Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-199-89
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Brian Mossop (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. MOSSOP
(CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Stone, J.C.A.—Toronto, 9 et 10 mai; Ottawa, 29 juin 1990.
Droits de la personne Le Tribunal des droits de la personne s'est trompé en concluant que l'expression «situation de famille» (l'un des motifs de distinction illicite figurant dans la Loi canadienne sur les droits de la personne) comprenait un couple homosexuel Le terme «famille» n'est pas si nébuleux qu'il faille le soumettre à une interprétation Il n'était pas du ressort du Tribunal de rejeter la signification généralement reconnue du terme «famille» Le mot «famille» n'a pas un caractère vague, sous réserve seulement d'une notion nébuleuse de caractère raisonnable Il est associé à la notion de «status» dans la version anglaise Un couple homosexuel ne constitue pas une «famille» reconnue par la loi Le Tribunal n'a pas bien compris la question fondamentale L'orientation sexuelle est le véritable fondement de la discrimination men- tionnée Elle ne fait pas partie des motifs de distinction illicite figurant dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à
l'égalité Même si l'orientation sexuelle était une forme de discrimination prohibée par l'art. 15, la Charte ne pourrait pas être utilisée comme une sorte de mécanisme d'amendement ipso facto exigeant l'incorporation des principes qui la sous-
tendent dans les lois sur les droits de la personne La Charte et les lois sur les droits de la personne sont de nature dif- férente Les lois sur les droits de la personne ne contiennent pas de mécanisme de pondération identique à celui qui est prévu à l'art. premier de la Charte.
Interprétation des lois L'art. 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit la discrimination fondée sur la «situation de famille» Celle-ci comprend-elle un couple homosexuel? L'approche «guidée par la raison d'être de la loi» ou de «l'arbre vivant» qui est utilisée pour l'inter- prétation des dispositions de la Constitution ne peut s'appli- quer aux lois sur les droits de la personne La «situation de famille» n'était pas censée comprendre l'orientation sexuelle.
Fonction publique Relations du travail Convention
collective Une demande de congé de deuil pour assister aux funérailles du père du partenaire homosexuel a été refusée La convention collective donnait une définition de «famille
immédiate» L'employé a porté plainte à la CCDP contre son employeur et son syndicat Le Tribunal des droits de la personne a conclu que la «situation de famille,,, l'un des motifs de distinction illicite, comprenait un couple homosexuel Décision annulée.
Il s'agissait d'une demande visant l'annulation de la décision par laquelle un tribunal des droits de la personne a statué que
l'expression «situation de famille», l'un des motifs de distinction illicite prévus au paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, comprenait la situation de deux person- nes qui entretiennent une relation homosexuelle.
La demande présentée par l'intimé en vue d'obtenir un congé de deuil, prévu dans une convention collective, afin d'assister aux funérailles du père de son partenaire a été refusée. On lui a offert un congé payé spécial d'une journée, qu'il a refusé pour le motif qu'il ne voulait pas d'un congé accordé à la discrétion de son employeur alors que ce congé était accordé comme un droit à ses collègues hétérosexuels. Il a porté plainte à la Commission canadienne des droits de la personne contre son employeur et son syndicat. Il a été allégué qu'un couple homosexuel consti- tuait une «famille» et que la convention collective était discrimi- natoire parce qu'elle ne lui accordait pas le même traitement qu'à d'autres familles. D'après un témoin expert, le plaignant entretenait une «relation familiale». Selon le Tribunal, la ques tion fondamentale était de savoir si la situation de famille comprenait une relation homosexuelle. Le Tribunal a statué que l'employeur et le syndicat avaient enfreint l'alinéa 10b) de la Loi en concluant une entente susceptible d'annihiler les chances d'emploi de l'intimé et que le motif de distinction illicite mentionné était la «situation de famille».
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Le juge Marceau, J.C.A.: Le Tribunal s'est trompé (1) en concluant que l'expression «situation de famille» comprenait une relation homosexuelle et (2) en disant que la question fondamentale était de savoir si l'expression «situation de famille» utilisée au paragraphe 3(1) comprenait une relation homosexuelle.
L'approche guidée par la raison d'être de la loi adoptée pour l'interprétation de la Charte ne devrait pas s'appliquer à l'inter- prétation des lois relatives aux droits de la personne. La Charte doit être interprétée d'une façon spéciale parce qu'en raison des difficultés associées à la modification de la Constitution, les dispositions de celle-ci pourraient ne pas évoluer au même rythme que les valeurs de la société. L'application de l'interpré- tation de «l'arbre vivant» pour discerner de nouveaux motifs de distinction illicite déborde le cadre des pouvoirs de la Cour et usurperait la fonction du Parlement. Ensuite, le sens du mot «famille» utilisé dans la Loi n'est pas si nébuleux qu'il faille le soumettre à une interprétation. Enfin, le Tribunal n'avait pas le pouvoir d'écarter la signification généralement donnée au mot «famille» et d'y substituer, au moyen d'une approche volontaire- ment ponctuelle, une signification qui ne convient pas au contexte dans lequel ce mot est employé et qui ne correspond pas à l'intention qu'avait le législateur. Le terme «famille» n'a pas un caractère vague, sous réserve seulement d'une notion nébuleuse de caractère raisonnable. Il faut également se rappe- ler que le terme «famille» est associé au mot «status» dans la version anglaise, qui est une notion juridique qui désigne la position spécifique d'une personne par rapport aux droits dont elle jouit et aux restrictions dont elle est l'objet du fait de son appartenance à un groupe juridiquement reconnu. Même si un couple homosexuel pouvait constituer sociologiquement parlant une sorte de famille, ce n'est pas une famille qui, juridiquement parlant, confère à ses membres des obligations et des droits spéciaux.
Le véritable motif de distinction illicite était l'orientation sexuelle, qui ne figure pas parmi les motifs de distinction illicite
énumérés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Même si c'était une forme de discrimination prohibée par l'article 15, la Charte ne pourrait pas être utilisée comme une sorte de mécanisme d'amendement ipso facto exigeant l'incor- poration des principes qui la sous-tendent dans les lois sur les droits de la personne en étirant le sens des mots au-delà de leur limites. Les lois relatives aux droits de la personne visent la population en général, alors que la Charte prétend restructurer le cadre juridique global dans lequel s'inscrivent les rapports privés. Celui qui prétend qu'un mandataire du gouvernement a conclu une entente qui viole les droits qui lui sont garantis par la Charte doit le faire en dehors du cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, à moins que la Loi n'interdise spécifiquement la violation en question. De plus, la Charte prévoit à son article premier un mécanisme général de pondéra- tion qui n'existe pas dans les codes des droits de la personne. Des exceptions particulières peuvent figurer dans la législation sur les droits de la personne parce qu'elles ont été prises en considération par les législatures et sont le fruit d'un compro- mis politique. Si les tribunaux voyaient dans ces lois des significations qui n'avaient pas été envisagées pour le motif qu'on a conclu dans des décisions portant sur la Charte que ces significations constituaient des «motifs analogues», la clause limitative fondée sur l'article premier ne s'appliquerait pas.
Le juge Stone, J.C.A. (avec l'appui du juge Heald, J.C.A.): En ajoutant la «situation de famille» au paragraphe 3(1) comme motif de distinction illicite, le Parlement n'avait pas l'intention d'y inclure la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Il n'était pas du ressort de la Cour de modifier la loi pour aller plus loin.
Bien que les lois sur les droits de la personne doivent être interprétées d'une manière qui soit conforme aux dispositions de la Charte, la Charte ne devrait pas obliger les tribunaux à attribuer à une expression employée dans une loi une significa tion qu'on n'avait pas l'intention de lui attribuer. Si cette expression semble incompatible avec les dispositions de la Charte, c'est alors la constitutionnalité de cette expression qui doit être contestée si l'on veut que la Charte puisse jouer un rôle dans le règlement du litige.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44].
Code des droits de la personne, 1981, L.O. 1981, chap. 53, art. 9g).
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976- 77, chap. 33, art. 3(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 2), 7b) (mod., idem, art. 3), 9(1)c)(ii) (mod., idem, art. 4), 10b) (mod., idem, art. 5).
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), chap. H-6.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 52(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
The Saskatchewan Human Rights Code, S.S. 1979,
chap. S-24.1.
Sask. Reg. 216/79, art. 1(a).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et autres, [1975] 1 R.C.S. 382; (1973), 41 D.L.R. (3d) 6; [1974] 1 W.W.R. 653; Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce et autre, [1984] 1 R.C.S. 269; (1984), 9 D.L.R. (4th) 10; 84 C.L.L.C. 14,037; 53 N.R. 203.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Schaap c. Forces armées canadiennes, [1989] 3 C.F. 172; (1988), 56 D.L.R. (4th) 105;,95 N.R. 132 (C.A.); Veysey c. Canada (Commissaire du Service correctionnel), [1990] 1 C.F. 321; (1989), 29 F.T.R. 74 (1" inst.); Brown v. B.C. (Min. of Health) (1990), 42 B.C.L.R. (2d) 294 (C.S.); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.
DÉCISIONS CITÉES:
Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 86 C.L.L.C. 17,002; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561; (1985), 23 D.L.R. (4th) 481; 17 Admin. L.R. 111; 9 C.C.E.L. 135; 86 C.L.L.C. 17,003; 63 N.R. 185; Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114; (1987), 40 D.L.R. (4th) 193; 27 Admin. L.R. 172; 87 C.L.L.C. 17,022; 76 N.R. 161; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 87 C.L.L.C. 17,024; 74 N.R. 303; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; (1986), 33 D.L.R. (4th) 174; [1987] 1 W.W.R. 577; 9 B.C.L.R. (2d) 273; 38 C.C.L.T. 184; 87 C.L.L.C. 14,002; 25 C.R.R. 321; [1987] D.L.Q. 69; Re Blainey and Ontario Hockey Association et al. (1986), 54 O.R. (2d) 513; 26 D.L.R. (4th) 728; 14 O.A.C. 194 (C.A.); Babineau et al. v. Babineau et al. (1981), 32 O.R. (2d) 545; 122 D.L.R. (3d) 508 (H.C.); conf. par (1982), 37 O.R. (2d) 527; 133 D.L.R. (3d) 767 (C.A.).
DOCTRINE
Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des questions juridiques, Procès-verbaux et témoignages, fascicule 114 (20 décembre 1982). Canada. Chambre des communes. Rapport du Comité parlementaire sur les droits à l'égalité: Égalité pour tous, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1985.
AVOCATS:
Barbara A. Mcisaac pour le requérant.
René Duval pour la Commission canadienne
des droits de la personne.
V. Jennifer MacKinnon et A. B. McAllister pour les intervenants Equality for Gays and Lesbians Everywhere, la Fédération cana- dienne des droits et libertés, l'Association nationale de la femme et le droit, le Conseil canadien des droits des personnes handicapées et le Comité national d'action sur le statut de la femme.
W. Ian Binnie et Jenny P. Stephenson pour les intervenants Focus on the Family, l'Armée du Salut, Real Women, The Evangelical Fellow ship of Canada et The Pentecostal Assemblies of Canada.
A COMPARU:
Brian Mossop pour son propre compte.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Les Services juridiques de la Commission canadienne des droits de la personne pour la Commission canadienne des droits de la personne.
Burke- Robertson, Ottawa, pour les interve- nants Equality for Gays and Lesbians Everywhere, la Fédération canadienne des droits et libertés, l'Association nationale de la femme et le droit, le Conseil canadien des droits des personnes handicapées et le Comité national d'action sur le statut de la femme. McCarthy Tétrault, Toronto, pour les interve- nants Focus on the Family, l'Armée du Salut, Real Women, The Evangelical Fellowship of Canada et The Pentecostal Assemblies of Canada.
L'INTIMÉ POUR SON PROPRE COMPTE: Brian Mossop, Toronto.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: L'un des motifs de distinction illicite prévus par la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, et ses modifications, maintenant L.R.C. (1985), chap. H-6 («la Loi») est la «situation de famille». Cette expression comprend-t-elle la situation de deux personnes qui entretiennent une relation homosexuelle? Le Tribunal des droits de la per- sonne a rendu une décision dans laquelle il a répondu par l'affirmative à cette question, et le procureur général du Canada a soumis à la Cour une demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7] dans laquelle il demande la révision et l'annulation de cette décision.
Comme il fallait s'y attendre, cette affaire a suscité l'intérêt de nombreux groupes et associa tions, qui ont demandé la permission d'intervenir ou, du moins, d'être entendus par la Cour. Des observations appuyant la position du procureur général ont été faites par: l'Armée du Salut, Focus on the Family Association Canada, Real Women, les Pentecostal Assemblies of Canada et l'Evange- lical Fellowship of Canada. Des observations appuyant la décision du Tribunal ont été faites par: la Fédération canadienne des droits et libertés, Equality for Gays and Lesbians Everywhere, l'As- sociation nationale de la femme et le droit, le Conseil canadien des droits des personnes handica- pées et le Comité national d'action sur le statut de la femme.
Commençons par passer en revue les faits qui ont donné lieu au litige et en fonction desquels l'affaire doit être analysée.
En juin 1985, M. Brian Mossop (l'intimé) tra- vaillait à Toronto comme traducteur pour le Secré- tariat d'État. Il vivait avec M. Ken Popert depuis 1976. Les deux hommes partageaient une maison qu'ils avaient achetée ensemble et qui était finan cée au moyen d'un compte de banque conjoint. Ils se partageaient les tâches domestiques et s'arran- geaient pour prendre leurs vacances en même temps afin de pouvoir voyager ensemble. Leur
relation homosexuelle était en quelque sorte de notoriété publique puisqu'ils se présentaient comme des amants à leurs amis et à leurs familles, et qu'ils militaient tous deux activement dans le mouvement en faveur des droits des homosexuels. Le 3 juin 1985, M. Mossop s'est absenté du travail pour accompagner M. Popert aux obsèques de son père.
À ce moment, les conditions d'emploi de l'intimé étaient régies par une convention collective entre le Conseil du Trésor et le Syndicat canadien des employés professionnels et techniques («SCEPT»). L'article 19.02 de cette convention contenait une disposition relative au congé de deuil donnant droit à un congé d'une durée maximum de quatre jours lors du décès d'un membre de la «proche famille» de l'employé. L'expression «proche famille» était ainsi définie:
... le père, la mère, le frère, la sœur, le conjoint (y compris le conjoint de droit commun demeurant avec l'employé), l'enfant propre de l'employé (y compris l'enfant du conjoint de droit commun) ou l'enfant en tutelle de l'employé, le beau-père, la belle-mère et tout parent demeurant en permanence au foyer de l'employé ou avec qui l'employé demeure en permanence.
Dans les définitions contenues dans la convention, il était déjà prévu à l'article 2.01s) que:
... on dit qu'il existe des liens de «conjoint de droit commun» lorsque, pendant une période continue d'au moins une année, un employé a cohabité avec une personne du sexe opposé, l'a présentée publiquement comme son conjoint, et vit et a l'inten- tion de continuer à vivre avec cette personne comme si elle était son conjoint.
Le lendemain des obsèques, M. Mossop a pré- senté une demande écrite en vue d'obtenir le congé de deuil prévu à l'article 19.02 de la convention collective. Sa demande a été rejetée, et M. Mossop a décliné l'offre de congé spécial d'une journée qu'on lui a faite à la place. Il a motivé son refus en disant qu'il ne voulait pas d'une journée de congé accordée à la discrétion de l'employeur, alors que la convention collective accordait automatique- ment cette journée à ses collègues hétérosexuels. Il a présenté un grief avec l'approbation de son syn- dicat, qui l'a également représenté, mais le grief a été rejeté au motif que le refus d'accorder le congé demandé était conforme à la convention collective. M. Mossop s'est alors adressé à la Commission canadienne des droits de la personne et a déposé des plaintes contre son employeur, le Secrétariat d'État (auquel s'est ensuite ajouté le Conseil du Trésor) et son syndicat, le SCEPT. Les plaintes
étaient fondées sur l'alinéa 7b) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 3], le sous-alinéa 9(1)c)(ii) [mod., idem, art. 4] et l'alinéa 10b) [mod., idem, art. 5] de la Loi, qui sont ainsi libellés:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
9.(1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'associa- tion d'employés
c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une conven tion collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'associa- tion, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles
(i) de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, ou
(ii) de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de nuire à sa situation
pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em- ployeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
D'abord, l'intimé a reproché à l'employeur d'avoir «défavorisé un employé dans le cadre de son emploi» en contravention de l'alinéa 7b) de la Loi, puis il a reproché au syndicat d'avoir agi d'une manière susceptible «de limiter ses chances d'em- ploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de nuire à sa situation» en contravention du sous-ali- néa 9(1)c)(ii) de la Loi. Enfin, il a prétendu que l'employeur et le syndicat avaient tous deux con- trevenu à l'alinéa 10b) de la Loi en concluant une entente touchant un «aspect d'un emploi ... d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'em- ploi ou d'avancement d'un individu». Dans chaque cas, le motif de distinction illicite mentionné était la situation de famille.
Devant le tribunal composé d'un seul membre qui a été constitué sous le régime de la Loi pour examiner les plaintes, on a considéré que la ques tion fondamentale était de savoir si l'expression «situation de famille» comprenait la relation qu'en- tretenaient l'intimé et M. Popert. Soutenu par la Commission, le plaignant a prétendu qu'un couple homosexuel comme celui qu'il formait avec M. Popert constituait une famille, et que la convention collective était discriminatoire parce qu'elle ne lui accordait pas un traitement identique à celui dont bénéficiaient d'autres familles. La Commission a fait comparaître à titre de témoin expert une spé- cialiste de la sociologie et des politiques familiales, le docteur Margrit Eichler, qui a travaillé comme consultante auprès de nombreux organismes s'oc- cupant de questions d'intérêt public qui se rappor- tent aux familles, et qui a écrit un manuel traitant de la famille canadienne. Durant son témoignage, elle a dit qu'il n'y avait pas de consensus général, à l'heure actuelle, sur ce qu'on pourrait utilement considérer comme une définition polyvalente de la famille. À son avis, le plaignant et M. Popert entretenaient une «relation familiale» dans la mesure il s'agissait d'une relation qui durait depuis un certain temps, qui devait en principe se poursuivre, et qui comportait une cohabitation, une union économique à plusieurs égards, des rela tions sexuelles, un soutien d'ordre émotif et le partage des tâches domestiques. En réponse à une question du Tribunal, le Dr. Eichler a précisé qu'aucun facteur particulier ne pouvait véritable- ment être considéré comme un élément essentiel de la définition de la famille (p. ex. un couple marié peut avoir des résidences distinctes, ou bien des enfants dont Tes parents sont divorcés peuvent entretenir des liens familiaux avec les deux parents, même si les ex-conjoints ne considèrent plus faire partie de la même famille). De plus, ni le fait d'avoir des relations sexuelles actives, ni l'ex- clusivité des contacts sexuels ne peuvent être consi- dérés comme des paramètres.
Le Tribunal a conclu que le Conseil du Trésor et le SCEPT avaient enfreint l'alinéa 10b) de la Loi en paraphant la convention collective. Quant au Secrétariat d'État, le Tribunal a conclu qu'il n'avait commis aucun acte discriminatoire prohibé par l'alinéa 7b) en refusant d'accorder le congé de deuil, dans la mesure il s'était limité à appli- quer les dispositions de la convention dont a
découlé directement sa décision. Soit dit en pas- sant, le Tribunal n'a pas jugé «pertinent» que le Secrétariat d'État ait offert au plaignant de pren- dre une journée de congé spécial prévue par une autre disposition de la convention. De même, les agissements du SCEPT n'ont pas constitué un acte discriminatoire prohibé par le sous-alinéa 9(1)c)(ii). Il a été ordonné que le 3 juin 1985 soit désigné comme une journée de congé de deuil, que la journée de congé annuel utilisée pour justifier l'absence soit créditée au plaignant, que le Conseil du Trésor et le SCEPT versent tous deux au plaignant la somme de 250 $ pour atteinte à ses sentiments et à son amour-propre, et que la con vention collective soit appliquée, et modifiée, de façon que la définition de «conjoint de droit commun» (et, partant, de «proche famille») s'appli- que aux personnes du même sexe respectant les autres critères de la définition.
Comme je l'ai dit, le Tribunal a estimé que la question fondamentale à trancher était de savoir si l'expression «situation de famille» qui figure au paragraphe 3(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 2] de la Loi incluait la relation homosexuelle qu'entretiennent deux personnes. Étant donné cette approche et la conclusion du Tribunal, les parties ont été portées à définir la question principale soulevée dans le présent litige comme étant celle de savoir si le Tribunal avait commis une erreur en répondant par l'affirmative à cette question. J'en ferai autant et j'analyserai dans un premier temps cette question. Toutefois, il se trouve que je ne souscris pas à l'opinion du Tribunal voulant que la question qu'il a jugée fondamentale permette de solutionner la véritable question en litige; je tenterai de démontrer pour- quoi dans un deuxième temps. Mais avant d'enta- mer ces deux volets de mon analyse, j'aimerais traiter brièvement quelques questions connexes qui, bien que secondaires, sont trop importantes pour qu'on en fasse abstraction.
Quelques questions secondaires
1. Le requérant a soutenu devant le Tribunal, puis devant nous, que l'intimé ne pouvait pas parler de discrimination parce qu'on lui avait offert une journée de congé payé, offre qu'il a choisi de rejeter. Comme je l'ai déjà expliqué, cette offre était fondée sur une disposition de la conven tion collective qui donnait à l'employeur le pouvoir
discrétionnaire d'accorder à un employé un congé payé à des fins autres que celles indiquées dans la convention; l'intimé a pour sa part estimé qu'un avantage accordé selon le bon vouloir de l'em- ployeur n'équivalait pas à un droit.
Il est vrai que si l'intimé avait accepté l'offre de son employeur, il n'aurait pas été défavorisé et on ne lui aurait imposé aucun fardeau, devoir ou désavantage particulier, facteurs qui sont l'essence même de la discrimination. Le problème aurait été résolu en appliquant une autre disposition de la convention collective, mais le résultat n'aurait pas été différent. Le préjudice qu'a subi l'intimé a résulté de sa propre faute, pour ainsi dire. Je suis donc disposé à affirmer que, pour cette seule raison, la plainte formée contre l'employeur aux termes de l'alinéa 7b) de la Loi n'est pas fondée. D'après le libellé de cet alinéa, que je cite à nouveau par souci de commodité, il semble qu'un véritable acte discriminatoire doive avoir été commis:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
Nous savons toutefois que la responsabilité de l'employeur aux termes de l'alinéa 7b) n'a pas été retenue parce qu'il s'est contenté d'appliquer les dispositions de la convention collective. Cette explication n'est pas très convaincante, car un acte demeure discriminatoire et, comme tel, illicite, qu'il soit ou non prévu par une convention collec tive. Quoi qu'il en soit, l'application de l'alinéa 7b) de la Loi est maintenant écartée. La décision contestée a motivé la plainte formée contre le Conseil du Trésor et le SCEPT aux termes de l'alinéa 10b) de la Loi; de toute évidence, la portée de cet alinéa ne se limite pas aux cas de discrimi nation véritable. Je le cite à nouveau:
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em- ployeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
Le Conseil du Trésor a été tenu responsable parce qu'il a paraphé la convention collective avec le SCEPT, et l'indemnité versée à l'intimé pour atteinte à son amour-propre a résulté de la struc ture de la convention plutôt que de son application.
Cet argument n'a donc aucun rapport avec la question dont nous sommes saisis.
2. Certains intervenants ont soulevé une ques tion particulière découlant du fait que les obsèques auxquelles l'intimé a assisté n'étaient pas celles de M. Popert, mais celles du père de ce dernier. La convention ne définit pas, ont-ils dit, le terme «father-in-law» (beau-père) qui est employé pour décrire l'une des personnes auxquelles s'applique la notion de «proche famille». Selon eux, le sens ordinaire de ce terme (et ils ont insisté sur les mots anglais «in-law») ne désigne que le père d'un époux. Pour étayer cet argument, ils ont fait valoir que la disposition incluait expressément l'enfant du conjoint de droit commun dans la définition du terme «enfant», et qu'il n'en allait pas de même pour le terme «beau-père». On se souviendra que l'expression «proche famille» est ainsi définie:
... le père, la mère, le frère, la soeur, le conjoint (y compris le conjoint de droit commun demeurant avec l'employé), l'enfant propre de l'employé (y compris l'enfant du conjoint de droit commun) ou l'enfant en tutelle de l'employé, le beau-père, la belle-mère et tout parent demeurant en permanence au foyer de l'employé ou avec qui l'employé demeure en permanence.
J'aurai l'occasion un peu plus loin d'exprimer une réserve sur l'empressement avec lequel le Tri bunal est passé de la conclusion voulant que MM. Mossop et Popert constituent une famille à celle voulant qu'ils doivent être considérés comme des conjoints de droit commun. Je conviens aussi que c'est pour le moins hâtivement que le Tribunal a tenu pour acquis, sans pousser plus loin son ana lyse, que le terme beau-père devait s'appliquer au père d'un conjoint de droit commun. Toutefois, je ne crois pas qu'il se soit trompé à cet égard.
Comme nous l'avons vu, la convention précise que le terme «conjoint» englobe le «conjoint de droit commun» («le conjoint (y compris le conjoint de droit commun)»). Si le sens ordinaire du terme «beau-père» désigne la relation entre ce dernier et un époux, il devrait aussi désigner, dans le contexte de cette disposition, la relation avec un conjoint de droit commun. Il n'y a pas raison de dire que la relation qu'entretiennent des époux est identique à
celle qu'entretiennent des conjoints de droit commun, si l'on doit établir une distinction au niveau de la relation entre les membres de ces deux groupes et leurs parents respectifs. Qui plus est, même si l'on avait eu l'intention de faire une telle distinction dans la convention, il se serait agi d'un acte discriminatoire fondé sur l'état matrimonial, compte tenu de la conclusion de cette Cour dans l'arrêt Schaap c. Forces armées canadiennes, [1989] 3 C.F. 172. Quoi qu'il en soit, il me suffira de dire, pour clore la discussion à ce sujet, que l'interprétation de la convention qu'a implicite- ment choisie le Tribunal est au moins aussi raison- nable que celle proposée par les intervenants, et qu'il n'y a pas lieu de la modifier.
3. Un autre point, qui n'a été soulevé par aucune partie, mérite certains commentaires. Le Tribunal a, encore une fois sans faire d'analyse, tenu pour acquis qu'un congé de deuil faisait partie des droits protégés par l'alinéa 10b) de la Loi. À la page 72 de ses motifs, il dit simplement que [TRADUCTION] «le Tribunal est d'avis qu'un congé de deuil est une "chance d'emploi", selon le sens que donne à cette expression [l'alinéa] 10b) de la Loi».
Il pourrait être utile de citer à nouveau cet alinéa, en français et en anglais, et d'en souligner les passages pertinents:
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em- ployeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
Avait-on l'intention de faire en sorte que tout avantage découlant d'un emploi soit perçu comme une chance d'emploi ou d'avancement? J'en doute sérieusement. Chose certaine, la version française et, irais-je même jusqu'à dire, la version anglaise suggèrent un sens plus restreint, à savoir que seuls l'engagement et les promotions étaient visés. Une telle limitation ne serait pas sans fondement, si l'on se rappelle que l'article 10, contrairement aux articles 7 et 9, ne s'applique pas seulement à la discrimination véritable, mais aussi à la discrimi nation éventuelle; par conséquent, il nécessite que
l'on fasse une analyse plus globale et plus appro- fondie de l'objet et de l'incidence des mesures et des ententes générales, au lieu de s'en tenir à une simple évaluation d'une situation de fait donnée.
Comme je l'ai dit, ce point n'a pas été soulevé par les parties et n'a pas été repris par elles après que la Cour l'eut soulevé durant l'audition de la demande; il serait donc inopportun ou, du moins, peu satisfaisant, de le laisser influencer le débat maintenant. Je ne voulais toutefois pas que mon silence soit interprété comme un aval de la conclu sion hâtive du Tribunal.
La question jugée fondamentale
Le Tribunal s'est-il trompé en concluant que l'expression «situation de famille» employée dans la Loi comprenait la relation homosexuelle qu'entre- tiennent deux personnes?
J'ai dit précédemment que toutes les parties s'entendaient sur la définition et la formulation de la question. Pas tout à fait, en réalité. L'avocat de la Commission aurait apporté une précision: en effet, il aurait ajouté aux mots «s'est-il trompé» les mots «d'une manière manifestement déraison- nable». Selon lui, le critère applicable pour la révision de l'interprétation du Tribunal devrait être celui qu'a énoncé la Cour suprême du Canada dans les arrêts Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et autres, [1975] 1 R.C.S. 382; et Banque Nationale du Canada c. Union internationales des employés de commerce et autre, [ 1984] 1 R.C.S. 269. Je ne suis pas de cet avis. Dans ces deux arrêts, et dans d'autres cas la Cour suprême a pareillement restreint l'exercice du pouvoir d'intervention des tribunaux de juridic- tion supérieure aux cas la décision était mani- festement déraisonnable, les tribunaux avaient agi sous la protection spéciale de clauses privatives. Il n'y a pas de clause semblable qui protège les décisions d'un tribunal des droits de la personne. Lorsqu'on analyse une décision, il est parfois diffi- cile de discerner la question de droit parmi les faits en litige, afin de voir comment le tribunal l'a traitée, sans s'immiscer dans les conclusions de fait qui, elles, ne sont pas susceptible d'être révisées. Mais les faits en l'espèce sont clairement établis, et il n'y a pas de risque de les confondre avec la question d'interprétation dont nous sommes saisis,
qui relève strictement du droit. Si le Tribunal n'a pas correctement répondu à la question, quelque compréhensible qu'ait pu être son erreur, la Cour se doit d'intervenir.
Si je saisis bien les motifs du Tribunal, sa conclusion voulant que l'expression «situation de famille» comprenne les couples homosexuels découle d'un raisonnement fondé sur les trois pré- misses suivantes: a) la Cour suprême a indiqué que la même approche guidée par la raison d'être de la loi adoptée pour l'interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] doit aussi s'appliquer aux codes des droits de la personne; b) il y a un problème d'interprétation en ce qui a trait à la définition qu'on doit donner au terme «famille» employé dans la Loi; et c) pour résoudre ce problème d'interprétation, on ne doit pas tenter de trouver la définition raisonnable, mais simplement une définition raisonnable et, à cet égard, la définition fonctionnelle donnée par la sociologie est, compte tenu de l'objectif à attein- dre, tout à fait acceptable. J'ai de la difficulté à souscrire à ces trois prémisses.
a) Il est parfaitement vrai que dans les célèbres arrêts sur lesquels le Tribunal s'est appuyé (O'Malley, Bhinder, Action Travail des Femmes, et Robichaud'), la Cour suprême a déclaré que les lois sur les droits de la personne étaient de nature quasi-constitutionnelle. Mais la Cour a dit cela pour situer ces lois par rapport à d'autres textes de loi et pour en souligner la prééminence. Il est aussi parfaitement vrai que les mots «large» et «selon l'objet de la loi», qui sont régulièrement employés pour qualifier l'interprétation qu'il convient de donner à la Charte, ont parfois été utilisés pour décrire l'approche adoptée dans des causes soule- vant des difficultés d'interprétation de lois relatives aux droits de la personne. Mais ces assertions, dont le point de référence est souvent l'énonciation, au
Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer natio- naux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561; Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer natio- naux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84.
début des lois sur les droits de la personne, des buts et objectifs visés, n'ont pas encore été utilisées aux fins de transformer ou déplacer ce point de référence précis constitué de l'énumération d'un nombre déterminé de motifs de distinction illicite. Quoi qu'il en soit, la Loi d'interprétation n'exige- t-elle pas que tous les textes de loi reçoivent une interprétation large et libérale qui soit compatible avec la réalisation de leur objet 2 ?
D'après ce que je comprends de ces décisions de la Cour suprême, la principale raison pour laquelle la Charte a être interprétée d'une manière très spéciale, plus particulièrement sans qu'on accorde le même respect aux intentions historiques des rédacteurs et des législateurs, c'est qu'en raison des difficultés associées à la modification de la Constitution, les dispositions de celle-ci pourraient ne pas évoluer au même rythme que la conception qu'a la société des valeurs fondamentales qui la sous-tendent et, partant, devenir désuètes et ne plus pouvoir jouer le rôle qui leur a été dévolu (voir à ce sujet les remarques du juge Dickson [tel était alors son titre] dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la page 155). Le problème ne se pose évidemment pas avec les lois sur les droits de la personne, qui peuvent être modifiées comme n'importe quel texte de loi.
Il ne fait aucun doute que les tribunaux, lors- qu'ils sont appelés à interpréter les dispositions d'une loi sur les droits de la personne, devraient agir aussi libéralement et «bravement» que possi ble, et ne pas oublier que sont souvent en jeu les intérêts de groupes «impopulaires» qu'il faut défen- dre contre des opinions majoritaires. Je pense tou- tefois que si les tribunaux décidaient alors d'appli- quer à ces lois l'approche interprétative de «l'arbre vivant» pour discerner de nouveaux motifs de dis tinction illicite, ou pour redéfinir le sens que l'on donnait dans le passé à des motifs existants, ils déborderaient le cadre de leurs responsabilités constitutionnelles, usurpant ainsi la fonction du Parlement.
b) Je ne vois pas comment on peut dire que le mot «famille» a un sens si incertain, si nébuleux et
2 Je fais évidemment allusion à l'article 12 de la Loi d'inter- prétation, L.R.C. (1985), chap. 1-21:
12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.
si équivoque qu'il faille constamment le soumettre à l'interprétation des tribunaux lorsqu'il est employé dans un contexte juridique. Ne doit-on pas admettre que, fondamentalement, ce mot a toujours désigné un groupe de personnes ayant des gènes et des ancêtres communs et unies par les liens du sang? Cette notion fondamentale peut être étendue à différents degrés puisque l'ancêtre commun peut être choisi plus ou moins loin parmi les générations et que, de nos jours, on considère généralement que font partie de ce groupe des personnes rattachées entre elles par leurs affinités ou par l'adoption, ce qui est devenu tout à fait normal parce qu'on a fait du mariage le seul moyen socialement acceptable d'agrandir et de perpétuer le groupe, et de l'adoption une imitation juridiquement admise de la filiation naturelle. Quoi qu'il en soit, cela ne modifie en rien le sens premier de ce mot. Il est vrai que ce terme est aussi l'objet d'emplois analogiques qui peuvent être discutables et demeureront susceptibles de change- ments (d'où l'absence de complète uniformité totale des dictionnaires). Mais tant et aussi long- temps que ces emplois analogiques seront claire- ment considérés pour ce qu'ils sont sur le plan sémantique, c'est-à-dire des emplois par analogie, la zone grise qu'ils créent restera assez secondaire et ne devrait pas nous induire en erreur.
c) Il m'est impossible d'admettre que le terme «famille» ait un caractère si vague que sa significa tion dans la Loi puisse varier selon le contexte et doive par conséquent être établie en fonction d'un objectif à atteindre dans un cas donné, sous réserve seulement d'une notion nébuleuse de caractère rai- sonnable. J'aurais pensé que pour pouvoir jouer le rôle de guide qui lui a été attribué, la loi mériterait d'être clarifiée, au besoin, de façon plus définitive. Par contre, je ne comprends pas exactement ce que l'on veut dire quand on parle de prendre une approche fonctionnelle ou sociologique pour arri- ver à définir le terme «famille», et je ne sais pas encore à quelle définition cette approche aurait nous mener. Il me semble que le Tribunal a sim- plement pris certains attributs habituels d'une famille comme l'amour réciproque que se portent ceux qui en font partie, l'aide mutuelle, la cohabi tation, le soutien émotif, le partage des tâches domestiques et les relations sexuelles, et les a considérés comme l'essence même de la famille. À
mon avis, il y a une différence entre le fait d'être, à certains égards, fonctionnellement semblable à une famille, et le fait d'être une famille.
À ces sérieuses réserves que je fais sur les pré- misses du Tribunal s'ajoute le fait qu'il s'agit d'une approche qui ne tient tout simplement pas compte du fait que le terme «famille» n'est pas employé seul dans la Loi, mais qu'il est associé au mot «status» dans la version anglaise. À mes yeux, «status» est d'abord et avant tout une notion juri- dique qui désigne la position spécifique d'une per- sonne par rapport aux droits dont elle jouit et aux restrictions dont elle est l'objet du fait de son appartenance à un groupe juridiquement reconnu et réglementé. Je ne vois pas comment une approche autre que l'approche juridique peut mener à une compréhension correcte de ce que signifie l'expression «family status». Même si nous devions convenir que deux amants homosexuels peuvent constituer «sociologiquement parlant» une sorte de famille, ce n'est certainement pas une famille qui, juridiquement parlant, confère à ses membres des obligations et des droits spéciaux.
Je n'oublie pas que dans l'arrêt Schaap c. Forces armées canadiennes (précité), cette Cour a conclu, dans une décision majoritaire, que l'expression «état matrimonial» employée dans la Loi compre- nait la condition de célibataire' et, par conséquent, ne désignait pas nécessairement la situation juridi- que d'une personne en tant que membre d'un groupe. J'imagine toutefois que personne n'oserait analyser l'expression «situation de famille» de la même façon et prétendre qu'elle signifie le fait d'être ou de ne pas être membre d'une famille ou d'être ou de ne pas être apparenté à une autre personne. Pousser le raisonnement à ce point con- duirait à dire que l'employé à qui l'on refuse d'accorder un congé pour assister aux obsèques d'une personne qui ne lui est pas apparentée serait victime d'un acte discriminatoire fondé sur sa «si- tuation de famille».
3 Comme l'ont expressément déclaré deux législatures provin- ciales dans le cadre de leurs codes des droits de la personne respectifs: la Saskatchewan (alinéa l a) du Règl. 216/79 adopté sous le régime du Code [The Saskatchewan Human Rights Code], S.S. 1979, chap. S-24.1) et l'Ontario (alinéa 9g) du Code [Code des droits de la personne, 1981], L.O. 1981, chap. 53).
Je n'oublie pas non plus que la version française du paragraphe 3(1) ne parle pas de «statut fami lial», mais de «situation de famille». Il convient toutefois de noter que c'est précisément afin d'ex- primer en anglais ce que la version française disait déjà que la Loi a été modifiée en 1983 (S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 2) 4 ; par consé- quent, on doit considérer que la version anglaise exprime la notion qui est sous-jacente dans les mots utilisés en français.
En résumé, le raisonnement du Tribunal m'ap- paraît tout simplement inacceptable. Le Tribunal n'a pas le pouvoir d'écarter la signification géné- ralement donnée au mot «famille» et d'y substituer, au moyen d'une approche volontairement ponc- tuelle, une signification qui ne convient pas au contexte dans lequel ce mot est employé et qui, de toute évidence, ne correspond pas à l'intention qu'avait le législateur lorsqu'il a incorporé ce mot dans la Loi, comme en témoigne l'historique légis- latif de la modification'.
La véritable question en litige
J'irais même jusqu'à dire qu'à mon avis, le Tribunal n'avait pas le droit de trancher la plainte comme il l'a fait, en concluant simplement qu'un couple homosexuel comme celui que formaient M. Popert et l'intimé entretenait effectivement une «relation familiale». Évidemment, une réponse négative à la question de savoir s'ils formaient une famille aurait été déterminante, mais une réponse affirmative ne l'était pas. Selon moi, les assises nécessaires de la plainte étaient à la fois plus spécifiques et plus fondamentales que celles qu'a reconnues le Tribunal.
Elles étaient plus spécifiques pour la raison sui- vante. La convention collective traitait de la proche famille et précisait qui en faisait partie. La seule relation familiale qui était visée par la con vention, mise à part la relation familiale concer- nant directement l'employé (ses parents ou ses
° L'expression «marital status„ était jusqu'à ce moment le seul motif mentionné dans la version anglaise et l'on a jugé que cette expression avait un sens plus restreint que l'équivalent français «situation de famille».
5 Voir les Procès-verbaux et témoignagnes du Comité per manent de la justice et des questions juridiques, fascicule 114, 20 décembre 1982, dont des extraits sont cités dans la
décision du Tribunal, aux p. 39 43, Dossier d'appel, p. 325 à 329.
enfants), était celle qui mettait en cause son con joint (c'est-à-dire le beau-père de l'employé). Le plaignant devait donc établir que non seulement son amant était un membre de sa famille, mais qu'il était aussi son conjoint. Il faut évidemment supposer que, dans l'esprit du Tribunal, ce couple homosexuel formait une famille parce que les deux hommes entretenaient une relation conjugale. Tou- tefois, il me semble qu'il aurait fallu faire une analyse plus spécifique que celle fondée sur les attributs généraux d'un groupe familial. J'ai déjà dit qu'à mon sens, c'était par extension seulement qu'un conjoint était inclus dans la notion de famille, et que c'était seulement parce qu'il était au commencement d'une nouvelle branche du groupe familial élargi et probablement à l'origine d'une nouvelle unité familiale. Si mon raisonne- ment est correct, l'analyse du Tribunal est alors loin d'être exacte.
Non seulement les assises de la plainte étaient- elles plus spécifiques qu'on ne l'a reconnu, elles étaient aussi plus fondamentales. En effet, si l'on devait admettre qu'un couple homosexuel constitue une famille au même titre que des époux, il devient alors évident que le désavantage pouvant découler du refus de traiter ce couple comme un couple hétérosexuel est inextricablement lié à l'orientation sexuelle des deux partenaires. C'est l'orientation sexuelle qui a amené le plaignant à entretenir une «relation familiale» (pour employer l'expression de l'experte en sociologie) avec M. Popert; c'est donc l'orientation sexuelle qui l'a empêché de faire reconnaître sa situation de famille par rapport à son amant et au père de celui-ci. En dernière analyse, c'est l'orientation sexuelle qui est le véri- table motif de distinction illicite en l'espèce.
Mais ne pourrait-on pas dire, à ce stade-ci, que même si l'orientation sexuelle ne figure pas parmi les motifs de distinction illicite énumérés dans la Loi, il pourrait quand même s'agir, selon les arrêts Veysey c. Canada (Commissaire du Service cor- rectionnel), [1990] 1 C.F. 321 (ire inst.) (confirmé pour d'autres motifs par la Cour d'appel le 31 mai 1990, du greffe A-557-89) et Brown v. B.C. (Min. of Health) (1990), 42 B.C.L.R. (2d) 294 (C.S.), d'une forme de discrimination prohibée par l'article 15 de la Charte, ce qui prouverait la justesse de la conclusion du Tribunal puisque ce
serait la seule application de l'expression «situation de famille» qui respecte la Charte.
Je ne pense pas que la Charte soit susceptible d'être utilisée comme une sorte de mécanisme d'amendement législatif ipso facto exigeant l'in- corporation des principes qui la sous-tendent dans les lois sur les droits de la personne en étirant le sens des mots au-delà de leurs limites.
En premier lieu, les codes des droits de la per- sonne s'appliquent à des aspects du domaine privé de la vie économique qui ne sont pas volontiers considérés comme relevant de la Charte. Il se peut bien que les législatures qui ont adopté la Charte aient voulu se soumettre, ainsi que le pouvoir exécutif, à une norme de conduite plus sévère que celle à laquelle ils auraient décidé de soumettre la population en général.
Bien entendu, cette remarque ne s'applique pas à des situations une partie privée invoque un pouvoir attribué par un texte de loi, qu'il s'agisse d'un loi ou d'un règlement, ou s'appuie sur lui, pour entraîner la violation des droits d'un tiers qui sont garantis par la Charte (voir les remarques du juge McIntyre dans l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, aux pages 602 et 603, à propos de la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Re Blainey and Ontario Hockey Association et al. (1986), 54 O.R. (2d) 513. Ma remarque s'applique plutôt à l'assertion voulant que la Charte prétende restructurer le cadre juridique global dans lequel s'inscrivent les rapports privés.
On pourrait prétendre que cette remarque, bien que pertinente lorsque toutes les parties concernées agissent à titre privé, ne tient cependant pas compte du fait qu'ici, nous sommes saisis d'une convention collective dont au moins l'un des co- auteurs est visé par la notion de gouvernement qui figure à l'article 32 de la Charte. Si l'on analyse la question sous cet angle, il convient simplement d'ajouter que celui qui prétend qu'un mandataire du gouvernement a conclu une entente qui viole les droits qui lui sont garantis par la Charte doit le faire en dehors du cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, à moins que la Loi n'interdise spécifiquement la violation en question.
En second lieu, la Charte prévoit à son article premier un mécanisme général de pondération qui
n'existe pas dans les codes des droits de la per- sonne. Pour étayer leur argument voulant que l'on doive rattacher la législation sur les droits de la personne à la Charte, l'intimé et la Commission se sont appuyés sur un extrait des motifs qu'a pro- noncés le juge McIntyre dans l'arrêt Andrews c.
Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, la page 176:
Bien que la discrimination au sens du par. 15(1) soit de même nature et corresponde sur le plan de sa description au concept de discrimination élaboré sous le régime des lois sur les droits de la personne, une autre étape devra être franchie pour décider si des lois discriminatoires peuvent être justifiées en vertu de l'article premier. Il appartiendra à l'État d'établir cela. Il s'agit d'une étape distincte nécessaire en vertu de la Charte et que l'on ne trouve pas dans la plupart des lois sur les droits de la personne parce que dans ces lois la justification de la discrimi nation réside généralement dans des exceptions aux droits fondamentaux.
Selon moi, cet extrait fait pencher la balance de mon côté. Ces exceptions particulières (p. ex. les exigences professionnelles justifiées) figurent dans la législation sur les droits de la personne parce qu'elles ont été prises en considération par les législatures et fort probablement aussi parce qu'el- les sont le fruit d'un compromis politique obtenu par le biais du processus démocratique. Si les tribunaux commencent à voir dans ces lois des significations qui n'avaient pas été envisagées au motif qu'on a conclu dans des décisions portant sur la Charte que ces significations constituaient des «motifs analogues» au sens de l'article 15, il n'y aura pas d'analyse fondée sur l'article premier ni d'occasion d'établir les exceptions spécifiques aux droits fondamentaux dont parlait le juge McIn- tyre.
Contrairement à d'autres législatures 6 , le Parle- ment n'a pas inclus l'orientation sexuelle dans les motifs de distinction illicite prévus par la Loi canadienne sur les droits de la personne. C'est toutefois ce qu'a recommandé le comité parlemen- taire sur les droits à l'égalité de la Chambre des communes, et cette recommandation pourrait avoir des suites. Mais pour l'instant, la Loi est muette à ce sujet, et je n'estime pas approprié que des tribunaux anticipent sur le processus législatif.
Ma conclusion générale sera claire: je pense, en toute déférence, que pour accueillir la plainte de l'intimé, le Tribunal a non seulement donner à
6 Le Québec, le Manitoba et le Yukon.
l'expression «situation de famille» une signification qu'elle n'a pas, mais a aussi fonder sa conclu sion à cet égard sur une conséquence qui n'en découlait pas logiquement.
J'accueillerais la demande fondée sur l'article 28 et j'annulerais la décision du Tribunal des droits de la personne datée du 5 avril 1989 qui reconnaissait le bien-fondé de la plainte de l'intimé.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je suis d'accord avec la conclusion de mon collègue le juge Marceau, ainsi qu'avec les motifs qu'il donne, sous réserve des précisions que j'apporte dans les brefs motifs qui suivent. Je me limiterai à trois aspects de l'affaire.
Bien qu'il puisse ne pas être approprié de recou- rir à l'historique de la loi pour tenter d'attribuer un sens particulier à l'expression «situation de famillle», l'on peut tout de même y recourir afin de découvrir la situation ou l'abus que le Parlement a voulu réformer à l'époque cette expression a été adoptée'. L'objectif que visait le Parlement lors- qu'il a ajouté les expressions «family status» et «état matrimonial» aux motifs de distinction illicite qui figuraient déjà au paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne', est particulièrement important lorsqu'il s'agit de se prononcer sur le bien-fondé de la décision contes- tée 9 . Avant l'adoption de cette modification le ler juillet 1983, la version anglaise originale de la Loi comprenait seulement l'expression «marital status», tandis que la version française originale ne comprenait que l'expression «situation de famille». Cette modification semble avoir eu pour objet de niveler une différence entre les deux versions.
Voir p. ex Babineau et al. v. Babineau et al. (1981), 32 O.R. (2d) 545 (H.C.); conf. en appel (1982), 37 O.R. (2d) 527 (C.A.).
8 Ce paragraphe, qui a été modifié, dispose que:
3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de la personne graciée ou la déficience.
9 De fait, le Tribunal a tenu compte de l'historique législatif de la modification: Décision du Tribunal, Dossier d'appel, vol.
3, aux p. 326à 329.
Lorsqu'il a comparu devant le Comité perma nent de la Chambre des communes qui étudiait la modification proposée, le ministre de la Justice de l'époque a attiré l'attention sur la situation décrite ci-dessus et a fait la remarque suivante au sujet de la notion de «family status» (situation de famille) dont on proposait l'adoption:
... il s'agit ici d'interdire toute discrimination fondée sur les relations entre les personnes par suite d'un mariage, de la consanguinité ou de l'adoption légale. Cela inclut les relations ancestrales, qu'elles soient légitimes, illégitimes ou adoptives, de même que les relations entre les conjoints, les enfants, les liens par alliance, les oncles ou les tantes, les neveux ou les nièces, les cousins, etc. Il incombera à la Commission, aux tribunaux qu'elle nommera et en dernier ressort, aux tribunaux, d'établir dans chacun des cas la signification de ces notions 10 .
Le ministre a aussi précisé que le gouvernement de l'époque avait décidé de ne pas inclure dans la Loi «l'orientation sexuelle» comme motif de distinction illicite".
À mon avis, ce témoignage indique clairement que le Parlement avait l'intention de limiter ce nouveau motif de distinction illicite de façon à ne pas inclure la discrimination fondée sur l'orienta- tion sexuelle. Le Parlement est évidemment libre d'apporter d'autres modifications à la Loi 12 , mais dans l'intervalle, il n'est pas du ressort de cette Cour de faire ce que seul le Parlement peut faire. Nous nous intéressons en l'espèce à l'interprétation de l'expression «situation de famille», pas à la sagesse qui sous-tend la décision du Parlement de ne pas inclure l'orientation sexuelle comme motif de distinction illicite.
Deuxièmement, comme on ne nous demande pas dans le présent litige de déterminer si cette expres sion inclut ou exclut les unions de fait, je préfère laisser cette question en plan pour l'instant. Je désire simplement souligner qu'une union de fait désigne une relation qui existe entre deux person- nes de sexe opposé, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
10 Comité permanent de la justice et des questions juridiques,
Procès-verbaux et témoignagnes, fascicule 114, la p. 17. (Dossier d'appel, volume 3, p. 326.)
'1 Ibid., aux p. 19-20 (Dossier d'appel, volume 3, p. 329).
'' Comme on l'a recommandé dans le Rapport du Comité parlementaire sur les droits à l'égalité: Égalité pour tous d'octobre 1985. Cette recommandation préconise l'inclusion dans la Loi de «l'orientation sexuelle, comme motif de distinc tion illicite.
Finalement, il semblerait que l'argument vou- lant que [TRADUCTION] «les dispositions de la Charte l'emportent sur les dispositions incompati bles des lois sur les droits de la personne»" soit étayé par des arrêts 14 . Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] précise que «[la Constitution du Canada] rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit». Il convient toutefois de préciser, à ce moment-ci, qu'aucune partie n'a tenté de démon- trer l'incompatibilité des dispositons de la Loi avec celles de la Charte canadienne des droits et libertés.
Le point que l'on fait valoir est le suivant: la Loi et la Charte sont intimement liées et elles com- mandent une interprétation de l'expression «situa- tion de famille» qui [TRADUCTION] «fasse en sorte que ni les hommes et ni les femmes homosexuels ne soient pas victimes d'une discrimination fondée sur leur orientation sexuelle» 15 . Les dispositions de la Charte, soutient-on, [TRADUCTION] «doivent être utilisées comme une règle d'interprétation des lois»' 6 • Plus précisément, l'avocat prétend que l'orientation sexuelle a été considérée comme un motif de discrimination non énuméré au sens de l'article 15 de la Charte'', que le fait de limiter l'application de l'expression «situation de famille» à des partenaires de sexe opposé serait discrimina- toire puisqu'on refuserait à des partenaires du même sexe des chances d'emploi qui sont accor- dées à des partenaires de sexe opposé.
13 Paragraphe 24 du mémoire des intervenants Equality for Gays and Lesbians Everywhere, Fédération canadienne des droits et libertés, Association nationale de la femme et le droit, Conseil canadien des droits des personnes handicapées et Comité national d'action sur le statut de la femme.
14 Voir p. ex. Re Blainey and Ontario Hockey Association et al. (1986), 54 O.R. (2d) 513 (C.A.), dont it est question dans SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [ 1986] 2 R.C.S. 573, aux p. 601 à 603.
15 Op. cit., para. 29.
' 6 Ibid., para. 31.
" Veysey c. Canada (Commissaire du Service correctionnel), [1990] 1 C.F. 321 (1" inst.), confirmée par la Cour d'appel pour d'autres motifs le 31 mai 1990 (n° du greffe: A-557-89); Brown v. B.C. (Min. of Health) (1990), 42 B.C.L.R. (2d) 294 (C.S.).
Je reconnais que les lois sur les droits de la personne doivent être interprétées, dans toute la mesure possible, d'une manière qui soit conforme aux dispositions de la Charte et à l'interprétation qui lui est donnée, mais je ne puis admettre que la Charte oblige les tribunaux à attribuer à une expression employée dans une loi une signification qu'on n'avait pas l'intention de lui attribuer. Si cette expression, interprétée comme je pense qu'elle devrait l'être, est jugée incompatible avec les dispositions de la Charte, c'est alors la constitu- tionnalité de cette expression qui doit être contes- tée si l'on veut que la Charte puisse jouer un rôle dans le règlement du litige. Comme j'ai déjà conclu que l'expression «situation de famille», telle qu'elle est employée dans la Loi, ne comprend pas l'orientation sexuelle comme motif de distinction illicite, je ne vois pas comment la Charte peut venir en modifier l'interprétation. On ne soulève pas dans le présent appel la question de savoir si le fait de ne pas avoir inclus «d'orientation sexuelle» dans les motifs de distinction illicite énumérés au paragraphe 3(1) de la Loi contrevient à un droit garanti par la Charte, et je m'abstiendrai de faire tout commentaire à ce sujet.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.