne confère pas un droit général de refuser de répondre à des questions dans des instances civiles. La personne interrogée, directement ou par le biais de son avocat, doit réclamer le privilège et doit déclarer pour se justifier que la réponse pourrait être susceptible de l'incriminer. L'obligation de donner cette justification suffira, dans bien des cas, à dissuader les témoins de réclamer le privilège à tort.
Une fois réclamé le privilège, il s'agit ensuite pour le tribu nal, s'il y a contestation, de décider s'il y a lieu d'accorder le privilège ou d'ordonner au témoin de répondre. Lorsque le tribunal est saisi de l'affaire, le témoin n'a pas à lui révéler sa réponse. Mais il doit lui montrer le motif pour lequel il redoute une poursuite au criminel, ainsi que la nature de cette dernière, et son lien général avec les questions posées dans l'instance civile. Ces mesures dissuaderont également un témoin de soule- ver à tort des objections. Mais si celles-ci étaient fondées, on lui accordera, et on doit lui accorder, une latitude considérable pour conclure au danger que sa réponse soit susceptible de l'incriminer.
En l'espèce l'enquête n'a pas débuté; aucune ques tion n'a été posée; le témoin Quenneville n'a réclamé l'immunité à l'égard d'aucune question particulière; les requérants ne se sont opposés à la production d'aucun document; et aucun d'entre eux n'a démontré de motif pour lequel la réponse ou le document concernés pourraient être suscepti- bles de l'incriminer relativement à une quelconque infraction criminelle dont il évoque la possibilité.
9 Voir la note 7.
Article 8 de la Charte Cet article dit ce qui suit:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
J'estime cet article inapplicable pour deux raisons: il n'est question en l'espèce d'aucune fouille, per- quisition ou saisie, et la mesure autorisée par la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas «abusive».
Ce dont on se plaint en l'espèce est l'obligation faite à Raymond Quenneville de produire des documents conformément à un subpoena duces tecum, que l'on assimile à une «saisie». Il a été décidé par la Cour d'appel fédérale et par la Cour d'appel de l'Ontario 10 que l'exécution d'une ordon- nance exigeant la production de documents ne constitue pas une saisie. La Cour d'appel de l'On- tario a insisté particulièrement sur le fait que dans les affaires dont elle était saisie, les personnes visées par l'ordonnance avaient eu la possibilité de s'y opposer avant qu'elle ne soit exécutée. C'est clairement le cas en l'espèce. Tout d'abord, il est loisible aux requérants de présenter des requêtes comme ils l'ont fait en l'espèce pour contester la validité de l'ordonnance. De plus, le paragraphe 231.4(4) dit expressément que le président d'en- quête ne peut exercer le pouvoir de punir qui que ce soit, pour dérogation, peut-on présumer, à une ordonnance telle qu'un subpoena, que si un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté atteste que ce pouvoir peut être exercé.
Même s'il y avait saisie en l'espèce, je ne la trouverais pas abusive, tout au moins en me fon dant sur la dénonciation qui a été produite. Ce qui est raisonnable dépend en partie de la question de savoir si la saisie va à l'encontre d'une attente raisonnable en matière de vie privée". L'applica- tion de la Loi de l'impôt sur le revenu repose largement sur les déclarations des contribuables. Il est de l'essence même de l'impôt sur le revenu que le contribuable soit tenu de divulguer toutes sortes de renseignements financiers qui, dans d'autres circonstances, pourraient être considérés comme hautement personnels et privés. Lorsqu'il y a rai- sonnablement lieu de soupçonner que cette divul- gation n'a pas été faite, les autorités fiscales peu-
Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F. 608 (C.A.); Thomson Newspapers, précité, note 6; McKinlay Transport Ltd. et al. y. The Queen, [1988] 1 C.T.C. 426 (C.. Ont.).
" Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.
vent alors être forcées de rechercher les renseignements dont elles croient réellement qu'ils n'ont pas été fournis. Aucun contribuable ne peut raisonnablement s'attendre à pouvoir cacher aux fonctionnaires du Revenu ces renseignements qu'ils recherchent de bonne foi et qui ont trait à son revenu imposable. L'obligation de divulguer ces renseignements n'est donc contraire à aucune attente raisonnable.
Je conclus donc que l'article 8 ne s'applique pas aux requérants dans les présentes circonstances.
L'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des
droits
L'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits prévoit que nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
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d) autorisant une cour, un tribunal, une commission, un office, un conseil ou une autre autorité à contraindre une personne à témoigner si on lui refuse le secours d'un avocat, la protection contre son propre témoignage ou l'exercice de toute garantie d'ordre constitutionnel;
Il est facile de voir pourquoi cette disposition ne s'applique pas à l'interprétation ni à l'application de l'article 231.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les paragraphes 231.4(5) et (6) accordent expressément à quiconque comparaît dans le cadre d'une enquête, comme témoin ou comme objet de l'enquête, le droit d'être représenté par avocat au moment de son témoignage. Cette personne n'est pas privée de la «protection contre son propre témoignage» car si elle est tenue de répondre à une question et si elle estime que la réponse pourrait être susceptible de l'incriminer, elle peut invoquer la protection accordée par le paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada 12 . De plus, dans l'éventualité la Couronne chercherait à se servir de son témoignage devant le président d'enquête dans une instance postérieure pour l'incriminer, elle peut invoquer la protection prévue au paragra- phe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada et à l'article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés. Quant au déni possible de «toute garantie d'ordre constitutionnel», j'ai déjà déterminé qu'au- cune des garanties sur lesquelles se sont fondés les requérants ne s'applique dans les circonstances.
12 L.R.C. (1985), chap. C-5.
Les requérants se sont aussi appuyés sur l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits pour s'opposer à la production des documents réclamés conformément au subpoena duces tecum dont M. Quenneville a fait l'objet. Il a été bien établi que cet alinéa de la Déclaration canadienne des droits ne s'applique qu'au témoignage des témoins et qu'il n'accorde aucune protection contre l'obliga- tion de fournir d'autres formes de preuve"
Dispositif
Je rejette donc les deux demandes avec dépens.
13 Marcoux et autre c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 763, la p. 768; (1975), 24 C.C.C. (2d) 1 à la p. 5; Ziegler c. Hunter, précité, note 10 aux p. 616 et 617.
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