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A-869-88
Affaire intéressant le Code canadien du travail Et la Loi sur l'immunité des États
Et un renvoi soumis par le Conseil canadien des relations de travail en conformité avec le paragra- phe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale
RÉPERTORIÉ: CODE CANADIEN DU TRAVAIL (CAN.) (RE) (CA.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci, juges Maho- ney et Stone, J.C.A.—Ottawa, 13 juin et 9 août 1989.
Droit international Immunité de juridiction Les É.- U. ont réclamé l'immunité de juridiction prévue à l'art. 3 de la Loi sur l'immunité des États relativement à une demande d'accréditation déposée par un syndicat au nom de civils canadiens travaillant à sa base navale d'Argentia (Terre- Neuve) L'État étranger ne peut pas réclamer l'immunité de juridiction s'il renonce de façon expresse à l'immunité souve- raine ou dans les actions qui portent sur des activités commer- ciales L'adhésion à la Convention sur le statut des forces du Traité de l'Atlantique Nord ne constitue pas une soumission expresse à la juridiction des tribunaux canadiens La défini- tion de l'expression «activité commerciale» indique implicite- ment qu'on se reporte au caractère des activités plutôt qu'à leur but Une requête en accréditation porte sur des contrats de travail dont la passation est commerciale de par sa nature La conclusion est embarrassante car elle pourrait signifier une atteinte à la dignité de l'État étranger si celui-ci est contraint par un tribunal national de négocier au sujet des conditions de travail Ce problème pourrait être évité par une modification législative.
Relations du travail Un syndicat a demandé à être accrédité comme agent négociateur de civils canadiens travail- lant à une base navale américaine située à Terre-Neuve Une requête en accréditation est un acte «qui porte sur des activités commerciales» Les É.-U. ne pouvaient pas récla- mer l'immunité de juridiction en vertu de l'art. 5 de la Loi sur l'immunité des États.
Il s'agissait d'un renvoi pour déterminer si le Conseil cana- dien des relations de travail a commis une erreur en statuant que les États-Unis d'Amérique ne pouvaient pas réclamer l'immunité de juridiction prévue à l'article 3 de la Loi sur l'immunité des États relativement à une demande d'accrédita- tion déposée au nom de civils canadiens travaillant pour le ministère de la Défense des É.-U. à sa base militaire d'Argentia (Terre-Neuve). Environ 60 Canadiens travaillent à la base à titre de pompiers et d'employés d'entretien. Le Syndicat a demandé à être accrédité en vertu du Code canadien du travail comme agent négociateur de ces employés. L'État étranger bénéficie de l'immunité de juridiction devant tout tribunal au Canada (article 3 de la Loi sur l'immunité des États), sauf lorsqu'il renonce à l'immunité en se soumettant de façon expresse à la juridiction du tribunal (article 4) ou dans les actions qui portent sur des activités commerciales (article 5). «Activité commerciale» s'entend de tout acte qui revêt un
caractère commercial de par sa nature. Le Conseil a appliqué le critère de l'activité commerciale formulé par les tribunaux américains (s'il s'agit d'une activité dans laquelle un particulier pourrait être engagé, il n'a pas droit à l'immunité de juridic- tion) et a jugé que le contrat de travail constituait une activité commerciale. Il s'agissait de savoir si les États-Unis avaient renoncé à l'immunité de juridiction et, si tel n'était pas le cas, si la requête en accréditation constituait une activité commer- ciale. Le Syndicat a soutenu que les É.-U. avaient renoncé à l'immunité de juridiction en signant la Convention sur le statut des forces du Traité de l'Atlantique Nord de 1951, qui prévoit que les besoins locaux en main-d'oeuvre civile sont satisfaits de la même manière que ceux des services analogues de l'État de séjour.
Arrêt: l'immunité de juridiction ne pouvait pas être réclamée.
Le juge en chef lacobucci (motifs concourants du juge Stone, J.C.A.): La signature de la Convention sur le statut des forces du Traité de l'Atlantique Nord n'équivalait pas à une soumis- sion expresse à la juridiction des tribunaux canadiens.
La mention, dans la définition de l'activité commerciale, de tout acte qui de par sa nature revêt un caractère commercial laisse croire à une portée plus limitée de l'immunité que si on parlait de but de l'activité. La définition américaine fait men tion expressément de la nature de l'activité, mais elle continue avec l'expression «plutôt qu'en fonction de son but». La défini- tion canadienne véhicule implicitement le même sens, c.-à-d. qu'on se reporte au caractère des opérations ou des activités, non à leur but. Tenir compte du but, ce serait faire jouer le genre d'immunité plus large accordée en vertu de la théorie absolue traditionnelle, ce qui pourrait venir contrer le but visé par la loi en adoptant une approche limitative de l'immunité comme il ressort de la Loi sur l'immunité des États. Le caractère de l'opération (contrats de travail) était commercial, et la requête en accréditation dont le Conseil avait été saisi portait sur cette activité commerciale au sens de l'article 5 de la Loi sur l'immunité des États. Bien que les contrats de travail eussent pour but d'aider à la réalisation des objectifs publics des États-Unis dans l'exploitation d'une base navale, la Loi ne sanctionne pas le but de l'activité de l'État mais nous oblige plutôt à nous concentrer sur le caractère de la prétendue activité commerciale en question.
Le juge Mahoney, J.C.A. (motifs concourants du juge Stone, J.C.A.): Ces dernières années, on est passé d'une immunité absolue de juridiction devant les tribunaux de common law à une notion plus restreinte. Le Canada, les É.-U. et la Grande- Bretagne ont, plus ou moins à la même époque, codifié cette notion restreinte. La loi britannique, par son libellé même, et la loi américaine, d'après l'intention du législateur mentionnée ailleurs, excluent l'immunité souveraine en ce qui concerne l'embauchage de leurs citoyens ou de leurs résidents à l'inté- rieur de leurs territoires par des États étrangers. Les tribunaux américains ont donné effet à cette intention du législateur. Il faut accorder le même traitement aux contrats d'achat de biens ou de services et aux contrats de travail aux fins de la Loi sur l'immunité des États. Une requête en accréditation porte sur le travail des membres de l'unité de négociation projetée en vertu des contrats de services dont la passation constitue de la part des É.-U. un acte qui revêt un caractère commercial. C'est seulement si l'on regardait au-delà de la nature du travail afin de découvrir son objectif général—satisfaire les besoins en défense des E.-U.---qu'on pourrait, en l'espèce, rationaliser le recours à l'immunité des États.
défense des É.-U.—qu'on pourrait, en l'espèce, rationaliser le recours à l'immunité des États.
La conclusion était embarrassante en ce sens que la dignité souveraine d'un État étranger pourrait être mise en cause si un tribunal national pouvait l'obliger à négocier au sujet des conditions de travail et imposer ces conditions. Le recours à l'immunité souveraine vise à éviter de gêner les États dans leurs fonctions et de porter atteinte à leur dignité. Ce problème dépassait cependant la portée limitée du présent renvoi. Le Parlement devra modifier la Loi sur l'immunité des États pour que puisse être invoquée l'immunité de juridiction devant le Conseil dans les affaires du genre de celle dont nous étions saisis.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, art. 48, 80.
Convention entre les États parties au Traité de l'Atlanti- que Nord sur le statut de leurs forces, 19 juin 1951, 199 R.U.R.T. 67, art. 4.
Foreign Sovereign Immunities Act of 1976, Pub. L. 94-583, 90 stat. 2891 (1976), art. I603d).
Loi sur l'immunité des États, L.R.C. (1985), chap. S-18, art. 2, 3(1), 4(1),(2)a), 5.
State Immunity Act 1978 (R.-U.), 1978, chap. 33, art. 4(1),(6).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Goethe House New York, German Cultural Center v N.L.R.B., 869 F.2d 75 (2d Cir. 1989); infirmant 685 F. Supp. 427 (S.D.N.Y. 1988); The Charkieh (1873), L.R. 4 Ad. & Ec. 59.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
I Congreso del Partido, [1981] 2 All ER 1064 (H.L.); Texas Trading & Mill Corp. v. Federal Republic of Nigeria, 647 F.2d 300 (2d Cir., 1981).
DÉCISIONS CITÉES:
Gouvernement de la République Démocratique du Congo c. Venne, [1971] R.C.S. 997; 22 D.L.R. (3d) 669; Lorac Transport Ltd. c. Atra (Le), [1987] 1 C.F. 108; (1986), 28 D.L.R. (4th) 309; 69 N.R. 183 (C.A.); Saint John, The Municipality of the City and County of et al. v. Fraser -Brace Overseas Corporation et al., [1958] R.C.S. 263.
DOCTRINE
Crawford, James «International Law and Foreign Sove reigns: Distinguishing Immune Transactions» The Bri- tish Yearbook of International Law 1983, Oxford: Clarendon Press, 1984.
Emanuelli, C. «L'immunité souveraine et la coutume internationale de l'immunité absolue à l'immunité rela tive» (1984), 22 A.C.D.I. 26.
Molot, H.L. et Jewett, M.L. «The State Immunity Act of Canada» (1982), 20 A.C.D.I. 79.
United States. House Report No. 94-1487, Congressional Record, Vol. 122.
Williams, S.A. et de Mestral, A.L.C. An Introduction to International Law, éd. Toronto: Butterworths, 1987.
AVOCATS:
H. Scott Fairley pour le Conseil canadien des relations de travail.
Ronald A. Pink et Ronald Pizzo pour l'Al- liance de la Fonction publique du Canada. Brian A. Crane, c.r. pour le gouvernement des États-Unis.
Edward R. Sojonky, c.r. pour le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Lang, Michener, Lash, Johnston, Toronto, pour le Conseil canadien des relations de travail.
Patterson, Kitz, Halifax, pour l'Alliance de la Fonction publique du Canada.
, Cowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour le gouvernement des États-Unis.
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs de la décision rendus par
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: J'ai eu l'avan- tage de lire les motifs de mon collègue le juge Mahoney, J.C.A., et j'y souscris ainsi qu'à la conclusion à laquelle il aboutit, à savoir que les États-Unis d'Amérique (les «États-Unis») ne peu- vent pas réclamer l'immunité de juridiction prévue par la Loi sur l'immunité des États, L.R.C. .(1985), chap. S-18 (la «LIÉ») relativement à la demande d'accréditation déposée par l'Alliance de la Fonction publique du Canada (le «Syndicat») en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2 au nom d'un certain nombre de civils canadiens travaillant à la base navale américaine d'Argentia (Terre-Neuve). Je voudrais toutefois ajouter quelques observations personnelles, mais ce faisant je ne parlerai pas de l'état général de la question, que le juge Mahoney a bien exposé.
Quant à savoir si les États-Unis ont renoncé ou non à l'immunité au sens de la LIÉ, et notamment
de son alinéa 4(2)a), je suis d'accord avec le juge Mahoney, J.C.A., pour dire que le Conseil a eu raison de statuer qu'il n'y avait pas eu renoncia- tion. Le Syndicat a soutenu que la signature par les États-Unis de la Convention sur le statut des forces du Traité de l'Atlantique Nord de 1951 [Convention entre les États parties au Traité de l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, 19 juin 1951, 199 R.U.R.T. 67] équivalait à une soumission expresse à la juridiction des tribunaux canadiens. Je ne puis souscrire à cette allégation. Le fait de souscrire aux dispositions de la Conven tion sur le statut des `forces peut équivaloir tout au plus à une renonciation implicite, mais l'alinéa 4(2)a) de la LIÉ exige la soumission expresse à la juridiction du tribunal et je ne décèle rien dans les dispositions de la Convention sur le statut des forces qui constitue une soumission expresse à la juridiction des organismes judiciaires ou quasi judiciaires. Par conséquent, l'allégation du Syndi- cat au sujet de la renonciation ne tient pas.
Dans le présent renvoi, la question de loin la plus difficile est de savoir si les affaires sur lesquel- les le Conseil a exercé sa compétence «portent sur des activités commerciales» de l'État étranger au sens de l'article 5 de la LIÉ, qui prévoit:
5. L'État étranger ne bénéficie pas de l'immunité de juridic- tion dans les actions qui portent sur ses activités commerciales.
L'article 2 de la LIÉ définit ainsi l'expression «activité commerciale»:
... Toute poursuite normale d'une activité ainsi que tout acte isolé qui revêtent un caractère commercial de par leur nature.
Le Conseil a jugé qu'il y avait activité commer- ciale et je suis d'accord, mais, ainsi que je le mentionnerai plus loin, j'entretiens des doutes quant au raisonnement qui sous-tend la conclusion du Conseil sur ce point.
Je n'ai pas besoin de m'étendre sur la doctrine de l'immunité souveraine ou des États selon le droit international public ou sur la question de savoir si les tribunaux canadiens ont favorisé une approche limitative à l'égard de cette immunité
avant l'adoption de la LIÉ'. Qu'il suffise de dire que, selon la doctrine de l'immunité souveraine qui a eu cours pendant longtemps, chaque État s'assu- rait qu'aucun État étranger ne serait poursuivi devant ses tribunaux, si ce n'est avec le consente- ment de l'État étranger. L'immunité souveraine ne consistait pas en une immunité relativement à l'application de la loi d'un autre État mais plutôt en une immunité relativement aux poursuites en justice. On disait que le fait de répondre à une enquête sur un acte de souveraineté violerait la doctrine de l'égalité des États et menacerait la dignité de l'État étranger 2 . En effet, le litige avec l'Etat étranger devait être réglé par voie diplomati- que plutôt que par un recours judiciaire'.
Mais, par la suite, la coutume internationale en matière d'immunité de juridiction a changé, et des lois nationales ont été adoptées afin de refléter ce changement d'approche 4 . Ainsi que l'a mentionné le juge Mahoney, J.C.A., les États-Unis ont adopté leur loi en 1976, suivis en cela par le Royaume-Uni en 1978 et par le Canada en 1982. Ce changement a entraîné l'abandon de la soi-disant théorie «abso- lue» de l'immunité de juridiction en faveur d'une théorie «limitative» en vertu de laquelle l'immunité de l'État étranger se limite à ses actes souverains ou publics (juri imperii) et ne s'étend pas à ses actes de nature privée ou commerciale (juri gestionis).
Dans I Congreso del Partido 5 , lord Wilberforce a formulé une observation très utile sur l'évolution relativement moderne de l'immunité restreinte lorsqu'il a dit:
' Voir Gouvernement de la République Démocratique du Congo c. Venne, [1971] R.C.S. 997; 22 D.L.R. (3d) 669 tout spécialement le juge Laskin, tel était son titre à l'époque, à la p. 1020 R.C.S.; voir également Lorac Transport Ltd. c. Atra (Le), [I987] 1 C.F. 108; (1986), 28 D.L.R. (4th) 309; 69 N.R. 183 (C.A.).
2 Voir I Congreso del Partido, [1981 ] 2 All ER 1064 (H.L.); C. Emanuelli, «L'immunité souveraine et la coutume internatio- nale de l'immunité absolue à l'immunité relative« (1984), 22 A.C.D.I. 26.
3 Voir Saint John, The Municipality of the City and County of et al. v. Fraser -Brace Overseas Corporation et al., [1958] R.C.S. 263, le juge Rand, à la p. 268.
4 Voir Williams, S.A. et de Mestral, A.L.C. An Introduction to International Law, 2 » éd. Toronto: Butterworths, 1987, p. 139 et suivantes.
5 Précité à la note 2.
[TRADUCTION] L'exception, ou la limitation, pertinente qui s'est greffée sur la doctrine de l'immunité des États, en vertu de la soi-disant «théorie limitative», découle de la volonté des États d'effectuer des opérations commerciales, ou autres opérations relevant du droit privé, avec des particuliers. Il semble que cela ait deux fondements principaux: a) Il est nécessaire dans l'intérêt de la justice que les particuliers effectuant de telles opérations avec des États puissent les soumettre aux tribunaux. b) Le fait d'exiger qu'un État réponde à une réclamation fondée sur de telles opérations n'implique pas une contestation de l'acte de cet État souverain ou une enquête sur cet acte. Il ne s'agit pas, en termes établis, d'une menace à la dignité de cet État ni d'une intrusion dans ses fonctions d'État souverain 6 .
Je reviens maintenant aux dispositions de la LIÉ et, tout particulièrement, à l'article 5 et à la définition de l'activité commerciale figurant à l'ar- ticle 2. Je voudrais ajouter deux observations à celles qu'a faites le juge Mahoney, J.C.A., sur la question de l'activité commerciale. La première se rapporte à la définition prévue à l'article 2 de la LIE de l'activité commerciale et la seconde con- cerne un avertissement au sujet du raisonnement qui sous-tend la conclusion à laquelle le Conseil a abouti en ce qui concerne l'activité commerciale.
À mon avis, la mention, dans la définition de l'activité commerciale, de tout acte qui de par sa nature revêt un caractère commercial laisse croire à une portée plus limitée de l'immunité que si on parlait du but de l'activité. Bien que la définition figurant dans la loi américaine fasse mention expressément de la nature de la poursuite de l'acte, elle continue avec l'expression «plutôt qu'en fonc- tion de son but». Mais encore une fois, ainsi que le souligne le juge Mahoney, J.C.A., la définition canadienne véhicule implicitement le même sens, c'est-à-dire qu'on se reporte au caractère des opé- rations ou des activités, non à leur but. Tenir compte aussi du but, ce serait, à mon avis, faire jouer le genre d'immunité plus large accordée en vertu de la théorie absolue traditionnelle, ce qui pourrait venir contrer le but visé par la Loi en adoptant une approche limitative de l'immunité
6 Idem, à la p. 1070; cité avec approbation par le juge Hugessen, J.C.A., dans l'arrêt Lorac Transport Ltd., précité à la note 1, à la p. 115.
comme il ressort de la LIÉ'.
En l'espèce, le caractère de l'opération ou de l'activité est commercial en ce sens que les contrats de travail conclus par les États-Unis avec les civils canadiens se trouvent au coeur de l'affaire et que la requête en accréditation dont le Conseil a été saisi porte sur cette activité commerciale au sens de l'article 5 de la LIÉ. J'admets que les contrats de travail ont pour but d'aider à la réalisation des objectifs publics des États-Unis dans l'exploitation d'une base navale, mais, ainsi qu'il a déjà été mentionné, je crois que la LIÉ et, tout particulière- ment, les dispositions de l'article 5 et la définition d'activité commerciale figurant à l'article 2 ne sanctionnent pas le but de l'activité de l'État mais nous obligent plutôt à nous concentrer sur le carac- tère de la prétendue activité commerciale en question.
Une dernière observation porte sur le raisonne- ment suivi par le Conseil pour aboutir à la conclu sion selon laquelle il y avait activité commerciale et l'immunité de juridiction ne s'appliquait pas. Le Conseil s'est appuyé grandement sur la jurispru dence américaine, étant donné, à son avis, le lien étroit qui existe entre la loi canadienne et la loi américaine. Le Conseil a déclaré:
[TRADUCTION] Dans la présente affaire, le contrat de travail des civils employés à des travaux d'entretien a donné naissance à la demande d'accréditation de l'AFPC. En supposant qu'un tel litige ait pris naissance aux États-Unis, sur une base cana- dienne, la question à trancher aurait été la suivante: un tel contrat aurait-il pu être conclu par un particulier? Si oui, on aurait décrit le contrat comme étant une activité commerciale, et la base étrangère n'aurait pas pu réclamer l'immunité de juridiction. L'embauchage d'employés civils est une activité qui peut être exercée par un particulier, contrairement à l'embau- chage «de diplomates, de fonctionnaires ou de militaires» (Foreign Sovereign Immunities Act of 1976, House Report, précité, page 6615; c'est moi qui souligne). Il s'ensuit que, conformément à la Foreign Sovereign Immunities Act de 1976,
7 Voir Molot, H.L. et Jewett, M.L. «The State Immunity Act of Canada», (1982), 20 A.C.D.I. 79; voir tout particulièrement le commentaire aux p. 96 et suivantes les auteurs examinent ]'«activité commerciale» et l'accent mis sur le «caractère» plutôt que le «but» dans la LIÉ. Les auteurs signalent que, en théorie, on a remarqué qu'un État souverain ne cesse pas d'être souve- rain parce qu'il exécute un acte que pourrait exécuter un citoyen privé. Idem, à la p. 96. Mais les auteurs notent qu'on demande maintenant aux tribunaux de faire la distinction entre les actes souverains et les actes non souverains d'un État, ou entre ses actes commerciaux et ses actes gouvernementaux, et ils poursuivent en étudiant pourquoi il est préférable de mettre l'accent sur le «caractère» et non sur le «but». Idem, aux p. 99 et suivantes.
dans des cas comme celui qui apparaît dans la demande d'accréditation, l'embauchage d'employés civils américains sur une base canadienne située aux États-Unis pourrait être consi- déré comme étant une «activité commerciale» 8 .
Bien que je sois d'accord avec la conclusion du Conseil au sujet de l'activité commerciale, je n'in- sisterais pas autant sur la question de savoir si le contrat de travail aurait pu être conclu par un particulier dans chaque cas qui pourrait se présen- ter sous le régime de la LIE. À titre d'exemple, il se pourrait bien que les fonctions d'un program- meur en informatique dans une base militaire d'un État étranger puissent être exercées par un parti- culier, mais si le travail du programmeur se rap- portait à la cueillette et à l'analyse de renseigne- ments hautement confidentiels et délicats, je doute que ces fonctions constitueraient une activité com- merciale au sens de la LIÉ au point d'abolir l'immunité de juridiction.
En résumé, je souscris à la réponse donnée par le juge Mahoney à la question posée dans le présent renvoi.
LE JUGE STONE, J.C.A.: J'y souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs de la décision rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Il s'agit dans le présent renvoi de savoir si le Conseil canadien des relations de travail, ci-après appelé «le Conseil», a commis une erreur en statuant que les États-Unis d'Amérique, ci-après appelés «les É.-U.», ne pou- vaient pas réclamer l'immunité de juridiction prévue à l'article 3 de la Loi sur l'immunité des États, L.R.C. (1985), chap. S-18, relativement à une demande d'accréditation déposée au nom de civils canadiens travaillant pour le ministère de la Défense des É.-U. à sa base d'Argentia (Terre- Neuve). Bien qu'elles aient été mentionnées, deux autres questions, qui dépendent d'une réponse négative à cette première question et portent sur un conflit de juridiction entre le Canada et Terre- Neuve, n'ont pas été débattues et feront l'objet, au besoin, d'une autre audience.
En vertu d'un bail de 99 ans accordé par la Grande-Bretagne et entré en vigueur le 27 mars
8 Dossier, à la p. 34.
1941, la marine américaine occupe et exploite une base militaire à Argentia. Le bail prévoit:
[TRADUCTION] ARTICLE I
(1) Les États-Unis ont à l'intérieur des lieux loués tous les droits et les pouvoirs nécessaires à leur établissement, à leur utilisation, à leur exploitation et à leur défense ou appropriés à leur surveillance et ils ont également à l'intérieur des limites des eaux territoriales et des espaces aériens adjacents aux lieux loués ou situés à leur proximité tous les droits et les pouvoirs nécessaires pour permettre l'accès et la défense des lieux loués ou appropriés à leur surveillance.
ARTICLE XXIX
Les États-Unis et le gouvernement du Territoire feront res- pectivement tout en leur pouvoir pour s'aider mutuellement à donner pleinement effet aux dispositions de la présente conven tion et prendront toutes les mesures appropriées à cette fin.
Pendant la durée du bail, les lois du Territoire qui porte- raient atteinte ou préjudice à quelque droit conféré aux Etats- Unis par le bail ou par la présente convention ne pourront pas s'appliquer à l'intérieur des lieux loués, si ce n'est avec le consentement des États-Unis.
En plus de leur personnel militaire et de leur personnel civil, les Etats-Unis emploient environ 60 civils canadiens à titre de pompiers et d'em- ployés d'entretien, tels que plombiers, électriciens, etc. L'Alliance de la Fonction publique du Canada, ci-après appelée «le Syndicat», a demandé à être accréditée en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, comme agent négociateur de ces employés.
La base est située à l'intérieur d'un périmètre clôturé et gardé. On y accède par une entrée sous surveillance. On y trouve un centre de communica tions, qui en est la raison d'être, des locaux d'habi- tation et un certain nombre d'édifices et d'installa- tions d'approvisionnement et de services auxiliaires. Les travailleurs canadiens, à l'excep- tion des pompiers, sont employés à l'entretien des édifices, de la clôture, du terrain, des services publics et du matériel autre que le matériel de communications. Il leur faut une habilitation de sécurité pour entrer et travailler à la base. Lors- qu'ils doivent pénétrer dans le centre de communi cations lui-même, ils le font sous escorte militaire.
Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immunité des Etats:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«activité commerciale. Toute poursuite normale d'une activité ainsi que tout acte isolé qui revêtent un caractère commercial de par leur nature.
3. (1) Sauf exceptions prévues dans la présente loi, l'État étranger bénéficie de l'immunité de juridiction devant tout
tribunal au Canada. -
4. (1) L'État étranger qui se soumet à la juridiction du tribunal selon les modalités prévues aux paragraphes (2) ou (4), renonce à l'immunité de juridiction visée au paragraphe 3(1).
(2) Se soumet à la juridiction du tribunal l'État étranger qui:
a) le fait de manière expresse par écrit ou autrement, avant l'introduction de l'instance ou en cours d'instance;
5. L'État étranger ne bénéficie pas de l'immunité de juridic- tion dans les actions qui portent sur des activités commerciales.
Il est admis que le Conseil est un «tribunal» aux fins du présent renvoi. Il s'agit seulement de savoir si les Etats-Unis ont renoncé à l'immunité de juridiction et, si tel n'est pas le cas, si l'activité au sujet de laquelle le Conseil s'est déclaré compétent constitue une activité commerciale.
Le Conseil a jugé qu'il n'y avait pas eu renoncia- tion, et cette conclusion n'a été contestée devant nous que par le Syndicat. Le Conseil a statué qu'il s'agissait d'une activité commerciale. Devant notre Cour, les États-Unis et le procureur général du Canada ont contesté cette décision tandis que le Syndicat et le Conseil l'ont défendue.
RENONCIATION
L'allégation selon laquelle les É.-U. avaient renoncé à l'immunité de juridiction est fondée sur leur adhésion à la Convention sur le statut des forces du Traité de l'Atlantique Nord de 1951, qui prévoit à l'article IX:
4. Les besoins locaux en main d'oeuvre civile d'une force ou d'un élément civil sont satisfaits de la même manière que ceux des services analogues de l'État de séjour, avec leur assistance et par l'entremise des services de la main d'oeuvre. Les condi tions d'emploi et de travail, notamment les salaires et accessoi- res de salaires et les conditions de protection des travailleurs, sont réglées conformément à la législation en vigueur dans l'État de séjour. Ces travailleurs civils employés par une force ou par un élément civil ne sont considérés en aucun cas comme membres de cette force ou de cet élément civil.
Par définition et dans les circonstances, l'expres- sion «élément civil» ne comprend pas les citoyens canadiens ni les autres personnes résidant ordinai- rement au Canada qui sont employés à la base.
Le Conseil a décidé qu'en adhérant à la conven tion de l'OTAN, les É.-U. ne s'étaient pas soumis expressément à sa juridiction, peu importe la façon plus ou moins libérale d'interpréter ce que pourrait être une renonciation. J'y souscris.
ACTIVITÉ COMMERCIALE
À une certaine époque, les États souverains jouissaient d'une immunité absolue de juridiction devant les tribunaux de common law. Lorsque, directement ou par l'intermédiaire de leurs orga- nismes, ils se sont adonnés de plus en plus à des activités commerciales, ils en sont venus à admet- tre une notion «restreinte» de l'immunité souve- raine. Le Canada, les É.-U. et la Grande-Bretagne ont, plus ou moins à la même époque, pris des mesures afin de codifier cette notion restreinte. En ce qui concerne les circonstances de l'espèce, la loi britannique, c'est-à-dire la State Immunity Act 1978 (R.-U.), 1978 chap. 33, diffère beaucoup de la loi canadienne et de la loi américaine. Elle exclut «le contrat de travail entre un État et un particulier» de la définition de l'expression «opéra- tion commerciale» mais prévoit expressément:
[TRADUCTION] 4. (I) Un État ne bénéficie pas de l'immu- nité de juridiction en ce qui concerne l'action portant sur un contrat de travail entre l'État et un particulier lorsque le contrat a été conclu au Royaume-Uni ou que le travail doit y être exécuté en tout ou en partie.
(6) Dans le présent article, l'«action portant sur un contrat de travail■ comprend l'action entre les parties à un tel contrat relativement aux droits dont elles sont investies ou aux obliga tions auxquelles elles sont soumises par la loi en tant qu'em- ployeur ou employé.
La loi américaine, c'est-à-dire la Foreign Sove reign Immunities Act of 1976, Pub. L. 94-583, 90 Stat. 2891 (1976) et ses modifications, dispose:
[TRADUCTION] 1603. Aux fins du présent chapitre
d) Une "activité commerciale" s'entend de la poursuite nor- male d'une opération commerciale ainsi que de tout acte isolé. Le caractère commercial d'une activité est déterminé en fonction de la nature de la poursuite de l'activité ou de l'acte isolé plutôt qu'en fonction de son but.
Le dernier membre de phrase «plutôt qu'en fonc- tion de son but» évoque, à mon avis, une notion qui n'est pas formulée expressément mais implicite- ment dans la définition canadienne.
Pour interpréter leur loi, les tribunaux des É.-U. ont eu recours habituellement aux observations émises par le comité judiciaire de la Chambre (House Judiciary Committee) sur la notion d'acti- vité commerciale que celui-ci avait à l'esprit en recommandant la loi au Congrès. Il est utile de les citer en entier.
[TRADUCTION] d) Activité commerciale. L'alinéa c) de l'ar- ticle 1603 définit l'expression «activité commerciale» comme incluant un large éventail, depuis l'opération commerciale isolée jusqu'à la poursuite normale d'une activité commerciale. La «poursuite normale d'une activité commerciale» comprend notamment l'exploitation d'une entreprise commerciale telle qu'une compagnie d'extraction de minerais, une compagnie de transports aériens ou une société commerciale d'État. Il est certain que, si une activité est ordinairement exercée en vue d'un profit, son caractère commercial pourrait être facilement reconnu. À l'autre extrémité de l'éventail, un simple contrat, s'il était de la même nature qu'un contrat qui pourrait être passé par un particulier, pourrait constituer une «opération isolée».
Comme l'indique la définition, le fait que les biens ou les services devant être obtenus grâce à un contrat doivent être utilisés à des fins publiques n'est pas pertinent; c'est le carac- tère essentiellement commercial d'une activité ou d'une opéra- tion qui importe. Ainsi, le contrat passé par un gouvernement étranger en vue d'acheter des approvisionnements ou du maté riel destinés à ses forces armées ou de construire un édifice gouvernemental constitue une activité commerciale. Il en serait de même du contrat conclu en vue d'effectuer des réparations à une ambassade. Ces contrats devraient être considérés comme des contrats commerciaux, même s'ils ont pour but ultime des fonctions publiques.
Par contre, la simple participation d'un État étranger à un programme d'aide étrangère géré par l'Agency for Internatio nal Development (AID) est une activité dont le caractère est essentiellement public ou gouvernemental, mais elle ne consti- tuerait pas elle-même une activité commerciale. De même, les activités d'un État étranger aux États-Unis et les «contrats» conclus avec les États-Unis résultant de ou requis par la participation à un programme de ce genre ne constitueraient pas en soi un lien commercial suffisant avec les États-Unis pour conférer la compétence voulue à leurs tribunaux (voir l'art. 1330) ou un droit d'action sur des biens qui pourraient faire l'objet d'une saisie-arrêt ou d'une saisie-exécution relativement à des opérations commerciales qui n'ont aucun rapport avec ces activités (voir l'al. 1610b)). Toutefois, une opération en vue d'obtenir des biens ou des services de particuliers ne perdrait pas son caractère qui autrement serait commercial du fait qu'elle a été conclue en liaison avec un programme de l'AID. Serait également public ou gouvernemental et non commercial par nature l'embauchage de diplomates, de fonctionnaires ou de militaires, mais non celui de citoyens américains ou de citoyens d'un pays tiers par l'État étranger aux États-Unis.
Les tribunaux disposeraient d'une grande latitude pour déter- miner ce qu'est une «activité commerciale» aux fins du présent projet de loi. Il ne nous a pas semblé judicieux d'essayer d'établir une définition très précise de cette expression, même si cela était réalisable. Des activités telles que la vente d'un service ou d'un produit, la location de biens, le prêt d'argent, l'embauchage de manoeuvres, d'employés de secrétariat ou d'agents de relations publiques ou de commercialisation ou l'investissement dans un titre d'une société américaine par, un État étranger, feraient partie de celles qui sont comprises dans la définition. House Report No. 94-1487, Congressional Record, Vol. 122, p. 6614-6615. [C'est moi qui souligne.]
Le document du Congrès mentionne également, à la page 6604, que [TRADUCTION] «le projet de loi de la Chambre fut adopté à la place de celui du Sénat».
La loi britannique, par son libellé même, et la loi américaine, d'après l'intention du législateur men- tionnée ailleurs, excluent l'immunité souveraine en ce qui concerne l'embauchage de leurs citoyens ou de leurs résidents à l'intérieur de leurs territoires par des États étrangers. Les tribunaux américains ont, dans leurs décisions, donné effet à cette inten tion du législateur en examinant les contrats indi- viduels de travail. Il suffit, à cet égard, de se reporter à la plus récente décision américaine qui, tout à fait par hasard, est celle qui se compare le plus, sur le plan des faits, à la présente affaire.
On ne nous a cité aucune décision de la Cour suprême des É.-U., mais on nous a informés qu'un bref de certiorari avait été demandé relativement à la plus récente décision rendue par la U.S. Court of Appeals for the Second Circuit dans l'affaire Goethe House New York, German Cultural Center y N.L.R.B., 869 F.2d 75 (2d Cir. 1989). La Maison Goethe (Goethe House) est un organisme culturel de la République fédérale d'Allemagne qui, entre autres, emploie du personnel non alle- mand aux É.-U. L'action intentée aux É.-U. visait à obtenir une injonction afin d'empêcher le Natio nal Labour Relations Board d'entendre plus avant une requête en représentation ou de tenir un vote de représentation pour ces employés. Au procès, la cour de district a, dans une décision publiée, 685 F.Supp. 427 (S.D.N.Y. 1988), accordé l'injonction et déclaré à la page 429:
[TRADUCTION] Le déni de l'injonction, qui aurait pour effet d'obliger la Maison Goethe à procéder au vote de représenta- tion, lui causerait sans aucun doute un tort irréparable dans le domaine délicat des relations étrangères, étant donné que la politique d'emploi de la Maison Goethe est entièrement plani- fiée par le gouvernement allemand, et pourrait entraîner des
complications diplomatiques si le syndicat remportait le vote. La Maison Goethe serait alors obligée de négocier avec le syndicat en violation d'une partie ou de la totalité des mandats du gouvernement en matière de personnel ou bien, pour obtenir une révision, il lui faudrait commettre une manœuvre déloyale d'après la National Labor Relations Act, 29 U.S.C. § 158 (a)(5), en refusant, par exemple de négocier avec le syndicat en tant que représentant des employés.
et à la page 430:
[TRADUCTION] C'est une chose que de protéger et de garan- tir un recours devant les tribunaux américains dans le cas d'un vendeur ou d'un employé américain impayé en définissant ce rapport comme étant une exception «commerciale», mais c'en est une autre que de justifier par ce moyen le droit d'un organisme des Etats-Unis d'intervenir dans la structure sous- jacente d'emploi d'une arme reconnue d'un État étranger qui ne s'adonne à aucune activité commerciale. Vient appuyer cette opinion le fait que les tribunaux qui ont jugé que l'exception de l'activité commerciale existait dans le contexte de l'emploi ont porté un tel jugement dans le cas de contrats de travail entre l'État ou l'intermédiaire étranger et un simple particulier.
La majorité des juges qui siégeaient à la Court of Appeals ont accueilli l'appel pour le motif que celui-ci était prématuré bien que, dans une remar- que incidente, ils aient exprimé un doute quant à la possibilité que la République fédérale réussisse à la fin à faire valoir son immunité de juridiction [aux pages 79 et 80].
[TRADUCTION] Pour justifier sa compétence, la cour de district a déclaré que le fait d'exiger de la Maison Goethe qu'elle se soumette à la juridiction de la NLRB pourrait empiéter sur les «objectifs d'emploi du gouvernement de l'Alle- magne de l'Ouest pour mettre en pratique sa politique étran- gère en matière culturelle» et pourrait causer des perturbations et des complications dans le domaine des relations internationa- les. À notre avis, les préoccupations de la cour de dictrict n'étaient guère fondées et ne justifiaient pas l'intervention du tribunal dans cette affaire. Même si le syndicat était reconnu comme l'agent négociateur des employés non allemands de la Maison Goethe, nous ne pouvons pas concevoir comment la présence du syndicat empiéterait sur la mise en pratique par la Maison Goethe de la politique étrangère en matière culturelle de l'Allemagne de l'Ouest. D'après la NLRA, la Maison Goethe serait tenue de négocier avec le syndicat au sujet des salaires, des heures de travail et des autres modalités d'emploi ... De plus, le fait que les employés allemands de la Maison Goethe soient actuellement syndiqués vient donner un démenti à la thèse selon laquelle la présence d'un syndicat pour les employés non allemands entraverait les activités de la Maison Goethe.
En tant qu'employeur, la Maison Goethe a la possibilité de demander une révision indirecte de l'ordonnance du conseil des relations de travail en refusant de négocier avec le syndicat si celui-ci est accrédité, et de demander alors la révision de sa position devant une cour d'appel.
Le juge dissident était entièrement d'accord avec le juge de première instance. Il vaut la peine de faire remarquer entre parenthèses que c'était pré- cisément pour éviter un tel affrontement avec les É.-U. au sujet d'une «révision indirecte» que le Conseil a soumis le présent renvoi.
La Cour de district avait fait observer que toutes les décisions judiciaires américaines qui invo- quaient l'exception de l'activité commerciale dans le contexte de l'emploi l'avaient fait relativement à des contrats de service conclus entre un État étran- ger et un simple particulier. Il faut dire la même chose de la jurisprudence qui nous a été citée.
Après un examen minutieux de la jurisprudence américaine, le Conseil en est venu à la conclusion suivante:
Vu le lien étroit qui existe entre la loi canadienne et la loi américaine, nous estimons opportun de nous inspirer de la jurisprudence américaine pour définir la notion d'activité com- merciale. Plus particulièrement, nous faisons nôtre le critère de l'activité commerciale élaboré par les tribunaux américains. Si nous appliquons ce critère à la présente affaire, nous trouvons que le contrat de travail des employés civils canadiens constitue une activité commerciale au sens de l'article 2 de la Loi sur l'immunité des États.
Le critère américain adopté par le Conseil a été formulé de façon concise par la U.S. Court of Appeals for the Second Circuit dans l'affaire Texas Trading & Mill Corp. v. Federal Republic of Nigeria, 647 F.2d 300 (2d Cir., 1981), à la page 309:
[TRADUCTION] ... en d'autres mots, s'il s'agit d'une activité dans laquelle un particulier pourrait être engagé, il n'a pas droit à l'immunité de juridiction.
Cette affaire portait sur l'inexécution de contrats de vente de ciment ainsi que de lettres de crédit y afférentes.
Je ne vois aucun motif raisonnable de faire la distinction entre les contrats d'achat de biens ou de services et les contrats de travail aux fins de la Loi sur l'immunité des États. Si celui qui fournit de l'électricité ou des provisions à la base d'Argentia peut poursuivre, et à mon avis il le peut, les E.-U. pour inexécution de contrat devant un tribunal canadien, il ne semble pas y avoir de raison pour laquelle un employé civil canadien ne devrait pas alors jouir d'un droit semblable. Toutefois, comme l'a laissé entendre le juge de première instance dans l'affaire Goethe House, l'exercice par le Con-
seil de sa compétence en matière d'accréditation va beaucoup plus loin que l'application des droits des employés et des obligations des employeurs en vertu des contrats de travail.
L'accréditation d'un agent négociateur en vertu du Code canadien du travail n'est pas une fin en soi. Elle donne des droits à l'agent négociateur accrédité et, ce qui est plus important en l'espèce, elle impose des obligations à l'employeur accrédité. Très directement, s'ils y sont invités par le Syndi- cat, les États-Unis seront tenus de négocier avec lui en vue de la conclusion d'une convention collec tive (article 48). Si ces négociations ne devaient pas aboutir à une convention collective, le Conseil peut, sous réserve de l'intervention du ministre du Travail, imposer une première convention (article 80). Je ne crois pas nécessaire d'aller plus loin dans l'énumération des obligations que le Code impose à un employeur accrédité et des pouvoirs coercitifs qui peuvent être exercés par le Conseil sur requête d'un agent négociateur accrédité.
Bien que la Loi ait supplanté la common law, le raisonnement à la base de toute mesure d'immu- nité souveraine reste le même qu'en vertu de la common law. Il a été formulé de diverses façons, mais jamais plus succinctement que par sir Robert Phillimore dans l'arrêt The Charkieh (1873), L.R. 4 Ad. & Ec. 59, la page 97.
[TRADUCTION] L'objet du droit international, dans le cas qui nous occupe comme dans d'autres domaines, n'est pas de favoriser l'injustice ni d'empêcher la satisfaction d'une juste réclamation, mais de substituer les négociations entre les gou- vernements, malgré leur lenteur et leur résultat lointain et incertain, au recours normal aux tribunaux, lorsque celui-ci porterait atteinte à la dignité des représentants d'un État étranger ou les gênerait dans leurs fonctions;
La dignité souveraine d'un État étranger semble manifestement mise en cause lorsqu'un tribunal national peut l'obliger à négocier au sujet des conditions de travail de ses employés et, si un ministre de la Couronne le permet, imposer ces conditions. C'est très différent du cas un tribu nal national appliquerait les modalités d'un contrat de travail que l'État étranger a conclu librement.
Cependant, dans le présent renvoi, il s'agit stric- tement de savoir si la requête en accréditation dont le Conseil a été saisi «porte sur une activité com- merciale» des É.-U. Ce qui est directement en cause dans une requête en accréditation, ce ne sont pas les contrats de travail des particuliers faisant
partie de l'unité de négociation projetée; ce sont plutôt le droit du syndicat requérant de négocier une convention collective pour ces employés et l'obligation pour l'employeur de négocier égale- ment. Je suis arrivé à la conclusion qu'une requête en accréditation «porte» néanmoins sur le travail des membres de l'unité de négociation projetée en vertu de contrats de services dont la conclusion constitue clairement, à mon avis, de la part des É.-U. un «acte ... qui revêt un caractère commer cial». Je ne puis rien trouver de spécial au travail effectué sur la base qui me permette de distinguer, de façon significative, le travail en cause. C'est seulement si l'on regarde au-delà de la nature du travail afin de découvrir son objectif général— satisfaire les besoins en défense des É.-U.-qu'on peut rationaliser le recours à l'immunité des Etats.
Cette conclusion me trouble. Les difficultés que j'ai rencontrées ont déjà été envisagées par James Crawford, qui enseigne le droit à l'Université d'Adélaïde, dans un article [«International Law and Foreign Sovereigns: Distinguishing Immune Transactions»] publié dans The British Year Book of International Law 1983, dans lequel il écrivait à la page 92:
[TRADUCTION] ... bien qu'il faille accorder à l'État du tribu nal compétent une certaine souplesse dans la définition d'«opé- rations commerciales», celles-ci peuvent se définir comme des contrats ou des activités industrielles ou commerciales con- nexes, qui ne sont pas des opérations régies par le droit interna tional (tels que les traités et les arbitrages internationaux publics) ni des affaires reconnues comme relevant de la juridic- tion nationale de l'État étranger. Ce dernier point indique qu'il est souhaitable de faire la distinction entre les opérations commerciales et les contrats de travail: à certains égards du moins, les relations entre un État et ses employés ou préposés relèvent de sa juridiction nationale. (La Loi sur l'immunité des États de 1982 (Can.) ne prévoit aucune disposition particulière au sujet des contrats de travail et confère ainsi compétence sur tous les contrats de ce genre qui seraient considérés comme étant des »opérations commerciales» à la condition, par exem- ple, qu'il y ait eu inexécution de contrat à l'intérieur de la juridiction. Le problème est que, à certains égards (par exemple le versement de salaires dus), ces contrats peuvent constituer des «opérations commerciales»; à d'autres égards (par exemple l'orientation ou le déplacement de fonctionnaires), ils peuvent avoir des répercussions importantes sur la gestion interne de l'État défendeur.)
J'en conclus que, si le Parlement a voulu que les États étrangers puissent invoquer l'immunité de juridiction devant le Conseil en matière d'accrédi- tation relativement au travail de citoyens cana- diens au Canada, la Loi sur l'immunité des États doit être modifiée.
CONCLUSION
Je répondrais par la négative à la première question mentionnée. Les États-Unis ne pouvaient pas réclamer l'immunité de juridiction relative- ment à la demande d'accréditation déposée par le Syndicat au nom de civils canadiens travaillant à sa base navale d'Argentia (Terre-Neuve).
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris aux pré- sents motifs.
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