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A-637-86 (T-1481-85)
Michel Brière (demandeur-intimé) c.
Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (défenderesse- appelante)
et
Procureur général du Canada (mis-en-cause)
RÉPERTORIÉ: BRIÈRE c. CANADA (COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (C.A.)
Cour d'appel, juges Marceau, Lacombe et Desjar- dins—Montréal, 1 décembre 1987; Ottawa, 15 juin 1988.
Assurance-chômage Appel d'un jugement de la Division de première instance annulant des mesures d'exécution forcée
L'intimé a fraudé la Commission entre 1974 et 1976 Avis de paiement en trop envoyé en 1981, mais non reçu par l'intimé parce qu'il avait déménagé Mesures d'exécution forcée entamées en 1985 Appel rejeté La Commission a eu raison de se fonder sur l'art. 57 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage L'art. 102 est inapplicable L'art. 120(2), portant que l'attestation d'expédition d'un avis par la poste fait foi de sa réception constitue-t-il une présomption réfutable ou irréfragable? Cette présomption s'applique- t-elle? Effet de la notification tardive.
Interprétation des lois Art. 120(2) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage L'attestation d'expédition d'un avis par la poste fait foi de sa réception Crée-t-elle une présomption réfutable ou irréfragable? Examen des ver sions anglaise et française afin de déterminer l'intention du législateur.
Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Division de première instance qui annule les mesures d'exécution forcée visant le recouvrement de prestations d'assurance-chômage touchées illé- galement. Entre 1974 et 1976, l'intimé a présenté des demandes de prestations d'assurance-chômage au nom de personnes ficti- ves. En 1981 la Commission de l'assurance-chômage lui a expédié un avis de trop-perçu de prestations, mais il ne l'a pas reçu parce qu'il avait déménagé. En 1985, la Commission a saisi le salaire de l'intimé. Le juge de première instance a décidé qu'en vertu de l'article 57 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, la Commission disposait d'un délai de six ans pour réexaminer la demande frauduleuse de prestations et d'un autre délai de six ans à compter de la date de notification du montant à rembourser, pour recouvrer le trop-perçu. L'in- timé a cependant réfuté la présomption créée par le paragraphe 120(2) selon laquelle l'attestation d'expédition d'un avis par la poste fait foi de sa réception. Étant donné que la notification n'avait pas été reçue, la Commission perdait son droit d'action et l'intimé ne lui devait plus rien. Le paragraphe 49(1) prévoit le remboursement des prestations. Le paragraphe 49(4) dispose qu'une somme due en vertu du présent article ne peut être recouvrée plus de trente-six mois après la date à laquelle l'obligation est née ou plus de soixante-douze mois à compter de
cette date dans le cas une infraction prévue à l'article 47, a été commise. En vertu de l'article 57, la Commission dispose d'un délai de trente-six mois (ou de soixante-douze mois dans le cas de fraude) pour examiner de nouveau toute demande et pour calculer la somme remboursable. L'article 102 permet à la Commission de modifier toute décision relative à une demande de prestations et ce, sans restriction quant au délai. Le juge de première instance n'a pas fait mention de l'article 102. Selon le droit commun, le droit de demander la restitution du produit d'une fraude se prescrit par trente ans à compter de la date à laquelle la fraude a été découverte. Puisque l'action a pris naissance au Québec, l'appelante s'est également prévalue de l'article 2215 du Code civil qui prévoit que les dettes envers la Couronne se prescrivent par trente ans. Le juge de première instance a rejeté cet argument pour le motif qu'une disposition particulière prévaut toujours contre une disposition générale. Les questions en litige étaient les suivantes: (1) la Commission pouvait-elle poursuivre en vertu de la Loi et, le cas échéant, est-ce que l'article 57 ou 102 s'appliquait? (2) les conditions prévues à l'article 57 avaient-elles été respectées? (étant donné que la notification n'avait pas été reçue); (3) y avait-il encore un droit d'action en droit commun? (4) le paragraphe 120(2) (qui prévoit qu'une attestation d'expédition d'un avis par la poste fait foi de sa réception) créé-t-il une présomption juris tantem ou juris et de jure?
Arrêt (le juge Marceau dissident): l'appel doit être rejeté, mais la disposition déclarant que l'intimé ne devait plus rien à l'appelante doit être radiée.
Le juge Lacombe: La question relative à la prescription était un faux problème puisque le droit d'action de l'appelante n'était pas prescrit, même par l'article 49. La poursuite de la Commis sion était justifiée par la Loi. Vu les déclarations fausses et trompeuses faites par l'intimé, ce sont manifestement les para- graphes 49(4) et 57(6) qui s'appliquaient en l'espèce, ceux-ci conférant à la Commission deux délais supplémentaires de trente-six mois chacun pour examiner de nouveau les demandes de prestations et tenter de se faire rembourser les sommes versées en trop.
La Commission était tenue d'invoquer l'article 57. L'article 102 était inapplicable. Celui-ci permet à la Commission de modifier ses décisions, mais il ne traite ni du recouvrement des prestations payées en trop ni de la prescription des demandes. Ces questions font l'objet de l'article 49, ce qui entraîne obliga- toirement l'application de l'article 57. Si la Commission se prévaut de son pouvoir de réexamen prévu à l'article 57, elle acquiert ainsi le droit de recouvrer des prestations payées en trop en vertu de l'article 49. L'article 102 ne fait pas mention des conséquences passées ou futures de la 'nouvelle décision. Selon la maxime «generalia specialibus non derogant» l'article 57 s'applique à l'exclusion de l'article 102.
L'article 102 est une disposition administrative qui peut être invoquée pour réexaminer une affaire et modifier une décision à la lumière de nouveaux faits dont la Commission, un conseil arbitral ou un juge-arbitre n'ont pas eu connaissance. La Commission jouit de pouvoirs beaucoup plus étendus en vertu de l'article 57 et elle peut, de son propre chef, modifier toute une série de demande de prestations dans un délai de trois ou de six ans. Elle peut se prévaloir du droit de réexamen prévu à l'article 57 «nonobstant l'article 102». Les pouvoirs conférés par ces deux articles ne sont pas interchangeables.
Le juge de première instance a décidé à juste titre que le paragraphe 120(2) créait une présomption réfutable ou juris tantum. En général, le droit ne favorise pas la création, surtout par voie d'interprétation judiciaire, de présomptions juris et de jure en l'absence d'un énoncé précis qui, en plus, doit être sans équivoque dans les deux langues. Le sens strict de l'expression française «fait foi» ne doit pas restreindre le sens des mots «is evidence» en anglais de manière à leur donner le sens de «is conclusive evidence». Qui plus est, lorsque le législateur a voulu créer une présomption irréfragable dans d'autres articles, il y a ajouté une qualification (par exemple, «sans autre preuve»). En outre, «notifier» signifie «faire connaître expressément». Finale- ment, la décision portant sur le droit aux prestations est sujette à un appel devant le conseil arbitral. Si le paragraphe 120(2) créait une présomption juris et de jure, un prestataire n'aurait pas droit à une prorogation de délai et perdrait ainsi son droit d'appel.
La notification du solde à rembourser devait être expédiée avant le mois de mars 1982. Le défaut de notifier l'intimé dans le délai prévu a fait perdre à la Commission son droit de recouvrement. L'avis prévu à l'article 57, qui est envoyé tardi- vement empêche tout recours fondé sur l'article 49.
Enfin, le juge de première instance a dépassé le cadre du litige en décidant que l'intimé ne devait plus rien à l'appelante. Il ne lui devait plus rien en vertu de la Loi. Le juge n'avait pas à décider si la Commission avait un recours contre l'intimé devant les tribunaux de droit commun.
Le juge Desjardins: Contrairement à l'expression anglaise «is evidence of» figurant au paragraphe 120(2), l'expression fran- çaise «fait foi de» signifie que l'attestation d'expédition par la poste constitue une preuve que l'avis a été reçu, sans autre preuve. Bien qu'il faille interpréter libéralement les dispositions relatives au droit d'une personne de toucher des prestations, il ne faut pas pour autant interpréter les dispositions administrati- ves de la Partie V de manière à favoriser systématiquement le prestataire. En créant l'article 120, le législateur avait pour but d'aider la Commission à reconnaître l'authenticité de la preuve documentaire. Il ne fait pas de doute que le paragraphe 120(2) devait créer une présomption juris et de jure. Cette présomp- tion ne s'applique cependant que «dans les délais normaux de livraison du courrier», de sorte qu'il y a des circonstances susceptibles d'empêcher son application. Elle ne peut pas s'ap- pliquer dans le cas d'une erreur d'adresse.
Le juge Marceau (dissident): L'intimé était à la fois un voleur qui a détourné les fonds de la Commission et un presta- taire qui a touché des prestations auxquelles il n'avait pas droit. Dans le premier cas, il a été obligé de rembourser la Commis sion en vertu des règles de droit commun, cette obligation subsistant jusqu'à ce que le remboursement soit effectué (sous réserve de l'article 2232 du Code civil). La Commission a choisi de poursuivre l'intimé en tant que prestataire sous le régime de l'article 57 de la Loi.
L'article 102 ne s'applique pas. Il ne peut donner lieu à une décision pouvant créer de manière indépendante et absolue, une obligation de remboursement qui soit sûre, exigible et liquide. Cela n'est possible qu'en vertu de l'article 57. En corrigeant les modalités d'une décision antérieure, une décision fondée sur l'article 102 peut faire ressortir l'existence d'une obligation de rembourser des prestations. Cependant, la seule disposition de la Loi qui permette le remboursement des prestations se trouve au paragraphe 49(4).
La Commission peut, conformément à l'article 57, examiner de nouveau une demande de prestations et faire naître une nouvelle obligation indépendante de rembourser, dans un délai précis, à compter du paiement des prestations. Il ne fait aucune mention d'une prescription extinctive d'une dette. L'expiration de délai prévu signifie seulement que la Commission ne pourra plus agir de son propre chef et créer une créance qui soit remboursable immédiatement. Elle serait obligée de passer par les tribunaux de droit commun.
La notification fixe le point de départ d'un autre délai qui est celui de la prescription extinctive de la dette; il s'agit du délai prévu au paragraphe 49(4). A partir du moment la Commis sion a fini de réexaminer une demande de prestations, elle dispose d'un délai de trois ou de six ans pour recouvrer la dette. Une notification qui n'est pas reçue par le débiteur n'a pas cet effet: la dette qui prend naissance à la suite du nouvel examen d'une demande doit quand même être éteinte après trois ou six ans.
Le paragraphe 120(2) crée une présomption absolue et irré- fragable. Autrement, l'expression ais evidence that» serait redondante puisqu'une telle présomption existe naturellement. La présomption est cependant assujettie à la condition que le destinataire soit correctement identifié, c'est-à-dire que le nom doit être rattaché à une personne physique précise habitant à l'adresse à laquelle la lettre est livrée. Le paragraphe 120(2) ne s'appliquait pas en l'espèce.
La Commission a bien respecté les délais précisés dans la Loi. Elle avait fini d'examiner de nouveau la demande au moment de l'expédition de la notification qui pouvait, par conséquent, s'appliquer au versement de prestations effectué six ans auparavant. Les mesures d'exécution avaient été initiés par lettre en date du 8 mai 1985, donc avant la date d'expiration du délai de six ans.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code civil du Bas Canada, art. 1158, 1161, 1207, 1245, 2215, 2232.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 338(1), 663(2)e).
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72 chap. 48, art. 2(1)b) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 26), 17, 49, 55(1) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 19), (9), (mod., idem), 57 (mod., idem, art. 20; 1976-77, chap. 54, art. 48) 80 (mod. par S.C. 1984, chap. I, art. 124), 94, 102, 1l1, 112 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 49) 120(2) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 35).
Loi régissant l'emploi et l'immigration, S.C. 1976-77 chap. 54, art. 10.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 38
Loi sur les langues officielles. S.R.C. 1970, chap. O-2, art. 8.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [ 1979] 1 R.C.S. 865; Food Machinery Corp. v. Registrar of Trade Marks, [1946] 2 D.L.R. 258 (C. de l'É.).
UIJIIiVI.I IUry l'AI in AVCl..
Brito c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1987] 1 C.F. 80 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Le procureur général du Canada c. Rivermont Construc tion Company, jugement en date du 21 décembre 1982, Cour supérieure du Québec, CSM 05-01 1373-782, non publié.
DÉCISIONS CITÉES:
E. H. Price Limited c. La Reine, [1983] 2 C.F. 841 (C.A.); White v. Weston, [1968] 2 Q.B. 647 (C.A.); R. c. Varnes, [1975] C.F. 425 (1" inst.); Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513; Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2; Rose (1981) CUB 6266; Miedus (1983) CUB 7983; Filion (1980) CUB 5730.
DOCTRINE
Nadeau, André et Léo Ducharme Traité de Droit civil du Québec, vol. IX, Montréal: Wilson et Lafleur, 1965.
AVOCATS:
André Champagne pour le demandeur (intimé).
Carole Bureau pour la défendresse (appe- lante).
PROCUREURS:
Lapointe, Shachter, Champagne & Talbot, Montréal, pour le demandeur (intimé). Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse (appelante).
Voici les motifs du jugement rendu en français par
LE JUGE MARCEAU (dissident): Cet appel, porté à l'encontre d'un jugement déclaratoire de première instance [(1986), 10 F.T.R. 80], présente un intérêt qui va bien au delà de la solution immédiate du différend qui oppose les parties. Il soulève en effet un problème de coordination et d'interprétation de plusieurs dispositions d'applica- tion courante de la Loi de 1971 sur l'assurance- chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48 (la Loi), de
sorte que sa considération est susceptible d'avoir une influence sur des aspects importants de la pratique administrative. Voici ce dont il s'agit.
Entre le ler octobre 1974 et le 15 mars 1976', Michel Brière, l'intimé, réussit à extorquer à la Commission-appelante une somme importante estimée à 35 588 $. Profitant de la connivence d'une employée de la Commission, il présentait sous de faux noms, et faisait accepter à l'aide de documents contrefaits, des réclamations de presta- tions de chômage payables dont il récoltait clan- destinement les redevances. L'escroquerie fut éven- tuellement mise à jour par des enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada qui, le 26 septem- bre 1977, signaient en cour criminelle, contre lui et sa complice, des dénonciations rattachées à l'arti- cle 338(1) du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34]. Brière lui-même reconnut vite sa culpabilité et, le 24 octobre 1977, il se voyait imposer par un juge de la Cour des Sessions de la Paix une sentence qui comportait entre autres (comme le permet le paragraphe 663(2)e) du Code criminel) l'obligation de rembourser à la Commission une somme de 15 000 $ dans un délai de sept jours. Sa complice choisit au contraire d'attendre et ne reconnut le bien-fondé des accusations portées contre elle que le 16 février 1981, mais elle aussi, à ce moment, fut tenue de rembourser immédiate- ment un montant à la Commission de 5 000 S.
Une fois les procédures criminelles terminées, la Commission songea à récupérer au complet les sommes dont elle avait été fraudée. Se prévalant d'une prérogative que la Loi lui donne de revenir sur des actes passés, elle annula rétroactivement, par décisions formelles datées du 25 mai 1981, toutes ces périodes de prestations fictives dont Brière avait frauduleusement profité. L'effet de ces décisions était de confirmer officiellement que l'ensemble des montants versés sur la base de ces périodes de prestation annulées constituaient un «trop-payé» sujet à remboursement. Le 29 juin 1981, la Commission adressait à Brière un avis postal le notifiant du solde restant sur ce trop- payé, après déduction des sommes que les senten ces criminelles avaient permis de récupérer, et le mettant en demeure de rembourser. Cet avis et les
Il faut appuyer sur les dates dans le récit des faits à cause de la nature du problème qui, on le verra, en est un de prescription.
trois autres qui le suivirent n'ayant eu aucune suite, la Commission décida enfin (après quatre ans!) de procéder à des mesures d'exécution. C'est ainsi que le 8 mai 1985, utilisant le pouvoir spécial qu'elle a de saisir en main tierce sans ordre de cour (articles 80 [mod. par S.C. 1984, chap. 1, art. 124] et 112 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 49] de la Loi), elle s'adressait directement à l'employeur de Brière lui demandant de retenir et de verser régulièrement au Receveur-Général du Canada, en satisfaction de sa créance, la partie saisissable du salaire de son employé. Le 2 juillet 1985, Brière s'adressait à la Division de première instance pour obtenir un jugement déclarant la saisie-arrêt opérée entre les mains de son employeur illégale et nulle, ce, au motif que la dette qu'il avait eu envers la Commission était maintenant éteinte par prescription. Jugement accédant à sa demande fut rendu le 26 septembre 1986. C'est le jugement dont l'appelante conteste ici le bien-fondé.
Avant de regarder de plus près le contenu de ce jugement, il sera utile de relire, pour les avoir présent à l'esprit, les principaux articles [articles 49, 57 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 20; 1976-77, chap. 54, art. 48), 102] de la Loi sur lesquels les parties appuyaient devant le premier juge—et appuient toujours d'ailleurs—leurs pré- tentions respectives. Je les reproduis intégrale- ment 2 .
49. (1) Lorsqu'une personne a touché des prestations en vertu de la présente loi ou de l'ancienne loi au titre d'une période pour laquelle elle était exclue du bénéfice des presta- tions ou a touché des prestations auxquelles elle n'est pas admissible, elle est tenue de rembourser la somme versée par la Commission à cet égard.
(2) Toutes les sommes payables en vertu du présent article ou des articles 47, 51 ou 52 sont des dettes envers Sa Majesté recouvrables à ce titre devant la Cour fédérale du Canada ou tout autre tribunal compétent ou de toute autre manière prévue par la présente loi.
(3) Lorsqu'un prestataire acquiert le droit de percevoir des prestations, le montant de toute dette visée aux paragraphes (1) ou (2) peut, de la manière prescrite, être retenu sur les presta- tions qui lui sont payables.
2 Quelques autres dispositions sont mises en cause comme celles relatives aux pouvoirs spéciaux d'exécution que détient la Commission (articles 80 et 112 de la Loi, tel qu'indiqué ci-haut) et un texte sur l'envoi d'avis par la poste que je citerai plus loin, mais ces articles-là ne sont pas aussi directement impliqués dans la discussion.
(4) Aucune somme due à Sa Majesté en vertu du présent article ne peut être recouvrée plus de trente-six mois après la date à laquelle l'obligation est née sauf si, de l'avis de la Commission, il a été commis à cet égard une infraction prévue par le paragraphe (1) de l'article 47, auquel cas une telle somme ne peut être recouvrée plus de soixante-douze mois après la date à laquelle l'obligation est née.
57. (1) Nonobstant l'article 102 mais sous réserve du para- graphe (6), la Commission peut, à tout moment, dans les trente-six mois qui suivent le moment des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations et, si elle décide qu'une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquel- les elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n'était pas admissible ou n'a pas reçu la somme d'argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission doit calculer la somme payée ou payable, selon le cas, et notifier sa décision au prestataire.
(2) Toute décision rendue par la Commission en vertu du paragraphe (1) peut être portée en appel en application de l'article 94.
(3) Si la Commission décide qu'une personne a reçu une somme au titre de prestations auxquelles elle n'avait pas droit ou pour une période durant laquelle elle n'était pas admissible, cette somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui est remboursable conformément à l'article 49.
(4) Si la Commission décide qu'une personne n'a pas reçu la somme au titre de prestations pour lesquelles elle remplissait les conditions requises et au bénéfice desquelles elle était admissi ble, la somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui est payable au prestataire.
(5) La date à laquelle la Commission notifie à la personne la somme calculée en vertu du paragraphe (1) comme étant remboursable en vertu de l'article 49 est, aux fins du paragra- phe (4) de l'article 49, la date à laquelle naît l'obligation de remboursement.
(6) Lorsque la Commission estime qu'une déclaration ou représentation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elle dispose d'un délai de soixante- douze mois pour réexaminer la demande en vertu du paragra- phe (1).
102. La Commission, un conseil arbitral ou le juge-arbitre peut annuler ou modifier toute décision relative à une demande particulière de prestations si on lui présente des faits nouveaux ou si, selon sa conviction, la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.
Avec ces textes à l'esprit, il sera sans doute plus facile de suivre le raisonnement du juge. Voici donc, en résumé, ses motifs.
Sitôt les faits racontés, et les textes applicables rappelés, le juge expose rapidement, en deux para- graphes, les données pertinentes qu'il tire de la
Loi. Il s'exprime comme suit (page 83):
Essentiellement, la Commission de l'emploi et de l'immigra- tion dispose de six (6) ans, dans les cas de fraude comme en l'espèce, pour réexaminer toute demande de prestations et d'un autre délai de six (6) ans, toujours dans une situation de fraude, pour recouvrer le trop-payé. Ces délais sont de rigueur. La seule question qui se pose toutefois est de déterminer le point de départ de ces délais.
Dans le cas d'un nouvel examen de demandes de prestations, le délai court à compter du moment les prestations ont été payées (cf. par. 57(1)). Si je me reporte à la preuve soumise en l'espèce, il appert que les actes frauduleux ont été commis entre le 1°" octobre 1974 et le 15 mars 1976 et donc que la Commis sion aurait, toujours en application du par. 57(1) de la Loi, jusqu'au 15 mars 1983 pour réexaminer les demandes de prestations. Passé cette date, elle ne pourrait procéder à un nouvel examen et, par voie de conséquence, serait empêchée d'effectuer des démarches pour recouvrer le trop-payé.
Puis le juge en vient à ce qu'il considère la diffi culté. Il poursuit la page 83]:
Ce qui complique singulièrement les choses ici, c'est que la Commission doit, pour interrompre la prescription et valide- ment mettre en marche le mécanisme de révision prévu à l'art. 57, notifier la personne qui a reçu des prestations en trop de l'obligation de rembourser. Cette notification, ou son absence, constitue en l'espèce la pomme de discorde. [Le souligné est du juge.]
C'est que, explique le juge, le demandeur, Brière, a nié avoir reçu l'avis que la Commission lui a fait parvenir et un avis non reçu ne saurait constituer une notification au sens de l'article 57, soit une notification propre à opérer interruption de prescription. Le noeud du litige est là, dit le juge: y a-t-il eu notification? Ce n'est pas que l'affirmation de Brière soit douteuse, s'empresse de préciser le juge: elle est confirmée par le fait qu'il ne demeurait plus à l'adresse l'avis a été envoyé. C'est qu'on pourrait se demander si cette preuve n'est pas, comme le soutiennent les procu- reurs de la Commission, interdite par ce paragra- phe 120(2) [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 35] de la Loi qui dispose comme suit:
120... .
(2) Aux fins de la présente loi et des règlements ainsi que des procédures engagées sous leur régime, un document pré- senté comme étant un certificat de la Commission ou d'un de ses fonctionnaires ou employés attestant l'expédition par la poste d'un avis, d'une demande, d'une sommation ou d'un autre document, fait foi de sa réception par le destinataire dans les délais normaux de livraison du courrier.
Mais le juge ne croit pas qu'il puisse en être ainsi; il se dit d'avis que la «présomption de réception» créée par cette disposition du paragraphe 120(2) n'est qu'une présomption simple qui laisse ouverte la possibilité d'une preuve contraire. Puisqu'il accepte la parole de Brière, il lui faut déduire de la preuve que cette notification qu'exige l'article 57 pour interrompre la prescription n'a jamais eu lieu. Et la conclusion pour lui s'impose, qu'il transcrit dans son jugement formel comme suit:
J'accueille l'action en jugement déclaratoire du demandeur et déclare que ce dernier ne doit plus rien à la défenderesse. Les saisies-arrêts en mains tierces opérées en l'espèce par la défen- deresse sont déclarées illégales et par le fait même annulées. Chaque partie supportera ses dépens.
J'ai dit au début que l'intérêt de cet appel venait de ce que les textes mis-en-cause étaient de grande portée pratique. On s'en est sans doute rendu compte. Ces textes en effet sont ceux que le Parle- ment a adoptés en considération du fait que, dans l'exercice de sa responsabilité, la Commission ne pouvait qu'être particulièrement vulnérable aux erreurs de toutes sortes, erreurs commises sponta- nément ou erreurs suscitées par des déclarations inexactes, équivoques, incomplètes ou fausses venant des bénéficiaires eux-mêmes, ou même encore, à l'occasion, erreurs résultant de manoeu vres frauduleuses venant de tiers comme ici. Il suffit pour comprendre cette vulnérabilité de songer au nombre énorme de réclamations que la Commission doit traiter quotidiennement; au fait que ce traitement doit être assuré par une armée d'officiers de tous niveaux, disséminés dans de multiples bureaux locaux; que ces officiers sont appelés à prendre parti sur la base souvent des seules déclarations des intéressés et doivent agir avec toute la célérité qu'exige le fait qu'ils ont affaire la plupart du temps à des gens autrement privés de toutes ressources. Que n'importe quelle décision susceptible d'affecter le sens et la portée de ces dispositions de la Loi sur la base desquelles la Commission peut revenir en arrière pour réparer ses erreurs, ait, pour elle, une importance primor- diale, se comprend sans peine. Et c'est manifeste- ment à une telle décision que l'appel convie.
Mais avant d'en venir à cette analyse des dispo sitions de la Loi mises en cause une remarque préliminaire s'impose. On a noté que le jugement de première instance contient une déclaration
générale de base à l'effet que l'intimé ne doit plus rien à la Commission. Je dois dire avec respect que cette déclaration est pour moi, à sa face même, clairement erronée. Il me semble indéniable que l'intimé a une obligation de remboursement envers la Commission et qu'en vertu des règles de droit commun cette obligation subsistera tant et aussi longtemps que paiement n'aura pas eu lieu puisque c'est la Reine qui est créancière à travers la Com mission et qu'on ne prescrit pas, en principe, contre la Reine (ceci dit, sous réserve de l'effet que pourrait avoir le principe de l'article 2232 du Code civil du Bas Canada à l'égard de la Couronne fédérale). C'est la façon dont la Commission s'est prise pour établir la dette et forcer son rembourse- ment qui peut faire problème. La Commission ici n'a pas procédé en intentant une action en justice devant les tribunaux de droit commun, elle s'est servi de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et des pouvoirs spéciaux qu'elle pouvait en tirer, notamment le droit de rendre elle-même sa créance exécutoire et d'en assurer le recouvrement par saisie en main tierce. C'est uniquement sur cette façon de procéder que le juge pouvait se prononcer et la question qu'il avait à résoudre était celle de savoir non pas si la dette était prescrite, elle ne l'était certes pas, mais si la Commission était encore dans les délais requis par la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage pour la faire valoir comme elle l'avait fait, c'est-à-dire d'autorité et sans autres formalités.
Je dois même dire pour ma part que je me suis demandé un moment s'il ne fallait pas reconnaître que la saisie-arrêt était illégale au motif que, dans les circonstances de l'espèce, la Commission n'était pas autorisée à recourir, pour récupérer son dû, aux dispositions exorbitantes du droit commun que contient cette Loi spéciale pour l'administration de laquelle des prérogatives spéciales lui ont été accordées. N'était-ce pas seulement lorsqu'elle avait affaire à un prestataire ou un ancien presta- taire en vertu de la Loi que la Commission pouvait utiliser ses pouvoirs extraordinaires? Je n'hésite plus maintenant car il me semble que s'il est vrai que l'intimé n'a jamais été ouvertement presta- taire, il a néanmoins touché lui-même des argents versés au titre de prestations et on ne pourrait contester à la Commission le droit de considérer qu'il a été ainsi prestataire sous des noms d'em- prunt. Il faut voir en effet que la situation de
Brière participe à la fois de celle du voleur qui détourne à son profit des fonds de la Commission et de celle du prestataire qui se fait attribuer des prestations auxquelles il n'a pas droit en faisant, sur sa condition et ses activités, des déclarations erronnées. Cette situation hybride donnait à la Commission, pour l'exercice de sa créance, un choix entre le recours aux tribunaux civils de droit commun, le seul, incidemment, qui lui soit ouvert dans le cas pur et simple de détournement de fonds, et le recours aux dispositions spéciales de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, que le Par- lement a prévues pour les cas de trop-perçus par des prestataires suite à des déclarations erronnées. La Commission aurait pu intenter des procédures en remboursement et faire la preuve de sa créance devant la Cour Supérieure, auquel cas celle-ci n'aurait certes pu décliner jurisdiction. Elle a, au contraire, choisi de faire appel à sa Loi et à l'article 57, et je ne vois pas sur quelle base on pourrait lui en dénier le droit.
Venons-en donc au problème que l'appel soulève et demandons-nous si la Commission a utilisé les textes de sa Loi en en respectant les exigences quant aux formalités requises et aux délais fixés pour leur mise en œuvre.
La première démarche qui s'impose est de déter- miner en vertu de quelles dispositions de la Loi la Commission pouvait, comme elle l'a fait, annuler rétroactivement les périodes de prestations fictives et ce faisant établir formellement l'existence d'un «trop-payé», objet d'une obligation certaine, liquide et exigible recouvrable directement par saisie- arrêt. Les procureurs de l'appelante voudraient que ce soit celles de l'article 102 qui ne contient aucune mention de délai, plutôt que celles de l'article 57 comme l'a pensé le juge. Les deux articles, font-ils remarquer, prévoient la possibilité de modifier rétroactivement une décision et les deux peuvent fort bien se voir attribuer un champ d'action autonome. En effet, alors que l'article 57, rédigé en termes généraux, permet de revenir sur n'importe quelle erreur, peu importe comment elle est survenue, l'article 102 ne peut s'appliquer que dans le cas de découverte d'un fait nouveau, ce qui explique pourquoi d'ailleurs sa disponibilité à lui n'est pas limitée dans le temps. Dans un cas comme ici les conditions d'application de l'arti- cle 102 sont manifestement présentes, affirment
les appelants, les délais n'entrent pas en ligne de compte, et il n'y a pas lieu de s'en préoccuper.
Je crois que cette suggestion des procureurs de l'appelante de faire appel à l'article 102 plutôt que 57 repose sur une façon de lire la Loi qui n'est pas correcte. L'article 102, tel que je le comprends, n'a pas de rôle à jouer ici. Cet article, qui se trouve, notons-le, dans la dernière Partie de la Loi consa- crée à des dispositions purement administratives et applicables spécialement aux appels devant le con- seil arbitral et devant l'arbitre, ne peut donner lieu à une décision susceptible de faire naître, par elle-même et de façon autonome et nouvelle, une obligation certaine, liquide et exigible de rembour- sement. Une décision sous l'article 102, en recti- fiant les termes d'une décision antérieure, peut bien avoir l'effet d'attester qu'un paiement a été fait indûment parce que basé à ce moment sur des données de faits qui étaient incorrectes ou incom- plètes ou mal perçues et par le fait même mettre en pleine lumière pour ainsi dire l'existence chez celui qui a reçu ce paiement sans droit d'une obligation de rembourser. Mais cette obligation de rembourser ne peut trouver de point d'appui dans la Loi qu'à l'article 49 qui prévoit à son paragra- phe 4 un délai ferme d'exécution qui courait depuis le paiement. C'est d'ailleurs justement parce qu'une décision sous l'article 102 n'était pas destinée à avoir d'effet sur la date de naissance de quelque obligation de rembourser ni sur le temps donné à la Commission pour en assurer l'exécution qu'il était tout à fait inutile de l'enfermer dans un délai quelconque, ou de le rattacher de quelque façon à l'article 49. Seul l'article 57 donne à la Commission le pouvoir de prononcer une décision qui par elle-même fera naître une obligation de remboursement nouvelle, certaine, liquide et exigi- ble. Le juge de première instance a eu raison de ne pas s'arrêter à l'article 102.
Ce premier point étant acquis, il faut mainte- nant se demander ce que peut venir faire le délai dont fait état l'article 57, dont je rappelle de nouveau, pour plus de commodité, les premier, troisième et dernier paragraphes:
57. (1) Nonobstant l'article 102 mais sous réserve du para- graphe (6), la Commission peut, à tout moment, dans les trente-six mois qui suivent le moment des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations et, si elle décide qu'une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquel-
les elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n'était pas admissible ou n'a pas reçu la somme d'argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission doit calculer la somme payée ou payable, selon le cas, et notifier sa décision au prestataire.
(3) Si la Commission décide qu'une personne a reçu une somme au titre de prestations auxquelles elle n'avait pas droit ou pour une période durant laquelle elle n'était pas admissible, cette somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui est remboursable conformément à l'article 49.
(6) Lorsque la Commission estime qu'une déclaration ou représentation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elles dispose d'un délai de soixante-douze mois pour réexaminer la demande en vertu du paragraphe (1).
Le savant juge de première instance, on l'a vu, considère que ce délai de trente-six ou soixante- douze mois, à l'intérieur duquel seulement la Com mission peut agir sous l'autorité de l'article 57, constitue un délai de prescription et il attribue à la notification exigée le rôle d'un acte interruptif de prescription. Il me semble, je le dis avec déférence, qu'une telle interprétation est mal conçue. Il n'y a aucune raison de ne pas laisser le texte dire stricte- ment ce qu'il dit, soit que la Commission peut librement procéder à un nouvel examen d'une demande qui a donné lieu au paiement de presta- tions et déterminer que la demande a été initiale- ment mal appréciée et traitée incorrectement, pourvu qu'elle le fasse à l'intérieur d'un certain délai après le paiement. Le texte ne parle nulle- ment d'un délai de prescription extinctive d'une dette. Sans doute peut-on dire que s'il y a vraiment eu au départ un paiement indu, à strictement parler, il y a eu aussi et en même temps naissance d'une obligation de remboursement en vertu de l'article 49. Mais, avant le nouvel examen, cette obligation, si elle existait, n'était ni liquide ni en pratique exigible puisqu'elle n'était même pas éta- blie. On peut difficilement imaginer une dette qui commencerait à se prescrire avant que son exis tence même ne soit connue. La disposition placée en contexte, est claire: tout ce qu'elle édicte c'est que la Commission a trente-six ou soixante-douze mois pour reconsidérer une demande et faire naître d'autorité, le cas échéant, une obligation nouvelle et autonome de remboursement qu'elle pourra exé- cuter par les moyens exorbitants du droit commun que la Loi a mis à sa disposition. L'écoulement de
ces trois ou six ans n'a qu'un effet: faire perdre à la Commission la possibilité de procéder d'elle-même d'autorité et de faire naître automatiquement une dette immédiatement recouvrable. Même si la Commission acquiert la certitude, par exemple, qu'elle a été trompée ou volée lors d'un paiement datant de plus de 6 ans, elle ne pourra plus avoir d'autorité et se faire justice à elle-même. Non pas certes que la Commission ait en ce cas perdu toute possibilité de récupérer et que le fraudeur puisse partir sans s'inquiéter. La Commission ne saurait perdre son recours avant même de savoir qu'elle en avait un mais elle devra maintenant s'en remettre aux tribunaux de droit commun. Il ne saurait être question ici à proprement parler d'un délai de prescription extinctive d'une dette.
Ce qui nous emmène au troisième point: quel est le rôle et l'effet de la notification requise. Bien sûr, ce n'est pas d'interrompre la prescription s'il n'y a pas vraiment de prescription qui court. C'est d'abord naturellement de compléter la procédure en avisant le prestataire de la somme dont la révision l'a rendu redevable. Mais c'est aussi—et cela nous intéresse directement—d'établir le point de départ, le «terme a quo», d'un autre délai qui lui en est un ouvertement et clairement de prescrip tion extinctive, soit celui établi par le paragraphe 49(4) de la Loi. A compter du moment a été complétée la procédure de révision établissant la dette de trop-perçu et l'obligation de rembourse- ment, la Commission a un délai fixe de trois ou six ans pour réaliser sa créance. Cette prescription extinctive joue naturellement contre la Commis sion puisque son effet est de rendre «non recouvra- ble» la dette que la procédure de révision avait établie.
Et on en arrive finalement à cette question qui est apparue au juge de première instance comme étant au coeur même du litige: quelle conséquence peut avoir une notification qui, bien que faite de bonne foi et conformément à la Loi, n'a pas atteint son but premier d'aviser le débiteur? La réponse ne fait pas de doute. Aucune conséquence ne sau- rait en résulter quant au point de départ du délai de prescription extinctive du paragraphe 49(4): la dette résultant de la révision devra s'éteindre quand même après trois ou six ans. Les seules conséquences possibles seront bien sûr des consé- quences favorisant le débiteur et on pense d'abord
au point de départ du délai d'appel du paragraphe 57(2) et ensuite, éventuellement, aux intérêts, ou encore aux frais de recouvrement, le cas échéant. En aucune façon donc y a-t-il lieu de s'en inquiéter pour ce qui nous occupe ici.
Il n'est pas besoin d'aller plus loin pour être en mesure de dégager à partir des faits de la cause la réponse à la question posée. Mais auparavant je me permettrai d'ouvrir une parenthèse pour expri- mer brièvement mon avis sur un point que le débat en première instance a élevé au rang de point crucial: je veux parler de la nature de la présomp- tion créée par le paragraphe 120(2) de la Loi dont je rappelle les termes:
1t20... .
(2) Aux fins de la présente loi et des règlements ainsi que des procédures engagées sous leur régime, un document pré- senté comme étant un certificat de la Commission ou d'un de ses fonctionnaires ou employés attestant l'expédition par la poste d'un avis, d'une demande, d'une sommation ou d'un autre document, fait foi de sa réception par le destinataire dans les délais normaux de livraison du courrier.
On a vu que, pour le juge de première instance, cette présomption créée par le paragraphe 120(2) de la Loi n'était qu'une simple présomption de droit (juris tantum) qu'une preuve contraire pou- vait détruire. Je me permettrai ici encore d'expri- mer avec respect mon désaccord. Il ne me paraît pas possible qu'il puisse s'agir d'autre chose qu'une présomption absolue et irréfragable. L'utilisation des mots «fait foi de sa réception» est à cet égard déterminante: ce sont les mots d'une règle de fond et non seulement d'une règle de preuve'. On ne voit pas d'ailleurs ce qu'ajouterait la règle s'il ne s'agissait que d'une présomption simple, une telle présomption existant naturellement, en pratique, en tant que présomption de fait résultant du simple envoi d'une lettre par courrier postal. Ce que le législateur a voulu manifestement c'est d'éviter à la Commission l'obligation,—qui pourrait devenir très lourde à cause du nombre en jeu,—de s'assu- rer que l'avis qu'elle a envoyé par la poste a bien été reçu et que son destinataire en a pris connais- sance, but qui ne serait certes pas atteint si la seule affirmation du destinataire que la lettre ne lui est pas parvenu ou qu'il n'en a pas eu connaissance devait prévaloir: la Commission ne pourrait jamais
3 Voir sur ce point: Brito c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 1 C.F. 80 (C.A.), aux p. 92 et 93.
se fier à la poste. Mais cela dit, il semble évident que la règle ne saurait jouer autrement que dans des conditions strictes. La présomption étant que l'expédition par la poste fait foi de sa réception par le destinataire, la condition essentielle est que le destinataire soit correctement identifié et, puis- qu'on parle de poste, cette identification correcte exige, non seulement un nom, mais un nom qui, à l'adresse la lettre est livrée, est susceptible d'être attribué à une personne physique précise. Cette condition est normalement facile à remplir puisqu'un réclamant est normalement tenu de fournir à la Commission l'adresse postale il reçoit son courrier (paragraphe 55(9) [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 19] de la Loi 4 ). Mais ce n'est pas une condition qui va de soi et il est évident qu'ici elle n'était pas remplie. Une remarque additionnelle cependant s'impose à ce sujet.
Pourrait-on objecter, comme l'ont suggéré les procureurs de la Commission, que si effectivement l'adresse n'était pas la bonne, c'est que Brière ne s'était pas conformé à l'obligation qu'il avait en tant que prestataire de fournir son adresse postale à la Commission. Je ne le crois pas. Je laisse tomber le fait que Brière, lui-même, sous son vrai nom et dans son individualité propre, ne s'est jamais présenté comme prestataire et donc n'a pas eu l'occasion de donner son adresse. Je dirai plus simplement que l'objection ne pourrait être perti- nente que si le défaut d'un prestataire de fournir son adresse pouvait avoir l'effet de rendre la pré- somption du paragraphe 120(2) applicable même dans le cas d'envoi à une mauvaise adresse, pourvu seulement que les officiers de la Commission aient cru de bonne foi que l'adresse était bonne. Je pense qu'une règle aussi radicale et lourde de conséquen- ces que celle établie par une présomption irréfra- gable ne saurait s'extensionner de cette façon. Le texte même du paragraphe 120(2) ne le permet pas et surtout la sanction du défaut d'un presta- taire de se conformer aux diverses exigences procé- durales prévues à l'article 55 [mod. par S.C. 1974- 75-76, chap. 80, art. 19] de la Loi, dont celle de fournir son adresse, est expressément définie au
4 Le texte se lit comme suit:
55....
(9) Tout prestataire doit, sauf autorisation contraire de la
Commission, fournir l'adresse postale de sa résidence
habituelle.
paragraphe introductif de l'article et consiste stric- tement dans la suspension de son admissibilité au bénéfice des prestations. Ce paragraphe introductif se lit en effet comme suit:
55. (1) Tout prestataire qui ne remplit pas une condition ou ne satisfait pas à une exigence prévue par le présent article n'est pas admissible au bénéfice des prestations tant qu'il n'a pas rempli cette condition ou satisfait à cette exigence.
La règle de l'article 120(2), mon avis, ne pouvait ici jouer.
Si on revient maintenant aux faits de la cause et qu'on les examine en fonction des données de la Loi telles que dégagées, on peut aisément voir, je pense, que, malgré sa lenteur, la Commission est restée à l'intérieur des délais que lui donnait la Loi.
Les prestations basées sur les demandes fictives ont toutes été versées entre le ler octobre 1974 et le 15 mars 1976. Les procédures de révision, y com- pris la notification ont été complétées le 29 juin 1981, de sorte qu'elles pouvaient atteindre tous les montants versés postérieurement au 29 juin 1975, six ans auparavant. Cela était sans doute ample- ment suffisant, étant donné que les paiements faits en satisfaction des sentences criminelles devaient automatiquement (Code civil du Bas Canada arti cle 1158 et s.) être imputés sur la partie de la dette qui était la plus ancienne. Enfin la mesure d'exécu- tion que constitue la saisie-arrêt dont il est ques tion à l'action, ayant été opérée par lettre du 8 mai 1985, est survenue avant l'expiration du délai de six ans donnée par l'article 49 de la Loi.
Ainsi, à mon avis, le jugement de première instance est mal fondé. La Cour devrait le casser et déclarer la saisie-arrêt valide et tenante.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE LACOMBE: Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Division de première instance qui a annulé les mesures d'exécution forcée prises par l'appelante pour recouvrer de l'intimé le solde du montant des prestations d'assurance-chômage qu'il avait touché illégalement.
Le 26 septembre 1977, l'intimé et sa complice étaient accusés d'avoir, entre le 1" octobre 1974 et le 15 mars 1976, fraudé l'appelante de la somme
de 35 588 $. Sur plaidoyer de culpabilité, il était condamné le 11 avril 1979 par la Cour des Ses sions de la Paix de Montréal, entre autres, à rembourser la somme de 15 000 $ à l'appelante dans un délai de sept jours. Le 16 février 1981, la même Cour condamnait sa complice à rembourser la somme de 5 000 $ dans le délai d'un an. Ces sommes ont été restituées dans les délais impartis.
Avec la complicité de sa co-accusée qui était une fonctionnaire à l'emploi de l'appelante, l'intimé avait imaginé le stratagème de présenter des demandes de prestations d'assurance-chômage au nom de différentes personnes fictives, en donnant de fausses adresses et en utilisant de fausses cartes d'assurance sociale. Il encaissait ou déposait les chèques de prestations aux divers endroits il avait ouvert des comptes bancaires au nom de chaque prestataire fictif.
Le 25 mai 1981, procédant, allègue-t-elle dans ses procédures, conformément aux articles 17, 57 et 102 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, l'appelante annula toutes les périodes de presta- tions réclamées par l'intimé et sa complice qui leur avaient permis de toucher illicitement des presta- tions d'assurance-chômage.
Le 29 juin 1981, l'appelante avisait l'intimé du solde des prestations qu'il avait à rembourser. Des mises en demeure lui furent envoyées les 15 mai 1984 et 11 février 1985. Le 28 mars 1985, un certificat était déposé à la Cour fédérale du Canada selon les dispositions de l'article 112 de la Loi, établissant que l'intimé devait la somme de 15 726,42 $ et conformément au même article, par demande à un tiers faite le 8 mai 1985, l'appelante saisissait la partie saisissable de son salaire entre les mains de son employeur. C'est alors que l'in- timé, alléguant prescription de la créance, institua une action pour faire déclarer illégales et nulles les procédures en recouvrement intentées contre lui par l'appelante.
En accueillant l'action, la division de première instance a jugé essentiellement qu'aux termes de l'article 57 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô- mage, l'appellante disposait d'un délai de six ans pour réexaminer les demandes de prestations de nature frauduleuse et qu'elle avait un autre délai de six ans pour en poursuivre le remboursement, à compter de la date à laquelle lui était notifié le
montant que l'intimé avait à rembourser. Le pre mier juge a décidé cependant que cette notification n'avait pas été effectivement reçue par l'intimé et était de ce fait inefficace pour préserver le droit d'action de l'appelante. En conséquence, il déclara que l'intimé ne lui devait plus rien et il annula la saisie-arrêt en mains tierces pratiquée sur son salaire par l'appelante.
Les dispositions pertinentes de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage sont les suivantes:
49. (1) Lorsqu'une personne a touché des prestations en vertu de la présente loi ou de l'ancienne loi au titre d'une période pour laquelle elle était exclue du bénéfice des presta- tions ou a touché des prestations auxquelles elle n'est pas admissible, elle est tenue de rembourser la somme versée par la Commission à cet égard.
(2) Toutes les sommes payables en vertu du présent article ou des articles 47, 51 ou 52 sont des dettes envers Sa Majesté recouvrables à ce titre devant la Cour fédérale du Canada ou tout autre tribunal compétent ou de toute autre manière prévue par la présente loi.
(3) Lorsqu'un prestataire acquiert le droit de percevoir des prestations, le montant de toute dette visée aux paragraphes (1) ou (2) peut, de la manière prescrite, être retenu sur les presta- tions qui lui sont payables.
(4) Aucune somme due à Sa Majesté en vertu du présent article ne peut être recouvrée plus de trente-six mois après la date à laquelle l'obligation est née sauf si, de l'avis de la Commission, il a été commis à cet égard une infraction prévue par le paragraphe (1) de l'article 47, auquel cas une telle somme ne peut être recouvrée plus de soixante-douze mois après la date à laquelle l'obligation est née.
57. (1) Nonobstant l'article 102 mais sous réserve du para- graphe (6), la Commission peut, à tout moment, dans les trente-six mois qui suivent le moment des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations et, si elle décide qu'une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquel- les elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n'était pas admissible ou n'a pas reçu la somme d'argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission doit calculer la somme payée ou payable, selon le cas, et notifier sa décision au prestataire.
(2) Toute décision rendue par la Commission en vertu du paragraphe (1) peut être portée en appel en application de l'article 94.
(3) Si la Commission décide qu'une personne a reçu une somme au titre de prestations auxquelles elle n'avait pas droit ou pour une période durant laquelle elle n'était pas admissible, cette somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui est remboursable conformément à l'article 49.
(4) Si la Commission décide qu'une personne n'a pas reçu la somme au titre de prestations pour lesquelles elle remplissait les
conditions requises et au bénéfice desquelles elle était admissi ble, la somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui est payable au prestataire.
(5) La date à laquelle la Commission notifie à la personne la somme calculée en vertu du paragraphe (1) comme étant remboursable en vertu de l'article 49 est, aux fins du paragra- phe (4) de l'article 49, la date à laquelle naît l'obligation de remboursement.
(6) Lorsque la Commission estime qu'une déclaration ou représentation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elle dispose d'un délai de soixante- douze mois pour réexaminer la demande en vertu du paragra- phe (1).
102. La Commission, un conseil arbitral ou le juge-arbitre peut annuler ou modifier toute décision relative à une demande particulière de prestations si on lui présente des faits nouveaux ou si, selon sa conviction, la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.
Le moins que l'on puisse dire de ces dispositions, c'est qu'elles ne pêchent pas par excès de clarté et de simplicité.
Le premier grief de l'appelante à l'encontre du jugement dont appel, soulève une importante ques tion d'interprétation. On reproche en effet au pre mier juge d'avoir escamoté l'article 102 de la Loi qui l'autorisait à annuler ou à modifier ses déci- sions sans lui imposer de délai ou de formalité particulière pour ce faire. Vu qu'il s'agissait pour elle non pas de recouvrer un trop-perçu de presta- tions mais de se faire restituer le solde du produit d'une fraude dont elle avait été la victime, son droit d'action contre l'intimé ne se prescrivait que par trente ans en vertu du droit commun et ce, à compter de la date à laquelle la fraude avait été découverte et ses conséquences, pleinement mesu- rées.
L'action ayant pris naissance dans la province de Québec, l'appelante invoque à l'appui de cette prétention, l'arrêt inédits, rendu le 21 décembre 1982, par monsieur le juge Hugessen, alors juge-en-chef associé de la Cour supérieure du Québec et maintenant de cette Cour, dans l'af- faire: Le Procureur général du Canada c. River- mont Construction Company, qui a décidé que
5 CSM 05-011373-782.
dans un cas de fraude, s'appliquaient à la créance de la Couronne fédérale, l'article 2215 6 , et le principe: contra non valentem agere nulla currit prescriptio, reconnu au premier alinéa de l'article 2232' du Code civil du Bas Canada.
Le premier juge a rejeté cet argument la page 85] en ces termes:
Le procureur de la défenderesse a ensuite soutenu que puisqu'il s'agissait d'un cas de fraude, la Couronne, ici représentée par la défenderesse, dispose de trente ans pour réexaminer et recou- vrer un trop-payé. Je crois que la prescription trentenaire ne s'applique qu'en l'absence de précision dans la loi particulière. C'est le régime général. Mais comme la loi habilitante prévoit clairement des délais de rigueur, je ne vois pas comment on peut soutenir un tel argument. La disposition particulière l'em- porte toujours sur une disposition générale.
Tant sur le plan de la procédure qu'au mérite même de l'argument soulevé, il n'y a pas mal- jugé de la part du premier juge. L'intimé n'avait pas été poursuivi en vertu du droit commun mais selon les procédures prévues spécifiquement à la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Son action pour jugement déclaratoire s'attaquait à la validité de ces procédures. Pour décider de l'action dont il était saisi, le juge n'avait qu'à déterminer si le recours de l'appelante était caduc aux termes mêmes de la Loi qu'elle avait invoquée pour récla- mer son dû. Tout comme le premier juge, nous n'avons pas à nous demander si l'intimé aurait pu être poursuivi en vertu du droit commun. Il ne l'a pas été. Cette question n'est donc pas présente- ment devant la Cour. Pour disposer de l'appel, il suffit de décider si l'appelante pouvait recourir à la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et si le premier juge s'est trompé en jugeant que l'appe- lante n'en avait pas observé les dispositions essentielles.
L'argument que fait valoir l'appelante est à l'effet que les articles 57 et 102 de la Loi semblent couvrir le même terrain, qui permettent d'une part à la Commission d'«examiner de nouveau toute
6 2215. Les arrérages de rentes, prestations, intérêts et reve- nus, et les créances et droits appartenant à Sa Majesté non déclarés imprescriptibles par les articles qui précèdent, se pres- crivent par trente ans.
Les tiers-acquéreurs d'immeubles affectés à ces créances ne peuvent se libérer par une prescription plus courte.
7 Art. 2232. La prescription court contre toutes personnes, à moins qu'elles ne soient dans quelque exception établie par ce code, ou dans l'impossibilité absolue en droit ou en fait d'agir par elles-mêmes ou en se faisant représenter par d'autres.
demande au sujet de ces prestations» et d'autre part, d'«annuler ou modifier toute décision relative à une demande particulière de prestations». Ces deux dispositions feraient double emploi, du moins en partie, et cette redondance aurait été voulue par le législateur à des fins spécifiques. L'article 102 lui resterait ouvert justement parce qu'il ne prévoit aucun délai pour son application alors que l'article 57 est assorti de contraintes et de formalités parti- culières. Selon la Commission, cet article a au moins l'effet de lui préserver, dans les cas de fraude comme en l'espèce et ce, même dans les cadres de l'application de la Loi, le bénéfice de la longue prescription de l'article 2215 et du principe énoncé à l'article 2232 du Code civil du Bas Canada.
Cet argument est insoutenable. Dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, le Parlement a légiféré pleinement sur le droit de répétition des prestations d'assurance-chômage versées en trop et sur la prescription des créances qui en résultent pour le compte de la Couronne, dont la Commis sion est mandataire s. Les dispositions pertinentes de la Loi constituent en elles-mêmes un code com- plet qui, lorsque la Commission s'en prévaut, régis- sent l'établissement et le recouvrement de ses créances à l'exclusion des règles du droit commun. Comme il n'est fait nulle mention dans la Loi que l'on puisse y recourir additionnellement aux pres criptions qu'elle renferme, il apparaît des termes du deuxième paragraphe de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10 9 , que ne pouvaient s'appliquer à l'ins- tance les dispositions du Code civil du Bas Canada en matière de prescription des actions de la Couronne' °.
8 Loi régissant l'emploi et l'immigration, S.C. 1976-77, chap. 54, art. 10.
9 38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre sujets dans une province s'appliquent à toute procédure devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance dans cette province et une procédure devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance ailleurs que dans une province doit être engagée au plus tard six ans après que la cause d'action a pris naissance.
(2) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions désignées au para- graphe (1) s'appliquent à toutes procédures engagées par ou contre la Couronne.
10 E. H. Price Limited c. La Reine, [1983] 2 C.F. 841 (C.A.).
Même dans l'hypothèse de l'application de l'arti- cle 102, le droit d'action qui aurait pu résulter de la décision de la Commission d'annuler toutes les périodes de prestations versées à l'intimé, ne pou- vait être assujetti à la prescription trentenaire. D'ailleurs, la question de la prescription est un faux problème dans la présente cause. Le droit d'action de l'appelante n'était pas prescrit au sens rigoureux du terme même au désir de l'article 49 de la Loi; c'est l'application de l'article 57 ou de l'article 102 de la Loi qui a fait problème. Il faut donc voir si, compte tenu des circonstances parti- culières de l'intimé, la Commission pouvait procé- der contre lui en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, et dans l'affirmative, si elle devait recourir à l'article 57 plutôt qu'à l'article 102 pour établir sa créance.
Selon l'alinéa 2(1)b) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 26] de la Loi, un prestataire est défini comme «une personne qui demande ou qui a demandé des prestations en vertu de la présente loi». Il est indéniable que dans la période du 1" octobre 1974 au 15 mars 1976, même s'il l'a fait sous de faux noms, l'intimé a demandé des presta- tions en vertu de la Loi, et c'est en vertu de cette même Loi que la Commission lui a versé des sommes qui ne pouvaient être autre chose que des prestations d'assurance-chômage. Pour soutirer ainsi des prestations de la Commission, l'intimé a présenté des réclamations fictives au nom de pres- tataires qui n'existaient pas. Pour réussir à frauder la Commission pendant toute cette période, il a faire autant de déclarations ou représentations fausses et trompeuses qu'il a touché de prestations, comme tout autre «faux» chômeur qui en son nom réclame frauduleusement des prestations auxquel- les il n'a pas droit, en déclarant faussement et de propos délibéré avoir été en situation de chômage, alors qu'il ne l'était pas. Le cas est nettement visé par les paragraphes 57(6) et 49(4) de la Loi qui donnent à la Commission des délais additionnels de trente-six mois chacun pour réexaminer les demandes et poursuivre le remboursement de pres- tations qui originent de déclarations ou représenta- tions fausses ou trompeuses. Ainsi donc, dès lors qu'il s'agit pour la Commission de procéder en vue du recouvrement de sommes qu'on lui a subtilisées et qu'elle a versées au titre de prestations d'assu- rance-chômage, quelqu'ait pu être la nature des manoeuvres frauduleuses utilisées pour les obtenir
ou la gravité des déclarations ou représentations fausses ou trompeuses faites pour les extorquer, il lui est loisible d'avoir recours à la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. C'est d'ailleurs de cette façon que la Commission a procédé contre l'in- timé. Elle l'a considéré comme un prestataire et lui a réclamé le solde de ce qu'il lui était en se servant des mécanismes prévus à la Loi. Il ne saurait faire de doute que la Commission pouvait, dans les circonstances, se prévaloir de cette Loi. La question à résoudre est de savoir si, ce faisant, elle s'est conformé à toutes ses exigences. Plus spécifi- quement, pouvait-elle procéder indifféremment et à son gré selon l'article 102 ou l'article 57 ou était-elle plutôt astreinte aux délais et formalités édictés par ce dernier article?
De l'analyse de la Loi de 1971 sur l'assurance- chômage, certaines constatations s'imposent à l'es- prit. Si l'article 102 permet à la Commission de réviser ses décisions, il ne traite nullement du recouvrement et de la prescription des créances de la Commission qui résultent du trop-payé versé à des prestataires. Ces questions font l'objet de dis positions précises à l'article 49, qui entraînent forcément l'application de l'article 57. Par le jeu des paragraphes 57(3) et 57(5), le droit au recou- vrement du trop-perçu et ses modalités d'exercice établis à l'article 49 sont tributaires du pouvoir conféré à la Commission par le paragraphe 57(1) de réexaminer les demandes de prestations et nul- lement du pouvoir qu'elle a de réviser ses décisions en vertu de l'article 102.
Le pouvoir de réexamen de l'article 57 a une finalité spécifique propre. Son exercice par la Commission crée en sa faveur un droit de répéti- tion du trop-perçu des prestations ou l'obligation pour elle de verser celles qu'elle avait déjà refusées (paragraphe 57(4)). D'un autre côté, l'article 102 ne parle pas de l'effet pour l'avenir et des consé- quences pour le passé que peut avoir la nouvelle décision sur ce qui a été fait ou n'a pas été fait en vertu de l'ancienne. Le pouvoir spécifique de réexaminer toute demande de prestations en vue d'établir un trop-perçu excipe du pouvoir général de la Commission de réviser ses décisions relatives à des demandes particulières de prestations. Selon le principe: generalia specialibus non derogant, l'article 57 s'applique à l'exlusion de l'article 102 et la Commission doit procéder en vertu du pre-
mier article si sa nouvelle décision la mène par exemple à devoir exiger le remboursement du trop- perçu des prestations, un pouvoir qui ne découle pas de l'exercice de son droit de réviser ses déci- sions en vertu de l'article 102.
L'article 57 ne peut être séparé de l'article 49; les deux articles sont intimement liés. C'est et nulle part ailleurs que le législateur a parlé du droit de recouvrement des prestations payées en trop et de la prescription des créances qui en découlent; questions qui relèvent du droit substan- tif et non de la procédure. Il est sans doute signifi- catif de voir les articles 49 et 57 dans la Partie II de la Loi, qui traite des prestations d'assurance- chômage dans tous leurs aspects, alors que l'article 102 se trouve à la Partie V intitulée DISPOSITIONS ADMINISTRATIVES, qui régit surtout des questions de procédure proprement dite, tels les appels devant le conseil arbitral et devant le juge-arbitre, les enquêtes de la Commission, l'exécution des jugements, etc.
Il importe aussi de noter que l'article 102 s'ap- plique tant aux décisions de la Commission qu'à celles d'un conseil arbitral ou d'un juge-arbitre. On voit mal qu'un délai de prescription puisse être pertinent aux décisions de ces derniers. La notion de prescription se rattache forcément à l'exercice d'un droit d'action ou au recouvrement d'une créance et non au pouvoir d'un organisme de révi- ser ses propres décisions. L'article 102, en autant qu'il se rapporte à la Commission, semble avoir une vocation différente et plus modeste que les objectifs visés aux articles 49 et 57 de la Loi. Le pouvoir de révision conféré à la Commission doit être de même espèce, c'est-à-dire de nature procé- durale, que le même pouvoir qui est accordé au conseil arbitral ou au juge-arbitre. Il autorise la révision de «toute décision relative à une demande particulière de prestations», lorsque des faits nou- veaux sont révélés ou qu'un fait essentiel pré-exis- tant apparaît qui puisse infléchir la première déci- sion. Si l'un ou l'autre des trois organismes mentionnés devait, par exemple, décider d'une demande dans l'ignorance d'un document ou d'un renseignement important ou sans qu'une partie intéressée ait pu faire valoir son point de vue, l'article 102 lui permet de ré-ouvrir le dossier et de corriger la situation, lorsqu'après coup, on lui signale ou il découvre lui-même cette anomalie.
En revanche, sujets à l'appel devant le conseil arbitral, les pouvoirs de la Commission sont beau- coup plus vastes et sa discrétion administrative plus étendue aux termes de l'article 57. Cette disposition l'autorise à revoir a posteriori sur une période de trois ou six ans selon le cas, toute une série de demandes de prestations et de décider à nouveau de sa propre initiative de l'admissibilité aux prestations, en vue de leur retirer, le cas échéant, ses approbations antérieures et d'exiger des prestataires le remboursement de ce qui avait été valablement payé en conséquence.
Il faut enfin faire remarquer que le paragraphe 57(1) de la Loi commence par les mots: «Nonob- stant l'article 102 mais sous réserve du paragraphe (6)». Ce membre de phrase de même que tout le paragraphe (6) ont été ajoutés à la Loi en 1977 par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 48.
Par l'ajout du paragraphe (6) en 1977, la Com mission s'est vu octroyer un délai de trois années additionnelles pour réexaminer les demandes de prestations dans les cas, qu'elle détermine elle- même, de déclarations ou représentations fausses ou trompeuses. Dans tous les cas, cependant, le pouvoir de réexamen de l'article 57 peut être exerçé «nonobstant l'article 102», c'est-à-dire, malgré, en dépit, sans être empêché par l'article 102, selon la définition que les dictionnaires don- nent au mot «nonobstant». Le texte même du paragraphe 57(1) semble bien indiquer que ce pouvoir de réexamen est beaucoup plus large, à tout le moins tout à fait différent du pouvoir de révision de l'article 102. Ils ne sont pas interchan- geables et ne peuvent être utilisés indifféremment par la Commission selon les circonstances. Par exemple, elle ne pourrait invoquer l'article 102, lorsqu'elle est en dehors des délais de l'article 57 pour agir, ou qu'elle n'a pas été en mesure d'en observer toutes les formalités, dont celle relative à la notification au prestataire.
Comme autre moyen d'appel, l'appelante fait état des erreurs que le premier juge aurait commi- ses en décidant de la question de la notification prévue à l'article 57 de la Loi. On se rappellera que le 29 juin 1981, l'appelante a fait tenir par la poste à l'intimé un avis de trop-perçu à sa dernière adresse connue. Cet avis portait le certificat d'ex- pédition par la poste prévu au paragraphe 120(2) de la Loi. Le premier juge a décidé que cette
disposition créait une présomption légale simple ou juris tantum qui pouvait être combattue par une preuve contraire.
Selon la preuve faite devant lui, il a jugé que l'intimé avait réussi à renverser la présomption établie au paragraphe 120(2) de la Loi. La preuve a en effet révélé que l'adresse l'avis lui fut envoyé était celle figurant à son dossier criminel lorsque la Cour des Sessions de la Paix de Mont- réal lui avait imposé sa sentence le 11 avril 1979, qu'il n'avait jamais reçu l'avis en question, ayant changé d'adresse pour une autre ville l'année sui- vante, le juge estimant que l'appelante n'avait pas fait de démarches sérieuses pour le retracer avant 1984, ce qu'elle avait réussi facilement à faire pour lui envoyer une mise en demeure le 15 mai 1984.
S'appuyant sur la cause de White v. Weston, [1968] 2 Q.B. 647 (C.A.), la signification de procédures judiciaires à l'ancienne adresse d'un défendeur fut jugée invalide, le premier juge a décidé que l'appelante avait l'obligation de «s'assu- rer de la bonne adresse de celui à qui une somme d'argent est réclamée» pour conclure la page 86 F.T.R.] :
En effet, l'avis du 29 juin 1981 envoyé par la défenderesse à l'ancienne adresse du demandeur, adresse qui n'était plus la sienne depuis deux (2) ans à ce moment-là, ne peut en aucun cas être considérée comme étant une bonne et valable notifica tion aux termes du paragraphe en question de la Loi. [57(1)]. A défaut de cette notification dans les six (6) ans du trop-payé, il ne peut y avoir de recouvrement. C'est aussi simple que cela, la défenderesse a perdu son droit d'agir par sa faute et elle n'a qu'elle-même à blâmer.
Les paragraphes 120(1) et (2) de la Loi se lisent comme suit:
120. (1) Dans des procédures engagées en vertu de la pré- sente loi,
a) un document présenté comme étant une résolution, un procès-verbal ou autre document de la Commission, un autre document utilisé en application de la présente loi ou une copie de l'un d'eux, et comme étant certifié par un commis- saire ou le secrétaire de la Commission,
b) un document présenté comme étant l'original, une copie ou un extrait
(i) d'un document dont la Commission a la garde ou d'un document établi en vertu de la présente loi, ou
(ii) d'une inscription dans les livres ou registres dont la Commission a la garde,
et comme étant certifié par la Commission ou un fonction- naire nommé ou employé en application de la présente loi.
c) un document présenté comme étant certifié par la Com mission ou un fonctionnaire nommé ou employé en applica tion de la présente loi, et indiquant un montant de cotisations payées, payables ou dues ou de prestations ou une autre somme versée à une personne ou due par elle,
d) un document présenté comme étant l'original, une copie ou un extrait de tout ou partie des registres du personnel et des salaires, feuilles de paie, grands-livres, comptes ou autres livres ou documents d'un employeur et comme étant certifié par un inspecteur ou un fonctionnaire nommé ou employé en application de la présente loi auquel ils ont été produits en vertu de la présente loi,
fait foi des faits y indiqués sans qu'il soit nécessaire de prouver l'authenticité de la signature ni la qualité officielle de la personne paraissant l'avoir signé et sans autre preuve.
(2) Aux fins de la présente loi et des règlements ainsi que des procédures engagées sous leur régime, un document pré- senté comme étant un certificat de la Commission ou d'un de ses fonctionnaires ou employés attestant l'expédition par la poste d'un avis, d'une demande, d'une sommation ou d'un autre document, fait foi de sa réception par le destinataire dans les délais normaux de livraison du courrier.
Le paragraphe 120(2) de. la Loi édicte donc que l'attestation de l'expédition par la poste d'un avis ou autre document fait foi de sa réception par le destinataire aux fins de la Loi et des procédures engagées sous son régime.
Pour appuyer sa proposition que l'expression «fait foi de sa réception» veut dire «atteste sans possibilité de contestation que le document a été reçu», l'appelante cite l'arrêt de cette Cour rendu dans l'affaire Brito c. Canada (Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration), [1987] 1 C.F. 80 (C.A), il fut jugé que l'utilisation d'une expression semblable dans une disposition autorisant l'émis- sion d'un certificat en vertu de la Loi sur l'immi- gration de 1976" constituait une preuve con- cluante et irréfragable de ce qui y était affirmé. Cette affaire se distingue nettement des données essentielles de la présente cause, au point de rendre la décision inapplicable à l'espèce.
Il s'agissait d'une attestation ministérielle à l'effet que pour des raisons de sécurité et de crimi- nalité que la Loi par ailleurs interdisait de divul- guer, la personne désignée était inadmissible au Canada. La Loi elle-même laissait à la seule dis- crétion ministérielle le pouvoir de déterminer dans certains cas l'inadmissibilité au Canada de certai- nes catégories d'immigrants. La personne en cause voulait contester devant un arbitre l'opinion, attes-
" S.C. 1976-77, chap. 52.
tée dans un certificat, que s'étaient formés les ministres à l'effet que sa présence au Canada serait préjudiciable à l'intérêt national. Il allait de soi dans les circonstances que la Cour attribuât au certificat une force probante définitive qui liait l'arbitre, aux motifs que la version anglaise de la disposition législative disait que «the certificate is proof of the matters stated therein» et surtout que la version française se lisait «fait foi de son contenu».
Ici, l'expression «fait foi de sa réception)> est rendu en anglais par les mots: «is evidence that the notice ... was received». Il semble y avoir une différence entre «is proof» et «is evidence». Dans The Dictionary of English Law, par Earl Jowitt, London: Sweet & Maxwell Limited, 1959, on lit à la page 1425:
Preuve (proof) ...
[TRADUCTION] En ce qui concerne le droit de la preuve, une allégation de fait est censée être prouvée lorsque le tribunal est convaincu de sa véracité, et les éléments qui produisent ce résultat s'appellent preuve.
Le mot «proof» est donc le résultat d'une preuve «evidence», qui a valeur de force probante défini- tive. Il ne faut pas oublier aussi que la loi en général ne favorise pas la création, surtout par interprétation judiciaire, de présomptions légales, à plus forte raison, celles juris et de jure, sans un texte précis qui au surplus doit être sans équivoque dans les deux langues. Elles sont de droit étroit et vu les conséquences draconiennes qu'elles entraî- nent, toute disposition visant à les établir doit être interprétée restrictivement 12 Le sens absolu de l'expression «fait foi» en français ne doit pas restreindre le sens plus aléatoire des mots «is evi dence» en anglais comme s'ils se lisaient: «is con clusive evidence» 13 . Il est intéressant de noter que, par exemple, les actes authentiques au Québec «font preuve de leur contenu» («make proof of their contents») et que «l'aveu judiciaire fait pleine
12 Nadeau, André et Léo Ducharme Traité de Droit civil du Québec, vol. IX, Montréal: Wilson et Lafleur, 1965, 542, p. 438.
" Voir: R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865 l'on a jugé que le mot «disposed of» des Règlements de l'impôt sur le revenu [C.P. 1954-1917], ne devait pas être restreint par le mot «aliéné» dans le texte français.
foi contre celui qui l'a fait» (ais complete proof») 13 .
Il faut aussi considérer le contexte législatif dans lequel l'expression «fait foi» a été utilisée dans les deux lois en cause. Cet aspect n'a pas échappé au juge Marceau qui écrivait à la page 93 dans l'affaire Brito:
Tel que je lis les textes en cause et comprends le contexte dans lequel ils s'insèrent, le Parlement n'envisageait pas qu'un certificat émis sous le paragraphe 39(1) puisse faire l'objet d'une contestation et donner ouverture à une enquête de carac- tère judiciaire.
Dans la Partie V—DISPOSITIONS ADMINISTRA- TIVES de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, on trouve plusieurs dispositions, par exemple aux articles 111 et 120, l'expression «fait foi de»/«is evidence of» est utilisée avec ou sans qualification pour régler de simples questions de preuve. Lors- que le Parlement a voulu donner un caractère irréfragable à la présomption légale ainsi créée, il a ajouté à l'expression «fait foi», des mots pour le dire. Par exemple, au paragraphe 111(9), un affi davit d'un fonctionnaire annexant un document ou une copie d'un document établi par la Commission ou un employeur «fait foi de la nature et du contenu du document, est admissible en preuve et a la même force probante qu'aurait l'original du document si son authenticité était établie de la façon usuelle». De même, chacun des documents mentionnés au paragraphe 120(1), supra, «fait foi des faits y indiqués sans qu'il soit nécessaire de prouver l'authenticité de la signature ni la qualité officielle de la personne paraissant l'avoir signé et sans autre preuve». Il serait singulier que sans ces ajouts, un certificat émis en vertu de l'article 120(2) ait le même effet de constituer une preuve irréfragable de la réception d'un document par le destinataire dans les délais normaux de livraison du courrier. Il peut y avoir une foule de raisons qui expliquent qu'une pièce de courrier, bien que mise à la poste et adressée au bon endroit et à la bonne personne, n'ait pas été livrée ou ait été livrée des jours sinon des semaines en retard: une adresse incomplète, la perte ou le vol d'un sac postal, une grève générale ou une grève perlée dans les servi ces postaux, etc. En telles occurrences, le destina- taire ne saurait être forclos de plaider que, le certificat non obstante, il n'a jamais reçu livraison du document qui lui a été envoyé par la poste. Il
'^ Articles 1207 et 1245, Code civil du Bas Canada.
s'agit avant tout d'une question de crédibilité qui dans chaque cas doit être laissée à l'appréciation de la Commission, du conseil arbitral ou du tribunal' S.
Le mot «notifier» veut dire dans son sens cou- rant: «faire connaître expressément» et en droit: «porter à la connaissance d'une personne intéressée et dans les formes légales (un acte juridique)»"; «to make known, to give notice, to inform 17 .»
Rappelons que selon le paragraphe 57(1), la Commission doit notifier au prestataire sa décision concernant son inadmissibilité aux prestations. Or, cette décision est sujette à appel devant le conseil arbitral (paragraphe 57(2)) en application de l'ar- ticle 94. Cet article stipule en son premier paragraphe:
94. (1) Le prestataire ou un employeur du prestataire peut à tout moment, dans les trente jours de la date il reçoit communication d'une décision de la Commission, ou dans le délai supplémentaire que la Commission peut accorder pour des raisons spéciales dans un cas particulier, interjeter appel de la manière prescrite devant le conseil arbitral. [Les soulignés sont ajoutés.]
Si le paragraphe 120(2) devait créer une pré- somption juris et de jure de la réception d'une telle décision dans les délais normaux de livraison du courrier, un prestataire, face à un tel certificat, ne pourrait jamais même tenter de prouver ne pas avoir reçu ou avoir reçu en retard le document en question. Ne pouvant obtenir une extension de délai, il perdra son droit d'appel devant le conseil arbitral. Il ne semble pas que le Parlement ait voulu un tel résultat.
En accord avec le premier juge, il faut conclure que le paragraphe 120(2) crée une présomption simple juris tantum, et il faut accepter ses conclu sions sur les faits que l'intimé n'a pas reçu, le 29 juin 1981, la notification du montant des presta- tions qu'il lui restait à rembourser.
En créant une telle présomption légale, l'objet du paragraphe 120(2) est de dispenser la Commis sion, par la production d'un tel certificat, de l'obli- gation de prouver par témoins et par le dépôt du
15 Voir la décision du 28 mars 1980, du juge Addy, siégeant comme juge-arbitre dans l'affaire Donald Filion, CUB 5730, qui a jugé qu'un certificat émis en vertu du paragraphe 120(2) n'était pas concluant.
1 fi Le Petit Robert.
17 The Shorter Oxford Dictionary.
récépissé postal, la mise à la poste de l'envoi dont il s'agit et d'alourdir le fardeau de la preuve incom- bant au destinataire qui prétendrait ne pas l'avoir reçu ou l'avoir reçu en dehors des délais normaux de livraison du courrier. Dans la grande majorité des cas la Commission doit notifier ses décisions aux prestataires (v.g. paragraphes 53(3); 54(2)), elle ne devrait pas rencontrer de problèmes admi- nistratifs insurmontables, vu l'obligation imposée à ces derniers de lui fournir l'adresse postale de leur résidence habituelle (paragraphe 55(9)), défaut de quoi ils se rendent inadmissibles au bénéfice des prestations (paragraphe 55(1)). Le cas sous étude, cependant, sortait vraiment de l'ordinaire, comme en a témoigné à l'enquête le témoin de la Commis sion. Elle savait que l'intimé et sa complice l'avaient fraudé pour une somme substantielle dès le mois de septembre 1977 lors du dépôt des plaintes criminelles. Elle en a acquis la certitude en octobre 1978, lorsqu'il a reconnu sa culpabilité et encore davantage en avril 1979, lorsqu'il a été condamné à lui restituer la somme de 15 000 $.
Dans les circonstances, la Commission se devait de s'assurer, en juin 1981, de la bonne adresse de l'intimé pour l'aviser dans le délai prescrit, du montant qu'il avait encore à rembourser. Elle lui réclamait le solde des prestations qu'elle lui avait versées plusieurs années auparavant. L'intimé avait cessé de recevoir des prestations, fut-ce illé- galement depuis le mois de mars 1976. Il n'était plus bénéficiaire de prestations mais un débiteur de la Commission depuis longtemps. Un débiteur n'est pas obligé de pourchasser son créancier pour l'aviser de ses changements d'adresses. Il apparte- nait à la Commission de faire diligence et d'effec- tuer par la poste la notification requise en temps utile aux lieux de résidence et domicile de l'intimé ou de toute autre manière efficace.
L'intimé a reçu des prestations de septembre 1974 mars 1976. Conformément à l'article 1161, 2e alinéa du Code civil du Bas Canada's, la Com mission a imputé la somme reçue par suite de l'ordonnance de restitution rendue par la Cour des Sessions de la Paix à Montréal, au remboursement
' 8 1161....
Si les dettes sont de même nature et également onéreuses,
l'imputation se fait sur la plus ancienne.
des semaines de prestation de septembre 1974 à juin 1975. La notification du solde à rembourser devait donc se faire avant le mois de mars 1982. Celle du 29 juin 1981 a été comme on l'a vu, inefficace. Ce n'est que le 15 mai 1984 que la première mise en demeure de l'appelante, envoyée cette fois à la bonne adresse de l'intimé a atteint ce dernier et l'a informé du montant qu'on lui récla- mait. J'estime, comme le premier juge, que le défaut de notifier dans le délai imparti par l'article 57 était fatal au droit de recouvrement que la Commission avait et qu'elle a voulu exercer en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Ce faisant, selon l'expression du premier juge, elle «a perdu son droit d'agir».
Il faut ajouter cependant que le juge avait préa- lablement déclaré la page 83]:
Ce qui complique singulièrement les choses ici, c'est que la Commission doit, pour interrompre la prescription et valide- ment mettre en marche le mécanisme de révision prévu à l'art. 57, notifier la personne qui a reçu des prestations en trop de l'obligation de rembourser.
Cet énoncé est inexact. La notification dont on parle ici n'a évidemment rien à voir avec le déclen- chement du processus de révision de l'article 57; celle n'a de pertinence que pour la détermination du point de départ du seul véritable délai de prescription établi au paragraphe 49(4) de la Loi. On laisse ainsi à penser qu'il s'agit ici d'une pres cription unique de douze ans qui doit être inter- rompue à mi-temps par la notification de façon à préserver et le pouvoir de réexamen de l'article 57 et le droit au recouvrement de l'article 49.
Il s'agit plutôt de deux processus différents et autonomes, assortis chacun de ses propres modali- tés d'exercice. Par l'effet combiné des paragraphes
57(1) et 57(6), compter du moment des prestations ont été payées, la Commission dispose d'un délai de trois ou six ans selon le cas pour réexaminer les demandes, décider de l'admissibilité aux prestations, faire le calcul de la somme à rembourser et notifier le prestataire de sa décision. Toutes ces conditions doivent être accomplies à l'intérieur de ces délais pour compléter le processus de réexamen des demandes de prestations afin de pouvoir procéder à l'étape suivante du recouvre- ment de la dette. Et il ne saurait y avoir de hiatus entre les deux. Le libellé des articles 49 et 57 n'autorise pas à penser que la Commission puisse valablement remplir son obligation de notifier le
prestataire, passé les délais mentionnés aux para- graphes 57(1) et 57(6). S'il en était autrement, elle pourrait prolonger à l'infini et à loisir son droit de recouvrer sa créance pour un trop-perçu, en dehors des cadres prévus aux articles 49 et 57 de la Loi. Pour différer à son gré le point de départ de la prescription extinctive de la dette établie au para- graphe 49(4) de la Loi, elle n'aurait qu'à ne point notifier le prestataire, rendant ainsi sa créance presqu'imprescriptible, ou prescriptible pour une période plus longue que celle mentionnée au même paragraphe. Comme seraient invalides tout nouvel examen des demandes de prestations fait et toute décision d'inadmissibilité aux prestations prise après l'expiration de ces délais, son défaut de notifier le prestataire en temps utile a le même effet. Il doit recevoir la même sanction: le droit d'action pour recouvrer la créance est compromis et il ne peut plus être exercé conformément aux procédures prévues par la Loi. Autrement, ne vou- draient absolument rien dire les mots que l'on retrouve au paragraphe 57(1): «la Commission doit calculer la somme payée ... et notifier sa décision au prestataire».
L'obligation de rembourser le trop-perçu est créée par le paragraphe 49(1). Cependant, comme il apparaît clairement des paragraphes 49(4), 57(3) et 57(5), cette obligation ne naît vraiment que lorsque la Commission notifie au prestataire la somme qu'il doit rembourser en vertu de l'article 49 et qu'elle a calculée conformément au paragra- phe 57(1). C'est à ce moment que la dette devient liquide et exigible. Si l'obligation de rembourser naît alors pour le prestataire, ainsi en contrepartie et par voie de conséquence nécessaire au même moment naît le droit de recouvrement de la créance en faveur de la Commission. La date à laquelle la Commission avise le prestataire du montant à rembourser fixe le point de départ du délai de la prescription pour le recouvrement de la dette. D'où l'interdépendance essentielle entre l'obligation de notifier, imposée à la Commission par l'article 57 et son droit au remboursement qui lui est accordé par l'article 49. Sans notification, il n'y a pas d'obligation de rembourser pour le pres- tataire ni de droit d'action pour la Commission. Une notification tardive aux désirs de l'article 57 aura le même effet de rendre caduc et périmé le recours exercé en vertu de l'article 49 de la Loi.
Plus loin dans son jugement, le premier juge a lui-même corrigé son erreur de perception, men- tionnée ci-haut, des éléments du processus déci- sionnel de l'article 57 par rapport au processus du recouvrement de la dette de l'article 49. En reje- tant avec raison la prétention de l'intimé à l'effet que la notification avait été effectuée par le dépôt des plaintes devant la Cour criminelle à Montréal en septembre 1977 et que partant la prescription était acquise le 26 septembre 1983, il écrit la page 83]:
... il aurait d'abord fallu s'assurer que la Commission avait procédé au réexamen des demandes de prestations dans le délai imparti ... Ainsi donc, pour que le mécanisme de recouvrement puisse être mis en branle, il faut que la Commission avise d'abord la personne qui a reçu des prestations auxquelles elle n'avait pas droit de l'annulation de ses périodes de prestations et du montant à rembourser.
Les conclusions du jugement a quo doivent être confirmées.
Reste cependant la déclaration du premier juge apparaissant tant dans les motifs que dans le dis- positif de son jugement à l'effet que l'intimé ne doit plus rien à l'appelante. Si cette affirmation reste confinée aux cadres restreints de l'action dont il était saisi, il n'est pas inexact de dire que l'intimé ne doit plus rien à la Commission aux termes de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Le recours que cette dernière a institué en vertu de cette Loi a achoppé pour vice de procédure; elle a perdu son droit d'action et ne peut le poursuivre de nouveau sous le couvert de la Loi de 1971 sur l'assurance- chômage. Nous n'avons pas à décider dans le présent appel si la Commission avait, a encore ou conserve toujours un recours contre l'intimé devant les tribunaux ordinaires en vertu du droit commun. Pour le cas la déclaration du premier juge aurait une portée par trop générale qui dépasserait les cadres du litige, il y aurait lieu de la biffer de façon à ne pas préjuger d'avance de cette question.
Je maintiendrais l'appel en partie à la seule fin de modifier le jugement de la Division de première instance pour y biffer les mots «et déclare que ce dernier ne doit plus rien à la défenderesse» de façon à ce qu'il se lise maintenant comme suit:
J'accueille l'action en jugement déclaratoire du demandeur. Les saisies-arrêts en mains tierces opérées en l'espèce par la défen- deresse sont déclarées illégales et par le fait même annulées. Chaque partie supportera ses dépens.
Pour le reste, je rejetterais l'appel avec dépens en faveur de l'intimé.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DESJARDINS: J'ai eu l'avantage de lire les motifs rédigés par mes collègues MM. les juges Marceau et Lacombe.
J'estime que mon collègue M. le juge Lacombe a raison de soulever la distinction qu'il y a en anglais entre les mots «proof» et «evidence». Je ne trouve rien à redire à l'interprétation qu'il donne à l'expression anglaise «is evidence that the notice ... was received»: paragraphe 120(2) de la Loi. (Voir Black's Law Dictionary, 5e éd., St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1979; Bouvier's Law Dictionary, 8e éd., St. Paul, Minn.: West Publis hing Co., 1914; B. W. Pope, Legal Definitions, Chicago: Callaghan Co., 1920). Toutefois, une analyse de la locution française «fait foi de sa réception» m'amène à conclure différemment.
L'expression «faire foi» est définie comme suit dans le Dictionnaire des expressions juridiques, (H. Rolland et L. Boyer), L'Hermès, 1983:
Faire preuve par soi-même, sans qu'il soit besoin d'établir le titre par d'autres moyens.
Quant au Dictionnaire des expressions et locu tions françaises, Le Robert, 1984, il y est énoncé que cette même locution signifie:
«démontrer, prouver la véracité d'une assertion, d'un document, etc.». Signifie proprement «créer la conviction».
En dernier lieu, rappelons ce qu'en dit Le Grand Robert de la langue française, tome 4, 1986:
démontrer la véracité, porter témoignage, donner force probante. -. Prouver, témoigner. L'acte authentique fait foi de la convention (-. Authenticité). Les copies du titre original peuvent faire foi dans certaines conditions. J'ai bien reçu votre lettre à la date indiquée, le cachet de la poste en fait foi.
Bref, au contraire de l'expression «is evidence of>, la locution «fait foi de» laisse clairement enten- dre que le certificat de la Commission attestant de l'expédition par la poste de l'avis de trop-payé constitue, en lui-même, preuve de la réception dudit avis et ce, sans qu'il soit besoin d'établir cette 'réception par d'autres moyens.
Dès lors, un problème se pose. Face à un texte bilingue dont les deux versions appellent une inter- prétation différente, laquelle choisir? Avant de nous engager plus avant dans cette discussion, rappelons le libellé de l'article 8 de la Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, c. O-2:
8. (1) Dans l'interprétation d'un texte legislatif, les versions des deux langues officielles font pareillement autorité.
(2) Pour l'application du paragraphe (1) à l'interprétation d'un texte législatif,
a) lorsqu'on allègue ou lorsqu'il apparaît que les deux ver sions du texte législatif n'ont pas le même sens, on tiendra compte de ses deux versions afin de donner, sous toutes réserves prévues par l'alinéa c), le même effet au texte législatif en tout lieu du Canada l'on veut qu'il s'applique, à moins qu'une intention contraire ne soit explicitement ou implicitement évidente;
b) sous toutes réserves prévues à l'alinéa c), lorsque le texte législatif fait mention d'un concept ou d'une chose, la men tion sera, dans chacune des deux versions du texte législatif, interprétée comme une mention du concept ou de la chose que signifient indifféremment l'une et l'autre version du texte législatif;
c) lorsque l'expression d'un concept ou d'une chose, dans l'une des versions du texte législatif, est incompatible avec le système juridique ou les institutions d'un lieu du Canada l'on veut que ce texte s'applique mais que son expression dans l'autre version du texte est compatible avec ce système ou ces institutions, une mention du concept ou de la chose dans le texte sera, dans la mesure ce texte s'applique à ce lieu du Canada, interprétée comme une mention du concept ou de la chose, exprimée dans la version qui est compatible avec ce système ou ces institutions; et
d) s'il y a, entre les deux versions du texte législatif, une différence autre que celle mentionnée à l'alinéa c), on don- nera la préférence à la version qui, selon l'esprit, l'intention et le sens véritable du texte, assure le mieux la réalisation de ses objets.
L'arrêt de principe concernant l'interprétation de cette disposition demeure encore R. c. Compa- gnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865. En l'espèce, la Cour suprême devait se pencher sur le sens à donner à l'expression "disposed of' et au mot «aliénés» apparaissant au paragraphe 1100(2) des Règlements de l'impôt sur le revenu. Aux
pages 871 et 872 du jugement, M. le juge Pratte a jeté les bases de l'interprétation que devait recevoir l'article 8 de la Loi sur les langues officielles, supra:
Je ne pense pas que l'al. 8(2)b) de la Loi sur les langues officielles soit d'un grand secours à l'intimée. La règle prescrite par cet alinéa n'est qu'un guide parmi plusieurs autres, dont il faut se servir pour rechercher le sens d'une loi qui, «selon l'esprit, l'intention et le sens véritables du texte, assure le mieux la réalisation de ses objets» (al. 8(2)d)). La règle de l'al. 8(2)b) n'est pas absolue au point d'automatiquement l'emporter sur tous les autres principes d'interprétation. J'estime donc qu'il ne faut pas retenir la version la plus restrictive si elle va clairement à l'encontre du but de la loi et compromet la réalisation de ses objets au lieu de l'assurer.
Lord Herschell a formulé, dans l'arrêt Colquhoun v. Brooks [(1889), 14 A.C. 493], l'une des règles cardinales d'interpréta- tion d'un texte législatif; il a écrit à la p. 506:
[TRADUCTION] En outre, nous avons indiscutablement le droit et, en réalité, le devoir d'interpréter une disposition législative en tenant compte de toutes les autres dispositions de la loi qui précisent l'intention du législateur et tendent à montrer qu'une disposition ne doit pas recevoir la même interprétation que si elle était considérée isolément et indé- pendamment du reste.
Dans l'arrêt Canada Sugar Refining Company, Limited v. The Queen, [[18981 A.C. 735], lord Davey a déclaré à la p. 741:
[TRADUCTION] ... Chaque article d'une loi doit s'interpréter en regard du contexte et des autres articles de la loi de sorte que, dans la mesure du possible, l'ensemble de la loi ou des lois connexes forme un tout logique.
Il ne fait aucun doute que cette règle fondamentale d'inter- prétation législative subsiste et n'est pas mise de côté par l'art. 8 de la Loi sur les langues officielles. [Je souligne.]
En somme, ce n'est pas nécessairement la ver sion la plus restrictive qui devra être adoptée si, à la lumière de l'ensemble des dispositions de la législation en litige, on en arrive à la conclusion qu'elle «va clairement à l'encontre du but de la loi et compromet la réalisation de ses objets au lieu de l'assurer.»: BCN, supra, à la page 872.
Dans l'arrêt Food Machinery Corp. v. Registrar of Trade Marks, [1946] 2 D.L.R. 258 (C. de l'E.), M. le juge Thorson s'est vu confronté à un problè- me qui s'apparente grandement au nôtre. Dans cette affaire, les versions française et anglaise du paragraphe 26(2) de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, S.C. 1932, chap. 38 appuyaient toutes _deux des interprétations inconciliables. La
solution que proposa alors M. le juge Thorson la page 263) semble être une prescience de ce qu'é- noncera plus tard M. le juge Pratte dans l'arrêt BCN, supra:
[TRADUCTION] Le sens grammatical du texte français semble être clair et conforme à l'interprétation de l'appelante. À mon avis, le sens du texte anglais est également clair, mais on l'a interprété de deux façons, l'une étant contestable et l'autre à l'abri de toute contestation. Il arrive souvent que l'on compare les versions française et anglaise d'une loi en vue d'en clarifier le sens, vu que le législateur s'exprime dans les deux langues officielles qui ont la même valeur. Je n'ai pu trouver de jurisprudence sur cette question particulière qui s'est posée dans le présent appel; s'il y a ambiguïté, elle est due à la divergence entre les deux textes et il me semble que la Cour devrait statuer sur la question comme elle le ferait pour toute autre question ambiguë, c'est-à-dire en cherchant à connaître la véritable intention du législateur, en suivant les principes d'in- terprétation reconnus dans ces cas. Dans les circonstances, je crois qu'il serait sage de statuer que lorsqu'il existe deux interprétations pour le texte français ou le texte anglais d'une loi dont l'une est contestable et l'autre à l'abri de toute contes- tation, celle qui est incontestable selon les principes d'interpré- tation reconnus devrait être adoptée, même si le libellé de l'autre texte va à son encontre et est conforme à l'interprétation contestable; cette dernière n'est pas pour autant soustraite à la contestation en raison d'une telle conformité et ne permet pas de l'invoquer. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, suite à un examen des différentes dispositions de la Loi, M. le juge Lacombe s'est déclaré convaincu que le paragraphe 120(2) éta- blissait une présomption juris tantum. Je pense autrement. La Loi de 1971 sur l'assurance-chô- mage est une loi à portée sociale à laquelle il faut donner une interprétation large et libérale: Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513 à la page 559; Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, à la page 10; Rose (1981) CUB 6266 et Miedus (1983) CUB 7983. Notons toutefois que cette règle a été énoncée dans le contexte de litiges portant sur l'admissibilité d'une personne au bénéfice des prestations et non sur l'application des dispositions administratives de la Loi. Que les dispositions substantives de cette législation soient interprétées libéralement m'appa- raît tout à fait à propos puisque, comme le disait Mme le juge Wilson, «le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs»: Abra- hams, supra, à la page 10. Néanmoins, les articles figurant à la Partie V de la Loi ne portent aucune- ment sur le droit d'une personne au bénéfice des prestations. Ils visent plutôt l'établissement d'un mécanisme administratif permettant d'assurer la
mise en oeuvre efficace de la politique législative. Nul besoin ne se fait sentir d'accorder à ces dispo sitions une interprétation qui, en cas d'ambiguïté du texte, favoriserait systématiquement le presta- taire.
La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada manipule chaque année un nombre incalculable de demandes de prestations. Elle doit en outre procéder à une multitude d'envois pos- taux. Une lecture de l'article 120 de la Loi démon- tre clairement que l'intention du législateur est de faciliter la tâche de la Commission lorsque arrive le moment pour elle d'établir l'authenticité d'une preuve documentaire. Si, comme je le pense, le Parlement désirait réellement atteindre cet objec- tif, pourquoi se serait-il contenté d'édicter une présomption juris tantum? L'envoi d'une lettre par courrier régulier constitue en soi une présomption simple à l'effet que ladite missive a été reçue. Étant présumé ne pas parler pour ne rien dire, pourquoi le Parlement se serait-il contenté de répé- ter ce qui prévalait déjà? En agissant de la sorte, aurait-il atteint le but qu'il s'était fixé, soit de faciliter la tâche de la Commission? Toutes ces raisons m'amènent à conclure que le paragraphe 120(2) de la Loi vise nécessairement à la création d'une présomption juris et de jure. La version française de la Loi m'apparaît traduire l'intention du législateur avec plus d'exactitude que ne le fait la version anglaise. D'ailleurs la présomption ne joue que «dans les délais normaux de la livraison du courrier>. Le paragraphe 120(2) permet donc que soient soulevées des circonstances qui peuvent empêcher l'application de la présomption.
Je pense comme mon collègue le juge Marceau que cette présomption ne peut recevoir application si l'adresse figurant sur la notification ne corres pond pas à celle du prestataire. En l'espèce, cette présomption n'a pas joué puisque l'intimé n'habi- tait plus à l'adresse indiquée dans la notification que lui a envoyée la Commission le 29 juin 1981.
La question essentielle consiste cependant à déterminer si la Commission pouvait se prévaloir des dispositions de la Loi de 1971 sur l'assurance- chômage lorsqu'elle a fait enregistrer, le 28 mars 1985, un certificat auprès de la Cour fédérale du Canada établissant que l'intimé lui devait la somme de 15 726,42 $ et lorsque, le 8 mai 1985,
elle s'adressait à l'employeur pour obtenir la partie saisissable du salaire de l'intimé Michel Brière.
Michel Brière, on se le rappelle, a reçu des prestations d'assurance-chômage sous des noms d'emprunt, entre le lei octobre 1974 et le 15 mars 1976. Des procédures criminelles ont été intentées contre lui le 26 septembre 1977. Il plaida coupable et sentence fut prononcée le 11 avril 1979. Le 5 septembre 1979, la Cour d'appel du Québec con- firmait l'obligation imposée à Brière par la Cour des Sessions de la paix de rembourser à la Com mission une somme de 15 000 $, ce qu'il fit. Sa complice, dans un autre dossier, fut appelée à verser 5 000 $ à la Commission. Par la suite, la Commission révisa les demandes faites par Brière et le notifia le 29 juin 1981 qu'il devait la somme de 20 572 $. L'avis fut envoyé au 2880 de la rue Masson à Montréal. Cette adresse avait été four- nie par Brière lors du prononcé de sa sentence. L'intimé cependant n'habitait déjà plus cette adresse lorsque l'avis lui fut envoyé. Ce n'est que le 15 mai 1984, après avoir fait appel aux services d'un bureau de crédit que la Commission rejoi- gnait Brière à sa véritable adresse de Saint-Hippo- lyte, Québec. Un deuxième avis lui fut envoyé le 11 février 1985. Ne recevant aucune réponse, la Commission procéda le 28 mars 1985 par dépôt d'un certificat devant la Cour fédérale du Canada selon les dispositions de l'article 112 de la Loi.
Le 29 juin 1981, la Commission était en mesure de réclamer toutes les prestations ayant été versées six ans auparavant, soit celles qui le furent entre le 29 juin 1975 et le 15 mars 1976 (paragraphe 57(1) de la Loi). Toutefois, la notification du 29 juin 1981 n'a pas atteint le débiteur. Pour les raisons expliquées plus haut, la présomption du paragra- phe 120(2) n'a pas joué. Cette notification du 29 juin 1981 a sans doute été faite de bonne foi. A-t-elle cependant quelque valeur juridique? C'est ici, et je le dis avec respect, que je ne puis être d'accord avec l'opinion de mon collègue le juge Marceau.
Le paragraphe 57(1) de la Loi oblige la Com mission à notifier le prestataire de sa décision. Le texte de loi ne fait aucun doute à ce sujet (voir à titre d'exemple R. c. Varnes, [1975] C.F. 425 (l fe inst.)).
Le délai de trente-six ou soixante-douze mois mentionné aux paragraphes 57(1) et (6) de la Loi s'appliquent-ils à la notification? Je réponds par l'affirmative. Le paragraphe (1) de l'article 57 prévoit quatre opérations. La Commission peut, à tout moment, dans une période déterminée, exami ner de nouveau et, si elle décide qu'une personne a reçu une somme d'argent sans justification ou n'a pas reçu une somme d'argent à laquelle elle avait droit, elle doit calculer le montant ou payable et notifier le prestataire. Je ne saurais appliquer la limite de trente-six ou soixante-douze mois au seul réexamen et ne pas l'appliquer à la décision, au calcul et à la notification. Je ne saurais non plus appliquer la limite de trente-six ou soixante-douze mois au réexamen et à la décision et ne pas l'appliquer au calcul et à la notification. Je lis les paragraphes (1) et (6) de l'article 57 comme un tout. La Commission a de trente-six à soixante- douze mois pour examiner de nouveau une demande, et si, durant cette période, elle décide qu'une somme lui est due ou est par elle payable, selon le cas, elle doit, toujours durant cette période, calculer cette somme et notifier sa déci- sion au prestataire. L'opinion contraire voudrait que la période de temps fixée au paragraphe 57(1) ne s'applique que pour le réexamen et pour la décision et que la Commission ait tout le temps pour calculer et pour notifier. Si cela était, la Commission disposerait d'une période flottante à loisir avant que ne prenne naissance le point de départ de la période qui lui est allouée pour recou- vrer sa dette (paragraphes 57(5) et 49(4)). Je ne puis croire que c'était l'intention du Parlement.
Je me dois donc de conclure, à l'instar de mon collègue le juge Lacombe, à l'impossibilité pour la Commission de recourir aux dispositions de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage pour obtenir de M. Brière le remboursement du trop-payé en litige puisque la notification du 29 juin 1981 n'a pas rejoint le débiteur et que celle du 15 mai 1984 est hors délai.
Il est certain cependant que dès le moment Michel Brière percevait en trop des prestations d'assurance-chômage, il encourait un à Sa Majesté, pour fraude, et ce, en vertu des principes du droit commun. Je laisse aux tribunaux compé- tents en cette matière le soin de décider de l'exis-
tence du recours que détient la Commission en vertu du droit commun.
Tout comme mon collègue le juge Lacombe, je maintiendrais l'appel en partie à la seule fin de modifier le jugement de la Division de première instance pour y biffer les mots «et déclare que ce dernier ne doit plus rien à la défenderesse» de façon à ce que ce jugement se lise maintenant comme suit:
J'accueille l'action en jugement déclaratoire du demandeur. Les saisies-arrêts en mains tierces opérées en l'espèce par la défen- deresse sont déclarées illégales et par le fait même annulées. Chaque partie supportera ses dépens.
Pour le reste, je rejetterais l'appel avec dépens.
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