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T-2661-86
Byron Lance Olmstead (demandeur) c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: OLMSTEAD C. CANADA (1" INST.)
Section de première instance, juge Collier— Vancouver, 11 janvier 1988; Ottawa, 3 avril 1990.
Forces armées Âge obligatoire de la retraite prévu dans les Ordonnances et règlements royaux Requête en radiation d'une déclaration demandant que ces dispositions soient décla- rées inopérantes La Loi sur la défense nationale accorde aux membres lésés le droit de demander réparation auprès des autorités supérieures La déclaration révèle une cause rai- sonnable d'action Le principe de common law voulant que la Couronne n'ait aucune obligation contractuelle envers les membres des Forces armées n'atténue pas la suprématie de la Charte Celui qui adhère à une profession n'accepte pas implicitement d'être assujetti à toutes les règles que l'organe directeur adopte.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Un officier des Forces armées demande à la Cour de déclarer que les Ordonnances et règlements royaux fixant l'âge obligatoire de la retraite contreviennent à l'art. 15 de la Charte Cause raisonnable d'action La Constitution est la loi suprême du Canada Toutes les dispositions législatives peuvent être soumises aux tribunaux pour vérifier si les dispo sitions de la Charte sont respectées.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Le pouvoir de la Cour de prononcer un jugement déclaratoire n'est pas écarté par l'existence d'un recours spéci- fique (mécanisme de plainte) dans la Loi sur la défense nationale La question constitutionnelle ne relève pas de la compétence des autorités décisionnelles à qui le militaire doit adresser sa plainte en temps normal pour obtenir réparation Seule la Cour peut prononcer un jugement déclaratoire sur la constitutionnalité des dispositions.
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires Même si l'art. 29 de la Loi sur la défense nationale accorde aux militaires lésés un recours spécifique, soit le droit de demander réparation auprès des autorités supérieures, un membre des Forces armées demande que soit prononcé un jugement déclarant inopérantes les dispositions des Ordonnances et règlements royaux La compétence de la Cour n'est pas écartée par l'existence d'un recours administra- tif.
Il s'agit d'une requête en radiation d'une déclaration au motif que celle-ci ne révèle aucune cause raisonnable d'action et qu'elle constitue un emploi abusif des procédures. Le deman- deur est un major des Forces armées qui demande à cette Cour de déclarer que les dispositions des Ordonnances et règlements royaux fixant l'âge obligatoire de la retraite sont inopérantes parce qu'elles contreviennent à l'article 15 de la Charte (qui interdit la discrimination fondée sur l'âge) et que, dûment interprétées, elles n'obligent pas le demandeur à prendre sa
retraite à l'âge de 47 ans. Selon l'article 29 de la Loi sur la défense nationale, l'officier qui s'estime lésé peut demander réparation auprès des autorités supérieures. Les questions en litige sont les suivantes: le demandeur peut-il demander répara- tion à la Cour fédérale lorsque la Loi sur la défense nationale prévoit un recours spécifique; le mécanisme de plainte consti- tue-t-il un autre recours approprié; les tribunaux peuvent-ils s'ingérer dans les relations entre la Couronne et les militaires; l'article 15 de la Charte s'applique-t-il lorsqu'une personne s'enrôle volontairement dans l'armée, en sachant que la Cou- ronne n'a alors aucune obligation contractuelle envers elle.
Jugement: la requête doit être rejetée.
Il n'y a pas de règle absolue obligeant une personne à épuiser les recours administratifs ou le droit d'appel prévu dans une loi, à moins qu'il ne soit clairement stipulé que ces recours ou ce droit d'appel sont les seuls moyens de faire réviser la décision de l'instance inférieure. En common law, on reconnaît la valeur du jugement déclaratoire et la nécessité de permettre aux citoyens lésés d'intenter une action en ce sens. Même si le jugement déclaratoire est un redressement discrétionnaire, le pouvoir du tribunal d'entendre une telle action n'est pas écarté par l'existence d'autres recours administratifs que la partie lésée a omis d'exercer.
La déclaration révèle une cause raisonnable d'action. L'arti- cle 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 précise que la Constitution est la loi suprême du pays. Toutes les dispositions législatives sont assujetties aux dispositions de la Loi constitu- tionnelle de 1982 et de la Charte canadienne des droits et libertés. Toutes les dispositions législatives, y compris celles de la Loi sur la défense nationale et des Ordonnances et règle- ments royaux, peuvent être soumises aux tribunaux pour véri- fier si les dispositions de la Charte sont respectées.
On ne peut soustraire la question de la constitutionnalité d'une loi au contrôle judiciaire en niant aux personnes visées par cette loi le droit de la contester. Le principe de common law voulant que la Couronne n'ait aucune obligation contractuelle envers les membres des Forces armées n'atténue pas la supré- matie de la Charte. Celui qui adhère volontairement à une profession n'accepte pas implicitement d'être assujetti sans mot dire à la totalité des règles que l'organe directeur pourrait décider d'adopter. Quiconque choisit volontairement une pro fession ne renonce pas automatiquement aux droits que lui confère la Charte. Au Canada, tous ont le droit de bénéficier des dispositions de l'article 15 relatives à l'égalité. Cet article peut s'appliquer aux faits de l'espèce. La question de savoir si les dispositions contestées des Ordonnances et règlements royaux peuvent être justifiées par l'article premier doit être tranchée par les tribunaux.
Seule cette Cour peut prononcer un jugement déclaratoire sur la constitutionnalité des dispositions législatives. Cette ques tion d'ordre constitutionnel ne relève pas de la compétence des autorités décisionnelles à qui le demandeur doit adresser sa plainte en temps normal pour obtenir réparation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), Appendice II, 44], art. 15.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice Ill.
Loi canadienne des droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44], art. 52.
Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, chap. N-4, art. 29 (mod. par S.C. 1985, chap. 26, art. 48.1).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Pringle et autres c. Fraser, [1972] R.C.S. 821; (1972), 26 D.L.R. (3d) 28; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S.; (1979), 30 N.R. 380; Pyx Granite Co. Ltd. v. Ministry of Housing and Local Government, [1958] 1 Q.B. 554 (C.A.); Dickson v. Pharmaceutical Society of Great Bri- tain, [1970] A.C. 403 (H.L.); McIntire v. University of Man., [1980] 6 W.W.R. 440 (B.R. Man.); conf. par [1981] 1 W.W.R. 696 (C.A. Man.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Sylvestre c. R., [1986] 3 C.F. 51; (1986), 30 D.L.R.(4th) 639; 72 N.R. 245 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Evans c. Canada, T-1414-86, juge Dubé, jugement en date du 13-4-87, non publié; Phillips c. La Reine, [1977] 1 C.F. 756 (1 e inst.); Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; [1979] 3 W.W.R. 676; (1979), 26 N.R. 364; Gallant c. La Reine du chef du Canada (1978), 91 D.L.R. (3d) 695 (C.F. F' inst.); Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur géné- ral), [1987] 2 C.F. 359; (1986), 34 D.L.R. (4th) 584; 11 C.I.P.R. 181; 12 C.P.R. (3d) 385; 27 C.R.R. 286; 78 N.R. 30 (C.A.).
AVOCATS:
Moe Sihota pour le demandeur.
Paul F. Partridge pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Moe Sihota, Victoria, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE COLLIER: Il s'agit d'une requête dépo- sée par la défenderesse en vertu de la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, en vue d'obtenir une ordonnance tendant à la
radiation de la déclaration du demandeur au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action et qu'elle constitue un emploi abusif des procédu- res de la Cour. Après avoir entendu l'affaire le 11 janvier 1988, j'ai rejeté la demande. Les motifs de cette décision sont exposés dans ce qui suit.
Les faits sont tirés de la déclaration. Pour les fins de la requête, ils sont tenus pour vrais.
Le demandeur est un major des Forces armées canadiennes et est actuellement affecté à la base des Forces canadiennes d'Esquimalt, en Colombie- Britannique. Il s'est enrôlé dans la réserve de la marine royale du Canada en 1958 et a commencé sa formation comme piloté des Forces canadiennes en 1967. Le demandeur est le 7 juillet 1939.
Aux termes de l'article 15.17 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces cana- diennes qui sont adoptés sous le régime de la Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, chap. N-4, modifiée, l'âge obligatoire de la retraite pour le demandeur est fixé à 47 ans.
Le 6 janvier 1984, le demandeur a exprimé l'opinion que les dispositions des Ordonnances et règlements royaux, dans la mesure elles fixaient l'âge obligatoire de la retraite à 47 ans, contreve- naient aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, et de la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III. Le 30 janvier 1984, le demandeur a reçu une note de service lui disant qu'il serait obligé de prendre sa retraite lorsqu'il atteindrait l'âge de 47 ans.
En août 1986, le demandeur a appris que ses services seraient retenus durant une période sup- plémentaire de douze mois, mais que l'employeur pourrait, durant cette période, mettre fin à son emploi moyennant un préavis de trente jours, et que son cas ne pourrait pas faire l'objet d'un examen par le conseil de promotion au mérite aux fins de promotion.
Dans sa déclaration, le demandeur demande à la Cour de déclarer que l'article 15.17 des Ordonnan- ces et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes contrevient à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]], et est, de ce fait, inopérant, et que, dûment inter- prétés, les Ordonnances et règlements royaux n'obligent pas le demandeur à prendre sa retraite à l'âge de 47 ans. Il demande aussi que lui soient accordés des dommages-intérêts généraux, exem- plaires et spéciaux.
Par souci de clarté, je cite ci-après le paragraphe 15(1) de la Charte:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
Dans sa requête, la défenderesse prétend que la déclaration du demandeur doit être radiée pour les motifs suivants: cette Cour n'est pas compétente pour entendre l'action; la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action; elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour parce la Loi sur la défense nationale prévoit le recours que peut exercer le demandeur; cette Cour doit refuser d'accorder la réparation demandée à cause du principe voulant que les tribunaux.. s'abstiennent de s'ingérer dans les relations entre la Couronne et les militaires et à cause de l'existence du recours prévu dans la Loi; et le paragraphe 15 (1) de la Charte, sur lequel s'appuie le demandeur, ne s'ap- plique pas à l'acceptation volontaire et unilatérale des droits et obligations du demandeur conformé- ment aux Ordonnances et règlements royaux.
1 .4 De l'avis de la défenderesse, l'article 29 de la 'Loi sur la défense nationale [mod. par S.C. 1985, chap. 26, art. 48.1] donne au demandeur le droit de demander réparation:
29. Sauf à l'égard d'une question pouvant régulièrement faire l'objet d'un appel ou d'une pétition selon la Partie IX, ou d'une demande ou d'un appel selon la Partie IX.I, un officier ou un membre sans brevet d'officier qui estime avoir été victime d'une oppression personnelle, d'une injustice ou d'un autre mauvais traitement ou qui croit avoir quelque autre motif de grief peut, de droit, rechercher un redressement auprès des autorités supérieures que prévoient les règlements édictés par le gouverneur en conseil, de la manière et aux conditions y prescrites.
Le demandeur peut demander réparation con- formément à la procédure énoncée aux articles 19.26 et 19.27 des Ordonnances et règlements royaux. Ces règlements exposent la marche à
suivre pour soumettre une demande de réparation. La loi et les règlements accordent à tout officier qui - estime avoir été lésé le droit de demander réparation. Lorsqu'un officier exerce ce droit, sa plainte est soumise aux autorités compétentes qui peuvent décider d'accorder la réparation deman- dée.
La défenderesse prétend que lorsqu'une loi pré- voit un recours particulier, c'est ce recours qui doit être exercé. Elle fonde cet argument sur la décision rendue par cette Cour dans l'affaire Evans c. Canada, (non publiée, C.F. inst., T-1414-86, 13 avril 1987), dans laquelle le juge Dubé a radié la déclaration du demandeur, qui était un fonction- naire et qui prétendait avoir été victime de suspen sions et de rétrogradations abusives, d'abus de pouvoir et de délits commis par son employeur. Le juge Dubé a dit, à la page 3:
La jurisprudence a clairement établi que, en common law, les fonctionnaires occupent leur emploi à titre amovible, et que leurs droits de recours actuels sont ceux que prévoit la loi. Lorsqu'une loi prévoit un recours particulier, c'est ce recours qui doit être exercé. Les lois régissant l'emploi du demandeur sont la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et la Loi sur l'administration financière. Le demandeur pouvait formuler un grief pour ce qui est de ses réclamations alléguées contre le Commissaire adjoint régional en vertu de sa convention collec tive. Il ne l'a pas fait.
Dans l'affaire Phillips c. La Reine, [1977] 1 C.F. 756 (P» inst.), cette Cour a ordonné la radia tion d'une déclaration déposée par une fonction- naire qui prétendait qu'on avait mis fin, à tort, à son emploi pour incompétence. Après avoir cité l'article de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, énonçant la procédure d'appel applicable, le juge Dubé a déclaré, à la page 758:
Lorsqu'une loi prévoit un recours particulier, la seule voie de recours ouverte est, en règle générale, celle que la loi prévoit. Comme le déclarait le maître des rôles, lord Esher, dans l'affaire R. c. County Court Judge of Essex and Clarke ((1887) 18 Q.B.D. 704 la p. 707) [TRADUCTION] «La règle d'interprétation habituelle suivante s'applique à cette affaire: lorsque la législature a promulgué une nouvelle loi accordant un nouveau recours, seul ce recours peut être utilisé.»
La Loi sur l'emploi dans la Fonction publique prévoit un recours pour les fonctionnaires lésés, à savoir le droit d'appel. S'il n'est interjeté aucun appel d'une recommandation du sous- chef, le paragraphe 31(4) prévoit que la Commission peut prendre la mesure qu'elle estime opportune, y compris le congé- diement de l'employé conformément au paragraphe 31(5).
La défenderesse soutient que cette Cour doit de toute façon refuser d'accorder le redressement demandé par le demandeur parce qu'il existe un autre recours approprié pour . porter plainte et demander réparation. Lorsqu'ils sont appelés à décider s'il existe un autre recours approprié, les tribunaux sont tenus de considérer un certain nombre de facteurs pertinents. De l'avis de la défenderesse, ce principe ressort clairement de la décision majoritaire rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561. Dans cette affaire, l'appelant prétendait avoir été victime d'un déni de justice naturelle de la part d'un comité de juridic- tion inférieure créé par la loi applicable et récla- mait la tenue d'une nouvelle audience, en appel, devant un comité de juridiction supérieure du sénat de l'université. Mais au lieu de soumettre sa plainte à ce comité d'appel, l'appelant a soumis une demande de mandamus et de certiorari à la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan, qui a décerné les brefs. La Cour d'appel a infirmé cette décision. Dans l'arrêt confirmant la décision de la Cour d'appel, la Cour suprême du Canada a énoncé les facteurs dont il faut tenir compte pour décider s'il existe un autre recours approprié. Le juge Beetz a dit, à la page 588:
Pour évaluer si le droit d'appel de l'appelant au comité du sénat constituait un autre recours approprié et même un meil- leur recours que de s'adresser aux cours par voie de brefs de prérogative, il aurait fallu tenir compte de plusieurs facteurs dont la procédure d'appel, la composition du comité du sénat, ses pouvoirs et la façon dont ils seraient probablement exercés par un organisme qui ne constitue pas une véritable cour d'appel et qui n'est pas tenu d'agir comme s'il en était une, ni n'est susceptible de le faire. D'autres facteurs comprennent le fardeau d'une conclusion antérieure, la célérité et les frais.
Le mécanisme de plainte et de réparation prévu à l'article 29 de la Loi sur la défense nationale et à l'article 19.26 des Ordonnances et règlements royaux prévoit:
1. qu'un officier peut adresser une plainte verbale- ment à son supérieur et, s'il n'est pas satisfait, soumettre sa plainte par écrit aux autorités compétentes;
2. que quiconque reçoit une plainte doit ordonner la tenue d'une enquête;
3. qu'il est possible d'exiger que la plainte soit soumise au gouverneur en conseil;
4. que les autorités compétentes ont le pouvoir et l'obligation d'accorder le redressement demandé par le plaignant si elles sont convaincues du bien- fondé de la plainte;
5. que les étapes du mécanisme de plainte sont indépendantes les unes des autres et que nul n'est lié par la décision prise par l'instance inférieure.
Compte tenu des facteurs énoncés par le juge Beetz dans l'arrêt Harelkin, la défenderesse pré- tend que les dispositions susmentionnées accordent clairement au demandeur un autre recours appro- prié, ce qui devrait être suffisant pour refuser de lui accorder le redressement demandé.
De plus, la défenderesse s'appuie sur le principe de common law voulant que les tribunaux ne s'ingèrent pas dans les relations entre la Couronne et les militaires. Elle cite à ce propos la décision rendue dans l'affaire Gallant c. La Reine du chef du Canada (1978), 91 D.L.R. (3d) 695 (C.F. 1r° inst.), dans laquelle le juge Marceau déclare, aux pages 696 et 697:
Les tribunaux, en effet, tant anglais que canadiens, ont toujours considéré et répété chaque fois que l'occasion leur était donnée que la Couronne n'était nullement engagée contractuel- lement avec les membres de ses Forces armées, que celui qui s'enrôle prend un engagement unilatéral en contrepartie duquel la Reine n'assume aucune obligation, et que les rapports entre celle-ci et ses militaires, en tant que tels, ne sauraient donner lieu à quelque recours devant les tribunaux civils. Ce principe de non-ingérence des tribunaux de droit commun dans les relations entre la Couronne et ses militaires, dont l'existence fut affirmée en Angleterre, de façon aussi définitive que non équivoque dans cet arrêt souvent cité de Mitchell v. The Queen [1896] 1 Q.B. 121, fut repris par nos tribunaux et répété dans les circonstances les plus diverses.
Après avoir conclu que les dispositions la Loi sur la défense nationale n'avaient pas modifié ce principe, le juge, qui a accueilli la requête en radiation conformément à la Règle 419, a dit, à la page
Bref, parce que l'engagement du demandeur au sein des Forces armépir-n'a pu créer pour la Couronne d'obligation contractuelle-quelconque; parce que le licenciement du deman- deur, eut-il été injustifié, ne saurait de toute façon être vu comme ayant enfreint ses droits; parce que seules les instances d'appel auxquelles le demandeur a déjà eu recours pouvaient porter remède aux griefs qu'il fait valoir relativement à la façon dont la décision de son commandant a été prise, cette Cour n'a pas compétence pour entendre l'action telle qu'intentée, basée
qu'elle est sur des faits qui ne sauraient donner ouverture aux remèdes réclamés.
La défenderesse soutient que cette Cour devrait refuser d'accorder le redressement demandé par le demandeur dans sa déclaration étant donné la politique de non-ingérence des tribunaux dans les relations entre la Couronne et les militaires, de même que l'intention du législateur de privilégier le règlement des plaintes et l'obtention d'un redres- sement au sein même des Forces canadiennes.
En dernier lieu, la défenderesse prétend qu'on ne peut invoquer l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés dans les circonstances de l'espèce. Cet argument est fondé sur le caractère volontaire et unilatéral de la relation, dans le cadre de laquelle un membre des Forces armées accepte les droits et les obligations rattachés au service militaire. L'enrôlement d'un particulier comme membre des Forces armées ne crée aucune obliga tion contractuelle ou autre pour la Couronne. Il s'agit d'une relation très différente de la relation contractuelle qui existe entre un maître et son préposé, lesquels conservent tous deux leur liberté d'action. En ce qui a trait à la Couronne et aux militaires, la seule obligation qui existe, à savoir celle de servir, incombe à ces derniers. Dans ces circonstances, l'article 15 de la Charte ne s'appli- que tout simplement pas. La défenderesse cite la décision rendue par la Cour fédérale dans l'arrêt Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur général), [1987] 2 C.F. 359, à la page 365:
Étant donné que ma position à l'égard de l'article 15 est substantiellement différente de celle adoptée par le juge de première instance, j'estime important de l'exposer de manière détaillée même si le résultat est en fin de compte le même. Il faut tout d'abord dire dans le contexte particulier de la présente action, qu'une brève réponse à la contestation des demandeurs basée sur l'article 15 porte que lorsque la «discrimination» alléguée résulte directement d'un ensemble de droits et d'obli- gations assumés volontairement, l'article 15 ne s'applique tout simplement pas. Un certain nombre d'exemples simples servent à illustrer ce point. Dans le cas de certains postes, métiers ou professions il est, comme condition de leur exercice, interdit d'exercer certaines autres activités qui sont permises d'une manière générale au citoyen. L'article 36 de la Loi sur les juges [S.R.C. 1970, chap. J-1] en est un exemple. L'article 15 ne peut certainement pas être invoqué en l'espèce car nul n'est jamais obligé de se soumettre lui-même à la restriction qui est imposée.
Il est vrai, comme la défenderesse le fait remar- quer, que les tribunaux peuvent, dans l'exercice de
leur pouvoir discrétionnaire, refuser d'entendre une demande de contrôle judiciaire pour le motif que la révision administrative ou l'appel sont des moyens tout aussi efficaces que le contrôle judi- ciaire de régler la plainte. Toutefois, il ressort clairement de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pringle et autre c. Fraser, [1972] R.C.S. 821, qu'il n'y a pas de règle absolue obligeant une personne à épuiser les recours administratifs ou le droit d'appel prévu dans une loi, à moins qu'il ne soit clairement stipulé que ces recours ou ce droit d'appel sont les seuls moyens de faire réviser la décision de l'ins- tance inférieure.
En droit administratif, l'utilité des jugements déclaratoires pour éclaircir ce qui est incertain et ambigu est incontestable. Il peut arriver qu'un organisme public ne soit pas sûr de l'étendue des pouvoirs qu'il désire exercer, ou que ces pouvoirs soient contestés par quelqu'un d'autre. Dans un tel cas, on peut résoudre le dilemme auquel se heurte l'organisme public, qui doit soit prendre des mesu- res au risque d'outrepasser ses pouvoirs, soit s'abs- tenir d'agir et courir le risque de ne pas s'acquitter de ses responsabilités, en demandant l'avis d'un tribunal dans le cadre d'une action en jugement déclaratoire. Ce moyen est tout aussi avantageux pour le particulier dont les intérêts pourraient être menacés et qui est alors en mesure d'obtenir à l'avance un jugement déclarant l'état du droit sur la question.
En common law, on reconnaît indiscutablement la valeur du jugement déclaratoire et la nécessité de permettre aux citoyens lésés d'intenter une action en ce sens. Dans l'arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, la Cour suprême du Canada s'est prononcée sur la question des juge- ments déclaratoires. Dans cette affaire, un détenu demandait à la cour de déclarer que le courrier qui lui était destiné devait lui parvenir sans avoir été ouvert. Au nom de la Cour, le juge Dickson [tel était alors son titre] a dit, à la page 830:
Le jugement déclaratoire, est un recours qui n'est pas res- treint par la forme ni limité par le fond et qui appartient à des personnes ayant un lien juridique dont découle une «véritable question» à trancher concernant leurs intérêts respectifs.
Dans cet arrêt, la Cour suprême a cité avec approbation la décision rendue par lord Denning dans l'affaire Pyx Granite Co. Ltd. v. Ministry of
Housing and Local Government, [1958] 1 Q.B. 554 (C.A.), à la page 571:
[TRADUCTION] ... s'il existe une question de fond que quel- qu'un a un intérêt réel à soulever, et quelqu'un d'autre à s'y opposer, alors le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de la résoudre par voie de jugement déclaratoire, ce qu'il fera si c'est justifié.
Dans l'affaire Dickson v. Pharmaceutical Society of Great Britain, [1970] A.C. 403, que la Cour suprême a également citée dans l'arrêt Solosky, la Chambre des lords a dit, à la page 433:
[TRADUCTION] Une personne dont la liberté d'action est con- testée peut toujours s'adresser au tribunal afin de faire éclaircir ses droits et sa situation, toujours sous réserve, bien entendu, du droit du tribunal dans l'exercice de sa discrétion judiciaire, de refuser le redressement demandé dans les circonstances de l'affaire.
Bien que le jugement déclaratoire soit un redres- sement discrétionnaire, le pouvoir du tribunal d'en- tendre une telle action ne cesse pas d'exister parce qu'il y a d'autres recours administratifs que la partie lésée a omis d'exercer. Dans l'affaire Mcln- tire v. University of Man., [1980] 6 W.W.R. 440 (B.R. Man.); confirmé par [1981] 1 W.W.R. 696 (C.A. Man.), la Cour d'appel a statué qu'une plaignante tenue de prendre sa retraite à l'âge de soixante-cinq ans comme le prévoyait une conven tion collective pouvait demander aux tribunaux de déclarer que cette disposition contrevenait à la Human Rights Act [du Manitoba], S.M. 1974, chap. 65. De l'avis de la Cour, le recours de la plaignante ne se limitait pas à l'arbitrage en vertu de la convention collective, ni au mécanisme de plainte et au redressement prévus dans la Human Rights Act. La Cour a longuement examiné la question de savoir si elle avait le pouvoir de rendre un jugement déclaratoire interprétant la Human Rights Act, malgré que la plaignante ait omis de se prévaloir d'un autre recours approprié prévu dans cette Loi. Le juge Hamilton en est venu à la conclusion suivante aux pages 448 et 449:
[TRADUCTION] On peut admettre, sans même se fonder sur des, sources doctrinales ou jurisprudentielles, que ce droit général d'accès aux tribunaux ainsi que le droit de faire interpréter promptement une loi ou un contrat peuvent être abrogés par une loi à cet effet. Si le Parlement ou l'assemblée législative considèrent que des litiges opposant des citoyens devraient être réglés autrement, ils peuvent en décider ainsi. A titre d'exemple de ce genre de législation, on peut mentionner le Labour Relations Act, qui prévoit un mécanisme de règlement des différends excluant le recours aux tribunaux.
Le Human Rights Act prévoit d'autres moyens par lesquels une personne peut soumettre sa plainte mais, comme je l'ai indiqué, cette loi ne semble pas attribuer une compétence exclusive à la Commission des droits de la personne et, inverse- ment, ne semble pas exclure la compétence inhérente historique ou de common law qu'a le tribunal d'être saisi des demandes et d'entendre les plaintes des citoyens lésés. C'est néanmoins le cas, et on peut encore une fois, je pense, affirmer, sans qu'il soit nécessaire de s'appuyer sur une base juridique, que les tribu- naux sont réticents à exercer leur compétence, même lorsqu'ils la possèdent, si le citoyen peut exercer un recours préliminaire ou autre. S'il en est ainsi, c'est sans aucun doute parce qu'on veut donner au citoyen un moyen moins technique ou moins juridique, et parfois plus expéditif et moins coûteux, d'obtenir réparation sans recourir aux avocats et aux tribunaux, solution que certains considèrent plus ardue et plus coûteuse.
Par conséquent, je suis convaincu que cette Cour est compétente pour entendre l'action intentée par le demandeur dans sa déclaration. Je ne souscris pas à l'argument de la défenderesse voulant que la compétence de cette Cour soit écartée au motif qu'il existe un autre recours approprié dont le demandeur ne se serait cependant pas prévalu.
La question de savoir si cette Cour devrait exer- cer son pouvoir discrétionnaire et accorder par jugement déclaratoire le redressement demandé par le demandeur doit être tranchée par le seul juge de première instance en tenant compte du fond de l'affaire. Quoi qu'il en soit, je refuse, pour les raisons précitées, d'ordonner la radiation de la déclaration du demandeur au motif qu'il s'agirait d'un emploi abusif des procédures de cette Cour ou que celle-ci n'est pas compétente pour entendre l'action.
Je veux maintenant examiner la question de savoir si la déclaration du demandeur révèle une cause raisonnable d'action.
Le point soulevé par le demandeur dans sa déclaration est le suivant: les dispositions de la Loi sur la défense nationale et celles des Ordonnances et règlements royaux adoptés sous le régime de cette Loi, qui fixent l'âge obligatoire de la retraite à 47 ans, sont-elles constitutionnelles?
La Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]] est la loi suprême du pays. Le paragraphe 52(1) de la Loi est clair:
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Ce paragraphe a pour effet d'assujettir toutes les dispositions législatives adoptées par le Parle- ment et les assemblées législatives aux dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982, y compris à celles de la Charte canadienne des droits et liber- tés. Tout texte de loi peut être soumis aux tribu- naux et peut, à tout moment, faire l'objet d'un examen pour vérifier si les conditions et les normes prescrites par la Charte sont respectées.
Le principe de common law voulant que la Couronne n'ait aucune obligation contractuelle ou autre envers les membres des Forces armées n'at- ténue pas la suprématie de la Charte. La Loi sur la défense nationale et les Ordonnances et règle- ments royaux demeurent assujettis à la compé- tence des tribunaux pour ce qui est d'établir si leurs dispositions contreviennent à la Charte et, dans l'affirmative, s'il faut les déclarer inopéran- tes. Il serait en effet inquiétant de ne pouvoir soumettre d'aucune façon au processus judiciaire la constitutionnalité de ces textes de loi. On ne peut tout simplement pas soustraire cette question de la constitutionnalité des lois au contrôle judi- ciaire en niant aux personnes visées par ces lois le droit de les contester. Les tribunaux ont toujours défendu avec ténacité leur pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité et l'interprétation des lois.
La défenderesse a fait valoir devant cette Cour le caractère particulier de la relation qui existe entre le personnel des Forces armées et la Cou- ronne, qui suppose l'abandon du statut de civil et la renonciation à bon nombre de droits civils dont jouit une personne ordinaire. Arguant de cette particularité, elle a demandé à cette Cour de con- clure que le demandeur ne peut recourir à l'article 15 de la Charte parce qu'il a volontairement accepté cet ensemble de droits et d'obligations rattachés aux «Forces armées».
Il m'est impossible de partager cet avis car j'estime qu'une telle conclusion porterait atteinte au fondement même de la Charte et irait à l'en- contre de l'interprétation libérale que ce document commande. La défenderesse ne peut s'abriter der- rière une exception ou une règle d'immunité déri- vée de la common law pour contourner la Charte.
Je suis loin d'être convaincu que celui qui adhère volontairement à une profession accepte implicite- ment d'être assujetti sans mot dire à la totalité des règles que l'organe directeur de cette profession pourrait décider d'adopter. Quiconque choisit volontairement une profession ou un travail ne renonce pas automatiquement aux droits que lui confère la Charte. Au Canada, tous ont le droit de bénéficier des dispositions de l'article 15 relatives à l'égalité, et la défenderesse n'a pas réussi à me fournir les éléments de preuve qui me feraient conclure le contraire.
Je fais une distinction entre la présente espèce et la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Sylvestre c. R., [1986] 3 C.F. 51. Dans cette affaire, l'intimée avait été congédiée des Forces armées parce qu'elle avait admis être homosexuelle. Elle a intenté une action en dépo- sant une déclaration demandant à la Cour de prononcer une ordonnance annulant le congédie- ment et de lui accorder des dommages-intérêts. La Couronne a déposé une requête en radiation de la déclaration de l'intimée. La requête a été rejetée par la Cour fédérale, section de première instance, mais elle a été accordée par la Cour d'appel fédé- rale. Ce qui distingue la présente espèce de l'arrêt Sylvestre, c'est que dans ce dernier cas, l'intimée ne pouvait pas invoquer les dispositions de l'article 15 de la Charte, puisque celles-ci n'étaient pas en vigueur au moment elle a été injustement con- gédiée, comme elle le prétendait, des Forces armées.
Je suis d'avis que l'article 15 de la Charte peut s'appliquer aux faits en litige. Il y a certes des dispositions législatives qui ont déjà été jugées contraires à la Charte mais que l'article premier a permis de justifier. C'est peut-être le cas des dispo sitions législatives contestées dans le cas présent, mais cette question doit être tranchée par les tribunaux.
Cela m'amène à mon dernier point, qui se rap- porte ma conclusion précédente selon laquelle le demandeur peut intenter un recours devant cette Cour même s'il n'a pas épuisé les autres recours existants. Ma remarque est la suivante : le redres- sement demandé par le demandeur, qui consiste à obtenir un jugement déclaratoire sur la constitu- tionnalité des dispositions législatives contestées,
ne peut lui être accordé que par cette Cour. Selon moi, cette question d'ordre constitutionnel ne relève pas de la compétence des autorités décision- nelles à qui le demandeur doit adresser sa plainte en temps normal pour obtenir réparation. Par con- séquent, le contrôle administratif prévu dans les Ordonnances et règlements royaux n'est pas le moyen approprié de régler la question soulevée par le demandeur dans sa déclaration.
Par conséquent, je suis convaincu que la décla- ration du demandeur révèle une cause d'action suffisante. Je refuserais de radier la déclaration du demandeur pour l'un des motifs invoqués par la défenderesse.
La requête de la défenderesse est rejetée avec dépens.
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