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A-618-89
Berl Baron (appelant) c.
Sa Majesté la Reine et le procureur général du Canada et l'honorable Otto Jelinek en qualité de ministre du Revenu national (intimés)
A-619-89
Berl Baron et Howard Baron, C.A. (appelants) c.
Sa Majesté la Reine et le procureur général du Canada et l'honorable Otto Jelinek en qualité de ministre du Revenu national (intimés)
A-620-89
Berl Baron (appelant) c.
Sa Majesté la Reine et le procureur général du Canada et l'honorable Otto Jelinek en qualité de ministre du Revenu national (intimés)
A-621-89
Berl Baron et Howard Baron, C.A. (appelants) c.
Sa Majesté la Reine et le procureur général du Canada et l'honorable Otto Jelinek en qualité de ministre du Revenu national (intimés)
RÉPERTORIÉ: BARON c. CANADA (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Hugessen, J.C.A.—Montréal, 6 novembre; Ottawa, 28 novembre 1990.
Impôt sur le revenu Saisies Les dispositions de l'art. 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant les perqui- sitions, fouilles et saisies sont de nature criminelle Elles sont inconstitutionnelles car elles violent les art. 7 et 8 de la Charte Les mandats décernés en application de celles-ci sont pas valides.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Les dispositions de l'art. 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant les perquisitions, fouilles et saisies portent atteinte à l'art. 8 de la Charte Elles ne satisfont pas aux critères exprès ou implicites établis
par la C.S.C. dans l'arrêt Southam relativement aux fouilles, perquisitions et saisies raisonnables parce qu'elles: (1) n'accor- dent pas un pouvoir discrétionnaire judiciaire de refuser de décerner le mandat de perquisition ou d'y ajouter des condi tions; (2) utilisent des termes qui réduisent les normes relatives à la probabilité de trouver des éléments de preuve.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Les dispositions de l'art. 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant les perquisitions, fouilles et saisies portent atteinte à l'art. 7 de la Charte car leur refus d'accorder un pouvoir discrétionnaire judiciaire est contraire aux princi- pes de justice fondamentale.
Pratique Communications privilégiées Le secret pro- fessionnel du comptable n'est pas protégé dans le cas des litiges concernant l'impôt sur le revenu fédéral.
Les perquisitions, fouilles et saisies ont été effectuées en vertu d'un mandat décerné en vertu de l'article 231.3 de la Loi, de l'impôt sur le revenu. La Section de première instance a rejeté les contestations relatives aux mandats eux-mêmes et à la validité de l'article en vertu duquel ils avaient été décernés.
Il s'agit d'un appel contre cette décision.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli, les mandats annulés et l'article 231.3 déclaré inopérant parce qu'il est incompatible avec les articles 7 et 8 de la Charte.
Les procédures en matière de perquisitions, fouilles et saisies autorisées par l'article 231.3 sont de nature criminelle. L'article vise la détection du crime et la poursuite des coupables. Rien de moins que la pleine protection offerte par la Charte était par conséquent convenable.
Les termes «Le juge ... décerne le mandat» dans le paragra- phe 231.3 excluent de façon précise toute discrétion en ce qui concerne la délivrance des mandats de perquisitions. Pour ce motif, cette disposition contrevient aux articles 7 et . 8 de la Charte puisqu'elle permet des fouilles, perquisitions ou saisies abusives et viole les principes de justice fondamentale.
Le terme anglais «shall» exprime normalement une obliga tion et devrait être interprété de cette manière à moins qu'une telle interprétation ne soit absolument incompatible avec le contexte dans lequel il a été employé et ne rende les articles irrationnels ou vides de sens. Il n'y a rien dans l'article qui indiquerait qu'il ne faut pas donner au terme «shall» son sens impératif normal. La Déclaration canadienne des droits ne peut non plus être utilisée pour valider, par interprétation, des textes législatifs qui ne satisfont pas par ailleurs aux critères de la Charte.
Le pouvoir de la Cour de contrôler l'utilisation abusive de ces procédures et d'ajouter des conditions à un mandat ne peut être invoqué. Si le paragraphe 231.3(3) comprend toutes les condi tions préalables à une perquisition, une fouille ou une saisie raisonnable, une requête qui satisfait à ces conditions ne peut être considérée comme abusive. De plus, si le terme «shall» doit recevoir son interprétation impérative normale, le juge n'a aucun pouvoir d'ajouter des conditions au mandat, en sus de celles spécialement énoncées dans la Loi.
L'exigence d'un pouvoir discrétionnaire autorisant le juge à refuser de décerner un mandat de perquisition et à ajouter des conditions à un mandat qui a été décerné, est implicite dans les critères de raisonnabilité énoncés par la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. à titre de condition préalable à une fouille, perquisition et saisie non abusive, conformément à l'article 8 de la Charte.
La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Descôteaux et autre c. Mierzwinski établit que l'imposition de conditions à un mandat de perquisition est un élément essentiel à l'exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire mais, de façon encore plus importante, que l'existence même de ce pouvoir est une condition préalable au caractère raisonnable de la perquisi- tion et à nos principes de justice fondamentale.
L'emploi de l'expression «motifs raisonnables de croire» au lieu de l'expression «raisonnable et probable» n'a pas de consé- quence. Dans cette expression, le mot «probable» n'ajoute rien. Comme le second membre de ces autres expressions juridiques anglaises consacrées, dont «null and void» (invalide), «good and valid» (valide), «last will and testament» (testament) le second mot de l'expression n'ajoute rien. Qui plus est, une analyse grammaticale du paragraphe 231.3(3) démontre qu'en fait le fardeau de la présentation du critère «plus probable qu'impro- bable» a été plus que satisfait.
En outre, sur le fondement de l'arrêt Southam, le texte de l'alinéa 231.3(3)b) (des documents ou choses qui peuvent cons- tituer des éléments de preuve) est insuffisant en vertu de la Charte et par conséquent inopérant: l'utilisation du mot «peu- vent» permet la délivrance d'un mandat de perquisition lors- qu'on a des motifs raisonnables de croire qu'il y a une simple possibilité de trouver des choses qui pourraient constituer des éléments de preuve de la perpétration d'un crime.
En ce qui a trait au paragraphe 231.3(5), cette Cour a déjà jugé dans l'affaire Solvent Petroleum qu'il remplit les critères du caractère raisonnable et de la validité. Il n'y a aucune raison valable de réexaminer cette conclusion.
Le secret professionnel du comptable n'est pas protégé dans le cas des litiges concernant l'impôt sur le revenu fédéral. La situation du secret professionnel de l'avocat est différente car il est nécessaire pour assurer l'administration appropriée de la justice, mais en l'espèce il n'y a eu aucune violation de ce privilège étant donné que la procédure convenable pour le protéger a été suivie pendant l'exécution des mandats.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7, 8.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 487, 487.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1e' suppl.), chap. 27, art. 69), 488 (mod., idem, art. 70).
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 487(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1" suppl.), chap. 27, art. 68).
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appen- dice III.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 231.3 (mod. par S.C. 1986, chap. 6, art. 121).
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), chap. I-21, art. 11. Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 10(3).
Loi sur les douanes, S.C. 1986, chap. 1, art. 111(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Solvent Petroleum Extraction Inc. c. M.R.N., [1990] 1 C.F. 20; (1989), 50 C.C.C. (3d) 182; 28 F.T.R. 79; 99 N.R. 22 (C.A.); Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; (1985), 19 D.L.R. (4th) 1; [1985] 4 W.W.R. 385; 35 Man.R. (2d) 83; 59 N.R. 321; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 141 D.L.R. (3d) 590; 70 C.C.C. (2d) 385; 28 C.R. (3d) 289; 1 C.R.R. 318; 44 N.R. 462.
DÉCISION NON SUIVIE:
Kourtessis v. M.N.R., [1990] 1 W.W.R. 97; (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 1; 50 C.C.C. (3d) 201; 72 C.R. (3d) 196; 89 DTC 5464 (C.A.C.-B.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; (1990), 76 C.R. (3d) 283.
DÉCISIONS CITÉES:
Knox Contracting Ltd. c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 338; (1990), 110 N.R. 171; Julius v. Bishop of Oxford (1880), 5 App. Cas. 214 (H.L.); Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535; (1984), 13 D.L.R. (4th) 706; 12 C.R.R. 45; [1984] CTC 506; 84 DTC 6478; 55 N.R. 255 (C.A.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Goguen v. Shannon (1989), 50 C.C.C. (3d) 45 (C.A.N.—B.); Nima v. McIn- nes, [1989] 2 W.W.R. 634; (1988), 32 B.C.L.R. (2d) 197; 45 C.C.C. (3d) 419 (C.S.C.-B.); Canada v. Aqua- rius Computer (1989), 2 T.C.T. 4531 (H.C. Ont.).
DOCTRINE
Robert, Paul Dictionnaire alphabétique et analogique de
la langue française Paris: Le Robert, 1982, «probable». Shorter Oxford English Dictionary, vol. II, 3rd rev. ed.
Oxford: Clarendon Press, 1968, «probable».
AVOCATS:
Guy Du Pont et André Serero pour les
appelants.
Pierre Loiselle, c.r. pour les intimés.
PROCUREURS:
Phillips & Vineberg, Montréal, pour les appelants.
Le sous-procureur général du Canada, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Introduction
Il s'agit de quatre appels de jugements de la Section de première instance [[1990] 2 C.F. 262] qui ont rejeté une série de contestations de perqui- sitions, fouilles et saisies effectuées en vertu d'un mandat décerné aux termes de l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63 (mod. par S.C. 1986, chap. 6, art. 121)]. Trois des actions devant la Section de première instance attaquaient la validité des mandats eux- mêmes tandis que la quatrième demandait que les dispositions législatives en vertu desquelles les mandats avaient été décernés soient déclarées invalides. Elles soulevaient toutes les mêmes ques tions et la Section de première instance les a traitées dans les mêmes motifs. Il convient de procéder de la même façon devant cette Cour.
Pour faciliter la compréhension du litige, je reproduis ici au complet le texte législatif en vertu duquel les mandats ont été décernés et qui est au coeur de la présente contestation:
231.3 (1) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut décerner un mandat écrit qui autorise toute personne qui y est nommée à pénétrer dans tout bâtiment, contenant ou endroit et y perquisitionner pour y chercher des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpétration d'une infraction à la présente loi, à saisir ces documents ou choses et, dès que matériellement possible, soit à les apporter au juge ou, en cas d'incapacité de celui-ci, à un autre juge du même tribunal, soit à lui en faire rapport, pour que le juge en dispose conformément au présent article.
(2) La requête visée au paragraphe (1) doit être appuyée par une dénonciation sous serment qui expose les faits au soutien de la requête.
(3) Le juge saisi de la requête décerne le mandat mentionné au paragraphe (1) s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire ce qui suit:
a) une infraction prévue par la présente loi a été commise;
b) il est vraisemblable de trouver des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpétra- tion de l'infraction;
c) le bâtiment, contenant ou endroit précisé dans la requête contient vraisemblablement de tels documents ou choses.
(4) Un mandat décerné en vertu du paragraphe (1) doit indiquer l'infraction pour laquelle il est décerné, dans quel
bâtiment, contenant ou endroit perquisitionner ainsi que la personne accusée d'avoir commis l'infraction. Il doit donner suffisamment de précisions sur les documents ou choses à chercher et à saisir.
(5) Quiconque exécute un mandat décerné en vertu du para- graphe (I) peut saisir, outre les documents ou choses mention- nés à ce paragraphe, tous autres documents ou choses qu'il croit, pour des motifs raisonnables, constituer des éléments de preuve de la perpétration d'une infraction à la présente loi. Il doit, dès que matériellement possible, soit apporter ces docu ments ou choses au juge qui a décerné le mandat ou, en cas d'incapacité de celui-ci, à un autre juge du même tribunal, soit lui en faire rapport, pour que le juge en dispose conformément au présent article.
(6) Sous réserve du paragraphe (7), lorsque des documents ou choses saisis en vertu du paragraphe (1) ou (5) sont apportés à un juge ou qu'il en est fait rapport à un juge, ce juge ordonne que le ministre les retienne sauf si celui-ci y renonce. Le ministre qui retient des documents ou choses doit en prendre raisonnablement soin pour s'assurer de leur conservation jus- qu'à la fin de toute enquête sur l'infraction en rapport avec laquelle les documents ou choses ont été saisis ou jusqu'à ce que leur production soit exigée au fins d'une procédure criminelle.
(7) Le juge à qui des documents ou choses saisis en vertu du paragraphe (1) ou (5) sont apportés ou à qui il en est fait rapport peut, d'office ou sur requête sommaire d'une persone ayant un droit dans ces documents ou choses avec avis au sous-procureur-général du Canada trois jours francs avant qu'il y soit procédé, ordonner que ces documents ou choses soient restitués à la personne à qui ils ont été saisis ou à la personne qui y a légalement droit par ailleurs, s'il est convaincu que ces documents ou choses:
a) soit ne seront pas nécessaires à une enquête ou à une procédure criminelle;
b) soit n'ont pas été saisis conformément au mandat ou au présent article.
(8) La personne à qui des documents ou choses sont saisis conformément au présent article a le droit, en tout temps raisonnable et aux conditions raisonnable que peut imposer le ministre, d'examiner ces documents ou choses et d'obtenir reproduction des documents aux frais du ministre en une seule copie.
La nature des perquisitions, fouilles et saisies per- mises par l'article 231.3
À titre de remarque préliminaire, il convient de préciser clairement au départ qu'à mon avis nous traitons ici de procédures qui sont de nature crimi- nelle. Il n'est pas nécessaire à cette étape de caractériser, en termes constitutionnels, la source du pouvoir législatif du Parlement, une question à propos de laquelle la Cour suprême a récemment rendu une décision partagée et que la majorité n'a pas encore tranchée définitivement (voir Knox Contracting Ltd. c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 338).
Il suffit de lire l'article contesté, il est fait mention à plusieurs fois d'«infraction», pour se rendre compte que l'article vise la détection du crime et la poursuite des coupables, même s'il s'agit d'une catégorie restreinte de crimes, soit les infractions aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cela a pour effet de rendre ces dispositions législatives différentes des mécanismes administra- tifs d'application qui figurent dans les articles adjacents de la Loi de l'impôt sur le revenu et qui ont été reconnus valides par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627.
L'obligation imposée par le régime fiscal de faire soi-même sa déclaration d'impôt et d'en éta- blir le montant de la cotisation peut justifier une application moins rigoureuse des normes de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] lorsque l'objectif premier de la perquisi- tion est simplement d'assurer que les impôts sont payés lorsqu'ils sont dûs. Toutefois, comme nous traitons en l'espèce de dispositions qui expressé- ment font état de la découverte et de la conserva tion d'éléments de preuve «aux fins d'une procé- dure criminelle», rien de moins que la pleine protection offerte par la Charte serait convenable.
Après ce rappel du contexte, je me penche main- tenant sur ceux des motifs de contestation soulevés par les appelants à l'égard desquels nous avons demandé aux intimés de répondre.
L'absence de discrétion judiciaire à l'occasion de la délivrance du mandat de perquisition
Le premier argument des appelants, et le plus sérieux, porte sur l'emploi de l'indicatif présent (le mot «shall» dans le texte anglais) à la première ligne du paragraphe 231.3(3). Les appelants sou- tiennent, et les intimés l'admettent, qu'il s'agit d'un cas unique dans la législation canadienne. Tous les autres textes législatifs visant à autoriser un officier de justice à décerner un mandat de perquisition sont formulés en des termes permis- sifs, laissant à cet officier le pouvoir discrétion- naire de décider en dernier ressort si oui ou non les circonstances justifient une invasion de la vie privée. Tout texte législatif qui exclut de façon
précise toute discrétion en ce qui concerne la déli- vrance du mandat contrevient, pour ce seul motif, aux articles 7 et 8 de la Charte, puisqu'il permet des fouilles, perquisitions ou saisies abusives et qu'il constitue une violation des principes de jus tice fondamentale. Je suis d'accord avec cette prétention.
Il n'y a aucun doute que l'indicatif présent exprime normalement l'obligation'.
De plus, notre Cour s'est déjà prononcée sur cette disposition législative et a décidé que le texte du paragraphe 231.3(3) ne laissait aucun pouvoir discrétionnaire au juge. Dans l'affaire Solvent Petroleum Extraction Inc. c. M.R.N. 2 , le juge Desjardins J.C.A., s'exprimant au nom de la Cour, a déclaré la page 24]:
Le paragraphe 231.3(1) dit que «un juge peut décerner». Le paragraphe 231.3(3) énonce que «Le juge saisi de la requête décerne». En conséquence, il ressort, semble-t-il, du texte du paragraphe 231.3(3) que si le juge qui décerne le mandat parvient à la conclusion que les conditions posées par les alinéas 231.3(3)a), b) et c) sont remplies, il n'a pas ni n'est autorisé à examiner si, auparavant, le contribuable s'est volon- tairement conformé à la demande de production de documents, si d'autres documents pourraient être remis volontairement, ou si le demandeur de mandats a pris toutes les mesures raisonna- bles pour obtenir les renseignements d'une autre source avant de solliciter les mandats. En bref, si les conditions sont rem- plies, il doit décerner le mandat.
Quant aux intimés, ils prétendent que le passage suivant des motifs du juge de première instance constitue une meilleure interprétation du droit et qu'on devrait dorénavant l'adopter [aux pages 274 et 275]:
Si le Parlement avait manifestement eu l'intention d'accorder au juge le pouvoir discrétionnaire de refuser de décerner un mandat dans les cas la perquisition contreviendrait à l'arti- cle 8 de la Charte, cette interprétation l'emporterait sur la règle d'interprétation générale énoncée à l'article 11 de la Loi d'interprétation.
Les tribunaux ont décidé à maintes reprises dans le passé que le mot «shah» («doit») peut avoir un caractère obligatoire ou facultatif. Cette jurisprudence pourrait être pertinente à l'inter- prétation du paragraphe 231.3(3). Cependant, ce qui est plus important, c'est qu'il se peut que cette disposition doive être interprétée, compte tenu de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), Annexe III], de façon à préserver le pouvoir discrétionnaire du juge de refuser de décerner des mandats, en cas de fouilles et perquisitions abusives. L'article 2 de cette Déclaration, conjugué à l'article 1, prévoit ce qui suit:
' Voir l'article 11 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985),
chap. I-21.
2 [1990] 1 C.F. 20 (C.A.).
Toute loi du Canada ... doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre ... le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ...
Subsidiairement, le pouvoir inhérent de la Cour de contrôler l'utilisation abusive de ses propres procédures pourrait permet- tre à un juge de refuser de délivrer un mandat abusif. Voir, de façon générale, R. v. Young (1984), 46 O.R. (2d) 520; 13 C.C.C. (3d) 13 O.A.C. 254 (C.A.); R. v. Miles of Music Ltd. (1989), 48 C.C.C. (3d) 96 (C.A. Ont.) et l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7]. Toutefois, ce ne sont que des suppositions et l'avocat n'en a pas parlé. Il m'apparaît évident que le juge évitera de décerner un mandat abusif contrevenant à l'article 8 de la Charte s'il sait, au moment la demande est présentée, que le mandat est abusif. A tout le moins, je ne crois pas que le paragraphe 231.3(3) interdise au juge d'ajouter des conditions à un mandat demandé. Le paragraphe 231.3(3) ne dit aucunement que le juge doit délivrer un mandat selon des conditions identiques à celles du mandat recherché.
Avec égards, il me semble qu'il y a plusieurs erreurs dans cette interprétation proposée par le juge de première instance.
En premier lieu, si je le comprends bien, ce que laisse entendre le premier juge dans la première partie du passage cité est précisément le genre «d'interprétation atténuée» contre laquelle la Cour suprême a mis en garde'.
En second lieu, même si «les tribunaux ont décidé à maintes reprises», remontant même à l'ancienne affaire Julius v. Bishop of Oxford (1880), 5 App. Cas. 214 (H.L.), que les mots à caractère facultatif («peut» ou «may») peuvent en certains cas comporter un caractère obligatoire, il y a peu de jurisprudence dans le sens contraire, c'est-à-dire que l'indicatif présent (l'anglais «shall») peut rarement être interprété comme ayant le sens de «peut»» (l'anglais «may»).
Nous ne traitons pas ici d'un texte de législation déléguée ou d'un texte réglementaire mais de la portée constitutionnelle d'un texte adopté par le Parlement lui-même. Comme le mentionnait la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721 la page 737]:
Employé dans son sens grammatical ordinaire, le terme anglais «shall» [«doit>] est, par présomption, impératif. Voir Odgers' Construction of Deeds and Statutes (5th ed. 1967), à la p. 377; Acte d'Interprétation, 1867 (Can.), 31 Vict., chap. 1, par. 6(3); Loi d'interprétation, S.R.C. 1970,
3 Voir, par exemple, Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la p. 168.
chap. 1-23, art. 28 «doit» ou «devra», devant un infinitif, exprime une obligation»). Il incombe donc à cette Cour de conclure que le Parlement, lorsqu'il a employé le terme «shah!» dans la version anglaise de l'art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et de l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, voulait que ces articles soient interprétés comme étant impéra- tifs, en ce sens qu'ils doivent être respectés, à moins que cette interprétation du terme «shall» ne soit absolument incompatible avec le contexte dans lequel il a été employé et ne rende les articles irrationnels ou vides de sens. Voir, par exemple, Re Public Finance Corp. and Edwards Garage Ltd. (1957), 22 W.W.R. 312, à la p. 317 (C.S. Alb.) [C'est moi qui souligne.]
Il me semble qu'il n'y a absolument rien dans le contexte de l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu qui rendrait l'interprétation impérative de l'indicatif présent au paragraphe 231.3(3) incompatible avec le reste de l'article ou qui ren- drait ce paragraphe dénué de sens ou de portée. En fait, je ne vois rien dans l'article qui indiquerait qu'il faut donner un sens permissif ou discrétion- naire à l'indicatif présent. Au contraire, le rédac- teur législatif a employé le terme permissif «peut» lorsque celui-ci convenait (par exemple aux para- graphes 231.3(1) et (5)) tandis que l'emploi de l'indicatif présent au paragraphe 231.3(3) (de même, peut-on souligner, au paragraphe 231.3(6)) semble bien résulter d'un choix délibéré.
De plus, l'ensemble de l'article 231.3 constitue une modification d'un texte législatif antérieur'', qui était formulé dans des termes clairement per- missifs et qui laissait un pouvoir discrétionnaire au juge devant autoriser la saisie. Au surplus, comme il a été mentionné auparavant, le texte du paragraphe 231.3(3) est unique et diffère substan- tiellement de toutes les dispositions législatives canadiennes concernant les mandats de perquisi- tions. Je ne peux considérer pareil changement tant à la pratique antérieure qu'à celle qui existe à l'heure actuelle comme n'étant pas vraiment voulu.
'L'ancien paragraphe 231(4) a été invalide par cette Cour parce qu'il ne satisfaisait pas aux critères de la Charte pour d'autres motifs: voir Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535 (C.A.).
5 La plus connue est évidemment le paragraphe 487(1) du Code criminel [L.R.C. (1985), chap. C-46 (mod. par L.R.C. (1985) (1" suppl.), chap. 27, art. 68)]: «Un juge de paix ... peut, à tout moment, lancer un mandat . , ..» (c'est moi qui souligne).
Avec égards, je dois aussi m'opposer à la portée que donne le juge de première instance, dans l'ex- trait cité ci-dessus, à la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III]. Même s'il y a clairement matière à discussion sur le rôle que peut encore jouer la Déclaration dans les affaires postérieures à la Charte 6 , ce rôle ne peut sûrement pas en être un de validation, par inter- prétation, de textes législatifs qui ne satisfont pas par ailleurs aux critères de la Charte.
Pour des raisons d'ordre constitutionnel et histo- rique, la Déclaration des droits a recours à une technique interprétative pour préserver et protéger les droits qui y sont enchassés; ce serait une triste ironie si cette Déclaration devait maintenant servir de bouée de sauvetage à des textes législatifs qui enfreignent les mêmes droits consacrés dans la Charte.
Mon dernier commentaire sur le passage cité des motifs du premier juge a trait à son invocation du pouvoir de la Cour de contrôler l'utilisation abu sive de ses procédures et d'ajouter des conditions à un mandat. Avec égards, c'est présumer la ques tion résolue. Si, comme les intimés le prétendent, les alinéas a), b) et c) du paragraphe 231.3(3) comprenaient toutes les conditions préalables à une perquisition raisonnable, une requête qui satis- fait à ces conditions ne peut être considérée comme abusive. De la même façon, si l'indicatif présent au début du paragraphe 231.3(3) doit recevoir son interprétation impérative normale, le juge n'a aucun pouvoir d'ajouter des conditions au mandat, en sus de celles spécialement énoncées dans le texte même de la Loi. Les paragraphes 231.3(1) et 231.3(4) énoncent de façon très détaillée ce que doit contenir le mandat, mais ne laissent d'aucune façon entendre que le juge qui décerne le mandat puisse avoir un pouvoir discrétionnaire de l'assujet- tir à certaines modalités ou conditions.
En réponse à la contestation du caractère obli- gatoire de l'article 231.3, les intimés se fondent aussi, comme le fait le juge de première instance, sur un obiter dictum de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Kourtessis v. M.N.R., [1990] 1 W.W.R. 97.
6 Voir Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration, [1985] 1 R.C.S. 177.
Dans cette affaire, le tribunal a rejeté de façon unanime, en se fondant sur des motifs reliés à la compétence, un appel d'une décision d'un juge de première instance qui avait maintenu la validité de l'article 231.3.
Toutefois, la majorité de ce tribunal a jugé bon d'examiner les motifs fondamentaux de la contes- tation. Relativement à la question qui nous inté- resse en l'espèce, le juge Locke J.C.A., après avoir cité les paragraphes (1), (2) et (3) de l'arti- cle 231.3 mentionnait la page 127]:
[TRADUCTION] À mon avis, ces trois paragraphes doivent être lus ensemble. Le rôle crucial du juge consiste à déterminer si les faits qui lui ont été présentés justifient une ingérence dans la vie privée. Il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire pour le juge. Les critères à appliquer pour exercer ce pouvoir discrétionnaire sont énoncés au paragraphe (3). Si la preuve ne respecte pas les critères de cette disposition, le juge ne sera pas convaincu et refusera de décerner le mandat. Si la preuve est suffisante, la loi dit qu'il décernera] (en anglais, «shall») le mandat.
On soutient que cela enlève au juge son pouvoir discrétion- naire. Cela ne l'empêche pas de déterminer si un mandat devrait être décerné et c'est une question à l'égard de laquelle il joue son rôle de maintien de l'équilibre. Cela l'empêche de déterminer si le mandat est effectivement décerné une fois qu'il rend la première décision essentielle.
L'on pourrait se demander, d'un point de vue rhétorique, et pourquoi pas? Une fois que la première décision est prise, l'estampillage du document n'a certainement aucune impor tance. Le mot à caractère obligatoire enlève au juge le pouvoir discrétionnaire débattu dans l'arrêt Paroian, il a été décidé qu'il n'était pas nécessaire de délivrer le mandat, étant donné que le ministre avait déjà suffisamment de documents. Il n'appartient pas à la Cour de trancher cette question, mais, à mon avis, les critères de l'arrêt Hunter c. Southam ont été respectés. Le rôle crucial du juge a été rempli et il ne reste rien d'autre à faire, sinon estampiller le document. Il est vrai que le pouvoir discrétionnaire a été affaibli sur le plan administratif, mais le rôle premier du juge n'a aucunement été atténué. En outre, il est aussi évident que le juge peut toujours imposer des conditions relatives à la façon d'exécuter le mandat, 'et ce, de son propre chef, selon la doctrine du pouvoir inhérent.
En ce qui a trait à la dernière phrase du passage cité, je ne peux que répéter ce que j'ai déjà dit: je ne vois pas comment un juge agissant en vertu d'une disposition impérative peut invoquer un pou- voir inhérent de refuser de faire ce que la loi a indiqué être raisonnable et lui a ordonné de faire. Le texte de loi n'autorise pas que des conditions soient rattachées ni à la délivrance ni à l'exécution du mandat.
La première partie de l'extrait cité, si mon interprétation en est exacte, semble laisser enten- dre que le juge conserve son pouvoir discrétion-
paire dans la mesure il s'agit de déterminer l'application des critères énoncés aux alinéas 231.3(3)a), b) et c), mais qu'une fois qu'il est convaincu de leur existence, il perd ce pouvoir. On peut ergoter sur la première de ces propositions en invoquant des motifs de caractère linguistique. Je ne crois pas qu'il soit juste de caractériser comme l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire la formation d'une opinion quant à l'existence de motifs raison- nables de croire à certains faits. Il s'agit là, bien sûr, d'un aspect du pouvoir décisionnel judiciaire qui peut donner lieu, dans un cas donné, à l'expres- sion de différents points de vue, mais cela n'en fait sûrement pas une question de discrétion pas plus, par exemple, qu'une conclusion de négligence est une question de discrétion.
Le véritable noeud du problème se trouve toute- fois dans la seconde proposition. Pour la soutenir, il faut faire valoir, comme l'avocat des intimés l'a fait, que non seulement le Parlement a droit d'énoncer les critères de ce qui est raisonnable et de ce qui est conforme aux principes de justice fondamentale mais, qu'en ce faisant, il peut aussi exclure tout autre facteur comme n'étant pas perti nentà ces critères. À mon avis, cela ne peut être la loi.
L'avocat des intimés a grandement mis l'accent sur le fait que dans l'arrêt-clé Hunter et autres c. Southam Inc. (susmentionné), la Cour suprême a soigneusement et minutieusement décrit les condi tions des fouilles, perquisitions et saisies non abusi- ves au sens de l'article 8; nulle part la Cour ne fait-elle allusion à une condition selon laquelle l'officier de justice qui décerne le mandat devrait conserver le pouvoir discrétionnaire de refuser de le faire'.
La question est donc maintenant de savoir si l'exigence d'une discrétion judiciaire est toutefois implicite dans les critères définissant le caractère raisonnable énoncés dans Southam ou, même si
' Ce fait même vient limiter la portée qu'on a pu donner à cet arrêt dans Solvent Petroleum Extraction Inc. c. M.R.N. (ci-dessus). Le point qui fait l'objet de la présente discussion n'a pas été soulevé dans cette dernière affaire. Aussi, lorsque le juge Desjardins J.A. mentionne la p. 26) «[l ne fait pas de doute que le paragraphe 231.(3) satisfait à ces normes minima- les», elle faisait allusion aux conditions particulièrement énumé- rées par la Cour suprême dans l'arrêt Sour ham dont elle venait de citer un extrait.
elle ne l'est pas, est-ce que cette exigence fait partie des principes de justice fondamentale que protège l'article 7 de la Charte. À mon avis, la réponse est affirmative dans les deux cas.
En premier lieu, il faut se rappeler que dans Southam, la Cour suprême traitait d'une disposi tion législative qui, bien que fautive pour d'autres motifs, laissait un pouvoir discrétionnaire à l'offi- cier de justice accordant l'autorisation de procéder à la saisie 8 .
En deuxième lieu, comme on l'a déjà mentionné, au moment la décision Southam a été rendue, toutes les autres dispositions concernant les fouil- les, perquisitions et saisies au Canada étaient for- mulées en des termes permissifs. De plus, comme la Cour le savait sans aucun doute, c'était la situation qui avait toujours été reconnue tant par la législation que par la common law.
Enfin, et ce qui est le plus important, dans Southam la Cour a beaucoup insisté sur le fait que la personne autorisant la saisie devait être indépen- dante et en mesure d'agir de façon judiciaire dans son évaluation des intérêts opposés de l'État et du citoyen. Il me semble que cette exigence, compte tenu du contexte de la décision Southam, com- porte nécessairement une capacité et une nécessité d'exercer un pouvoir discrétionnaire dans le pro- cessus d'autorisation du mandat.
Par conséquent, je conclus que l'arrêt Southam reconnaît implicitement qu'il faut conserver un minimum de pouvoir discrétionnaire judiciaire concernant le refus de délivrer un mandat de perquisition, ou l'imposition de conditions à sa délivrance, et qu'il s'agit d'une condition préala- ble à une fouille, perquisition et saisie non abusive, conformément à l'article 8 de la Charte.
Toutefois, pour les fins de la présente discussion, la décision rendue par la Cour suprême dans Des- côteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, est encore plus importante que l'arrêt Sou- tham. Il s'agit d'une affaire antérieure à la Charte au sujet d'un mandat de perquisition décerné en vertu du Code criminel pour fouiller le cabinet
S Le paragraphe 10(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-231 selon lequel une autorisa- tion de fouille et de perquisition «peut être accordée» par un membre de la Commission sur les pratiques restrictives du commerce.
d'un avocat. Le juge Lamer, (alors juge puîné), s'exprimant au nom de l'ensemble de la Cour, a traité longuement du rôle du pouvoir discrétion- naire à l'égard de la délivrance des mandats de perquisition. L'extrait suivant de ses motifs est décisif [aux pages 888 à 891]:
Certains pourraient prétendre que le juge de paix n'a pas la discrétion de refuser la délivrance du mandat de perquisition ou encore d'imposer des modalités d'exécution dès lors que les conditions de forme et de fond de l'art. 443 ont été satisfaites. Ils pourraient arguer que, dans le contexte de l'art. 443, le mot «peut» a le sens de «doit» et qu'il n'octroie pas une discrétion. Selon cette interprétation, si le juge de paix ne peut délivrer un mandat que s'il est convaincu qu'il existe un motif raisonnable pour croire qu'une des choses prévues à l'art. 443(1) se trouve dans l'endroit que l'on veut fouiller, il doit le faire, par ailleurs, dès lors qu'il en est convaincu, et la seule modalité d'exécution sur les lieux qu'il lui est loisible d'imposer se trouve à l'art. 444 du Code:
444. Un mandat décerné en vertu de l'article 443 doit être exécuté de jour, à moins que le juge de paix, par le mandat, n'en autorise l'exécution de nuit.
D'autres, au contraire, reconnaîtraient de façon générale au juge de paix la discrétion de refuser le mandat, en autant que cette discrétion soit exercée judiciairement et que la décision de refuser le mandat ne tienne pas du caprice ou de la fantaisie. (Carter, R.F., The Law Relating to Search Warrants, 1939, à la p. 52; Fontana, J.A., The Law of Search Warrants in Canada, 1974, aux pp. 7 et 51 ss.; Re Pacific Press Ltd. and The Queen et al. (1977), 37 C.C.C. (2d) 487).
J'opte en faveur de la discrétion, car elle permet un contrôle judiciaire plus efficace des forces de l'ordre. La perquisition est une exception aux principes les plus anciens et les plus fonda- mentaux de la common law et le pouvoir de perquisition doit être contrôlé strictement. Il va de soi que le juge de paix peut être parfois mal placé pour juger d'avance du besoin de perqui- sitionner. Après tout, la perquisition, tout en étant un véhicule de preuve, est aussi un instrument d'enquête. Il sera souvent difficile de déterminer péremptoirement la valeur probante d'une chose avant la fin de l'enquête policière. Quoi qu'il en soit, il y a des endroits dont on ne devrait de façon générale permettre la fouille qu'avec réticence et, le cas échéant, avec plus de manières que pour d'autres endroits. On n'entre pas à l'église comme on le fait chez le loup; ni à l'entrepôt comme chez l'avocat. On ne perquisitionne pas chez le tiers qu'on n'allègue pas avoir participé à la commission du crime comme chez celui qui fait l'objet d'une telle allégation. (Voir à ce sujet Fontana, J.A., The Law of Search Warrants in Canada, à la p. 174).
Le juge de paix a, selon moi, le pouvoir, lorsque les circons- tances le commandent, d'assortir le mandat de perquisition de modalités d'exécution; j'irais même jusqu'à lui reconnaître le droit de refuser le mandat dans certaines circonstances très particulières, telles celles que l'on trouve dans Re Pacific Press Ltd. and The Queen et al., précitée.
Dans cette cause il s'agissait de la perquisition des locaux d'un journal et on était à la recherche de renseignements recueillis par le personnel du journal. La dénonciation n'allé-
guait aucunement que le personnel du journal ou le journal lui-même étaient impliqués dans la commission d'une infrac tion. Eu égard à la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve placé un journal compte tenu des art. 1f) et 2 de la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, le juge en chef Nemetz de la Cour suprême de la Colombie-Bri- tannique cassait le mandat de perquisition délivré par le juge de paix et concluait comme suit la p. 495):
[TRADUCTION] La délivrance d'un mandat de perquisition est une affaire grave, notamment lorsque sa délivrance à l'encontre d'un journal peut empêcher, comme c'est le cas en l'espèce, sa publication. Selon les termes employés par mon distingué prédécesseur dans l'affaire United Distillers Ltd. (1948), 88 C.C.C. 338, [1947] 3 D.L.R. 900, le juge de paix «devrait disposer de suffisamment de renseignements pour lui permettre de décider de façon judiciaire s'il doit ou non délivrer un tel mandat». A mon avis, il ne disposait pas de suffisamment de renseignements puisqu'il n'y avait pas de pièce pour démontrer:
1. s'il existait une autre source pouvant fournir les mêmes renseignements, et
2. dans l'affirmative, que des mesures raisonnables avaient été prises pour obtenir les renseignements de cette autre source.
À mon avis, présenter une demande de mandat de perqui- sition dans ces circonstances constituait un abus de procédu- res. En conséquence, j'annule les mandats.
Il s'agissait dans Re Pacifie Press Ltd. d'une perquisition à la recherche de choses prévues à l'al. b) de l'art. 443(1), c.-à-d. des preuves; il va de soi que l'on ne peut avoir les mêmes exigences lorsqu'il s'agit de choses prévues aux al. a) et c) de l'art. 443(1).
On pourrait suggérer que les deux conditions énoncées par le juge en chef Nemetz devraient être satisfaites avant de délivrer un mandat chaque fois qu'il s'agit d'une perquisition, sous 443(1)b), de lieux occupés par un tiers-innocent que ne relient aucunement au crime les allégations contenues à la dénoncia- tion. Il n'est pas nécessaire pour les fins de ce pourvoi d'en décider. Il suffit de dire que dans des cas tels que celui de Re Pacifie Press Ltd., la perquisition porterait atteinte à des droits aussi fondamentaux que la liberté de la presse, et, comme en l'espèce, le droit à la confidentialité du client de l'avocat, le juge de paix peut et doit, sous peine d'excéder la compétence qu'il avait ab initio, refuser la délivrance du mandat si ces deux conditions n'ont pas été satisfaites. J'apporterais à ces condi tions une précision. L'alternative raisonnable dont on parle n'est pas à la méthode de preuve mais aux avantages de la perquisition et de la saisie des preuves. Comme je l'ai déjà dit, le mandat de perquisition n'est pas qu'un véhicule de preuve, mais aussi un outil d'enquête. Donc, la détermination de ce qui sera dans chaque cas d'espèce raisonnable tiendra compte du fait que la perquisition permet non seulement de saisir des preuves, mais permet également de s'assurer qu'elles existent, voire même parfois que le crime a effectivement été commis et par qui. La saisie, elle, en permet la conservation.
De plus, même si ces conditions sont satisfaites, le juge de paix doit assortir l'exécution du mandat de modalités qui concilient la protection des intérêts que cherche à promouvoir ce droit avec celle des intérêts que cherche à promouvoir le pouvoir de perquisitionner, et limiter à ce qui est strictement
inévitable l'atteinte au droit fondamental. Ceci est également vrai pour les perquisitions de 443(1)a) ou c) dès qu'elles mettent en cause un droit fondamental. [C'est moi qui souligne.]
Je conclus de cet extrait que non seulement l'imposition de conditions à un mandat de perquisi- tion est un élément essentiel à l'exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire mais, de façon encore plus importante, que l'existence même de ce pou- voir est une condition préalable au caractère rai- sonnable de la perquisition et à nos principes de justice fondamentale.
Descôteaux et autre établit aussi, à mon avis, que toute tentative du législateur de définir et de délimiter de façon exhaustive ce qui peut consti- tuer une perquisition raisonnable est vouée à l'échec. Dans l'extrait cité, le juge Lamer traite de façon particulière des perquisitions dans les cabi nets d'avocats et dans les locaux des journaux et statue qu'en pareilles circonstances le juge de paix «peut et doit ... refuser la délivrance du mandat» si certaines conditions n'ont pas été satisfaites.
Toutefois, il est évident que le juge Lamer, ne laisse pas entendre que cette liste de circonstances puisse être limitative. Au contraire, il laisse de façon expresse la possibilité d'ajouter d'autres si tuations («dans des cas tels que»). À mon avis, la liste des catégories de perquisitions abusives ne peut pas, et ne pourra jamais, être exhaustive.
Non seulement est-il impossible de légiférer pour délimiter des catégories de perquisition abu sive, il semble aussi que cela pourrait donner lieu, en raison tout simplement de l'erreur humaine, à des absurdités. Les dispositions relatives aux per- quisitions et saisies de la Loi de l'impôt sur le revenu en fournissent un excellent exemple. À l'article 488 [mod. par L.R.C. (1985) (1°` suppl.), chap. 27, art. 70] du Code criminel, le Parlement a consacré l'ancienne règle de common law, à savoir qu'aucun mandat de perquisition ne pouvait être exécuté la nuit sans une permission spéciale. Cette interdiction est sûrement fondée sur le motif que le législateur considère, comme il l'a toujours fait, que les perquisitions effectuées la nuit constituent une invasion abusive de la vie privée du citoyen à moins que des circonstances particulières ne le justifient. Toutefois, l'article 488, selon son libellé même, ne s'applique qu'aux mandats de perquisi- tion décernés en vertu des articles 487 et 487.1
[ajouté par L.R.C. (1985) (ler suppl.), chap. 27, art. 69] du Code criminel. Il n'y a pas de restric tion semblable applicable à l'exécution de mandats de perquisition décernés en vertu de l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par conséquent, la position des intimés aboutit à une absurdité, puisque cela voudrait dire que selon le Parlement une perquisition ou une fouille effectuée la nuit pour retracer des bombes placées par des terroris- tes serait à première vue abusive tandis qu'une perquisition ou une fouille pour trouver des regis- tres ou livres comptables ne le serait pas. En fait, même si cet argument n'a pas été soulevé devant nous, on pourrait au moins soutenir que l'article 231.3 est invalide pour le seul motif qu'il permet des fouilles la nuit sans autorisation spéciale d'un juge.
À mon avis, le Parlement ne possède ni la compétence ni les faits pour pouvoir définir de façon exhaustive les perquisitions ou les fouilles abusives. En ce qui concerne le citoyen, c'est en définitive la vigilance du juge qui décerne le mandat et son pouvoir de refuser de le décerner, même lorsque toutes les conditions déterminées par le Parlement ont été remplies, qui le protègent contre de telles perquisitions. Le fait pour le Parle- ment de dire et d'exprimer son intention que le juge «décerne» le mandat, indépendamment des circonstances, équivaut à une approbation des per- quisitions, fouilles et saisies abusives et est con- traire à nos principes bien établis de justice fonda- mentale. Par conséquent, l'article 231.3 est inopérant.
Cette conclusion suffit à trancher le présent appel. Toutefois, puisqu'à mon avis la loi devra être remaniée, il serait utile de se pencher briève- ment sur les autres motifs soulevés par les appelants.
L'élimination du critère de probabilité
Il faut se rappeler que le critère énoncé par le paragraphe 231.3(3) est qu'il existe «des motifs raisonnables de croire». Les appelants prétendent que ce n'est pas suffisant. Il faudrait parler de «motifs raisonnables et probables de croire». Les appelants s'appuient sur l'extrait suivant de l'arrêt Southam (ci-dessus), à la page 168:
Dans des cas comme la présente affaire, l'existence de motifs raisonnables et probables, établie sous serment, de croire qu'une infraction a été commise et que des éléments de preuve
se trouvent à l'endroit de la perquisition, constitue le critère minimal, compatible avec l'art. 8 de la Charte, qui s'applique à l'autorisation d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie.
On a prétendu qu'en éliminant le mot «probable» des critères énoncés par la Loi, le Parlement avait décidé d'éliminer le critère selon lequel le juge qui décerne le mandat exige une preuve «plus probable qu'improbable». Je ne suis pas d'accord.
Tout d'abord, il me semble que d'un simple point de vue linguistique le mot «probable» dans l'expression «motifs raisonnables et probables de croire» n'ajoute rien. À cet égard, il convient de consulter la définition du terme dans les diction- naires généraux dans les deux langues officielles.
Selon le dictionnaire Shorter Oxford English Dictionary, le sens moderne du terme est le suivant:
[TRADUCTION] «Probable» ... 2. Qui est susceptible de s'impo- ser à l'esprit; qui mérite d'être admis ou qu'on y accorde foi; rarement, dans un mauvais sens, trompeur, spécieux. (Voir 3.)-1872. 3. Qui a une apparence de vérité; auquel on peut raisonnablement s'attendre, ou qui sera reconnu vrai; vers 1606. (C'est moi qui souligne.)
Une indication encore plus intéressante est celle de la définition archaïque du mot français «proba- ble» donnée par Le Robert [Dictionnaire alphabé- tique et analogique de la langue française]: Probable ... 1. Vx. Opinion probable, qui, sans exclure la possibilité d'une autre opinion, ne présente cependant rien de contraire à la raison Relig. Opinion probable: opinion fondée sur des raisons sérieuses quoique non décisives. [C'est moi qui souligne.]
Cela peut facilement expliquer comment le mot, de façon historique, a été associé par les juristes au mot «raisonnable». Comme le second membre de ces autres expressions juridiques anglaises consa- crées, dont «null and void» (invalide), «good and valid» (valide), «last will and testament» (testa- ment) etc., le second mot de l'expression n'ajoute rien.
En deuxième lieu, ce qui est un facteur encore plus important, cette opinion est confirmée dans l'arrêt Southam lui-même. Dans un extrait précé- dant de quelques lignes le passage cité ci-dessus, le juge Dickson (alors juge puîné) s'exprimait au nom de la Cour comme suit la page 167]:
La common law exige, pour qu'un mandat puisse être décerné, que l'on fasse une déposition sous serment qui porte «sérieuse- ment à croire» que des biens volés ont été cachés à l'endroit de la perquisition. L'article 443 du Code criminel n'autorise la délivrance d'un mandat qu'à la suite d'une dénonciation faite
sous serment portant qu'il existe «un motif raisonnable pour croire» qu'il se trouve des éléments de preuve de la perpétration d'une infraction à l'endroit la perquisition sera effectuée. La Déclaration des droits des États-Unis prévoit que [TRADUC- TION] «un mandat ne sera décerné que pour un motif plausible, appuyé par un serment ou une affirmation ...». La formula tion est légèrement différente mais le critère est identique dans chacun de ces cas. [C'est mois qui souligne.]
Enfin, même si mon opinion sur la valeur à donner au mot «probable» dans l'expression «rai- sonnable et probable» est erronée, je suis d'avis qu'une analyse grammaticale du paragraphe 231.3(3) démontre qu'en fait le fardeau de la présentation du critère «plus probable qu'improba- ble» a été plus que satisfait.
En éliminant, pour les fins de cette analyse, les mots inutiles, le paragraphe prévoit qu'un mandat est décerné lorsqu'un juge:
231.3 (3)...
... est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire
ce qui suit:
a) une infraction ... a été commise;
b) il est vraisemblable de trouver des documents ... ;
c) le bâtiment ... contient vraisemblablement de tels documents ...»
On ne peut certainement pas s'opposer au cri- tère établi aux alinéas 231.3(3)b) et c) puisque les mots «vraisemblable» ou «vraisemblablement» ont pour conséquence d'importer le critère de probabi- lité ou d'une situation «plus probable qu'improba- ble».
Quant à l'alinéa 231.3(3)a), le critère est encore plus élevé puisqu'on exige d'avoir des motifs rai- sonnables de croire qu'une infraction a été com- mise. Ici, la croyance raisonnable est reliée à la perpétration réelle de l'infraction et non à un critère moins rigoureux de simple probabilité.
En fin de compte, je conclus donc que ce motif de contestation n'est pas fondé.
L'atténuation du critère à l'égard de la probabilité de découvrir des éléments de preuve
La contestation des appelants en l'instance porte uniquement sur le texte de l'alinéa 231.3(3)b), qu'il convient de citer à nouveau:
231.3...
(3) Le juge saisi de la requête décerne le mandat mentionné au paragraphe (1) s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire ce qui suit:
b) Il est vraisemblable de trouver des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpétra- tion de l'infraction; [C'est mois qui souligne.]
On soutient que l'utilisation du mot «peuvent» permet la délivrance d'un mandat de perquisition lorsqu'on a des motifs raisonnables de croire qu'il y a une simple possibilité de trouver des choses qui pourraient constituer des éléments de preuve de la perpétration d'un crime. L'argument se fonde sur l'extrait suivant du jugement de l'affaire Sou- tham la page 167]:
La difficulté réside dans la stipulation d'une conviction raison- nable que des éléments de preuve peuvent être découverts au cours de la perquisition. Une fois de plus, il est utile, à mon avis, de considérer le but recherché. L'établissement d'un cri- tère objectif applicable à l'autorisation préalable de procéder à une fouille, à une perquisition ou à une saisie a pour but de fournir un critère uniforme permettant de déterminer à quel moment les droits de l'État de commettre ces intrusions l'em- portent sur ceux du particulier de s'y opposer. Relier ce critère à la conviction raisonnable d'un requérant que la perquisition peut permettre de découvrir des éléments de preuve pertinents équivaudrait à définir le critère approprié comme la possibilité de découvrir des éléments de preuve. Il s'agit d'un critère très faible qui permettrait de valider une intrusion commise par suite de soupçons et autoriserait des recherches à l'aveuglette très étendues. Ce critère favoriserait considérablement l'État et ne permettrait au particulier de s'opposer qu'aux intrusions les plus flagrantes. Je ne crois pas que ce soit un critère approprié pour garantir le droit d'être protégé contre les fouil- les, les perquisitions et les saisies abusives.
Cet argument me semble tout simplement irré- futable. Le point est extrêmement subtil, mais la Cour n'aurait pu indiquer plus clairement qu'il ne suffit pas de croire que des éléments de preuve peuvent être découverts.
Les tribunaux de trois provinces ont déclaré invalide le paragraphe 111(1) de la Loi sur les douanes [S.C. 1986, chap. 1] dont le texte anglais (mais non pas la version française) était formulé de façon semblable (Voir Goguen v. Shannon (1989), 50 C.C.C. (3d) 45 (C.A.N.-B.); Nima v. McInnes, [1989] 2 W.W.R. 634 (C.S.C.-B.); Canada v. Aquarius Computer (1989), 2T.C.T. 4531 (H.C. Ont.).
Même si en pratique la distinction peut être très mince entre une croyance raisonnable que des éléments de preuve peuvent être trouvés et une croyance raisonnable que des éléments de preuve seront trouvés, la Cour suprême a exprimé bien clairement que la seconde formule seulement satis- faisait aux critères de la Charte. Le texte de
l'alinéa 231.3(3)b) est insuffisant et par consé- quent inopérant.
Les autres motifs
Il est préférable, pour avoir un aperçu complet du dossier, de mentionner en terminant trois motifs soulevés par l'avocat des appelants, aux- quels nous n'avons pas demandé aux intimés de répondre.
Le premier de ces motifs était fondé sur le paragraphe 231.3(5):
231.3.. .
(5) Quiconque exécute un mandat décerné en vertu du para- graphe (1) peut saisir, outre les documents ou choses mention- nés à ce paragraphe, tous autres documents ou choses qu'il croit, pour des motifs raisonnables, constituer des éléments de preuve de la perpétration d'une infraction à la présente loi. Il doit, dès que matériellement possible, soit apporter ces docu ments ou choses au juge qui a décerné le mandat ou, en cas d'incapacité de celui-ci, à un autre juge du même tribunal, soit lui en faire rapport, pour que le juge en dispose conformément au présent article.
L'avocat prétend que le libellé vague de ce texte donne effectivement une discrétion absolue à la personne qui exécute la saisie, ce qui aurait pour effet de rendre invalide tout mandat décerné en vertu de l'article 231.3.
Nous n'étions pas d'accord.
D'abord, il semble que le paragraphe 231.3(5) est clairement dissociable du reste de l'article et qu'il ne peut pas avoir la portée qu'a voulu lui donner l'avocat. Tout au plus, pourrait-on deman- der l'invalidité de ce paragraphe ou d'une saisie effectuée en application de celui-ci.
En second lieu et de façon encore plus décisive, le jugement de cette Cour dans l'affaire Solvent Petroleum, ci-dessus, traite de ce même motif et il est statué que le paragraphe 231.3(5) «remplit les critères du caractère raisonnable et de la validité». Nous ne sommes pas persuadés qu'il existe pour nous des raisons valables de réexaminer cette conclusion.
Les deux derniers arguments de l'avocat traitent du secret professionnel, celui de l'avocat et celui du comptable.
À l'égard du secret professionnel de l'avocat, le juge de première instance a déclaré [aux pages 297 et 298]:
... on ne semble guère douter du fait que des modalités appropriées ont été suivies. D'après les rapports présentés au juge Strayer conformément à l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, un avocat était présent lorsque la perqui- sition a été faite et des demandes de privilège ont été faites conformément à l'article 232 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les documents à l'égard desquels l'avocat a invoqué le privilège ont été placés sous enveloppe et remis à Regent Doré, comme gardien. Une demande en vue de déterminer si les documents ont dûment été soumis à la protection du privilège du secret professionnel de l'avocat a été déposée devant la Cour supé- rieure du Québec. Cette demande a subséquemment été retirée. À cet égard, il y a lieu de consulter l'affidavit et le rapport au juge d'Yvon Demers en date du 30 octobre 1986 (paragraphes 3d) et 4) ainsi que l'affidavit et le rapport au juge de Gilles Thériault en date du 2 juin 1987, tous deux déposés dans le dossier T-1798-86. Dans ces circonstances, il n'y a pas de motif sérieux de déclarer les mandats en question invalides. D'après ce que j'ai compris en lisant les commentaires du juge Lamer dans l'affaire Descôteaux, ce qui est nécessaire, c'est que la procédure appropriée soit effectivement suivie. Le fait que la procédure elle-même n'a pas été énoncée sur le mandat ne permet pas en soi de trancher le litige.
Quant à l'argument du secret professionnel du comptable, fondé sur certaines dispositions du droit québécois, le juge déclare [aux pages 292 et 293]:
Même si je reconnais que le droit du Québec protège les communications entre le comptable et son client dans les litiges, je ne suis pas convaincu qu'une règle similaire ait été adoptée dans le cas des litiges concernant l'impôt sur le revenu fédéral. Si le législateur avait voulu que cette règle s'applique, celle-ci aurait été énoncée expressément dans la Loi sur la preuve au Canada [L.R.C. (1985), chap. C-5] ou dans la Loi de l'impôt sur le revenu.
et encore [aux pages 293 et 294]:
Il est bien normal que le droit au secret professionnel de l'avocat existe en ce qui a trait à la preuve pouvant être exigée devant les tribunaux, tandis que ce droit n'existe pas pour le comptable. L'objet de ce droit est d'assurer des communications libres et dénuées de toute contrainte entre l'avocat et son client, de façon que celui-ci puisse recevoir une aide juridique efficace. Ce privilège préserve le droit fondamental qu'ont les particu- liers de poursuivre et de préparer des contestations. Comme l'a dit le juge Lamer dans Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 141 D.L.R. (3d) 590; 70 C.C.C. (2d) 385; 28 C.R. (3d) 289; 1 C.R.R. 318; 44 N.R. 462, la page 883 R.S.C., le privilège est reconnu parce qu'il est néces- saire pour assurer l'administration appropriée de la justice. Je ne crois pas qu'il existe un principe prépondérant de cette nature dans le cas de la communication entre le comptable et son client. Le comptable peut être tenu, conformément à une règle de déontologie, de préserver le secret des communications et autres renseignements concernant son client. Mais cette obligation ne résulte nullement de la nécessité d'assurer l'admi- nistration efficace de la justice.
Nous n'avions rien à dire sur la façon dont le juge a tranché ces deux questions et nous n'avons donc pas demandé à entendre les intimés.
Conclusion
Pour les motifs mentionnés ci-dessus, j'accueille- rais les appels, j'annulerais les jugements de la Section de première instance pour les remplacer par des jugements annulant les mandats de fouille et de perquisition et ordonnant la remise de tout ce qui a été saisi en vertu de ces mandats. Je déclare- rais aussi que l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu est invalide et inopérante parce qu'elle est incompatible avec les articles 7 et 8 de la Charte. J'adjugerais les dépens en faveur des appelants, tant dans cette instance que dans celle devant la Section de première instance, mais je n'accorderais les dépens que d'un seul mémoire de frais.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je souscris. LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je souscris.
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