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T-706-88
John Badger (demandeur) c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: BADGER c. CANADA (1" INST.)
Section de première instance, juge Strayer—Sas- katoon, 3 octobre; Ottawa, 11 octobre 1990.
Droit constitutionnel Gouvernement responsable Pou- voir exécutif Délégation des pouvoirs du ministre Le sous-ministre peut-il modifier un décret? Un membre d'une bande indienne désire obtenir un jugement déclaratoire portant (I) que la bande est encore assujettie au décret déclarant que les élections doivent se faire conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens et (2) qu'une modification apportée au décret par le sous-ministre est sans effet car celui-ci n'avait pas les pouvoirs nécessaires La Loi autorise le gouverneur en conseil à adopter un décret portant que les élections du conseil de bande doivent se faire conformément aux disposi tions de la Loi La Loi a été modifiée pour substituer le ministre au gouverneur en conseil Un vote majoritaire obtenu à la suite d'un référendum tenu dans la réserve favori- sait le retour aux coutumes de la bande en matière d'élections Le sous-ministre aurait modifié le décret en rayant le nom de la bande de l'annexe de ce décret qui énumère les bandes dont les élections sont régies par la Loi Plusieurs élections ont depuis été tenues conformément aux coutumes de la bande L'art. 3(2) de la Loi confère un vaste pouvoir de déléguer Il ne s'agit pas d'un pouvoir implicite Le pouvoir du ministre a été légalement délégué.
Peuples autochtones Élections Un décret de 1952 déclarait que le chef et le conseil de certaines bandes indiennes devaient être élus conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens Une modification adoptée par le sous-ministre en 1982 a entraîné le retour aux coutumes de la bande en matière d'élections Il ressort d'un référendum que la majo- rité des électeurs favorisaient le retour aux coutumes de la bande en matière d'élections Le conseil de bande a adopté une résolution à cet effet Le ministre a délégué son pouvoir légalement comme le lui permettent les dispositions générales de la Loi d'interprétation et en l'absence de disposition con- traire Modification valide Le pouvoir qu'a le ministre d'adopter ou d'abroger une déclaration en vertu de l'actuel art. 74(1) relatif à la tenue d'une élection conformément à la Loi sur les Indiens n'est pas subordonné à la tenue d'un référen- dum ou à l'adoption d'une résolution du conseil de bande.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 26(4), 36g).
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), chap. I-21, art. 2, 31(4), 44g).
Loi sur les Indiens, S.C. 1951, chap. 29, art. 73 (mod. par S.C. 1956, chap. 40, art. 20).
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), chap. I-5, art. 3, 4(2), 74(1).
Loi sur les textes réglementaires, S.C. 1970-71-72, chap. 38.
AVOCATS:
J. R. Cherkewich pour le demandeur. Bruce Gibson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Cherkewich & Yost, Prince Albert (Saska- tchewan), pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: Demande de réparation
Le demandeur désire obtenir une ordonnance déclarant que la bande indienne de Cote, en Sas- katchewan, est encore assujettie à l'arrêté C.P. 1701 du 25 mars 1952 qui prévoyait que l'élection du chef et du conseil de bande devait se faire conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens [S.C. 1951, chap. 29]. Il désire obtenir également une déclaration portant qu'une modifi cation supposément apportée à ce décret par le sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien le 26 janvier 1982 est sans effet, le sous-ministre n'ayant pas les pouvoirs nécessaires.
Les faits
Le demandeur est un Indien inscrit et un membre de la bande indienne de Cote, qui occupe la réserve 64 de Cote, en Saskatchewan.
L'arrêté C.P. 1701, qui a été promulgué le 25 mars 1952 déclarait qu'à partir du 1" avril 1952 le chef et le conseil de chacune des bandes indiennes désignées à l'annexe dudit décret devaient être élus conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens. Ce décret prévoyait également que le chef ainsi que les conseillers de chacune desdites bandes devaient être élus par la majorité des électeurs de la bande et que les élections devaient être tenues à l'échelle de la bande, c'est-à-dire sans que les diverses réserves soient divisées en circonscriptions électorales. La bande indienne de Cote est une des bandes énumé- rées à l'annexe de l'arrêté.
Il appert que ce décret a été adopté en vertu de l'article 73 de la Loi sur les Indiens qui était alors en vigueur'. Le paragraphe 73(1) de la Loi prévoit:
73. (1) Lorsqu'il le juge utile à la bonne administration d'une bande, le gouverneur en conseil peut déclarer par arrêté qu'à compter d'un jour y désigné le conseil d'une bande, comprenant un chef et des conseillers, sera formé au moyen d'élections tenues selon la présente loi.
Les paragraphes 73(3) et (4) autorisaient le gou- verneur en conseil à adopter d'autres décrets ou règlements pour déterminer si les chefs doivent être élus par l'ensemble de la population des bandes ou par les membres élus du conseil et si les conseillers doivent être élus par l'ensemble de la bande ou par des districts électoraux séparés.
En 1956, le paragraphe 73(1) a été modifié pour substituer le ministre au gouverneur en conseil 2 . Ces modifications ont eu pour effet d'habiliter le ministre à déclarer que les élections des bandes indiennes doivent être régies par la Loi sur les Indiens. Bien que le reste de l'article ait été quel- que peu modifié, les modifications apportées n'ont pas privé le gouverneur en conseil du pouvoir d'adopter des décrets ou règlements relatifs à cer- taines modalités des élections.
Le 31 juillet 1981, un référendum a été tenu à la réserve de Cote pour déterminer si les membres de la bande désiraient retourner aux coutumes de la bande en matière d'élections. Il est admis que les résultats de ce référendum étaient les suivants: nombre d'électeurs admissibles: 227; nombre d'électeurs ayant voté: 131; nombre de votes en faveur (au retour à la coutume électorale de la bande): 65; nombre de votes contre: 62; nombre de bulletins rejetés: 4. Un document daté du 6 octo- bre 1981, qui est censé être une résolution du conseil de bande et qui a été versé à titre de preuve, déclare qu'une loi relative aux élections dans la réserve de Cote a été préparée par le conseil de bande, approuvée par une majorité d'In- diens inscrits de Cote et qu'elle est ainsi entrée en vigueur. Cette résolution est signée par le chef et sept des douze conseillers.
Le 26 janvier 1982, le sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, M. Paul M. Tel- lier, a publié un document qui prétend modifier
' S.C. 1951, chap. 29.
2 S.C. 1956, chap. 40, art. 20.
l'arrêté C.P. 1701 en rayant de l'annexe de cet arrêté la bande indienne de Cote. Ce document a supposément pour but et pour effet de permettre à la bande indienne de Cote de remettre en vigueur les coutumes électorales de la bande. Le fait que depuis lors diverses élections ont été tenues confor- mément aux coutumes de la bande n'est pas con testé. Le demandeur a lui-même été élu membre du conseil de bande de Cote le 31 juillet 1986 dans le cadre d'une élection régie par une coutume de la bande.
Le demandeur désire obtenir une déclaration portant que le régime des élections tenues confor- mément aux coutumes de bande n'a jamais été rétabli légalement, car le décret de Paul Tellier daté du 26 janvier 1982 est invalide. Bien que Sa Majesté soit la défenderesse à titre nominal dans le jugement, la Couronne n'a pas soulevé d'objections sur ce mode d'obtention d'une déclaration. De même, la Couronne ne conteste pas le droit du demandeur de chercher à obtenir, en tant que membre de la bande et du conseil, une telle déclaration.
Conclusions
J'en suis arrivé à la conclusion que la seule question que je dois trancher est celle de la validité du décret du 26 janvier 1982 du sous-ministre. La question de fond soulevée par le demandeur à ce sujet est celle de savoir si un sous-ministre peut modifier un décret. À première vue, l'idée que cela soit possible est quelque peu surprenante.
Il serait utile de commencer par demander si le ministre des Affaires indiennes et du Nord cana- dien aurait pu lui-même modifier le décret de 1952. A cet égard, il y a lieu de noter que si le ministre ou son prédécesseur avait auparavant émis la déclaration faite en vertu de ce qui était alors le paragraphe 73 (1) de la Loi sur les Indiens, il serait semble-t-il habilité à annuler cette déclaration. Cette interprétation se fonde sur le paragraphe 31(4) de la Loi d'interprétation 3 .
31....
(4) Le pouvoir de prendre des règlements comporte celui de les modifier, abroger ou remplacer, ou d'en prendre d'autres, les
3 L.R.C. (1985), chap. I-21; au moment de la publication de l'arrêté de 1982, il s'agissait du paragraphe 26(4) des S.R.C. 1970, chap. 1-23.
conditions d'exercice de ce second pouvoir restant les mêmes que celles de l'exercice du premier.
Dans la Loi d'interprétation, le terme «règlement» est défini comme tout «décret, ordonnance, procla mation ... ou autre acte pris: soit dans l'exercice d'un pouvoir conféré sous le régime d'une loi fédérale».
Une déclaration faite en vertu de l'ancien paragra- phe 73(1) de la Loi sur les Indiens serait un acte pris dans l'exercice d'un pouvoir conféré sous le régime de cette Loi. Par conséquent, en vertu des dispositions générales de la Loi d'interprétation et en l'absence de toute disposition spécifique limi- tant le pouvoir d'abrogation implicite, le ministre serait habilité à abroger son propre règlement. Je n'accepte pas qu'on puisse, comme le prétend le demandeur, trouver une telle limitation dans le paragraphe 4(2) de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), chap. I-5], qui confère exclusivement au gouverneur en conseil le pouvoir de déclarer que certaines parties de la Loi sur les Indiens ne s'appliquent pas à une bande particulière. Le demandeur prétend que le gouverneur en conseil ayant un pouvoir général, il est interdit au ministre de se prévaloir du pouvoir qu'accorde implicite- ment la Loi d'interprétation pour abroger ses pro- pres décrets. Je ne suis pas de cet avis, car je crois que ces pouvoirs respectifs sont assez différents les uns des autres. Il n'y a aucune raison de conclure du paragraphe 4(2) de la Loi sur les Indiens à une «intention contraire» qui aurait préséance sur les pouvoirs autrement conférés par la Loi d'interpré- tation, en vertu de laquelle ceux qui prennent les règlements ou les décrets sont également habilités à les abroger.
Naturellement, la déclaration de 1952, que le sous-ministre prétend abroger au sujet de cette bande, n'avait pas été adoptée par un ministre ou un sous-ministre. Il s'agissait d'un décret, le gou- verneur en conseil étant la seule personne ou le seul organe alors autorisé par la Loi sur les
Indiens de 1951 faire une telle déclaration, qui assujettit la tenue d'élections dans la bande de Cote aux dispositions de la Loi sur les Indiens. Cependant, l'alinéa 44g) de la Loi d'interpréta- tion 4 dispose que lorsqu'un texte est abrogé:
° Note 3 ci-dessus; la disposition applicable au moment de l'adoption de l'arrêté de 1982 aurait été l'alinéa 36g), S.R.C. 1970, chap. 1-23.
44....
g) les règlements d'application du texte antérieur demeurent en vigueur et sont réputés pris en application du nouveau texte, dans la mesure de leur compatibilité avec celui-ci, jusqu'à abrogation ou remplacement;
Comme il a été mentionné précédemment, l'ancien paragraphe 73(1) de la Loi sur les Indiens, qui était en vigueur en 1952 et autorisait le gouverneur en conseil à déclarer que les élections de bande devaient être tenues en vertu de la Loi sur les Indiens, a été modifié en 1956 pour soustraire ce pouvoir au gouverneur en conseil et le confier de préférence au ministre. Par conséquent, l'ali- néa 44g) de la Loi d'interprétation et la disposi tion correspondante de la version antérieure de cette Loi ont pour effet que tous les «règlements» (et il a été déjà fait mention du fait qu'une telle déclaration devrait être un «règlement» au sens de la Loi d'interprétation) pris en vertu de l'ancien paragraphe 73(1), notamment la déclaration dont il est question ici, resteraient en vigueur, mais seraient réputés avoir été adoptés conformément au paragraphe modifié en 1956, c'est-à-dire qu'ils seraient réputés avoir été pris par le ministre. Comme nous l'avons vu, en vertu du paragraphe 31(4) de la Loi d'interprétation et des dispositions correspondantes de la version antérieure de cette Loi, si le ministre était sensé avoir fait la déclara- tion contenue dans l'arrêté de 1952, il aurait le droit de l'abroger.
Reste à trancher la question de savoir si un tel pouvoir d'abrogation pourrait être délégué au sous- ministre. L'article 3 de la Loi sur les Indiens dispose:
3. (1) Le ministre est chargé de l'application de la présente loi; il est le surintendant général des affaires indiennes.
(2) Le ministre peut autoriser le sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ou le fonctionnaire qui est directeur de la division du ministère relative aux affaires indiennes à accomplir et exercer tout pouvoir et fonction que peut ou doit accomplir ou exercer le ministre aux termes de la présente loi ou de toute autre loi fédérale concernant les affaires indiennes.
Le pouvoir de délégation au sous-ministre que le paragraphe 3(2) donne au ministre a une portée illimitée s'appliquant à tout «pouvoir et fonction» que le ministre peut exercer en vertu de cette Loi. Une copie certifiée de l'acte de délégation de pouvoir daté du 10 juin 1980, et qui était en vigueur en 1982 au moment ou le ministre des
Affaires indiennes et du Nord canadien a publié le décret, autorisait le sous-ministre entre autres choses à:
... exercer tous devoirs, pouvoirs et fonctions que peut ou doit accomplir ou exercer le Ministre aux termes de la présente Loi
Il est difficile d'imaginer une autorisation plus catégorique du pouvoir de déléguer que celle qu'on trouve au paragraphe 3(2) de la Loi sur les Indiens ni un exercice plus catégorique de ce pou- voir de déléguer que celle qui est exprimée dans cet acte de délégation. Tout en acceptant l'argument du procureur de la défenderesse selon lequel dans certaines circonstances un pouvoir de déléguer ne peut pas être accordé de façon implicite, j'estime qu'il n'y a pas lieu de considérer ici un tel pouvoir comme implicite, car il est explicitement accordé en des termes très larges et il a été exercé en des termes tout aussi explicites et tout aussi larges. Dans ces circonstances, il n'est pas nécessaire de chercher un autre pouvoir implicite comme celui que confère l'alinéa 24(2)c) de la Loi d'interpréta- tion et de la disposition correspondante de la ver sion antérieure de cette Loi, ce sur quoi se fonde la défenderesse.
Je conclus donc que le pouvoir que le ministre avait d'abroger la déclaration contenue dans le décret de 1952 a été légalement délégué au sous- ministre qui en a fait un exercice légal en promul- guant le décret du 26 janvier 1982. Cela étant, il n'y a aucune possibilité de faire les déclarations sollicitées par le demandeur.
Il convient de mentionner que le demandeur avait également allégué que le décret du sous- ministre n'avait pas été publié, comme l'exige la Loi sur les textes réglementaires', mais cet argu ment a été abandonné. Je n'ai pas examiné la question de la validité du référendum du 31 juillet 1981 ni celle de la résolution du conseil de bande du 6 octobre 1981, puisque je ne vois pas en quoi ils peuvent affecter la validité du décret de janvier 1982 du sous-ministre. Le pouvoir qu'a le sous- ministre d'adopter ou d'abroger une déclaration en vertu de l'actuel paragraphe 74(1) relatif à la tenue d'une élection conformément à la Loi sur les Indiens n'est en aucune façon subordonné à la tenue d'un référendum ou à l'adoption d'une réso-
5 S.C. 1970-71-72, chap. 38.
lution du conseil de bande. S'il est sans aucun doute extrêmement important que le ministre prenne en considération les opinions de la bande, dans la mesure celles-ci sont exprimées avec précision, la Loi n'exige en aucune façon que ces opinions soient formulées de manière officielle, par exemple par référendum ou par résolution du con- seil de bande. Se fondant en partie sur le fait que la bande a elle-même demandé de considérer l'abrogation de la déclaration de 1982, l'avocat de la défenderesse a soutenu que la Cour devrait considérer cet élément pour débouter le deman- deur soit pour cause d'irrecevabilité soit sur la base de l'exercice d'une discrétion équitable. Ayant conclu que la Cour ne peut émettre la déclaration demandée, je ne vois pas la nécessité de considérer ni l'irrecevabilité de la demande ni le critère de l'exercice de la discrétion. Je me contenterai d'ajouter que je doute fort que la notion d'irreceva- bilité pourrait empêcher le demandeur de contester le décret de 1982, si en fait aucun texte de loi n'autorisait l'adoption de ce décret.
La cause est donc rejetée avec dépens.
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