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A-224-90
Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta (appelante)
c.
The Edmonton Friends of the North Environmen tal Society, The Peace River Environmental Society, également connue sous le nom de Friends of the Peace, The Metis Association of the North west Territories, The Friends of the Athabasca Environmental Association, The Northern Light Society et la Nation déliée (intimés)
RÉPERTORIÉ: EDMONTON FRIENDS OF THE NORTH ENVIRON MENTAL SOCIETY c. CANADA (MINISTRE DE LA DIVERSIFICA TION DE L'ÉCONOMIE DE L'OUEST CANADIEN) (C.A.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci, juges Heald et Stone, J.C.A.—Edmonton, 10 septembre; Ottawa, 28 septembre 1990.
Pratique Parties Jonction Ordonnance en vertu de laquelle la Couronne du chef de l'Alberta a été constituée partie intimée à certaines conditions en ce qui concerne les contre-interrogatoires, les plaidoiries, le calendrier établi et les dépens La situation de partie est différente de celle d'intervenante La Règle 1716(2)b) permet d'ajouter des parties à une procédure judiciaire aux conditions que la Cour estime justes L'ordonnance n'était pas juste et raisonnable, car les conditions équivalaient à réduire le rôle de la Couronne à celui d'intervenante Le pouvoir discrétionnaire conféré par la Règle 1716(2)b) n'est pas absolu, mais il doit être exercé de façon raisonnable Conditions supprimées La jonction a été faite à juste titre même si aucun redressement n'était réclamé contre la Couronne provinciale La partie sur les droits de laquelle le litige influera directement devrait pouvoir interjeter appel.
Environnement Ordonnance constituant la Couronne pro- vinciale partie intimée à une procédure judiciaire fondée sur l'art. 18 et visant l'annulation de décisions de ministres fédé- raux concernant la construction d'une usine à papier Le litige influe directement sur les droits de la province en tant que propriétaire d'un pont et d'un embranchement de chemin de fer et des ressources naturelles La jonction a été faite à juste titre même si aucun redressement n'était réclamé contre la province, car celle-ci devait avoir un droit d'appel.
Il s'agissait d'un appel formé contre une ordonnance en vertu de laquelle l'appelante a été constituée partie intimée dans la procédure judiciaire à des conditions très strictes en ce qui concerne les contre-interrogatoires, les plaidoiries, le calendrier établi et les dépens. En imposant ces conditions, le juge de première instance s'est, par analogie, appuyé sur la Règle 1716(2)b), qui permet à la Cour, «aux conditions qu'elle estime justes», d'ordonner qu'une personne soit constituée partie. L'ap- pelante a été constituée partie intimée parce que le juge croyait qu'elle «aurait l'être» et afin de lui accorder un droit d'appel.
La demande vise à obtenir l'annulation de décisions de plusieurs ministres portant sur la construction d'une usine de pâte à papier et d'installations connexes sur la rivière de la Paix. L'appelante affirmait avoir un intérêt direct dans l'issue de l'affaire en sa qualité de propriétaire d'un embranchement de chemin de fer et d'un pont que l'on était en train de construire sur la rivière de la Paix en même temps que l'usine de pâte à papier et en sa qualité de propriétaire des ressources naturelles situées dans la province et à l'égard desquelles elle jouit d'une compétence constitutionnelle exclusive et notam- ment du droit de délivrer des permis, des licences et, d'une manière générale, de gérer ces ressources naturelles. La cons truction de l'embranchement était terminée en grande partie et celle du pont était amorcée.
La question était de savoir si le juge de première instance, en imposant ces conditions, avait agi conformément au pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la Règle 1716(2)b) et (par voie d'appel incident) si seulement l'appelante aurait être constituée partie intimée, étant donné qu'aucun redresse- ment n'était réclamé contre la Couronne du chef de l'Alberta et que la Section de première instance n'a pas le pouvoir d'accor- der un redressement contre elle en vertu des dispositions législa- tives invoquées.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli et l'appel incident rejeté.
L'ordonnance n'était pas «juste et raisonnable» et les condi tions imposées devraient être supprimées. La Règle 1716 ne vise pas à constituer une personne intervenante, mais partie. Il y a une différence considérable entre la situation d'un interve- nant et celle d'une partie. Le pouvoir discrétionnaire conféré par la Règle 1716(2)b), tout en étant étendu, n'est pas absolu, mais son exercice doit être fondé sur des motifs raisonnables. Le juge s'est trompé en imposant des conditions si fondamenta- les qu'elles réduisaient le rôle de l'appelante davantage à celui d'une intervenante qu'à celui d'une partie à part entière.
L'appelante a été constituée partie intimée à juste titre même si aucun redressement n'était réclamé contre elle. Les tribunaux ont déjà constitué des personnes parties défenderesses même si aucun redressement n'était réclamé contre elles et, comme en l'espèce, lorsque l'issue du litige influera directement sur les droits de l'une des parties, afin que celle-ci puisse avoir un droit d'appel.
L'extension de la portée de la procédure judiciaire et le délai que pourrait apporter la présence de l'appelante en tant que partie intimée sont des conséquences qui peuvent normalement résulter d'une procédure judiciaire dans laquelle l'issue de l'affaire influera directement sur les droits d'une tierce partie.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18.
Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), chap. N-22.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1716(2)b).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Adidas (Can.) Ltd. c. Skoro Enterprises Ltd., [19711 C.F. 382; (1971), 12 C.P.R. (2d) 67 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Corporation de la ville de Toronto c. Morencie, [1989] 1 R.C.S. vii; Halton Community Credit Union Ltd. v. ICL Computers Can. Ltd. (1985), 3 C.P.C. (2d) 252 (C.A. Ont.); Société des droits d'exécution du Canada Ltée c. Société Radio-Canada (1986), 7 C.P.R. (3d) 433; 64 N.R. 330 (C.A.F.); International Business Machines Corporation c. Xerox of Canada Limited et Xerox Cor poration (1977), 16 N.R. 355 (C.A.F.); Algonquin Mer cantile Corp. c. Dart Indust. Can. Ltd. (1984), 5 C.I.P.R. 40; 3 C.P.R. (3d) 143 (C.A.F.); Ayscough v. Bullar (1889), 41 Ch.D. 341 (C.A.); Attorney-General v. Pon- typridd Waterworks Company, [1908] 1 Ch. 388 (Ch.D.); La Nation dénée c. La Reine, [1983] 1 C.F. 146 (1"° inst.); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2, C.F. 18 (C.A.); Curtner v. Circuit, [1968] 2 Q.B. 587 (C.A.); Amon v. Raphael Tuck & Sons Ltd., [1956] 1 Q.B. 357 (Q.B.D.).
AVOCATS:
Andrea B. Moen pour l'appelante.
John J. Gill pour les intimés The Edmonton Friends of the North Environmental Society, The Peace River Environmental Society, éga- lement connue sous le nom de Friends of the Peace, The Metis Association of the North west Territories, The Friends of the Atha- basca Environmental Association, The Nor thern Light Society et la Nation dénée.
P. John Landry pour Daishowa Canada Co. Ltd.
Ingrid C. Hutton, c.r. pour le ministre de la Diversification de l'économie de l'Ouest cana- dien, le ministre des Transports, le ministre des Pêches et Océans et le ministre de l'Environnement.
PROCUREURS:
Milner & Steer, Edmonton, pour l'appelante. McCuaig, Desrochers, Edmonton, pour les intimés The Edmonton Friends of the North Environmental Society, The Peace River Environmental Society, également connue sous le nom de Friends of the Peace, The Metis Association of the Northwest Territo ries, The Friends of the Athabasca Environ-
mental Association, The Northern Light Society et la Nation défiée.
Davis & Company, Vancouver, pour Dais- howa Canada Co. Ltd.
Le sous-procureur général du Canada pour le ministre de la Diversification de l'économie de l'Ouest canadien, le ministre des Transports, le ministre des Pêches et Océans et le ministre de l'Environnement.
Le sous-ministre de la Justice, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, Yellowknife, pour le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: Il s'agit d'un appel interjeté à la suite de l'ordonnance rendue en première instance le 13 mars 1990 [dont les motifs sont publiés à (1990), 34 F.T.R. 137], en vertu de laquelle l'appelante était constituée partie intimée dans la procédure fondée sur l'article 18 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] qui avait été intentée au moyen d'un avis de requête déposé le 16 février 1990. L'appelante avait demandé à la Section de première instance d'être constituée partie intimée ou sûbsidairement intervenante dans la procédure.
La demande présentée en première instance visait à l'obtention de brefs de certiorari et de mandamus contre le ministre de la Diversification de l'économie de l'Ouest canadien, le ministre des Transports, le ministre des Pêches et Océans et le ministre de l'Environnement, qui étaient parties intimées, à la suite de décisions portant sur la construction et l'exploitation d'une usine de pâte à papier et d'installations connexes sur la rivière de la Paix, dans le nord de l'Alberta. Le litige découle essentiellement de l'affirmation selon laquelle ces décisions sont régies par le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84- 467 (le «Décret sur les lignes directrices») qui, est-il allégué, lie ces ministres et n'a pas été observé.
Le présent appel, ainsi que les appels interjetés à la suite d'ordonnances similaires rendues simulta- nément en première instance dans les dossiers T-441-90 (A-211-90 [Daishowa Canada Co. Ltd.
c. North Environmental Society, C.A.F., le juge Stone, J.C.A., jugement en date du 28-9-90, encore inédit]), T-441-90 (A-212-90 [Daishowa Canada Co. Ltd. c. Bande indienne de Little Red River, C.A.F., le juge Stone, J.C.A., jugement en date du 28-9-90, encore inédit]) et T-441-90 (A-225-90 [Alberta c. Bande indienne de Little Red River, C.A.F., le juge Stone, J.C.A., jugement en date du 28-9-90, encore inédit]) ont été instruits en même temps. Les motifs exprimés dans le pré- sent dossier s'appliqueront aux autres dossiers et y seront versés de façon à constituer les motifs de jugement y afférents, sauf dans la mesure des modifications ou des ajouts auront été faits.
L'ORDONNANCE
Il est opportun de citer le libellé de l'ordonnance contestée:
[TRADUCTION] ORDONNANCE
Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta est par les présentes constituée partie intimée dans la procédure aux conditions suivantes:
1. Ladite partie intimée ne pourra pas présenter de plaidoi- ries, en plus de celles qui ont déjà été versées au dossier;
2. En présentant sa preuve, ladite intimée doit respecter le calendrier établi par les autres parties;
3. Ladite intimée peut assister aux contre-interrogatoires des auteurs des affidavits produits par les requérants, mais elle n'aura pas le droit d'y participer. Cette restriction ne s'appli- que pas aux affidavits que les requérants auront produits en vue de répondre directement aux affidavits que ladite intimée pourrait déposer dans la procédure. Dans la mesure l'auteur d'un affidavit pourrait être contre-interrogé par plus d'un avocat par suite de la présente ordonnance, les avocats devront éviter le chevauchement des tâches et les retards en désignant un avocat principal ou en se partageant cette tâche de quelque autre manière;
4. L'intimée n'aura pas le droit de réclamer des dépens.
Toutes les conditions susmentionnées sont, bien sûr, assujetties à tout jugement que le juge qui aura instruit la demande au fond pourrait rendre'.
LES POINTS LITIGIEUX
En l'espèce, deux questions doivent être exami nées. L'appelante soutient que les conditions sus- mentionnées devraient être radiées, étant donné en particulier que le juge avait déjà conclu qu'elle devait être constituée partie intimée plutôt qu'in-
' De même, l'ordonnance se rapportant au dossier du greffe A-225-90 était favorable à l'appelante, alors que dans les dossiers A-211-90 et A-212-90, les ordonnances ont été rendues en faveur de l'appelante Daishowa Canada Co. Ltd.
tervenante. Au moyen d'un appel incident, les intimés soutiennent que l'appelante n'aurait pas être constituée partie étant donné que la Section de première instance n'a pas compétence pour accorder un redressement contre celle-ci 2 .
EXAMEN
Les conditions
J'examinerai d'abord la question se rapportant aux conditions. L'appelante affirme avoir un inté- rêt direct dans l'issue de l'affaire en sa qualité de propriétaire d'un embranchement de chemin de fer et d'un pont que l'on est en train de construire sur la rivière de la Paix en même temps que l'usine de pâte à papier de Daishowa Canada Co. Ltd. Le 23 février 1990, 97 % de l'embranchement était achevé et 26 % du pont l'était. La construction de l'embranchement était financée au moyen d'une subvention de 9 500 000 $ du ministère fédéral de la Diversification de l'économie de l'Ouest cana- dien. En outre, l'appelante affirme que l'Alberta a de fait délivré les permis de construction de l'usine de pâte à papier ainsi qu'une licence provisoire en vue de la construction des installations de prise d'eau et de rejet d'effluent dans la rivière de la Paix, avec le droit de détourner l'eau de cette rivière. Ces installations ont été exemptées des dispositions de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), chap. N-22, par le ministre des Transports, qui a également accordé son consentement à l'appelante à l'égard du pont, conformément à cette Loi. L'appelante soutient qu'elle devrait donc avoir pleinement qualité pour agir à titre d'intimée sans être assujettie aux con ditions énoncées dans l'ordonnance. Comme elle le dit au paragraphe 6 de son mémoire:
[TRADUCTION] 6. L'Alberta a un intérêt immédiat dans l'issue de l'affaire étant donné qu'elle est propriétaire du pont et de l'embranchement. En outre, l'Alberta est d'une manière géné- rale propriétaire des ressources naturelles situées en Alberta et a une compétence constitutionnelle exclusive pour s'occuper de ces ressources naturelles comme elle le juge bon, et notamment le droit de délivrer des permis, des licences et d'une manière générale, de gérer ces ressources naturelles.
L'appelante soutient que les conditions imposées l'empêcherait de présenter une preuve, de contre-
2 Aucun appel incident n'a été interjeté dans les autres affaires mainentant en instance.
interroger des témoins qui lui sont défavorables et de faire des observations.
Le savant juge de première instance a exprimé les motifs suivants à l'appui des conditions impo sées [aux pages 141 et 142]:
En l'espèce, j'en conclus qu'il serait approprié de constituer l'Alberta et Daishowa intimées, sous réserve de conditions strictes qui régiraient le rôle qu'elles seraient appelées à jouer. Cette conclusion est fondée sur le fait que la seule raison qui justifie de les constituer intimées plutôt qu'intervenantes est de leur accorder des droits d'appel. J'en arrive à cette conclusion en tenant compte du principe que la partie qui engage des procédures judiciaires devrait normalement être capable de choisir ceux qui seront constitués parties et d'être maîtresse de la structure générale de la cause. Je me fonde dans une très large mesure sur le fait que les arguments qui seront présentés à l'audition de la demande seront surtout de nature juridique (l'interprétation qu'il faut donner aux lignes directrices (PEEME) et aux lois fédérales respectives) et sur le fait que tous les éléments de preuve pertinents devraient être possédés et connus des intimés actuels.
La, Règle 1716 prévoit que de telles modalités et conditions peuvent être 'imposées lorsque des personnes sont constituées parties, s'il est juste de le faire. En l'espèce, j'estime que les conditions suivantes tombent dans cette catégorie. L'Alberta et Daishowa devraient avoir le droit de présenter une preuve (c'est-à-dire, de déposer une preuve par affidavit) et de contre- interroger les auteurs de tout affidavit déposé en réponse aux leurs. Cependant, je ne crois pas qu'elles puissent déborder le cadre du débat en abordant des questions qui n'ont pas déjà été établies par les requérants dans leur cause. Elles ne se verront accorder aucun droit de déposer des plaidoiries et elles doivent accepter les plaidoiries, telles qu'elles existent actuellement. En ce qui a trait au contre-interrogatoire des auteurs des affidavits des requérants, elles auront le droit d'y assister à titre d'obser- vatrices, mais non d'y participer. L'adjonction de l'Alberta et de Daishowa en qualité d'intimées ne devrait d'aucune manière entraver ou retarder le calendrier convenu par les requérants et les intimés actuels ou celui que les requérants pourraient con- vaincre la Cour d'imposer. A cet égard, l'ordonnance qui constitue l'Alberta et Daishowa intimées est rendue à la condi tion expresse qu'elles respectent ce calendrier. En outre, je ne crois pas qu'elles puissent ni l'une ni l'autre demander de dépens. Des ordonnances seront émises conformément aux pré- sents motifs.
Le savant juge de première instance s'est par analogie appuyé sur la Règle 1716(2)b) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] 3 . À son avis, la présence de l'appelante devant la Cour n'était pas «nécessaire», conclusion qui n'est pas contestée. Le juge semble' avoir décidé de consti- tuer l'appelante partie intimée pour le motif que
Règle 1761. ...
(2) La Cour peut, à tout stade' d'une action, aux conditions qu'elle estime justes, et soit de sa propre initiative, soit sur demande,
(Suite à la page suivante)
cette dernière «aurait l'être» mais croyait égale- ment que la jonction devait être autorisée étant donné qu'à son avis, l'appelante souhaitait «acqué- rir des droits d'appel» (Dossier d'appel, page 31).
La Règle 1716(2)b) n'est pas propre à la prati- que et à la procédure en vigueur devant la Cour fédérale. En effet, cette Règle, ou une règle simi- laire, se trouve dans les règles régissant la pratique et la procédure en vigueur devant la Cour suprême de l'Ontario depuis au moins 1913. Apparemment, elle vient d'Angleterre. Elle ne vise pas à consti- tuer une personne intervenante, mais partie. Bien sûr, il y a une différence considérable entre la situation d'un intervenant et celle d'une partie. Ainsi, l'intervenant doit en général accepter le dossier tel quel. Il n'a pas qualité pour interjeter appel (Corporation de la ville de Toronto c. Morencie, [1989] 1 R.C.S. vii). D'autre part, la partie qui est jointe à la suite de l'ordonnance rendue par un tribunal aura normalement les mêmes droits que les autres parties, et notamment le droit de présenter une preuve et de faire des observations. De fait, on a dit qu'elle a le droit absolu de contre-interroger les témoins qui sont défavorables à ses intérêts (voir Halton Commu nity Credit Union Ltd. v. ICL Computers Can. Ltd. (1985), 3 C.P.C. (2d) 252 (C.A. Ont.), à la page 253).
Il s'agit en fait ici de savoir si en imposant les conditions susmentionnées, le juge de première instance a agi conformément au pouvoir discré- tionnaire qui lui est conféré par la Règle 1716(2)b). Ce pouvoir discrétionnaire est indubita- blement étendu—(«aux conditions [que la Cour] estime justes»)—mais ce n'est pas un pouvoir absolu laissé à son entière discrétion. L'exercice d'un tel pouvoir doit être fondé sur des motifs
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(b) ordonner que soit constituée partie une personne qui aurait être constituée partie ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer qu'on pourra valablement et complètement juger toutes les questions en litige dans l'ac- tion et statuer sur elles ...
raisonnables 4 . Cette Cour doit hésiter à intervenir dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire comme celui-ci, mais elle peut le faire pour certains motifs précis, et notamment s'il est conclu que l'ordon- nance n'est pas «juste et raisonnable» 5 .
Comme je l'ai dit, la demande a été intentée contre plusieurs ministres fédéraux. Si elle était agréée, les conséquences pour l'appelante pour- raient bien être passablement graves. L'argent que l'appelante a investi en vue de la construction du pont et de l'embranchement de chemin de fer pourrait bien être en danger si l'usine n'était pas en mesure de fonctionner ou si son exploitation était longuement retardée par suite de l'omission des ministres fédéraux de se conformer au Décret sur les lignes directrices, à supposer qu'il soit conclu que ce décret les lie. L'efficacité de tout permis ou de toute licence délivrés en vertu de la loi provinciale en vue de la construction de l'usine ainsi que des installations de prise d'eau et de rejet d'effluent, compte tenu de l'exemption fédérale qui a été accordée au propriétaire de l'usine, Daishowa Canada Co. Ltd., conformément à la Loi sur la protection des eaux navigables, pourrait bien être remise en question. Pourtant, l'appelante ne sera pas en mesure de présenter sa propre preuve et ses propres arguments, à savoir que le Décret sur les lignes directrices ne s'applique pas, en raison d'un accord fédéral-provincial selon lequel l'évaluation du projet, au point de vue de l'environnement, relève de la province. Elle ne pourra pas non plus examiner à fond sous quelque aspect que ce soit tout ce qui peut se rapporter à l'exercice du pou- voir discrétionnaire conféré à la Section de pre- mière instance en vertu de l'article 18.
L'ordonnance rendue en première instance est quelque peu hybride; en effet, elle ressemble à certains égards à une ordonnance en vue de consti- tuer une personne partie simpliciter et, par suite des conditions imposées, elle ressemble également
4 Voir par exemple Société des droits d'exécution du Canada Ltée c. Société Radio-Canada (1986), 7 C.P.R. (3d) 433 (C.A.F.), le juge Heald, J.C.A., aux p. 445 et 446.
5 Voir par exemple International Business Machines Corpo ration c. Xerox of Canada Limited et Xerox Corporation (1977), 16 N.R. 355 (C.A.F.); Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Indust. Can. Ltd. (1984), 5 C.I.P.R. 40 (C.A.F.).
à une ordonnance visant à accorder le statut d'in- tervenant. Je ne suis pas du tout certain que le juge ait eu raison d'ajouter ces conditions'.
On ne nous a reportés à aucune affaire dans laquelle le tribunal, ayant décidé de joindre une partie avant la tenue de l'audience, a limité le rôle de la nouvelle partie d'une façon aussi fondamen- tale qu'en l'espèce. À mon avis, les conditions imposées réduisent de beaucoup le rôle de l'appe- lante de sorte que son statut ressemble davantage à celui d'une intervenante qu'à celui d'une partie à part entière. En effet, elles limitent la preuve que l'appelante peut présenter et la position qu'elle peut prendre; il en va de même pour le contre- interrogatoire. En fait, elles obligent l'appelante à accepter le dossier tel quel et à se conformer au «calendrier» établi en vue de l'audition de la demande fondée sur l'article 18 indépendamment des répercussions que celui-ci peut avoir sur sa capacité de faire valoir son propre point de vue'.
L'ordonnance rendue en première instance prive également l'appelante des frais de la procédure fondée sur l'article 18, bien que la décision finale à ce sujet soit laissée à la discrétion du juge qui instruit la demande. À mon avis, une telle condi tion pourrait bien influer sur la manière dont ce juge exercera son pouvoir discrétionnaire. Il aurait été préférable de ne rien dire au sujet des dépens et de laisser cette question à la discrétion de ce juge, de façon qu'il exerce son pouvoir de la manière jugée opportune compte tenu des circonstances existant à ce moment-là. En effet, c'est lui qui est le mieux placé pour prendre une décision sans être influencé par l'opinion que le savant juge des requêtes s'est formée à l'étape préliminaire.
6 À mon avis, il n'est pas souhaitable d'établir une règle générale d'interprétation du libellé de la Règle 1716(2)b). Cette dernière ne précise pas de quelle manière le pouvoir discrétionnaire doit être exercé, mais elle autorise tout au moins le juge à exiger que le requérant paie les frais de la demande interlocutoire (voir pas exemple Ayscough v. Bullar (1889), 41 Ch.D. 341 (C.A.); Attorney -General v. Pontypridd Water works Company, [1908] 1 Ch. 388 (Ch.D.)), ayant cependant une portée plus générale. Une telle ordonnance concernant les frais ne doit pas porter atteinte aux droits ordinaires que la personne qui est jointe peut exercer en tant que partie à la procédure principale.
' A l'audience, on nous a informés que la demande fondée sur l'article 18 doit maintenant être instruite au début de 1991. Le «calendrier» convenu semble donc avoir été modifié par les événements en ce sens qu'apparemment, l'audience devait avoir lieu en juillet 1990 lorsque l'usine commencerait à être exploi- tée, comme elle l'a de fait été.
Bref, à mon avis, l'ordonnance n'est pas «juste et raisonnable» compte tenu des conditions imposées. Je supprimerai donc ces conditions.
La question de la compétence
Il faut maintenant examiner l'argument que les intimés ont invoqué dans le cadre de l'appel inci dent, à savoir que le juge de première instance n'aurait pas constituer l'appelante partie étant donné qu'aucun redressement n'était réclamé contre elle et que la Section de première instance n'était pas compétente pour lui accorder un redres- sement en vertu des dispositions législatives invo- quées (La Nation déliée c. La Reine, [1983] 1 C.F. 146 (1"e inst.)). Les tribunaux ont parfois constitué une personne partie défenderesse même si aucun redressement n'était réclamé contre elle 8 ; ils ont également reconnu, que cette partie qui était jointe serait en mesure de s'opposer au redresse- ment demandé et de se faire entendre en ce qui concerne les conditions de tout jugement 9 . Cela dépend des circonstances de l'espèce. La présente Cour a bien voulu joindre une partie dans une procédure comme celle-ci pour le simple motif qu'étant donné que l'issue de l'affaire influerait directement sur les droits de cette partie, cette dernière devait être en mesure de se prévaloir de son droit d'appel (Adidas (Can.) Ltd. c. Skoro Enterprises Ltd., [1971] C.F. 382 (C.A.); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.)). Le principe énoncé par la présente Cour dans l'affaire Adidas semble s'appliquer encore plus lorsque comme en l'espèce, la demande fondée sur l'article 18 est encore en instance devant la Sec tion de première instance.
DÉCISION
Je dois ajouter une dernière remarque avant de trancher l'appel. Les intimés craignent que la pré- sence de l'appelante en tant que partie à part entière ait pour effet d'accroître la portée de la procédure fondée sur l'article 18 et de la retarder, ainsi que d'entraîner une augmentation des frais. Je conviens que toutes ces choses sont possibles mais, à coup sûr, il ne s'agit que de conséquences qui peuvent normalement résulter d'une procédure
Gurtner v. Circuit, [ 1968] 2 Q.B. 587 (C.A.).
9 Comparer Amon v. Raphael Tuck & Sons Ltd., [1956] 1
Q.B. 357 (Q.B.D.), à la p. 383.
judiciaire dans laquelle l'issue de l'affaire influera directement sur les droits d'une tierce partie. La Cour a le pouvoir d'exercer un contrôle sur sa procédure de façon à s'assurer que justice est faite et à cette fin, elle peut, le cas échéant, examiner tout abus évident de la procédure qui aurait d'une manière ou d'une autre été commis et notamment la question du recouvrement des frais. Or, en l'espèce aucun abus de ce genre n'est évident.
Par conséquent, j'accueille l'appel avec dépens et je modifie l'ordonnance qui a été rendue le 13 mars 1990 en supprimant tout ce qui suit l'ex- pression [TRADUCTION] «aux conditions suivan- tes:» de façon que la nouvelle ordonnance soit ainsi libellée:
[TRADUCTION] Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta est par les présentes constituée partie intimée dans la procédure. L'intitulé de la cause est modifié de façon que Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta y figure à titre de partie intimée.
L'appel incident est rejeté.
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: Je souscris à cet avis.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à cet avis.
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