Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1929-87
Jim Lacey de Maple Creek, province de la Saska- tchewan, Russell Larson d'Outlook, province de la Saskatchewan, Chris Boon de Lucky Lake, pro vince de la Saskatchewan, Leah MacDonald de Taber, province d'Alberta, Les Prosser de Min- burne, province d'Alberta, Glenn Freadrich de Killam, province d'Alberta et Gary Nestibo de Goodland, province du Manitoba (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: LACEY C. CANADA a re INST.)
Section de première instance, juge Joyal—Regina, 15 mars; Ottawa, 30 août 1989.
Agriculture Vente de blé par l'entremise de la Commis sion canadienne du blé au cours de la campagne agricole 1985-1986 Bénéfices et pertes Méthode de comptabilité La Commission peut-elle prendre les bénéfices tirés des ventes d'un grade particulier de blé pour compenser les pertes subies lors de la vente d'autres grades de blé dans le pool du blé (méthode comptable de mise en commun des prix) ou doit-elle distribuer les bénéfices réalisés parmi les producteurs de ce grade et faire supporter par la Couronne les pertes subies lors de la vente d'autres grades (mode de calcul grade par grade)? Interprétation de la Loi L'opération de la Commission doit être neutre en matière de recettes La Commission n'est pas un organisme de soutien des prix et des revenus La contrepartie prévue par la loi à l'égard du partage des bénéfices consiste dans le risque de pertes.
La Commission canadienne du blé est mandataire de Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Le législateur lui confie la tâche de commercialiser et de vendre le grain de l'Ouest pour le compte des céréaliculteurs. Pendant la campagne agricole 1985-1986, les opérations de la Commission ont connu un excédent de 54 300 000 $ provenant des ventes du grade de blé des demandeurs, et une perte de 77 300 000 $ subie par suite de la vente d'autres grades de blé. La Commission a pris cet excédent pour compenser les pertes, ce qui a donné lieu à un déficit net de 23 000 000 $ qui, conformément à la Loi sur la Commission canadienne du blé, a été couvert par des crédits parlementaires. Les demandeurs soutiennent que les pertes de la Commission doivent, selon la Loi, être calculées en fonction de chacun des grades, et que l'excédent provenant de la vente de leurs propres grades de blé ne devrait pas être absorbé par les pertes subies lors de la vente d'autres grades de blé. Les demandeurs prétendent que la Couronne est tenue de verser à la Commission le déficit total de 77 300 000 $ pour que leur propre excédent puisse être distribué, ce que la Couronne a refusé de faire. Les demandeurs concluent à un jugement déclaratoire portant sur les sommes qui leur seraient dues par suite de la vente de leur blé durant la campagne agricole 1985-1986.
Jugement: l'action devrait être rejetée.
D'une part, le paragraphe 5(3) de la Loi parle de pertes subies au cours de ses opérations sous le régime de la Partie III relativement à toute période de livraison en commun, ce qui porte à croire que le pool du blé doit être considéré comme une unité dans la détermination des pertes.
D'autre part, le paragraphe 26(5) semble donner à chaque producteur l'assurance que, quel que soit le prix qu'il reçoit pour son grade particulier, ce prix doit avoir un rapport appro- prié avec celui de chaque autre grade.
Pour compliquer le problème, il y a la disposition du paragra- phe 26(2) qui, en permettant à un producteur de partager tout excédent selon la classe, implique que chaque grade doive être considéré comme une unité distincte.
La création et le maintien de la Commission canadienne du blé vise principalement à la commercialisation continue et ordonnée du grain au meilleur prix possible dans les conditions actuelles du marché, tant pour le commerce intérieur que pour le commerce extérieur. La pierre angulaire du programme visant à la commercialisation ordonnée du grain et à l'accès égal de tous les producteurs au marché est le concept de mise en commun des prix parmi ceux-ci. La mise en commun des prix compense les fluctuations des prix au cours d'une année de commercialisation.
Antérieurement à la campagne agricole, la Commission doit faire une estimation probable du prix que commandera chaque grade. Elle fixe alors un prix «paiement initial» pour chaque grade. Les producteurs sont donc payés lorsqu'ils vendent leur blé à la Commission. Cela signifie que chaque producteur, malgré la tendance à la baisse des prix sur le marché au cours de la campagne agricole, est certain de ne pas recevoir moins que le paiement initial. Cette mesure vise non seulement à garantir au producteur un prix plancher, mais aussi à lui fournir l'encaisse nécessaire en attendant les calculs définitifs à la fin de la campagne agricole. La campagne agricole 1985- 1986 est la seule année au cours d'une période de vingt campagnes agricoles le pool du blé a subi une perte qui devait être absorbée par des fonds publics.
D'après la preuve produite, les dépenses de la Commission sont calculées sur la base du pool, sans tenir compte de la question de savoir si un certain grade pourrait exiger davantage de dépenses qu'un autre. On peut en conclure raisonnablement que l'économie de la Loi prévoit un partage des risques et des récompenses entre tous les producteurs de blé. En conséquence, il serait logique de conclure que, en adoptant la Loi, le législa- teur a voulu créer un pool du blé comprenant tous les grades de blé, à partir duquel tous les bénéfices réalisés sur toutes les ventes, moins les dépenses engagées lors de toutes les ventes, doivent être distribués aux producteurs à titre de paiement final.
Tout cela se trouve confirmé par la Loi elle-même. Le paragraphe 5(3) fait état de pertes opérationnelles du pool du blé tout entier: les pertes subies pour ce qui est de certains grades de blé ainsi que les bénéfices réalisés sur d'autres grades sont mis en commun pour arriver à un excédent ou à un déficit net. Le paragraphe 26(2) ne parle pas de pertes ni de la méthode de calcul de celles-ci. Par conséquent, on doit recourir aux dispositions plus génériques du paragraphe 5(3) pour dis- cerner les intentions du législateur.
De même, l'économie de la Loi repose sur l'idée fondamen- tale que l'opération de la Commission doit être neutre en matière de recettes. La Commission ne joue pas le rôle d'un organisme de soutien des prix ou des revenus. Le paiement initial qui ne peut être recouvré constitue le seul élément du soutien des prix. Étendre ce soutien de la manière suggérée par les demandeurs (droit à des bénéfices en fonction de chaque grade) signifierait que le producteur n'aurait pas à courir les risques de pertes à l'égard de son grade de blé, mais qu'il aurait néanmoins droit à tous les bénéfices réalisés sur ce grade. Si telle était l'intention du législateur, il l'aurait manifestée de façon plus explicite. La situation dans laquelle les demandeurs se sont trouvés en 1985-1986 constitue un risque inhérent que tous les producteurs, indépendamment des grades, doivent tôt ou tard courir. Il s'agit essentiellement d'une contrepartie prévue par la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret C.P. 1917-1604, Gaz. C. 1917.51.1650.
Loi de la Commission canadienne du blé, 1922, S.C. 1922, chap. 14, art. 16, 17.
Loi de la Commission des blés du Canada, S.C. 1919-20, chap. 40, art. 15.
Loi de stabilisation concernant le grain de l'Ouest, L.R.C. (1985), chap. W-7.
Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé, S.C. 1967-68, chap. 5, art. 3, 6.
Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1942-43, chap. 4.
Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), chap. C-24.
Loi sur la Commission canadienne du blé, S.R.C. 1970, chap. C-12, art. 5(2),(3), 25(1) (mod. par S.C. 1972, chap. 16, art. 3; 1974-75-76, chap. 109, art. 2), (1.1) (édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 109, art. 2(2)), 26(2) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 27, art. 1; 1976-77, chap. 55, art. 2), (5) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 55, art. 2), 27, 35 (mod. par S.C. 1972, chap. 16, art. 5; 1976-77, chap. 55, art. 2).
Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1935, chap. 53.
Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), chap. G-10. Loi sur les grains du Canada, S.R.C. 1970, chap. G-16. Loi sur les paiements anticipés pour le grain des Prai
ries, L.R.C. (1985), chap. P-18.
Règlement sur la Commission canadienne du blé, C.R.C., chap. 397, art. 26(1) (mod. par DORS/85-413, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Kiist c. Canadian Pacific Railway Co., [1980] 2 C.F. 650 (lre inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Westminster Bank Ltd. v. Zang, [1965] A.C. 182 (H.L.); R. v. Mojelski (1968), 65 W.W.R. 565 (C.A. Sask.); Jones c. P.C. du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S.
182; 45 D.L.R. (3d) 583; (1974) 1 N.R. 582; 7 N.B.R. (2d) 526; 16 C.C.C. (2d) 297; Goodman v. Criminal Injuries Comp. Bd., [1981] 2 W.W.R. 749 (C.A. Man.); Attorney -General for Canada v. Hallet & Carey Ltd., [1952] A.C. 427 (C.P.); Murphy v. Canadian Pacific Railway and The Attorney, General of Canada, [1958] R.C.S. 626; 15 D.L.R. (2d) 145; The Queen v. Klassen (1959), 20 D.L.R. (2d) 406 (C.A. Man.); Oatway v. Can. Wheat Board, [1944] 3 W.W.R. 337 (C.A. Man.).
DOCTRINE
Driedger E. A. Construction of Statutes, 2 e éd. Toronto: Butterworths, 1983.
AVOCATS:
Aaron A. Fox pour les demandeurs. Duff F. Friesen, c.r. pour la défenderesse.
PROCUREURS:
McDougall, Ready, Regina, pour les deman- deurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE JOYAL: Les demandeurs concluent à un jugement déclaratoire portant sur certaines sommes qui leur seraient dues par suite de la vente de leur blé à la Commission canadienne du blé durant la campagne agricole 1985-1986.
Les demandeurs font valoir que, d'après une interprétation appropriée de la Loi sur la Com mission canadienne du blé, S.R.C. 1970, chap. C-12, maintenant L.R.C. (1985), chap. C-24, la Commisson canadienne du blé (la «Commission») leur doit la somme de 54 300 000 $. Cette somme constitue le solde que la Commission aurait tiré des ventes par les demandeurs de leurs grades particuliers de blé. La Commission a pris ces sommes pour compenser les pertes subies lors de la vente d'autres grades de blé, et elle a décidé qu'aucune autre somme n'était due aux deman- deurs.
La Commission canadienne du blé est manda- taire de Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Les pertes subies par la Commission dans ses opérations annuelles sont couvertes par des crédits parlementaires. Dans l'année 1985-1986, les opé- rations totales de la Commission relatives au blé ont connu un déficit de 23 000 000 $. Il s'agissait
du montant du déficit net par suite de toutes les ventes compte tenu d'un excédent de 54 300 000 $ provenant des ventes des grades de blé des deman- deurs et d'une perte de 77 300 000 $ subie par suite de la vente d'autres grades de blé. La Cou- ronne a donc payé ce déficit net de 23 000 000 $ à la Commission.
Les demandeurs soutiennent que les pertes de la Commission doivent, selon la loi, être calculées en fonction de chacun des grades, et que l'excédent provenant de la vente de leurs propres grades de blé ne saurait être absorbé par les pertes subies lors de la vente d'autres grades de blé. Les deman- deurs prétendent que la Couronne est donc tenue de verser à la Commission le déficit total de 77 300 000 $ pour que leur propre excédent puisse être distribué, ce que la Couronne a refusé de faire.
Après échange de plaidoiries, les deux parties ont convenu de faire trancher le litige sur la base d'un exposé conjoint des faits, et le procès s'est déroulé dans ce sens.
On ne saurait qualifier l'action en jugement déclaratoire intentée par les demandeurs d'action en recouvrement de dettes. Elle implique l'inter- prétation de certaines dispositions de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Ces dispositions doivent être interprétées par rapport aux opéra- tions complexes de la Commission canadienne du blé à laquelle le législateur confie la tâche de commercialiser le grain de l'Ouest pour le compte des céréaliculteurs. Pour mieux comprendre les points litigieux, il convient peut-être de souligner les antécédents de cet organisme de commerciali sation qui manie plusieurs milliards de dollars et qui fait partie du paysage de l'Ouest depuis plu- sieurs années.
HISTORIQUE DE LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ
La commercialisation du grain de l'Ouest par un organisme public remonte à 1917 [Arrêté en con- seil, P.C. 1917-1604, Gaz. du Can. 1917.51.1650] avec la création de la Commission des surveillants du commerce du grain [du Canada] pour répondre aux exigences de guerre et pour exercer un mono- pole sur le blé canadien.
En 1919, le Parlement a adopté la Loi de la Commission des blés du Canada [S.C. 1919-20, chap. 40] avec son propre système de caducité à compter du 15 août 1921.
Une nouvelle loi [Loi de la Commission cana- dienne du blé, 1922], S.C. 1922, chap. 14, a été adoptée en 1922. Dans son article 16, cette Loi prévoyait expressément que le gouvernement du Canada n'était pas responsable des déficits dans les opérations de la Commission. Elle avait égale- ment une clause de temporarisation semblable [article 17].
À cette époque environ, on a mis sur pied des pools du blé dans les Prairies. L'organisation de ces pools reposait sur les principes de commerciali sation des coopératives et par leur entremise, un Organisme central de ventes a été établi. Au moyen d'une mise en commun volontaire et con- tractuelle des grains, d'une vente directe- et de l'établissement d'organismes de vente d'outre-mer, l'organisme de commercialisation pour les trois provinces productrices de grains vendait un peu plus que la moitié de tout le blé produit au cours de ses années d'opérations. L'organisme central de ventes a toutefois rencontré de grandes difficultés pendant les années de récession et le gouvernement a intervenir. Une opération de stabilisation a été lancée, et ceci, à son tour, a donné directement lieu à la loi de 1935 sur la Commission canadienne du blé [Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1935, chap. 53].
La structure actuelle de la Commission découle de cette Loi. Comme son prédécesseur, elle devait exister temporairement, et la participation à ses activités était facultative. Cependant, elle a conti- nué d'exister pendant les années de guerre et, en 1943 [S.C. 1942-43, chap. 4], la Commission a obtenu son monopole de commercialisation actuel.
On peut dire que c'est seulement en 1967 que la Commission a pris un caractère d'institution «per- manente». C'est au cours de cette année que les dispositions de la Loi sur la Commission cana- dienne du blé exigeant de réviser tous les cinq ans le mandat de la Commission ont été abrogées [S.C. 1967-68, chap. 5, art. 3, 6].
LES OPÉRATIONS ACTUELLES DE LA COMMISSION
Le mandat actuel de la Commission porte sur la commercialisation des grains de l'Ouest au meil- leur prix possible, dans les conditions en cours du marché tant pour les marchés intérieurs que pour les marchés extérieurs. Le grain n'est pas emmaga- siné pour attendre une hausse des prix mondiaux, mais il est vendu sans interruption. La pierre angulaire du système est la mise en commun des prix parmi les producteurs pour compenser les fluctuations des prix dans une campagne agricole. La mise en commun des prix a toutes les caracté- ristiques du mouvement coopératif dirigé par les fermiers au cours des années 1920 et 1930. L'élé- ment central de l'idée de mise en commun est le système du contingent de livraison utilisé par la Commission pour lancer les types et grades parti- culiers de grain pour lesquels il existe un marché immédiat.
Il n'existe aucun contrôle sur la production. Il n'existe pas non plus de restrictions ni d'encoura- gement à la production d'un type ou d'un grade de grain. Les producteurs sont libres de produire ce qu'ils veulent, mais les contingents de livraison donnent accès au système de livraison selon la superficie attribuée dans le carnet de livraison du producteur.
La division de transport de la Commission recommande des contingents de livraison pour con- trôler le mouvement des grains provenant des agri- culteurs dans les genres et grades requis pour répondre aux engagements de ventes. La Commis sion ne dispose d'aucun silo ou d'autres installa tions de manipulation puisque, dès son début, en tant que la Commisson canadienne du blé moderne en 1935, on a enjoint à la Commission de faire usage des installations existantes du commerce. La Commission agit alors par l'entremise de manda- taires chargés de l'emmagasinage dans des silos, du traitement et de la manipulation des grains de la Commission.
La Commission vend des grains à pratiquement toutes les nations importatrices de grains dans le monde. Approximativement 90 % du volume total des grains exportés de l'Ouest du Canada est négocié et coordonné par la Commission. Tout le blé, l'avoine et l'orge plantés dans les Prairies, soit pour les marchés intérieurs, soit pour les marchés
extérieurs, relèvent de la Commission. Si on se rappelle qu'en 1986, il existait plus de 145 000 cultivateurs de grains dans les régions désignées de la Commission, qui s'occupaient de quelque quatre types de grains, chacun de ces types étant classé en de nombreux grades comportant des écarts de prix, la portée, la complexité et l'ampleur des opérations annuelles de la Commission deviennent évidentes.
Les fonctions de la Commission comportent par- fois l'application de programmes qui n'ont aucun rapport avec la commercialisation des grains. À titre d'exemple, la Commission est, depuis 1957, responsable de l'application de la Loi sur les paie- ments anticipés pour le grain des Prairies, L.R.C. (1985), chap. P-18. Ce programme assure des encaisses aux producteurs dont le grain est stocké à leur ferme en raison de la congestion d'emmaga- sinage dans les silos. Ces avances donnent à la Commission une plus grande latitude dans l'éta- blissement des contingents de livraison sans pour autant se préoccuper des exigences de liquidités des producteurs.
L'objectif de la stabilisation du revenu ou des prix, autant que je sache, ne relève pas de la Commission. Le mandat de la Commission ne s'étend pas à un système de soutien des prix, selon la définition habituelle de cette expression. La mise en commun de profits, ainsi que l'égalisation des possibilités de livraison, peut, bien entendu, entraîner une forme limitée de stabilisation dans une campagne agricole donnée. Le prix annuel est toutefois fonction de la vigueur des marchés mondiaux.
Le gouvernement fédéral a néanmoins adopté une forme de subvention au moyen du Programme des mesures de stabilisation concernant le grain de l'Ouest introduit en 1976. Ce programme fonc- tionne indépendamment de la Commission. Son financement provient des producteurs et du gou- vernement. Les paiements prélevés sur le fonds sont effectués lorsque l'encaisse nette pour les producteurs tombe au-dessous de la moyenne reçue au cours des cinq années précédentes. Dans la campagne agricole 1988, quelque 89 % des pro- ducteurs de l'Ouest ont participé à ce programme.
Compte tenu de cet historique, il est nécessaire maintenant de situer le point litigieux dont je suis
saisi en fonction des faits fondamentaux de l'es- pèce et dont les parties sont convenues.
RÉSUMÉ DE L'EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS
Ainsi que nous l'avons vu, les demandeurs pro- duisent du blé dans l'Ouest du Canada.
La Commission canadienne du blé est, pour toutes les fins qui se rapportent à ce procès, man- dataire de Sa Majesté la Reine du chef du Canada. De même, pour les fins de ce procès et pour éviter la confusion, je citerai la loi habilitante de la Commission dans sa version S.R.C. 1970, chap. C-12.
La Commission a pour objectif de commerciali- ser le grain canadien tant pour l'exportation que pour la consommation intérieure. La commerciali sation de ce grain s'effectue selon les grades. Ces différents grades sont fixés par la Commission canadienne des grains, établie en vertu de la Loi sur les grains du Canada, S.R.C. 1970, chap. G-16, maintenant L.R.C. (1985), chap. G-10.
En vertu de la Loi, la Commission doit acheter tout le blé et certains autres grains produits au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et dans certaines parties de la Colombie-Britannique, que la Loi appelle «région désignée», et offerts pour la vente et la livraison à la Commission à un silo ou dans un wagon.
Les activités de la Commission à cet égard s'exercent en partie en vertu d'ententes conclues entre la Commission et les sociétés qui possèdent et qui sont autorisées à exploiter des silos régio- naux dans l'Ouest du Canada. Les ententes appli- cables interdisent aux exploitants d'acheter, sauf pour le compte de la Commission, du blé, de l'orge ou de l'avoine dont la qualité ou le grade est plus élevé que celui du «grain de provende».
La Partie III de la Loi autorise et oblige la Commission à commercialiser, dans le cadre du commerce interprovincial et extérieur, le blé pro- duit dans la région désignée, et établit les droits et obligations de la Commission relativement à ses opérations et à sa comptabilité concernant ce blé. En vertu de l'article 35 '[mod. par S.C. 1972, chap. 16, art. 5; 1976-77, chap. 55, art. 2] de la Loi, l'application de la Partie III, avec les modifications nécessaires, peut s'étendre à l'avoine et à l'orge.
Le paragraphe 5(3) de la Loi est ainsi rédigé:
5....
(3) Les pertes, s'il en est, subies par la Commission
a) au cours de ses opérations sous le régime de la Partie III, relativement à toute période de livraison en commun fixée aux termes de ladite Partie durant la période de livraison en commun précitée, ou
b) au cours de ses autres opérations prévues dans la présente loi durant toute campagne agricole,
au sujet desquelles aucune disposition n'est contenue dans une autre Partie, doivent être acquittées à même les deniers votés par le Parlement.
Une campagne agricole ou «période de livraison en commun» (définie par la Loi) va du 1 ° ' août au 31 juillet. La Commission achète du blé et d'autres grains pour les vendre sur les marchés intérieurs et internationaux.
Le paragraphe 26(5) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 55, art. 2] se lit notamment:
26....
(5) ... chaque producteur doit recevoir, à l'égard du blé vendu et livré à la Commission pendant chaque campagne agricole pour la même classe de blé, le même prix selon la base de Thunder Bay ou Vancouver, et que tout semblable prix doit avoir un rapport approprié avec celui de chaque autre classe.
Pour déterminer la part du profit net sur le marché à attribuer à chaque grade de grain com- mercialisé, la Commission recourt à la méthode comptable de «mise en commun des prix» qui i) met en commun séparément les grades de grain, auxquels, selon elle, la Partie III s'applique, et qui ii) maintient le rapport des prix de chaque grade avec celui établi par les opérations sur les marchés intérieurs et internationaux pendant la campagne agricole.
Cette méthode comptable prend en compte i) toutes les ventes de tous les grades de grain dans chaque pool et ii) tous les coûts directs et indirects de la vente de tous les grades de grain dans un pool, de sorte que tout paiement effectué aux producteurs va servir l'objectif visé au paragraphe 26(5).
La méthode comptable de «mise en commun des prix» utilisée par la Commission ne tient pas compte des risques ou récompenses des fluctua tions à court terme des prix du marché, ni des incidents inhabituels touchant le coût des ventes. Les risques et les récompenses ne sont pas débités
ou crédités seulement au compte du grade particu- lier de grain touché, mais sont absorbés par les comptes de tous les grades de grain dans un pool et répartis parmi ceux-ci.
Le paragraphe 26(1) du Règlement [Règlement sur la Commission canadienne du blé, C.R.C., chap. 397 (mod. par DORS/85-413, art. 1)] fixe la somme déterminée à verser aux producteurs qui vendent et livrent du blé de grade de base (le blé rouge de printemps 1 de l'Ouest canadien- BRPOC 1 est utilisé comme point de repère pour tous les grades de blé) produit dans la région désignée. Ce paiement s'appelle paiement initial et peut être augmenté au cours de la campagne agri- cole si le gouverneur en conseil le juge approprié.
Au moment du paiement initial, le producteur reçoit un certificat du producteur qui indique le nombre de tonnes de grain achetées et livrées et le grade du grain. Ce certificat lui donne le droit «de participer à la distribution équitable de l'excédent, s'il en est, résultant des opérations à l'égard du blé produit dans la région désignée, vendu et livré pendant la même période de livraison en commun» (alinéa 25(1)c) de la Loi).
Par la suite, la Commission est tenue de distri- buer, le l e ' janvier de l'année suivant la fin de la période de mise en commun ou à une date ulté- rieure, «la somme appropriée fixée par la Commis sion, ainsi que le stipule la présente loi, pour chaque tonne métrique de blé y mentionné, selon la classe» (paragraphe 26(2) [mod. par S.C. 1974- 75-76, chap. 27, art. 1; 1976-77, chap. 55, art. 2] de la Loi). Un paiement effectué en vertu de cette disposition est considéré comme un paiement final.
Tous les grades de blé pour lesquels des prix initiaux sont fixés sont considérés comme un pool appelé «pool du blé» par la Commission. De plus, la Partie III de la Loi doit s'appliquer séparément aux divers grades de grain désignés conformément au paragraphe 26(2) et au paragraphe 25(1) [mod. par S.C. 1972, chap. 16, art. 3; 1974-75-76, chap. 109, art. 2] de la Loi. Ainsi donc, les divers grades de blé durum ambré, d'avoine et d'orge sont considérés comme trois pools distincts par la Com mission, à savoir les pools de «blé durum ambré», d'«avoine» et d'«orge».
Au cours de la campagne agricole 1985-1986 (commençant le ler août 1985 et prenant fin le 31 juillet 1986), la Commission a fixé, avec l'appro- bation du gouverneur en conseil, un prix initial de 160 $ par tonne métrique pour le blé de grade de base (BRPOC 1) en vertu du paragraphe 26(1) du Règlement et du paragraphe 25(1) de la Loi. En conséquence, la Commission pouvait également et devait effectuer des paiements initiaux pour ce qui est des autres grades de blé à l'égard de «la somme déterminée par la tonne métrique, en entre- pôt à Thunder Bay ou à Vancouver».
En l'occurrence, les prix des grains dans le monde sont généralement et brusquement tombés dans la campagne agricole 1985-1986. Il y a eu toutefois, au cours de cette année, des périodes le prix de vente du blé de haute qualité et à haute teneur de protéine n'est pas tombé aussi bas que celui des autres grades. Toutefois, en général, le profit net par tonne métrique sur le marché, pour certains grades de blé, après déduction des dépen- ses engagées relativement aux opérations de la Commission attribuables au «pool du blé», était inférieur au montant du paiement initial à l'égard de ces grades.
En utilisant la «méthode comptable de mise en commun», on a constaté un «excédent» d'environ 54 300 000 $ pour les grades supérieurs de blé et une «perte» s'élevant approximativement à 77 300 000 $ pour les grades inférieurs de blé dans le pool. La Commission a donc décidé que le «pool du blé» avait subi un déficit de 22 994 777 $ dans ses opérations qui s'y rapportent et que, en vertu du paragraphe 5(3) de la Loi, cette somme a été payée, pour ce qui est des pertes nettes du pool, à l'aide des crédits votés par le Parlement.
La Commission a statué donc que, dans ces circonstances, il n'existait aucun excédent à distri- buer aux producteurs qui découlerait des opéra- tions de la Commission relatives au pool du blé. En conséquence, le gouverneur en conseil n'a pas autorisé un paiement final aux producteurs en vertu du paragraphe 26(5) de la Loi pour ce qui est de tous les grades de blé compris dans le pool du blé.
Les demandeurs étaient producteurs du blé de qualité supérieure. Ils prétendent que le fait pour le gouvernement de déduire des bénéfices tirés de
leur blé de grade supérieur les pertes imputables au blé de grade inférieur est particulièrement injuste pour les producteurs de blé de haute qua- lité, puisque non seulement les grades de qualité supérieure subventionnent en fait les grades infé- rieurs de blé, mais encore, en général, les produc- teurs de ce meilleur blé ont eu des productions inférieures à celles des producteurs de blé de qua- lité inférieure.
LA POSITION DES DEMANDEURS
Les demandeurs soutiennent que la défenderesse est tenue, en vertu du paragraphe 5(3) de la Loi, de rembourser la Commission de toutes pertes subies à l'égard de chacun des grades de blé, calculées grade par grade. Selon les demandeurs, puisque la défenderesse n'a pas versé à la Commis sion la somme approximative de 77 millions de dollars perdue lors de la vente des grades de blé ayant causé une perte à la Commission, celle-ci a déduire de l'excédent de 54 300 000 $ prove- nant de la vente des grades supérieurs de blé la perte subie lors de la vente des grades inférieurs de blé, de sorte que cette somme n'a pu être versée, à titre de paiement final, aux producteurs de ces grades de blé. Les demandeurs prétendent essen- tiellement que, si les bénéfices doivent être distri- bués selon le grade, il est logique que les pertes reçoivent le même traitement.
LA POSITION DE LA DÉFENDERESSE
La défenderesse fait valoir que la mention au paragraphe 5(3) de la Loi des opérations de la Commission sous le régime de la Partie III vise toutes les opérations de celle-ci auxquelles la Partie III s'applique. Selon la défenderesse, les opérations de la Commission relatives au blé (et aux autres grains) relèvent de la Partie III de la Loi sans distinction de grade parmi les divers grades de grains. Ainsi donc, aux fins du paragra- phe 5(3) de la Loi, les résultats financiers des opérations de la Commission sont déterminés sépa- rément pour chaque pool pour tous les grades de chacun des grains auxquels la Partie III de la Loi s'applique séparément.
LE POINT LITIGIEUX
Le paragraphe 5(3) de la Loi prévoit que «les pertes, s'il en est, subies par la Commission au
cours de ses opérations sous le régime de la Partie III ... doivent être acquittées à même les deniers votés par le Parlement».
Il est prévu au paragraphe 26(5) que chaque producteur doit recevoir pour son blé d'un grade particulier le même prix selon la base de «Thunder Bay ou Vancouver, et que ce prix doit avoir un rapport approprié avec celui de chaque autre classe».
En vertu du paragraphe 26(2) de la Loi, la Commission doit, après la fin d'une période de mise en commun, procéder à la distribution du solde demeurant à son compte relativement au blé qu'elle a acheté en payant une somme appropriée pour chaque tonne métrique de blé selon la classe.
De prime abord, il semble qu'il y ait conflit ou ambiguïté dans ces dispositions. D'une part, dans son paragraphe 5(3), la Loi parle de pertes subies au cours de ses opérations sous le régime' de la Partie III relativement à toute période de livraison en commun, ce qui porte à croire que le pool du blé doit être considéré comme une unité dans la déter- mination des pertes.
D'autre part, le paragraphe 26(5) semble donner à chaque producteur l'assurance que quel soit le prix qu'il reçoit pour son grade particulier, ce prix doit avoir un rapport approprié avec celui de chaque autre grade.
Pour compliquer le problème, il y a la disposi tion du paragraphe 26(2) qui, en permettant à un producteur de partager tout excédent selon la classe, implique que chaque grade doive être consi- déré comme une unité distincte.
En analysant ces dispositions et les conclusions qu'on pourrait en tirer, il faut, à mon avis, appli- quer des règles d'interprétation facultatives ou concourantes afin de déterminer si les dispositions précédentes sont véritablement incompatibles ou ambiguës, et si, dans l'affirmative, elles peuvent être conciliées conformément à l'économie de la loi tout entière.
L'INTERPRÉTATION DE LA LOI ET LES ARGU MENTS DES PARTIES
L'ouvrage Construction of Statutes de Driedger, E. A. 2 e éd. Toronto: Butterworths, 1983, est devenu le vade-mecum de quiconque s'engage dans
l'interprétation des lois. L'auteur, après avoir exa- miné l'historique des différentes doctrines propo sées, s'exprime en ces termes à la page 87:
[TRADUCTION] De nos jours, un seul principe ou méthode prévaut [pour l'interprétation d'une loi ou d'une disposition législative]: les mots doivent être interprétés selon le contexte, dans leur acception logique courante en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur.
L'auteur ajoute que ce principe a été repris maintes fois par les juges de notre époque, tels que, par exemple, lord Reid dans Westminster Bank Ltd. v. Zang, [1965] A.C. 182 (H.L.), et le juge en chef Culliton dans R. v. Mojelski (1968), 65 W.W.R. 565 (C.A. Sask.).
À part la doctrine, plusieurs maximes ont été adoptées au cours des années, savoir la maxime [TRADUCTION] «que les mots particuliers ne déro- gent pas au général» ou l'inverse [TRADUCTION] «les mots généraux ne dérogent pas au particulier». Il y a également les maximes «expressio unius est exclusio alterius» et «abundans cautela non nocet». Dans Jones c. P.G. du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182; 45 D.L.R. (3d) 583; (1974) 1 N.R. 582; 7 N.B.R. (2d) 526; 16 C.C.C. (2d) 297, le feu juge en chef Laskin a toutefois fait remarquer que les maximes fournissent tout au plus un simple guide d'interprétation et ne prescri- vent pas de conclusions. Dans l'affaire Goodman v. Criminal Injuries Comp. Bd., [1981] 2 W.W.R. 749 (C.A. Man.), le juge d'appel Hall a dit que si utiles que puissent être les maximes, elles ne sau- raient supplanter l'obligation d'examiner l'ensem- ble de la loi.
Pour appliquer à l'espèce les règles d'interpréta- tion qui ont cours, on doit examiner le conflit ou l'ambiguïté qui existe entre le paragraphe 5(3) et le paragraphe 26(5) compte tenu de leur libellé et de l'intention du législateur en les adoptant. À cet égard, Driedger, à la page 106, établit une méthode d'interprétation pour régler ce problème, insistant toutefois sur le fait que l'intention du législateur dénote habituellement l'intention d'une loi tout entière, plutôt que l'intention d'une dispo sition particulière. L'auteur divise alors l'intention du législateur en les éléments suivants:
1) l'intention exprimée, c.-à-d. l'intention expri- mée par les mots adoptés;
2) l'intention implicite, c.-à-d. l'intention qu'on peut légitimement déduire des mots adoptés;
3) l'intention présumée, c.-à-d. l'intention que la Cour, en l'absence d'une indication con- traire, prête au législateur; et
4) l'intention déclarée, c.-à-d. l'intention qui, selon le législateur lui-même, peut être ou doit être ou ne doit pas être attribuée à celui-ci.
Les intentions «présumées» du législateur sont souvent 1' oeuvre des tribunaux. Par exemple, une loi est présumée ne pas déroger au droit commun sauf dans la mesure cela est essentiel à ses fins. Il existe une autre présomption, savoir que la liberté et les biens d'un citoyen doivent être proté- gés contre l'intervention de l'État. À cet égard, l'avocat des demandeurs soutient que la Loi doit être interprétée d'une façon plus favorable à ceux-ci parce que le caractère obligatoire du cadre législatif empiète sur les droits des sujets. L'avocat cite à l'appui la décision rendue par la Chambre des lords dans Attorney -General for Canada v. Hallet & Carey Ltd., [1952] A.C. 427 (C.P.). De plus, selon l'avocat des demandeurs, un tribunal ne devrait pas se laisser guider, en matière d'interpré- tation d'une loi, par ce qu'en pense la commission ou l'organisme chargé de son application. Le vrai critère est la loi elle-même.
L'avocat des demandeurs avance l'idée que, si on interprète de façon appropriée l'article 26 de la Loi, il faut en déduire nécessairement l'approche grade par grade à l'égard des bénéfices et pertes, laquelle précise l'intention du législateur à cet égard. La loi dit clairement que les excédents doivent être distribués selon les grades. Il s'ensuit, selon l'avocat, que les pertes doivent recevoir le même traitement.
L'avocat des demandeurs renvoie également à certains commentaires en matière d'interprétaion faits par les tribunaux lorsqu'il est question de l'objectif et de la fin visés par la Loi et des fonctions et obligations de la Commission sous son régime.
L'avocat cite l'arrêt de la Cour suprême du Canada Murphy v. Canadian Pacific Railway and
The Attorney General of Canada, [1958] R.C.S. 626; 15 D.L.R. (2d) 145, la Loi, essentiellement dans les mêmes termes, a été examinée. Le juge Locke s'est prononcé en ces termes aux pages 630 R.C.S.; 156 D.L.R.:
[TRADUCTION] La Commission est tenue de commercialiser tout le grain délivré à des élévateurs ou wagons, et les produc- teurs reçoivent leur part proportionnelle du produit de la vente du grain de la classe qu'ils ont livré moins les dépenses enga gées au cours des opérations de la Commission. [C'est moi qui souligne.]
L'avocat cite également une autre décision por- tant sur la Commission canadienne du blé dans l'affaire The Queen v. Klassen (1959), 20 D.L.R. (2d), 406 (C.A. Man.), il est dit à la page 414:
[TRADUCTION] Cet argument ne tient pas compte de l'autre trait également essentiel des contr8les, c'est-à-dire la réparti- tion équitable des possibilités de livraison et l'assurance que, aussi près que possible, tous les producteurs, dont la liberté commerciale est contrecarrée par le cadre législatif, vont obte- nir le même prix au même moment pour le genre et la quantité semblables de grain. [C'est moi qui souligne.]
S'appuyant de nouveau sur l'économie de la Loi qui prévoit que tous les bénéfices de la Commis sion doivent être distribués aux producteurs, posi tion adoptée par le juge MacPherson, juge en chef du Manitoba, dans Oatway v. Can. Wheat Board, [1944] 3 W.W.R. 337 (C.A. Mane), l'avocat des demandeurs conclut que l'interprétation suggérée par la Couronne générerait effectivement un béné- fice de quelque 54 millions de dollars au profit de celle-ci, bénéfice que les demandeurs ont dans les faits réalisé. L'intention du législateur qui se dégage des articles 25 et 26 de la Loi est l'inverse: la méthode comptable grade par grade utilisée pour déterminer les bénéfices ou les pertes se trouve clairement indiquée dans les termes choisis. Selon l'avocat, cette interprétation est précisée par l'article 25(1.1) [édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 109, art. 2(2)] de la Loi qui prévoit un juste rapport de prix avec celui de la classe de base de blé, c.-à-d. BRPOC 1. Ce rapport exige qu'un producteur reçoive un paiment conforme au grade de son grain et que, par voie de conséquence, cela s'applique non seulement au calcul de son paie- ment initial mais aussi à son paiement final. De plus, les mots utilisés à l'article 27 de la Loi, c'est-à-dire «la Commission doit maintenir des comptes distincts concernant ses opérations à l'égard du blé» [c'est moi qui souligne], indiquent clairement, selon l'avocat, que la tenue d'une comptabilité par grade est voulue.
En réponse, l'avocat de la Couronne insiste pour que la Cour adopte les commentaires faits par le juge Gibson dans Kiist c. Canadian Pacific Rail way Co., [1980] 2 C.F. 650 (1` e inst.), et qui se trouvent aux pages 655 et 656:
Dans l'application de cette politique nationale, la Commis sion n'a toutefois jamais joué le rôle d'un organisme de soutien des prix ou des revenus. En fait, les producteurs reçoivent exactement le prix que la Commission obtient des clients du marché intérieur et extérieur.
Pour ce qui est cependant du fonctionnement d'ensemble de la Commission dans l'exercice de ses pouvoirs et attributions prévus par la Loi, on peut dire, à mon avis, que la Commission applique sa politique nationale de commercialisation des grains au moyen des cinq méthodes suivantes: (1) application de prix uniques annuels; (2) application des contingents de livraison; (3) contrôle du transport; (4) recours à la bourse des marchan- dises de Winnipeg; et (5) recours à un système compliqué de vente à l'exportation. [C'est moi qui souligne.]
L'avocat de la Couronne conclut donc que, pour adopter l'interprétation que les demandeurs ont vivement préconisée, certains producteurs de cer- tains grades de blé auraient droit à tout excédent, imprévu ou non, alors que d'autres producteurs d'autres grades, dans un marché en régression, n'auraient pas à comptabiliser leurs pertes. Cela signifierait en fait que les producteurs absorbe- raient tous les excédents et, compte tenu du pai- ment initial non remboursable déjà reçu, ne subi- raient jamais de pertes. Une telle approche constituerait essentiellement un programme de soutien des prix et des revenus qui n'est pas ce que vise le législateur, et que la Loi ne crée pas.
L'avocat de la Couronne s'appuie en outre sur les mêmes dispositions de la Loi que les deman- deurs ont invoquées. Il cite le paragraphe 26(2) qui impose à la Commission l'obligation de «distri- buer le solde demeurant à son compte relativement au blé» [c'est moi qui souligne]. Il cite également le paragraphe 26(5) qui prévoit que la Commis sion, avec l'approbation du gouverneur en conseil, fixe les sommes auxquelles les producteurs ont droit par tonne métrique selon le grade, pour que tous les producteurs, selon le grade, reçoivent le même prix et que ce prix ait un rapport approprié avec celui de chaque autre grade.
Selon l'avocat de la Couronne, ces dispositions précisent qu'il serait contraire à l'économie et aux termes de la Loi de considérer que les opérations de la Commission sous le régime de la Partie III
constituent des opérations distinctes pour chaque grade de blé dans le calcul des pertes réparables en vertu du paragraphe 5(3).
L'avocat de la Couronne conclut que cette inter- prétation correspond au but de la Loi, celui de mettre en commun le produit de la vente de tous les grades de blé. Cette mesure assure la stabilité aux producteurs et permet à chacun d'entre eux d'obtenir une juste part du marché. La méthode comptable de «mise en commun des prix» permet à la Commission de prendre des décisions motivées concernant le prix initial, l'achat, l'emmagasinage, le transport et la commercialisation. Elle lui permet de minimiser les coûts, de maintenir des écarts de prix et d'assurer une distribution équitable.
CONCLUSIONS
Compte tenu de l'historique de la Commission canadienne du blé, il semble évident que la créa- tion et le maintien d'un organisme de ce genre visent principalement à la commercialisation conti nue et ordonnée du grain au meilleur prix possible dans les conditions actuelles du marché, tant pour le commerce intérieur que pour le commerce exté- rieur. Le grain n'est pas stocké pour obtenir un prix plus élevé dans l'éventualité d'une hausse du marché. Il n'est pas urgent de remplir les coffres lorsque le marché est ferme; il n'est pas non plus possible qu'un producteur important vende à bas prix son grain à un moment donné et que, en raison de ses économies d'échelle, réalise quand même un bénéfice à des prix réduits.
La pierre angulaire du programme visant à la commercialisation ordonnée du grain et à l'accès égal de tous les producteurs au marché est le concept de mise en commun des prix parmi ceux-ci. La mise en commun des prix compense les fluctuations des prix au cours d'une année de commercialisation. De cette façon, il importe peu que le producteur individuel livre son grain tôt ou tard dans la campagne agricole ou que, au moment de la livraison, les prix du grain montent ou descendent.
Les ramifications de cette approche fondamen- tale de mise en commun sont nombreuses. Le grade particulier ou la qualité particulière du blé est fixée par la Commission canadienne des grains. Antérieurement à la campagne agricole, la Com-
mission doit faire une estimation probable du prix que commandera chacun des nombreux grades, s'assurant du maintien des écarts de prix appro- priés compte tenu de l'état du marché. La Com mission établit alors un prix «paiement initial» pour chaque grade, utilisant le blé rouge du prin- temps 1 de l'Ouest canadien comme base ser vant au calcul des écarts de prix.
Le paiement initial doit être approuvé par le gouverneur en conseil et, en fait, le paiement établi pour l'année 1985-1986 se trouve dans le décret 1985-1466 [DORS/85-4131 en date du 2 mai 1985. Ce paiement constitue la somme déterminée pour le blé de la classe de base à verser. Selon mon interprétation de l'économie de la loi, cette somme déterminée commande le prix de tous les grades de blé. En fait, chaque producteur, malgré la ten- dance à la baisse des prix sur le marché au cours de la campagne agricole, est certain de ne pas recevoir moins que le paiement initial. De fait, l'objet de la Loi est non seulement de garantir au producteur un prix plancher, mais aussi de lui fournir l'encaisse nécessaire en attendant les cal- culs définitifs à la fin de la campagne agricole.
Les décisions de la Commission à cet égard impliquent l'examen des facteurs délicats ainsi que l'application de mécanismes compliqués. La Com mission ne va pas sciemment recommander au gouverneur en conseil un prix initial excessivement élevé pour augmenter ainsi le risque de déficits que le Parlement devrait assumer. Elle ne va pas non plus fixer un prix excessivement bas pour priver ainsi le producteur de ses demandes de liquidités nécessaires pour ses dépenses courantes. L'expé- rience de la Commission à concilier ces tendances opposées au cours de ses nombreuses années d'exis- tence est éloquente: l'année 1985-1986 est la seule année au cours de quelque vingt campagnes agri- coles le «pool du blé» a subi une perte qui devait être absorbée par des fonds publics.
D'après la preuve produite, les dépenses de la Commision sont calculées sur la base du pool. Toutes les dépenses du pool du blé sont imputées à ce pool, sans tenir compte de la question de savoir si les dépenses relatives à un grade particulier de blé ou à un groupe de grades pourraient être par ailleurs disproportionnées. Peu importe que la manipulation, le transbordement, les déraillements ou d'autres caprices imposent un coût additionel
pour ce qui est d'un grade particulier, les dépenses totales sont partagées par tous. Les coûts attribua- bles à chaque grade reposent sur les quantités seulement.
Tout cela permet de conclure raisonnablement que l'économie de la Loi prévoit un partage des risques et des récompenses entre tous les produc- teurs de blé. Ces producteurs, quoiqu'ayant droit aux bénéfices selon les différents grades de blé qu'ils vendent, soumettent leurs intérêts particu- liers à l'expérience de l'ensemble du groupe. Aucun producteur n'a, bien entendu, le choix en la matière, même s'il se trouvait avoir la perspicacité et l'influence nécessaires pour agir indépendam- ment. La loi prévoit toutefois un traitement équita- ble pour tous, quoique partagé. Cela se fait, du moins selon les termes de la loi, au moyen d'un système de mise en commun des prix reposant sur l'expérience du marché acquise au cours d'une campagne agricole tout entière, de manière à déterminer le rendement moyen quelle que soit la date à laquelle sont effectuées les livraisons et les ventes individuelles à la Commission. On s'en apperçoit dans le maintien des écarts de prix entre différents grades de blé de telle sorte que le blé en grande quantité et à bas prix doive être traité de la même façon que le blé en petite quantité et à prix élevé. Cela se fait en outre au moyen d'un système de paiements initiaux, qui consiste essentiellement en un prix plancher garanti, non remboursable, qui adopte encore une fois le principe des écarts de prix entre divers grades.
En conséquence, il serait logique de conclure que, en adoptant la loi, le législateur a voulu créer un pool du blé comprenant tous les grades de blé, à partir duquel tous les bénéfices réalisés sur toutes les ventes, moins les dépenses engagées lors de toutes les ventes, doivent être distribués aux pro- ducteurs à titre de paiement final.
S'il faut donner une structure logique à cette approche, elle doit néanmoins être mesurée par rapport aux dispositions de la Loi elle-même. Je devrais conclure que ces dispositions s'accordent avec les caractéristiques que j'ai soulignées.
La loi dit au paragraphe 5(3) que les pertes subies par la Commission au cours de ses opéra- tions sous le régime de la Partie III relativement à toute période de livraison en commun doivent être
payées par le Parlement. Je crois qu'il est raison- nable d'interpréter cette disposition comme se rap- portant aux pertes opérationnelles du pool du blé tout entier. Cela signifierait bien entendu que les pertes subies pour ce qui est de certains grades de blé ainsi que les bénéfices réalisés sur d'autres grades de blé sont mis en commun pour arriver à un excédent ou à un déficit net. Je ne vois pas comment, en prévoyant très expressément la recon naissance des écarts de prix entre les grades et la distribution de bénéfices selon le grade, le législa- teur n'aurait pas été également explicite en exi- geant que les pertes soient calculées sur une base identique.
J'estime encore que le paragraphe 26(2) ne sert pas davantage la cause des demandeurs. Il y est fait mention d'une formule de distribution du solde demeurant au compte de la Commmission relative- ment au blé produit dans la région désignée. La méthode imposée introduit bien entendu le droit selon le grade pour différents producteurs, mais il n'y est nullement fait état de pertes. La disposition parle seulement du «solde demeurant à son compte relativement au blé ... qu'elle a acheté» ou, dans la version anglaise, «balance remaining in its account in respect of wheat ... purchased by it». Ce paragraphe présume résolue la question du calcul des pertes. Par conséquent, on doit recourir aux dispositions plus génériques du paragraphe 5(3) pour discerner les intentions du législateur.
Je devrais également faire remarquer que l'éco- nomie de la loi repose sur l'idée fondamentale que l'opération de la Commission doit être neutre en matière de recettes. Je fais mienne la pensée du juge Gibson dans l'affaire Kiist c. Canadian Paci fic Railway Co. (susmentionnée), savoir que la Commission n'a jamais joué le rôle d'un organisme de soutien des prix et des revenus. Le seul élément du soutien des prix se trouve dans le montant du paiement initial fixé par le gouverneur en conseil qui constitue une somme déterminée que la Com mission doit payer et qui ne peut être recouvrée malgré la baisse des prix pendant la campagne
Étendre tendre ce soutien de la manière suggé- rée par les demandeurs constituerait, à mon avis, une forme de garantie des prix ou des revenus sur la base «de toute façon je gagne». Le producteur n'aurait pas à courir les risques de pertes à l'égard
de son grade de blé, mais il aurait néanmoins droit à tous les bénéfices réalisés sur ce grade. Je me permets de dire que si telle était l'intention du législateur, il l'aurait manifestée de façon plus explicite. En fait, l'intention du législateur à l'égard de la politique de soutien des prix ou des revenus pour les producteurs de grains de l'Ouest est manifestée dans une loi distincte, à savoir la Loi de stabilisation concernant le grain de l'Ouest de 1976, L.R.C. (1985), chap. W-7.
On peut trouver d'autres indices de la politique de neutralité en matière de recettes révélée par la Loi au paragraphe 5(2), qui prévoit que les bénéfi- ces réalisés par la Commission du fait de ses opérations autres que ceux qui résultent de ses opérations sous le régime de la Partie III doivent être payés au receveur général. Je fais également remarquer que, en vertu du paragraphe 26(3), outre le paiement initial versé au producteur, le gouverneur en conseil peut autoriser encore un «paiement provisoire» s'il est d'avis qu'un tel paie- ment peut être versé sans perte.
Je devrais également dégager l'intention du législateur de la disposition législative portant sur le paiement initial. N'eût été son caractère non remboursable ou s'il s'agissait simplement d'une avance à porter au débit du compte du producteur, sous réserve des débits et des crédits finals lorsque tous les comptes à l'égard de chaque grade de blé ont été finalement calculés, l'argument des deman- deurs concernant le calcul des bénéfices et pertes selon le grade pourrait être accueilli. Or tel n'est pas le cas dont je suis saisi.
En dernier lieu, je devrais conclure qu'il n'existe aucune incompabilité inhérente entre le calcul des pertes en vertu du paragraphe 5(3) de la Loi et le système grade par grade pour la distribution des soldes dans le compte du blé sous le régime du paragraphe 26(5). Les deux procédés sont, à mon avis, bien distincts. Le premier procédé correspond à la formule qui consiste à assurer à un producteur un paiement initial non remboursable équitable et aussi élevé que possible sans courir le risque des pertes élevées qui peuvent être recouvrées de la Couronne. Le deuxième procédé vise à assurer que, tout compte fait, il devrait y avoir une distribution équitable de tout excédent selon les grades. À mon avis, il est certain, à propos du genre d'entente de mise en commun envisagé dans la loi, que la
situation dans laquelle les demandeurs se sont trouvés en 1985-1986 constitue un risque inhérent que tous les producteurs, indépendamment des grades, doivent tôt ou tard courir. Il s'agit essen- tiellement de la contrepartie prévue par la Loi.
En conséquence, l'action intentée par les deman- deurs doit être rejetée, avec dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.