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A-97-89
157079 Canada Inc. (appelante) c.
Roderick W. MacDonald, en tant qu'exécuteur testamentaire de la succession de George M. Standal et George Standal's Patents Ltd. (inti- més)
et
Swecan International Ltd., Swecan Tools Co. Ltd. et Swecan Equipment Ltd. (défenderesses-appe- lantes)
c.
Roderick W. MacDonald, en tant qu'exécuteur testamentaire de la succession de George M. Standal et Standal's Patents Ltd. (demandeurs- intimés)
A-149-89
Swecan International Ltd., Swecan Tools Co. Ltd. et Swecan Equipment Ltd. (défenderesses-appe- lantes)
c.
Roderick W. MacDonald, en tant qu'exécuteur testamentaire de la succession de George M. Standal et Standal's Patents Ltd. (demandeurs- intimés)
A-183-89
Swecan International Ltd., Swecan Tools Co. Ltd. et Swecan Equipment Ltd. (défenderesses-appe- lantes)
c.
Roderick W. MacDonald, en tant qu'exécuteur testamentaire de la succession de George M. Standal et Standal's Patents Ltd. (demandeurs- intimés)
RÉPERTORIÉ: STANDAL, SUCCESSION C. SWECAN INTERNATIO NAL LTD. (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et Des- jardins, J.C.A.—Montréal, 17 et 18 mai; Ottawa, 23 juin 1989.
Injonctions Injonction interlocutoire prononcée contre les défenderesses dans une action en contrefaçon de brevet et contre les tiers et prévoyant le retour au Canada et le verse-
ment à un séquestre du produit de la vente de la compagnie défenderesse Ordonnance qui ressemblerait à une injonction Mareva Elle visait à donner aux demandeurs une garantie avant le jugement Ce n'était pas une injonction Mareva L'injonction Mareva gèle les biens jusqu'au procès en empê- chant uné personne de faire quelque chose et non pas en annulant un acte passé L'ordonnance Mareva s'adresse seulement aux défendeurs, et non pas aux tiers comme en l'espèce.
Compétence de la Cour fédérale Les injonctions Mareva sont apparues récemment dans la jurisprudence La Cour fédérale est un tribunal créé par une loi, qui n'a pas de pouvoir inhérent lorsque des dispositions de ses Règles prévoient un pouvoir limité d'accorder une injonction interlocutoire, mais non pas de geler des biens Le pouvoir de rendre des injonctions Mareva est accessoire au pouvoir de protéger son fonctionnement Les ordonnances «subséquentes» pouvant ainsi être protégées doivent être probables ou impliquer la preuve d'une forte apparence de droit Le pouvoir de con- traindre les défendeurs ou les tiers à agir ne trouve aucun appui dans l'art. 733 du Code de procédure civile du Québec.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Compétence du protonotaire Le protonotaire avait rendu une ordonnance provisoire prévoyant le paiement du produit impayé de la vente de l'actif de la compagnie défenderesse dans une action en contrefaçon de brevet !l n'avait pas compétence selon la directive générale émise en vertu de la Règle 336(1)g).
Justice criminelle et pénale Mandats de main-forte Fondée sur des allégations selon lesquelles une ordonnance antérieure prévoyait le retour au Canada du produit de la vente de l'actif de la défenderesse, une ordonnance a été rendue qui nommait un séquestre investi des pleins pouvoirs de per- quisitionner et de saisir les biens et les preuves de titre L'ordonnance n'était pas fondée Les poursuites pour outrage au tribunal sont le moyen approprié de vérifier la validité d'une allégation La Cour devrait répugner à réha- biliter les mandats de main-forte et à déléguer le pouvoir de les décerner.
Il s'agissait d'appels formés contre une série d'ordonnances relatives à des injonctions interlocutoires visant à donner aux demandeurs une garantie avant le jugement. Il s'agissait d'une action en contrefaçon de brevet relativement à de l'équipement de scierie. Vu l'expiration des brevets en cause, l'action se limitait à des dommages-intérêts. Le 28 janvier 1988, la défen- deresse Swecan International Ltd. a vendu la plus grande partie de son actif. Le prix de vente a été acquitté immédiatement, sauf un solde de 620 000 $ qui était exigible en quatre verse- ments annuels successifs et un montant de 200 000 $ qui a été gardé en fiducie en attendant que certains documents accessoi- res relatifs à l'utilisation de la raison sociale soient complétés. La totalité du montant reçu par les vendeurs a été transférée à une compagnie étrangère, contrôlée par la même personne que celle qui avait contrôlé la défenderesse, pour être investie dans des valeurs sûres et dans des obligations. En août 1988, l'ache- teur a convenu d'accélérer le paiement des versements restants et de payer la somme globale de 450 000 $ en règlement complet du solde du prix de vente. Le 16 septembre 1988, le protonotaire, qui n'était pas au courant de l'entente en vue d'accélérer le paiement des versements, a accordé une ordon-
nance provisoire prévoyant le paiement du produit impayé de la vente à un séquestre. Bien que les procureurs des défenderesses aient été informés de cette ordonnance le 16 septembre, il est possible que la défenderesse ou ses dirigeants ou l'acheteur n'en aient pas été informés avant le 20 septembre. Le solde du prix de vente a été versé le 16 septembre. La partie du prix de vente gardée en fiducie pour les vendeurs a été libérée le 20 septem- bre. Le 7 mars, l'ordonnance provisoire rendue par le protono- taire a été transformée en ordonnance interlocutoire. A la même époque, une deuxième ordonnance, prononcée contre les défenderesses et les tiers y compris l'acheteur, exigeait le retour au Canada de la totalité du produit de la vente se trouvant à l'extérieur du pays et le versement de ces fonds à un séquestre. Le 11 avril, un deuxième juge des requêtes, en se fondant sur des allégations selon lesquelles l'ordonnance du 7 mars n'avait pas été respectée, a rendu une ordonnance dans laquelle il nommait un séquestre et lui conférait les pleins pouvoirs de saisir les biens et toute preuve de titres.
Arrêt: les appels devraient être accueillis.
La Cour n'avait pas le pouvoir de rendre les ordonnances.
La deuxième ordonnance rendue le 7 mars n'était pas une injonction Mareva. Le principe exceptionnel auquel l'injonction Mareva donne effet est qu'un demandeur ne doit pas être frustré par son débiteur qui déciderait de disposer de tous ses biens avant que la Cour ne rende sa décision. Le but d'une injonction Mareva est de geler l'actif du défendeur en attendant le procès, et son objet est d'interdire au défendeur de disposer de ses biens. L'ordonnance contestée n'empêche pas les défen- deresses de faire quelque chose; elle les contraint à annuler un acte déjà accompli et à retirer des placements déjà faits. Il y a une différence fondamentale entre une ordonnance visant à geler un actif et celle qui vise à reconstituer un tel actif: dans le dernier cas, il s'agit d'une exécution, et l'exécution avant jugement est un concept impensable.
De plus, une injonction Mareva peut seulement être pronon- cée contre les défendeurs dans une action et non contre les tiers. Les tiers peuvent être touchés par une injonction rendue contre un défendeur, puisque ce serait un outrage que d'encourager sciemment la violation de l'ordonnance. Ils ne peuvent cepen- dant pas faire l'objet de l'injonction sans être poursuivis, et le seul fait de leur signifier une demande d'injonction ne les constitue pas parties à l'action.
La Cour fédérale a le droit de rendre une injonction Mareva. Le principe fondamental de la doctrine Mareva est que les tribunaux ne devraient pas permettre à un défendeur de pren- dre des mesures destinées à contrecarrer les ordonnances qu'ils rendront par la suite. La Cour fédérale est indirectement autorisée à protéger son fonctionnement en ayant recours à ce genre d'injonction interlocutoire. Dans une telle perspective, et contrairement à ce qui est la pratique en Angleterre, les ordonnances «subséquentes» pouvant ainsi être protégées ne devraient pas être seulement des ordonnances possibles et discu- tables, mais plutôt des ordonnances probables et impliquant la preuve d'une forte apparence de droit. Une telle condition préalable ne pourrait pas être vérifiée si on se fondait unique- ment sur des actes de procédure alléguant et niant respective- ment la contrefaçon de brevet, comme c'était le cas en l'espèce. Les demandeurs n'ont pas prétendu pouvoir démontrer que leur cause était plus que défendable.
Une injonction Mareva s'adresse au défendeur in personam, interdisant à cette personne de faire quelque chose. Le pouvoir de la Cour fédérale de contraindre les défendeurs ou les tiers à agir ne trouverait aucun appui dans l'article 733 du Code de procédure civile du Québec, qui permet une saisie de la res, qu'elle soit ou non entre les mains de tiers, surtout lorsque la res est située hors de la juridiction de la Cour.
En rendant son ordonnance provisoire, le protonotaire a agi sans autorité. Une directive générale émise par le juge en chef adjoint et établie en vertu de la Règle 336(1)g) interdit expres- sément aux protonotaires d'instruire les demandes d'injonction, y compris les injonctions de type Mareva ou Anton Pillar, et les demandes en vue de la nomination d'un séquestre. L'ordon- nance la transformant en injonction interlocutoire était sans objet puisqu'au moment elle a été rendue, il n'y avait pas de solde impayé de la vente en bloc qui était payable.
Il n'existait aucun fondement permettant de rendre l'ordon- nance du 11 avril. La seule façon pour la Cour de vérifier le bien-fondé d'une allégation selon laquelle une ordonnance judi- ciaire n'avait pas été respectée était de recourir à des poursuites pour outrage au tribunal. La Cour ne devrait pas essayer de réhabiliter l'ancien mandat de main-forte, dont le statut consti- tutionnel est troublant, et déléguer le pouvoir de décerner ce mandat à un comptable.
Les deux derniers versements provenant de la vente qui ont été effectués en septembre ne devraient pas être considérés différemment du versement initial. L'ordonnance rendue par le protonotaire ne relevait pas de sa compétence. De toute manière, une accusation d'outrage au tribunal doit être prouvée hors de tout doute raisonnable et lors d'une procédure spéciale instituée surtout en vue de protéger l'inculpé.
Le juge MacGuigan, J.C.A.: Une injonction Mareva ne saurait être accordée à partir de ces faits de manière à exiger la reconstitution de l'actif. Comme l'ordonnace rendue par le protonotaire ne relevait pas de sa compétence, on ne pouvait plus soulever la question relative à sa violation. Cela ne veut pas dire qu'une injonction Mareva ne pourrait en aucun cas exiger la reconstitution d'un actif. Si la défenderesse avait été reconnue coupable d'outrage au tribunal, la situation aurait pu justifier une injonction Mareva.
Le juge Desjardins, J.C.A.: Comme l'ordonnance rendue par le protonotaire ne relevait pas de sa compétence, les défenderes- ses ne violaient pas une ordonnance judiciaire lorsqu'elles ont transféré le solde du prix de vente hors du ressort de la cour. Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les défenderesses avaient transféré des biens en dehors du territoire pour tenter d'éviter l'application d'un jugement possi ble de notre Cour.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code de procédure civile, L.R.Q., chap. C-25, art. 733. Loi de 1985 modifiant le droit pénal, L.R.C. (1985), chap. 27 (1" suppl.), art. 190, 195(2), 200.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 44, 56(1).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 5, 336(1)g), 355, 464(1), 469(1), 470, 1203(3) (édicté par DORS/79-57, art. 20).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Derby & Co. Ltd. v. Weldon (Nos. 3 & 4), [1989] 2 W.L.R. 412 (C.A.); Siskina (Owners of cargo lately laden on board) v. Distos Compania Naviera S.A., [1979] A.C. 210 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et autres c. Cutter (Canada), Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388.
DECISIONS CITÉES:
Nippon Yusen Kaisha v. Karageorgis, [1975] 3 All E.R. 282 (C.A.); Mareva Compania Naviera SA v Internatio nal Bulkcarriers SA [The Mareva[, [1980] 1 All E.R. 213 (C.A.); Lister & Co. v. Stubbs (1890), 45 Ch. D. 1; [1886-90] All E.R. Rep. 797 (C.A.); Bank Mellat v. Kazmi, [1989] 2 W.L.R. 613 (C.A.); Aetna Financial Services Ltd. c. Feigelman et autre, [1985] 1 R.C.S. 2; Re Gaglardi (1960), 27 D.L.R. (2d) 281 (C.A.C.-B.); Glazer v. Union Contractors Ltd. & Thornton (1960), 129 C.C.C. 150 (C.A.C.-B.); Re Bramblevale, Ltd., [1969] 3 All E.R. 1062 (C.A.); Bhatnager c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 3 (I inst.); infirmée [1988] 1 C.F. 171 (C.A.).
AVOCATS:
Jérôme Gariépy pour 157079 Canada Inc. David French et Anthony Butler pour Rode- rick W. MacDonald, en tant qu'exécuteur testamentaire de la. succession de George M. Standal, George Standal's Patents Ltd. et Standal's Patents Ltd.
Harold W. Ashenmil, c.r. et Karen A. Lallouz pour Swecan International Ltd., Swecan Tools Co. Ltd. et Swecan Equipment Ltd.
PROCUREURS:
Boucher, Gariépy, Moreault, Montréal, pour 157079 Canada Inc.
Lette McTaggart Blais Martin, Ottawa, pour Roderick W. MacDonald, en tant qu'exécu- teur testamentaire de la succession de George M. Standal, George Standal's Patents Ltd. et Standal's Patents Ltd.
Phillips, Friedman, Kotler, Montréal, pour Swecan International Ltd., Swecan Tools Co. Ltd. et Swecan Equipment Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Il s'agit en l'espèce de quatre avis d'appel déposés par deux groupes différents d'appelantes à l'encontre de trois ordon- nances distinctes rendues par la Section de pre- mière instance. Puisque ces quatre appels sont reliés entre eux, ils seront entendus simultanément. Les appels concernent une série d'ordonnances relatives à des injonctions interlocutoires, rendues successivement au cours d'une même action, et cela dans le même but global, celui de donner aux demandeurs en l'espèce une garantie avant le juge- ment. La question en litige concerne à la fois le pouvoir de la Cour de rendre de telles ordonnances et, le cas échéant, la justification de l'exercice de ce pouvoir dans les circonstances en l'espèce. Étant d'avis que les appels doivent être rejetés pour le motif que la Cour n'avait tout simplement pas le pouvoir d'agir comme elle l'a fait, je ne me verrai pas dans l'obligation d'examiner à fond la question de justification, ce qui aurait exigé une analyse complète de nombreux affidavits qui ont fait l'ob- jet d'autant de contre-interrogatoires et qui ont été appuyés par une multitude de documents. L'exa- men des faits que j'aurai à faire sera beaucoup moins détaillé qu'il ne l'aurait été autrement. Malgré cela, même simplifiés à l'essentiel, les faits devant être enregistrés demeurent assez com plexes; beaucoup de personnes, dont certaines ne sont désignées que par un numéro, sont en cause, et il y a de nombreuses dates à retenir. Il faut donc procéder à l'examen de ces faits de manière ordonnée.
Les faits
1. Il importe de se placer d'abord dans le con- texte procédural. L'action en contrefaçon de brevet à laquelle les trois ordonnances interlocutoires con- testées sont accessoires, a été intentée le 23 juillet 1980 contre une compagnie qui fabriquait de l'équipement de scierie au Québec sous la raison sociale de Swecan International Ltd. Les deux autres compagnies nommées dans l'intitulé de la cause comme défenderesses en première instance, les défenderesses-appelantes en l'espèce, ne sont plus des filiales actives de la Swecan International Ltd. (Je parlerai désormais des «défenderesses en l'espèce» ou de «Swecan» et, de la même façon, des «demandeurs en l'espèce» qui sont les intimés dans
les quatre appels). Les allégations de contrefaçon de brevet concernent des déchiqueteuses qui utili- sent des couteaux courbés pour enlever les rebuts de bois des rondins afin d'en faire des copeaux de bois utilisables. Les deux brevets en litige ayant expiré depuis le début de l'action, la réclamation des demandeurs se limite à des dommages-intérêts ou à un compte rendu des profits découlant de la contrefaçon antérieure.
Une défense et une demande reconventionnelle, toutes deux déposées le 19 juin 1981 ont suivi l'action, mais ce fut tout: la poursuite est demeurée en suspens depuis lors. Les procédures qui ont suivi datent du 7 septembre 1988; il s'agissait de requê- tes dont l'une a donné lieu aux ordonnances con- testées en l'espèce. L'explication donnée par les demandeurs pour leur inertie prolongée est reprise en détail dans les motifs d'un des deux juges des requêtes qui a rendu les ordonnances contestées [Standal Estate c. Swecan International Ltd. (1989), 24 C.P.R. (3d) 509 (C.F. ire inst.), aux pages 511 et 512] :
Lorsqu'ils ont engagé les présentes poursuites, les deman- deurs ont intenté deux autres actions parallèles pour contrefa- çon de brevets au Canada, soit l'une contre British Columbia Forest Products Limited et Bow Valley Resource Services Ltd. et l'autre contre Forano Inc. En outre, des actions similaires ont été intentées en octobre 1981, aux Etats-Unis, à l'égard des brevets américains correspondants. Aux États-Unis, une filiale de Bow Valley Resource Services Ltd. (l'une des défenderesses canadiennes susmentionnées) a intenté une action par laquelle elle demandait que les brevets américains des demandeurs soient déclarés invalides. Ces brevets américains correspondent aux brevets qui font l'objet du présent litige et des autres actions intentées au Canada.
Les deux parties ont attendu que l'action intentée aux États- Unis soit instruite avant de procéder à l'audition de la présente cause contre Swecan. Le litige américain représentait un lourd fardeau financier pour les demandeurs, compte tenu des res- sources restreintes dont ils disposaient. Les demandeurs ont injecté toutes leurs ressources dans une même cause pour démontrer la validité de leurs brevets. L'instruction de la cause aux États-Unis s'est terminée en octobre 1985 et une décision a été rendue en faveur des demandeurs. L'avocat de ces derniers a alors envoyé une copie du jugement aux avocats des défende- resses, l'étude Martineau, Walker. Dans la lettre en date du 22 octobre 1985 qui était jointe à ce jugement, l'avocat des demandeurs a demandé aux avocats des défenderesses si ces derniers désiraient discuter de la possibilité d'un règlement. Les demandeurs ont été invités à proposer un règlement, ce qu'ils ont fait dans une lettre en date du 27 janvier 1986. Une contre-proposition a été envoyée en vertu d'une lettre en date du 20 février 1986. Comme la contre-proposition était inaccep- table, les pourparlers de règlement se sont arrêtés là. Le jugement rendu aux États-Unis a été porté en appel et la cause n'a été réglée qu'en juin 1988. Le 20 juin de la même année,
l'avocat des demandeurs a écrit à celui des défenderesses pour lui dire que ses clients avaient l'intention de réactiver la pré- sente action conformément à la Règle 331A. Les demandeurs ont demandé la tenue d'un interrogatoire préalable le 1°' août 1988 et le dépôt d'une liste de documents en vertu de la Règle 447. Une autre lettre en ce sens a été envoyée à l'étude d'avocats en question le 29 juillet 1988; l'avocat qui était responsable du dossier avait quitté le bureau.
Je laisse cela de côté pour le moment. C'est l'état actuel des procédures qui nous concerne d'abord, et il faut en terminer l'examen. Cela peut, de toute manière, se faire assez rapidement. Depuis que l'action a été réactivée en septembre 1988, les interrogatoires, l'inspection des dossiers, la communication des documents ainsi que d'au- tres procédures nécessaires à la préparation du procès ont été complétés. L'action doit être ins- truite en ce mois de juin 1989.
2. La plupart des faits sur lesquels reposent les ordonnances contestées sont survenus pendant l'époque l'action était en suspens. Il me semble opportun d'exposer ces faits maintenant.
Le 28 janvier 1988, Swecan International Ltd. ainsi que trois autres compagnies, toutes contrôlées par un dénommé Gaston Pinat ont vendu en bloc la plus grande partie de leur actif, y compris la raison sociale Swecan, pour le prix d'environ 2 700 000 $. L'acquéreur était une personne morale, s'appelant alors 157079, Canada Inc. (qui plus tard a adopté la raison sociale Swecan Inter national (1988) Ltd., bien qu'en l'espèce elle soit encore désignée sous la raison sociale d'origine). 157079 Canada Inc. (que j'appellerai désormais l'«acheteur» pour plus de facilité) a immédiate- ment acquitté le prix de vente, sauf un solde fixé au départ à 800 000 $ mais qui, à la suite de corrections, a été abaissé à 620 000 $, exigible en quatre versements annuels successifs. Une somme de 200 000 $ a été prélevée du versement initial et gardée en fiducie par des tiers en attendant que certains documents accessoires relatifs à l'abandon et au transfert de la raison sociale Swecan soient complétés. La totalité du montant reçu par les vendeurs a été immédiatement transférée par la banque à Socoa International, une compagnie constituée et contrôlée par Gaston Pinat, située dans les îles Caïmans, un territoire sous adminis tration britannique dans les Antilles britanniques. Socoa International a ensuite versé ce montant à une succursale de la Swiss Bank and Trust Corpo-
ration dans les îles Caïmans, en précisant qu'envi- ron cinquante pour cent de l'argent devait être investi dans des «valeurs sûres» et le reste dans des obligations à échéances variables.
Le 5 août 1988, les vendeurs (qui avaient alors abandonné, comme convenu, la raison sociale Swecan; Swecan International Ltd. était devenue 160088 Canada Inc.) avaient cédé le solde du produit de la vente en bloc (soit 620 000 $ exigible en quatre versements) à une autre compagnie à nom numérique, la 152931 Canada Inc., égale- ment contrôlée par Pinat et dont l'unique adminis- trateur était un avocat, Moe Ackman c.r. Un avis de cette cession a été signifié à l'acheteur le 8 août 1988. Vers la mi-août 1988, par entente verbale conclue après discussion, l'acheteur a convenu d'accélérer le paiement des versements restants et de payer au cessionnaire, la 152931 Canada Inc., la somme globale de 450 000 $ en règlement com- plet et définitif du solde du prix de vente.
3. D'autres événements importants sont surve- nus en septembre 1988, la Cour et à l'extérieur de celle-ci, en même temps que la reprise de l'action. Je les décrirai en ordre chronologique.
Le 7 septembre 1988, quatre avis de requête ont été déposés au nom des demandeurs et devaient être présentés ensemble le 13 septembre suivant. Deux de ces requêtes ne sont pas pertinentes en l'espèce puisqu'elles ne visaient qu'à obtenir la permission de modifier la déclaration et de nommer une personne pour interroger les défende- resses au préalable. La troisième requête présente un certain intérêt pour nous puisqu'elle sollicitait une ordonnance en vertu de la Règle 464(1) des Règles de la Cour Fédérale [C.R.C., chap. 663], enjoignant à l'acheteur, 157079 Canada Inc., qui est partie au contrat de vente en bloc de janvier mais non à l'action en contrefaçon de brevet, de produire certains documents, plans et dossiers qu'elle avait obtenus des vendeurs. C'est cependant la quatrième requête qui nous intéresse plus direc- tement. Dans un affidavit déposé à l'appui de celle-ci, l'avocat des demandeurs décrit les événe- ments survenus à la suite de sa lettre du 20 juin adressée aux procureurs des défenderesses et expli- que sa décision soudaine de réactiver l'action:
[TRADUCTION] 17. Dans une autre lettre envoyée en juillet 1988 au bureau de Martineau Walker, les avocats des défende-
resses ont été avisés à nouveau du désir des demandeurs de procéder à l'instruction de la cause. Aucune réponse écrite n'a encore été reçue à l'égard de ces lettres.
18. Le 26 août 1988, j'ai téléphoné au bureau de Martineau Walker et on m'a référé à Claude Brunet. Je lui ai dit que j'aimerais recevoir une réponse aux deux lettres susmention- nées. M. Brunet a répondu qu'il examinerait le dossier.
19. Le 29 août 1988, j'ai retéléphoné au bureau de Martineau Walker et on m'a dit que Claude Brunet n'était pas disponible. J'ai laissé un message afin qu'il me rappelle.
20. Le 31 août 1988, j'ai rappelé et j'ai laissé le même mes sage. Jusqu'à maintenant, je n'ai obtenu aucune réponse.
21. Le 23 août 1988, le Dr Lorne Rosenblood [l'avocat des demandeurs aux États-Unis] m'a téléphoné pour me dire qu'il était possible que Swecan International Ltd. ait vendu son entreprise. Le 31 août 1988, j'ai reçu une copie du contrat de vente en bloc en date du 29 janvier 1988. En vertu de ce contrat, Swecan International Ltd. vendait la totalité de ses actifs à 157979 [sic] Canada Inc.
La quatrième requête est la suivante:
[TRADUCTION] UNE ORDONNANCE conformément à la Règle 5 et aux articles 733 et 742 du Code de procédure civile du Québec ainsi qu'aux articles 17 et 20 de la Loi sur la Cour fédérale, portant:
a) que le produit impayé de la vente de l'actif de Swecan International Ltd., lequel produit doit être payé par 157079 Canada Ltd. en vertu d'un contrat de vente en date du 29 janvier 1988, devra être versé à l'échéance, à l'administrateur de la Cour fédérale du Canada, qui détiendra ce produit en fidéicommis de façon que ladite somme produise des intérêts jusqu'au règlement final du présent litige, ou selon toute autre ordonnance que la Cour peut rendre; et
b) qu'il soit interdit aux défenderesses, sur une base provisoire jusqu'à ce que la présente requête soit tranchée, de distribuer à leurs actionnaires ou autrement le produit qu'elles ont reçu ou qu'elles pourront recevoir à la suite de la vente susmentionnée.
Ces quatre requêtes ont été présentées devant le protonotaire le 13 septembre 1988 mais leur audi tion a été remise au 26 septembre. Les procureurs des défenderesses en l'espèce, qui n'étaient plus au courant du litige, ni intéressés à celui-ci ont demandé l'ajournement et l'avocat des demandeurs y a consenti; la veille de l'audience, cependant, celui-ci avait déposé une requête spéciale visant un redressement provisoire (pour remplacer la qua- trième requête) dont voici des extraits pertinents:
[TRADUCTION] Requête présentée au nom des demandeurs en vue d'obtenir une ordonnance conformément à la Règle 5 et aux articles 733 et 742 du Code de procédure civile du Québec, ainsi qu'à l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale, ladite requête étant exécutoire jusqu'à la décision rendue sur une requête interlocutoire correspondante et demandant:
a) qu'il soit provisoirement interdit aux défenderesses, de demander le remboursement anticipé du produit exigible en
vertu du contrat de vente en bloc et de distribuer à leurs actionnaires ou autrement le produit qu'elles ont reçu ou qu'el- les pourront recevoir de la vente susmentionnée;
b) que 157079 Canada Ltd. consigne les paiements du pro- duit impayé de la vente de l'actif de Swecan International Ltd. en vertu d'un contrat de vente en date du 29 janvier 1988 à la Cour, à l'ordre du receveur général du Canada au fur et à mesure de leur échéance, jusqu'au règlement final du présent litige ou suivant toute autre ordonnance que la Cour rendra; et
c) à la Cour de permettre l'audition de cette requête à la suite d'un avis sommaire prévu à la Règle 320(1).
Le protonotaire a refusé de remettre l'examen de cette nouvelle requête. Il a entendu les observa tions relatives à la requête, sans avoir été informé, cependant, que Swecan avait déjà cédé ses droits sur le solde du produit de la vente et qu'une entente avait déjà été conclue quant à l'accéléra- tion du paiement. Il a ensuite mis la cause en délibéré. Une ordonnance faisant droit aux conclu sions demandées dans la requête a été rendue le 16 septembre. Les procureurs des défenderesses ont été informés de cette ordonnance en fin d'après- midi, le 16 septembre, mais il n'existe aucune preuve qui démontre que M. Pinat, ou les diri- geants de Swecan ou de l'acheteur en ont été informés avant le 20 septembre.
Le 16 septembre 1988, l'acheteur a payé le montant de 450 000 $ au cessionnaire, 152931 Canada Inc. conformément à l'entente conclue en août. Le 20 septembre 1988, comme les documents accessoires devant être produits selon les termes de l'acte de vente avaient enfin été remis, la partie du prix de vente qui avait été soustraite aux vendeurs et gardée en fidéicommis a été libérée et versée à la 152931 Canada Inc. Ces deux montants, tout comme le produit initial de la vente en bloc payé le 29 janvier 1988 ont été immédiatement transférés par virement interbancaire à la Socoa Internatio nal aux îles Caïmans.
À la suite d'une série d'ajournements des autres requêtes datées du 13 septembre alors que l'ordon- nance provisoire demeurait en vigueur, les deman- deurs ont présenté deux nouvelles requêtes en injonction relatives à la vente en bloc et aux sommes payées en vertu de ce contrat, ce qui a donné lieu aux ordonnances qui sont directement contestées par les quatre appels en l'espèce. Exa- minons maintenant les ordonnances en question.
Les ordonnances en litige
Le 7 mars 1989, le juge Reed a rendu deux ordonnances. La première de celles-ci a eu pour effet de transformer l'ordonnance provisoire rendue par le protonotaire qui prévoyait le paie- ment du produit impayé de la vente en bloc à un séquestre, en ordonnance interlocutoire devant demeurer en vigueur jusqu'au règlement final du litige. La deuxième ordonnance donnait effet à une nouvelle requête des demandeurs découlant du changement de circonstances survenu après l'au- dience du 13 septembre, notamment les paiements effectués les 16 et 20 septembre ainsi que le trans- fert du produit de la vente à l'étranger. Tout le litige porte sur cette deuxième ordonnance rendue par le juge Reed, la seule, incidemment, pour laquelle des motifs ont été prononcés et pour cette raison, je la citerai textuellement:
LA COUR STATUE COMME SUIT:
a) les défenderesses et 152931 Canada Inc, 151095 Canada Inc. et 157079 Canada Inc., leurs administrateurs, dirigeants, préposés et mandataires et M. Gaston Pinat verront à retourner au Canada la totalité du produit découlant du contrat de vente en bloc conclu entre la défenderesse Swecan International Ltd. et 157079 Canada Inc. et signé à Montréal le 29 janvier 1988 et verront à ce que ces fonds soient remis au séquestre nommé ci-après; ce retour et cette remise seront faits lorsque ces fonds seront libérés de la saisie par le tribunal des îles Caïmans, sauf dans la mesure ce produit n'est pas couvert par l'ordonnance de saisie de ce tribunal, auquel cas les défenderesses et 152931 Canada Inc., 151095 Canada Inc. et 157079 Canada Inc., leurs administrateurs, dirigeants, préposés et mandataires et M. Gaston Pinat verront à retourner au Canada les fonds qui ne sont pas couverts par l'ordonnance de saisie dans les cinq jours de la date de la présente ordonnance;
b) le produit susmentionné sera placé sous le contrôle exclusif de M. Paul Bertrand, comptable agréé et syndic du cabinet d'experts-comptables de Samson, Bélair, à Montréal (Québec), à titre de séquestre qui recevra et investira ce produit de la façon autorisée par l'article 981o) du Code civil du Bas Canada jusqu'au jugement final sur le fond du litige;
c) les demandeurs auront le droit de recouvrer leurs dépens procureur-client de la présente demande.
La compagnie à nom numérique, 151095 Canada Inc., nommée dans l'ordonnance, était une société de portefeuille, contrôlée par Pinat et à laquelle il avait transféré ses actions de Swecan en 1986 et en 1988.
Il importe également d'expliquer la mention faite dans l'ordonnance de la procédure qui s'est déroulée aux îles Caïmans. Vers le 29 novembre 1988, Standal's Patents Ltd., un des demandeurs
devant la Grand Court des îles Caïmans, contre les défenderesses dans la présente cause et aussi contre Gaston Pinat, Socoa International, Swiss Bank and Trust Corporation, Swecan Internatio nal (1988) Ltd. (anciennement 157079 Canada Inc.) et un dénommé Bernard Latour, réclamant des dommages-intérêts au montant de 2 000 000 $ à la suite d'un présumé complot illégal destiné à [TRADUCTION] a priver, empêcher et garder» Stan- dal's Patents Ltd. de «recouvrer toute somme découlant des procédures devant la Cour fédérale du Canada» et demandant également une injonc- tion interdisant à Socoa International et à Swiss Bank and Trust Corporation de transférer, d'enle- ver, de liquider, de débiter l'actif du compte numéro 52911 ou d'effectuer toute opération s'y rapportant au nom de Socoa International. La Grand Court a rendu une ordonnance ex parte le 1°r décembre 1988 pour empêcher Socoa Interna tional et Swiss Bank and Trust Corporation de toucher à l'actif du compte numéro 52911 et leur enjoignant de conserver les livres, états, pièces justificatives et documents relatifs à tout compte enregistré au nom de Socoa International auprès de la Swiss Bank and Trust Corporation. Les procédures aux îles Caïmans, y compris la saisie avant jugement du compte Socoa, étaient, à la date de l'audition de ces appels, toujours en vigueur.
Je reviens aux ordonnances contestées.
Le 29 mars 1989, en réponse à une requête de Swecan demandant la suspension de la seconde ordonnance rendue le 7 mars, le juge Reed a modifié l'ordonnance pour permettre à Swecan de verser un cautionnement de deux millions de dol lars (2 000 000 $) au lieu de retourner le produit de la vente en bloc au Canada, mais elle a refusé la demande de suspension. L'acheteur a également demandé une suspension qui a aussi été refusée le 29 mars.
Le 11 avril 1989 les demandeurs se sont de nouveau adressés à la Section de première ins tance, alléguant que l'ordonnance du 7 mars n'avait pas été respectée et demandant d'autres mesures coercitives. Le juge Joyal a fait droit à la requête et il a rendu une ordonnance longue et extraordinaire. Je me sens obligé de la reproduire in extenso:
[TRADUCTION] La Cour ordonne ce qui suit:
1. Cette requête pourra être entendue après qu'un préavis sommaire en aura été donné.
2. Le produit et les fonds provenant de la vente en bloc du 29 janvier 1988, tel que mentionné dans l'ordonnance du 7 mars 1989 de la présente Cour, englobent tous les biens qui ont été remplacés ou échangés contre les montants payés à l'origine, notamment:
(1) toute action ou droits semblables dans Socoa Internatio nal transmis à 152931 Canada Inc., 151095 Canada Inc., 160088 Canada Inc., Gaston Pinat ou à d'autres en contre- partie de ces montants;
(2) tout titre d'action dans d'autres compagnies, obligations, certificats de placement ou autre bien acheté ou obtenu à l'aide de ces sommes, que ceux-ci soient en la possession de 152931 Canada Inc., de 151095 Canada Inc., de 160088 Canada Inc., de Gaston Pinat ou de Socoa International.
3. M. Paul Bertrand, expert-comptable agréé et administrateur de la firme Samson, Bélair à Montréal, Québec, Canada, est nommé séquestre:
(a) du produit de la vente en bloc susmentionnée, et
(b) de toute action ou droits semblables détenus par Gaston Pinat dans 151095 Canada Inc., 152931 Canada Inc., et Socoa International, 151095 Canada Inc. et 152931 Canada Inc. [sic],
et habilité à:
(1) prendre possession de ces droits et biens en signifiant un avis de saisie, ... accompagné d'un exemplaire de l'ordon- nance, au siège social de chacune des sociétés susmentionnées ainsi qu'à chaque personne ou compagnie ayant la garde des biens appartenant à Gaston Pinat;
(2) saisir toute preuve de titres d'actions pouvant se trouver en la possession de Gaston Pinat, des compagnies susmen- tionnées et de leurs préposés et mandataires;
(3) décerner un ou plusieurs mandats de main-forte au shérif ou à l'huissier de la province de Québec nommé par les demandeurs afin de permettre au séquestre de pénétrer dans les lieux occupés par les parties identifiées dans cette ordon- nance ainsi que dans les lieux occupés par leurs préposés et mandataires (y compris les bureaux de MM. Moe Ackman et Guy St. George de la ville de Montréal), de fouiller tous les dossiers sur place et d'y retirer tout document relatif à la vente en bloc et aux droits sur les actions susmentionnés; si un privilège est invoqué concernant ces documents, le séques- tre les mettra sous scellé et les remettra au greffe de la Cour fédérale pour que celle-ci en dispose par ordonnance;
(4) détenir et exercer tous pouvoirs sur le produit de la vente en bloc et sur les actions susmentionnées, en les conservant de la manière prévue par l'article 981o) du Code civil du Bas Canada, ou sous la forme ils étaient au moment de la saisie, ou sous toute autre forme demandée par Gaston Pinat et que le séquestre estime appropriée. Les parties, Gaston Pinat ou le séquestre peuvent, à tout moment, en se rensei- gnant sur le mode de disposition de ces biens, demander de faire changer la forme sous laquelle ils doivent être conservés.
(5) dans la mesure cela s'avère nécessaire et dans le but d'aider le séquestre à prendre possession du produit de la vente en bloc, exercer le droit de Gaston Pinat de convoquer des assemblées d'actionnaires, d'élire de nouveaux adminis- trateurs et de nommer des nouveaux dirigeants pour chacune des compagnies nommées, y compris:
(a) se nommer lui-même seul administrateur et dirigeant de chacune de ces compagnies,
(b) exercer, en sa qualité d'administrateur et de dirigeant de ces compagnies, les droits détenus par celles-ci dans Socoa International, et
(c) de la même façon élire de nouveaux administrateurs et nommer de nouveaux dirigeants pour Socoa International, et exercer les droits que Socoa détient sur les parties de son actif qui proviennent du produit de la vente en bloc.
4. Une fois que le séquestre aura pris possession du produit susmentionné de la vente en bloc, il rétrocédera tous les droits et autres biens saisis et transmettra ses fonctions aux personnes désignées par Gaston Pinat.
5. Il est interdit à toute personne ayant connaissance de cette ordonnance d'enlever, de détruire ou de céder tout dossier, document ou autre bien appartenant à Gaston Pinat, à 151095 Canada Inc., à 152931 Canada Inc. et à 160088 Canada Inc., faisant l'objet de la vente en bloc susmentionnée et qu'elle a en sa possession ou sous son contrôle, ou de permettre à quelqu'un d'autre de le faire, jusqu'à ce que le séquestre les examine et donne mainlevée.
6. Conformément aux Règles 2200 et 2201, Gaston Pinat est tenu de se présenter devant M. D'Aoust au greffe de la Cour fédérale à Montréal, sur rendez-vous fixé par ce dernier, pour répondre de sa participation à la disposition du produit de la vente en bloc.
7. La présente ordonnance ne porte pas atteinte au droit de l'une ou de l'autre partie de demander des garanties addition- nelles ou toute autre ordonnance ou modification de la présente ordonnance, si nécessaire, pour obtenir le contrôle des biens détenus par Socoa et permettre le retour de ces biens au Canada pour qu'ils soient détenus conformément à l'article 981o) du Code civil du Bas Canada; ces biens peuvent égale- ment être détenus de la même façon qu'au moment de la saisie ou sous la forme demandée par Gaston Pinat et que le séquestre estime appropriée. Les parties, Gaston Pinat ou le séquestre peuvent à tout moment demander que le mode de conservation de ces biens soit modifié ou demander des directives quant à leur disposition.
8. Les ordonnances rendues par Madame le juge Reed en date du 7 mars 1989 demeurent en vigueur, sous réserve des modifi cations requises par la présente ordonnance et compte tenu des adaptations de circonstance. En particulier, le séquestre peut, avec le consentement de l'avocat des demandeurs, conserver le produit sous la même forme qu'au moment de la saisie ou sous la forme demandée par Gaston Pinat et que le séquestre estime appropriée. De manière générale, le séquestre peut prendre les mesures qu'il juge nécessaires pour prendre possession du pro- duit de la vente en bloc susmentionnée, y compris intenter des poursuites aux îles Caïmans.
9. La Cour ne rend aucune ordonnance quant aux dépens.
Les procédures en appel
Comme je l'ai dit au début, la Cour est saisie de quatre appels distincts. Il faut maintenant éclaircir cette situation. On aura remarqué que la deuxième ordonnance du 7 mars 1989 rendue par Madame
le juge Reed était destinée non seulement aux défenderesses en l'espèce mais aussi à des tiers, dont l'un était 157079 Canada Inc., l'acheteur. Cette dernière a immédiatement porté cette ordon- nance en appel et peu après, les défenderesses en l'espèce ont fait de même. Ces deux appels ont été joints dans le même dossier, no. A-97-89, le deuxième étant désigné comme un appel incident conformément à la Règle 1203(3) [édictée par DORS/79-57, art. 20] des Règles de la Cour fédérale. L'ordonnance rendue par Madame le juge Reed le 29 mars 1989, rejetant une requête en suspension d'instance pendant l'appel interjeté par les défenderesses en l'espèce, a donné lieu à un troisième appel portant le numéro du greffe A-149-89. Enfin, l'ordonnance rendue par le juge Joyal le 11 avril 1989 a fait l'objet d'un quatrième appel, no. A-183-89 interjeté par les défenderesses en l'espèce.
Le tableau doit maintenant être assez complet pour me permettre d'expliquer pourquoi je suis d'avis que, vu les circonstances qui existaient à l'époque, la Cour ne pouvait rendre aucune des dites ordonnances, de sorte que tous les appels doivent être accueillis.
L'invalidité des ordonnances
Il n'y a pas grand-chose à dire au sujet de l'ordonnance rendue par le protonotaire le 16 sep- tembre ni au sujet de celle du 7 mars qui confir- mait et transformait l'ordonnance provisoire en ordonnance interlocutoire. En fait, ces deux ordon- nances ne concernent pas directement ces appels, elles sont plutôt incidentes. Au sujet de la première ordonnance, je suis cependant d'avis que le proto- notaire a agi sans autorité (voir la Règle 336 des Règles de la Cour fédérale') et, quant à la deuxième, elle était sans objet puisqu'au moment elle a été rendue, il n'y avait pas de solde impayé du produit de la vente en bloc, payable par 157079 Canada Inc. aux défenderesses en l'espèce (situation qui existait même avant que soit rendue l'ordonnance provisoire, mais qui n'avait pas été portée à la connaissance du protonotaire, comme nous l'avons déjà expliqué).
1 Elle prévoit notamment:
Règle 336. (1) Nonobstant la Règle 326(1), un protono- taire a le pouvoir
(Suite à la page suivante)
Je ne m'attarderai pas sur l'ordonnance du 11 avril non plus. Puisqu'il s'agit d'une ordonnance s'ajoutant à la deuxième ordonnance du 7 mars rendue par le juge Reed, les commentaires au sujet de cette dernière s'appliqueront tout autant à la première. Il n'existait tout simplement aucun fon- dement permettant de rendre une telle ordon- nance: on a seulement invoqué le non-respect de l'ordonnance du 7 mars et la seule façon pour la Cour de vérifier le bien-fondé de cette allégation et d'agir en conséquence était de recourir à des pour- suites pour outrage au tribunal. J'ajouterai que je ne vois tout simplement pas comment, alors que les tribunaux et les législatures 2 ont mis tant d'efforts pour écarter l'ancien mandat de main-forte dont le statut constitutionnel est pour le moins troublant, la présente Cour pourrait songer à le réhabiliter et à déléguer le pouvoir de décerner ce mandat à un comptable, de manière à lui permettre, avec tous les pouvoirs reconnus à l'État, de pénétrer sans cesse dans des lieux, de fouiller dans des dossiers et d'enlever des documents.
J'en viens alors immédiatement à la deuxième ordonnance du 7 mars rendue par Madame le juge Reed et qui est, nous l'avons vu, au coeur de toute cette controverse.
En établissant le fondement juridique de son ordonnance, le juge Reed a d'abord considéré l'ar- ticle 733 du Code de procédure civile [L.R.Q., chap. C-25] de la province de Québec, qu'on lui avait cité. Cet article prévoit la saisie avant juge- ment des biens du défendeur lorsqu'il est à crain-
(Suite de la page précédente)
g) de statuer sur toute demande interlocutoire qui lui a été nommément confiée ou qui a été confiée à l'un quelconque des protonotaires sur directive spéciale ou générale du juge en chef ou du juge en chef adjoint ...
[TRADUCTION] Pouvoirs des protonotaires
Directive générale établie en vertu de la règle 336(1)g)
Suivant la règle 336(1)g), le protonotaire-chef et le proto- notaire-chef adjoint ont le pouvoir d'instruire et de juger toute demande interlocutoire portée devant la Section de première instance, à l'exception de:
2. toute demande d'injonction y compris une injonction, du type Mareva ou Anton Pillar, faite ex parte ou après avis, ou toute demande faite ex parte ou après avis en vue d'obtenir la nomination d'un séquestre.
(établie par le juge en chef adjoint Jerome le 31 octobre 1985). 2 Voir: [Loi de 1985 modifiant le droit pénal] L.R.C. (1985), chap. 27 (1°' suppl.), art. 190, 195(2), 200.
dre que sans cette mesure le recouvrement de la créance en l'espèce ne soit mis en péril'. Elle a être convaincue que cette disposition pourrait être invoquée, au besoin, en application du paragraphe 56(1) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7] ou de la Règle 5 des Règles de la Cour fédérale'. Elle était cependant d'avis qu'il n'était pas nécessaire de suivre cette voie. L'ordon- nance demandée par les requérantes et qu'elle était sur le point de rendre visait une injonction interlo- cutoire semblable à une injonction Mareva et juri- diction pour émettre une telle injonction se trou- vait à l'article 44 de la Loi sur la Cour fédérale et à la Règle 469(1) des Règles de la Cour fédérale qui disposent:
44. En plus de tout autre redressement que peut accorder la Cour, cette dernière peut accorder un mandamus, une injonc- tion ou une ordonnance d'exécution intégrale ou nommer un séquestre dans tous les cas il lui paraît juste ou convenable de le faire; toute pareille ordonnance peut être rendue soit sans condition soit selon les modalités que la Cour juge équitables.
3 Le texte est le suivant:
733. Le demandeur peut, avec l'autorisation d'un juge, faire saisir avant jugement les biens du défendeur, lorsqu'il est à craindre que sans cette mesure le recouvrement de sa créance ne soit mis en péril.
4 L'article 56(1) porte:
56. (1) En sus de tous brefs d'exécution ou autres que les Règles prescrivent pour l'exécution des jugements ou ordon- nances de la Cour, celle-ci peut décerner des brefs visant la personne ou les biens d'une partie et ayant la même teneur et le même effet que ceux qui peuvent être décernés par l'une quelconque des cours supérieures de la province dans laquelle un jugement ou une ordonnance doivent être exécutés; et lorsque le droit de cette province exige, pour l'émission d'un bref, une ordonnance d'un juge, un juge de la Cour peut rendre une ordonnance semblable en ce qui concerne un tel bref lorsque la Cour doit en décerner un.
Quant à la Règle 5, appelée «règle des lacunes», elle prévoit: Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se pose une question non autrement visée par une disposition d'une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance générale de la Cour (hormis la présente Règle), la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant des instructions, soit après la survenance de l'événement si aucune requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et la procédure à suivre pour cette question par analogie
a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des procédures semblables devant les tribunaux de la province à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des procédures,
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en l'espèce.
Règle 469 (1) Une partie peut demander une injonction inter- locutoire, avant ou après le début de l'instruction de l'action, même si la déclaration ou la demande reconventionnelle de cette partie ou l'avis à la tierce partie par cette partie, selon le cas ne contient pas de demande d'injonction; et cette demande d'injonction doit être appuyée par un affidavit établissant les faits qui rendent l'injonction nécessaire et doit être faite par voie de requête dont avis doit être donné à toutes les autres parties.
La seule question, selon le juge, était de savoir si, en l'espèce, il convenait qu'elle exerce sa compé- tence, et puisqu'elle était d'avis que la cause des demandeurs reposait sur une forte apparence de droit, que la balance des inconvénients penchait en leur faveur, qu'il y avait un risque réel que leur réclamation soit sans effet, que les défenderesses avaient retiré des biens de la juridiction de la Cour pour essayer d'échapper à un jugement possible et qu'en plus, les biens ainsi retirés avaient été trou- vés et identifiés, la solution était facile. Elle écrit (aux pages 16 et 17):
Tous les éléments nécessaires à l'octroi d'une demande d'in- jonction Mareva ont été prouvés, sauf un: les biens dont on demande la remise à un séquestre ne se trouvent pas dans le territoire de cette Cour. Toutefois, ce facteur n'empêche pas l'octroi de l'ordonnance recherchée. Il ne s'agit pas d'une ordonnance qui serait rendue contre les biens eux-mêmes, mais contre des sociétés et des particuliers qui se trouvent dans le territoire ... Il est indubitable que la demande d'ordonnance devrait être accordée.
Sauf le respect que je lui dois, je conteste le bien-fondé du raisonnement du juge.
Je me permettrai d'abord quelques remarques incidentes. Si la question de savoir si la Cour peut rendre une injonction Mareva soulève quelque dif ficulté, ce n'est pas que l'ordonnance elle-même constituerait un remède qui outrepasse la compé- tence de la Cour. Il n'y a aucun doute que la Cour possède la compétence voulue pour rendre des injonctions provisoires, interlocutoires et perma- nentes. La question est plutôt de savoir si la Cour peut rendre une telle injonction, avant jugement, dans le seul but de donner une garantie de paie- ment à un demandeur. Il est bien connu que lorsque l'injonction Mareva a été introduite en 1975 par la Cour d'appel de l'Angleterre dans l'arrêt Nippon Yusen Kaisha v Karageorgis, [1975] 3 All E.R. 282; et Mareva Compania Naviera SA v International Bulkcarriers SA [The Mareva], [1980] 1 All E.R. 213, elle représentait un écart radical par rapport aux principes juridi-
ques traditionnels. Selon le droit relatif aux injonc- tions à l'époque, sauf dans des circonstances très spéciales, (transferts frauduleux, conservation de l'objet du litige), aucune injonction n'était accor- dée avant le jugement dans le but d'empêcher les défendeurs de toucher à leur actif (l'arrêt qui a fait autorité en droit anglais pendant de nombreu- ses années était Lister & Co. v. Stubbs (1890), 45 Ch. D. 1; [1886-90] All E.R. Rep. 797 (C.A.)). La doctrine Mareva, que les tribunaux anglais ont développée tout récemment, s'applique-t-elle à la présente Cour? On pourrait hésiter si on considère que celle-ci n'est qu'une Cour constituée en vertu de la loi sans pouvoirs inhérents et que les Règles de la Cour fédérale (Règles 469(1) et 470) pré- voient déjà un pouvoir limité de rendre une injonc- tion interlocutoire (pour la conservation des biens) mais ne confèrent aucun pouvoir explicite de geler des fonds.
D'autre part, l'article 733 du Code de procédure civile du Québec prévoit une mesure de protection qui diffère de celle visée par une ordonnance Mareva. Alors que cette dernière est indéniable- ment une ordonnance adressée au défendeur in personam, interdisant à cette personne de faire quelque chose (comme la Cour d'appel anglaise l'a une fois de plus répété avec emphase dans Bank Mellat v. Kazmi, [1989] 2 W.L.R. 613), au con- traire, le remède prévu par l'article 733—bien qu'il constitue également une mesure exceptionnelle qui déroge au principe général—est une saisie qui touche la res (qu'elle soit ou non entre les mains de tiers) et s'applique indépendamment de la per- sonne. Le pouvoir de cette Cour de contraindre les défendeurs ou les tiers à agir ne trouverait aucun appui dans cette disposition du Québec, surtout dans des situations la res est situé hors de la juridiction de la Cour.
Néanmoins, je n'ai pas l'intention, de nier que cette Cour a le droit de rendre une ordonnance Mareva. Si l'on admet que la raison d'être, le principe fondamental de la doctrine Mareva tel qu'il a été énoncé récemment par lord Donaldson, M.R., dans l'arrêt Derby & Co. Ltd. v. Welson (Nos. 3 & 4), [1989] 2 W.L.R. 412 (C.A.) à la page 422, principe selon lequel aucune cour ne devrait permettre à un défendeur de prendre des mesures destinées à contrecarrer les ordonnances qu'elle rendra par la suite, on ne voit pas pourquoi
la Cour ne serait pas indirectement autorisée à protéger son fonctionnement en ayant recours à ce genre d'injonction interlocutoire. Dans une telle perspective (et contrairement à ce qui semble être la pratique en Angleterre), les ordonnances «subsé- quentes» pouvant ainsi être protégées ne devraient pas être seulement des ordonnances possibles et discutables, mais plutôt des ordonnances probables impliquant la preuve d'une forte apparence de droit (voir les motifs du juge Estey dans l'arrêt Aetna Financial Services Ltd. c. Feigelman et autres, [ 1985] 1 R.C.S. 2, la seule occasion la Cour suprême a statué sur une injonction Mareva). En fait, une telle condition préalable peut difficilement être vérifiée si on se fonde uni- quement sur une déclaration alléguant une contre- façon de brevet et une défense niant cette alléga- tion, comme c'est le cas en l'espèce. Malgré la façon de voir du juge des requêtes, l'avocat des demandeurs—les intimés en l'espèce—n'a pas pré- tendu pouvoir démontrer que sa cause était plus que défendable.
Le véritable fondement de mon objection au raisonnement du juge va cependant au-delà de ces considérations. Je crois tout simplement que l'or- donnance contestée telle qu'elle a été rendue n'était pas de la nature d'une injonction Mareva.
Une injonction Mareva, comme toute injonction interlocutoire, peut seulement être prononcée contre les défendeurs dans une action. Elle ne peut s'adresser aux tiers. Comme l'a dit lord Diplock dans l'arrêt Siskina (Owners of cargo lately laden on board) v. Distos Compania Naviera S.A., [1979] A.C. 210 (H.L.) à la page 256:
[TRADUCTION] Le droit d'obtenir une injonction interlocutoire ne constitue pas une cause d'action. Il n'est pas autonome. Il est tributaire d'une cause d'action qui existe déjà contre le défen- deur et qui découle de la violation, réelle ou possible, d'un droit légal ou reconnu en equity du demandeur, que celui-ci peut faire valoir contre le défendeur devant la cour. Le droit d'obte- nir une injonction interlocutoire n'est qu'accessoire à la cause d'action déjà existante.
Évidemment, les tiers peuvent être touchés par une injonction rendue contre un défendeur dans une action, puisque ce serait un outrage au tribu nal que d'encourager sciemment la violation de l'ordonnances. Ils ne peuvent cependant pas faire
5 Voir par exemple Re Gaglardi (1960), 27 D.L.R. (2d) 281 (C.A.C: B.).
eux-mêmes l'objet de l'injonction sans être pour- suivis et le seul fait de leur signifier une demande d'injonction ne les constitue pas parties à l'action.
On pourrait objecter qu'en l'espèce, le dénommé Pinat était le véritable défendeur puisqu'il contrô- lait à lui seul les compagnies défenderesses. Je ne vois pas comment ce seul fait permettrait de ne pas tenir compte des personnalités distinctes en cause, mais, de toute manière, cette question ne concerne pas l'acheteur qui, mis à part la vague mention d'une relation professionnelle, est complètement indépendant des défenderesses et de M. Pinat.
Il existe, cependant, une raison beaucoup plus fondamentale et importante que la présence des tiers parmi les personnes touchées par l'ordon- nance pour refuser de donner à celle-ci le statut d'une injonction Mareva. Cette raison se rattache à la nature même de l'injonction Mareva. Le principe exceptionnel auquel l'injonction Mareva donne effet est qu'un demandeur dans une pour- suite en justice ne doit pas être frustré par son débiteur qui déciderait de disposer de tous ses biens avant que la Cour ne rende sa décision. Ainsi, le but d'une injonction Mareva est donc de geler l'actif du défendeur en attendant le procès et son objet est uniquement d'interdire au défendeur de faire des opérations visant à disposer de ses biens ou à les transporter hors du territoire soumis aux brefs d'exécution de la Cour. Il est évident que cela ne ressemble pas à l'ordonnance contestée puisque celle-ci, loin d'empêcher les défenderesses de faire quelque chose, les contraint à annuler un acte déjà accompli et à retirer des placements déjà faits.
La différence est-elle fondamentale? La prati- que et la doctrine Mareva ont beaucoup évolué au cours des dernières années en Angleterre; la Cour d'appel de l'Angleterre, lors de son dernier arrêt Derby, précité, l'a même appliquée à «l'échelle mondiale» aux biens se trouvant en dehors de sa juridiction: l'ordonnance en l'espèce ne pourrait- elle pas suivre cette tendance? je ne le crois pas. À mon avis, une ordonnance visant à geler un actif est tout à fait différente de celle qui vise à recons- tituer un tel actif. Dans le premier cas, le temps est pour ainsi dire arrêté, ce qui a pour résultat la conservation de l'actif et seule la liberté du défen- deur en souffre; dans le deuxième cas, on recule
dans le temps, ce qui a pour résultat la reconstitu- tion de l'actif et les tiers sont nécessairement direc- tement touchés. Dans le premier cas, nous pouvons toujours parler de mesures incidentes et conserva- toires alors que dans le second, nous ne le pouvons pas: il s'agit d'une exécution et l'exécution avant jugement est pour moi un concept impensable 6 .
On a beaucoup parlé des deux derniers verse- ments provenant du produit de la vente en bloc qui ont été effectués en septembre, mais je ne vois pas comment, au stade en était l'instance le 7 mars, ils pouvaient être considérés différemment du ver- sement initial de janvier 1988 et ainsi faire plus facilement l'objet d'un «retrait». Il est allégué, bien sûr, que ces versements et leur transfert immédiat aux îles Caïmans ont eu lieu après l'audience devant le protonotaire en prévision d'une ordon- nance défavorable possible, ce qui équivaudrait à un outrage au tribunal. La décision de la Cour suprême dans Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et autres c. Cutter (Canada), Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388 est également invoquée. Je soulignerai qu'il existe une grande différence entre le cas dont la Cour suprême a été saisie dans l'arrêt susmentionné le comportement outra- geux de la défenderesse avait eu lieu entre le moment les motifs du juge de première instance avaient été déposés au dossier et celui le juge- ment formel que l'avocat devait préparer avait été signé. En l'espèce, il n'y avait rien de sûr concer- nant la décision relative à la requête à la fin de l'audience du 13 septembre et, en fait, l'ordon- nance sollicitée ne relevait pas de la compétence du protonotaire. Mais de toute manière, une accu sation d'outrage au tribunal doit être prouvée hors de tout doute raisonnable (voir Glazer v. Union Contractors Ltd. & Thornton (1960), 129 C.C.C. 150 (C.A.C.-B.); Re Bramblevale, Ltd., [1969] 3 All E.R. 1062 (C.A.); Bhatnager c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 3 (1 inst.), à la page 13, infirmée en appel [[1988] 1 C.F. 171] mais pas sur ce point) et lors d'une procédure spéciale instituée surtout en vue
6 À propos, le juge des requêtes a laissé entendre dans ses motifs que l'ordonnance qu'elle a rendue était comparable aux ordonnances concernant la production de documents hors de la juridiction de la cour. La différence essentielle, il me semble, est que la production de documents n'a rien à voir avec l'exécution et surtout, elle est essentielle au devoir de la cour de résoudre équitablement le litige. La garantie avant jugement ne joue pas ce rôle.
de protéger l'inculpé (voir la Règle 355 des Règles de la Cour fédérale).
Ce sont les raisons pour lesquelles je crois que la deuxième ordonnance rendue le 7 mars par Madame le juge Reed, par conséquent, celle qu'elle a rendue le 29 mars, dépassaient la compé- tence de la Cour.
Je suis donc d'avis que la Cour doit annuler toutes les ordonnances portées en appel. Cela, ironiquement, aura pour effet de maintenir la pre- mière ordonnance rendue par Madame le juge Reed le 7 mars, qui transformait l'ordonnance provisoire rendue par le protonotaire en ordon- nance interlocutoire, puisqu'elle n'a pas été portée en appel. Mais n'ayant aucun objet, cette ordon- nance demeure, me semble-t-il, sans effet.
Les appels devraient donc être accueillis et les ordonnances rendues en première instance les 7 et 29 mars et le 11 avril 1989 devraient être annulées.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Il n'est pas nécessaire de répéter les faits que mon confrère le juge Marceau, J.C.A. a exposés en détail. Je veux simplement en faire ressortir un fait énoncé par le juge Reed (Dossier d'appel, vol. 1 page 138):
[TRADUCTION] M. Pinat était présent dans la salle d'audience pendant toute l'audience du 13 septembre 1988 [devant le protonotaire] lorsque son avocat a plaidé la requête devant cette Cour à partir de faits erronés.
À la suite de l'audience et de la décision rendue par le protonotaire le 16 septembre et soi-disant avant d'être informé de la décision, M. Pinat a accepté le paiement anticipé du dernier montant impayé par l'acheteur en vertu de l'entente de vente en bloc du mois de janvier précédent, mon- tant qu'il a immédiatement transféré à Socoa International aux îles Caïmans.
Je suis d'avis que c'était la nature manifeste- ment outrageuse de ces actes d'acceptation et de transfert, accomplis en pleine connaissance de ce qui se passait devant le protonotaire qui a amené les juges de première instance, à décider comme ils l'ont fait et si la décision rendue par le protono- taire avait effectivement relevé de sa compétence,
leur réaction aurait pu être justifiée. Mais je sous- cris entièrement à l'argument du juge Marceau J.C.A., selon lequel le protonotaire n'avait pas la compétence voulue pour rendre une telle ordon- nance à cause de la directive générale du juge en chef adjoint fondée sur la Règle 336(1)(g). Cette question n'a pas été soulevée devant la Section de première instance, mais comme elle a été portée à notre attention, nous ne pouvons pas ne pas en tenir compte.
Étant donné que l'ordonnance du 16 septembre rendue par le protonotaire était illégale, il me semble qu'on ne peut plus soulever la question relative à sa violation par Pinat et les compagnies dont il était l'actionnaire principal. Je ne suis pas prêt, cependant, à soutenir qu'en aucun cas une injonction Mareva ne pourrait exiger la reconstitu- tion d'un actif. Si les faits avaient été tels que la Section de première instance les a perçus, surtout si, par exemple, Pinat avait été reconnu coupable d'outrage au tribunal, la situation aurait pu justi- fier une injonction Mareva. Le droit dans ce domaine est en pleine évolution comme en témoi- gne la décision récente de la Cour d'appel anglaise dans l'arrêt Derby & Co. Ltd. v. Weldon (Nos. 3 & 4), [ 1989] 2 W.L.R. 412 (permission d'interjeter appel refusée). À mon avis, il suffit de dire pour les fins de la décision en l'espèce qu'une injonction Mareva ne saurait être accordée à partir de ces faits de manière à exiger la reconstitution de l'actif.
À tous les autres égards, je souscris aux motifs prononcés par le juge Marceau, J.C.A., et à sa décision en l'espèce.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: J'ai eu l'avan- tage de lire le projet des motifs des juges Marceau, J.C.A., et MacGuigan, J.C.A.
Les faits ont été exposés dans les motifs du jugement du juge Marceau, J.C.A. et j'y souscris. Comme mes deux collègues, je suis convaincue que le juge de première instance ne pouvait pas rendre sa deuxième ordonnance du 7 mars 1989 qui est fondamentale en l'espèce. Étant donné que le pro- tonotaire n'avait pas la compétence voulue pour
prononcer l'ordonnance provisoire du 16 septembre 1988, les défenderesses ne peuvent pas avoir essayé de violer une ordonnance de la cour lorsqu'elles ont transféré aux îles Caïmans, les 16 et 20 septembre 1988, le solde du prix de vente qu'elles venaient de recevoir de l'acheteur. Le juge de première ins tance ne pouvait donc pas conclure que «les défen- deresses ont transféré des biens en dehors du terri- toire pour tenter d'éviter l'application d'un jugement possible de cette Cour» (dossier d'appel à la page 145). L'ordonnance rendue par le juge Joyal le 11 avril 1989, étant accessoire à l'ordon- nance du juge Reed, est également annulée.
Je souscrirais à la décision prononcée par le juge Marceau, J.C.A.
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