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T-1780-89
Robert Austin Doyle (demandeur)
c.
Ministre du Revenu national (défendeur)
RÉPERTORIÉ : DOYLE C. M.R.N. (1 1 e inst.)
Section de première instance, juge Reed—Van- couver, 14 septembre; Ottawa, 21 septembre 1989.
Impôt sur le revenu Pratique L'art. 225.1(5) de la Loi n'exige pas qu'une lettre de suspension soit signée personnelle- ment par le contribuable Cette lettre peut être signée par le mandataire dûment autorisé du contribuable Le M.R.N. peut déléguer les pouvoirs prévus à l'art. 225.1(5) à un fonc- tionnaire du Ministère conformément aux principes de la délégation implicite.
Mandat Pratique en matière fiscale Lettre de suspen sion signée pour le contribuable par le mandataire Le pouvoir conféré est suffisant La lettre visée n'est pas exclue de l'entente sur le mandat puisqu'elle n'a pas pour effet de lier le contribuable en concluant un règlement La signature de la lettre ne fait pas partie des actes réservés aux avocats Il n'est pas nécessaire de discuter des différents arrêts sur le mandat apparent ou prétendu qui ont été cités.
En février 1987, un agent de la Division des appels de Revenu Canada a écrit au mandataire du contribuable, H.N. Thill & Associates (Thill), pour lui demander que le contribua- ble consente à ce que les procédures relatives à sa déclaration d'impôt de l'année 1984 soient suspendues jusqu'au prononcé du jugement dans d'autres affaires déjà soumises à la Cour. Un consentement a été donné à cet égard dans une lettre signée par un des administrateurs de Thill. En janvier 1989, un jugement rejetant les actions des contribuables a été rendu dans les autres affaires. Le ministre a alors acquis le droit, en vertu du paragraphe 225.1(5), de recouvrer l'impôt qu'il prétendait être dû. La situation eût été différente si aucune lettre de suspension n'avait été signée.
Tentant d'empêcher le recouvrement immédiat des montants cotisés, le contribuable a soutenu que son mandataire n'était pas habilité à signer la lettre de suspension et que, même dans l'hypothèse un tel pouvoir aurait été conféré, ce mandat serait sans effet puisque la Loi exige que l'entente prévoyant la suspension des procédures soit conclue entre le ministre et le contribuable, qui, ni l'un ni l'autre, n'avaient signé les docu ments pertinents.
Jugement: une ordonnance sera prononcée conformément aux présents motifs.
À l'examen des circonstances de l'affaire et de l'entente conclue au sujet du mandat entre Thill et le contribuable, il ne fait aucun doute que Thill a été le mandataire du contribuable et a reçu des pouvoirs suffisants pour lui permettre de signer la lettre de suspension en cause. Cette lettre ne réglait pas un litige de façon à lier le contribuable et n'était donc pas exclue de l'entente relative au mandat. Il ne peut non plus être dit que la signature de la lettre de suspension par Thill constituait un acte non autorisé qui aurait été réservé à un avocat.
Le contribuable n'était pas tenu de signer personnellement. Le paragraphe 225.1(5), qui a été invoqué par le demandeur, n'exclut pas expressément ou implicitement la possibilité que des mandataires signent pour des contribuables. Et, bien que la pratique du Ministère consistât à exiger que les lettres de suspension des procédures soient signées personnellement par le contribuable, cette façon d'agir ne peut donner lieu à une préclusion et ne saurait dicter l'interprétation qui doit être donnée aux dispositions applicables de la Loi.
Ni le ministre, ni un sous-ministre adjoint n'est tenu de signer personnellement. Il est clair que le pouvoir du ministre de conclure des ententes relatives à la suspension des procédu- res sur le fondement du paragraphe 225.1(5) est de nature à être assujetti à une règle de délégation implicite. Ce pouvoir n'est pas de ceux qui exigent une attention personnelle du ministre. Il serait certes déraisonnable d'exiger du ministre qu'il conclue personnellement une entente écrite avec quelque 1 700 contribuables concernant cette seule question. Les ententes envisagées ne concernent pas des questions délicates d'intérêt public.
Le paragraphe 225.1(5) n'est pas mentionné dans le «code législatif» de la délégation de l'article 900 du Règlement de l'impôt sur le revenu. Cela ne signifie toutefois pas que seul un sous-ministre adjoint peut agir comme délégué du ministre à l'égard de ce paragraphe: le principe de la délégation implicite édicté par la common law continue de s'appliquer. Le pouvoir général conféré aux sous-ministres adjoints n'amoindrit pas l'autorité de déléguer les pouvoirs détenus par le ministre sous
le régime du paragraphe 225.1(5) des fonctionnaires du ministère qui occupent un rang inférieur à celui de sous-minis- tre adjoint. Les principes permettant une délégation implicite s'appliquent, et ce pouvoir n'a pas été excédé par l'autorisation faite à un fonctionnaire chargé des appels de signer les lettres demandant qu'il soit consenti à la suspension des procédures.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 150(1)d) (mod. par S.C. 1985, chap. 45, art. 85; 1986, chap. 44, art. 2), 221(1)f), 225.1(5) (édicté par S.C. 1985, chap. 45, art. 116), 225.2 (édicté, idem).
Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., chap. 945, art. 900(1),(2)a) (mod. par DORS/83-797, art. 1(1)), b) (mod. par DORS/88-219, art. 1(1)), (3) (mod. par DORS/87-470, art. 1(4)), a),b), (4) (mod. par DORS/82-711, art. 1), a),b).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
PS & E Contractors Ltd. v. R. (1989), 89 DTC 5067 (C.A. Sask.); Pica (F) et al v The Queen, [1985] 1 CTC 73 (C.S. Ont.); Woon, Bert W. v. Minister of National Revenue, [1951] R.C.É. 18; (1950), 50 DTC 871.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Fortier v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C.É. 400; 69 DTC 5354; Moloney c. R. (1989), 89 DTC 5099 (C.F. 1" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Freeman and Lockyer (a firm) v. Buckhurst Park Pro perties (Mangal), Ltd., [1964] 1 All E.R. 630 (C.A.); European Asian Bank A.G. v. Punjab & Sind Bank (No. 2), [1983] 1 W.L.R. 642 (C.A.); Woodhouse AC Israel Cocoa Ltd SA y Nigerian Produce Marketing Co Ltd, [1972] 2 All ER 271 (H.L.); Jensen v. South Trail Mobile Ltd., [1972] 5 W.W.R. 7 (C.A. Alb.); Cypress Disposal Ltd. v. Inland Kenworth Sales (Nanaimo) Ltd., [1975] 3 W.W.R. 289 (C.A.C.-B.); Cumberland Proper ties Ltd. c. Canada, [1989] 3 C.F. 390; 89 DTC 5333 (C.A.); Hawitt v. Campbell (1983), 46 B.C.L.R. 260 (C.A.).
AVOCATS:
S. K. Hansen pour le demandeur.
J. Van Iperen, c.r. pour le défendeur.
PROCUREURS:
Thorsteinson, Mitchell, Little, O'Keefe & Davidson, Vancouver, pour le demandeur. Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La présente espèce soulève deux questions principales. La première est celle de savoir si le paragraphe 225.1(5) [édicté par S.C. 1985, chap. 45, art. 116] de la Loi de l'impôt sur le revenu (S.R.C. 1952, chap. 148 modifié [par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1] ainsi que les modifications qui y ont été apportées jusqu'au 25 février 1987) exige que le contribuable ait signé personnellement une lettre de suspension ou si une telle lettre peut être signée par le mandataire du contribuable pour le compte de celui-ci. La deuxième question soulevée est celle de savoir si le ministre du Revenu national est habilité à déléguer les pouvoirs qu'il détient en vertu de ce paragraphe à un fonctionnaire de son Ministère. La décision en l'espèce est susceptible de s'appliquer à un grand nombre de contribuables.
Le paragraphe 225.1(5) est ainsi libellé:
225.1.. .
(5) Par dérogation aux autres dispositions du présent article, lorsqu'un contribuable signifie, conformément à la présente loi, un avis d'opposition à une cotisation ou en appelle d'une cotisation devant la Cour canadienne de l'impôt ou la Division de première instance de la Cour fédérale et qu'il convient par écrit avec le ministre de retarder la procédure d'opposition ou la
procédure d'appel, selon le cas, jusqu'à ce que la Cour cana- dienne de l'impôt, la Cour fédérale du Canada ou la Cour suprême du Canada rende jugement dans une autre action qui soulève la même question, ou essentiellement la même, que celle soulevée dans l'opposition ou appel par le contribuable, le ministre peut prendre des mesures visées aux alinéas (1)a) à g) pour recouvrer tout ou partie du montant de la cotisation établi de la façon envisagée par le jugement rendu dans cette autre action, à tout moment après que le ministre a avisé le contri- buable par écrit que, selon le cas,
a) le jugement de la Cour canadienne de l'impôt dans l'ac- tion a été posté au ministre;
b) la Cour fédérale du Canada a rendu jugement dans l'action;
c) la Cour suprême du Canada a rendu jugement dans l'action. [Non souligné dans le texte original.]
Les faits pertinents sont les suivants. Une lettre (une [TRADUCTION] «lettre de suspension des pro- cédures») a été adressée par Revenu Canada le 25 février 1987 H.N. Thill & Associates («Thill») au sujet de Robert A. Doyle. Cette lettre deman- dait que le contribuable Doyle consente à ce que les procédures relatives à sa déclaration d'impôt de l'année 1984 soit retardées. L'on y proposait la suspension de ces procédures jusqu'au prononcé d'un jugement dans d'autres affaires déjà soumises à la Cour. Ces autres affaires soulevaient la même question que le litige entre le présent contribuable et Revenu Canada; le demandeur en l'espèce récla- mait des déductions à l'égard des paiements antici- pés de redevances qu'il avait reçues pour des licen ces autorisant l'utilisation de certains documents relatifs à la lecture rapide. L'on a renvoyé la lettre qui recherchait le consentement du contribuable Doyle à Revenu Canada en signifiant à ce Minis- tère que Doyle acquiesçait à la suspension des procédures relatives à sa cotisation. Cette lettre a été signée pour le compte de M. Doyle par M. Sinclair, un des administrateurs de Thill.
Le 20 janvier 1989, un jugement a été rendu dans les autres affaires par M. le juge Joyal: l'arrêt Moloney c. R. (1989), 89 DTC 5099 (C.F. l re inst.). Ce jugement n'était point favorable aux contribuables. Un appel a été interjeté à son égard.
Le ministre a maintenant le droit, en vertu du paragraphe 225.1(5), de recouvrer l'impôt qu'il prétend être par M. Doyle pour l'année d'impo- sition 1984. Dans l'hypothèse aucune lettre de suspension n'aurait été signée et M. Doyle aurait lui-même agi comme demandeur devant les
tribunaux dans le cadre du présent litige, le minis- tre aurait été empêché de prendre des mesures de recouvrement des impôts avant que le litige ne soit tranché en appel de façon définitive.
L'avocat de M. Doyle fait valoir les prétentions suivantes concernant la situation de son client: (1) le contribuable n'a jamais autorisé Thill à signer pour son compte une entente prévoyant la suspen sion des procédures; (2) dans l'hypothèse un tel pouvoir aurait été conféré, ce mandat serait sans effet puisque la Loi (le paragraphe 225.1(5)) exige que l'entente prévoyant la suspension des procédu- res soit conclue avec le contribuable; (3) de plus, le paragraphe 225.1(5) exige que l'entente sur la suspension des procédures soit conclue avec le ministre, alors que, en l'espèce, la lettre pertinente n'a pas été signée par le ministre; cette lettre a été signée par un agent de la Division des appels de Revenu Canada (M. Gunn).
Portée du mandat
En ce qui concerne le premier argument de l'avocat du demandeur, je ne doute aucunement que Thill ait été le mandataire du contribuable et ait reçu de Doyle des pouvoirs suffisants pour lui permettre de signer la lettre de suspension en cause. Les motifs de cette conclusion ressortiront clairement des faits suivants, qui établissent le cadre dans lequel s'inscrivent chacun des trois arguments de cet avocat.
Thill a préparé la déclaration d'impôt du contri- buable pour l'année 1983. Bien que Doyle ait signé cette déclaration lui-même, l'adresse personnelle qui est donnée en ce qui le concerne est celle de Thill. Thill a préparé la déclaration d'impôt de Doyle pour l'année 1984, et, encore une fois, l'adresse y figurant au nom de Doyle est celle de Thill. Ces faits n'ont pas une importance détermi- nante. Ils, ne font qu'établir le contexte de la présente affaire et démontrer que Doyle se fiait beaucoup à l'expertise de Thill en ce qui concer- nait la préparation et la présentation de ses décla- rations d'impôt.
Le 15 février 1985, lorsque Doyle a signé sa déclaration d'impôt de l'année 1984, il a également signé l'autorisation suivante:
[TRADUCTION] À: H. N. Thill & Associates Inc.
22-1818 avenue Cornwall Vancouver (C.-B.)
Aux fins de vous permettre de remplir les fonctions qu'il vous confie à l'égard du présent dossier, le soussigné, par les présen- tes, autorise votre société ainsi que ses fondés de pouvoir à le représenter à titre de mandataires (pour les actes qui ne sont pas réservés aux avocats ou aux membres de corporations professionnelles) auprès de Revenu Canada en ce qui concerne tout litige pouvant découler du dépôt de quelque déclaration d'impôt pour son compte ainsi que de toute cotisation ou nouvelle cotisation y faisant suite, ce mandat comprenant, dans chaque cas, le pouvoir de le lier en concluant des règlements à l'égard de tels litiges ou appels sur le fondement de directives orales ou écrites.
Vers la fin d'avril 1985, Revenu Canada a adressé une lettre à Doyle personnellement pour l'aviser que le ministre refusait les déductions qu'il avait réclamées dans sa déclaration d'impôt de l'année 1984 à l'égard des paiements anticipés de redevances relatives à des licences qui visaient des documents enseignant la lecture rapide. Cette lettre déclarait également que le ministre impose- rait le contribuable Doyle en conséquence. M. Doyle a répondu, dans une lettre en date du 30 avril 1985:
[TRADUCTION] Cher monsieur,
Je suggère que vous adressiez toutes les autres lettres visant ma déclaration d'impôt de 1984/83 la société H. N. Till [sic] & Assoc., qui m'a assuré qu'elle présenterait une opposition formelle à l'encontre de votre décision, en me faisant savoir qu'elle était mystifiée [sic] par votre exigence des trente. jours. Avec mes salutations respectueuses,
Robert A. Doyle
Thill a écrit à Revenu Canada le 3 mai 1985. En plus de lui faire parvenir une copie du mandat que M. Doyle avait signé le 15 février 1985, elle infor- mait le Ministère qu'aucune observation et aucun argument ne seraient, pour lors, présentés de la part de M. Doyle. Cette lettre demandait égale- ment au Ministère de fixer la cotisation relative à la déclaration de M. Doyle [TRADUCTION] «dès l'instant cela sera possible». Une cotisation a ensuite été établie, qui a fait l'objet d'un avis d'opposition déposé le 31 mai 1985. L'avis d'oppo- sition a été signé par le contribuable personnelle- ment. L'adresse de Thill se trouvait inscrite au titre de l'adresse du contribuable sur cet avis. Thill y était également décrite comme la [TRADUC- TION] «mandataire autorisée» du contribuable.
La question sur laquelle portait le litige relatif à la déclaration d'impôt du contribuable pour l'an- née 1984 se posait également à l'égard de 1 736 autres déclarations d'impôt. Des négociations se sont déroulées entre Thill et Revenu Canada, qui
ont convenu que quatre causes-types seraient plai- dées devant la Cour fédérale. Le fait que certaines cotisations ont été confirmées tandis que d'autres ont été maintenues en suspens au stade de l'avis d'opposition n'est pas important pour les fins de la présente espèce.
Revenu Canada et Thill n'ont alors pu s'enten- dre sur la question de savoir qui devait signer les lettres de suspension des procédures. Revenu Canada a prétendu que les lettres de suspension devaient être signées personnellement par le con- tribuable. Thill a soutenu que les mandats qu'elle détenait de ses clients lui permettaient de signer de tels documents pour leur compte. M. Gunn, de Revenu Canada, atteste les faits suivants:
[TRADUCTION] 4. À tous les moments pertinents, Thill a sou- tenu que Revenu Canada commettait une erreur en considérant que les «lettres de suspension des procédures» devaient être signées par les contribuables. Elle a donc agi en tenant pour acquis que ces lettres avaient été signées régulièrement.
5. Au cours du mois qui a suivi, j'ai préparé des lettres de suspension des procédures pour tous les avis d'opposition visés par une suspension, et je les ai adressées à Thill. J'avais indiqué à Thill, plus particulièrement à M. Bruce Benzel, que ces lettres devaient être signées par les contribuables et non par leurs mandataires.
6. Thill et ses employés n'ont à aucun moment souscrit à mon point de vue. Toutes les lettres de suspension des procédures m'ont été retournées, y compris celle qui concernait Robert A. Doyle, dont une copie, signée par Thill, est attachée au présent affidavit à titre de pièce «A».
7. À aucun moment n'ai-je contesté que Thill détienne le pouvoir d'agir comme mandataire de Robert A. Doyle.
M. Doyle déclare qu'il n'a jamais été avisé de l'existence de la lettre de suspension des procédu- res; il affirme n'avoir jamais été consulté au sujet de cette lettre et n'être au courant de son existence que depuis quelques mois. Le témoignage de Thill veut que cette société n'ait pas consulté ses clients avant de signer les lettres.
L'avocat du contribuable soutient que l'autorisa- tion du 15 février 1985 n'avait pas permis à Thill de signer la lettre de suspension des procédures. Cette lettre réglerait un litige de façon à lier le contribuable et appartiendrait à une catégorie d'ententes expressément exclues du mandat. Subsi- diairement, il est soutenu que la signature de la lettre de suspension des procédures fait partie des actes [TRADUCTION] «réservés aux avocats» et excède le mandat confié à Thill en étant expressé- ment exclue de l'entente qui autorise cette société
à représenter le contribuable. Troisièmement, même si la mesure prise par Thill ne tombait pas sous le coup des clauses d'exclusion du mandat, la signature de la lettre ne pourrait être considérée comme ayant été autorisée puisque cette action n'est pas autorisée par la stipulation établissant le mandat principal de cette entente.
Aucun de ces arguments n'est convaincant. Une lettre de suspension n'a pas pour effet de «lier [le contribuable] en concluant [un règlement]». Elle ne fait qu'arrêter le déroulement des procédures jusqu'à ce que soient tranchés d'autres litiges dont l'issue peut entraîner le règlement de la demande du contribuable. Cependant, ni la lettre de suspen sion des procédures ni l'issue des autres litiges ne détermine précisément les droits ou les responsabi- lités du contribuable ayant accepté que le litige auquel il est partie ne soit tranché qu'une fois une autre affaire résolue. Je ne crois pas non plus que la signature d'une lettre de suspension des, procé- dures par Thill faisait partie des actes [TRADUC- TION] «réservés aux avocats». Cette société agissait pour le compte de Doyle mais n'exerçait pas des pouvoirs qui n'appartiennent qu'aux avocats. Con- cernant le troisième argument de cet avocat, il a été fait référence aux paragraphes 29 et 3,1 de la Circulaire d'information CI 86-2R2, Directives à l'usage des spécialistes en déclarations Tl. Ces directives veulent que Revenu Canada exige le dépôt d'un mandat avant de discuter d'une décla- ration avec une autre personne que le contribuable concerné. Cette exigence n'influence toutefois pas l'interprétation du mandat du 15 février 1985. Cette interprétation doit se fonder sur le libellé de ce mandat. Le pouvoir conféré par les termes utilisés est très large: [TRADUCTION] «le représen- ter à titre de mandataires ... auprès de Revenu Canada en ce qui concerne tout litige pouvant découler du dépôt de quelque déclaration d'impôt pour son compte ainsi que de toute cotisation ou nouvelle cotisation y faisant suite». [Soulignement ajouté.] À mon sens, il ne fait aucun doute que ces termes englobaient la signature d'une lettre de suspension des procédures pour le compte de Doyle.
Étant parvenue à la conclusion qui précède, il ne m'est pas nécessaire de discuter des différents arrêts sur le mandat apparent ou prétendu qui ont été cités par les parties: Freeman and Lockyer (a
firm) v. Buckhurst Park Properties (Mangal), Ltd., [1964] 1 All E.R. 630 (C.A.); European Asian Bank A.G. v. Punjab & Sind Bank (No. 2), [1983] 1 W.L.R. 642 (C.A.); Woodhouse AC Israel Cocoa Ltd SA v Nigerian Produce Marke ting Co Ltd, [1972] 2 All ER 271 (H.L.); Jensen v. South Trail Mobile Ltd., [1972] 5 W.W.R. 7 (C.A. Alb.); Cypress Disposal Ltd. v. Inland Ken - worth Sales (Nanaimo) Ltd., [1975] 3 W.W.R. 289 (C.A.C.-B.); Cumberland Properties Ltd. c. Canada, [1989] 3 C.F. 390; 89 DTC 5333 (C.A.); Hawitt v. Campbell (1983), 46 B.C.L.R. 260 (C.A.).
Est-il nécessaire que le contribuable signe person- nellement?
Plus difficile est la question de savoir si le paragraphe 225.1(5) exige que le contribuable signe personnellement la lettre de suspension des procédures. Selon l'argument qui est mis de l'avant par le demandeur, le paragraphe 225.1(5) porte que le «contribuable» est celui qui doit convenir par écrit de retarder les procédures avec le ministre, de sorte qu'un mandataire ne peut être autorisé à consentir à la suspension pour le compte du contri- buable. L'avocat du défendeur a cité l'arrêt Fortier v. Minister of National Revenue, [ 1969] 2 R.C.É. 400; 69 DTC 5354, une décision qui lui est défavo- rable. Dans cette affaire, la Cour a semblé con- clure qu'une disposition exigeant qu'une copie de la décision rendue par la Commission d'appel de l'impôt soit expédiée au contribuable n'était point satisfaite par l'expédition de cette décision au mandataire de ce contribuable. L'on a également fait valoir les faits suivants: le Ministère avait toujours considéré que les contribuables devaient signer de telles lettres personnellement, et les avis d'opposition sont toujours, comme c'est le cas en l'espèce, signés par les contribuables personnelle- ment.
Premièrement, j'observe que le paragraphe 225.1(5) ne déclare pas expressément que les ententes écrites visant à retarder les procédures ne peuvent être signées par un mandataire du contri- buable. Le libellé de ce paragraphe diffère par exemple de celui de l'alinéa 150(1)d) [mod. par S.C. 1985, chap. 45, art. 85; 1986, chap. 44, art. 2], qui établit clairement que les déclarations d'im- pôt d'un particulier contribuable doivent être signées par ce particulier. Ce paragraphe n'est pas
non plus similaire à une disposition comme le paragraphe 225.2(1) [édicté par S.C. 1985, chap. 45, art. 116], qui précise au sujet de certaines mesures qu'elles doivent être prises à l'égard du contribuable personnellement à moins qu'une autre manière de procéder ne soit expressément permise.
Deuxièmement, en ce qui concerne l'arrêt For- tier, il est clair que le [TRADUCTION] «manda- taire» qu'il visait ne l'était en fait plus au moment de l'expédition de la décision de la Commission d'appel de l'impôt son mandat avait expiré. Les faits de cet arrêt ne peuvent le mettre au rang des décisions dans lesquelles un mandataire agissait pour le compte du contribuable. De plus, aux pages 400 R.C.É; 5356 DTC de son jugement, le juge Noël semble dire que l'on peut s'éloigner des dispositions de la Loi (qui exigeaient que la déci- sion soit expédiée au contribuable par la poste) à la condition que les parties y consentent expressé- ment.
Troisièmement, en ce qui a trait à la pratique du Ministère d'exiger que les contribuables signent personnellement les lettres de suspension des pro- cédures, il est clair que, ainsi que l'ont reconnu les deux avocats, elle ne peut donner lieu à une préclu- sion: Woon, Bert, W. v. Minister of National Revenue, [1951] R.C.É 18; (1950), 50 DTC 871. Il est fort possible que la position adoptée par le Ministère à cet égard procède d'une série de motifs d'ordre administratif très variés: celui de ces motifs qui pourrait être prépondérant concerne les difficultés que risque de présenter la preuve de l'existence et de la portée d'un mandat prétendu ou apparent. Quelles que soient les nécessités admi- nistratives régissant la conduite des fonctionnaires du Ministère, elles ne dictent pas l'interprétation qui doit être donnée aux dispositions applicables de la loi. En résumé, aucune jurisprudence n'a été citée qui exigerait de façon expresse ou implicite que l'utilisation du terme «contribuable» au para- graphe 225.1(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu soit interprété comme empêchant les contribuables de charger des mandataires d'agir pour leur compte pour les fins de ce paragraphe. Je ne crois pas que le terme «contribuable» au paragraphe 225.1(5) ait un sens aussi rigide que le voudrait le demandeur. À mon avis, il devrait s'interpréter comme permettant à un mandataire de signer pour
le compte d'un contribuable à la condition que le mandat soit bien établi.
Le ministre ou le sous-ministre adjoint est-il tenu de signer personnellement?
En ce qui concerne le troisième argument sou- levé par l'avocat du demandeur, personne ne con- teste que, en common law, il est fréquent que la nature des pouvoirs accordés à un ministre sous le régime d'une loi permette facilement d'induire qu'ils peuvent être sous-délégués: PS & E Con tractors Ltd. v. R. (1989), 89 DTC 5067 (C.A. Sask.), en particulier à la page 5070 (2 e colonne); Pica (F) et al y The Queen, [1985] 1 CTC 73 (C.S. Ont.). En l'absence d'une disposition au contraire dans la Loi, je ne doute point que la nature du pouvoir décrit au paragraphe 225.1(5) rende raisonnable, sinon presque obligatoire, la conclusion que la Loi est conçue de façon à per- mettre implicitement au ministre de déléguer un tel pouvoir aux fonctionnaires de son Ministère. Ce pouvoir n'est pas de ceux qui exigent une attention personnelle ou un consentement du ministre. En effet, l'idée que le ministre doive conclure une entente écrite avec quelque 1 700 contribuables (le présent litige vise à lui seul un tel groupe) semble clairement déraisonnable. Les ententes envisagées par le paragraphe 225.1(5) ne concernent pas des questions délicates d'intérêt public; elles n'ont pour objet que le traitement efficace des litiges juridi- ques par la division des appels du ministère du Revenu national et par les tribunaux. Il n'existe aucun motif valable pour lequel les ententes relati ves à la suspension des procédures devraient être personnellement signées par le ministre.
En appliquant les principes énumérés par la jurisprudence, il est clair que le pouvoir du minis- tre de conclure des ententes relatives à la suspen sion des procédures sur le fondement du paragra- phe 225.1(5) est de nature à être assujetti à une règle de délégation implicite. Toutefois, l'alinéa 221(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu auto- rise expressément l'adoption de règlements délé- guant des pouvoirs pour les fins de la Loi de l'impôt sur le revenu:
221. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
f) autorisant un fonctionnaire désigné ou une catégorie dési- gnée de fonctionnaires à exercer les pouvoirs ou remplir les fonctions du Ministre sous le régime de la présente loi,
Des dispositions réglementaires ont été édictées à cette fin. J'en cite une partie [Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., chap. 945, art. 900(1),(2)a) (mod. par DORS/83-797, art. 1(1)), b) (mod. par DORS/88-219, art. 1(1)), (3) (mod. par DORS/87-470, art. 1(4)), a),b),(4) (mod. par DORS/82-711, art. 1), a),b)]:
900. (1) Un fonctionnaire qui occupe le poste de sous-minis- tre adjoint du Revenu national pour l'Impôt peut exercer tous les pouvoirs et remplir toutes les fonctions que la Loi attribue au Ministre.
(2) Un fonctionnaire qui occupe le poste de directeur de l'Impôt auprès d'un bureau de district du ministère du Revenu national, Impôt, peut exercer les pouvoirs et remplir les fonc- tions que la Loi attribue au Ministre en vertu
a) des articles 48, 224, 224.1, 224.3 et 233 de la Loi;
b) des paragraphes 10(3) et (7), 13(6), 28(3), 45(3), 58(5), 65(3), 66(12.72), (12.73) et (14.4), 70(6), (9), (9.2) et (9.4), 74(5), 83(3.1), 85(7.1), 91(2), 93(5.1), 96(5.1), 104(2), 109(5), 110(7), 116(2), (4) et (5.2), 125(4), 126(5.1), 127(10), (10.4) et (10.5), 127.53(3), 131(1.2), 149.1(15), 150(2), 153(1.1), 159(2), (4), et (5), 162(3), 164(1.2), 190.17(3), 220(4), (4.1), (4.2) et (5), 223(1), 225.2(1), 226(1), 227(10.5), 230(1), (1.1), (3), (7) et (8), 230.1(3) (en ce qu'il vise l'application des paragraphes 230(3), (7) et (8) de la Loi), 231.2(1), 244(4) et 248(9) de la Loi;
(3) Le directeur général de la Direction des appels, le directeur de la Division des appels et renvois ou le directeur de la Division de la politique et des programmes du ministère du Revenu national, Impôt, peuvent exercer les pouvoirs et remplir les fonctions attribués au Ministre en vertu:
a) des articles 174 et 179.1 de la Loi; et
b) des paragraphes 164(4.1), 165(3) et (6) et 239(4) de la Loi.
(4) Un fonctionnaire qui occupe le poste de chef des Appels dans un bureau de district ou dans un centre fiscal du ministère du Revenu national, Impôt, peut exercer les pouvoirs et remplir les fonctions que la Loi attribue au Ministre en vertu
a) du paragraphe 165(3) de la Loi autrement qu'à l'égard d'appels interjetés à la Cour fédérale; et
b) des paragraphes 165(6) et 239(4) de la Loi.
Nulle part ces dispositions mentionnent-elles le paragraphe 225.1(5) de la Loi.
La question soulevée est donc celle de savoir si, devant ce [TRADUCTION] «code législatif» des délé- gations, le principe de la délégation implicite de la common law a encore quelque rôle à jouer. Elle consiste à savoir si, du fait que le législateur a attribué au gouverneur en conseil l'autorité voulue
pour déléguer les pouvoirs du ministre et que le gouverneur en conseil a exercé un tel pouvoir, l'on doit considérer que le législateur a voulu retirer au ministre le pouvoir de délégation implicite qui lui serait normalement dévolu.
J'observe tout d'abord que le pouvoir d'édicter des règlements que prévoit le paragraphe 221(1) est facultatif:
221. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
J) autorisant un fonctionnaire désigné ... [Soulignement ajouté.]
De plus, si les sous-ministres adjoints sont auto- risés par l'article 900 du Règlement à exercer tous les pouvoirs que la Loi attribue au ministre, plu- sieurs directeurs généraux du Ministère se trou- vent également habilités à exercer certains de ces pouvoirs. L'autorisation expresse d'exercer les pou- voirs relatifs à certains articles de la Loi qui est accordée à des fonctionnaires occupant un poste de rang inférieur à celui de sous-ministre adjoint ne diminue en rien le pouvoir général des sous-minis- tres adjoints d'exercer, eux aussi, un tel pouvoir. Cette attribution ne rendrait pas non plus le minis- tre moins apte à exercer de tels pouvoirs personnel- lement si telle était sa décision. De par leur écono- mie générale, ces dispositions ont un caractère facultatif.
Comme il a déjà été noté, l'article 900 du Règlement ne traite nulle part du paragraphe 225.1(5) de façon expresse. Je ne doute point que le pouvoir détenu par le ministre sous le régime de cet article puisse être exercé par un sous-ministre adjoint en vertu du paragraphe 900(1) du Règle- ment. Il reste à savoir si, du fait que les disposi tions du Règlement qui suivent son paragraphe 900(1) omettent de traiter expressément du para- graphe 225.1(5), l'on doit considérer qu'un sous- ministre adjoint peut seul agir comme délégué du ministre à l'égard de ce paragraphe. Je ne suis pas convaincu que tel soit le cas. Je ne suis pas con- vaincu que le pouvoir général conféré aux sous- ministres adjoints amoindrisse l'autorité de délé- guer les pouvoirs détenus par le ministre sous le régime du paragraphe 225.1(5) à des fonctionnai- res du Ministère qui occupent un poste de rang inférieur au poste de sous-ministre adjoint. Il se peut fort bien que les articles énumérés expressé- ment à l'article 900 du Règlement soient soumis à
des règles particulières et que, dans leur cas, un régime de délégation habilitant des directeurs généraux autres que ceux qui se trouvent expressé- ment identifiés dans le Règlement à exercer les pouvoirs détenus par le ministre sous le régime d'un article particulier soit invalide parce que con- traire au règlement. Cette question n'a cependant pas à être tranchée en l'espèce. Je suis d'avis que les principes permettant une délégation implicite s'appliquent au paragraphe 225.1(5) de la Loi; à mon sens, ce pouvoir n'a pas été excédé par l'auto- risation faite à M. Gunn, un fonctionnaire chargé des appels, de signer les lettres demandant qu'il soit consenti à une suspension des procédures con- formément au paragraphe 225.1(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Une ordonnance conforme aux présents motifs y fera suite.
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