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CEA-2-90
Affaire intéressant l'ordonnance rendue par la Commission des plaintes du public contre la Gen- darmerie royale du Canada à l'intention de la Gendarmerie royale du Canada le 22 avril 1990;
Et les plaintes 2000-P.C.C. 89060 et 2000-P.C.C. 89083 déposées par Darrell Rankin;
Et la demande présentée en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5, en vue de l'ob- tention d'une décision concernant une opposition portée par Joseph Philip Robert Murray dans une attestation datée du 7 juin 1990 à l'égard de la divulgation de renseignements.
RÉPERTORIÉ: RANKIN (RE) (I" INST.)
Section de première instance, juge Denault— Ottawa, 25 septembre et 9 octobre 1990.
GRC Il n'est pas opportun pour la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada de demander, en vertu de l'art. 38 de la Loi sur la preuve au Canada, l'annulation de l'attestation d'opposition de la GRC à la production de dossiers de renseignements et du Manuel de la police de protection En sa qualité de tribunal quasi judiciaire, la Commission doit être impartiale L'art. 45.45 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, qui permet à la Commission de tenir des audiences à huis clos, ne confère pas à cette dernière le pouvoir d'exiger une preuve Simple disposition de forme La Commission ne possède que cer- tains des pouvoirs d'une commission d'enquête.
Pratique Preuve Demande présentée en vertu de l'art. 38 de la Loi sur la preuve au Canada en vue de la détermination de la validité de l'opposition à la divulgation de dossiers de renseignements et du manuel de la police Plainte découlant du recours à une force excessive par la GRC contre un manifestant pendant la visite du président américain Opposition fondée sur des raisons d'intérêt public, de sécurité nationale et de relations internationales Il faut établir l'équilibre entre les raisons d'intérêt public fondées sur l'administration de la justice et les raisons d'intérêt public qui justifient la non-divulgation Des problèmes de sécurité nationale et internationale se posent compte tenu du risque que présentent les organisations terroristes La divulgation de documents confidentiels qui ne sont pas essentiels à une con clusion de fait irait à l'encontre de l'intérêt public et leur non-divulgation ne porterait pas préjudice au plaignant.
Il s'agit d'une demande présentée par la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur la preuve au Canada en vue de la détermination de la validité d'une opposition à la divulgation de renseignements portée par le commissaire adjoint de la GRC en vertu de l'article 37. Le paragraphe 38(1) prévoit qu'une opposition à la divulgation de
renseignements fondée sur le motif que celle-ci porterait préju- dice aux relations internationales ou à la défense ou sécurité nationales peut être décidée uniquement par le juge en chef de la Cour fédérale, ou par une personne désignée par ce dernier. L'article 37 autorise une opposition à la divulgation de rensei- gnements gouvernementaux devant être produits devant un tribunal, pour une raison d'intérêt public déterminé. Le plai- gnant allègue qu'un agent de la GRC a eu recours à une force excessive pendant qu'il participait à une manifestation contre l'essai de missiles de croisière au Canada à l'occasion de la visite du président des États-Unis d'Amérique et que sa liberté d'expression a été violée. À l'audience, la Commission a ordonné à la GRC de produire deux dossiers de renseignements et le Manuel de la police de protection. La GRC a produit une attestation d'opposition fondée sur le motif que la divulgation porterait préjudice à l'intérêt public, à la sécurité nationale et aux relations internationales. Il s'agit de savoir (1) s'il est opportun pour la Commission de jouer un rôle actif en vue de faire annuler l'attestation compte tenu du mandat que le légis- lateur fédéral lui a conféré et (2) si l'attestation doit être annulée. La Commission soutient qu'une opposition à la divul- gation peut uniquement être maintenue si elle porte préjudice aux relations internationales, ou encore à la défense ou à la sécurité nationales. Elle soutient que les renseignements pour- raient porter préjudice au fonctionnement de la GRC et d'au- tres forces de police, mais qu'il ne s'agit pas de renseignements qui porteraient préjudice aux relations internationales ou à la défense nationale.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
(1) Il ne convient pas que la Commission prenne l'initiative de présenter la demande. En sa qualité de tribunal quasi judiciaire, la Commission est tenue d'agir, et de sembler agir, impartialement. Lorsque l'affaire est renvoyée pour une audience, la Commission doit de nouveau assumer son rôle d'arbitre. Le paragraphe 45.45 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, qui permet à la Commission d'ordonner le huis clos «si elle estime qu'en cours d'audience seraient proba- blement révélés» certains renseignements, ne confère pas à celle-ci le pouvoir d'exiger une preuve. Il s'agit simplement d'une disposition de forme destinée à aider la Commission à conduire une procédure à huis clos. La Commission possède certains des pouvoirs d'une commission d'enquête, mais pas tous les pouvoirs d'une telle commission; elle peut assigner une personne à témoigner, faire prêter serment, ainsi que recevoir et accepter une preuve sous serment comme elle le juge bon, et ce, que celle-ci soit recevable ou non devant un tribunal. Elle ne peut pas examiner les dossiers et mener les enquêtes qu'elle juge nécessaires. L'alinéa 45.45(8)a) impose des restrictions, en ce sens que contrairement à certains autres tribunaux, la Commission ne peut pas recevoir une preuve qui serait non recevable devant un tribunal du fait qu'il est protégé.
(2) Quant au bien-fondé de l'affaire, il faut déterminer si les raisons d'intérêt public fondées sur l'administration de la justice l'emportent sur les raisons d'intérêt public qui justifient la nu-divulgation. Cela comporte l'examen de la question de savoir si les documents sont d'une importance cruciale pour le plaignant, et si la non-divulgation porterait préjudice à celui-ci. Les documents demandés ne sont pas nécessaires en ce qui concerne la conclusion de fait lorsqu'il s'agit de déterminer si une force excessive a été utilisée, ou si le droit qu'a le plaignant de participer à une démonstration a été violé. Etant donné que
les documents ne portent pas sur un fait essentiel en litige et que la GRC ne s'appuie pas sur eux dans sa défense, les documents litigieux ne sont pas essentiels à la plainte contre la GRC et leur non-divulgation ne porterait pas préjudice au plaignant. La divulgation des documents confidentiels qui ne sont pas essentiels à une conclusion de fait irait à l'encontre de l'intérêt public.
La prétention de la Commission, à savoir que les renseigne- ments ne sont pas visés par les articles 37 et 38, laisse supposer que les opérations policières internes peuvent être séparées des opérations internationales relatives à la sécurité. Les opérations des forces de police au Canada et à l'étranger sont liées les unes aux autres au moyen d'échanges de renseignements et de ressources. Les renseignements mentionnés dans l'attestation portent sur la visite du président des États-Unis et des problè- mes de sécurité nationale et internationale se posent compte tenu de la menace que présentent les organisations terroristes.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), chap. R-10, art. 24.1(3) (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap. 8, art. 15), 45.35(1)a) (édicté, idem, art. 16), 45.45 (édicté, idem), 45.46 (édicté, idem).
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5, art. 37, 38.
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), chap. C-23, art. 39(2),(3).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; (1978), 12 A.R. 449; 89 D.L.R. (3d) 161; 7 Alta. L.R. (2d) 370; 23 N.R. 565; Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (Can.) (Re), [1990] 2 C.F. 750 (UC inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Caimaw c. Paccar Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; (1989), 62 D.L.R. (4th) 437; [1989] 6 W.W.R. 673; 102 N.R. 1; Ferguson Bus Lines Ltd. c. Syndicat uni du transport, section locale 1374, [1990] 2 C.F. 586 (C.A.).
AVOCATS:
Simon Noël pour la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada.
D. J. Rennie, André A. Morin et Marc Mc- Combs pour la Gendarmerie royale du Canada.
Elizabeth Thomas pour Darrell Rankin. Richard Mongeau pour le sergent d'état- major Raymond Bergeron.
PROCUREURS:
Noël, Berthiaume, Aubry, Hull (Québec), pour la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada. Le sous-procureur général du Canada pour la Gendarmerie royale du Canada.
Elizabeth Thomas, Ottawa, pour Darrell Rankin.
Mongeau, Gouin, Côté, Roy, Montréal, pour le sergent d'état-major Raymond Bergeron.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DENAULT: Il s'agit d'une demande présentée par la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada («la Commission») en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur la preuve au Canada', en vue de l'obten- tion d'une décision concernant l'opposition que le commissaire adjoint Murray avait portée dans une
attestation datée du 7 juin 1990 l'égard de la divulgation de renseignements.
Le litige porte sur deux plaintes dans lesquelles Darrell T. Rankin allègue qu'une force excessive a été utilisée et que son droit à la liberté d'expres- sion a été violé. Ces plaintes ont été déposées conformément à l'alinéa 45.35(1)a) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la Loi sur la GRC 2 ); elles résultent d'événements survenus le 10 février 1989 lorsque le plaignant participait à une manifestation autorisée contre l'essai de missi les de croisière au Canada à l'occasion de la visite du président des États-Unis d'Amérique, George Bush. La manifestation devait avoir lieu sur la promenade Sussex près de l'édifice des Affaires extérieures. La GRC avait établi des zones de sécurité et des zones stériles en vue d'interdire l'accès du côté nord de la promenade Sussex.
L.R.C. (1985), chap. C-5.
2 L.R.C. (1985), chap. R-10 (ajouté par L.R.C. (1985) (2'
suppl.), chap. 8, art. 16).
Quelques minutes avant l'arrivée de l'escorte de protection motorisée présidentielle, le plaignant avait traversé la promenade Sussex pour se rendre du côté nord; il portait un gros étendard qui disait [TRADUCTION] «George, apporte tes missiles chez toi». Le sergent d'état-major Bergeron, de la GRC, est arrivé et a informé le plaignant que l'accès au côté nord de la promenade Sussex était interdit. Le plaignant a refusé de s'installer ailleurs, en allé- guant qu'il détenait un permis. Il soutient que Bergeron l'a saisi par le bras, lui a tordu le bras derrière le dos, lui a mis la face contre le coffre arrière de la voiture, puis l'a fait monter à l'arrière du véhicule de la police. La version du sergent d'état-major Bergeron en ce qui concerne le degré de force utilisé pour faire monter Rankin dans le véhicule n'est pas la même.
Les plaintes ont été instruites par la Commission les 22 et 23 mai 1990. Au cours de l'audience, la Commission a délivré une ordonnance dans laquelle elle enjoignait à l'intimée (la GRC) de produire les documents suivants en vue de leur inspection et de leur examen par l'avocat du requérant:
i) le dossier P.O.B.-200—, qui était un dossier de renseignements de l'intimée,
ii) un dossier de renseignements de l'intimée dont le sergent Angelo Fiore, de la police d'Ot- tawa, avait fait mention dans sa déposition,
iii) le Manuel de la police de protection concer- nant la sécurité et la protection des personnages de marque.
En réponse à l'ordonnance, l'intimée a fait une opposition orale selon laquelle elle refusait de divulguer les documents susmentionnés en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi sur la preuve au Canada. A la demande de la Commission, l'inti- mée a produit une attestation d'opposition dans laquelle elle déclarait que la divulgation des docu ments porterait préjudice à l'intérêt public, puis- que cela gênerait le fonctionnement efficace de la GRC et des autres forces de police et agences de sécurité au Canada et ailleurs, la conduite des enquêtes criminelles, et l'application du droit pénal. Il a ajouté que certains documents conte- naient des renseignements dont la divulgation por- terait préjudice à la sécurité nationale du Canada et aux relations internationales.
La Commission a par la suite déposé une demande auprès de la Cour fédérale conformé- ment à l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada en vue d'obtenir une décision au sujet du bien-fondé de l'opposition.
L'opposition préliminaire
L'avocat de la GRC a porté une opposition préliminaire par suite du rôle actif que la Commis sion jouait en vue d'annuler le certificat. Il soutient que le rôle de la Commission en sa qualité d'orga- nisme impartial est d'enquêter sur les plaintes déposées par des membres du public au sujet de la manière dont les membres et officiers de la GRC assument leurs tâches, et de faire ensuite des recommandations au commissaire et au solliciteur général, mais non de jouer un rôle actif dans la procédure.
En réponse, la Commission soutient qu'elle a les mêmes pouvoirs qu'une commission d'enquête en ce qui concerne l'affaire, en vertu du paragraphe 45.45(4) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap. 8, art. 16] de la Loi sur la GRC, et qu'elle a été créée en vue de veiller à ce que les membres du public soient traités d'une manière juste et impartiale. La Commission s'appuie sur le jugement rendu par le juge MacKay 3 , de la pré- sente Cour, qui a fait les remarques suivantes au sujet de la partie VI (Commission des plaintes du public contre la GRC) et de la partie VII (Plain- tes du public) de la Loi sur la GRC:
Je suis disposé à conclure que les parties VI et VII des modifications à la Loi ont été adoptées dans le but principal de protéger le public et la GRC elle-même contre le risque de partialité réelle ou appréhendée dans le traitement des plaintes déposées au sujet de la conduite de la Gendarmerie. Avant ces modifications c'était la GRC elle-même qui agissait comme seul arbitre des plaintes portées contre elle. La possibilité de faire réviser par la Commission de façon impartiale et ouverte le règlement des plaintes ne peut qu'améliorer la confiance du grand public dans la Gendarmerie et ses activités.
La Commission soutient également qu'en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur la preuve au Canada, la question peut être décidée «sur demande» et qu'aucune restriction n'est imposée au sujet des personnes qui ont qualité pour présen- ter la demande. Cette disposition est ainsi libellée:
38. (1) Dans les cas l'opposition visée au
paragraphe 37(1) se fonde sur le motif que la divulgation
7 Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (Can.) (Re), [1990] 2 C.F. 750 (ire inst.), aux p. 774 et 775.
porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, la question peut être décidée conformément au paragraphe 37(2), sur demande, mais uni- quement par le juge en chef de la Cour fédérale ou tout autre juge de ce tribunal qu'il charge de l'audition de ce genre de demande.
Je souscris à cette proposition, mais il s'agit de savoir s'il est opportun pour la Commission de présenter la demande, compte tenu du mandat que le législateur fédéral lui a conféré.
La Commission soutient que le
paragraphe 45.45(11) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap. 8, art. 16] de la Loi sur la GRC lui confère compétence pour exiger la production de l'attestation. Cette disposition est ainsi libellée:
45.45 .. .
(11) Les audiences sont publiques; toutefois, la Commission peut ordonner le huis clos pendant tout ou partie d'une audience si elle estime qu'au cours de celle-ci seront probable- ment révélés:
a) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisem- blablement de porter préjudice à la défense du Canada ou d'États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d'activités hostiles ou subversives;
b) des renseignements risquant d'entraver la bonne exécution des lois;
c) des renseignements concernant les ressources pécuniaires ou la vie privée d'une personne dans le cas l'intérêt de cette personne l'emporte sur l'intérêt du public dans ces renseignements.
Cette disposition permet à la Commission d'or- donner le huis clos «si elle estime qu'au cours de celle-ci seront probablement révélés» certains ren- seignements (c'est moi qui souligne). Selon le libellé clair de la disposition, la Commission n'a pas le pouvoir d'exiger une telle preuve. Il s'agit plutôt d'une disposition de forme destinée à aider la Commission à conduire une procédure à huis clos lorsque à son avis, la divulgation d'un rensei- gnement risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la défense du Canada ou d'États alliés ou associés avec le Canada ou d'entraver la bonne exécution des lois. Cette disposition ne confère pas à la Commission le pouvoir d'exiger ce genre de preuve. Le législateur fédéral entendait permettre à la Commission de tenir à sa discrétion la procé- dure à huis clos. La Commission ne peut pas déposer la présente demande en se fondant sur le paragraphe 45.45(11).
En l'espèce, la Commission possède certains des
pouvoirs d'une commission d'enquête (paragraphe 24.1(3) [édicté par L.R.C. (1985) (2° suppl.), chap. 8, art. 15] de la Loi sur la GRC), mais pas tous les pouvoirs d'une telle commission. Le législateur fédéral a incorporé par renvoi le pouvoir que possède une commission d'enquête d'assigner une personne devant elle et d'exiger que cette personne fasse une déposition, de faire prêter serment, ainsi que de recevoir et d'accepter une preuve sous serment comme elle le juge bon, et ce, qu'elle soit recevable ou non devant un tribunal (paragraphe 45.45(4)). Il n'a pas conféré à la Commission le pouvoir d'examiner les dossiers et de mener les enquêtes que celle-ci juge nécessaires.
L'alinéa 45.45(8)a) [édicté par L.R.C. (1985) (2° suppl.), chap. 8 , art. 16] impose en outre une autre restriction à la Commission, à savoir qu'elle ne peut pas recevoir un élément de preuve qui serait non recevable devant un tribunal, du fait qu'il est protégé par le droit de la preuve. Par contre, un tribunal comme le Comité de surveil lance des activités de renseignement de sécurité peut entendre une preuve privilégiée.
Compte tenu du rôle impartial confié à la Com mission, il s'agit de savoir s'il convient qu'elle dépose la présente demande au nom du plaignant. À cet égard, il est intéressant de se reporter aux remarques que le juge Estey a faites dans l'affaire Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Ed- monton', l'avocat d'une commission d'utilité publique a présenté des arguments détaillés et approfondis à l'appui de la décision rendue en faveur de l'entreprise:
Une participation aussi active ne peut que jeter le discrédit sur l'impartialité d'un tribunal administratif lorsque l'affaire lui est renvoyée ou lorsqu'il est saisi d'autres procédures concernant des intérêts et des questions semblables ou impliquant les mêmes parties. La Commission a tout le loisir de s'expliquer dans ses motifs de jugement et elle a enfreint de façon inaccep- table la réserve dont elle aurait faire preuve lorsqu'elle a participé aux procédures comme partie à part entière, en opposition directe à une partie au litige dont elle avait eu à connaître en première instance.
Le juge Estey a ajouté que la Cour suprême, à cet égard, a toujours voulu «limiter le rôle du tribunal administratif dont la décision est contestée à la
4 Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité,
L.R.C. (1985), chap. C-23, art. 39(2) et (3).
[1979] 1 R.C.S. 684, la p. 709.
présentation d'explications sur le dossier dont il était saisi et d'observations sur la question de sa compétence, même lorsque la loi lui confère le droit de comparaître»». Le juge Mahoney, J.C.A., s'appuyant sur le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Paccar', a fait remarquer qu'il est opportun pour un tribunal administratif de comparaître en justice unique- ment lorsque sa compétence est contestée». En sa qualité de tribunal quasi judiciaire, la Commission est tenue d'agir, et de sembler agir, impartiale- ment. En effet, lorsque l'affaire est renvoyée pour une audience avec ou sans la preuve contestée, la Commission doit de nouveau assumer son rôle d'arbitre.
Par conséquent, en sa qualité d'organisme quasi judiciaire, la Commission est tenue d'être et de sembler être impartiale». La présente Cour juge qu'il ne convient pas que la Commission prenne l'initiative de présenter une demande fondée sur le paragraphe 38(1) de la Loi sur la preuve au Canada. Toutefois, compte tenu des circonstances de l'espèce, il ne servirait à rien de rejeter la requête pour ce motif étant donné que l'avocat du plaignant a adopté la position de la Commission. Il ne serait pas dans l'intérêt des parties de rejeter la requête présentée par M. Rankin. Par conséquent, la Cour examinera l'affaire au fond.
Le bien-fondé de l'affaire
Il s'agit de savoir si les raisons d'intérêt public fondées sur l'administration de la justice l'empor- tent sur les raisons d'intérêt public qui justifient la non-divulgation, comme il en est fait mention dans l'attestation du commissaire adjoint Murray, directeur de la police de protection.
Bref, la Commission a délivré une ordonnance en vue de l'inspection par l'avocat de la Commis sion des plaintes du public de deux dossiers de renseignements de la GRC et du Manuel de la police de protection. Bien que le commissaire adjoint Murray eût délivré l'attestation conformé- ment au paragraphe 37(1) de la Loi sur la preuve au Canada, en invoquant des raisons d'intérêt public déterminées, le paragraphe 9 de l'attesta- tion dit clairement que l'opposition se fonde égale-
6 Ibid., à la p. 709.
' Caimaw c. Paccar Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983.
8 Ferguson Bus Lines Ltd. c. Syndicat uni du transport, section locale 1374, [1990] 2 C.F. 586 (C.A.).
9 Northwestern Utilities Ltd. et Ferguson, supra.
ment sur le motif que la divulgation porterait préjudice à la sécurité nationale du Canada et aux relations internationales (paragraphe 38(1)).
L'avocat de la Commission s'est opposé à l'attes- tation pour deux motifs: en premier lieu, les rensei- gnements demandés ne sont pas visés par . les articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada et en second lieu, le commissaire adjoint Murray fait face à un conflit d'intérêts.
En ce qui concerne la première opposition, qui porte principalement sur le Manuel de la police de protection tel qu'il s'applique à la sécurité et à la protection des personnages de marque, la Commis sion soutient qu'il ne contient pas toujours des renseignements dont la divulgation pourrait porter préjudice au pays. Pareille divulgation pourrait porter préjudice au fonctionnement efficace de la GRC et d'autres forces de police ou agences de sécurité au Canada et ailleurs lorsqu'il s'agit de conduire des enquêtes criminelles et d'y donner suite, mais ce ne sont pas des renseignements dont «la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ... nationale». La Commission soutient qu'une opposition concernant la divulgation de renseignements peut uniquement être maintenue si la divulgation porte préjudice aux relations internationales, ou encore à la défense ou à la sécurité nationales.
Je ne souscris pas à cet avis. Le paragraphe 37(1) de la Loi sur la preuve au Canada autorise le dépôt devant tout tribunal d'une opposition à la divulgation de renseigne- ments administratifs pour des raisons d'intérêt public déterminé. Le paragraphe 38(1) prévoit que la question peut être décidée uniquement par le juge en chef de la Cour fédérale ou par tout autre juge de ce tribunal que celui-ci charge de l'audition de ce genre de demandes si l'opposition se fonde «sur le motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales». La prétention de la Commission laisse supposer que les opéra- tions policières internes peuvent être séparées des opérations internationales relatives à la sécurité. Au contraire, l'attestation produite par le commis- saire adjoint Murray montre, entre autres choses, que les opérations des forces de police au Canada et à l'étranger sont liées les unes aux autres au moyen [TRADUCTION] «d'échanges de renseigne-
ments de nature criminelle et dans certains cas, de ressources» 10 . Dans l'attestation, il est fait mention que ces renseignements, fournis à titre confidentiel à la GRC, ne seront pas divulgués sans le consen- tement de la police ou de l'agence de sécurité qui les fournit. Sinon, cela compromettrait les rela tions entre les forces responsables de la sécurité au Canada et les forces étrangères. En outre, les renseignements mentionnés dans l'attestation por tent sur la visite du président des États-Unis d'Amérique, qui risque elle-même d'être la cible des organisations terroristes et pose des problèmes de sécurité nationale et internationale.
La seconde opposition est fondée sur l'existence d'un conflit d'intérêts. Il est soutenu que la pro duction d'une attestation par la GRC par l'entre- mise du commissaire adjoint Murray donne lieu à un conflit d'intérêts étant donné que la partie qui produit l'attestation est également partie à la pro- cédure en vertu du paragraphe 45.45(15) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap. 8, art. 16] de la Loi sur la GRC. Cette personne devient alors juge et partie. Je ne partage pas ce point de vue étant donné qu'il n'est pas prouvé que le commis- saire adjoint Murray était de quelque façon en cause dans l'affaire du plaignant. Le commissaire adjoint Murray s'est uniquement contenté d'expri- mer une opinion au sujet de la divulgation de certains renseignements, ce qui est approprié étant donné qu'il est directeur de la police de protection.
Dans la présente demande, la Cour doit compa- rer les raisons d'intérêt public fondées sur l'admi- nistration de la justice et les raisons d'intérêt public qui justifient la non-divulgation, dont il est fait mention dans l'attestation. Le juge Thurlow, qui était alors juge en chef, a établi le critère à appliquer dans l'affaire Goguen c. Gibson":
... avant d'exercer le pouvoir de prendre connaissance des renseignements, le juge instruisant la demande doit être con- vaincu, d'après la preuve dont il est saisi, que la divulgation s'impose, c'est-à-dire que l'intérêt public dans la divulgation dans le cas d'espèce est plus important que l'intérêt public à préserver le caractère confidentiel de ces renseignements ou, à tout le moins, que la balance ne penche ni dans un sens ni dans l'autre et qu'il faut donc prendre connaissance des renseigne- ments afin de décider quel intérêt public doit l'emporter ... L'objet de cet examen judiciaire, quand il a lieu, est de vérifier
10 Paragraphe 21 de l'attestation du commissaire adjoint
Murray.
" [1983] 1 C.F. 872 (C.A.), à la p. 888.
s'il y a prépondérance en faveur de la divulgation. C'est à mon avis l'intention qu'exprime le paragraphe.
Il a ajouté ceci:
En revanche, si la nécessité de la divulgation n'a pas été démontrée et si la balance penche nettement d'un côté, il faut, bien entendu, faire droit à l'opposition et, dans ce cas, je ne pense pas que le paragraphe exige que la Cour prenne connais- sance des renseignements pour voir si cet examen fera pencher la balance dans l'autre sens.
En pesant le pour et le contre en ce qui concerne la question de la divulgation, la Cour doit se demander si les documents sont nécessaires, s'ils sont d'une importance cruciale pour le plaignant (M. Rankin), et si la non-divulgation porterait préjudice à celui-ci.
Dans la première plainte, M. Rankin allègue qu'il y a eu recours à la force en ce sens que pendant qu'il participait à une manifestation contre l'essai de missiles de croisière au Canada, [TRADUCTION] «on l'a poussé contre un véhicule de la GRC et on lui a tordu le bras derrière le dos» 12 . Dans la seconde plainte, M. Rankin affirme qu'il a été privé de sa liberté d'expression en ce sens qu'on lui avait ordonné [TRADUCTION] «de plier et de ranger l'étendard qu'(il) voulait montrer ... et qu'on lui a dit qu'il ne pouvait pas montrer l'étendard» 13 . La question de savoir s'il a été mal- traité par suite du recours à une force excessive ou si son droit de participer à une manifestation a de fait été violé est une question de fait qui dépend des circonstances de l'affaire. En tirant sa conclu sion, la Commission doit comparer le témoignage de M. Rankin avec celui de la GRC et déterminer si, en l'espèce, il y a eu abus. Il n'a pas été prouvé à la satisfaction de la Cour que le Manuel de la police de protection, le dossier de renseignements de l'intimée et le dossier P.O.B.-200—sont nécessai- res en ce qui concerne cette conclusion de fait. Les documents en question ne portent pas sur un fait essentiel en litige et la GRC ne s'appuie pas sur les renseignements qu'ils renferment dans sa défense. Par conséquent, les documents litigieux ne sont pas essentiels à la plainte que M. Rankin a déposée contre la GRC et leur non-divulgation ne porterait pas préjudice à celui-ci.
12 Annexe «A» de l'affidavit de Perry William Kelly. " Annexe «B» de l'affidavit de Perry William Kelly.
Il est à noter que la Commission des plaintes du public n'est pas une cour d'archives et que la loi ne l'autorise pas à imposer des sanctions au membre dont la conduite est en litige. Son rôle consiste simplement à faire une recommandation au minis- tre (article 45.46 [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap. 8, art. 16] ).
Cela étant, l'intérêt public n'exige pas la divul- gation des renseignements. Au contraire, la divul- gation de documents confidentiels qui ne sont même pas essentiels à une conclusion de fait irait à l'encontre de l'intérêt public.
Cela étant, la demande présentée par le requé- rant doit être rejetée et a fortiori celle de la Commission des plaintes du public. En effet, elle omet de satisfaire à tous les critères pertinents.
La demande est rejetée. En l'espèce, il ne con- vient pas d'adjuger de dépens.
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