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90-T-612
Jose Ismael Abraham (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: ABRAHAM C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (I" INST.)
Section de première instance, juge MacKay— Toronto, 11 septembre; Ottawa, 20 septembre 1990.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance A la suite d'une enquête, on a conclu à l'absence de fondement minimum à l'égard d'une demande de statut de réfugié au sens de la Convention Le mandataire du requé- rant ne détenait aucun permis l'autorisant à exercer le droit au Canada Requête en vue d'obtenir l'autorisation d'intenter une action fondée sur l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale afin de faire déclarer nulles les définitions législatives du mot «conseil» (qui comprend le mandataire) pour le motif qu'elles sont inconstitutionnelles La Cour d'appel a déjà accordé l'autorisation d'engager des poursuites en vue de faire annuler la décision rendue à la suite de l'enquête La Section de première instance n'a pas la compétence voulue en vertu de l'art. 28(3) pour statuer sur une demande visant à obtenir un jugement déclaratoire à l'égard de la même décision qui fait l'objet d'une révision devant la Cour d'appel Si des argu ments de nature constitutionnelle sont invoqués devant la Cour d'appel, la décision s'y rapportant aura le même effet que si la réparation demandée était un jugement déclaratoire Demande rejetée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18, 28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 44 (mod. par L.R.C. (1985) (4° suppl.), chap. 28, art. 14), 46.1 (édicté, idem), 82.1 (édicté, idem, art. 19).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Penner c. Le commissaire à la représentation du Canada, [1977] 1 C.F. 147 (1'° inst.).
DÉCISION CITÉE:
Fisher c. La Reine, [1978] 1 C.F. 300 (1" inst.).
AVOCATS:
Rocco Galati pour le requérant. John Vaissi Nagy pour l'intimé.
PROCUREURS:
Rocco Galati, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: Dans la présente requête, le requérant cherche à obtenir l'autorisation, confor- mément à l'article 82.1 [ajouté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 19] de la Loi sur l'immi- gration, L.R.C. (1985), chap. I-2 et ses modifica tions (la Loi), d'engager des poursuites fondées sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, en vue d'obtenir un jugement déclaratoire.
La demande découle d'une enquête tenue con- formément aux articles 44 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 14] à 46.01 [édicté, idem] de la Loi, plus précisément une «audience sur le minimum de fondement», qui visait à examiner la demande présentée par le requérant en vue d'obtenir l'autorisation de rester au Canada comme réfugié au sens de la Conven tion. L'enquête a débuté le 21 novembre 1989; elle s'est poursuivie pendant quatre autres jours et s'est terminée le 5 février 1990, date à laquelle le tribunal qui a présidé l'enquête a décidé qu'il n'y avait pas de fondement minimum à l'appui de la demande de statut de réfugié au sens de la Con vention du requérant.
Au cours de l'enquête, dont l'audience a eu lieu à Toronto, le requérant était représenté par un mandataire lors de la présentation de la preuve concernant sa demande de statut de réfugié, sauf lors de la dernière séance, qui a porté uniquement sur la décision du tribunal. La mandataire était une personne qui n'était pas habilitée à exercer le droit en Ontario ou ailleurs au Canada, qui soute- nait être titulaire d'un diplôme en droit de l'Argen- tine, qui s'annonçait dans les journaux espagnols de Toronto et qui s'est décrite, au début de l'en- quête, comme avocate titulaire d'un diplôme obtenu à l'étranger. Au début de la première jour-
née de l'enquête, le tribunal a demandé au requé- rant s'il avait été avisé de son «droit d'être repré- senté par un avocat, procureur ou autre conseil» à l'audience. Après avoir répondu par l'affirmative, le requérant s'est fait demander s'il avait obtenu les services d'un conseil et il a présenté la personne qui l'a représenté par la suite comme son avocat. L'arbitre a demandé à cette personne si elle était autorisée à exercer le droit en Ontario comme avocate et procureur et elle a répondu «non», préci- sant qu'elle avait obtenu son diplôme en Argen- tine. Elle a refusé la désignation «conseillère en immigration» que l'arbitre a suggérée et s'est décrite comme «avocate titulaire d'un diplôme obtenu à l'étranger».
Après le règlement de quelques autres questions de procédure préliminaires, l'enquête a débuté avec la personne que le requérant avait alors pré- sentée comme son conseil. L'avocate (ou le conseil) n'a fait témoigner aucune des personnes dont les affidavits ont subséquemment été déposés auprès de notre Cour à l'appui de la demande d'autorisa- tion et de la demande de statut de réfugié du requérant. La décision que le tribunal a rendue à la fin de l'enquête comprenait les déclarations suivantes:
[TRADUCTION] Monsieur Abraham, nous sommes d'avis que votre témoignage est crédible .. .
... nous avons pleinement tenu compte de la totalité de votre témoignage (Transcription de l'enquête, p. 74)
Néanmoins, le tribunal a conclu que la crainte du requérant de retourner dans sa patrie n'était pas fondée sur des motifs rationnels, apparemment parce que, même s'il a parlé de la persécution de la part des autorités policières et autres, il a égale- ment mentionné l'aide que lui ont apportée d'au- tres personnes à plusieurs occasions il a eu de graves ennuis. À la fin de l'enquête, il a été décidé qu'il n'y avait pas de fondement minimum à l'ap- pui de la demande de statut de réfugié.
À la suite de cette décision, le requérant a retenu les services d'un avocat habilité à exercer le droit en Ontario et des demandes ont ensuite été déposées au nom du requérant, soit a) une demande d'autorisation d'engager des poursuites fondées sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale devant la Cour d'appel fédérale en vue d'annuler la décision du tribunal et b) une demande d'autorisation d'engager des poursuites
devant la Section de première instance en vue d'obtenir une déclaration (la présente demande). Les demandes qui étaient toutes deux datées du 18 février 1990, ont été présentées devant les deux sections de la Cour et déposées vers le 20 février. Le 4 avril, la Cour d'appel a accordé l'autorisation de présenter une demande fondée sur l'article 28; cette demande a été déposée le 17 avril 1990 et la cause n'est pas encore terminée.
Par la présente requête, qui a été entendue à Toronto le 11 septembre 1990, le requérant désire obtenir l'autorisation de demander un jugement déclaratoire pour le motif que la demande du requérant a été présentée de façon négligente par un «mandataire» incompétent qui a agi d'une manière trompeuse, comme l'autorise la Loi; que, par conséquent, le requérant s'est vu refuser le droit à une audience complète et impartiale et les droits dont il dispose selon l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]], que le rejet du fondement minimum à l'appui de sa demande de statut de réfugié au sens de la Con vention découlait en grande partie du fait qu'il avait été représenté de façon non compétente par le «mandataire» et, enfin, que le fait de permettre à des personnes autres que des avocats et procureurs de donner des avis juridiques, d'agir dans une enquête quasi judiciaire qui touche la vie de la personne représentée ou autrement d'exercer le droit de l'immigration selon la Loi dépasse la compétence législative du Parlement du Canada.
Le requérant demande un jugement déclaratoire comme suit:
[TRADUCTION] 1. Une déclaration selon laquelle l'article 69 de la Loi sur l'immigration et ses modifications ainsi que l'article 2 des Règles de la section du statut de réfugié, DORS/88-1026* et ses modifications, qui définissent tous deux le mot «conseil» du demandeur comme désignant
«... un conseil ou mandataire ...»
sont nuls et non avenus en ce qui a trait aux mots «ou mandataire», puisqu'ils sont incompatibles avec les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 et avec les articles 7 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982;
2. une déclaration selon laquelle le mot «conseil» utilisé dans la Loi sur l'immigration désigne un avocat ou procureur admis au barreau d'une province du Canada;
* Note de l'arrêtiste: DORS/89-103.
3. subsidiairement aux déclarations mentionnées aux paragra- phes 1 et 2 qui précèdent, une déclaration selon laquelle le mot «mandataire» utilisé dans les Règles de la section du statut de réfugié désigne un «mandataire» d'un «conseil» agissant pour un demandeur et non un «mandataire» du demandeur lui-même; et
4. toute déclaration supplémentaire ou subsidiaire que l'avocat juge appropriée et que cette honorable Cour autorise.
Dans un avis de requête subséquent daté du 4 septembre et déposé le lendemain, le requérant expose d'une façon un peu différente des demandes de réparation à peu près identiques à celles qu'il a présentées dans l'avis de requête initial et ajoute une autre demande pour le cas l'autorisation d'engager des poursuites devant notre Section serait accordée. La réparation supplémentaire demandée comprend une ordonnance interdisant à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de permettre à des personnes «autres que des avocats et procureurs» de comparaître au nom des demandeurs du statut de réfugié au sens de la Convention, une déclaration selon laquelle le droit du requérant d'être représenté par un avocat, lequel droit est énoncé dans la Charte, a été violé en l'espèce et, pour le cas la réparation subsi- diaire énoncée au paragraphe 3 de l'avis de requête initial serait accordée, une ordonnance de manda- mus enjoignant à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié d'aviser les requérants du statut de réfugié, avant le début d'une audience, de la différence entre un «mandataire» et un «avocat et procureur» et de la possibilité de recourir à l'aide juridique.
En réponse à la requête du requérant, l'intimé soulève d'abord une question de compétence en invoquant le paragraphe 28(3) de la Loi sur la Cour fédérale, dont le libellé est le suivant:
28....
(3) La Section de première instance ne peut connaître des demandes de révision et d'annulation de décisions ou d'ordon- nances qui, aux termes du présent article, ressortissent à la Cour d'appel.
L'intimé se fonde sur l'arrêt Penner c. Le com- missaire à la représentation du Canada, [1977] 1 C.F. 147 (1" inst.), le juge Thurlow, alors juge en chef adjoint, a décidé que la Section de pre- mière instance n'avait pas la compétence voulue pour connaître d'une demande d'injonction interlo- cutoire visant à interdire au commissaire à la représentation de statuer sur un projet d'ordon- nance de représentation selon la Loi sur la revision
des limites des circonscriptions électorales [S.R.C. 1970, chap. E-2] avant l'audition et le règlement d'une demande fondée sur l'article 28 et présentée à la Cour d'appel en vue de réviser et d'annuler une décision ou ordonnance de la Com mission de délimitation des circonscriptions électo- rales de l'Ontario. Le savant juge en chef adjoint a conclu que la Section de première instance n'avait pas la compétence voulue lorsque la réparation est demandée comme redressement accessoire ou sup- plémentaire à une procédure présentée devant la Cour d'appel et fondée sur l'article 28 et que le paragraphe 28(3) s'applique lorsque le seul motif invoqué à l'appui de la réparation demandée devant la Section de première instance est l'invali- dité de l'ordonnance qui fait l'objet de la demande fondée sur l'article 28.
En réponse, le requérant souligne que la répara- tion recherchée dans la présente demande, c'est-à- dire un jugement déclaratoire, ne peut être deman- dée au moyen de poursuites fondées sur l'article 28 et engagées devant la Cour d'appel. L'avocat du requérant ajoute que la question soulevée par l'avis de requête est une question importante qui n'a pas encore été tranchée par un tribunal et qui a de grandes conséquences pour tous les demandeurs du statut de réfugié au sens de la Convention. Bref, le requérant soutient qu'il y a une question sérieuse à trancher dans la présente demande de jugement déclaratoire.
À mon avis, bien que la décision que le juge en chef adjoint Thurlow a rendue dans l'arrêt Penner, précité, porte sur une demande de réparation diffé- rente, elle fait ressortir le fondement à l'appui du refus de permettre à la Section de première ins tance d'examiner le cas selon le paragraphe 28(3) lorsque la Cour d'appel est saisie du même litige. Ce fondement est le fait que la demande présentée devant notre Section est essentiellement et effecti- vement une demande relative à la décision portée en appel devant la Cour d'appel ou le fait que le motif à l'appui de la réparation demandée devant notre Section est la validité de l'ordonnance portée en appel devant la Cour d'appel conformément à l'article 28 (voir également Fisher c. La Reine, [1978] 1 C.F. 300 (1" inst.), aux pages 305 et 306, le juge Walsh.)
C'est le cas en l'espèce, étant donné que l'autori- sation a déjà été accordée à l'égard d'une demande
fondée sur l'article 28 en vue de réviser et d'annu- ler la décision qui donne également lieu à la présente demande d'ordonnance déclaratoire. Même si cette forme de réparation ne sera pas obtenue au moyen de la demande dont la Cour d'appel est actuellement saisie, l'effet de toute décision concernant les arguments constitutionnels, si des arguments de cette nature sont invoqués devant la Cour d'appel, sera essentiellement le même pour le requérant et, par conséquent, pour toutes les autres personnes, que si la réparation demandée était une déclaration. Je souligne que, dans l'avis de requête en vue d'obtenir l'autorisa- tion d'engager des poursuites devant la Cour d'ap- pel, lequel avis est daté du 18 février, les motifs à l'appui de la présente demande d'autorisation de soumettre une demande de jugement déclaratoire sont également mentionnés, bien qu'en des termes différents. Il incombera au requérant et à son avocat de déterminer si des arguments constitu- tionnels concernant la validité de la décision du tribunal sont soulevés dans l'action intentée devant la Cour d'appel. Même s'ils ne sont pas soulevés, étant donné que la validité de la décision rendue par le tribunal est soumise à l'examen de la Cour d'appel, cette même question ne pourra être portée devant notre Section, même si c'est un jugement déclaratoire qui est demandé en l'espèce.
Compte tenu du paragraphe 28(3) de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour d'appel fédérale ayant autorisé le requérant aux présentes à engager des poursuites fondées sur l'article 28, la Section de première instance n'a pas la compétence voulue pour connaître d'une demande de jugement décla- ratoire à l'égard de la même décision qui a été portée en appel devant la Cour d'appel.
En conséquence, la présente demande en vue d'obtenir l'autorisation d'engager des poursuites conformément à l'article 18 est rejetée. Étant donné qu'il n'y a pas eu de demande de dépens, il semble approprié de ne pas accorder de dépens en l'espèce.
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