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T-3180-90
Southam Inc., Lower Mainland Publishing Ltd., Rim Publishing Inc., Yellow Cedar Properties Ltd., North Shore Free Press Ltd., Specialty Publishers Inc., Elty Publications Ltd. (demande- resses)
c.
Le procureur général du Canada, le Tribunal de la concurrence et le directeur des enquêtes et recher- ches en vertu de la Loi sur la concurrence (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: SOUTHAM INC. c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉ- RAL) (1' e INST.)
Section de première instance, juge MacKay — Toronto, 24 janvier; Ottawa, 13 février 1991.
Coalitions Demande visant à suspendre toute procédure en instance devant le Tribunal de la concurrence en attendant que des tribunaux d'appel rendent leur décision sur la consti- tutionnalité du Tribunal de la concurrence Application des principes régissant les injonctions interlocutoires Le fait qu'il existe des décisions contradictoires sur des questions d'ordre constitutionnel indique que des questions sérieuses ont été soulevées Les requérantes risquent de subir un préjudice irréparable, étant donné qu'elles seront exposées à des procé- dures qui peuvent s'avérer inutiles, ainsi qu'à des dépenses de temps et d'argent qui ne pourront être compensées si l'on tranche les questions d'ordre constitutionnel en leur faveur Le préjudice que le public risque de subir l'emporte sur le préjudice que risquent de subir les requérantes si la suspension est accordée et que la constitutionnalité du Tribunal est confirmée.
Pratique Suspension d'instance Les mêmes principes régissent les demandes de suspensions d'instance et les deman- des d'injonction interlocutoire Le requérant doit démontrer qu'il existe une question sérieuse à trancher, qu'il subira un préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvé- nients favorise la suspension Lorsque la constitutionnalité des dispositions législatives qui régissent l'instance est contes- tée, l'intérêt public est un facteur spécial dont il faut tenir compte dans l'appréciation de la prépondérance des inconvé- nients.
Juges et tribunaux Courtoisie judiciaire La Cour supérieure du Québec a statué que l'art. 92 de la Loi sur la concurrence contrevenait à la Déclaration canadienne des droits et à la Charte et que le Tribunal de la concurrence enfreignait les exigences constitutionnelles d'impartialité et d'indépendance Le Tribunal de la concurrence a confirmé sa propre constitutionnalité Les deux décisions ont été portées en appel Requête visant à suspendre toute procédure devant le Tribunal de la concurrence, en attendant que des tribunaux d'appel rendent leur décision concernant des questions d'ordre constitutionnel La Cour fédérale respecte la décision rendue dans l'affaire entendue au Québec mais est contrainte d'exer- cer son propre pouvoir discrétionnaire.
La Southam Inc., qui publie deux quotidiens qui sont diffusés à Vancouver et dans le Lower Mainland de la Colombie-Britan- nique, a acquis des intérêts directs et indirects dans plusieurs autres entreprises de distribution et d'imprimerie du Lower Mainland. La Southam et d'autres sociétés requérantes ont pris des engagements tenus pour distincts aux termes desquels elles ont convenu de maintenir le statu quo qui existait à l'époque la Southam avait acquis ses intérêts, en attendant que le directeur rende sa décision à la suite de son enquête. Après que la Southam eut donné avis que les engagements en question ne seraient pas prorogés, le directeur a demandé au Tribunal de la concurrence de rendre des ordonnances obligeant la Southam à se départir de ses intérêts dans trois publications.
Il s'agit d'une demande visant à suspendre toute procédure en instance devant le Tribunal de la concurrence relativement à une demande présentée par le directeur des enquêtes et recher- ches aux termes de l'article 92 de la Loi sur la concurrence. L'article 92 autorise le Tribunal à ordonner la dissolution d'une fusion ou à empêcher des parties de procéder à une fusion. Les requérantes sont également les demanderesses dans une action en jugement déclaratoire portant que l'article 92 de la Loi sur la concurrence est inconstitutionnel et que le Tribunal, dans la forme il est constitué, viole la Charte et est contraire aux articles 96 et 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour supérieure du Québec a statué que l'article 92 contrevenait à la Déclaration canadienne des droits et à la Charte, et que le Tribunal enfreignait les exigences constitutionnelles d'impartia- lité et d'indépendance parce qu'il compte parmi ses membres des personnes gardant des liens avec des institutions publiques et privées. Mais, dans la décision NutraSweet, le Tribunal de la concurrence a confirmé sa propre constitutionnalité. Les deux décisions ont été portées en appel. La Cour d'appel du Québec a confirmé l'ordonnance suspendant toute procédure en ins tance devant le Tribunal de la concurrence en attendant qu'une décision soit rendue au sujet des questions d'ordre constitution- nel. Les requérantes tentent d'obtenir une ordonnance suspen- dant toute procédure devant le Tribunal en attendant que soient tranchées deux affaires en instance devant des tribunaux d'ap- pel, ou en attendant qu'une décision définitive soit prononcée au sujet de l'action qu'elles ont introduite devant la présente Cour.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Les principes qui régissent les demandes de suspension d'ins- tance sont les mêmes que ceux qui régissent les demandes d'injonction interlocutoire. La partie qui cherche à obtenir une suspension doit faire la preuve qu'il existe une question sérieuse à juger, qu'elle subirait un préjudice irréparable si la suspension n'était pas accordée et que d'autres facteurs à prendre en considération dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients justifient la suspension. Lorsqu'une suspension est demandée en se fondant sur le motif que les dispositions législatives qui régissent l'instance font l'objet d'une contesta- tion constitutionnelle, l'intérêt public doit être considéré comme un facteur spécial dont il faut tenir compte dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients.
Le fait qu'il existe des décisions contradictoires sur les ques tions constitutionnelles indique que des questions sérieuses ont été soulevées.
En attendant que l'on règle les questions constitutionnelles soulevées, les requérantes risquent de subir un préjudice irrépa-
rable si l'on ne suspend pas les procédures devant le Tribunal de la concurrence. Le fait de poursuivre les procédures avant que soient réglées les questions d'ordre constitutionnel exposerait les requérantes à des procédures qui peuvent s'avérer inutiles, ainsi qu'à des dépenses de temps et d'argent qui ne pourront être compensées si l'on tranche en fin de compte les questions d'ordre constitutionnel en leur faveur. La Cour prend connais- sance d'office qu'il est possible que les engagements en question soient considérables. Il est plus probable que les objections que les requérantes ont soulevées au sujet des procédures du Tribu nal soient accueillies, en raison du fait qu'une cour supérieure a tranché les questions d'ordre constitutionnel d'une manière qui étaye la position des requérantes. L'inquiétude exprimée au sujet de la divulgation éventuelle de renseignements commer- ciaux confidentiels au cours de procédures devant le Tribunal n'est pas un motif pour conclure à l'existence d'un préjudice irréparable car le Tribunal est habilité à rendre des ordonnan- ces de confidentialité. Il est possible que des renseignements confidentiels soient dévoilés, mais, à ce stade-ci, on peut diffici- lement considérer que ce risque est une conséquence probable des procédures du Tribunal. On ne peut présumer que l'issue des procédures (c.-à-d., celle des ordonnances obligeant la Southam à se départir de ses intérêts dans certaines publica tions) est réglée d'avance. Les requérantes pourraient de plus demander que l'on suspende l'application des ordonnances en attendant que les questions d'ordre constitutionnel soient résolues.
Quant à la prépondérance des inconvénients, le risque de préjudice à l'intérêt public l'emporte sur le risque possible de préjudice aux requérantes. Si l'on rendait une ordonnance de suspension mais que la composition du Tribunal était par la suite confirmée et que le pouvoir légiféré qui lui a été conféré à l'égard des fusions était jugé valide, cela porterait atteinte de diverses façons à l'intérêt public. Les prétendus effets anticon- currentiels de la fusion pourraient ne pas être tous atténués en dépit des engagements tenus pour distincts. Une ordonnance de suspension d'instance pourrait avoir valeur de précédent dans d'autres procédures analogues, au moins dans celles qui mettent en cause des fusions, engagées devant le Tribunal de la concur rence. Le fait de suspendre indéfiniment les procédures se déroulant devant le Tribunal aggraverait les problèmes de preuve et de plaidoiries aux audiences différées du Tribunal. Qui plus est, cela ajouterait à l'incertitude qui entoure les dispositions législatives relatives aux fusions et aux activités du Tribunal, non seulement en attendant que les questions consti- tutionnelles soient réglées, mais par la suite jusqu'au règlement des procédures que la suspension que l'on cherche ici à obtenir différerait.
Quant au moyen tiré de la courtoisie judiciaire la Cour d'appel du Québec a confirmé la suspension de l'instance se déroulant devant le Tribunal de la concurrence la Cour respecte cette décision mais doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 2d).
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appen- dice I11, art. lc).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5], art. 96, 101.
Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), chap. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2° suppl.), chap. 19, art. 19), art. 1.1 (édicté, idem), 10 (mod., idem, art. 23), 45 (mod., idem, art. 30), 45.1 (édicté, idem, art. 31), 92 (édicté, idem, art. 45), 97 (édicté, idem).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18.
Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2' suppl.), chap. 19, art. 8(2), 16.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
320(1) (mod. par DORS/88-221, art. 5), 332(1). Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/87-373,
Règles 15, 40(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321; [1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man. R. (2d) 241; 25 Admin. L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R. 341.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Yri-York Ltd. c. Canada (Procureur général), [1988] 3 C.F. 186; (1988), 30 Admin. L.R. 1; 16 F.T.R. 319; 83 N.R. 195 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Couture Inc. c. Canada (Procureur général) (1990), 69 D.L.R. (4th) 635 (C.S.Qué.); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. NutraSweet Co. (1990), 32 C.P.R. (3d) 1 (Trib. cone.); Canada (Procureur général) c. Alex Couture Inc., [1987] R.J.Q. 1971; (1987), 14 Q.A.C. 259; 18 C.P.R. (3d) 382 (C.A.); General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641; (1989), 58 D.L.R. (4th) 255; 24 C.P.R. (3d) 417; 93 N.R. 326; 32 O.A.C. 332.
DOCTRINE
McKenna Christine Boersma «Hold Separate Orders in Government Antimerger suits» (1982), 70 Georgetown L.J. 1337.
Note «Preliminary Relief for the Government under Sec tion 7 of the Clayton Act» (1965), 79 Harv. L.R. 391.
AVOCATS:
G. F. Leslie et R. E. Kwinter pour les
demanderesses.
S. Wong et L. Rhul pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour les demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: Il est question ici d'une demande, présentée en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale', pour que soit rendue une ordonnance de prohibition suspendant toute procédure en instance devant le Tribunal de la concurrencez relativement à une demande déposée auprès du Tribunal, le 29 novembre 1990, par le directeur des enquêtes et recherches aux termes de l'article 92 de la Loi sur la concurrence'.
Contexte
Les requérantes sont les demanderesses dans une action introduite par la voie d'une déclaration déposée auprès de la présente Cour, le 3 décembre 1990, par laquelle elles cherchent à obtenir qu'il soit statué que certaines dispositions de la Loi sur la concurrence, y compris l'article 92, et la Loi sur le Tribunal de la concurrence contreviennent aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés 4 et de la Déclaration canadienne des droits 5 , et que le Tribunal, dans la forme il est constitué, viole la Charte et est contraire aux articles 96 et 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5]]. Les demanderesses cherchent aussi à obtenir une ordonnance interdisant les procédures engagées devant le Tribunal de la concurrence à la suite d'une demande de la part du Directeur. L'avis de
L.R.C. (1985), chap. F-7.
2 Tel qu'établi par la [Loi sur le Tribunal de la concurrence] L.R.C. (1985) (2' suppl.), chap. 19.
3 L.R.C. (1985), chap. C-34, mod. [par L.R.C. (1985) (2' suppl.), chap. 19, art. 19, 45].
° Voir la Loi constitutionnelle de 1982, Partie I, telle qu'a- doptée par la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), annexe B, (L.R.C. (1985), appendice II, 44).
S.C. 1960, chap. 44, Partie I, telle que modifiée. (Voir L.R.C. (1985), appendice III.)
requête par lequel a été introduite cette demande d'ordonnance de suspension, initialement déposé le 4 décembre 1990, a été remplacé par un avis de dépôt de requête, en date du 17 décembre 1990 et comportant essentiellement les mêmes dispositions quant au fond. Les requérantes tentent d'obtenir une ordonnance suspendant toute procédure devant le Tribunal en attendant que soient tran- chées deux affaires en instance devant des tribu- naux d'appel 6 , ainsi que tout appel découlant des décisions rendues, affaires dans le cadre desquelles sont analysées les questions principales que les requérantes ont soulevées dans leur déclaration, ou en attendant qu'une décision définitive soit pro- noncée au sujet de l'action que les requérantes ont introduite devant la présente Cour.
À l'audition de la présente demande, les deman- deresses, toutes désignées comme intimées par le Directeur des enquêtes et recherches dans la demande présentée devant le Tribunal de la con currence, étaient collectivement représentées par des procureurs. Les défendeurs, le procureur géné- ral du Canada et le Directeur des enquêtes et recherches en vertu de la Loi sur la concurrence, étaient collectivement représentés par des procu- reurs. Le Tribunal de la concurrence n'était pas représenté.
La Southam, société requérante, constituée en vertu des lois du Canada et ayant son siège à Toronto, a pour entreprise de publier des journaux et d'exécuter des activités connexes dans diverses provinces du Canada. Par l'entremise d'une filiale en propriété exclusive, constituée en Colombie-Bri- tannique, la Southam possède et publie deux quoti- diens, le Province et le Vancouver Sun, tous deux diffusés dans toute la région métropolitaine de Vancouver et dans ce que l'on appelle le Lower Mainland (les basses-terres continentales) de la Colombie-Britannique. Les procédures entamées devant le Tribunal de la concurrence découlent de mesures que la Southam a prises pour étendre ses activités de publication et d'impression en faisant l'acquisition d'autres entreprises dans le Lower Mainland de la Colombie-Britannique.
6 Couture Inc. c. Canada (Procureur général) (1990), 69 D.L.R. (4th) 635 (C.S. Qué.), appel en instance devant la C.A. Qué.; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Nutra- Sweet Co. (1990), 32 C.P.R. (3d) 1, (Trib. conc.), appel en instance devant la C.A.F.
Dans le cadre d'une série d'opérations conclues entre les demanderesses et d'autres sociétés le 27 janvier 1989 et, plus tard, le 8 mai 1990, la Southam acquit des intérêts directs et indirects dans quelque 13 journaux de portée locale (dont le Vancouver Courier et le North Shore News), une revue de publicité immobilière (Real Estate Weekly), trois entreprises de distribution de pros pectus et deux imprimeries, toutes exploitées dans le Lower Mainland de la Colombie-Britannique.
Avant qu'ait lieu la première de ces opérations, par laquelle la Southam acquit un intérêt minori- taire dans l'une des sociétés demanderesses, la Southam fit part au Directeur des enquêtes et recherches de l'opération en question en décembre 1988. Par la suite, elle communiqua les renseigne- ments que le Directeur demanda et, au mois de mars 1989, cclui-ci confirma par écrit, comme la Southam l'avait demandé, que cette opération ini- tiale [TRADUCTION] «de l'avis du Directeur des enquêtes et recherches, ne l'incitera pas à entre- prendre une enquête en vertu de l'article 10 [mod., idem, art. 23] de la Loi sur la concurrence ou de présenter une demande au Tribunal de la concur rence en vertu de l'article 92 de la Loi». Cette opinion était considérée comme soumise aux dispo sitions de l'article 97 [édicté, idem, art. 45] de la Loi, qui prescrit qu'une demande peut être faite à l'égard d'un fusionnement (c'est-à-dire, aux termes de l'article 92) jusqu'à trois ans après que l'opéra- tion a été exécutée en substance.
Il semble qu'aucun renseignement n'ait été fourni au préalable au Directeur au sujet des opérations qui eurent lieu plus tard, en mai 1990, et qui menèrent à l'acquisition, par la Southam, d'intérêts directs et indirects dans les autres socié- tés requérantes et dans un certain nombre de publications. Par la suite, à la demande du Direc- teur, la Southam fournit des renseignements au sujet de ces opérations et, le 7 juin 1990, la Southam et d'autres sociétés requérantes prirent, par l'entremise de leurs dirigeants, des engage ments tenus pour distincts, par lesquels lesdites sociétés convinrent de prendre des mesures prescri- tes, toutes conçues pour maintenir le statu quo, tel qu'il existait à l'époque la Southam avait acquis ses intérêts, sans autre changement aux rapports ou à l'intégration des diverses sociétés demanderes- ses et de leurs publications, et ce, en attendant que
le Directeur se prononce, à la suite de son enquête, sur le fusionnement que constituaient les opéra- tions. Lesdits engagements, pris transitoirement, furent prorogés à l'occasion et modifiés, en exemp- tant apparemment des entreprises et des publica tions qui, selon le Directeur, ne lui étaient plus utiles pour son enquête. Avis fut donné au mois de novembre, pour le compte de la Southam, que les engagements ne seraient plus prorogés. Par la suite, ainsi qu'il fut noté, le Directeur demanda au Tribunal de la concurrence de rendre des ordon- nances qui, si elles étaient octroyées, obligeraient la Southam à se départir de ses intérêts dans les trois publications mentionnées, soit le Vancouver Courier, le North Shore News et le Real Estate Weekly.
Quand la demande fut déposée auprès du Tribu nal de la concurrence, que l'action et la présente requête des requérantes furent entamées et que l'affaire fut entendue, des décisions, aujourd'hui en instance d'appel, avaient été rendues au sujet des questions principales que les requérantes soule- vaient dans leur action. Ainsi, dans l'affaire Cou- ture Inc. c. Canada (Procureur général)', le juge Philippon, de la Cour supérieure du Québec, décréta, dans une décision qu'il rendit le 6 avril 1990, que les dispositions de la Loi sur la concur rence, dont l'article 92, qui autorise le Tribunal de la concurrence à ordonner la dissolution d'une fusion ou que des parties ne procèdent pas à une fusion, violent les droits d'association qui sont protégés en vertu de l'alinéa Ic) de la Déclaration canadienne des droits et de l'alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il statua aussi que le Tribunal de la concurrence était une cour investie de pouvoirs étendus en matière d'en- quêtes et de décisions et qu'il enfreignait les exi- gences constitutionnelles d'impartialité et d'indé- pendance par suite de l'inclusion de non-juristes gardant des liens avec des institutions publiques et privées. L'affaire fut portée en appel devant la Cour d'appel du Québec, et elle est actuellement en instance. La seconde décision, qui est datée du 4 octobre 1990, et que le Tribunal de la concurrence a lui-même rendue dans l'affaire NutraSweet 8 , arriva à la conclusion opposée à celle de la décision que le juge Philippon rendit dans l'affaire Couture
7 Précitée, note 6.
8 Précitée, note 6.
Inc. relativement à la question de la constitution- nalité du Tribunal. Cette décision fut portée en appel, en accord avec la Loi sur le Tribunal de la concurrence, devant la Cour d'appel fédérale.
Canada (Procureur général) c. Alex Couture Inc. 9 est une autre décision, rendue par la Cour d'appel du Québec, qui est pertinente en l'espèce. Dans cette affaire, la Cour a confirmé l'ordon- nance accordée par le juge des requêtes de la Cour supérieure, laquelle ordonnance avait pour objet de suspendre les procédures engagées devant le Tribu nal de la concurrence jusqu'à la date fixée pour l'audition de l'action visant à déclarer nulles et inopérantes certaines dispositions de la Loi sur la concurrence, action qui mena à la décision que prit ultérieurement le juge Philippon. L'ordonnance de suspension d'instance fut prorogée en attendant qu'une décision soit rendue au sujet des questions d'ordre constitutionnel en jeu, à la condition que les sociétés en cause s'engagent à restreindre l'inté- gration des opérations constituant la fusion 10 .
La question en litige et le critère permettant de la régler
La question que soulève la demande est celle de savoir si la Cour devrait user du pouvoir discré- tionnaire que lui confère l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale pour suspendre des procédures du Tribunal de la concurrence. La Cour d'appel, dans l'arrêt Yri-York Ltd. c. Canada (Procureur général) ", a réglé la question de ce pouvoir, ainsi que celle du pouvoir parallèle prévu à l'article 50. Les parties sont convenues que le critère qui régit l'exercice du pouvoir discrétionnaire des juges à l'égard des demandes de suspension d'instance pour cause de contestation de dispositions constitu- tionnelles et celui qu'a énoncé le juge Beetz dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropo litan Stores Ltd 12 . Dans cette affaire, le juge Beetz, qui s'exprimait au nom de la Cour, a déter- miné que les principes qui régissent les demandes de suspension d'instance dans les affaires de cette nature sont les mêmes que ceux qui régissent les
9 [1987] R.J.Q. 1971; (1987), 18 C.P.R. (3d) 382 (C.A.).
10 Le juge Philippon, dans l'arrêt Couture Inc., précité, note
6, à la p. 640.
" [1988] 3 C.F. 186 (C.A.), juge Heald, J.C.A., aux p. 195 à
200.
12 [1987 1 R.C.S. 110.
demandes d'injonction interlocutoire. C'est-à-dire que la partie qui cherche à obtenir une suspension doit faire la preuve qu'il existe une question sérieuse à juger, qu'elle subirait un préjudice irré- parable si la suspension demandée n'était pas accordée et que d'autres facteurs à prendre en considération dans l'appréciation de la prépondé- rance des inconvénients étayent la suspension. Le juge Beetz a déclaré que, lorsqu'une suspension est demandée en se fondant sur le motif que les dispo sitions législatives qui régissent l'instance font l'ob- jet d'une contestation constitutionnelle, l'intérêt public doit être considéré comme un facteur spé- cial dont il faut tenir compte dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients 13 .
Le critère des questions sérieuses
Il est allégué pour les requérantes, et les procu- reurs des intimés le concèdent, que les questions constitutionnelles que celles-ci soulèvent dans l'ac- tion introduite présentent effectivement des ques tions sérieuses qu'il faut juger. Le fait que la Cour supérieure du Québec ait tranché les questions principales en faveur des requérantes, encore que cette décision soit en instance d'appel, et que le Tribunal de la concurrence ait déterminé autre- ment certaines des mêmes questions, une décision qui est aujourd'hui en instance devant la Cour d'appel fédérale, est une indication suffisante que l'on a soulevé des questions sérieuses.
Le préjudice irréparable qu'ont subi les requéran- tes
La deuxième exigence à laquelle les requérantes doivent satisfaire, conformément au critère fixé par l'arrêt Metropolitan Stores, est de convaincre la Cour que celles-ci subiront un préjudice irrépa- rable si l'on ne suspend pas les procédures enga gées devant le Tribunal de la concurrence en atten dant que soient réglées des contestations d'ordre constitutionnel à la législation applicable. Un pré- judice irréparable est bien sûr un préjudice que l'on ne peut réparer facilement au moyen de dommages-intérêts.
Le préjudice irréparable qu'anticipent les requé- rantes, advenant que les procédures engagées devant le Tribunal de la concurrence se poursui- vent et qu'il soit déterminé par la suite que ces
13 Idem, à la p. 149.
procédures sont invalides, est exprimé dans un affidavit établi sous serment par M. Paul Renaud, vice-président aux finances du Groupe Southam, et déposé à l'appui de la demande. Le passage perti nent de ce document (paragraphe 13) est libellé en ces termes:
[TRADUCTION] Des conseillers juridiques m'ont indiqué et je crois fermement que, si le Tribunal entendait complètement le fond de l'affaire, la Southam subirait un préjudice irréparable et, notamment:
a) la direction consacrera beaucoup de temps et d'argent à se préparer aux audiences du Tribunal et à y participer, audiences qui pourraient être considérées au bout du compte comme nulles et non avenues;
b) lors des audiences du Tribunal seraient largement divul- gués des renseignements confidentiels sur la Southam et ses activités commerciales, sous forme de production de documents et de témoignages verbaux sous serment, un fait qui présente le risque de porter atteinte à la situation commerciale et concur- rentielle de la Southam, d'autant plus que l'on pourrait accor- der le droit d'intervenir à des personnes dont les intérêts sont contraires à ceux de la Southam; et
c) si la demande du Directeur était retenue, la Southam pourrait être tenue de se départir d'une partie ou de la totalité des éléments d'actif auxquels la demande se rapporte. Il ne serait vraisemblablement pas possible d'acquérir de nouveau ces éléments d'actif si l'on annulait par la suite les procédures engagées devant le Tribunal pour des raisons d'ordre constitutionnel.
A aussi été déposé pour le compte des requéran- tes, le 23 janvier 1991, soit la veille de l'audition de la demande, un affidavit de M. John F. Howard, membre associé du cabinet d'avocats représentant les requérantes. Cet affidavit relate l'expérience de son auteur à l'égard d'autres ins tances prolongées devant le Tribunal de la concur rence dans le cadre desquelles le Directeur des enquêtes et recherches visait à obtenir une ordon- nance d'agrément au sujet d'une fusion. Selon l'affidavit, les sous-alinéas a) et c) de l'affidavit de M. Renaud décrivent un préjudice possible qui [TRADUCTION] «cadre parfaitement avec l'expé- rience que j'ai des procédures de cette nature», et le sous-alinéa b) évoque la possibilité que des renseignements confidentiels soient divulgués, encore qu'il s'agisse d'une éventualité qui ne peut être prévue avec certitude. En fait, en ce qui concerne ce dernier point, la seule expérience qu'a- vait M. Howard, laquelle est mentionnée dans son affidavit, était que le Tribunal avait rendu des ordonnances protégeant des renseignements com- merciaux de propriété contre toute divulgation.
Les procureurs des intimés ont formulé un cer tain nombre d'objections aux «éléments de preuve» exposés dans ces affidavits. Ils sont réputés contre- venir à la Règle 332(1) [Règles de la Cour fédé- rale, C.R.C., chap. 6631' 4 . Les procureurs ont cité plusieurs causes des affidavits renfermant des déclarations par ouï-dire sur l'opinion du témoin n'avaient pas été admis parce que la source des renseignements n'avait pas été indiquée (dans la présente espèce, il a été dit que les «conseillers juridiques» n'avaient pas été identifiés dans le pas sage introductif du paragraphe de l'affidavit de M. Renaud), ou que les motifs de l'opinion exprimée n'avaient pas été exposés. Le procureur des intimés a également parlé de décisions l'on s'était dit insatisfait d'affidavits qu'avaient fournis des avo- cats. En outre, il a été indiqué que, dans l'affidavit de M. Renaud, il n'était pas clair que le «conseiller juridique», qui n'est pas nommé, indique qu'il y a un risque de préjudice irréparable, un point dont les requérantes pouvaient avoir connaissance, et, pour ce qui est de l'affidavit de M. Howard, il a été dit que ce dernier n'était pas qualifié comme expert des procédures devant le Tribunal de la concurrence et que son expérience dans une autre cause non liée n'avait aucun rapport avec la situa tion de la Southam et des autres requérantes. Enfin, les procureurs s'opposent à l'affidavit de M. Howard qui, selon eux, ne satisfait pas à la Règle 320(1) des Règles de la Cour fédérale [mod. par DORS/88-221, art. 5] 15 . Le procureur des intimés a cependant signalé que, si l'affidavit de M. Howard était admis et se révélait un facteur important dans la décision sur cette affaire, il continuerait de s'opposer à son admission car, étant donné que l'affidavit avait été produit tardi- vement, il n'avait pas eu l'occasion d'obtenir des
14 La Règle 332(1) prescrit ce qui suit:
Règle 332. (1) Les affidavits doivent se restreindre aux faits que le témoin est en mesure de prouver par la connaissance qu'il en a, sauf en ce qui concerne les requê- tes interlocutoires pour lesquelles peuvent être admises des déclarations fondées sur ce qu'il croit et indiquant pour- quoi il le croit.
15 La Règle 320(1) prévoit ce qui suit:
Règle 320. (1) A moins que la Cour n'en ordonne autre- ment, qu'il ne s'agisse d'une requête visée à la Règle 321.1 ou que la requête ne soit présentée ex parte, l'avis de requête accompagné des affidavits à l'appui est déposé au moins deux jours francs avant le jour qui y est mentionné pour l'audience.
instructions ou d'envisager d'effectuer un contre- interrogatoire.
Selon moi, aucune de ces exceptions de procé- dure suffisent pour que la Cour se prononce contre l'admission du paragraphe 13 de l'affidavit de M. Renaud ou de celui de M. Howard. Même si le premier n'est pas rédigé convenablement et que l'affidavit de M. Howard ne se rapporte pas direc- tement à la question du préjudice irréparable dont pourraient souffrir les requérantes en l'espèce, tous deux portent sur les motifs pour lesquels les requé- rantes, par l'entremise de l'affidavit de M. Renaud, qui exprime l'opinion que ce dernier s'est fait d'après l'avis de conseillers juridiques sur la nature des procédures devant le Tribunal, considè- rent, peut-on dire, qu'elles courent un risque de préjudice irréparable si les procédures du Tribunal de la concurrence ne sont pas suspendues. Je suis d'avis d'admettre cette preuve par affidavit et d'éviter de régler la demande en me fondant sur des questions de procédure quand, à l'audience, les procureurs des intimés ont concédé qu'en l'espèce les procédures devant le Tribunal de la concur rence nécessiteront vraisemblablement du temps et un engagement de la part des membres de la direction et de leurs avocats, ainsi que des dépen- ses, qui, quoi qu'il advienne, ne seront pas compen- sés. Je note aussi que, dans l'exposé des faits et du droit des intimés (paragraphe 40), au sujet d'un aspect différent de la demande, il est dit qu'une demande présentée en vertu de la Partie VIII de la Loi sur la concurrence [édicté, idem] (qui inclut les procédures relatives aux requérantes en l'es- pèce) comporte un examen de questions d'ordre juridique et économique complexes. Il me semble qu'il n'y a pas de désaccord avec l'affirmation, faite pour le compte des requérantes, que les pro- cédures devant le Tribunal impliqueront vraisem- blablement une dépense de temps et d'argent qui ne sera aucunement compensée, même s'il était jugé au bout du compte que ces procédures sont frappées de nullité.
Avant de poursuivre, je voudrais dire que je ne suis pas convaincu que les autres préoccupations que soulèvent les requérantes justifient de quelque façon que l'on conclue à un risque de préjudice irréparable. Leur inquiétude au sujet de la divulga- tion éventuelle de renseignements commerciaux confidentiels au cours de procédures devant le
Tribunal n'est pas un motif pour conclure à l'exis- tence d'un préjudice irréparable. Le Tribunal est habilité à rendre des ordonnances de confidentialité 16 , et le procureur des intimés a fait référence dans sa plaidoirie, à titre d'exemple, aux ordonnances rendues dans l'affaire NutraSweet au sujet du caractère confidentiel de documents. Les procureurs des requérantes ont fait toutefois res- sortir l'expérience qu'ils avaient au sujet de la production de la demande portant sur leurs accords, lorsqu'elles avaient fait valoir qu'il fallait apposer le sceau de la confidentialité sur certains des renseignements que comprenait la demande du Directeur; cependant, à ce stade, le président du Tribunal n'avait pas retenu cet argument. Malgré cette expérience, je crois savoir que le Tribunal étudiera de façon sérieuse les demandes motivées qu'on lui soumet pour que l'on traite confidentiel- lement les preuves documentaires particulières que produisent les requérantes, voire des témoignages verbaux, notamment celles qui renferment des ren- seignements susceptibles de présenter une valeur commerciale aux yeux de concurrents. C'est ce que l'affidavit de M. Howard semble étayer implicite- ment. En bref, il est possible que des renseigne- ments confidentiels soient dévoilés, mais, à ce sta- de-ci, on peut difficilement considérer que ce risque est une conséquence probable des procédu- res du Tribunal, et les préoccupations que suscite cette question ne constituent pas un fondement à une conclusion de préjudice irréparable.
Il est vrai que, si les procédures se poursuivent, il se peut que le Tribunal de la concurrence rende les ordonnances que cherche à obtenir le Directeur des enquêtes et recherches, exigeant que la Sou- tham et d'autres requérantes se départissent d'inté- rêts dans certaines publications. Il ne fait aucun doute que de telles ordonnances auraient de sérieu- ses conséquences pour les requérantes. Ces ordon- nances ne seraient toutefois rendues qu'après une audience les requérantes, en supposant que ces
16 L'art. 8(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, précitée, note 2, investit le Tribunal des «attributions d'une cour supérieure d'archives», et l'art. 16 autorise ce dernier à établir des règles régissant ses pratiques et procédures. L'art. 15 des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/87-373, prévoit que le Tribunal peut trancher une demande présentée à lui pour qu'un document ne soit pas accessible au public ou à des personnes en particulier; et l'art. 40(2) prévoit que, sur demande, le Tribunal peut ordonner que des procédures ne soient pas publiques.
dernières croient que leurs accords ne contrevien- nent pas à la Loi sur la concurrence, aient toutes les possibilités voulues de convaincre le Tribunal du bien-fondé de leur cause. En bref, on ne peut présumer que l'issue des procédures est réglée d'avance. En outre, si les procédures se poursui- vent devant le Tribunal de la concurrence et que l'on rende les ordonnances que le Directeur cher- che à obtenir avant que soient réglées les questions d'ordre constitutionnel qui sont soulevées, rien n'empêcherait les requérantes de demander que l'on suspende l'application desdites ordonnances en attendant que les questions d'ordre constitutionnel soient résolues. La troisième préoccupation qui est exprimée dans l'affidavit de M. Renaud, à titre de motif de préjudice irréparable vraisemblable, est que, s'il était ordonné aux requérantes de se dépar- tir d'éléments d'actif et s'il était jugé par la suite, pour des motifs constitutionnels, que le fait de se départir des éléments d'actif en question et les procédures du Tribunal étaient invalides, il y aurait alors peu de chances d'acquérir de nouveau les éléments d'actif dont les requérantes se seraient départies. Cette série de faits conditionnels est, selon moi, par trop spéculative pour conclure à l'existence d'un préjudice irréparable.
Reste donc, comme fondement à une conclusion de préjudice irréparable, la préoccupation des requérantes au sujet de la participation à des procédures qui, en fin de compte, peuvent être considérées comme nulles. Reconnaissant que les requérantes dépenseront du temps et de l'argent pour les procédures engagées devant le Tribunal de la concurrence, et ce, selon toute probabilité, avant que soient réglées définitivement les questions d'ordre constitutionnel qu'elles ont soulevées, les intimés font valoir qu'aucune preuve de fait ou aucun témoignage d'opinion n'indique si cette dépense sera considérable. Toutefois, en un sens, tout avis au sujet d'un préjudice irréparable pros- pectif, une éventualité future, est inévitablement une question d'opinion, et la seule question qui se pose véritablement est celle de savoir si le préju- dice anticipé est raisonnablement fondé. À ce sta- de-ci, nul ne pourrait prévoir avec exactitude les engagements que pourraient nécessiter des procé- dures que les requérantes contesteront selon toute probabilité. À mon sens, la Cour, dans les circons- tances de l'espèce, peut prendre judiciairement
connaissance qu'il est raisonnable d'anticiper que ces engagements peuvent être considérables avant que les questions d'ordre constitutionnel soient définitivement réglées. Même si c'est le cas, la question qui se pose est celle de savoir si cela constitue un préjudice irréparable. Il n'est pas surprenant que les parties diffèrent d'opinion sur la question.
Dans l'affaire Metropolitan Stores, l'on cher- chait à obtenir une suspension d'instance dans des procédures engagées devant la Labour Relations Board (Commission des relations du travail) du Manitoba, procédures dont l'objet était d'imposer une première convention collective, et l'on met- tait en doute la validité des dispositions législatives investissant ce pouvoir à la Commission, le juge des requêtes détermina que l'imposition d'une pre- mière convention collective constituerait en soi un préjudice irréparable s'il était plus tard déterminé que les dispositions législatives qui prévoyaient l'imposition de la convention étaient une nullité constitutionnelle. Cette conclusion ne fut pas con- testée en appel ".
Dans l'affaire Yri-York Ltd. 18 , la Cour d'appel fédérale fit droit à un appel de la décision du juge des requêtes et rendit une ordonnance suspendant les procédures engagées devant la Commission sur les pratiques restrictives du commerce en vertu de la loi qui a précédé l'actuelle Loi sur la concur rence. Dans cette affaire, la Cour d'appel conclut à l'existence d'un préjudice irréparable en ce sens que, en vertu des dispositions législatives applica- bles, des registres ou des documents produits dans les procédures auraient pu constituer le fondement d'une poursuite criminelle subséquente contre les parties qui avaient reçu l'ordre de les produire dans des audiences d'enquête que l'ordonnance demandée visait à faire suspendre. Ce fondement à une conclusion de préjudice irréparable ne semble pas être présent en l'espèce car il est impossible que les accords conclus par la Southam et d'autres requérantes fassent l'objet d'une poursuite crimi-
" Affaire précitée, note 12, à la p. 151. 18 Affaire précitée, note 11.
pelle, relativement à l'infraction de complot à laquelle pourraient donner lieu les accords, étant donné que des procédures ont été engagées en vertu de l'article 92 de la Loi sur la concurrence'.
Dans l'affaire Alex Couture Inc., qui se rappor- tait à l'appel relatif à l'octroi d'une suspension d'instance devant le Tribunal de la concurrence, la Cour d'appel du Québec analyse brièvement la question du préjudice irréparable 20 :
Quant au deuxième critère qu'on appelle le «préjudice irrépa- rable», on le trouve dans le fait que les intimés, en l'absence d'un sursis, doivent participer à des procédures devant un tribunal dont ils contestent la constitutionnalité de même que sa composition.
Pour les requérantes, il est allégué que la Cour devrait suivre les instructions de la Cour d'appel du Québec à cet égard; pour les intimés, il est allégué que la Cour ne devrait pas le faire.
Il est possible de résumer l'inquiétude des requé- rantes au sujet du préjudice irréparable auquel elles s'exposent en disant qu'il s'agit de l'obligation de prendre part à des procédures devant un tribu nal dont elles doutent de la constitutionnalité de la composition ainsi que du pouvoir qu'il a de dispo- ser des questions qui lui sont soumises, et qu'elles anticipent que leur participation à ces procédures exigera du temps, des efforts et des dépenses qui ne seront pas compensés, même si les questions d'ordre constitutionnel en jeu sont, en fin de compte, tranchées en leur faveur. De façon géné- rale, il ne s'agit pas d'une préoccupation unique; toute partie qui prend part à des procédures devant un administrateur, un conseil ou tribunal quelcon- que dont on conteste le pouvoir pour des motifs d'ordre constitutionnel éprouverait le même senti ment. Toutefois, rares sont les causes un requé- rant, qui demande que l'on suspende les procédu-
19 La Loi sur la concurrence, précitée, note 3, prévoit dans l'art. 45(1) [mod., idem, art. 30] qu'il se commet un acte criminel de complot lorsque des parties s'entendent pour limiter ou réduire indûment la concurrence, soit le fondement sur lequel reposent les ordonnances que l'on demande ici au Tribu nal de la concurrence de rendre en vertu de l'art. 92. L'art. 45.1 de la Loi, édicté, idem, art. 31, prescrit ce qui suit:
45.1 I1 ne peut être entamé de procédures en application du paragraphe 45(1) contre une personne qui fait l'objet d'une demande d'ordonnance en vertu de l'article 79 ou 92 lorsque les faits soulevés au soutien de la demande d'or- donnance sont les mêmes ou en substance les mêmes que ceux qui seraient soulevés dans les procédures prévues à ce paragraphe.
20 Affaire précitée, note 9, à la p. 1974 R.J.Q.
res d'un tribunal, sera en mesure d'invoquer une décision d'une cour supérieure qui a déjà tranché les mêmes questions d'ordre constitutionnel que celles que soulèvent le requérant d'une manière qui étaye sa position. Il me semble que cette circons- tance rend la présente cause quelque peu inhabi- tuelle. Selon moi, il y a maintenant plus de chan ces que les objections des requérantes aux procédures du Tribunal soient maintenues, plus qu'avant que la Cour supérieure du Québec ait fait réponse à ces objections dans l'affaire Couture Inc. Le fait de poursuivre les procédures avant que soient réglées les questions d'ordre constitutionnel en jeu, qui n'ont pas seulement été soulevées par les requérantes mais qui sont déjà en instance devant deux tribunaux d'appel dans d'autres causes, expose les requérantes à des procédures qui peuvent s'avérer inutiles, ainsi qu'à des dépenses de temps et d'argent qui ne pourront être compen- sées si l'on tranche en fin de compte lesdites questions d'ordre constitutionnel en leur faveur. Dans les circonstances de l'espèce, je considère que, en attendant que l'on règle les questions constitutionnelles soulevées, il y a un risque que les requérantes subissent un préjudice irréparable si l'on ne suspend pas les procédures du Tribunal de la concurrence.
L'évaluation de la prépondérance des inconvé- nients
Bien sûr, cela ne tranche pas la question, car il est indispensable de prendre en considération la prépondérance des inconvénients. Il faut donc mettre en balance le risque que les requérantes subissent un préjudice irréparable si l'on ne rend pas une ordonnance de suspension d'instance avec le risque que l'on porte préjudice aux intérêts publics si une ordonnance de cette nature est rendue. Dans l'affaire Metropolitan Stores, le juge Beetz a fait remarquer que, dans les cas il est demandé de rendre une injonction ou une suspen sion d'instance contre des administrations publi- ques, les tribunaux «ont conclu à bon droit que c'est une erreur que d'agir à leur égard comme s'ils
avaient un intérêt distinct de celui du public au bénéfice duquel ils sont tenus de remplir les fonc- tions que leur impose la loi» 21 . En outre, faisant référence à l'évaluation de la prépondérance des inconvénients dans les causes de ce type, le juge Beetz a dit ceci 22:
Quoique le respect de la Constitution doive conserver son caractère primordial, il y a lieu à ce moment-là de se demander s'il est juste et équitable de priver le public, ou d'importants secteurs du public, de la protection et des avantages conférés par la loi attaquée, dont l'invalidité n'est qu'incertaine, sans tenir compte de l'intérêt public dans l'évaluation de la prépon- dérance des inconvénients et sans lui accorder l'importance qu'il mérite.
Pour ce qui est des requérantes, il est allégué que la prépondérance des inconvénients favorise une ordonnance suspendant les procédures du Tri bunal. Elles sont disposées à maintenir les accords ou engagements tenus pour distincts, même avec des changements, qui visent à maintenir le statu quo sans prendre de mesures pour intégrer les publications dont le Directeur cherche à obtenir qu'elles se départissent, même si elles ne reconnais- sent pas que leurs accords diminuent la concur rence. Les requérantes ne cherchent pas à obtenir que l'on suspende la Loi sur la concurrence ou son application, sauf en ce qui les concerne et unique- ment en attendant que des questions d'ordre cons- titutionnel soient réglées de façon définitive. En conséquence, selon ce que le juge Beetz a énoncé dans l'arrêt Metropolitan Stores 23 , les requérantes font valoir qu'il est question ici d'un cas d'exemp- tion, que l'octroi d'une suspension des procédures du Tribunal aurait peu d'importance comme pré- cédent, sauf en attendant que soient réglées des questions d'ordre constitutionnel, lorsque les par ties sont disposées à s'engager à maintenir le statu quo et à éviter de prendre des mesures qui, selon le Directeur, sont contraires à la Loi sur la concur rence. Il est dit, de cette façon, qu'en maintenant l'économie de la Loi et de son application on préserve l'intérêt public, en attendant le règlement de questions constitutionnelles sérieuses.
C'est peut-être ce raisonnement qui sous-tend la décision qu'a prise la Cour d'appel du Québec de maintenir la suspension d'instance accordée dans l'affaire Alex Couture Inc. Dans cette dernière, la
21 Affaire précitée, note 12, à la p. 136.
22 Idem, à la p. 135.
23 Idem, aux p. 135 et 146.
Cour a noté que, même si les requérantes considé- raient que leur fusion était parfaitement légitime et ne tombait pas sous le coup de la Loi sur la concurrence, elles avaient convenu d'arrangements qui préservaient le statu quo. Dans ce contexte, la Cour avait déterminé qu'il n'était pas nécessaire, dans l'intérêt du public, que l'ordonnance suspen- dant les procédures soit révoquée 24 . Elle n'était pas disposée à rejeter le pouvoir discrétionnaire dont jouissait le juge des requêtes dans sa compétence propre, apparemment pour le motif que l'intérêt public n'avait pas manifestement plus de poids que celui des sociétés auxquelles la suspension d'ins- tance avait été accordée.
Il est indubitable que la situation dont il est question en l'espèce se compare de façon générale à celle dont ont été saisis les tribunaux du Québec dans les procédures relatives à une suspension d'instance dans l'affaire Alex Couture Inc., sauf que le pouvoir qu'a la présente Cour de suspendre les procédures du tribunal est légal plutôt qu'inhé- rent, que la Cour supérieure du Québec et le Tribunal de la concurrence ont maintenant rendu des décisions sur les questions d'ordre constitution- nel, décisions qui, aujourd'hui, sont toutes deux en instance d'appel, et qu'il se peut qu'en l'espèce les arguments des intimés soient différents de ceux qui ont été présentés pour le compte du procureur général du Canada dans les affaires Couture. Ces différences suffisent, selon moi, pour qu'il faille examiner la question de la prépondérance des inconvénients à la lumière de tous les arguments qui ont été invoqués devant la présente Cour, y compris celui qui concerne la valeur jurispruden- tielle à accorder aux décisions que les tribunaux du Québec ont rendues dans les affaires Couture.
Je résumerai comme suit les arguments impor- tants des intimés au sujet de la prépondérance des inconvénients.
Tout d'abord, les intimés font ressortir les inté- rêts publics importants que défend la Loi sur la
24 Affaire précitée, note 9, à la p. 1975 R.J.Q.
concurrence 25 et que le juge en chef Dickson a implicitement reconnus lorsqu'il a analysé la loi qui l'a précédée, soit la Loi sur les enquêtes relati ves aux coalitions, dans l'arrêt General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing 26 :
... la loi a pour objet d'assurer l'existence d'une saine concur rence dans l'économie canadienne. Les effets néfastes de prati- ques monopolistiques dépassent les frontières provinciales. La concurrence est une question non pas d'intérêt purement local mais d'importance capitale pour l'économie canadienne.
Deuxièmement, les procureurs font valoir que, si l'on octroyait une suspension d'instance, on porte- rait préjudice aux intérêts publics importants que défend la Loi et que le Directeur cherche à encou- rager et à protéger en soumettant la demande au Tribunal. Lcs engagements qu'avaient pris les requérantes visaient simplement à empêcher la mise à exécution des opérations de fusion effec- tuées en attendant que l'on fasse un examen pour évaluer s'il fallait présenter une demande au Tri bunal en vertu de l'article 92 de la Loi, et l'on ne perçoit pas qu'ils préservent l'intérêt public en maintenant et en encourageant la concurrence dans les marchés touchés. De tels engagements, est-il dit, ne peuvent rétablir le degré de concur rence qui existait avant les opérations de fusion ni empêcher la survenue de tous les effets anticoncur- rentiels avant que l'on règle de façon définitive les procédures contestant la fusion". La question de savoir si des mesures transitoires, comme des enga gements tenus pour distincts, contribuent de façon adéquate à l'intérêt public en maintenant la con currence peut requérir une décision préliminaire
25 Précitée, note 2; l'art. 1.1 [édicté, idem, art. 19] édicte que: 1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrrence au Canada dans le but de stimu- ler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie canadienne, d'améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d'assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l'économie canadienne, de même que dans le but d'assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.
26 [ 1989] 1 R.C.S. 641, à la p. 678.
27 Les intimés font référence à McKenna, Hold Separate Orders in Government Antimerger Suits (1982), 70 George- town L.J. 1337, à la p. 1357, et Note, «Preliminary Relief for the Government under Section 7 of the Clayton Act» (1965), 79 Harv. L. Rev. 391, à la p. 395.
sur le bien-fondé de la demande dont est actuelle- ment saisi le Tribunal de la concurrence, une décision qu'il n'appartient pas à la présente Cour de prendre, mais pour laquelle la compétence et les fonctions spécialisées du Tribunal de la concur rence conviennent particulièrement bien.
Troisièmement, les procureurs allèguent que, si l'on octroyait une suspension d'instance, cette mesure aurait un effet jurisprudentiel qui pourrait avoir comme conséquence de porter préjudice à l'intérêt public général à maintenir et à encourager la concurrence, relativement à des procédures similaires dans d'autres causes de fusion, et, plus sérieusement, relativement à d'autres procédures dans le cadre de la partie VIII de la Loi sur la concurrence, ou à des procédures préliminaires menant à ces dernières, à soumettre à l'examen du Tribunal de la concurrence.
Les procureurs des requérantes souscrivent à la première de ces possibilités mais uniquement dans la mesure les parties en cause peuvent tomber dans la catégorie d'exemptions qu'a décrite le juge Beetz, en prenant l'engagement de maintenir le statu quo, comme les requérantes sont disposées à le faire et comme l'ont fait apparemment les par ties en cause dans l'affaire Alex Couture Inc.. Pour les intimés, cela soulève la possibilité que des cas d'exemption deviennent des cas de suspension, de telle sorte que, en attendant que la Cour suprême du Canada règle de façon définitive des questions constitutionnelles, les procédures enga gées en vertu de la Partie VIII seraient effective- ment suspendues. Comme l'a indiqué le juge Beetz dans l'arrêt Metropolitan Stores 28 :
Si les cas d'exemption sont assimilés aux cas de suspension, cela tient à la valeur jurisprudentielle et à l'effet exemplaire des cas d'exemption. Suivant la nature des affaires, du moment qu'on accorde à un plaideur une exemption sous la forme d'une suspension d'instance, il est souvent difficile de refuser le même redressement à d'autres justiciables qui se trouvent essentielle- ment dans la même situation et on court alors le risque de provoquer une avalanche de suspensions d'instance et d'exemp- tions dont l'ensemble équivaut à un cas de suspension de la loi.
Les requérantes soutiennent que l'octroi d'une telle suspension dans l'affaire Alex Couture Inc., en 1987, n'a pas provoqué d'avalanche de suspen sions; cependant, il peut s'agir d'un facteur du nombre relativement restreint de causes de fusion qui ont été portées devant le Tribunal de la concur -
28 Affaire précitée, note 12, à la p. 146.
rence, un organisme relativement nouveau auquel de nouveaux pouvoirs ont été conférés pour dispo- ser des fusions. Quoiqu'il en soit, cette remarque n'atténue pas la valeur jurisprudentielle d'une sus pension d'instance, à supposer que l'on en octroie une en l'espèce, pour des causes similaires, ce que les requérantes reconnaissent, si j'ai bien compris, dans leur arguments.
Le second effet jurisprudentiel possible d'une suspension d'instance dont font état les intimés, à savoir qu'elle s'étendrait à d'autres procédures engagées devant le Tribunal de la concurrence et même à d'autres procédures préliminaires intro- duites par le Directeur, par exemple, dans le cadre d'enquêtes menant à une action possible de sa part en vertu de la Partie VIII, est trop poussé en termes d'extension logique. Il omet de tenir compte du fait que chaque demande visant à res- treindre des procédures engagées devant le Tribu nal de la concurrence sera nécessairement exami née par elle-même et que le tribunal concerné évaluera l'importance d'autres décisions. Par con- séquent, par exemple, je conviens avec les intimés que l'octroi d'une ordonnance de suspension par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Yri- York Ltd. peut être considérée d'espèce différente et a peu de valeur jurisprudentielle pour la prise en compte de la prépondérance des inconvénients dans les pré- sentes procédures, car, dans cet arrêt, la disposi tion législative en question, soit l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23], a été abrogée, et peu d'autres parties auraient été en mesure, comme les requérantes en l'espèce, de demander une suspen sion d'instance en attendant que soient réglées des questions constitutionnelles 29 . En fait, toute sus pension d'instance octroyée à ce moment n'avait aucune valeur jurisprudentielle. Tel n'est pas le cas ici.
Enfin, les intimés ont soulevé quelques autres questions, que je ne tenterai pas de classer. La première suggère une façon de distinguer l'affaire Couture Ltd. de la présente espèce en laissant entendre que, dans le cas une suspension d'ins- tance était octroyée en l'espèce et que la Cour d'appel maintenait cette décision, cela lierait de manière plus effective le Tribunal de la concur rence, car la Cour d'appel fédérale est elle-même
29 Affaire précitée, note 11, aux p. 215 et 216.
la cour devant laquelle sont interjetés les appels relatifs aux décisions du Tribunal. Cela est vrai, comme ce le serait si la Cour d'appel accordait une suspension d'instance après que la présente Cour eut refusé de le faire, mais cela n'aide pas à déterminer s'il faut user de discrétion pour faire droit au redressement que les requérantes cher- chent à obtenir. En contrepoint de cette sugges tion, les requérantes soulèvent la question de la courtoisie judiciaire, la reconnaissance de la valeur convaincante de la manière dont les cours du Québec ont traité la demande de suspension d'ins- tance dans l'affaire Alex Couture Ltd., faisant valoir que dans un état fédéral on devrait pouvoir disposer du même redressement que celui qui a été adjugé dans cette affaire relativement à une loi fédérale et à des questions constitutionnelles, indé- pendamment du tribunal devant lequel on cherche à obtenir un redressement. Bien que je souscrive avec beaucoup de respect aux décisions que les cours du Québec ont rendues dans cette affaire, je suis contraint de tenir compte de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la présente Cour dans les circonstances de la cause qui m'est soumise, dans la mesure il est possible de discerner ces circonstances dans des procédures interlocutoires.
La seconde question qu'ont soulevée les intimés se rapporte au temps qui pourrait s'écouler avant que les questions constitutionnelles soient réglées de façon définitive, ainsi qu'à l'effet négatif qu'aura la «suspension» de la Partie VIII de la Loi, pendant une période prolongée, indéterminée à ce moment, en attendant que lesdites questions cons- titutionnelles soient tranchées. Je ne suis pas d'ac- cord pour dire que l'octroi d'une suspension d'ins- tance en l'espèce aura effectivement pour effet de suspendre la Partie VIII de la Loi, mais le temps incertain, long probablement, qui s'écoulera avant que les questions constitutionnelles soient réglées de façon définitive, et qui nécessiteront selon toute vraisemblance une décision de la Cour suprême du Canada, même si l'affaire est considérée comme un cas d'exemption, soulève effectivement la possi- bilité que l'on porte préjudice à l'intérêt public si la décision définitive confirme la validité du Tribu nal et de son pouvoir légal à l'égard des fusions. Le temps qui s'écoulera occasionnera inévitablement des difficultés sur le plan de la présentation de preuves, et ce, tant aux requérantes qu'au Direc- teur. Il est vraisemblable, selon moi, que cela
compliquera la présentation juste et complète de preuves et d'arguments au Tribunal si l'on diffère les procédures jusqu'à ce que les questions consti- tutionnelles soulevées ici aient été réglées. Il serait possible de régler ce problème en limitant la période de suspension, à moins que l'on fasse droit à une demande de prorogation, ce qui, comme les requérantes l'ont fait remarquer avec raison, est une solution qui a été intégrée dans la suspension d'instance accordée par la Cour d'appel dans l'af- faire YRI- York Ltd. Selon moi, le Tribunal de la concurrence lui-même serait peut-être mieux placé pour envisager l'octroi d'une suspension d'une durée limitée, à la demande des requérantes, si la présente Cour ne rend pas d'ordonnance de suspension.
En résumé, je suis d'avis que, si l'on rendait une ordonnance de suspension dans la présente affaire et si l'on réglait les questions constitutionnelles de manière à ce que la composition du Tribunal de la concurrence soit maintenue et que le pouvoir légi- féré qui lui a été conféré à l'égard des fusions soit valide, cela porterait atteinte de diverses façons à l'intérêt public. Il y a le danger que les prétendus effets anticoncurrentiels de la fusion, dans le marché de la presse écrite et celui de la publicité imprimée dans le Lower Mainland de la Colombie- Britannique, ne seront nullement atténués en dépit d'engagements tenus pour distincts. Il y a l'effet jurisprudentiel qu'aurait toute ordonnance de sus pension d'instance dans d'autres procédures analo gues, au moins celles qui mettent en cause des fusions, engagées devant le Tribunal de la concur rence. Il y a aussi le temps indéterminé qui pour- rait s'écouler avant que les questions constitution- nelles soient réglées. Les procédures de suspension qui seront introduites devant le Tribunal jusqu'à ce moment aggraveront les problèmes de preuves et d'arguments à toute audience différée du Tribunal. Qui plus est, elles ajouteront à l'incertitude qui entoure les dispositions législatives relatives aux fusions et aux activités du Tribunal, non seulement en attendant que les questions constitutionnelles soient réglées, mais, par la suite, jusqu'au règle- ment des procédures que la suspension que l'on cherche ici à obtenir différerait.
Le préjudice qui serait porté à l'intérêt public, advenant qu'une suspension d'instance soit accor- dée et que l'on juge en fin de compte que le
tribunal est constitutionnellement valide et que son pouvoir légiféré est confirmé, doit être mis en balance avec l'éventualité que les requérantes subissent un préjudice, le temps, l'énergie et les dépenses incertains mais probablement considéra- bles qui ne seront pas compensés dans des procédu- res qui, jugera-t-on peut-être en définitive, sont inconstitutionnelles. Selon la prépondérance des inconvénients, je suis d'avis que le risque de préju- dice à l'intérét public l'emporte sur le risque possi ble de préjudice aux requérantes.
Conclusion
En définitive, je refuse d'user de discrétion pour accorder l'ordonnance de suspension que l'on cher- che à obtenir en l'espèce. La demande est rejetée, et les dépens sont adjugés aux intimés en tout état de cause.
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