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A-479-89
Vahe Salibian (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
et
Procureur général du Canada (mis en cause)
RÉPERTORIÉ: SALIBIAN c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (C.A.)
Cour d'appel, juges Hugessen, MacGuigan et Décary, J.C.A.—Montréal, 17 mai; Ottawa, 24 mai 1990.
Immigration Statut de réfugié Demande fondée sur l'art. 28 visant la révision d'une décision par laquelle la section du statut de réfugié a rejeté une revendication du statut de réfugié pour le motif que celle-ci n'avait pas un minimum de fondement Définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» Le requérant, qui est citoyen du Liban, a témoigné qu'il craignait d'être persécuté parce qu'il est armé- nien et chrétien La revendication a été rejetée pour le motif que le requérant n'était pas personnellement visé par la persé- cution mais était victime au même titre que tous les autres citoyens libanais La section du statut de réfugié a commis une erreur en exigeant que le requérant prouve qu'il était personnellement visé par des actes répréhensibles dirigés par- ticulièrement contre lui Il n'avait pas à prouver qu'il avait été persécuté dans le passé ou le serait à l'avenir Le requérant peut prouver que la crainte résulte d'actes répréhen- sibles commis ou susceptibles d'être commis à l'égard des membres de groupes auxquels il appartenait (chrétiens et arméniens) Une situation de guerre civile ne fait pas obstacle à la revendication pourvu que la crainte entretenue ne soit pas celle entretenue indistinctement par tous les citoyens, mais celle entretenue par le requérant lui-même, par un groupe auquel il est associé ou même par tous les citoyens en raison d'un risque de persécution fondé sur l'un des motifs énoncés dans la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» La crainte entretenue est celle d'une possi- bilité raisonnable que le requérant soit persécuté s'il retournait dans son pays d'origine.
Compétence de la Cour fédérale Section d'appel Immigration Revendication du statut de réfugié La C.A.F. a-t-elle la compétence voulue pour réviser une décision par laquelle la section du statut de réfugié a jugé que le requérant n'était pas un réfugié, et a conclu que la revendica- tion n'avait pas un minimum de fondement? L'art. 82.3 de la Loi sur l'immigration permet d'interjeter appel à la C.A.F. sauf lorsque, comme en l'espèce, il a été jugé que la revendica- tion n'avait pas un minimum de fondement Le recours au contrôle judiciaire est normalement exclu lorsqu'il est possible d'interjeter appel Les clauses privatives sont interprétées de façon stricte, tout spécialement lorsqu'il s'agit d'une question aussi importante pour un particulier Il est inacceptable que la section du statut de réfugié puisse écarter tout contrôle
judiciaire en indiquant que la revendication n'avait pas un minimum de fondement La loi préserve expressément le pouvoir de contrôle Comme la Cour a le pouvoir de réviser au stade de la première étape un jugement selon lequel il n'y avait pas un minimum de fondement, le législateur n'aurait pas eu l'intention d'exclure la révision d'une décision sembla- ble au stade de la deuxième étape.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28, 29 (mod. par L.R.C. (1985) (4' suppl.), chap. 51, art. 12).
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. 1-2, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 1), 69.1(12) (édicté, idem, art. 18), 82.1 (édicté, idem, art. 19), 82.3 (édicté, idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Rich Colour Prints Ltd. c. Sous-ministre du Revenu national, [1984] 2 C.F. 246; (1984), 60 N.R. 235 (C.A.); Re Wah Shing Television Ltd. et al. et Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et autres (1984), 14 D.L.R. (4th) 425 (C.F. 1`e inst.); Cathay International Television Inc. c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (1987), 15 C.P.R. (3d) 417; 80 N.R. 117 (C.A.F.); Mojica c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi- gration, [1977] 1 C.F. 458; (1976), 14 N.R. 162 (C.A.); Seifu c. Commission d'appel de l'immigration, A-277-82, juge Pratte, J.C.A., jugement en date du 12-1-83, C.A.F., non publié; Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680; (1989), 57 D.L.R. 153 (C.A.); Darwich c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1979] I C.F. 365; (1978), 25 N.R. 462 (C.A.); Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129 (C.A.).
DOCTRINE
Hathaway J. The Law of Refugee Status, «The Determi nation of Refugee Claims Grounded in Generalized Oppression», à paraître chez Butterworths and Co. (Canada) Ltd.
AVOCATS:
Denis Buron pour le requérant. Joanne Granger pour l'intimé.
PROCUREURS:
St-Pierre, Buron et Associés, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Cette demande qui nous est soumise en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7] soulève deux questions, l'une, de compétence de cette Cour, l'autre, le cas échéant, d'interprétation de la définition de réfugié au sens de la Convention.
Le requérant a revendiqué le statut de réfugié. La section du statut a conclu que le requérant n'était pas un réfugié et que sa revendication n'avait pas un minimum de fondement. Conformé- ment aux exigences du paragraphe 69.1(12) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), chap. I-2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 18)] («la Loi»), elle a fait état dans sa décision de cette dernière conclusion.
Le requérant n'ayant point de droit d'appel à cette Cour en raison des termes mêmes du para- graphe 82.3(2) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 19] de la Loi, il s'est appuyé sur le paragraphe 82.1(1) [édicté, idem] de la Loi pour demander à cette Cour l'autorisation de faire réviser la décision de la section du statut en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
LA COMPÉTENCE DE CETTE COUR
En accordant la requête en autorisation, mon collègue le juge Pratte de la Cour d'appel, avait ajouté la réserve suivante:
Cette ordonnance est rendue en prenant pour acquis, sans le décider, que la décision que le requérant veut attaquer peut faire l'objet d'un pourvoi en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale malgré le paragraphe 83.3(1.1) de la Loi sur l'immigration (maintenant le paragraphe 82.3(2)); cette ques tion devra être jugée par la Cour lorsqu'elle décidera la demande en vertu de l'article 28.
Dans son mémoire, la représentante du Procu- reur général du Canada a concédé que cette Cour avait compétence, concession qui, sur un point de droit et, surtout, de compétence, ne saurait toute- fois lier la Cour ni lui permettre de ne pas se pencher plus en profondeur sur la question.
Je rappelle les dispositions législatives pertinen- tes:
Loi sur l'immigration, paragraphes 69.1(12), 82.1(1), 82.3(1) et 82.3(2) [édicté, idem]:
69.1.. .
(12) Si elle conclut que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention et que la revendication de celui-ci n'a pas un minimum de fondement, la section du statut en fait état dans sa décision.
82.1 (1) L'introduction d'une instance aux termes des articles 18 ou 28 de la Loi sur la Cour fédérale ne peut, pour ce qui est des décisions ou ordonnances rendues ou mesures prises dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'application règlements ou règles ou de toute question soulevée dans ce cadre, se faire qu'avec l'autorisation d'un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale ou de la Cour d'appel fédérale, selon le cas.
82.3 (1) Les décisions rendues par la section du statut, en matière de revendications et de demandes, aux termes des articles 69.1 et 69.3 respectivement, peuvent avec l'autorisation d'un juge de la Cour d'appel fédérale être portées en appel devant celle-ci au motif que la section:
a) soit n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a de quelque autre manière outrepassé sa compétence ou refusé de l'exercer;
b) soit a rendu une décision entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;
c) soit a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.
(2) Par dérogation au paragraphe (1), la décision de la section du statut rendue, en matière de revendication, aux termes de l'article 69.1 n'est pas susceptible d'appel à la Cour d'appel fédérale s'il y est fait état, dans le cadre du paragraphe 69.1(12), du fait que la revendication du demandeur n'avait pas un minimum de fondement.
Loi sur la Cour fédérale, paragraphe 28(1) et article 29 [mod. par L.R.C. (1985) (4° suppl.), chap. 51, art. 12]:
28. (1) Malgré l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel est compétente pour les demandes de révision et d'annulation d'une décision ou ordonnance—excep- tion faite de celles de nature administrative résultant d'un processus n'ayant légalement aucun caractère judiciaire ou quasi judiciaire—rendue par un office fédéral ou à l'occasion de procédures en cours devant cet office au motif que celui-ci, selon le cas:
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a de quelque autre manière outrepassé sa compétence ou refusé de l'exercer;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose.
29. Par dérogation aux articles 18 et 28, lorsqu'une loi fédérale prévoit expressément qu'il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour suprême, la Cour canadienne de l'impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor,
d'une décision ou ordonnance d'un office fédéral rendue à tout stade des procédures, cette décision ou ordonnance ne peut, dans la mesure elle est susceptible d'un tel appel, faire l'objet de révision, de restriction, de prohibition, d'évocation, d'annulation ni d'aucune autre intervention, sauf dans la mesure et de la manière prévues dans cette loi.
C'est la première fois, à ma connaissance, que se soulève la question de la compétence de cette Cour de réviser, par le biais de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, une décision de la section du statut qui, de par les termes mêmes du paragraphe 82.3(2) de la Loi sur l'immigration, n'est pas susceptible d'appel à cette Cour. La question est d'autant plus intéressante que les motifs d'appel énoncés au paragraphe 82.3(1) de la Loi sont ceux-là mêmes, en tous points, qui sont énoncés comme motifs de révision à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale'.
Vu l'article 29 de la Loi sur la Cour fédérale et l'arrêt de cette Cour dans Rich Colour Prints Ltd. c. Sous-ministre du Revenu national, [1984] 2 C.F. 246, il est clair qu'en établissant en l'espèce un droit d'appel à cette Cour pour les même motifs que ceux énoncés à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, le législateur a écarté le recours en révision prévu par ce même article (voir égale- ment, Re Wah Shing Television Ltd. et al. et Conseil de la radiodiffusion et des télécommuni- cations canadiennes et autres (1984), 14 D.L.R. (4th) 425 (C.F. 1 P» inst.); Cathay International Television Inc. c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (1987), 15 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.); Mojica c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1977] 1 C.F. 458 (C.A.)).
La question qui se pose est de déterminer si, en retirant, sitôt accordé, ce droit d'appel dans le cas visé au paragraphe 69.1(12) de la Loi, le législa- teur a fait renaître le recours en révison pour ce cas particulier. S'il n'y avait, en l'espèce, que les paragraphes 82.3(1) et 82.3(2) de la Loi, l'on pourrait prétendre que le législateur a voulu enle-
' Note: Je constate que les textes anglais des motifs énoncés aux paragraphes 82.3(1) et 28(1) susdits sont identiques, mais que les textes français contiennent une variante, à l'alinéa c), le mot «perverse» est rendu, dans un cas, par «absurde» et dans l'autre, par «abusive». C'est là, me semble-t-il, une variante de style imputable, vraisemblablement, à un défaut de concordance lors de l'établissement des textes officiels des lois en cause.
ver tout recours d'appel ou de révision dans le cas visé au paragraphe 69.1(12): en utilisant, pour l'appel, les mêmes motifs que ceux qu'il utilisait pour la révision, faisant ainsi disparaître par le jeu de l'article 29 de la Loi sur la Cour fédérale toute possibilité de révision, le législateur pourrait en effet avoir placé sur le même pied, pour les fins des paragraphes 82.3(1) et 82.3(2) de la Loi, «appel» et «révision» et avoir écarté successivement, pour les cas visés au paragraphe 69.1(12) de la Loi, la révision d'abord, l'appel ensuite.
Toutefois, lorsqu'il s'agit d'écarter la compé- tence générale de révision de cette Cour à l'égard de certaines décisions de l'administration et, sur- tout, lorsqu'il s'agit, comme ce serait le cas en l'espèce si cette Cour n'avait pas compétence, de soustraire à toute possibilité de contrôle judiciaire une décision aussi importante pour les droits d'une personne que celle rendue par la section du statut, je suis d'avis que cette Cour doit interpréter le plus strictement possible toute disposition tendant à écarter tout contrôle judiciaire. Je note par ailleurs qu'en l'espèce il suffirait que la section du statut fasse elle-même état, dans sa décision, du fait que la revendication n'a pas un minimum de fonde- ment, pour se soustraire d'elle-même à tout con- trôle judiciaire. Ce serait créer, en matière d'immigration, un pouvoir tellement arbitraire que je ne saurais me résigner à le reconnaître que si le législateur s'était exprimé en termes clairs et non susceptibles de quelque possibilité même lointaine d'interprétation contraire, auquel cas, peut-être, les dispositons de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]] viendraient de toute façon au secours de la personne victime de cet arbitraire.
En l'espèce, deux raisons m'amènent à croire que telle n'a pas été ou que telle n'a pu être l'intention du législateur. D'abord, à l'article 82.1 de la Loi, le législateur a référé à «l'introduction d'une instance aux termes des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale» et il est permis de croire qu'ayant ainsi expressément préservé, de façon générale, le pouvoir de contrôle de la Cour fédérale, il l'aurait expressément exclu deux arti cles plus loin si telle avait été son intention.
Ensuite, cette Cour ayant compétence pour réviser, au stade de la première étape, la conclusion à laquelle en arrive le tribunal d'accès à l'effet qu'une revendication n'a pas un minimum de fon- dement (article 46.02 [édicté par L.R.C. (1985) (4° suppl.), chap. 28, art. 14] de la Loi), il m'appa- raîtrait à tout le moins étonnant, en l'absence d'indication contraire du législateur, que la possi- bilité d'une demande de révision ne soit plus recon- nue lorsque, au stade de la deuxième étape, la section du statut, renversant la conclusion du tri bunal d'accès, conclut que la revendication n'a pas un minimum de fondement.
Je suis donc d'avis que cette Cour a compétence, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale et du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, pour réviser la décision de la sec tion du statut quand bien même celle-ci n'est pas susceptible d'appel à cette Cour selon les termes du paragraphe 82.3(2) de la Loi sur l'immigra- tion.
Vu la conclusion à laquelle j'en arrive sur cette première question, il y a lieu de se pencher sur la deuxième.
LA DÉFINITION DE RÉFUGIÉ AU SENS DE LA CONVENTION
Je rappelle d'abord la définition de «réfugié au sens de la Convention» telle qu'elle apparaît au paragraphe 2(1) [mod., idem, art. 1] de la Loi sur l'immigration:
2. (1) ...
«réfugié au sens de la Convention» Toute personne:
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;
b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).
En l'espèce, le requérant, un citoyen du Liban, a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Con vention au motif qu'il craignait avec raison d'être persécuté à cause des motifs énoncés dans la défi- nition susdite. Son témoignage, qui n'a pas été mis
en doute par la section du statut, et le sommaire présenté par l'agent d'audition, que la section a fait sien, indiquent que le requérant est arménien et chrétien et qu'il a vécu divers incidents reliés au fait qu'il était arménien et chrétien. Après avoir relaté ces incidents, la section a rendu la décision que voici:
Selon son témoignage, sa crainte provient des barrages, de ces différents incidents, de sa religion, de son groupe social, de ses opinions politiques, de sa race et de sa nationalité. Les opinions politiques de monsieur Salibian sont d'être neutre et, selon son témoignage, les Arméniens chrétiens sont neutres et cela facilite leurs contacts dans Beyrouth-Ouest, tout en étant enviés par les personnes de Beyrouth-Est et même questionnés aux barrages à cause de leur neutralité, de leur religion, du lieu de naissance, mais ce comme tous les autres.
Nous avons écouté attentivement le témoignage du deman- deur et étudié les documents fournis. Nous ne mettons pas généralement en doute les faits qui ont été rapportés, bien qu'il y ait quelques contradictions. Nous considérons que rien dans le témoignage ne nous incite à croire que le demandeur lui-même, personnellement, ait été visé par des groupes adverses. Il a été victime d'actes répréhensibles mais qui ne peuvent être considé- rés comme ayant été dirigés particulièrement contre lui.
Il y a présentement au Liban un conflit, nous dirions même des conflits, qui perturbent la vie de tout citoyen libanais. Le demandeur est victime au même titre que tous les autres citoyens libanais. Nous ajouterons que nous sommes conscients de la situation qui prévaut au Liban, telle que rapportée dans les documents qui nous ont été présentés ainsi que dans le témoignage, et nous comprenons qu'après avoir subi les situa tions qui ont été décrites, le demandeur désire refaire une vie normale, mais nous sommes liés par une loi que nous devons appliquer et qui contient textuellement la définition de ce qu'est un réfugié au sens de la Convention.
Nous devons arriver à la conclusion que le demandeur ne rencontre pas les critères contenus dans cette définition. De plus, nous considérons que votre demande n'a pas de minimum de fondement. Par conséquent, votre revendication du statut de réfugié est rejetée, selon l'article 2(1) de la Loi sur l'immigra- tion. [Mes soulignements.]
Bref, la section a conclu que pour être admissi ble au statut de réfugié, il fallait que le demandeur soit personnellement visé par des actes répréhensi- bles dirigés particulièrement contre lui. La section a de plus conclu, en dépit de la preuve à l'effet que le demandeur était victime de ces actes en sa qualité non pas de citoyen libanais mais de citoyen libanais arménien et chrétien, que le demandeur était «victime au même titre que tous les autres citoyens libanais». Il s'agit là, à mon avis, d'une erreur de droit, dans le premier cas, et d'une conclusion de fait erronée, dans le second cas, tirée sans tenir compte des éléments de fait dont la
section disposait. Cette erreur de fait prend tout son sens dans le contexte de l'erreur de droit.
À la lumière de la jurisprudence de cette Cour relative à la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, il est permis d'affirmer
1) que le requérant n'a pas à prouver qu'il avait été persécuté lui-même dans le passé ou qu'il serait lui-même persécuté à l'avenir,
2) que le requérant peut prouver que la crainte qu'il entretenait résultait non pas d'actes répréhen- sibles commis ou susceptibles d'être commis direc- tement à son égard, mais d'actes répréhensibles commis ou susceptibles d'être commis à l'égard des membres d'un groupe auquel il appartenait,
3) qu'une situation de guerre civile dans un pays donné ne fait pas obstacle à la revendication pourvu que la crainte entretenue soit non pas celle entretenue indistinctement par tous les citoyens en raison de la guerre civile, mais celle entretenue par le requérant lui-même, par un groupe auquel il est associé ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d'un risque de persécution fondé sur l'un des motifs énoncés dans la définition, et
4) que la crainte entretenue est celle d'une possibi- lité raisonnable que le requérant soit persécuté s'il retournait dans son pays d'origine (voir: Seifu c. Commission d'appel de l'immigration, A-277-82, juge Pratte, J.C.A., jugement en date du 12 jan- vier 1983, C.A.F., non publié, cité dans Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.), à la page 683; Darwich c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 365 (C.A.); Raju- deen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129 (C.A.), aux pages 133 et 134).
La décision attaquée se situe carrément dans ce courant jurisprudentiel que le professeur Hatha- way 2 décrivait comme suit:
[TRADUCTION] Compte tenu de la valeur probante des expé- riences vécues par des personnes dont la situation est semblable à celle d'un demandeur du statut de réfugié, il est ironique que les tribunaux canadiens se soient toujours montrés très réticents
2 Dans un chapitre intitulé The Determination of Refugee Claims Grounded in Generalized Oppression, faisant partie d'un ouvrage intitulé The Law of Refugee Status, qui sera publié prochainement par Butterworths and Co. (Canada) Ltd. avec l'aide du Conseil canadien de la documentation juridique.
à reconnaître les revendications de personnes dont la crainte de persécution est confirmée par les souffrances endurées par un grand nombre de leurs concitoyens. Au lieu de considérer le sort réservé à d'autres membres du groupe racial, social ou autre du demandeur comme le meilleur indicateur d'un éven- tuel préjudice, les décideurs ont privé de leurs droits les person- nes dont les craintes étaient fondées sur l'oppression généralisée d'un groupe donné.
et je fais mienne cette description du droit applica ble que l'on retrouve à la fin de l'article précité:
[TRADUCTION] En somme, tandis que le droit des réfugiés moderne s'attache à reconnaître la protection dont doivent bénéficier des revendicateurs pris individuellement, la meilleure preuve qu'une personne risque sérieusement d'être persécutée réside généralement dans le traitement accordé à des personnes placées dans une situation semblable dans le pays d'origine. Par conséquent, lorsqu'il s'agit de revendications fondées sur des situations l'oppression est généralisée, la question n'est pas de savoir si le demandeur est plus en danger que n'importe qui d'autre dans son pays, mais plutôt de savoir si les manoeuvres d'intimidation ou les mauvais traitements généralisés sont suffi- samment graves pour étayer une revendication du statut de réfugié. Si des personnes comme le requérant sont susceptibles de faire l'objet d'un grave préjudice de la part des autorités de leur pays, et si ce risque est attribuable à leur état civil ou à leurs opinions politiques, alors elles sont à juste titre considé- rées comme des réfugiés au sens de la Convention.
Dans le cas présent, la section du statut s'est méprise sur la nature du fardeau que le requérant avait à rencontrer et elle a rejeté sa demande sur la base d'une absence de preuve de persécution per- sonnelle dans le passé. Cette conclusion est double- ment erronée; point n'est besoin, en effet, pour se réclamer du statut de réfugié au sens de la Con vention, de démontrer ni que la persécution est personnelle ni qu'il y a eu persécution dans le passé.
Il m'apparaît donc nécessaire, dans les circons- tances, de retourner le dossier à la section du statut pour qu'elle examine le bien-fondé de la demande du requérant à la lumière des motifs de la présente décision et en fonction des autres élé- ments de la définition de réfugié sur lesquels elle n'avait pas eu à se prononcer.
La demande devrait être accueillie, la décision de la section du statut devrait être infirmée et l'affaire devrait être renvoyée aux fins d'un nouvel examen qui tienne compte de ces motifs.
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: J'y souscris. LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: J'y souscris.
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