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T-2233-90
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica- tions canadiennes ( «CRTC») et Brien Rodger (requérants)
c.
Daniel A. Soberman, Carol Joan Block, Joseph A. Sanders, siégeant comme membres du tribunal des droits de la personne, Richard Deegan, le plai- gnant, et la Commission canadienne des droits de la personne (intimés)
RÉPERTORIÉ: CONSEIL DE IA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉ- COMMUNICATIONS CANADIENNES C. CANADA (TRIBUNAL DES DROITS DE IA PERSONNE) (1 1s INST.)
Section de première instance, juge MacKay— Ottawa, 30 août et 17 septembre 1990.
Droits de la personne Demande d'annulation de l'ordon- nance ayant pour effet d'exclure le représentant désigné du CRTC de l'audience du tribunal des droits de la personne concernant une plainte de discrimination jusqu'à ce que ledit représentant témoigne Le représentant a été assigné comme témoin La demande est accueillie, étant donné que l'ordon- nance est contraire à l'art. 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui garantit aux parties le droit de présenter des éléments de preuve et de formuler des observa tions Une entreprise ou un organisme créé en vertu d'une loi peut être représenté et donner des directives à un avocat uniquement par l'entremise d'une personne naturelle Le droit de choisir un représentant ne devrait pas être entravé par la possibilité que ledit représentant témoigne La demande visant à annuler l'ordonnance d'exclusion concernant l'employé dont la conduite a donné lieu à la plainte est rejetée Le rôle du tribunal n'est pas de punir, mais de réparer Étant donné que l'ordonnance visait uniquement le CRTC, qui était le seul intimé désigné, les principes de la justice naturelle et l'obliga- tion d'équité n'ont pas été violés.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Demande d'annulation de l'ordonnance ayant pour effet d'exclure de l'audience du tribunal des droits de la personne un employé du CRTC dont la conduite a donné lieu à une plainte de discrimination jusqu'à ce que cet employé ait témoigné Étant donné que le CRTC est le seul intimé désigné, l'ordonnance du tribunal vise uniquement cet orga- nisme Le traumatisme personnel découlant de l'enquête du tribunal ne constitue pas une privation de la sécurité de la personne qui est garantie par l'art. 7 de la Charte.
Déclaration des droits L'exclusion de l'audience du tri bunal des droits de la personne d'un employé du CRTC dont la conduite a donné lieu à une plainte de discrimination jusqu'à ce que cette personne ait témoigné ne constitue pas une entrave au droit à une audience impartiale conformément aux princi- pes de la justice fondamentale, laquelle violation serait con- traire à l'art. 2e) de la Déclaration canadienne des droits L'employé en question n'est pas un intimé désigné et n'a pas encore obtenu le statut de partie intéressée Il n'est pas plus
habilité que d'autres témoins à répondre aux accusations ou aux reproches.
Pratique Preuve Audience du tribunal des droits de la personne L'employé du CRTC dont la conduite a donné lieu à une plainte de discrimination et l'agent du CRTC qui a donné des directives à l'avocat ont été exclus jusqu'à ce qu'ils
aient témoigné L'ordonnance est annulée quant à l'agent et confirmée quant à l'employé Il s'agit de savoir si le pouvoir discrétionnaire du tribunal d'exclure des témoins s'étend aux personnes en question But de l'exclusion des témoins Crédibilité Renvoi aux ouvrages sur la preuve, aux règles de procédure civile et au droit d'origine législative de divers territoires tribunal examinerait avec soin le poids à accorder au témoignage d'un témoin non exclu Lorsqu'il choisit une personne pour donner des directives à l'avocat, l'organisme doit comprendre que la Cour peut ne pas tenir compte du témoignage de cette personne.
Il s'agissait d'une demande d'annulation d'une ordonnance ayant pour effet d'exclure Joseph Horan, directeur général du personnel du CRTC, et Brien Rodger, l'employé du CRTC dont la conduite avait donné lieu à la plainte de discrimination, de l'audience du tribunal des droits de la personne jusqu'à ce qu'ils aient témoigné. Le CRTC a jugé que Horan était la personne la plus compétente et la mieux informée pour conti- nuer à donner des directives à l'avocat et à le représenter pendant l'enquête, étant donné que les responsabilités de Horan portaient sur les questions en litige et qu'il avait donné des directives à l'avocat avant l'enquête. Bien que son nom appa- raisse dans le texte de la plainte, Rodger n'était pas partie à l'enquête tenue devant le tribunal et il n'a pas encore obtenu le statut de partie intéressée. Seul le CRTC a été désigné comme intimé. Le tribunal a assigné Horan et Rodger à titre de témoins possibles. Le CRTC a soutenu que l'exclusion de Horan allait à l'encontre du paragraphe 50(1) de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne et des règles de la justice naturelle. Le paragraphe 50(1) identifie les parties à une enquête qui doivent recevoir un avis de celle-ci et avoir la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve et leurs observations. Ces arguments étaient fondés sur le droit du CRTC de choisir le représentant qui donnera des directives et des conseils à l'avocat au cours de l'audience, lequel droit existerait de façon concomittante avec celui d'être représenté par un avocat, élément essentiel du droit à une audience impartiale. Dans le cas de Rodger, on a soutenu que son caractère et sa réputation étaient en jeu et que son perfectionnement au sein de la fonction publique serait touché par les conclusions du tribunal. On a allégué que, selon les règles de la justice naturelle, il devait avoir le droit d'entendre les accusations portées contre lui et d'y répondre. On a ajouté que l'enquête et les conclusions du tribunal pourraient violer les droits de Rodger qui sont reconnus par l'article 7 de la Charte, lesquels droits comprendraient celui de ne pas être soumis à un choc émotif à la suite de la perte de dignité ou de l'estime de soi ou d'une stigmatisation. Les intimés ont soutenu que d'autres membres de l'administration de l'organisme pouvaient le repré- senter et donner des directives à l'avocat. La question en litige consistait à savoir si le pouvoir discrétionnaire du tribunal d'exclure des témoins s'étend aux personnes se trouvant dans la situation de Horan et Rodger.
Jugement: la demande devrait être accueillie en partie, c'est-à-dire que l'ordonnance devrait être annulée quant à Horan, mais confirmée quant à Rodger.
L'exclusion de Horan allait à l'encontre du paragraphe 50(1) de la Loi. Une partie qui est une entreprise ou un organisme créé en vertu d'une loi ne peut être représentée à une audience et donner des directives à son avocat que par l'entremise d'une personne naturelle. Selon le paragraphe 50(1), un organisme créé en vertu d'une loi a le droit d'être représenté et de donner des directives à son avocat au cours de l'audience par l'entre- mise de la personne qu'il a désignée. La possibilité qu'il a de participer à l'audience ne peut être restreinte par l'exclusion de ce représentant désigné, même si cette personne est un témoin possible. Le fait qu'une personne soit un témoin possible parce que la plainte concerne ses responsabilités normales ne devrait pas entraver le droit d'un organisme ou d'une entreprise de se choisir un représentant aux fins des audiences d'un tribunal. Cette conclusion était appuyée par les aspects pratiques de la cause. Étant donné que la tâche de répondre au rapport d'en- quête et de conciliation incombait à Horan, celui-ci était au courant d'une grande partie de la preuve. Le fait de l'empêcher d'entendre le témoignage des autres ne garantirait pas de la même façon qu'il le ferait pour les autres témoins que son témoignage ne serait pas influencé par la preuve présentée devant le tribunal. Lorsque la personne désignée pour donner des directives à l'avocat est également un témoin possible et qu'elle est exemptée de l'application d'une ordonnance générale d'exclusion des témoins, le tribunal examinera avec soin le poids à accorder à son témoignage. La possibilité que le tribu nal ne tienne pas compte du témoignage de cette personne pourra être un élément dont l'organisme se préoccupera au moment de choisir le représentant qui donnera des directives à l'avocat en son nom.
Rodger ne sera pas directement touché par une ordonnance du tribunal, puisqu'il n'est pas partie à l'enquête. Son perfec- tionnement dépend d'autres démarches d'évaluation. Étant donné qu'aucune ordonnance ne sera rendue directement contre Rodger, qu'aucune sanction ne lui sera imposée et qu'aucune mesure réparatrice ne sera prise contre lui à la suite d'une ordonnance du Tribunal, il n'y a pas violation des principes de justice naturelle et de l'obligation d'équité. Comme témoin possible, il n'est pas plus habilité que d'autres témoins à répondre aux «accusations» ou aux reproches. Même s'il ne peut entendre la preuve concernant les allégations formulées contre lui avant d'être appelé à témoigner, il ne sera pas privé pour autant de son droit à une audience impartiale conformément aux principes de la justice fondamentale, ce qui serait contraire à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. L'article 7 de la Charte ne s'applique pas non plus aux faits. Le traumatisme que Rodger peut subir à la suite de l'enquête est un des risques de la vie et ne constitue pas une atteinte à la sécurité de sa personne.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Alberta Rules of Court, Alta. Reg. 390/68, R. 247.
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44] art. 7, 24(1).
Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44, Partie I [L.R.C. (1985), appendice I11], art. 2e).
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), chap. H-6, art. 49 (mod. par L.R.C. (1985)
(1" Supp.), chap. 31, art. 66), 50, 52, 53, 54.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 18.
Règles de procédure civile, Régl. de l'Ont. 560/84,
R. 52.06.
The Saskatchewan Human Rights Code, S.S. 1979,
chap. S-24.1.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Fishing Vessel Owners' Assn. of B.C. c. P.G. Can. (1985), 1 C.P.C. (2d) 312; 57 N.R. 376 (C.A.F.); American Airlines, Inc. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1989] 2 C.F. 88; (1988), 54 D.L.R. (4th) 741; 33 Admin. L.R. 229; 23 C.P.R. (3d) 178; 89 N.R. 241 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Kodellas v. Sask. Human Rights Comm., [1989] 5 W.W.R. 1; (1989), 77 Sask. R. 94 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988), 63 O.R. (2d) 281; 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d) 449; 62 C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. l; 82 N.R. 1; 26 O.A.C. 1; Homelite, a division of Textron Can. Ltd. c. Tribunal canadien des importations (1987), 26 Admin. L.R. 126; 15 F.T.R. 10 (C.F. 1"e inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588; (1987), 78 N.S.R. (2d) 183; 39 D.L.R. (4th) 481; 193 A.P.R. 183; 33 C.C.C. (3d) 289; 57 C.R. (3d) 289; 75 N.R. 81; Re Alberta Liquor Control Board and A.U.P.E., Loc. 50 (1989), 6 L.A.C. (4th) 252 (Alb.); Re Inland Natural Gas Co. Ltd. and Intl Brotherhood of Electrical Wor kers, Local 213 (1985), 22 L.A.C. (3d) 104 (C.-B.); Chamberlain v. Aetna Life & Cas. Ins. Co., Tenn., 593 S.W. 2d 661 (C.S., 1980); Lenoir Car Co. v. Smith, 100 Tenn. 127; 42 S.W. 879 (Tenn. C.S., 1897); Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 87 C.L.L.C. 17,025; 75 N.R. 303.
DOCTRINE
Schiff, Stanley Evidence in the Litigation Process, Vol. 1, 3rd éd. Toronto: Carswell Co. Ltd., 1988.
Sopinka, John & Lederman, Sidney N. The Law of Evidence in Civil Cases, Toronto: Butterworths, 1974. Wigmore, John Henry Evidence in Trials at Common Law, Vol. 6, rev. by James H. Chadbourn. Boston: Little, Brown & Co., 1976.
AVOCATS:
Russell G. Juriansz et Avrum Cohen pour les requérants.
Stephen B. Acker et Mundy McLaughlin pour l'intimée, la Commission canadienne des droits de la personne.
Michael W. Swinwood pour le plaignant Richard Deegan.
Personne n'a comparu pour le tribunal des droits de la personne.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour les requérants.
Johnston & Buchan, Ottawa, pour l'intimée, la Commission canadienne des droits de la personne.
Lang, Michener, Lawrence & Shaw, Ottawa, pour le plaignant.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, en vue d'obte- nir des ordonnances de certiorari, de prohibition et de mandamus à l'égard de la décision par laquelle le tribunal des droits de la personne a exclu de la salle d'audience certaines personnes assignées comme témoins au cours d'une enquête qu'il menait au sujet d'une allégation de discrimination. Les personnes qui ont été exclues de la salle d'au- dience et dont la présence serait autorisée, si les ordonnances demandées étaient rendues, étaient Joseph Horan, le directeur général du personnel du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica- tions canadiennes («CRTC») que celui-ci avait désigné comme son mandataire pour donner des directives à l'avocat en son nom, et Brien Rodger, employé du CRTC dont la conduite avait donné lieu à une plainte. La plainte de discrimination fondée sur l'invalidité a été présentée à la Commis sion canadienne des droits de la personne confor- mément à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), chap. H-6, par l'intimé Richard Deegan.
Au cours de l'audience relative à cette question, le CRTC et Rodger étaient tous deux représentés par des avocats, chacun des intimés, Deegan et la Commission canadienne des droits de la personne, était représenté par son propre avocat et les inti- més désignés membres du tribunal des droits de la personne n'étaient pas représentés.
Les requérants désirent, par la présente demande, obtenir une ordonnance de certiorari et de prohibition en vue d'annuler la décision par laquelle le tribunal a exclu, le 18 juin 1990, le représentant du CRTC et Rodger de la salle d'au- dience et d'interdire au tribunal de poursuivre l'enquête tant que la présence de ces personnes ne sera pas autorisée. Les requérants demandent éga- lement une ordonnance de mandamus enjoignant au tribunal de permettre au représentant du CRTC et à Brien Rodger d'être présents pendant l'enquête. En outre, ils demandent des ordonnan- ces enjoignant au tribunal de mener l'enquête con- formément aux règles de justice naturelle et aux principes de justice fondamentale qui sont garantis par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44, Partie I, et ses modifi cations (L.R.C. (1985), appendice III) et, enfin, en ce qui a trait à Rodger, une ordonnance fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] en vue d'en- joindre au tribunal de mener l'enquête conformé- ment au droit à la justice fondamentale de Rodger qui est garanti par l'article 7 de la Charte.
Au soutien de la requête, on allègue que le tribunal a commis une erreur de droit, violé les règles de justice naturelle, le droit des requérants à la justice fondamentale, qui est garanti par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, et le droit de Brien Rodger à la justice fondamentale, qui est garanti par l'article 7 de la Charte, et qu'il a outrepassé ses pouvoirs en ordonnant l'exclusion du représentant du CRTC et de Brien Rodger de la salle d'audience.
Le contexte
Le tribunal a été nommé pour examiner une plainte de discrimination fondée sur l'invalidité qui avait été déposée par Deegan, employé du CRTC. La plainte porte explicitement sur la conduite du superviseur de Deegan, Brien Rodger, dont le nom apparaît dans le texte de la plainte, bien que seul l'organisme, le CRTC, y soit nommé comme intimé.
Horan est le gestionnaire principal chargé de l'administration du personnel et de la politique
afférente au sein du CRTC. Ses responsabilités comprennent les litiges portés devant le tribunal et il avait donné des directives à l'avocat du CRTC avant l'enquête. Le CRTC le considérait égale- ment comme la personne la plus informée et la plus compétente pour continuer à donner des directives à l'avocat et à le représenter pendant l'enquête.
On soutient que le plaignant, Deegan refuse de reconnaître que les allégations, de discrimination sont fondées entièrement, sur les actions du requé- rant Rodger. Apparemment, Deegan et peut-être aussi la Commission intimée sont préoccupés par la façon dont Horan s'est conduit au cours de l'enquête qu'a menée ladite Commission au sujet de l'allégation de discrimination.
La démarche prévue par la loi pour l'examen et le règlement d'une plainte a été suivie dans le cas de la plainte de Deegan, mais elle n'a pas permis de trancher le litige. Finalement, le tribunal a été créé conformément à l'article 49 [mod. par L.R.C. (1985) (1e` suppl.), chap. 31, art. 66] de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour examiner la plainte. Lorsque l'avocat du CRTC â refusé d'indiquer s'il appellerait ou non MM. Horan et Rodger comme témoins à l'enquête, le tribunal a assigné chacun d'eux à la demande de la Commission intimée. L'avocat de la Commission a ensuite refusé de dire, avant l'enquête, s'il appelle- rait l'un d'eux comme témoin. Au début de l'en- quête, le 18 juin 1990, l'avocat de la Commission intimée a demandé une ordonnance d'exclusion des témoins et l'avocat du plaignant a appuyé cette demande. L'avocat du CRTC était d'accord avec la demande, mais il a proposé que MM. Horan et Rodger ainsi que le plaignant Deegan soient exemptés de l'application de l'ordonnance. L'avo- cat de la Commission et celui de Deegan se sont alors opposés à l'exclusion de MM. Horan et Rodger.
Après avoir entendu les arguments sur cette question, le tribunal a décidé que les témoins, y compris MM. Horan et Rodger, devaient être exclus de la salle d'audience jusqu'à ce qu'ils aient témoigné, s'ils étaient appelés à le faire. Une bonne partie des arguments présentés devant le tribunal portaient sur l'application de l'ordonnance proposée à Horan qui, comme dirigeant supérieur du, CRTC, avait conseillé la direction au sujet du
litige et avait donné des directives à l'avocat au cours de la préparation relative à l'enquête. On a également soutenu que la présence de Rodger était nécessaire pour le motif qu'en raison des principes de justice fondamentale, toute personne doit avoir la possibilité d'entendre ce qui est dit contre elle et de se défendre. Le président du tribunal a résumé comme suit la question essentielle et la décision:
[TRADUCTION] Nous avons donc ici un conflit entre le droit d'une personne d'être présente à l'audience et d'entendre ce qui se passe et la possibilité de tenir une audience qui permet de faire ressortir la vérité conformément aux règles de la preuve générales. (Transcription, audience du tribunal, p. 15.)
Plus tard, le président a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] ... nous admettons que la possibilité de connaî- tre la vérité et les faits sans tenir compte des risques pour les personnes ici présentes, l'emporte à notre avis et nous exclu- rions M. Horan et M. Rodger jusqu'à ce qu'ils témoignent ... nous estimons qu'il est important qu'ils soient exclus et nous exclurions toutes les personnes, sauf M. Deegan lui-même, avant qu'elles ne témoignent. (Transcription, audience du tribu nal, p. 17.)
Le CRTC a alors demandé un ajournement pour contester la décision du tribunal devant notre Cour et le tribunal a accordé la demande d'ajournement lorsque l'avocat du CRTC a indiqué qu'il s'oppo- sait à la poursuite de l'enquête avant que cette question préliminaire ne soit tranchée.
Le tribunal et l'exclusion des témoins
Selon la Loi canadienne sur les droits de la personne, lorsqu'un tribunal est constitué, il a cer- tains pouvoirs et responsabilités qui comprennent, en ce qui a trait à l'examen d'une plainte, la responsabilité d'aviser les parties, qui auront alors la possibilité de comparaître devant le tribunal, de présenter une preuve et de lui soumettre des obser vations; le pouvoir d'assigner des témoins et d'exi- ger leur présence et d'exiger la présentation d'une preuve verbale ou écrite sous serment de la même façon qu'un tribunal d'archives supérieur et le pouvoir de recevoir et d'accepter la preuve et les renseignements comme bon lui semble (paragra- phes 50(1) et (2)). Le tribunal doit mener une enquête publique, mais il peut exclure des mem- bres du public, si cette exclusion est dans l'intérêt public (article 52). À la fin de son enquête, le tribunal peut rejeter la plainte ou, s'il juge que la plainte est bien fondée, il peut ordonner une répa- ration à l'intérieur des conditions fixées par la loi (articles 53 et 54).
Pendant l'audience relative à la présente demande, personne n'a contesté le pouvoir général du tribunal d'établir sa propre procédure, dans la mesure elle n'est pas déjà précisée par la Loi. Le principe général selon lequel les tribunaux sont maîtres de leur propre procédure est maintenant bien établi, selon la règle qu'a énoncée le juge Addy dans Fishing Vessel Owners' Assn. of B.C. c. P.C. Can. (1985), 1 C.P.C. (2d) 312 (C.A.F.), à la page 319 et qui a été affirmée à nouveau dans American Airlines, Inc. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1989] 2 C.F. 88 (C.A.), à la page 95:
Chaque tribunal est investi du pouvoir fondamental de contrô- ler sa propre procédure afin d'assurer que la justice est rendue. Ce pouvoir est toutefois assujetti à toute limitation ou disposi tion prévue soit par le droit en général, soit par une loi, soit par les règles de la Cour. [Souligné par le juge en chef lacobucci]
En outre, au cours de l'audience relative à la présente demande, aucune partie n'a contesté le pouvoir du tribunal des droits de la personne d'ex- clure des témoins de l'audience tenue devant lui avant que ceux-ci ne soient appelés à témoigner. La seule question à trancher est celle de savoir si ce pouvoir discrétionnaire s'applique à l'exclusion des personnes dont la présence est demandée en l'espèce. Les requérants dans la présente demande soutiennent que, selon les dispositions de la loi habilitante ou du droit général, le pouvoir qu'a le tribunal d'exclure des témoins ne s'étend pas à l'exclusion de MM. Horan et Rodger. Chacun de ces cas et les arguments invoqués à leur égard seront examinés à tour de rôle.
Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps le pouvoir d'exclure des témoins, que ce pouvoir découle de la common law, d'un texte législatif ou des règles des tribunaux eux-mêmes. Cette procé- dure permet à l'organisme qui préside l'audience de s'assurer qu'il a toutes les chances possibles d'entendre le témoignage de chacun des témoins sans que ceux-ci ne soient influencés en entendant la version des autres, que ce soit en étant incités à témoigner de façon à contrer le plus efficacement possible la version des témoins de la partie adverse ou à présenter un témoignage qui correspondra à celui des témoins de la même partie qui ont déjà
témoigné. Cette procédure est utilisée notamment lorsque la crédibilité est en litige'.
Dans certains territoires, les règles de pratique accordent au tribunal le pouvoir discrétionnaire, dans les causes civiles, d'exclure les parties qui sont des témoins possibles (voir, par exemple, la Règle 247 des Alberta Rules of Court [Alta. Reg. 390/68]). Dans d'autres territoires, les parties ne peuvent être exclues, même si elles sont des per- sonnes qui seront appelées à témoigner (voir, par exemple, la Règle 52.06 des Règles de procédure civile de l'Ontario [Règl. de l'Ont. 560/84]). Dans le cas de plusieurs autres territoires et de nom- breux tribunaux administratifs, il s'agit simple- ment d'une question laissée à la discrétion du tribunal, sous réserve des règles de droit générales qui s'appliquent. Lorsqu'un témoin, même dans le cas d'une personne qui est une partie, est exempté de l'application d'une ordonnance d'exclusion des témoins ou que cette personne est présente par inadvertance malgré cette ordonnance et qu'elle est appelée à témoigner après avoir entendu la version d'autres personnes, le tribunal étudiera avec soin l'importance à accorder à son témoi- gnage. En outre, l'organisme qui préside l'audience voudra peut-être faire témoigner cette personne en premier parmi celles qui sont appelées à témoigner au nom d'une partie.
Dans l'affaire qui nous occupe, il est évident que le tribunal a conclu que tous les témoins possibles, sauf le plaignant, devaient être exclus, y compris MM. Horan et Rodger, même si le premier était présent pour conseiller l'avocat qui représentait le CRTC et pour lui donner des directives. Le tribu nal voulait ainsi avoir la meilleure chance possible de déterminer les faits à la lumière du témoignage de chacun des témoins sans que ceux-ci ne soient influencés par la version des autres.
Exclusion du représentant du CRTC, M. Horan
L'avocat du CRTC soutient que le pouvoir du tribunal d'exclure l'ensemble des témoins ne s'étend pas à M. Horan, même si celui-ci est un témoin possible, puisque l'organisme l'a désigné comme son représentant chargé de conseiller l'avo-
' Voir, généralement, Wigmore, Evidence in Trials at Common Law, Vol. 6 (Chadbourn ed. rev., 1976) chap. 63; Sopinka & Lederman, The Law of Evidence in Civil Cases (1974), à la p. 461; Schiff, Evidence in the Litigation Process (1988, 3e éd.) à la p. 55.
cat pendant la préparation à l'audience et lors de l'audience elle-même et de lui donner des directi ves. Le CRTC fait valoir que l'exclusion de ce témoin serait contraire au paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et, sans tenir compte des restrictions législatives, aux règles de justice naturelle.
Ces arguments sont fondés sur le droit du CRTC de choisir le représentant qui sera chargé de conseiller l'avocat et de lui donner des directives au cours de l'audience, lequel droit existerait de façon concomittante avec celui d'être représenté par un avocat, élément essentiel à l'audience impartiale.
Les intimés n'admettent pas que l'on identifie Horan avec le CRTC aux fins de l'audience. Ils soutiennent que d'autres personnes faisant partie de l'administration de l'organisme, dont «l'avocat interne» qui était présent à l'audience comme avocat représentant lui aussi le CRTC, pourraient représenter l'organisme et donner des directives à l'avocat. Ils n'admettent pas que le fait d'exclure M. Horan comme témoin possible équivaut à exclure le CRTC comme partie. Selon eux, le pouvoir du tribunal couvre l'exclusion de M. Horan, malgré la présence de celui-ci pour donner des directives à l'avocat. Ils se fondent sur la décision que mon collègue le juge Strayer a rendue dans Homelite, a division of Textron Can. Ltd. c. Tribunal canadien des importations (1987), 26 Admin. L.R. 126 (C.F. lfe inst.), celui-ci a refusé d'intervenir pour infirmer la déci- sion par laquelle un autre tribunal avait refusé d'exclure des témoins, et ils allèguent que notre Cour ne devrait pas intervenir en l'espèce à l'égard du pouvoir discrétionnaire exercé par le tribunal des droits de la personne.
L'exclusion, comme témoin possible, de la per- sonne qu'une société ou un organisme a désignée pour le représenter et donner des directives à l'avocat au cours de l'audience dans une cause la société ou l'organisme en question est partie au litige est peut-être bien inhabituelle. Les requé- rants sont d'avis que cette personne est normale- ment exemptée de l'application d'une ordonnance d'exclusion générale et cite à titre d'exemples ce qui semble être la pratique générale dans les litiges
d'arbitrage en droit du travail, la Règle 52.06(2) des Règles de Procédure Civile de l'Ontario, qui interdit maintenant l'exclusion de cette personne, et les décisions rendues dans le Tennessee, bien que je constate que, dans ces arrêts-là, des disposi tions législatives interdisaient explicitement l'ex- clusion de la personne désignée pour donner des directives à l'avocat'. D'autre part, on pourrait penser que, dans les territoires les règles de pratique ou les lois accordent au tribunal le pou- voir discrétionnaire d'exclure des témoins, y com- pris les parties qui sont des témoins possibles, ce pouvoir comprend implicitement celui d'exclure la personne que l'entreprise ou l'organisme désigne pour donner des directives à l'avocat, si cette per- sonne est elle aussi un témoin possible. Je suis donc d'avis qu'il n'y a tout simplement aucune règle générale reconnue que l'on peut appliquer quant à la limite du pouvoir discrétionnaire du tribunal.
Une des dispositions-clés de la loi par laquelle le tribunal a été créé en l'espèce est le paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui se lit comme suit:
50. (1) Le tribunal, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, examine l'objet de la plainte pour laquelle il a été constitué; il donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations.
Cette disposition identifie les parties à une enquête comme étant la Commission canadienne des droits de la personne, le plaignant, la personne contre laquelle la plainte a été faite, en l'espèce, le CRTC, et «à son appréciation [du tribunal], ... tout intéressé». Un avis conforme de l'enquête doit être remis à chacune de ces parties et celles-ci doivent avoir «la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations». Comment cette possi- bilité est-elle offerte dans les circonstances du présent litige et en ce qui a trait à M. Horan? La
2 Voir, par exemple, Re Alberta Liquor Control Board and A.U.P.E., Loc. 50 (1989), 6 L.A.C. (4th) 252 (Alb.); Re Inland Natural Gas Co. Ltd. and Int'l Brotherhood of Electrical Workers, Local 213 (1985), 22 L.A.C. (3d) 104 (C.-B.).
3 Voir Chamberlain v. Aetna Life & Cas. Ins. Co., Tenn., 593 S.W. 2d 661 (C.S., 1980); et Lenoir Car Co. v. Smith, 100 Tenn. 127; 42 S.W. 879 (Tenn. C.S., 1897).
décision qu'a rendue le juge en chef Iacobucci dans American Airlines, Inc. c. Canada (Tribunal de la concurrence) (précité), aux pages 96 et 97, est éclairante. Dans cet arrêt-là, interprétant le para- graphe 9(3) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence [S.C. 1986, chap. 26], qui permettait aux personnes d'intervenir avec l'autorisation du Tribunal de la concurrence «afin de présenter des observations qui se rapportent [aux] procédures et qui concernent des questions touchant cette per- sonne», le juge en chef a dit ce qui suit:
Pour connaître la signification des mots utilisés dans cette disposition, il y a lieu non seulement d'en vérifier la définition dans le dictionnaire et d'en examiner le contexte, mais égale- ment de tenir compte de la nature des questions soulevées dans l'action, ainsi que des objectifs globaux de la loi.
Entre autres définitions du terme «representation», The Shorter Oxford English Dictionary donne la suivante que j'estime applicable au paragraphe 9(3):
[TRADUCTION] Un exposé formel et sérieux de faits, de motifs ou d'arguments visant à apporter des changements, à prévenir certaines actions, etc.... [C'est le juge en chef qui souligne.]
Le rôle du tribunal en l'espèce est de mener une enquête sur une plainte de discrimination au moyen d'une audience qui est généralement publi- que, de déterminer les faits, de tirer ses conclusions et, s'il juge la plainte justifiée, d'ordonner l'adop- tion de mesures qui mettront fin à la pratique discriminatoire et permettront de réparer le tort causé au plaignant. Son rôle n'est pas d'imposer une sanction, mais plutôt, dans le contexte d'une loi correctrice, d'éduquer dans un sens très large, d'inciter la partie fautive à modifier sa conduite, sinon son attitude, et d'offrir une réparation lors- que la plainte est fondée°.
Dans ce contexte, la Loi prévoit que les parties qui sont désignées par la loi ou que le tribunal reconnaît comme étant des parties intéressées doi- vent avoir «la possibilité pleine et entière de com- paraître et de présenter, en personne ou par l'inter- médiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations». À mon avis, la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observa tions sous-entend la nécessité de connaître les élé- ments de preuve et les observations des autres pour y répondre de façon pertinente dans le contexte de l'enquête menée par le tribunal. Cela signifie que
Voir les commentaires du juge La Forest dans Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, aux p. 94 et 95.
les parties à une plainte devraient pouvoir assister à l'audience et entendre la preuve présentée et ne devraient pas être exclues sans leur consentement en vertu d'une ordonnance d'exclusion générale des témoins, qu'elles se représentent elles-mêmes ou qu'elles soient représentées par un avocat, et que l'efficacité de celui-ci ne devrait pas être restreinte par l'exclusion comme témoin possible d'une partie qui seule peut donner des directives à l'avocat. Je suis d'avis que, si la personne contre laquelle une plainte est formulée conformément à la Loi est un particulier, cette personne ne peut être exclue de l'audience pour le motif qu'elle est un témoin possible. À mon sens, l'exclusion de cette personne serait contraire au paragraphe 50(1) de la Loi ainsi qu'à l'obligation d'équité à laquelle le tribu nal doit se conformer pendant son enquête.
On soutient pourtant que le CRTC, qui n'est pas une personne naturelle, peut demander que la per- sonne qu'il a choisie pour le représenter et donner des directives à l'avocat soit exclue lorsque ce représentant est un témoin possible. Je ne suis pas convaincu que c'est le cas par l'argument selon lequel le CRTC aurait pu choisir d'autres person- nes pour le représenter ou qu'il pourrait mainte- nant choisir quelqu'un d'autre pour remplacer M. Horan. Cette décision concerne certainement le CRTC et non le tribunal ou notre Cour.
Lorsqu'une partie est une société ou un orga- nisme créé par un texte législatif, elle ne peut être représentée à l'audience et donner des directives à son avocat que par l'entremise d'une personne naturelle qui, à toutes fins utiles, est présumée représenter la société ou l'organisme à l'enquête. Si cet organisme n'est pas libre de choisir son représentant comme bon lui semble, la personne qui se trouve à l'audience et dont la présence a pour but principal de donner des directives à l'avo- cat n'aura peut-être pas toute la confiance de ceux qui sont responsables de l'organisme ou de l'entre- prise en question. Cette liberté est sûrement la condition sur laquelle l'organisme se fonde pour choisir son représentant et l'élément-clé qui lui permet de considérer le représentant nommé comme étant la personne devant s'acquitter de la responsabilité que lui a confiée la société ou, en l'espèce, le CRTC, soit celle de donner des directi ves à l'avocat pour son compte. À mon avis, selon le paragraphe 50(1) de la Loi, un organisme créé
par une loi, en l'espèce, le CRTC, a le droit d'être représenté et de donner des directives à l'avocat au cours de l'audience du tribunal par l'entremise de la personne qu'il a désignée et la possibilité qu'il a de participer à l'audience selon le paragraphe 50(1) ne peut être restreinte par l'exclusion de ce représentant désigné, même si cette personne est un témoin possible.
Pour en arriver à cette conclusion, je me fonde un peu sur les aspects pratiques de la question libellée en l'espèce. Il me semble que, dans bien des cas les tribunaux doivent statuer sur des plaintes ou des griefs découlant d'un lien d'emploi, l'administrateur principal du personnel d'une entreprise ou d'un organisme sera peut-être la personne toute désignée pour représenter cette entreprise ou cet organisme et donner des directi ves à l'avocat en son nom et, par la même occasion, il pourra être appelé à témoigner, si la plainte ou le grief concerne ses responsabilités générales de tous les jours. Cette dernière circonstance ne devrait pas entraver le pouvoir de l'entreprise ou de l'orga- nisme de choisir son représentant pour les audien ces d'un tribunal faites selon la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans la présente cause, compte tenu des observations de l'avocat de M. Deegan, j'ai cru comprendre que la procédure d'enquête et de conciliation prévue par la Loi était terminée avant la nomination du tribunal. La Commission a remis au CRTC un rapport complet de l'enquête et le CRTC a donné une réponse complète à ce rapport. Je présume que la tâche de répondre à ce rapport au sein du CRTC incombait surtout à M. Horan, comme directeur général du personnel, et que celui-ci connaît déjà les aspects généraux et précis de la plainte ayant fait l'objet de l'enquête et peut-être même ceux qui pourront être présentés au tribunal. Il serait fort étonnant que la majeure partie de la preuve devant être présentée soit nouvelle pour lui. Le fait de l'empê- cher d'entendre les autres en ordonnant qu'il soit exclu avant d'être appelé à témoigner, le cas échéant, ne garantirait pas à ce stade-ci, de la même façon qu'il le ferait pour les autres témoins, que son témoignage ne sera pas influencé par la preuve présentée devant le tribunal, ce qui est le but de l'exclusion des témoins possibles.
Un point mérite d'être souligné. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, la personne que
l'organisme, le CRTC, désigne pour donner des directives à l'avocat est également un témoin possi ble et qu'elle est exemptée de l'application d'une ordonnance générale d'exclusion des témoins, sa présence au cours du témoignage des autres per- sonnes entraîne nécessairement une évaluation soi- gneuse par le tribunal du poids à accorder au témoignage du représentant, lorsqu'il est appelé à témoigner. L'organisme, le CRTC, aura peut-être intérêt à se rappeler, lorsque vient le temps de choisir un représentant qui donnera des directives à l'avocat, que, si son représentant est un témoin possible, il se peut que le tribunal n'accorde aucune importance au témoignage que cette per- sonne donnera, à moins que le représentant n'ac- cepte d'être exclu avec les autres témoins possibles selon une ordonnance d'exclusion générale.
Compte tenu de l'interprétation du paragraphe 50(1) de la Loi, j'en viens à la conclusion que le pouvoir discrétionnaire du tribunal d'exclure des témoins de l'audience qu'il préside avant que ces personnes ne soient appelées à témoigner ne s'ap- plique pas à la personne que le CRTC a désignée pour le représenter et pour donner des directives à l'avocat au cours de l'audience, en l'occurrence, M. Horan.
Exclusion de M. Rodger
Le requérant Rodger n'est pas partie à l'enquête devant le tribunal. L'avocat a indiqué qu'on pourra présenter au tribunal une demande en vue de permettre à Rodger de rester comme partie inté- ressée au sens du paragraphe 50(1). On soutient que, même s'il n'est pas un intimé désigné, Rodger est la personne visée par la plainte et la personne qui sera touchée par toute conclusion défavorable. On allègue que son caractère et sa réputation sont en litige et que [TRADUCTION] «son perfectionne- ment dans la fonction publique serait touché par les conclusions du tribunal». On ajoute qu'une personne identifiée par son nom dans une plainte sur les droits de la personne est «une partie intéres- sée» au sens de l'article 50 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Ce dernier argument et la décision concernant une demande de statut relèvent entièrement du pouvoir discrétionnaire du tribunal conformément au paragraphe 50(1), sous réserve de la restriction selon laquelle une personne pouvant être directe-
ment touchée par une ordonnance possible devrait être considérée comme une partie intéressée, si la plainte est bien fondée. Dans ce cas, comme toute autre partie intéressée au sens de ce paragraphe, une personne ayant ce statut devrait avoir la possi- bilité de comparaître et de présenter des éléments de preuve et des observations au tribunal. Ces circonstances ne s'appliquent pas à M. Rodger. Il ne sera pas directement touché si la plainte est jugée bien fondée et qu'une réparation est ordon- née. Cette ordonnance touchera uniquement le CRTC, l'intimé désigné dans la plainte, qui est l'organisme responsable de la conduite de l'ensem- ble de ses employés en ce qui a trait aux relations de travail, soit le domaine général visé par la présente plainte.
On soutient que le caractère et la réputation de Rodger sont en jeu et que son perfectionnement dans la fonction publique pourrait être entravé par les conclusions du tribunal. Aucune ordonnance du tribunal ne peut nuire directement à Rodger ou à son perfectionnement dans la fonction publique; ce perfectionnement dépend des autres démarches d'évaluation dans le cadre desquelles il est possible de contester des décisions, d'interjeter appel de celles-ci, de déposer un grief à leur égard ou d'inscrire une dissidence. Comme aucune ordon- nance ne sera rendue directement contre Rodger, qu'aucune sanction ne lui sera imposée et qu'au- cune mesure réparatrice ne sera prise contre lui sur ordonnance du tribunal, je ne suis pas convaincu que les autres motifs invoqués en son nom justi- fient que l'on restreigne le pouvoir discrétionnaire du tribunal de l'exclure comme témoin avant qu'il ne donne son témoignage.
On allègue que les règles de la justice naturelle exigent ici qu'on lui permette d'entendre les accu sations portées contre lui et d'y répondre, si c'est nécessaire et approprié, et d'aviser son avocat au sujet du contre-interrogatoire possible du plai- gnant et des témoins de celui-ci. Je présume qu'il aura la possibilité d'être représenté par un avocat uniquement s'il obtient le statut de partie intéres- sée. Si tel n'est pas le cas, son statut demeurera simplement celui de témoin possible. Même si je peux comprendre qu'une personne se préoccupe des plaintes adressées à son endroit dans un cas de discrimination, ces plaintes mènent plutôt à une réparation qu'à une punition, si elles sont bien
fondées et, en l'espèce, cette réparation serait requise du CRTC. Le statut de Rodger comme témoin possible devant le tribunal ne lui permet pas plus à lui qu'à d'autres de répondre aux accu sations ou aux reproches. Son exclusion de la salle d'audience jusqu'à ce qu'il soit appelé à témoigner ne viole pas les principes de la justice naturelle ou l'obligation d'équité à laquelle le tribunal doit se conformer envers lui. Pour des raisons à peu près identiques, je ne suis pas convaincu que l'impossi- bilité pour Rodger d'entendre la preuve concernant les allégations formulées contre lui avant qu'il ne soit appelé à témoigner le prive, comme l'avocat l'a dit, de son droit à une audience impartiale confor- mément aux principes de justice fondamentale, contrairement à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits 5 .
On soutient également que l'enquête et les con clusions du tribunal peuvent avoir pour effet de violer les droits de M. Rodger qui sont reconnus à l'article 7 de la Charte 6 , lesquels droits compren- draient celui de ne pas être soumis à un choc émotif à la suite de la perte de l'estime de soi ou de la dignité ou d'une stigmatisation. Je ne suis pas convaincu que l'article 7 de la Charte s'applique au présent litige. L'avocat invoque les arrêts Kodellas v. Sask. Human Rights Comm., [1989] 5 W.W.R. 1 (C.A. Sask.), aux pages 40 et 41, et R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, à la page 173. Dans l'arrêt Kodellas, le juge Vancise, J.A., fait allusion à l'article 7 de la Charte et à l'opinion que le juge Lamer, maintenant juge en chef, a formulée dans R. c. Rahey, [1987] 1
Cette disposition de la Déclaration canadienne des droits se
lit comme suit: -
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'inter- préter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restrein- dre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particu- lier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
6 Cette disposition de la Charte se lit comme suit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
R.C.S. 588, la page 605, pour en venir à la
conclusion que l'anxiété et la perte de la dignité et de l'estime de soi pourraient constituer une priva tion de la sécurité de la personne qui est envisagée à l'article 7 de la Charte. Cependant, il s'agissait d'un cas découlant du The Saskatchewan Human Rights Code [S.S. 1979, chap. S-24.1], l'intimé était un particulier désigné et la question en litige était celle de savoir si le retard à déposer une plainte devant un tribunal avait pour effet de vicier les droits prévus à l'article 7 de la Charte. Dans la présente cause, aucune plainte n'est for- mulée contre M. Rodger, dans la mesure celui-ci n'est pas l'intimé dans la plainte et il n'est pas assujetti à une ordonnance que le tribunal pourra rendre. Dans R. c. Morgentaler, Madame le juge Wilson dit que l'article 7 de la Charte couvre tant l'intégrité physique que l'intégrité psy- chologique de la personne. Bien que l'enquête du tribunal puisse être difficile à supporter pour lui, M. Rodger ne pourra être puni ou faire l'objet d'une ordonnance de réparation à la fin de l'en- quête. Le traumatisme personnel qu'il peut subir à la suite de l'enquête est tout simplement un des risques de la vie et ne constitue pas une privation de la sécurité de la personne qui est garantie à l'article 7 de la Charte.
Conclusion
Pour ces motifs, j'accueille la demande en partie, de façon à annuler l'ordonnance du tribu nal, dans la mesure elle s'applique au représen- tant désigné du CRTC, M. Horan, par laquelle il a été exclu de l'audience avant d'être appelé à témoi- gner, le cas échéant, et je rends une ordonnance enjoignant au tribunal de permettre au représen- tant du CRTC, s'il s'agit encore de M. Horan, d'être présent tout au long de l'audience de l'en- quête. La demande est rejetée en ce qui a trait à la décision du tribunal concernant M. Rodger. Aucune ordonnance de prohibition ne semble appropriée, puisque le tribunal a ajourné l'enquête jusqu'à la présente décision. Il ne semble pas approprié non plus de rendre des ordonnances enjoignant au tribunal de mener son enquête con- formément à la Loi, aux règles de justice naturelle et aux principes de justice fondamentale garantis par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.
Une ordonnance sera rendue en conséquence.
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