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A-127-90
LA BANDE DE MONTANA, le chef Melvin Potts et Leo Cattleman, Darrel Strongman et Maurice Rabbit, conseillers de la bande de Mon- tana, agissant en leur nom personnel et au nom des membres de la bande indienne de Montana,
LA BANDE DE SAMSON, le chef Jim Omeasoo et Arnup Louis, Roy Louis, Lawrence Saddle- back, George Saddleback, Victor Bruno, Leo Bruno, Wilson Okeymow, Brian Lightnigh, Frank Buffalo, Robert Swampy, Floyd Dion et Stanley Buffalo, conseillers de la bande de Samson, agis- sant en leur nom personnel et au nom des autres membres de la bande indienne de Samson,
LA BANDE D'ERMINESKIN, le chef Arthur Littlechild et Ken Cutarm, Marvin Littlechild, Eddie Littlechild, Richard Littlechild, Lawrence Wildcat, Emily Minde, Gerald Wolfe, Rose Maki - naw, Lester Frayne, Maurice Wolfe, Brian Lee et Gerry Ermineskin, conseillers de la bande d'Ermi- neskin, agissant en leur nom personnel et au nom des autres membres de la bande indienne d'Ermineskin,
LA BANDE DE LOUIS BULL, le chef Simon Threefingers et Harvey Roasting, Jonathan Bull, Theresa Bull, Henry Raine, Stanley Deschamps, George Deschamps, Jerry Moonais, Herman Roasting, conseillers de la bande de Louis Bull, agissant en leur nom personnel et au nom des autres membres de la bande indienne de Louis Bull (appelants) (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée) (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: BANDE INDIENNE DE MONTANA C. CANADA (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et Stone, J.C.A.—Vancouver, 29 janvier 1991; Ottawa, 18 février 1991.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation Le juge de première instance a radié la déclaration modifiée parce qu'elle ne mettait aucun grief en évidence Requête aux termes de la Règle 419(1)a) (les plaidoiries ne révèlent aucune cause raisonnable d'action) Ordonnance annulée par la Cour d'appel La Cour n'est pas convaincue que l'issue de l'affaire était «évidente» Les bandes indiennes ont réclamé des jugements déclaratoires selon lesquels (1) l'engagement
donné par le Canada lorsque la Terre de Rupert a été cédée par la Compagnie de la Baie d'Hudson fait partie de la Constitution du Canada (2) l'engagement a donné naissance à une obligation fiduciaire (3) certains articles du pacte des Nations Unies relatifs aux droits civils lient le Canada La Cour a le pouvoir de rendre des jugements déclaratoires purement et simplement.
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires Le juge de première instance a annulé la déclaration modifiée parce qu'elle ne mettait aucun grief en évidence Le pouvoir de la Cour de rendre un jugement déclaratoire purement et simplement ne fait aucun doute Les appelants réclament des déclarations de droit obligatoires aux termes de la Règle 1723 Il a été satisfait aux exigences imposées pour intenter une action visant à obtenir un jugement déclaratoire L'ordonnance du juge de première instance est annulée.
Peuples autochtones Terres Une loi avait permis à Sa Majesté d'accepter la cession de la Terre de Rupert par la Compagnie de la Baie d'Hudson Une résolution prévoyait la protection des tribus indiennes dont les intérêts et le bien-être étaient intimement liés à la cession Les bandes indiennes plaident l'existence de certains instruments constitutionnels obligatoires pour le Canada Les appelants réclament un jugement déclaratoire seulement La Cour d'appel a infirmé l'ordonnance du juge de première instance radiant la déclaration.
Il s'agit d'un appel d'une ordonnance de la Section de première instance radiant la déclaration. Les bandes appelan- tes, à l'exception de la Bande de Montana, étaient les occupants autochtones des terres et territoires dans les limites de la Terre de Rupert. En 1867, Sa Majesté a été priée d'unir la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest à la puissance du Canada, et d'accorder au Parlement du Canada «l'autorité de légiférer sur leur bien-être futur». En 1868, le Parlement impé- rial a adopté l'Acte de la Terre de Rupert, 1868, lequel a permis à Sa Majesté d'accepter la cession par la Compagnie de la Baie d'Hudson de ses terres, privilèges et droits sur la Terre de Rupert. Le 28 mai 1869, le Sénat et la Chambre des communes ont adopté une résolution selon laquelle le gouverne- ment canadien était tenu d'assurer «la protection des tribus indiennes, dont les intérêts et le bien-être sont intimement liés à la cession». La Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest ont été incorporés au Canada à partir du 15 juillet 1870 (Le décret en conseil sur la Terre de Rupert).
Les appelants ont réclamé des jugements déclaratoires selon lesquels 1) en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, les conditions et obligations du Décret en conseil sur la Terre de Rupert sont devenues des instruments constitutionnels obliga- toires pour le Canada et font, par conséquent, partie de sa Constitution; 2) l'engagement pris par le Canada en 1869 donne naissance à une obligation fiduciaire envers eux; et 3) les articles 1 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques lient le Canada et ils s'appliquent à eux. Selon eux, bien que, en tant que peuples autochtones, ils ne soient pas une minorité au sens habituel, ils sont cependant une minorité aux fins de l'article 27. L'intimée a contredit la plupart des allégations des appelants qui sont énoncées dans leur déclara- tion modifiée et a une contestation liée avec eux sur leur raisonnement juridique et les conclusions de droit en relation avec la réparation visée.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
L'intimée a demandé la radiation de la déclaration modifiée conformément à la Règle 419(1)a) parce qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action et le juge en chef adjoint a accueilli la requête parce qu'elle ne mettait aucun grief en évidence. Un tribunal ne doit accueillir une telle requête que dans des cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'une affaire au-delà de tout doute. L'issue de l'affaire en l'espèce n'est ni évidente ni au-delà de tout doute. Le pouvoir de la Cour de rendre un jugement déclaratoire purement et simplement en l'espèce ne saurait être mis en doute. En vertu de la Règle 1723 des Règles de la Cour fédérale, la Cour peut faire des déclara- tions de droit obligatoires, qu'un redressement soit ou puisse être demandé ou non en conséquence. Les appelants ont le droit d'obtenir ce type de déclaration de droit obligatoire. Le critère qu'un tribunal doit appliquer en ce qui concerne les jugements déclaratoires a été exposé dans une décision de la Chambre des lords dans l'affaire Russian Commercial and Industrial Bank v. British Bank for Foreign Trade. Les appelants ont satisfait à ce critère: les litiges qu'ils soulèvent sont réels et non théoriques puisqu'ils soulèvent la question, très vaste, des droits autochto- nes, les appelants ont un intérêt vital et réel pour ces questions et, en dernier lieu, la Couronne est un adversaire valable qui a un intérêt véritable à s'opposer aux jugements déclaratoires visés. Il a été satisfait aux exigences imposées pour intenter une action visant à obtenir un jugement déclaratoire et il n'est pas nécessaire que les appelants établissent un manquement parti- culier à l'engagement pris en 1869, ou s'appuient sur ce point.
Les énoncés de l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Operation Dismantle sur lesquels s'est fondé le juge de pre- mière instance ne s'appliquent pas au cas en l'espèce, lequel n'est pas lié à la Charte. Les appelants ont satisfait aux règles générales sur les jugements déclaratoires présentées par Bor - chard dans l'ouvrage Declaratory Judgments et citées avec approbation dans l'arrêt Operation Dismantle. Le juge de première instance a erré en radiant la déclaration modifiée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Acte de la Terre de Rupert, 1868 [L.R.C. (1985), appen- dice II, 6].
Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest [L.R.C. (1985), appendice II, 9] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 3).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5], art. 146.
Loi constitutionnelle de 1871, 34 & 35 Vict., chap. 28 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 11].
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44].
Loi de 1870 sur le Manitoba, S.C. 1870, chap. 3 [L.R.C. (1985), appendice II, 8].
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), chap. I-5.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 déc. 1966, [1976] Can. R.T. 47, art.
1 ( 1 ),( 2 ),( 3 ), 27.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
419, 1723.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Dyson v. Attorney -General [No. 1], [1911] 1 K.B. 410 (C.A.); Dyson v. Attorney -General [No. 2], [1912] 1 Ch. 158 (C.A.); Russian Commercial and Industrial Bank v. British Bank for Foreign Trade, [1921] 2 A.C. 438 (H.L.); Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; (1979), 105 D.L.R. (3d) 745; 50 C.C.C. (2d) 495; 16 C.R. (3d) 294; 30 N.R. 380; Jabour c. Law Society of British Columbia et autre, [1982] 2 R.C.S. 307; (1982), 137 D.L.R. (3d) I; [1982] 5 W.W.R. 289; 37 B.C.L.R. 145; 19 B.L.R. 234; 66 C.P.R. (2d) I; 43 N.R. 451; Dumont c. Canada (Procureur général), [1990] 1 R.C.S. 279; [1990] 4 W.W.R. 127.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1.
DÉCISION INFIRMÉE:
Bande indienne de Montana c. Canada, [1990] 2 C.F. 198 (1"° inst.).
DÉCISION CITÉE:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304.
DOCTRINE
Borchard, Edwin. Declaratory Judgments, 2nd ed., Cleveland: Banks - Baldwin Law Publishing Co., 1941.
AVOCATS:
Thomas R. Berger et R. J. Shulman, pour les appelants (demandeurs).
Duff Friesen, c.r., pour l'intimée (défende- resse).
PROCUREURS:
Thomas R. Berger, Vancouver, pour les appe- lants (demandeurs).
Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Il s'agit d'un appel d'une ordonnance de la Section de première ins tance [[1990] 2 C.F. 198] radiant la déclaration modifiée des appelants en l'instance, en date du 25 août 1989.
FAITS
Les principaux faits allégués dans la déclaration modifiée peuvent être résumés de la façon sui- vante: les bandes appelantes, à l'exception de la bande de Montana, sont des tribus indiennes qui, pendant toute l'époque en cause, étaient les occu pants autochtones des terres et territoires dans les limites de la Terre de Rupert'. La bande de Mon- tana s'est établie en tant que bande dans la Terre de Rupert en vertu de la Loi sur les Indiens [maintenant L.R.C. (1985), chap. I-5] après 1870. Les appelants qui sont des particuliers sont les chefs et les conseillers des bandes appelantes et ils agissent en leur nom personnel et au nom de tous les membres de leurs bandes respectives.
En 1867, pendant la première session du Parle- ment du Canada, le Sénat et la Chambre des communes ont adopté une adresse collective demandant à Sa Majesté «d'unir la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest à la puis- sance du Canada, et d'accorder au Parlement du Canada l'autorité de légiférer sur leur bien-être .. . futur». Le Parlement impérial a ensuite adopté l'Acte de la Terre de Rupert, 1868 [L.R.C. (1985), appendice II, 6] en 1868, lequel a permis à Sa Majesté d'accepter la cession par la Compagnie de la Baie d'Hudson, à certaines con ditions, de ses terres, privilèges et droits sur la Terre de Rupert. Un accord a été conclu entre le gouvernement du Canada et la Compagnie de la Baie d'Hudson en 1869 pour l'acquisition de la Terre de Rupert.
Le 28 mai 1869, après la signature de cette convention, le Sénat et la Chambre des communes ont adopté un certain nombre de résolutions sur
' Par une Charte royale en date du 2 mai 1670, le roi Charles II a accordé au gouverneur et à la Compagnie d'Aventuriers d'Angleterre, faisant la traite à la Baie d'Hudson, certains droits, y compris certains privilèges en matière de commerce, sur une grande étendue de terres qui entourait la Baie d'Hud- son. Ce territoire s'est appelé par la suite la Terre de Rupert.
l'admission dans le Canada de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest. L'une de ces résolutions qui s'appliquaient à toutes les tribus de la Terre de Rupert disait:
Que lors de la cession des territoires en question au Gouverne- ment Canadien, il sera de notre devoir de prendre des mesures efficaces pour la protection des tribus indiennes, dont les inté- rêts et le bien-être sont intimement liés à la cession.
Les 29 et 31 mai 1869, le Sénat et la Chambre des communes ont adopté une deuxième adresse à Sa Majesté dans laquelle la résolution ci-dessus a été répétée 2 . Le 19 novembre 1869, la Compagnie de la Baie d'Hudson a cédé, par acte, à la Couronne britannique, tous les droits sur la Terre de Rupert qui lui avaient été accordés par la Charte de 1670. Le 23 juin 1870, la Terre de Rupert et le Terri- toire du Nord-Ouest ont été admis dans le Canada à partir du 15 juillet 1870 (le Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest [L.R.C. (1985), appendice II, 9] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 3)).
Les appelants plaident qu'en vertu de l'article 146 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5]], les conditions et obligations du Décret en conseil sur la Terre de Rupert ont été assumées par le gouvernement du Canada en ce qui concerne les tribus indiennes de la Terre de Rupert et sont donc devenues des instruments constitutionnels obligatoires pour le Canada ainsi que pour les provinces canadiennes. Les appelants plaident, en outre, que le Décret en conseil sur la Terre de Rupert est devenu partie intégrante de la Constitution du Canada, confor- mément à la Loi constitutionnelle de 1867. De l'avis des appelants, leur position à cet égard est appuyée par le fait que l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44] prévoit que les actes et ordonnances prévus à l'annexe I de la Loi font partie de la Constitution du Canada (et sont, par conséquent, la loi suprême du Canada) et aussi par
2 La déclaration modifiée allègue (paragraphe 20) que l'en- gagement de la part du gouvernement du Canada qui figurait dans cette résolution a été approuvé par Sa Majesté.
le fait que le Décret en conseil sur la Terre de Rupert se trouve à l'annexe I.
Les appelants s'appuient aussi sur les articles 1 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques [ 19 déc. 1966, [ 1976] R.T. Can. No 47] des Nations Unies et prétendent que ces arti cles lient le Canada et qu'ils s'appliquent à eux 3 . Selon leur prétention, bien que, en tant que peuple autochtone, ils ne soient pas une minorité au sens habituel, ils sont cependant une minorité aux fins de l'article 27. Sur ce point, leur culture a un fondement important qui leur donne droit au béné- fice de l'article 27 puisque la terre et les possibili- tés économiques traditionnelles sont essentielles au maintien de cette culture. Les appelants soutien- nent que le pacte international des Nations Unies a été ratifié par le Canada le 16 mai 1976 et que, selon le droit international coutumier, le Canada est lié par le Pacte.
Les appelants ont réclamé les jugements décla- ratoires suivants, entre autres, dans leur déclara- tion modifiée:
a) que l'engagement donné par le Canada en 1869 était incorporé par renvoi au Décret en conseil sur la Terre de Rupert de 1870 et fait, par conséquent, partie de la Constitution du Canada;
3 Les articles I et 27 sont libellés ainsi:
ARTICLE PREMIER
1. Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richeses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.
3. Les États parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d'administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations-Unies.
ARTICLE 27
Dans les États il existe des minorités ethniques, reli- gieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue.
b) que l'engagement pris par le Canada en 1869 donne naissance à une obligation fiduciaire envers les appelants et
c) que les articles 1 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques lient le Canada et qu'ils s'appliquent aux appelants.
La demande de réparation des appelants ne porte que sur un jugement déclaratoire. L'intimée, dans sa défense, contredit la plupart des allégations des appelants qui sont énoncées dans la déclaration et a une contestation liée avec les appelants sur leur [TRADUCTION] «raisonnement juridique et les con clusions de droit en relation avec la réparation visée».
LE JUGEMENT DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Le juge en chef adjoint a décidé de radier la déclaration modifiée, en l'espèce, parce qu'elle ne mettait aucun grief en évidence. Après avoir abon- damment cité les motifs du juge Dickson [alors juge puîné] dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres 4 , il a poursuivi en ces termes:
L'avocat reconnaît que, si les demandeurs obtiennent gain de cause dans la présente demande en jugement déclaratoire, ils ont l'intention de fixer la prochaine étape, peut-être des négo- ciations, peut-être une autre contestation. Mais les tribunaux de première instance doivent éviter ce genre de processus en deux phases. La défenderesse a le droit de prendre connaissance de l'ensemble de la cause à laquelle elle a à faire face. En effet, les parties doivent bien comprendre les conséquences qu'entraîne- rait le fait de ne pas se défendre ou d'admettre la défaite sur tout aspect du litige. Le rôle du tribunal de première instance est de résoudre les différends que les parties ne peuvent pas régler elles-mêmes. Comment est-ce possible si le différend n'est pas identifié dans la déclaration?
Par conséquent, j'en suis arrivé , à la conclusion qu'il ne peut être donné suite à l'action sous sa forme actuelle, car elle est dénuée de toute réclamation entre les parties.
ANALYSE
La requête de radiation de l'intimée s'appuie sur la Règle 419(1)a) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] parce que la déclaration modi- fiée ne révèle aucune cause raisonnable d'action. Sur une requête comme celle-ci, il faut tenir tous
4 [1985] 1 R.C.S. 441, aux p. 456 et 457.
les faits allégués dans la déclaration pour avérés'. De plus, un tribunal ne doit rejeter l'action ou radier une déclaration du demandeur que dans des affaires évidentes et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'une affaire «au-delà de tout doute» 6 .
En toute déférence, je ne puis accepter la con clusion à laquelle est parvenu le juge en chef adjoint. D'après les faits allégués dans la déclara- tion modifiée, je ne suis pas convaincu que l'issue de l'affaire soit «évidente» ou qu'elle soit «au-delà de tout doute». Dans le récent arrêt Dumont c. Canada (Procureur général)', les questions soule- vées par la déclaration en litige concernaient l'in- terprétation qu'il faut donner aux dispositions applicables de la Loi de 1870 sur le Manitoba, S.C. 1870, chap. 3 [L.R.C. (1985), appendice II, 8] et de la Loi constitutionnelle de 1871, 34 & 35 Vict., chap. 28 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen- dice II, 11] et l'effet qu'a sur elles la mesure législative accessoire contestée. Lorsqu'elle a rendu les motifs du jugement de la Cour suprême du Canada, le juge Wilson a établi que de telles questions «seraient mieux tranchées en première instance il est possible d'établir un bon fonde- ment factuel». Elle a aussi ajouté la page 280):
La Cour est également d'avis que l'objet du litige, dans la mesure il comporte la constitutionnalité de la mesure législa- tive accessoire à la Loi de 1870 sur le Manitoba, peut être réglé devant les tribunaux judiciaires et qu'un jugement déclaratoire peut être accordé à la discrétion de la Cour à l'appui de revendications extrajudiciaires dans un cas qui se prête à cela.
L'affaire en l'espèce n'est pas sans ressemblance avec celle-là. Comme l'a noté le juge en chef adjoint, les appelants s'appuient sur des séries d'instruments constitutionnels complexes pour jus- tifier les jugements déclaratoires réclamés.
Il s'agit aussi d'une affaire l'avocat des appe- lants a établi clairement que, si les jugements déclaratoires réclamés étaient obtenus, ils pour- raient bien être utilisés à l'appui de «revendications extrajudiciaires». Dans un tel cas, il pourrait ne jamais y avoir une deuxième étape au processus, comme l'a décrit le juge en chef adjoint. Le règle- ment négocié des demandes autochtones constitue
5 Voir l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, à la p. 740, par le juge Estey.
6 Voir l'arrêt Inuit, précité, à la p. 740, le juge Estey.
7 [1990] 1 R.C.S. 279, aux p. 280 et 281.
une autre possibilité dans le contexte contempo- rain.
Le pouvoir de la Cour de rendre un jugement déclaratoire purement et simplement dans l'affaire en l'espèce ne saurait être mis en doute. La Règle 1723 des Règles de la Cour fédérale dispose:
Règle 1723. Il ne peut être fait opposition à une action pour le motif que cette action ne vise qu'à l'obtention d'un jugement ou d'une ordonnance purement déclaratoires; et la Cour pourra faire des déclarations de droit obligatoires, qu'un redressement soit ou puisse être demandé ou non en conséquence.
Ces appelants demandent précisément le type de déclarations de droit obligatoires prévu par la Règle 1723. Les décisions qui font autorité en common law, en ce qui concerne le jugement déclaratoire sont les décisions Dyson 8 . La décision Dyson [No. 1] a jugé que la règle en litige dans cette affaire (qui est virtuellement identique à la Règle 1723) permettait à la Cour de rendre un jugement purement déclaratoire. La décision Dyson [No. 2] a jugé que, puisqu'un appelant a le droit de poursuivre la Couronne pour obtenir un jugement déclaratoire, il a le droit de le faire pour un jugement déclaratoire pur et simple, sans cher- cher de redressement additionnel.
La décision de la Chambre des lords dans l'af- faire Russian Commercial and Industrial Bank v. British Bank for Foreign Trade 9 va dans le même sens. Dans cette affaire, une banque anglaise avait obtenu un prêt d'une banque russe sur nantisse- ment de certaines obligations. Le litige concernait l'interprétation d'une stipulation contractuelle, à savoir, si le prêt était remboursable en roubles ou en livres sterling. Les emprunteurs ont intenté une action à l'encontre des prêteurs pour qu'il soit déclaré qu'ils avaient le droit de reprendre posses sion des obligations sur paiement du montant du prêt en roubles.
Lord Dunedin a exposé en ces termes le critère qu'un tribunal doit appliquer en ce qui concerne les jugements déclaratoires la page 448]:
[TRADUCTION] La question doit être réelle et non théorique, celui qui la soulève doit avoir un intérêt réel à le faire et il doit
8 Dyson v. Attorney -General [No. 1], [1911] 1 K.B. 410 (C.A.), à la p. 417, le maître des rôles Cozens -Hardy. Voir aussi Dyson v. Attorney -General [No. 2], [1912] 1 Ch. 158 (C.A.), aux p. 166 à 168.
9 [1921] 2 A.C. 438 (H.L.), à la p. 448.
pouvoir présenter un adversaire valable, c'est-à-dire quelqu'un ayant un intérêt véritable à s'opposer à la déclaration sollicitée.
Je n'ai pas de difficulté à conclure que les appe- lants en l'espèce ont satisfait à ce critère. Les litiges soulevés par ces appelants sont certainement réels et non théoriques puisque, à tout le moins, la principale question soulevée est celle, très vaste, des droits autochtones. Les appelants ont certaine- ment un intérêt vital et réel pour ces questions puisqu'ils sont les chefs, les conseillers et les mem- bres des bandes indiennes qui résident dans les régions du Canada visées dans le Décret en conseil sur la Terre de Rupert. En dernier lieu, la Cou- ronne intimée est certainement un adversaire vala- ble qui a un intérêt véritable à s'opposer aux jugements déclaratoires visés.
Comme l'a démontré l'avocat des appelants, il n'y avait aucun manquement dans la décision de la Russian Bank. Je suis d'accord avec l'avocat qu'en l'espèce, ces appelants n'ont pas à prouver, dans cette action pour obtenir un jugement déclaratoire, un manquement précis à l'entente de 1869. II a été satisfait aux exigences imposées pour intenter une action visant à obtenir un jugement déclaratoire et, à mon avis, il n'est pas nécessaire que les appelants établissent un manquement ou s'appuient sur ce point. Les questions en litige en l'espèce sont réel- les, les appelants ont un intérêt substantiel, et un contradicteur logique et opportun est présent. De plus, l'on doit se souvenir que l'intimée a une contestation liée avec les appelants sur leurs droits et privilèges allégués. J'ajouterais aussi que la Cour suprême du Canada a, dans l'arrêt Solosky c. La Reine 10 , approuvé le critère exposé par lord Dunedin dans l'affaire Russian Commercial Bank. M. le juge Dickson a fait précédé son approbation du critère exposé dans la décision. Russian Com mercial Bank des commentaires suivants la page 830):
Le jugement déclaratoire est un recours qui n'est pas restreint par la forme ni limité par le fond et qui appartient à des personnes ayant un lien juridique dont découle une «véritable question» à trancher concernant leurs intérêts respectifs.
À mon avis et pour les motifs mentionnés ci-des- sus, il ne peut être allégué raisonnablement que les appelants en l'espèce ne satisfont pas à cette définition.
10 [1990] 1 R.C.S. 821, à la p. 830, le juge Dickson.
J'ai déjà fait mention que le juge en chef adjoint s'est largement appuyé sur le jugement majoritaire de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ope ration Dismantle. Dans cette décision, les appe- lants alléguaient que la décision du gouvernement du Canada d'autoriser les États-Unis à procéder aux essais des missiles de croisière au Canada violait l'article 7 de la Charte. Les appelants pré- tendaient que la mise au point de missiles de croisière augmentait le danger de guerre nucléaire. Ils ajoutaient ensuite que la présence militaire et les intérêts américains se trouvant accrus au Canada par suite des essais, cela augmenterait la probabilité pour le Canada d'être la cible d'une attaque nucléaire. Un jugement déclaratoire, une injonction et des dommages-intérêts furent deman dés par les appelants. Le passage sur lequel s'est fondé le juge en chef adjoint extrait du jugement du juge Dickson, à la page 456, est rédigé dans un contexte il s'agissait de savoir si les obligations du pouvoir exécutif, en vertu de l'article 7 de la Charte, peuvent être ou non interprétés de façon si vaste qu'elles englobent une obligation, d'après «des conjectures et des hypothèses sur les effets possibles de l'action gouvernementale». Il semble évident que, dans tous les cas, lorsqu'il est allégué que la législation est incompatible avec la Charte, une violation d'un droit en vertu de la Charte doit être alléguée. Le juge Wilson a présenté cette question succinctement dans la décision Operation Dismantle en ces termes la page 481):
... chaque fois qu'un plaideur soulève une «importante question constitutionnelle» mettant en cause une violation de la Charte ou de la Déclaration canadienne des droits, puisqu'on se plaint de la violation prétendue d'un droit, il s'ensuit, par définition pour ainsi dire, que la nature de la violation alléguée doit être énoncée.
À mon avis, les énoncés sur lesquels s'est fondé le juge en chef adjoint dans l'arrêt Operation Dismantle ne s'appliquent pas au cas en l'espèce. Le cas en l'espèce n'est pas lié à la Charte. Je crois plutôt que ce sont les règles générales sur les jugements déclaratoires qui devraient s'appliquer en l'espèce. Ces règles générales sont bien exposées aux pages 48 et 49 de Borchard, Declaratory Judgments (2e éd. 1941):
[TRADUCTION] Le droit de recourir à la justice est assorti de la condition essentielle que le demandeur ait un intérêt à protéger. Le fait que la procédure de jugement déclaratoire permet de connaître de multiples questions de droit pour les- quelles il n'existe aucune autre forme de recours a dès le début exigé des tribunaux qu'ils déterminent d'abord si les faits
justifient qu'un redressement judiciaire soit accordé et, plus particulièrement, si le demandeur a un «intérêt juridique» au redressement qu'il demande. Dans le cas mieux connu de l'action exécutoire, l'intérêt juridique est recherché dans la «cause d'action» mais, comme on l'a déjà observé, la portée restreinte souvent donnée à cette expression ambiguë a permis d'occulter les nombreux cas et situations dans lesquels le demandeur, alors qu'il n'a subi encore aucun dommage maté riel ou alors qu'il cherche à échapper à un dilemme ou à une situation juridique incertaine en la faisant clarifier, a besoin d'une intervention judiciaire non traditionnelle. La nouvelle possibilité qu'offre le jugement déclaratoire et sa nécessité sur le plan de l'utilité judiciaire exigent soit une acception plus flexible et plus large de l'expression «cause d'action», soit l'emploi d'une expression moins caméléon pour indiquer quand le requérant peut obtenir la protection judiciaire. Sans perdre de vue la nécessité de l'existence de faits attributifs de compé- tence, nous pensons que l'expression «intérêt juridique» répond à ce besoin.
À mon avis, les appelants ont satisfait à la règle
générale présentée par Borchard, précité, et cité
avec approbation par le juge Wilson dans l'arrêt Operation Dismantle, à la page 480. Pour ces motifs, j'ai donc conclu que le juge en chef adjoint a erré en radiant la déclaration modifiée des appe- lants en l'instance.
La situation, dans la présente affaire, n'est pas si différente de celle de l'arrêt Jabour" la répara- tion demandée consistait en certains jugements déclaratoires et une injonction restreignant la con- duite d'une enquête. Lorsque M. le juge Estey a rendu le jugement de la Cour, il a fait le commen- taire suivant en ce qui concerne les actions décla- ratoires à la page 323:
L'action en jugement déclaratoire est depuis longtemps connue des cours tant du Canada que du Royaume-Uni. On en retrouve un exemple moderne dans l'affaire Dyson v. Attorney - General, [1911] 1 K.B. 410 (C.A.), les cours ont reconnu au demandeur le droit d'intenter une action en jugement déclara- toire contre la Couronne, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une pétition de droit. Le maître des rôles Cozens -Hardy, à la p. 416, a reconnu la compétence de la cour pour entendre pareille affaire [TRADUCTION] « ... même si l'action a pour objet immédiat et unique de porter atteinte aux droits de la Cou- ronne en faveur des demandeurs». Cette forme d'action revêt une importance d'autant plus grande dans un régime fédéral elle s'est révélée un moyen efficace de contester la constitution- nalité de lois. Voir l'arrêt Thorson c. Le procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, le juge Laskin (alors juge puîné), à la p. 162, et Wade, Administrative Law, 4' éd., à la p. 500.
Il a ensuite ajouté, à la page 326:
Les demandes de déclaration faites en l'espèce, loin d'être assorties d'une demande de récupération de biens ou de droits
" Jabour c. Law Society of British Columbia et autre, [1982] 2 R.C.S. 307.
dirigée contre les défendeurs, constituent le fond même de l'action, le seul objet visé par les demandeurs (intimés).
CONCLUSION
Pour tous les motifs précédents, je conclus que l'appel devrait être accueilli avec dépens et que l'ordonnance de la Section de première instance, en date du 16 février 1990 radiant la déclaration modifiée des appelants, devrait être infirmée.
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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