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T-5486-79
Jelin Investments Limited (demanderesse)
c.
Signtech Inc. (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: JELIN INVESTMENTS LTD. c. SIGNTECH INC. (l' e INST.)
Section de première instance, juge Reed— Toronto, 29 octobre et 1 er novembre 1990.
Injonctions Requête afin d'obliger la défenderesse à fournir une garantie pour des dommages-intérêts Action pour violation du droit d'auteur La défenderesse est en train de sortir des biens du ressort de la Cour La demande- resse a laissé tomber une demande d'injonction de type Mareva à l'audience Référence faite aux critères applicables dans les affaires d'injonction de type Mareva La demanderesse a montré qu'il y avait un risque que le jugement ne puisse être exécuté L'ordonnance a été refusée en raison (I) de la longue attente avant de poursuivre le litige et (2) de l'hésita- tion de la demanderesse à s'engager à indemniser la défende- resse de tout dommage subi à la suite du versement de la garantie.
Pratique Frais et dépens Garantie pour les dépens La Règle 446 énonce divers critères, et il faut répondre à au moins un d'entre eux II n'a été satisfait à aucun de ceux-ci d'après les faits de l'espèce.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 446.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Reading & Bates Horizontal Drilling Co. et autre c. Spie, Horizontal Drilling Co. Inc. et autre (1986), 13 C.P.R. (3d) 37; 9 F.T.R. 261 (C.F. 1" inst.); Chitel et al. v. Rothbart et al. (1982), 39 O.R. (2d) 513; 141 D.L.R. (3d) 269; 30 C.P.C. 205; 69 C.P.R. (2d) 62 (C.A.); Third Chandris Shipping Corpn v Unimarine SA, [1979] 2 All ER 972 (H.L.); Midway Mfg. Co. c. Bernstein et autres (1988), 23 C.P.R. (3d) 272; 23 F.T.R. 295 (C.F. lfe inst.).
AVOCATS:
Kathleen J. Kelly pour la demanderesse. George E. Fisk pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Bergstein & Kelly, Toronto, pour la demande- resse.
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La demanderesse présente une requête afin d'obliger la défenderesse à fournir une garantie pour les dommages-intérêts qui pour- raient être adjugés à l'issue de l'action pour viola tion du droit d'auteur à laquelle se rapporte le présent litige. La demanderesse sollicite également une garantie pour les dépens qui pourraient décou- ler d'une demande reconventionnelle de la défenderesse.
La demanderesse a d'abord tenté d'obtenir une injonction de type Mareva interdisant à la défen- deresse de sortir ses biens du ressort de la Cour. Vers la fin de l'audience, l'avocat de la demande- resse a laissé tomber cette réclamation. Il est évident que la défenderesse est en train de sortir du ressort de la Cour une grande partie de ses biens et a l'intention de continuer de le faire.
Jusqu'à tout récemment, la défenderesse possé- dait une entreprise de fabrication de pièces d'ensei- gnes lumineuses à Mississauga. Elle est en train de déménager cette entreprise à San Antonio (Texas), les taxes et le coût de la main-d'oeuvre sont moins élevés. Ce déménagement est à la situation financière difficile dans laquelle la défen- deresse s'est trouvée à la suite d'une expansion de ses installations commerciales juste avant la baisse récente de l'économie. La défenderesse est en défaut de paiement relativement à certains prêts bancaires et elle tente, avec l'approbation de la banque, de réorganiser ses biens et de diminuer les coûts.
Bien que la défenderesse ait déménagé certains de ses moyens de fabrication hors du ressort de la Cour et qu'il soit probable qu'elle déménage éven- tuellement la plus grande partie d'entre eux, elle prévoit garder ici des installations d'entreposage et un personnel de vente. Elle possède actuellement un immeuble (de 115 000 pieds carrés) qu'elle a mis en vente et elle en loue un autre (de 65 000 pieds carrés). Elle prévoit abandonner ce bail. La plupart des activités de la défenderesse au Canada sont maintenant centralisées dans l'immeuble qu'elle possède. En raison du transfert de ses prin-
cipales activités (fabrication et gestion) au Texas, elle prévoit implanter son entrepôt et loger son personnel de vente au Canada dans des locaux loués, qui ne sont pas encore déterminés mais seraient situés quelque part à l'ouest de Toronto (Mississauga, Brampton ou Weston). La défende- resse est une compagnie constituée en vertu des lois de l'Ontario; son siège social se trouve aussi dans cette province. Ses installations situées au Texas sont exploitées actuellement par une filiale de la défenderesse.
L'action à laquelle se rapporte la demande d'une garantie pour les dépens et les dommages-intérêts a été intentée en 1979. La demanderesse tente de se faire adjuger des dommages-intérêts à la suite de la reproduction par la défenderesse de dessins de catalogues et de boutiques de la demanderesse, qui se rapportent à des cadres moulés par extru sion de l'aluminium et destinés à de grosses ensei- gnes industrielles et commerciales. Cette reproduc tion a entraîné la distribution d'environ 130 manuels aux États-Unis et 30 au Canada. 'Cela s'est produit pendant une période de six semaines en 1979. Lorsque la défenderesse a été sommée par la demanderesse de mettre fin à cette activité, elle s'est exécutée et a versé par la suite un montant de 1 000 $ à la Cour en règlement de la réclamation de la demanderesse.
La demanderesse n'a pas accepté cette somme comme étant une indemnité suffisante. Si je com- prends bien son point de vue, la reproduction par la défenderesse de documents de la demanderesse a constitué un tremplin grâce auquel la défende- resse a pris position sur le marché aux dépens de la demanderesse. Celle-ci réclame des pertes com- merciales de plus de 3 millions de dollars. La demanderesse considère que la conduite de la défenderesse fait partie d'un type plus général de comportement par lequel elle a pris des idées, des droits de brevet, des droits d'auteur, etc. à d'autres et est entrée sur le marché par des procédés déloyaux, sinon par un comportement répréhensi- ble sur le plan moral. La demanderesse a essayé de modifier sa déclaration pour y ajouter une récla- mation de dommages-intérêts punitifs mais n'a pas obtenu gain de cause jusqu'ici sur ce point.
Si je comprends bien le point de vue de la défenderesse, les activités auxquelles elle s'est adonnée constituaient, en général, de la concur-
rence tout à fait loyale, et elle fabriquait simple- ment un produit qui était meilleur et moins cher que celui de la demanderesse. Dans une demande reconventionnelle, elle affirme que la demande- resse a intenté un certain nombre d'actions' contre elle dans le but de faire savoir au monde des affaires que celles-ci forceraient la défenderesse à sortir du marché.
De toute façon, pour les fins de l'espèce, je n'ai pas à trancher ces questions. L'aspect du présent litige qui est très inquiétant, pour les fins de la présente demande, est le temps pendant lequel la réclamation de la demanderesse a été laissée en sommeil. Pratiquement aucune mesure n'a été prise pour faire avancer le litige entre les années 1983 et 1990. Bien que sa réactivation par la demanderesse ne semble pas avoir été déclenchée par la connaissance des difficultés financières éprouvées actuellement par la défenderesse, l'idée de poursuivre maintenant ce litige, dont les princi- paux faits sont survenus il y a plus de onze ans, n'est pas très bienvenue.
Je me tourne alors vers la requête de la deman- deresse en vue d'une ordonnance prévoyant une garantie pour les dommages-intérêts. La demande- resse tente d'obtenir une garantie de 600 000 $. L'une des principales plaintes de la défenderesse portait sur l'absence de volonté de la demanderesse d'essayer d'évaluer quantitativement ses domma- ges-intérêts si ce n'est en se reportant au chiffre de trois millions susmentionné. En réclamant une garantie de 600 000 $, la demanderesse a mainte- nant posé un geste en ce sens.
Les décisions rendues dans les affaires Reading & Bates Horizontal Drilling Co. et autre c. Spie, Horizontal Drilling Co. Inc. et autre (1986), 13 C.P.R. (3d) 37 (C.F. 1r° inst.) et Chitel et al. v. Rothbart et al. (1982), 39 O.R. (2d) 513 (C.A.), énonceraient, selon l'avocat, les critères qui sont applicables pour décider s'il faut accorder une injonction de type Mareva afin d'interdire à un défendeur de sortir ses biens du ressort de la cour avant que jugement ne soit prononcé contre lui. Dans l'affaire Reading & Bates, le juge Cullen [aux pages 39 et 40] a cité un passage de l'arrêt Chitel:
Deux actions (T-3631-81 et T-869-83) sont suspendues en attendant l'issue du présent litige (T-5486-79).
[TRADUCTION] Il n'est pas nécessaire que les défendeurs ne résident pas dans le ressort. Dans une affaire pertinente, le redressement est possible contre un défendeur résident.
Le requérant d'une injonction «Mareva» doit établir, sur le fond, une preuve suffisante à première vue.
Une divulgation complète et franche doit être faite de toutes les questions connues du requérant et qu'il est important que le juge connaisse.
Le requérant doit donner les détails de sa réclamation contre le défendeur, indiquant les motifs et le montant de cette dernière. Il doit franchement déclarer les points soulevés par le défendeur contre la demande.
Le requérant doit donner certains motifs de croire que les défendeurs ont des biens dans le ressort. Ces biens doivent être identifiés avec autant de précision que possible, de manière à ce que l'injonction, si elle est accordée, porte sur des: biens ou des comptes bancaires précis.
Le requérant doit donner certains motifs de croire qu'il y a un risque que les biens soient enlevés avant que le jugement ou l'indemnité soient exécutés. La preuve doit être de nature à persuader la Cour que le défendeur est en train de sortir ses biens du ressort pour éviter un jugement éventuel, ou qu'il y a un risque réel qu'il le fasse, ou encore que le défendeur est en train de dissiper ou d'aliéner autrement ses biens d'une manière manifestement différente de sa façon habituelle de vivre ou d'administrer ses affaires, de sorte que la possibilité de retracer ultérieurement ces biens soit ténue, voire impossible en fait ou en droit.
Le requérant doit fournir un engagement relativement aux dommages-intérêts.
Le juge Cullen a également cité [aux pages 40 et 41] le passage suivant de l'arrêt Third Chândris Shipping Corpn y Unimarine SA, [ 1979] 2, All ER 972 (H.L.):
[TRADUCTION]
(i) Le demandeur doit faire une divulgation complète et franche de toutes les questions connues du requérant qu'il est important que le juge connaisse;
(ii) Le demandeur doit donner les détails de sa réclamation contre le défendeur, indiquant le motif et le montant de cette dernière. Il doit franchement déclarer les points soulevés par le défendeur contre la demande;
(iii) Le demandeur doit donner certains motifs de croire que les défendeurs ont des biens dans le ressort;
(iv) Le demandeur doit donner certains motifs de croire qu'il y a un risque pour que des biens soient enlevés avant que le jugement ou l'indemnité soient exécutés;
(y) Les demandeurs doivent fournir un engagement de régler des dommages-intérêts dans le cas leur demande est rejetée ou que l'injonction s'avère injustifiée.
Dans l'affaire Reading & Bates, le juge Cullen a refusé d'accorder une injonction de type Mareva
parce que les requérantes ne pouvaient pas prouver que les intimées avaient l'intention de sortir leurs biens du ressort de la Cour. Cependant, il a ordonné qu'une caution soit fournie pour garantir les dommages-intérêts. Tout en faisant cela, il a signalé que l'intimée avait un nombre restreint de biens au Canada; qu'elle faisait l'objet d'un rap port défavorable de la part de Dunn et Bradstreet; que la demanderesse avait présenté une solide preuve prima fade; que les pertes probables pour les demanderesses étaient évaluées dans la preuve par affidavit produite devant la Cour; qu'il y avait lieu de croire qu'il serait difficile, sinon impossible, pour la demanderesse de percevoir de l'argent à la suite d'un jugement si elle obtenait gain de cause. En d'autres mots, il a pris en considération: la solidité de la preuve de la demanderesse; la pré- pondérance des inconvénients et l'importance du préjudice que pourraient subir les demanderesses si une ordonnance n'était pas rendue.
En l'espèce, la demanderesse a présenté une solide preuve prima facie en ce qui concerne la reproduction la défenderesse a reconnu essen- tiellement la violation du droit d'auteur. La capa- cité de la demanderesse de «prouver» que le mon- tant des dommages-intérêts qu'elle tente d'obtenir est vraiment de l'envergure prétendue est, toute- fois, plus conjecturale. Bien que la preuve par affidavit présentée par la demanderesse relative- ment aux projets de la défenderesse de sortir du ressort de la Cour soit quelque peu «exagérée» parce que ces projets sont conçus du point de vue de la demanderesse, je ne refuserais pas d'accorder l'ordonnance sollicitée en raison d'une omission de divulguer les faits essentiels concernant la demande. La demanderesse a également prouvé qu'il y a un risque que, si elle obtenait gain de cause, elle ne puisse pas exécuter le jugement une fois celui-ci obtenu. Je n'accorde pas trop de poids, dans la présente affaire, au fait que la défende- resse présente une demande reconventionnelle contre la demanderesse, qui pourrait, à ce que l'on prétend, aboutir à l'obtention d'une indemnité supérieure à celle que la demanderesse pourrait obtenir de la défenderesse. Il s'agit d'une supposi tion hautement conjecturale.
La considération dominante qui milite contre le prononcé de l'ordonnance sollicitée par la deman- deresse est le délai qui s'est écoulé avant la pour-
suite du litige. Il est très difficile, après un tel délai, de prouver un grand nombre des faits qui sous-tendent la preuve de la demanderesse en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts qu'elle réclame (même en supposant qu'elle réus- sisse à obtenir l'ajout de dommages-intérêts puni- tifs comme question à trancher). Cette considéra- tion seule, à mon avis, justifie le rejet de l'ordonnance sollicitée. En outre, l'hésitation de la demanderesse à s'engager sans réserve à indemni- ser la défenderesse de tout dommage subi, à la suite du versement de la garantie pour les domma- ges-intérêts, milite contre l'octroi de l'ordonnance.
Pour ce qui concerne la demande de la deman- deresse en vue d'une garantie pour les dépens, la Règle 446 s'applique [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. Elle prévoit:
Règle 446. (1) Lorsque, à la demande d'un défendeur, il paraît évident à la Cour
a) que le demandeur réside ordinairement hors du ressort judiciaire,
b) que le demandeur condition qu'il ne s'agisse pas d'un demandeur poursuivant en qualité de représentant) n'est demandeur que de nom et poursuit au bénéfice de quelque autre personne, et qu'il y a lieu de croire qu'il sera incapable de payer les dépens du défendeur s'il lui est ordonné de le faire,
c) sous réserve de l'alinéa (2), que l'adresse du demandeur n'est pas indiquée dans la déclaration ou autre acte introduc- tif d'insistance, ou y est incorrectement indiquée, ou
d) que le demandeur a changé d'adresse au cours des procé- dures en vue de se soustraire aux conséquences du litige,
si, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, il semble juste de le faire, la Cour pourra ordonner au demandeur de fournir pour les dépens qui pourront être adjugés au défendeur à l'action ou autre procédure, la garantie qui semble juste (Formule 17).
(2) La Cour ne doit pas exiger qu'un demandeur fournisse une garantie simplement en raison de l'alinéa (1)c) si le deman- deur démontre, à la satisfaction de la Cour, que son omission d'indiquer son adresse ou l'indication erronée de son adresse était involontaire et sans intention de tromper.
(3) Lorsque la Cour rend une ordonnance exigeant qu'une partie fournisse une garantie pour les dépens, la garantie doit être fournie de la manière, au moment et aux conditions, le cas échéant, que la Cour pourra prescrire (Formule de cautionne- ment lorsqu'un cautionnement est demandé en garantie Formule 18).
(4) Un demandeur qui réside ordinairement hors du ressort judiciaire peut être requis par ordonnance de fournir une garantie pour les dépens, même s'il réside temporairement dans le ressort judiciaire.
(5) Sans restreindre la portée générale de la Règle 1721,i1 est par les présentes déclaré que la présente Règle s'applique à une demande reconventionnelle.
L'avocat de la défenderesse soutient qu'aucun des quatre critères énoncés à la Règle 446(1) ne se rapporte à la présente affaire: la défenderesse (demanderesse reconventionnelle) ne réside pas ordinairement hors du ressort judiciaire; la défen- deresse n'est pas demanderesse reconventionnelle que de nom; bien que l'adresse actuelle de la défenderesse ne soit pas indiquée correctement dans la déclaration, cela n'est survenu que parce que la réclamation date de très longtemps; l'adresse actuelle de la défenderesse est bien connue; bien que la défenderesse ait changé d'adresse en cours d'instance, cela n'a pas été fait dans le but de se soustraire aux conséquences du litige. L'avocat de la défenderesse a invoqué la décision rendue dans l'affaire Midway Mfg. Co. c. Bernstein et autres (1988), 23 C.P.R. (3d) 272 (C.F. 1" inst.), pour suggérer que notre Cour ne peut pas ordonner le versement d'une garantie pour les dépens pour la seule raison qu'une compa- gnie n'est pas solvable. Selon mon interprétation de la Règle 446(1), les alinéas a) à d) énoncent une série de critères dont il faut en satisfaire un pour que soit accordée une ordonnance prévoyant une garantie pour les dépens. En l'espèce, il ne m'est pas possible de conclure que les faits concor- dent avec l'un de ces critères.
Pour les motifs exprimés, la requête de la demanderesse doit être rejetée.
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