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T-2012-89
Jamal Saleh (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: SALEH C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION (1 1e INST.)
Section de première instance, juge Joyal—Ottawa, 25 octobre et 14 novembre 1989.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Prohibition Visant à interdire à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, section du statut de réfugié de poursuivre l'enquête en raison des remarques du président à l'égard d'articles de journaux produits en preuve En raison du rejet de la première demande d'ajournement, le procureur a allégué qu'il y avait manquement à la justice naturelle et a exigé un ajournement pour soumettre l'affaire à la Cour fédérale et pour se rendre à une autre enquête prévue pour plus tard dans la journée Le président a refusé mais il a accordé un délai d'une semaine pour produire une argumentation écrite plutôt que de continuer la plaidoirie Les circonstances ne sont pas telles qu'il y a eu violation des droits du requérant Le président a répondu à la plainte en permettant la production d'observations écrites L'intervention de la Cour n'est pas justifiée Les droits du requérant ne sont pas irrémédiable- ment compromis L'art. 70 de la Loi sur l'immigration permet à l'enquête de la section du statut de se dérouler rapidement, avec souplesse et sans trop de formalisme L'art. 70 permet de respecter le sens commun et la réalité des choses pour contrebalancer le formalisme que la doctrine pourrait créer dans les procédures administratives Chaque affaire est en quelque sorte un cas d'espèce Les règles de procédure administrative reflètent la doctrine de l'équité.
Immigration Pratique L'art. 70 de la Loi sur l'immi- gration permet aux enquêtes de la Commission de l'immigra- tion et du statut de réfugié, section du statut du réfugié, de procéder avec souplesse, sans trop de formalisme et de façon expéditive L'art. 70 permet de tenir compte du sens commun et de la réalité des choses pour contrebalancer le formalisme que la doctrine pourrait créer dans les procédures administratives.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44], art. 7, 24.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 46(3) (mod. par L.C. 1988, chap. 35, art. 14), 70 (mod., idem, art. 18).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Singh et autre c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 17; 58 N.R. 1; Gonzales c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 781; Re Patchett et al. and Law Society of British Columbia et al. (No. 2) (1979), 101 D.L.R. (3d) 210; [1979] 4 W.W.R. 534; 12 B.C.L.R. 82.
DÉCISIONS CITÉES:
Komo Construction Inc. et al. v. Commission des Rela tions de travail du Québec et al., [1968] R.C.S. 172; (1967), 1 D.L.R. (3d) 125; Arumugam c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1986), 72 N.R. 388 (C.A.F.); Le procureur général du Canada c. Lachapelle, [1979] 1 C.F. 377; (1978), 91 D.L.R. (3d) 674 (P° inst.); Plombelec Inc. c. Melançon, [1978] R.P. 31 (C.A. Qué.).
DOCTRINE
de Smith, Stanley A. Judicial Review of Administrative Action, 3rd ed. London: Stevens & Sons Ltd., 1973.
AVOCATS:
Denis Buron pour le requérant. Serge Frégeau pour l'intimé.
PROCUREURS:
Saint-Pierre et Buron, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE JOYAU Les faits que soulève cette requête pour l'émission d'un bref de prohibition ainsi qu'un redressement en vertu de l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]] ne sont pas contredits.
Ces faits reposent sur le texte d'un procès-verbal à l'occasion d'une enquête devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, section du statut de réfugié, qui se tenait à Montréal le 15 septembre 1989. Le requérant était alors un reven- dicateur du statut de réfugié qui avait franchi le seuil de crédibilité suite à une enquête de l'arbitre sous le paragraphe 46(3) de la Loi sur l'immigra- tion de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52 (mod. par L.C. 1988, chap. 35, art. 14)].
Le requérant, libanais d'origine, prétendait que les risques à sa sécurité au Liban remplissaient les exigences de la Convention des Nations-Unies sur le statut de réfugié [28 juillet 1951, 189 N.U.R.T. 137]. En fait, d'après les informations au dossier, le requérant se disait pris dans un conflit entre le groupe Amal et le groupe Hezboullah, deux fac tions libanaises qui se confrontaient régulièrement dans ce pays.
À la suite d'un interrogatoire du requérant par son procureur au sujet de cette situation, le prési- dent du tribunal se permettait d'observer que le conflit entre les forces Amal et Hezboullah avait été succédé par une invasion des Syriens et un conflit avec les Chrétiens.
Le président alors de suggérer au requérant qu'il se serait produit une trêve entre ces deux groupes. C'est à ce moment que le procureur du requérant intervenait en disant: [TRADUCTION] «J'ai un document qui contredira cette observation, M. le président» et le président de répondre: «Eh bien, vous pouvez déposer ce document.» Le président de faire les commentaires suivants:
[TRADUCTION] Et il y a eu une unification générale ou un effort commun avec les Syriens dans le conflit qui les oppose aux forces chrétiennes libanaises dirigées par le général Aoun. Ce n'est qu'un commentaire général concernant la situation telle qu'elle existe ces derniers temps au Liban.
C'est alors que le procureur du requérant mit en preuve deux articles du quotidien The Gazette datés du 8 et du 10 juillet 1989, afin de démontrer que les conflits entre les groupes Amal et Hezboul- lah persistaient.
Le président de répondre:
[TRADUCTION] D'accord, vos documents ont été déposés. Si nous voulons nous fonder sur les articles parus dans la Gazette, il y en a une série dans le numéro du 19 août qui portait sur le conflit au Liban ... Ce sont donc des documents plus récents. Et les sources sur lesquelles j'ai tendance à m'appuyer ne se limitent pas à la Gazette. C'est tout ce que j'ai à dire sur ce point.
Le procureur du requérant demandait alors:
[TRADUCTION] «M. le président, je vous demanderai de produire les éléments de preuve que vous présentez.»
Et le président de répondre:
[TRADUCTION] «Je n'ai rien à produire pour satisfaire vos besoins.»
Le procureur s'obstinait et alors le président ajoutait:
[TRADUCTION] Eh bien, j'ai cité l'article du 19 aôut par courtoisie. Je répète, je n'ai rien à produire pour vous satis- faire dans l'exercice de vos fonctions. Lorsque je parle de documents qui sont connus, établis, et constituent des lieux communs, il vous appartient en tant qu'avocat d'en prendre connaissance. Cela met un terme à la discussion.
Par la suite, l'enquête se déroulait de façon normale jusqu'à ce que le procureur du requérant ait prévenu le tribunal qu'il devait demander un ajournement [TRADUCTION] «Pour répondre aux éléments de preuve qui ont été présentés aujour- d'hui sans être produits», référant au contenu de l'article du quotidien The Gazette du 19 août, 1989.
Plus tard, le président disait ceci:
[TRADUCTION] En ce qui concerne votre requête qui, si je vous ai bien compris, vise à obtenir un ajournement pour vous permettre de répondre aux commentaires que j'ai faits au sujet d'éléments bien connus d'une situation, je n'en vois pas la nécessité à ce stade. Votre requête en ajournement est donc rejetée ... Je répète, je ne vois par la nécessité d'ajourner et de retarder les procédures pour que vous puissiez répondre aux commentaires généraux que j'ai faits.
Une lecture de ce qui précède peut bien indiquer que les communications entre le président et le procureur du requérant devenaient quelque peu tendues comme en fait foi les propos suivants:
[TRADUCTION] Ainsi, M. le président, je dois maintenant demander un autre ajournement pour deux raisons addi- tionnelles. En premier lieu, et c'est la raison la plus importante, le fait que vous m'empêchiez de répondre ou de commenter ou d'analyser vos commentaires et sources constitue un déni de justice naturelle; je sollicite un ajour- nement afin de demander à la Cour fédérale du Canada de décider si vous pouvez continuer à siéger dans la présente affaire, à moins que vous ne changiez votre décision antérieure.
En second lieu, mes services sont requis cet après-midi dans une autre affaire qui a été reportée à aujourd'hui par un arbitre de l'Immigration. Et il a indiqué qu'il me demanderait de me présenter si j'étais disponible cet après- midi. Je lui ai alors dit que j'avais une cause le matin mais que je serais disponible l'après-midi. Dans les circons- tances, j'ai l'intention de me présenter au 1200 Papineau à 13 h cet après-midi, ce qui ne me laissera pas le temps d'exposer tous mes arguments avant de m'y rendre. Pour toutes ces raisons, M. le président, je vous demanderai d'ajourner la présente affaire, tel qu'indiqué, à moins que vous ne révisiez votre décision antérieure en ce qui con- cerne les commentaires; entretemps, je demanderai à la Cour fédérale de vous récuser en l'espèce.
R. Maître, les commentaires que vous avez faits concernant le déni de justice naturelle sont tout au moins fallacieux, et je
n'ai pas à y répondre. De sorte que ma décision, ma décision originale demeure et il n'y aura pas d'ajourne- ment. Quant à votre demande d'ajournement visant à vous permettre d'aller sur Papineau ou ailleurs, vous devez réaliser que lorsque vous acceptez de représenter un reven- dicateur et de vous présenter devant ce tribunal, vous assumez une responsabilité très importante. Et ce tribunal est souverain et il a préséance sur le temps dont vous disposez, de sorte que je ne vois aucune raison pour laquelle je devrais ajourner pour vous permettre d'aller là-bas. Cependant, en toute bonne foi, je vous permettrai de soumettre vos arguments par écrit d'ici une semaine.
C'est alors que le président demandait à «l'agent d'audience» de soumettre un sommaire des faits. Quand celle-ci eut terminé, le procureur du requé- rant se disait satisfait de son exposition.
Après une courte intervention de «l'agent d'au- dience», le président invitait le procureur à soumet- tre son argumentation. Je reproduis ici le texte intégral:
[TRADUCTION] LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE L'AVOCAT)
- Maître, comme je l'ai déjà dit, je suis disposé à vous permettre de soumettre vos arguments par écrit pour vous faciliter la tâche. Si vous acceptez cette proposition, vous devez y donner suite d'ici le 22 septembre à midi. Nous mettrons alors fin au débat.
R. Puis-je vous demander ce qui arrivera si je refuse?
- C'est une autre question fallacieuse de votre part. Vous avez le choix de soumettre vos arguments dès maintenant ou de le faire par écrit. Et lorsque vous invoquez la justice naturelle pour défendre votre point de vue, si vous voulez que ce tribunal et cette Commission vous prennent au sérieux, vous devriez retirer ce commentaire et cette question.
R. M. Hendricks, j'ai en ce moment beaucoup de difficultés à vous prendre au sérieux.
- Me Buron, vous dépassez les bornes.
R. J'ai l'intention pour le moment d'accepter de produire des arguments écrits, mais sous toutes réserves. Cela étant, je vous informe qu'entretemps, je m'adresserai à la Cour fédérale pour obtenir une nouvelle audience en l'espèce et ce, sous toutes réserves une fois de plus; et autant que je sache, ma preuve n'est pas encore close. Merci.
- Maître, vous avez jusqu'au 22 septembre à midi pour soumettre vos arguments ou vous pouvez le faire dès maintenant avant de quitter. C'est le choix que vous devez faire.
R. Comme je l'ai dit, j'accepte de présenter une preuve écrite telle que prescrite, sous toutes réserves.
- Bien!
Si je comprends bien la position du procureur du requérant, il se sentait lésé par l'attitude du prési- dent quand ce dernier lui rappelait l'existence d'un autre article dans la Gazette qui semblait contre- dire quelque peu les articles moins récents que le procureur lui-même avait cités. Le procureur adoptait alors une attitude contradictoire, accusait le tribunal d'un manquement à la justice naturelle, exigeait un ajournement et refusait de participer au stage de l'argumentation.
Le procureur du requérant interprète tous ces événements comme justifiant une intervention par voie de bref de prérogative, afin de défendre au tribunal de finir l'enquête, d'ordonner une nouvelle enquête et d'exiger que celle-ci se tienne devant un nouveau tribunal différemment composé.
Le requérant s'appuie sur l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et cite l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S. 177; la Cour aurait déterminé qu'un revendicateur du statut de réfugié a droit à l'application des principes de justice fondamentale dans la reconnaissance de son statut. Ce qui veut dire que le système de procédure dans une enquête du genre doit, au moins, offrir à la personne qui revendique le statut de réfugié une possibilité suffisante d'exposer sa cause et de savoir ce qu'elle doit prouver.
Le requérant cite aussi l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Gonzalez c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 781, dans laquelle la Cour d'appel avait cassé une décision de la Commission d'appel de l'immigra- tion pour le motif que la Commission, dans cette décision, s'était basée sur des renseignements recueillis lors d'autres audiences devant le même tribunal et se rapportant aux conditions qui exis- taient dans le pays d'origine du revendicateur, soit le Chili. Le juge Urie disait sur ce point, à la page 782:
Il ne s'agit pas de renseignements dont on pouvait, à l'occasion de procédures devant un tribunal, prendre connaissance judi- ciaire. Il ne s'agit pas non plus de renseignements généraux, bien connus de la Commission et du public, du genre mentionné dans l'affaire Maslej.
Sur la question des droits d'une personne à une présence physique au cours d'une enquête et au privilège de soumettre une argumentation orale, le
requérant s'appuie sur une décision de la Cour supérieure de la Colombie-Britannique dans l'af- faire Re Patchett et al. and Law Society of British Columbia et al. (No. 2) (1979), 101 D.L.R. (3d) 210. Le juge Anderson, dans ses motifs, cite la doctrine énoncée par de Smith, Judicial Review of Administrative Action, (3e éd., 1973) à la page 177 et aussi celle du juge Pigeon dans l'arrêt Komo Construction Inc. et al. v. Commission des Relations de travail du Québec et al., [1968] R.C.S. 172. À la lecture de tout ce qui est dit dans ce jugement, il est clair que le droit à une partici pation orale dépend des circonstances particulières d'une enquête, du sujet traité, et des conséquences en cause.
Pour que les principes de justice naturelle s'ap- pliquent en l'espèce, il s'agit avant tout de détermi- ner si les événements particuliers qui se sont déroulés au cours de l'enquête du requérant sont de nature à léser ses droits de façon à justifier l'intervention de la Cour.
Les modifications de la Loi sur l'immigration, entrée en vigueur le le` janvier de cette année, prévoient le genre de procédures que le tribunal doit respecter au cours d'une enquête. Je cite l'article 70 [mod. par L.C. 1988, chap. 35, art. 18] qui se lit comme suit:
70. (1) La section du statut siège au Canada aux lieux, dates et heures choisis par le président en fonction de ses travaux.
(2) Dans la mesure les circonstances et l'équité le permet- tent, la section du statut fonctionne sans formalisme et avec célérité.
(3) La section du statut n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu'elle juge dignes de foi en l'espèce et fonder sur eux sa décision.
(4) La section du statut peut admettre d'office les faits ainsi admissibles en justice de même que, sous réserve du paragraphe (5), les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.
(5) Sauf pour les faits qui peuvent être admis d'office en justice, la section du statut informe le ministre, s'il est présent à l'audience, et la personne visée par la procédure de son inten tion d'admettre d'office des faits, renseignements ou opinions et leur donne la possibilité de présenter leurs observations à cet égard.
Une lecture de cette disposition nous permet de prévoir qu'au cours de toute enquête, il se peut
qu'interviennent certains moments les règles strictes de procédure ou de preuve doivent faire place au sens commun et à la réalité des choses. Une intervention par un membre d'un tribunal et qui d'apparence serait inopportun ne soulève pas nécessairement un tel déni de justice que les droits d'une personne soient pour toujours lésés et donne- rait lieu ipso facto à une intervention judiciaire. Il faut tenir compte du contexte dans lequel les événements se passent et de l'aspect dynamique qui entoure toute l'enquête.
Les commentaires du président se livrent à deux interprétations. La première de celles-ci serait de lui accorder un sens plutôt insignifiant et ne por- tant pas de conséquences graves. Ces commentai- res venaient à la suite de la preuve soumise par le procureur du requérant par voie de certains arti cles de la Gazette les 8 et 10 juillet 1989 touchant les événements au Liban. Une référence à l'article du 19 août 1989 serait moins un élément de preuve contradictoire qu'une indication au procureur que les articles du quotidien en ce qui concerne les événements au Liban n'ont pas tellement de force probante ou, encore, qu'un article de journal en vaut l'autre. Ce serait une sorte d'avertissement au procureur qu'il devrait hésiter à fonder sa cause et son argumentation sur les articles du mois de juillet et qu'il serait donc sage qu'il prenne con- naissance des articles plus récents. C'est bien le sens qu'on pourrait donner aux paroles du prési- dent qui disait [TRADUCTION] «Si nous voulons nous fonder sur les articles parus dans la Gazette...» laissant sous-entendre au procureur qu'il ne devrait pas trop se fier sur ces articles.
Dans ce contexte, il serait difficile de conclure que l'intervention du président constitue une entrave aux droits du requérant. Ce serait dire que la pièce de théâtre, qu'en aurait fait par la suite le procureur, serait toute montée et de beaucoup dénuée des réalités.
L'autre interprétation en serait une plus défavo- rable au président. Ce serait en quelque sorte admettre le bien fondé de la réaction du procureur et de conclure qu'il s'agit bien d'un élément de preuve lancé à l'enquête par le président qui refuse par la suite de produire la documentation à l'ap- pui. Qu'importe que la prétention du président était qu'il était de la responsabilité du procureur d'en prendre connaissance ou qu'à tout événement
l'article en question était de connaissance judi- ciaire, il y aurait eu un manquement à la justice naturelle en ce que le requérant n'aurait pu pren- dre connaissance de la preuve contre lui et n'aurait pas eu l'occasion de la contredire.
D'autres choses, cependant, se sont déroulées au cours de l'enquête. Comme en fait foi le procès- verbal, le procureur devait demander un ajourne- ment non seulement pour obtenir une preuve con- tradictoire mais aussi pour lui permettre de se rendre à une autre enquête prévue pour plus tard dans la journée. Le texte du procès-verbal raconte l'histoire des interlocutions de part et d'autre. À mon avis, la décision prise par le président de permettre au procureur de produire une argumen tation écrite dans un délai d'une semaine répond bien au grief de ce dernier. Ce délai permet au procureur de faire valoir tout ce qui lui semble nécessaire pour sauvegarder les intérêts de son client.
Il est vrai que la doctrine bien établie dans la jurisprudence citée par le requérant donne lieu à certaines garanties à toute personne dont les inté- rêts sont soumis à une procédure administrative. Pour en assurer le respect, une cour exerce le rôle de surveillant et se permet d'intervenir quand elle juge que les faits le justifient. Chaque cause, cependant, est en quelque sorte une cause d'espèce. Ainsi, la doctrine exprimée dans une cause parti- culière ne justifie pas son application à l'outrance.
Les règles de procédure administrative reflètent fondamentalement la doctrine de l'équité. Je dois donc respecter la réalité des choses et du sens commun qui en découle pour contrebalancer le formalisme que la doctrine pourrait créer et dont requérants et procureurs désireraient se prévaloir. Admettre le contraire n'aurait comme conséquence que l'évolution constante des procédures adminis- tratives vers un formalisme qui en détruirait la substance et dont la réalité serait de plus en plus soumise à des normes abstraites et artificielles. C'est peut-être le phénomène qui se serait implanté dans le contexte des procédures criminel- les. Ce formalisme à l'outrance, cependant, ne devrait pas avoir droit de seigneur quand le législa- teur préconise un système statutaire pour décider du droit d'une personne au statut de réfugié et, afin de ne pas le soustraire à une procédure trop
disciplinée, permet à un tribunal d'adopter une méthode plus flexible et plus expéditive. C'est bien d'ailleurs la politique que le législateur a très bien exprimée en l'article 70 de la Loi.
Le procureur du requérant aurait peut-être raison de croire que l'attitude du président envers lui est plutôt autoritaire ou ne reflète pas ce stan dard de conduite qu'on est sensé reconnaître chez toute personne qui exerce une responsabilité quasi- judiciaire. D'autre part, quand cette personne fait face à un procureur chevronné, l'attitude, comme tout juge le sait, peut devenir plus écorcée. C'est alors que l'amour-propre, d'une part et d'autre, semble prédominer sur les intérêts de la justice et sur les intérêts du client.
À tout événement, je dois conclure que les motifs soulevés par le procureur du requérant ne pourraient justifier mon intervention à ce stage des procédures. L'interprétation que j'apporte aux dis positions de l'article 70 de la Loi accorde une certaine latitude dans les éléments de preuve que les parties peuvent accepter ou produire au cours de l'enquête. Le procureur du requérant devrait savoir lui-même que si on devait adopter les règles de preuve usuelles, les articles de la Gazette qu'il a lui-même cités seraient irrecevables en raison du principe du ouï-dire et qu'il lui aurait fallu en produire l'auteur. Si l'admissibilité de cette preuve n'est pas mise en jeu, serait-il logique d'exiger une règle plus formelle en ce qui concerne les commen- taires du président du tribunal? On en arriverait au phénomène d'un poids, deux mesures.
À mon avis, le geste du président, en accordant plus tard au procureur du requérant un délai d'une semaine pour produire son factum, élimine toute crainte que les droits du requérant soient irrépara- blement affectés et que toute l'enquête devienne de facto viciée.
Je dois donc permettre que l'enquête se pour- suive et que le tribunal en arrive à sa décision. Si cette décision est défavorable au requérant et que son procureur y trouve des erreurs quelconques, il devra alors poursuivre d'autres recours.
Ayant décidé sur les faits au dossier que je ne devais pas intervenir, il ne m'est pas nécessaire de me pencher sur d'autres éléments soulevés par le procureur de l'intimé sur la compétence de la Section de première instance de la Cour fédérale
d'accorder au requérant les redressements prévus à l'article 24 de la Charte et au caractère inopportun ou prématuré du recours et dont les différentes doctrines sont exposées dans les arrêts entre autres, Arumugam c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1986), 72 N.R. 388 (C.A.F.); Le procureur général du Canada c. Lachapelle, [1979] 1 C.F. 377 (i fe inst.); Plombelec Inc. c. Melançon, [1978] R.P. 31 (C.A. Qué.).
La requête est rejetée avec dépens.
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