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A-218-90
Le ministre des Transports et des Travaux publics de l'Île-du-Prince -Edouard (appelant)
c.
La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et l'Office national des transports (intimés)
RÉPERTORIÉ: !LE-DU-PRINCE-ÉDOUARD (MINISTRE DES TRANSPORTS ET DES TRAVAUX PUBLICS) c. CIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci, juges Pratte et Stone, J.C.A.—Charlottetown, 2 mai; Ottawa, 20 juin 1990.
Droit constitutionnel Conditions de l'adhésion de Pile-du-Prince-Édouard Ordonnance de l'Office national des transports entraînant l'abandon de tout le réseau ferro-
viaire desservant l'%le-du-Prince-Édouard Les Conditions exigeaient que le Canada assume un »service convenable de bateaux à vapeur, transportant les malles (sic) et passagers» Les chemins de fer sont devenus la propriété du Canada
Les allégations de Pile: les Conditions ont un statut constitu- tionnel; toute loi incompatible est inopérante; les Conditions exigent que le service ferroviaire soit maintenu; l'ordonnance de l'Office excède la compétence que le Parlement a pu lui
conférer Le libellé des Conditions est clair Elles impo- saient l'obligation de fournir un service de bacs, non pas un réseau ferroviaire à perpétuité.
Chemins de fer Appel formé contre une ordonnance de l'Office national des transports entraînant l'abandon de tout le réseau ferroviaire de l'île-du-Prince-Édouard Les Condi tions de l'adhésion de l'%le-du-Prince-Edouard n'exigeaient pas que le Canada exploite le chemin de fer sur Pile ni ne maintienne une liaison entre les chemins de fer de la province
et ceux des côtes L'ordonnance relevait de la compétence de l'Office.
Il s'agissait d'un appel formé contre une ordonnance de l'Office national des transports ayant pour effet d'entraîner l'abandon de tout le réseau ferroviaire desservant 111e-du- Prince-Édouard. Les Conditions de l'adhésion de l'Ïle-du- Prince-Edouard prévoient (1) que le chemin de fer deviendra la propriété du Canada et (2) que le Canada se chargera des dépenses occasionnées par un ,(service convenable de bateaux à vapeur», transportant les malles (sic) et passagers entre l'Île et les côtes, et l'hiver», assurant ainsi une communication continue avec le réseau ferroviaire du Canada. L'appelant a soutenu que, vu le statut constitutionnel des Conditions de l'adhésion, toute loi qui n'est pas compatible avec elles est inopérante. Il a été allégué que les Conditions exigeaient le maintien du service ferroviaire à l'intérieur de la province et entre la province et les côtes. Il a été en outre avancé que les Conditions de l'adhésion n'étaient pas claires de sorte qu'il faut découvrir une entente implicite entre les parties à même les circonstances de l'époque et le comportement des parties depuis l'adoption des Conditions de l'adhésion. La question était de savoir si l'ordonnance allait à l'encontre des Conditions de
l'adhésion et excédait la compétence de l'Office national des transports.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Les Conditions de l'adhésion n'exigent pas que le Canada exploite le chemin de fer sur l'Île-du-Prince-Édouard ni qu'il maintienne et exploite une liaison ferroviaire entre l'Ïle et le réseau de chemin de fer du continent. Les Conditions sont claires et devraient être considérées comme exprimant l'accord qu'envisageaient les parties. Point n'est besoin de recourir aux règles d'interprétation des lois, aux éléments de preuve extrinsè- ques ou aux antécédents législatifs. Un «service convenable de bateaux à vapeur» vise un service de bacs ayant pour effet, et non pour obligation, d'assurer la communication avec le réseau fédéral. Cette expression ne peut désigner qu'un «navire». Cette obligation s'étend seulement au courrier et aux passagers et non au fret. «Continue» a un sens saisonnier et temporel plutôt qu'une signification matérielle (c.-à-d. une ligne de chemin de fer continue). Bien que l'on s'attendît à ce que le Canada exploite le réseau ferroviaire de la façon indiquée par la clause qui prévoit que les chemins de fer deviendront les propriétés du Canada, cela n'impose pas au Canada l'obligation d'exploiter le chemin de fer à perpétuité. Le Canada a acquis la propriété du chemin de fer parce qu'il a assumé les dettes et le passif de la province. Après en avoir acquis la propriété, il était légalement libre d'en disposer à son gré. Si on avait voulu que le Canada exploite le chemin de fer à perpétuité, on l'aurait dit dans des termes clairs.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Acte concernant le chemin de fer de l'île de Vancouver, le bassin de radoub d'Esquimalt, et certaines terres de chemin de fer de la province de la Colombie-Britanni- que cédées au Canada, S.C. 1884, 47 Vict., chap. 6, art. 9 de l'annexe.
Conditions de l'adhésion de la Colombie-Britannique, L.R.C. (1985), appendice II, 10, art. 4.
Conditions de l'adhésion de Pile-du-Prince- Édouard, L.R.C. (1985), appendice II, 12.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I 1 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5], art. 145.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 52(1).
Loi de 1893 sur la révision du droit statutaire, 56-57 Vict., chap. 14 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 17].
Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985) (3° suppl.), chap. 28, art. 65.
Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. (!le-du-Prince -Edouard) c. R. (Canada), [1976] 2 C.F. 712 (C.A.); Edwards, Henrietta Muir v. Attorney - General for Canada, [ 1930] A.C. 124 (P.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
B.C. (A.G.) v. Can. (A.G.) (1989), 42 B.C.L.R. (2d) 339 (S.C.).
DECISIONS EXAMINÉES:
The Moorcock (1889), 14 P.D. 64 (C.A.); Panagiotis Th. Coumantaros (Steamship), The Owners of v. National Harbours Board, [1942] R.C.S. 450.
AVOCATS:
William G. Lea, c.r. pour l'appelant.
Terance H. Hall et Myer Rabin pour l'inti- mée la Compagnie des chemins de fer natio- naux du Canada.
Ian S. MacKay pour l'intimée l'Office natio nal des transports.
Terrence Joyce, c.r. et Lewis Levy, c.r. pour l'intervenant, le procureur général du Canada. Robert Perry pour l'intervenante, la Island Rail Foundation.
PROCUREURS:
Campbell, Lea, Michael, McConnell & Pigot, Charlottetown, pour l'appelant.
Services du contentieux, Compagnie des che- mins de fer nationaux, Montréal, pour l'inti- mée la Compagnie des chemins de fer natio- naux du Canada.
Contentieux, Office national des transports, Hull (Qué.), pour l'intimée l'Office national des transports.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intervenant, le procureur général du Canada. Island Rail Foundation, Vernon Bridge (Île-du-Prince -Edouard), pour l'intervenante, la Island Rail Foundation.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: Il s'agit d'un appel interjeté par le ministre des Transports et des Travaux publics de l'Île-du-Prince -Edouard («l'appelant») conformément à l'autorisation que lui accorde l'article 65 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux («LTN)', contre une déci- sion (décision No. 348-R-1989) et un arrêté (arrêté No. 1989-R-180) de l'Office national des
' L.R.C. (1985) (3'suppl.), chap. 28.
transports (l'«Office») pris le 12 juillet 1989, ayant pour effet d'ordonner à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada («CN»). d'abandonner huit lignes de chemins de fer qui constituent le réseau ferroviaire complet desservant l'Île-.du- Prince-Édouard. Sept des huit lignes sont sur l'Île-du-Prince-Édouard et la huitième est une ligne au Nouveau-Brunswick qui relie la ligne principale du CN qui va de Québec à Halifax (le Chemin de fer Intercolonial) au terminal du bac à voitures de Cap Tourmentine (Nouveau-Bruns- wick). Un service de bac à. voitures est exploité entre Cap Tourmentine et Borden (Île-du-Prince- Édouard).
La Cour, par ordonnance en date du 22 mars 1990 a autorisé l'appelant à interjeter appel relati- vement à la question suivante:
La décision et l'arrêté susmentionnés sont-ils contraires aux Conditions de l'adhésion de l'île-du-Prince-Édouard et, pour cette raison, excèdent-ils la compétence de l'Office national des transports?
Le 3 avril 1990, le procureur général du Canada (le «procureur général») a déposé un avis d'inten- tion de participer à l'appel 2 .
L'exposé des points d'argument de l'appelant contient une documentation assez complète des faits et des antécédents historiques qui portent généralement sur la question dont nous sommes saisis'. Toutefois, à mon avis, il n'est pas néces- saire de se reporter à cette documentation de façon détaillée aux fins de se prononcer sur la question que soulèvent l'arrêté et la décision de l'Office.
Il suffit de dire qu'en vertu des lois de la colonie de l'Île-du-Prince -Edouard, des dispositions ont été adoptées relativement à la construction d'un chemin de fer. Diverses lignes ont été construites à l'égard desquelles le gouvernement du Canada a assumé la responsabilité opérationnelle lorsque la colonie s'est jointe à la Confédération le ler juillet 1873. La construction de ces lignes s'est échelon- née à partir des années 1870 jusqu'à 1930. La
2 M. R. W. Perry, qui représente la Island Rail Foundation, a aussi comparu et présenté des observations qui portaient sur- tout sur des points non reliés à la principale question soumise à la Cour, mais il a aussi appuyé la position de l'appelant.
3 La partie I de l'exposé des points d'argument de l'appelant décrit les lignes de chemins de fer sur l'Île-du-Prince -Edouard, les événements relatifs à la construction des lignes de chemins de fer de l'Île-du-Prince -Edouard et les événements subséquents
qui concernent ces lignes.
subdivision Tourmentine a été construite par la New-Brunswick and Prince Eward Island Railway Company qui a été constituée pour prolonger le chemin de fer Intercolonial de Sackville (Nouveau-Brunswick) à Cap Tourmentine (Nou- veau-Brunswick) en 1886. Le prolongement de la ligne, construit et terminé en 1919, étendait cel- le-ci de Cap Tourmentine au terminal du bac de l'Île-du-Prince-Édouard; il a été réalisé par le gou- vernement du Canada de pair avec la mise en opération d'un service quotidien de bacs entre Cap Tourmentine d'une part, et Borden (Île-du-Prince - Edouard) d'autre part, de l'autre côté du détroit de Northumberland. Le 20 janvier 1923, on confliait au CN la gestion et l'exploitation de toutes ces lignes 4 .
À compter de 1972, le CN a demandé en vertu des dispositions applicables de la Loi sur les che- mins de fer [S.R.C. 1970, chap. R-2] l'autorisa- tion d'abandonner cinq des lignes situées sur l'Île-du-Prince -Edouard, mais le Comité des trans ports par chemin de fer de la Commission cana- dienne des transports lui a ordonné de continuer d'exploiter chacune de ces lignes. En vertu de la LTN, ces demandes d'abandon de lignes devaient être reconsidérées par l'Office conformément aux dispositions de la LTN régissant l'abandon des lignes 5 . De plus, en décembre 1988, le CN a demandé d'abandonner les trois autres lignes y compris la subdivision Tourmentine, de Sackville à Cap Tourmentine. Les deux autres sont la subdivi sion de Borden, qui s'étend du bac à voitures de Borden à Charlottetown, et la partie de la subdivi sion Kensington qui va de Linkletter, près de Summerside, à Kensington, elle rejoint la sub division Borden.
Par sa décision et son arrêté l'Office a ordonné l'abandon de chacune des huit lignes et ce faisant, il a conclu que les conditions de l'adhésion n'impo- saient pas au Canada l'obligation d'exploiter le chemin de fer sur l'Île-du-Prince -Edouard et de continuer l'exploitation de la subdivision Tourmen- tine de façon à assurer à la province une communi cation continue avec le réseau de chemins de fer du Canada. L'Office, en conséquence, s'est dit habi-
Voir la décision 348-R-1989, onglet E, Dossier d'appel,
p. 3.
5 Id., aux p. 3 et 4.
lité par la LTN à ordonner l'abandon des lignes de chemins de fer 6 .
À ce point-ci, il convient d'exposer les disposi tions pertinentes des Conditions de l'adhésion de l'Ïle-du-Prince-Édouard [L.R.C. (1985), appen- dice II, 12]:
Que le Canada sera responsable des dettes et obligations de l'Île du Prince -Edouard existantes à l'époque de l'Union.
Que le gouvernement du Canada se chargera des dépenses occasionnées par les services suivants:
Le traitement du lieutenant-gouverneur;
Les traitements des juges de la Cour Suprême et des juges des cours de district ou de comté, quand ces cours seront établies;
Les frais d'administration des douanes;
Le service postal;
La protection des pêcheries;
Les dépenses de la milice;
Les phares, équipages naufragés, quarantaine et hôpitaux de marine;
L'exploration géologique;
Le pénitencier;
Un service convenable de bateaux à vapeur, transportant les malles et passagers, qui sera établi et maintenu entre l'Ile et les côtes du Canada, l'été et l'hiver, assurant ainsi une communica tion continue entre l'Ile et le chemin de fer Intercolonial, ainsi qu'avec le réseau des chemins de fer du Canada;
L'entretien de communications télégraphiques entre l'île et la, terre ferme du Canada.
Et telles autres dépenses relatives aux services qui, en vertu de «l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867» (Loi constitutionnelle de 1867) dépendent du gouvernement général, et qui sont ou pourront être alloués aux autres provinces.
Que les chemins de fer donnés à contrat et en voie de construction pour le compte du gouvernement de l'Ile devien- dront les propriétés du Canada.
Que le nouvel édifice siègent les cours de justice, et se trouve le bureau d'enregistrement, etc., sera transféré au Canada, sur paiement de soixante-neuf mille piastres. Le prix d'achat comprendra le terrain sur lequel se trouve l'édifice et, en outre, une étendue convenable de terrain pour les cours, etc., etc.
Que le dragueur à vapeur en construction deviendra la propriété du gouvernement fédéral, moyennant une somme n'excédant pas ving-deux mille piastres.
Que le bateau passeur à vapeur, aujourd'hui la propriété de Pile, demeurera en sa possession'. [Soulignements ajoutés.]
6 On trouvera aux p. 5 à 7 du dossier d'appel une discussion de la question constitutionnelle.
' Il n'est pas contesté que les conditions de l'adhésion font partie de la Constitution en vertu du paragraphe 52(2) de ce document, qui désigne comme en faisant partie les textes législatifs et les arrêtés figurant à l'annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982. Le poste 6 de l'annexe renvoie aux Condi tions de l'adhésion de PI le-du-Prince-Édouard.
Les arguments de l'appelant peuvent se résumer brièvement comme suit: comme les Conditions de l'adhésion ont valeur constitutionnelle, toute règle de droit incompatible avec elles est inopérante selon le paragraphe 52(1) de la Loi constitution- nelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]]. L'appelant estime que les Conditions de l'adhésion exigent le maintien d'un service ferroviaire pour l'Île-du-Prince-Édouard, y compris à l'intérieur de la province et entre la province et le chemin de fer sur le continent. Parce qu'ils auraient pour effet de mettre fin au service ferroviaire pour l'Île-du-Prince -Edouard, la déci- sion et l'arrêté ne relèvent pas de la compétence que le Parlement peut conférer à l'Office.
Plus particulièrement, l'appelant fait valoir que les deux conditions de l'adhésion relatives aux chemins de fer (soulignées dans l'extrait précité) doivent s'interpréter compte tenu du fait que même si elles font partie de la Constitution, les Conditions de l'adhésion donnent effet à une entente conclue entre différentes colonies. L'avocat de l'appelant souligne alors que les Conditions n'ont pas été bien rédigées, qu'elles sont extrême- ment brèves', mal agencées et semblent refléter l'intention des rédacteurs de s'inspirer des Condi tions de l'adhésion de la Colombie-Britannique [L.R.C. (1985), appendice II, 10] établies deux ans plus tôt. Compte tenu de tout cela, l'appelant soutient que l'on ne peut considérer que le libellé des Conditions de l'adhésion exprime véritable- ment et dans sa totalité l'entente que les rédacteurs ont alors voulu conclure. Il faut donc s'efforcer d'établir les conditions implicites de l'accord, y compris toutes conditions nécessaires pour donner à l'accord l'efficacité que les parties devaient rai- sonnablement souhaiter 9 . Pour découvrir ces con
s L'avocat de l'appelant dit que les Conditions sont [TRADUC- TION] .moins bien rédigées que celles que l'on trouve, par exemple, dans un contrat de location de voiture.. Voir, l'exposé des points d'argument de l'appelant, para. 37.
9 À l'appui de ce point de vue, l'appelant cite l'arrêt The Moorcock (1889), 14 P.D. 64 (C.A.) qui traitait de la violation de la garantie implicite que le lit de la rivière à une jetée convenait raisonnablement à son objet. Cependant, voir l'arrêt Panagiotis Th. Coumantaros (Steamship), The Owners of v. National Harbours Board, [1942] R.C.S. 450, la p. 458, qui traitait de l'arrêt Moorcock dans une perspective beaucoup plus restreinte que celle adoptée par l'avocat de l'appelant. Consé- quemment, je doute fort que l'arrêt Moorcock s'applique en l'espèce.
ditions et l'efficacité que les parties entendaient leur donner, il faut examiner ce qu'ont fait les parties et comment elles se sont comportées. L'ap- proche préconisée par l'avocat de l'appelant mène à la conclusion qu'il existe une obligation constitu- tionnelle d'exploiter des lignes de chemin de fer à l'intérieur de l'Ile-du-Prince-Edouard et de la sub division Tourmentine.
Je n'estime pas nécessaire de traiter de chacune des étapes astucieuses de l'interprétation dcs Con ditions par lesquelles est passé l'appelant pour parvenir à sa destination constitutionnelle. Je dis ceci parce que les Conditions de l'adhésion n'exi- gent pas que le Canada exploite le chemin de fer sur l'Ile-du-Prince-Edouard ni qu'il maintienne et exploite une liaison ferroviaire entre le chemin de fer sur l'Île-du-Prince -Edouard et le chemin de fer sur le continent. L'avocat de l'appelant en con- vient; il reconnaît également que ce que les Condi tions de l'adhésion disent expressément, c'est que le chemin de fer sur l'Île deviendra la propriété du Canada et que celui-ci se chargera des dépenses occasionnées par un service qui assurera une com munication continue entre l'Île et le chemin de fer Intercolonial et le réseau des chemins de fer du Canada.
À mon avis, ce que soutient l'appelant en réalité, c'est que les Conditions de l'adhésion ne sont pas claires à première vue, comme le démontrent ce qu'il appelle leur mauvaise rédaction, leur brièveté, leur mauvais agencement et ainsi de suite. Pour dissiper le doute, il faut découvrir une entente implicite à même les circonstances à l'époque et le comportement des parties depuis l'adoption des Conditions de l'adhésion. Je trouve cette approche plutôt dangereuse car elle peut facilement mener à une nouvelle rédaction des Conditions, voire à un réaménagement qui en fausserait les termes au profit de l'une des partie. Mais, essentiellement, je juge erronée l'approche de l'appelant parce que ce qui importe sûrement le plus, c'est le sens à donner aux mots choisis par les parties dans les Conditions de l'adhésion.
À cet égard, je n'estime pas que les mots choisis sont mal exprimés ou laissent par ailleurs à désirer. De fait, je crois que le sens et l'intention des Conditions pertinentes de l'adhésion sont clairs et que ces dernières expriment l'accord qu'envisa-
geaient les parties. En d'autres termes, point n'est besoin de recourir aux règles d'interprétation des lois, aux éléments de preuve extrinsèques ou aux antécédents législatifs lorsque le libellé à l'étude est clair.
Les deux dispositions relatives aux chemins de fer dans les Conditions de l'adhésion n'imposent pas l'obligation d'exploiter le réseau ferroviaire à perpétuité comme le soutient l'appelant. La clause qui débute avec les mots «Un service convenable de bateaux à vapeur» indique clairement que le gou- vernement du Canada se chargera des dépenses occasionnées par un service convenable de bateaux à vapeur, transportant les malles (sic) et passa- gers, qui sera établi et maintenu entre l'Île et les côtes du Canada, l'été et l'hiver, assurant ainsi une communication continue entre l'Île et le chemin de fer Intercolonial ainsi qu'avec lc réseau des che- mins de fer du Canada. L'avocat de l'appelant affirme qu'il ressort clairement de cette clause que l'on entendait créer l'obligation d'assurer une com munication continue, et il faut entendre par cela la communication entre l'Île et le chemin de fer Intercolonial ainsi que le réseau de chemin de fer du Canada. Cela n'a un sens, dit l'appelant, que s'il existe un réseau ferroviaire à l'Île-du-Prince- Édouard et que la subdivision Tourmentine conti nue à fonctionner. En outre, cette obligation ne se limite pas à ce qui serait considéré être «un service convenable de bateaux à vapeur» en 1873, mais elle évolue au gré des événements subséquents qui exigent la prestation de services de meilleure qua- lité. L'appelant soutient aussi que le service ne se limite pas au courrier et aux passagers mais com- prend aussi le fret.
Cette Cour a jugé dans l'arrêt R. (Île-du- Prince-Édouard) c. R. (Canada) 10 que cette clause des Conditions de l'adhésion créait en faveur de la province l'obligation d'exploiter de façon continue un service de bacs—été et hiver—entre l'Île-du- Prince-Édouard et le continent. La décision ne portait que sur le service de bacs, elle ne portait pas sur le chemin de fer. Selon les Conditions de l'adhésion, il existe clairement une obligation de
[1976] 2 C.F. 712 (C.A.).
fournir un service de bacs ayant pour effet et non pour obligation d'assurer la communication avec le réseau ferroviaire fédéral, comme l'indiquent les mots «assurant ainsi»".
Aussi le service de bacs, par les mots «Un service convenable de bateaux à vapeur», ne peut désigner qu'un «navire» selon les sens normalement donné à de tels mots' 2 . De plus, il est aussi clair que l'obligation relative au service de bacs ne men- tionne que le courrier et les passagers et non le fret, car si on avait voulu comprendre celui-ci, il aurait été bien facile d'inclure le mot, comme on l'a fait dans les Conditions de l'adhésion de la Colombie-Britannique". Enfin, l'adjectif «conti- nue» ne vise que la traversée du détroit de Nor- thumberland l'été et l'hiver et ne fait pas allusion à une ligne de chemin de fer continue existant sur l'Île, sur le bac et à sa sortie, et ensuite sur le continent. A mon sens, «continue» a un sens saison- nier et temporel plutôt qu'une signification matérielle.
En ce qui concerne la clause des Conditions de l'adhésion qui prévoit que les chemins de fer donnés à contrat et en voie de construction pour le
" L'avocat du CN fait aussi valoir à l'appui de ce point que l'art. 145 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5]], qui déclarait essen- tielle à l'Union de 1867 la construction du chemin de fer Intercolonial, a été abrogé en 1893 par une loi britannique [Loi de 1893 sur la révision du droit statutaire, 56-57 Vict., chap. 14 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice I1, 17]]. En consé- quence, le gouvernement fédéral a le droit d'abandonner le chemin de fer Intercolonial, et il doit aussi avoir le droit d'abandonner le chemin de fer sur l'Île. Si le gouvernement fédéral devait abandonner le chemin de fer Intercolonial, le chemin de fer de l'Île n'aurait plus la possibilité de ,,communi- queno avec quoi que ce soit. Donc, le CN soutient que l'obliga- tion imposée au gouvernement fédéral par les Conditions de l'adhésion ne doit viser qu'un service de bacs.
12 Comparer avec les Conditions de l'adhésion de la Colom- bie-Britannique, L.R.C. (1985), appendice 11, 10, art. 4, dont voici le libellé:
4. Le Canada établira un service postal effectif semi -men- suel, au moyen de bateaux à vapeur entre Victoria et San Francisco, et bi-hebdomadaire entre Victoria et Olympia; les bateaux à vapeur devant être adaptés au transport du fret et des passagers.
" Voir plus haut, note 12.
compte du gouvernement de l'Île deviendront les propriétés du Canada, ses conséquences sont égale- ment claires. L'appelant soutient que cette clause ne peut que signifier que le Canada devait non seulement être le propriétaire des lignes de chemin de fer mais aussi leur exploitant. Il ne fait aucun doute que l'on s'attendait à ce que le Canada exploite le réseau ferroviaire, mais cela ne signifie nullement que le libellé des Conditions d'adhésion impose au Canada l'obligation d'exploiter le chemin de fer à perpétuité. Il est clair que le Canada devait acquérir la propriété du chemin de fer vraisemblablement parce qu'il assumait les dettes et le passif de l'Ile-du-Prince-Edouard au moment de son adhésion. Après en avoir acquis la propriété, le Canada était légalement libre de dis- poser du chemin de fer à son gré, en sa qualité de propriétaire. Si l'on avait voulu que le Canada exploite le chemin de fer à perpétuité, on l'aurait dit en des termes clairs comme ce fut le cas, ainsi que l'a souligné l'avocat du CN, dans la conven tion de 1883 relative au chemin de fer de la Colombie-Britannique 14 .
Je conclus par conséquent que la décision et l'arrêté de l'Office n'étaient pas contraires aux Conditions de l'adhésion de l'Île-du-Prince- Édouard et donc qu'ils relevaient de la compétence de l'Office. En tirant cette conclusion, je m'appuie sur le sens clair du libellé des Conditions de l'adhé- sion. Je reconnais que selon la décision du Conseil
14 Les mots »sans interruption et de bonne foi exploiter» se trouvent dans la convention de 1883 concernant le chemin de fer de la Colombie-Britannique: voir l'Acte concernant le chemin de fer de l'Île de Vancouver, le bassin de radoub d'Esquimalt, et certaines terres de chemin de fer de la province de la Colombie-Britannique cédées au Canada, S.C. 1884 (Lois non abrogées) 47 Vict., chap. 6, art. 9 de l'annexe. Voir B.C. (A.G.) v. Can. (A.G.) (1989), 42 B.C.L.R. (2d) 339 (S.C.), une décision du juge en chef Esson de la Cour suprême de la C.-B. qui a conclu à l'existence de l'obligation perpétuelle d'assurer un service ferroviaire entre Victoria et Nanaimo sur l'Île de Vancouver. Sans faire de commentaires sur la justesse de cette décision, je soulignerais que les faits et les libellés des textes législatifs pertinents sont substantiellement différents de ceux qui nous concernent en l'espèce.
Privé dans l'affaire Edwards, Henrietta Muir v. Attorney -General for Canada, les tribunaux doi- vent donner à la constitution une interprétation
[TRADUCTION] ... large, libérale et de grande portée compte tenu de l'ampleur des sujets dont elle prétend traiter en peu de mots' 5 .
Cependant, lord Sankey a dit aussi:
[TRADUCTION] ... la question n'est pas ce que l'on peut supposer que l'on avait en vue, mais ce que l'on a dit' 6 .
Je trouve que la mise en garde de lord Sankey répond particulièrement bien aux arguments de l'avocat de l'appelant'''.
Je rejetterais l'appel.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
15 [1930] A.C. 124 (P.C.), à la p. 137, motifs de lord Sankey. ' 6 Ibid.
" Lorsque je m'appuie sur le sens clair du libellé des Condi tions de l'adhésion, je ne veux pas laisser entendre que je suis d'accord avec les arguments de l'avocat de l'appellant relative- ment aux règles d'interprétation, aux éléments de preuve extrinsèques et aux antécédents historiques. En effet, les avo- cats du CN et du procureur général ont opposé en réponse d'impressionnants arguments, mais je n'ai pas jugé nécessaire d'en traiter en détail en raison de la clarté du libellé des Conditions de l'adhésion.
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