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T-1505-90
Christopher Williams (requérant)
c.
Comité régional des transfèrements, Région des Prairies (Service correctionnel du Canada) et Michael Gallagher, directeur de l'établissement d'Edmonton (intimés)
T-1506-90
Harold Dubarry (requérant)
c.
Comité régional des transfèrements, Région des Prairies (Service correctionnel du Canada) et Michael Gallagher, directeur de l'établissement d'Edmonton (intimés)
T-1507-90
Ken McIntyre (requérant)
c.
Comité régional des transfèrements, Région des Prairies (Service correctionnel du Canada) et Michael Gallagher, directeur de l'établissement d'Edmonton (intimés)
T-1508-90
Arthur Winters (requérant)
c.
Comité régional des transfèrements, Région des Prairies (Service correctionnel du Canada) et Michael Gallagher, directeur de l'établissement d'Edmonton (intimés)
T-1509-90
Eugene Campbell (requérant)
c.
Comité régional des transfèrements, Région des Prairies (Service correctionnel du Canada) et Michael Gallagher, directeur de l'établissement d'Edmonton (intimés)
RÉPERTORIÉ: WILLIAMS c. CANADA (SERVICE CORRECTION- NEL, COMITÉ RÉGIONAL DES TRANSFÈREMENTS, RÉGION DES PRAIRIES) (1 1Q INST.)
Section de première instance, juge Rouleau—Cal- gary, 28 août; Ottawa, 24 septembre 1990.
Pénitenciers Transfèrement involontaire d'urgence d'un détenu à un établissement à sécurité maximale élevée après une bagarre au couteau, le refus de réintégrer sa cellule et la détention d'agents dans une unité Le directeur avait des motifs raisonnables de croire que le transfèrement était néces- saire pour la bonne administration de l'établissement Il n'y a pas eu violation de l'art. 7 de la Charte ou de l'obligation d'agir équitablement du fait que le détenu n'avait pas reçu de résumé de l'évolution du cas, contrairement à la Directive du commissaire Le droit à l'assistance d'un avocat prévu à l'art. 106) de la Charte se rapporte à l'arrestation ou à la détention initiales, et non pas aux personnes détenues dans un pénitencier Il n'y a pas eu délégation irrégulière du pouvoir de prendre une décision au sujet du transfèrement.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Transfèrement involontaire d'urgence d'un détenu après une bagarre au couteau, le refus de réintégrer sa cellule et la détention d'agents dans une unité Le directeur avait des motifs raisonnables de croire que le transfèrement était nécessaire pour la bonne administration de l'établissement Le fait de ne pas avoir fourni de résumé de l'évolution du cas, contrairement à la Directive du commissaire, ne constituait pas une violation de l'art. 7 de la Charte Les avis de transfèrement contenaient suffisamment de détails pour per- mettre au requérant de fournir une réponse sérieuse.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Un détenu s'est vu refuser la possibi- lité de recourir à l'assistance d'un avocat avant son transfère- ment involontaire d'urgence à un établissement à sécurité maximale élevée Il n'y a pas eu violation de l'art. IOb) de la Charte Le droit de recourir à l'assistance d'un avocat dépend des circonstances L'expression «en cas d'arrestation ou de détention» figurant à l'art. 106) s'applique à l'arresta- tion initiale et non pas aux personnes détenues dans un péni- tencier L'absence d'un avocat n'a pas entravé le requérant dans l'exposé de son point de vue.
Il s'agissait d'une demande de certiorari visant l'annulation de la décision de transférer le requérant de l'établissement d'Edmonton à l'unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan. Le requérant et plusieurs autres détenus ont refusé de réintégrer leurs cellules après une bagarre au couteau et la récupération d'une seule des armes utilisées ainsi que la détention de deux agents correctionnels dans l'unité. Le directeur a estimé que les activités du requérant menaçaient le maintien de l'ordre et de la discipline dans l'établissement et qu'il avait manifesté un tel potentiel de comportement violent qu'il constituait un risque persistant et grave pour la sécurité des autres. Le requérant a reçu un avis de recommandation de transfèrement involontaire pour les raisons ci-dessus. Il ne fut pas autorisé à retenir les services d'un avocat. Deux jours plus tard, le requérant a reçu un avis supplémentaire, auquel il a répondu par écrit. Le Comité régional des transfèrements a approuvé le transfèrement. Le requérant a allégué: (1) qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour justifier le transfère- ment involontaire; (2) que l'omission de fournir un résumé de l'évolution du cas, contrairement aux dispositions en matière de procédure énoncées dans la Directive du commissaire 540 constituait une violation des principes d'équité en matière de procédure et de l'article 7 de la Charte; (3) qu'il avait été privé du droit que lui garantit l'alinéa 106) de la Charte d'avoir recours à l'assistance d'un avocat; et (4) qu'il y avait eu
délégation irrégulière de pouvoirs au Comité car celui-ci ne jouissait pas de la compétence nécessaire pour prendre une décision au sujet de son transfèrement.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
(1) La décision de transférer un détenu doit être justifiée par des motifs raisonnables de croire que celui-ci doit être envoyé ailleurs pour assurer le maintien d'une administration ordonnée et convenable de l'établissement. Il ressort des faits que le directeur avait des motifs raisonnables de croire que le requé- rant devait être transféré d'urgence, tout comme l'étaient ses motifs de croire que le requérant avait été impliqué, de façon importante, dans une affaire grave en ce qui avait trait à la sécurité.
(2) L'absence d'un résumé de l'évolution du cas n'équivalait ni à un manquement à l'obligation d'agir équitablement ni à une violation de l'article 7 de la Charte. L'obligation d'agir équitablement exige seulement que l'on fournisse un avis suffi- sant ainsi qu'une possibilité équitable de répondre aux alléga- tions. Les avis contenaient suffisamment de détails pour per- mettre au requérant de connaître les accusations portées contre lui et d'y répondre d'une façon sérieuse. Bien qu'il n'ait pas été satisfait à l'exigence, énoncée dans la Directive du commissaire, d'annexer à l'avis le résumé de l'évolution du cas, les vices de procédure n'invalideront pas nécessairement le transfèrement, si le processus général a été équitable. La question n'est pas de savoir s'il y a eu infraction aux règles de la prison mais s'il y a eu manquement à l'obligation d'agir équitablement dans toutes les circonstances. Il n'y a eu aucun manquement ou infraction de ce genre. De plus, comme aucun résumé de l'évolution du cas n'avait été rédigé, ce n'était pas une question de refus de communiquer des renseignements.
(3) Compte tenu des faits existant en l'espèce et de l'urgence de la situation, le refus de permettre au requérant de recourir à l'assistance d'un avocat n'a pas constitué un manquement à l'obligation d'agir équitablement ni à aucun des droits que la Charte garantit au requérant. Le détenu qui fait l'objet d'un transfèrement involontaire effectué de toute urgence ne jouit pas du droit absolu d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, ainsi que le prévoit l'article 10 de la Charte. La question de savoir si une personne a le droit d'être représentée par un avocat dépend des circonstances de l'espèce. En outre, on a interprété l'expression «en cas d'arrestation ou de détention, employée à l'alinéa 10b) de la Charte comme étant une priva tion de liberté, soit physique soit à la demande ou en applica tion des directives d'une personne occupant un poste d'autorité. Il a été jugé que le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat s'applique uniquement à l'arrestation ou à la détention initiales, et non pas aux personnes incarcérées dans un péniten- cier. L'absence d'un avocat n'a pas entravé le requérant dans l'exposé de son point de vue.
(4) II n'y a pas eu délégation irrégulière de pouvoirs au Comité régional des transfèrements pour ce qui est de la décision de transférer le requérant. Parmi les personnes autori- sées par les Directives du commissaire à approuver les transfè- rements à l'intérieur d'une région, il avait le sous-commissaire adjoint aux opérations. Le transfèrement du requérant a été approuvé par la personne agissant en cette qualité.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7, 10b).
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 129, 279(2) (mod. par L.R.C. (1985) (1" suppl.), chap. 27, art. 39).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Camphaug c. Canada (1990), 34 F.T.R. 165 (C.F. Ir inst.); Demaria c. Comité régional de classement des détenus, [1987] 1 C.F. 74; (1986), 21 Admin. L.R. 227; 30 C.C.C. (3d) 55; 53 C.R. (3d) 88; 5 F.T.R. 160; 69 N.R. 135 (C.A.); Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d) 314; 30 N.R. 119; Howard c. Établisse- ment Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 19 D.L.R. (4th) 502; 11 Admin. L.R. 63; 19 C.C.C. (3d) 195; 45 C.R. (3d) 242; 17 C.R.R. 5; 57 N.R. 280 (C.A.); Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; (1984), 9 D.L.R. (4th) 393; 5 Admin. L.R. 70; 12 C.C.C. (3d) 9; 39 C.R. (3d) 78 (1r' inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Hnatiuk c. Canada (1987), 12 F.T.R. 44 (C.F. 1" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Gallant c. Canada (Sous-commissaire, Service correc- tionnel Canada), [1989] 3 C.F. 329; (1989), 36 Admin. L.R. 261; 68 C.R. (3d) 173; 25 F.T.R. 79; 92 N.R. 292 (C.A.); Jamieson c. Commissaire aux Services correc- tionnels (1986), 51 C.R. (3d) 155; 2 F.T.R. 146 (C.F. 1" inst.); Mitchell c. Crozier, [1986] 1 C.F. 255; (1986), 1 F.T.R. 138 (1 inst.).
AVOCATS:
Charalee F. Graydon pour les requérants. Larry M. Huculak pour les intimés.
PROCUREURS:
Bishop & McKenzie, Edmonton, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: Le requérant, qui est un détenu dans un pénitencier fédéral, soit l'établisse-
ment d'Edmonton, demande une ordonnance sous forme de bref de certiorari infirmant la décision du directeur de le transférer de l'unité «A» de l'établissement à l'unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan et infirmant également la décision de le placer en isolement préventif après son retour à l'établissement d'Edmonton.
Le 5 novembre 1989, il s'est produit une bagarre au couteau entre deux détenus dans la cour de l'établissement d'Edmonton. Étant donné qu'une seule des armes utilisées dans la bagarre a été retrouvée, le directeur adjoint, qui était à ce moment-là chargé de l'établissement, a ordonné un isolement cellulaire dans toute la prison, procédure selon laquelle tous les détenus doivent réintégrer leur cellule. Les détenus de l'unité «A», y compris le requérant, ont refusé d'obéir à l'ordre et en outre de laisser deux agents correctionnels quitter l'unité. Ces incidents ont porté le directeur à con- clure que les activités du requérant et des autres détenus en cause menaçaient le maintien de l'ordre et de la discipline dans l'établissement. Le direc- teur était également d'avis que le requérant avait manifesté un tel potentiel de comportement violent qu'il constituait un risque persistant et grave pour la sécurité du personnel et des détenus de l'établis- sement d'Edmonton et qu'il devait donc être trans- féré de toute urgence à l'unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan. Cette décision a été prise le 6 novembre 1989.
À la même date, le requérant a reçu un avis de recommandation de transfèrement involontaire selon lequel, il avait empêché l'isolement cellulaire immédiat dans toute la prison, le 5 novembre 1989, et devait être transféré de toute urgence à une unité à sécurité élevée. Le requérant a demandé à communiquer avec un avocat au sujet du transfèrement involontaire recommandé, mais cette demande a été rejetée. Il a été placé à bord d'un avion et transféré à l'unité à sécurité maxi- male élevée du pénitencier de la Saskatchewan.
Sur l'avion, le requérant a reçu une copie d'un avis de recommandation de transfèrement involon- taire en date du 6 novembre 1989 signé par le directeur. Le 8 novembre 1989, ou vers cette date, il a reçu un autre avis de recommandation de
transfèrement involontaire daté du 7 novembre 1989 et signé par le directeur, qui était supplémen- taire au premier avis de recommandation de trans- fèrement involontaire. Les deux avis signifiés au requérant précisaient les motifs de la recomman- dation de transfèrement faite par le directeur ainsi que le droit du requérant d'y répondre par écrit. Le requérant a d'ailleurs présenté une réponse écrite à l'avis pour nier les allégations faites dans celui-ci et présenter sa version des faits relatifs à l'incident en question.
Le 22 décembre 1989, le requérant et quatre autres détenus de l'unité «A» ont reçu des lettres les informant que le Comité régional des transfère- ments avait examiné les renseignements présentés par l'établissement d'Edmonton pour justifier leur transfèrement ainsi que leurs réponses écrites. A la lumière de cette information, il a été décidé d'ap- prouver le transfèrement de chacun des détenus à l'unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan. Le 10 mai 1990, le requérant a réintégré l'établissement d'Edmonton, il est resté en isolement préventif en attendant une enquête préliminaire relativement aux accusations portées en vertu de l'article 129 et du paragraphe 279(2) [mod. par L.R.C. (1985) (ler suppl.), chap. 27, art. 39] du Code criminel [L.R.C. (1985), chap. C-46] jusqu'à sa mise en liberté le 26 mai 1990.
Le requérant demande maintenant un bref de certiorari pour le motif que le Comité régional des transfèrements n'était pas autorisé à approuver le transfèrement, qu'il n'a pas exercé sa compétence puisqu'il n'a pas mené une enquête distincte et indépendante sur le cas du requérant, que les intimés ont agi contrairement aux principes d'équité en matière de procédure et à l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et liber- tés, qui constitue la Partie I de la Loi constitution- nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] en ce qui concerne la recom- mandation et la décision de le transférer, que les intimés l'ont privé de son droit prévu à l'alinéa 10b) de la Charte d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et que le directeur de l'établissement d'Edmonton a agi de façon déraisonnable et con- traire aux principes d'équité en matière de procé-
dure et à l'article 7 de la Charte en plaçant le requérant en isolement préventif.
Le requérant maintient que la jurisprudence a établi l'obligation d'assurer l'équité de procédure et que l'article 7 de la Charte exige qu'un détenu qui fait l'objet d'une recommandation de transfè- rement involontaire soit dûment informé et mis au courant des raisons du transfèrement, en plus de se voir offrir la possibilité de présenter des observa tions pour s'opposer à ce transfèrement. Le requé- rant soutient que les dispositions en matière de procédure énoncées à la Directive du commissaire 540 définissent la conduite que doivent suivre les autorités correctionnelles en ce qui concerne tant un transfèrement d'urgence qu'un transfèrement involontaire à une unité à sécurité maximale élevée. Selon cette directive, un détenu qui fait l'objet d'un transfèrement involontaire doit notam- ment se voir remettre un résumé de l'évolution du cas. Ce genre de rapport fournit un compte rendu détaillé des incidents qui ont donné lieu au transfè- rement; n'en sont exclus que les renseignements en matière de sécurité ou provenant d'informateurs ainsi que les renseignements relatifs à des incidents ou, comportements antérieurs qui ont contribué à la décision de recommander un transfèrement involontaire. D'après le requérant, on ne lui a jamais remis un résumé de l'évolution du cas pour justifier son transfèrement ni fourni de renseigne- ments confidentiels ou en matière de sécurité qui ont pu entrer en ligne de compte en ce qui con- cerne le transfèrement.
Le requérant maintient en outre que les intimés n'ont pas respecté leur obligation d'assurer l'équité en matière de procédure et qu'ils ont violé l'article 7 de la Charte en ne faisant pas un examen distinct et indépendant du transfèrement involon- taire du requérant à l'unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan. Selon lui, en outre, les intimés ont enfreint l'alinéa 106) de la Charte en lui refusant la possibilité de com- muniquer avec un avocat, le 6 novembre 1989, lorsqu'il a été placé sous garde et transféré à l'unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan.
Selon le requérant, les autorités se sont trompées en approuvant le transfèrement involontaire en l'absence de toute preuve qu'il avait manifesté un tel potentiel de comportement violent au point de
poser un risque persistant et grave à la sécurité du personnel ou des détenus de tout établissement d'un niveau de sécurité inférieur.
Enfin, le requérant soutient qu'il y a eu déléga- tion irrégulière de pouvoirs au Comité régional des transfèrements parce que, selon lui, ce comité ne jouissait pas de la compétence nécessaire pour prendre une décision au sujet de son transfèrement à l'unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan.
En réponse à ces allégations, les intimés main- tiennent que l'obligation d'assurer l'équité de pro- cédure et l'obligation que prévoit l'article 7 de la Charte ont été respectées. Il est vrai que le requé- rant n'a pas reçu un résumé de l'évolution du cas, comme le prévoient les directives. D'après eux, toutefois, dans un cas de transfèrement urgent de cette nature, l'avis de recommandation de transfè- rement et les motifs de cette action peuvent être dûment signifiés à un détenu au moment du trans- fèrement ou peu après celui-ci, à condition que des détails suffisants au sujet de ces raisons soient donnés au détenu pour le permettre de fournir par écrit une réponse valable à ceux-ci au moment de l'examen du transfèrement. Selon les intimés, la question qui se pose est non pas celle de savoir si un détenu a reçu tous les documents relatifs au transfèrement, mais plutôt s'il peut répondre de façon convenable à l'avis de transfèrement et s'il s'est vu accorder une chance équitable de répondre par écrit aux allégations.
En ce qui concerne la prétendue violation de l'alinéa 10b) de la Charte, les intimés maintien- nent qu'un transfèrement involontaire est un acte administratif et qu'il ne donne par conséquent pas lieu aux droits absolus du requérant d'avoir recours à l'assistance d'un avocat.
Enfin, les intimés soutiennent qu'il n'y a pas eu délégation irrégulière de pouvoirs au Comité régio- nal des transfèrements, qui sert de comité consul- tatif. C'est le sous-commissaire adjoint par inté- rim, Opérations, en conformité avec la Directive du commissaire 540, qui a décidé d'approuver le transfèrement après examen des éléments de preuve portés à sa connaissance, y compris l'exposé écrit du requérant.
J'ai l'intention de me pencher tout d'abord sur le manque de preuve justifiant le transfèrement invo-
lontaire qu'allègue le requérant. Selon la Directive du commissaire (D.C.) 540, article 13, la seule raison pour laquelle un détenu peut être transféré à un établissement à sécurité maximale élevée est qu'il «a manifesté un tel potentiel de comporte- ment violent qu'il pose un risque persistant et grave à la sécurité du personnel ou des détenus» dans l'établissement à niveau de sécurité infé- rieure. Dans Camphaug c. Canada (1990), 34 F.T.R. 165 (C.F. 1" inst.), le juge Strayer, se reportant à la décision du juge d'appel Marceau J.C.A. dans l'affaire Gallant c. Canada (Sous- commissaire, Service correctionnel Canada), [1989] 3 C.F. 329 (C.A.), a affirmé que la déci- sion de transférer un détenu n'est pas comme une condamnation pour une infraction: il suffit que le décisionnaire ait des motifs raisonnables de croire que le détenu doit être envoyé ailleurs pour assurer le maintien d'une administration ordonnée et con- venable de l'établissement.
C'est un lieu commun de dire que la fonction de cette Cour, dans ce genre de requête, n'est pas de substituer sa propre décision à la décision d'un directeur de recommander un transfèrement ou à celle d'un sous-commissaire adjoint par intérim, Opérations, d'approuver ce transfèrement. La Cour ne prendra pas la place des autorités admi- nistratives en ce qui concerne l'évaluation des faits et de la crédibilité.
Je dois plutôt juger si les autorités avaient des motifs raisonnables de croire que le détenu devait être transféré. Je n'hésite aucunement à, affirmer, qu'à mon avis, le directeur de l'établissement d'Ed- monton a agi de façon raisonnable en prenant la décision qu'on sait. Vu l'information qui lui a été fournie, il y avait des motifs raisonnables de croire que le requérant avait participé de façon significa- tive à de graves incidents en matière de sécurité à l'établissement d'Edmonton. À cause de ces inci dents, le directeur avait aussi un motif raisonnable de croire que le requérant devait être transféré de toute urgence à un établissement à niveau de sécurité plus élevé. Selon moi, les faits appuient l'avis du directeur: une bagarre au couteau par suite de laquelle on a retrouvé une seule arme, le refus du requérant d'obéir à l'ordre d'isolement czllulaire dans toute la prison et le rôle joué par le requérant dans la séquestration de deux agents correctionnels.
L'autre question sur laquelle il faut se pencher est le fait que les intimés n'ont pas fourni au requérant un résumé de l'évolution du cas. L'arti- cle 7 de l'annexe A de la Directive du commissaire 540 précise les renseignements qui doivent être inclus dans l'avis de recommandation de transfère- ment involontaire. Essentiellement, il faut que l'avis renferme suffisamment de renseignements pour permettre au détenu de connaître les accusa tions qui sont portées contre lui et d'y répondre. Selon l'article 8, lorsqu'il s'agit d'un transfèrement à un établissement à sécurité maximale élevée, il faut aussi inclure les raisons pour lesquelles le détenu est considéré comme un risque grave pour la sécurité du personnel ou des détenus.
En l'espèce, on a satisfait à ces exigences. Le requérant a reçu deux avis de recommandation de transfèrement involontaire. Il a été informé de son droit de présenter des observations par écrit au sujet de ces avis, ce qu'il a fait. Les avis renfer- maient suffisamment de détails pour lui permettre de connaître les accusations portées contre lui et d'y répondre d'une façon sérieuse. Après examen des avis, je suis en effet convaincu que les autorités ont communiqué au requérant autant de rensei- gnements que ce dernier pouvait raisonnablement s'attendre d'obtenir sans qu'il soit porté atteinte à la sécurité de l'établissement.
Selon l'article 10 de l'annexe A de la Directive du commissaire 540, une copie du résumé de l'évo- lution du cas doit être jointe à l'avis de recomman- dation de transfèrement involontaire. Le résumé doit être signé par le détenu ou renfermer une mention du refus du détenu de le signer. Il n'y a aucun doute, en l'occurrence, que l'article 10 n'a pas été respecté. La question que je dois trancher est celle de savoir si l'omission du résumé de l'évolution du . cas représente un vice grave de la procédure suivie par les autorités au point d'exiger l'émission d'un bref de certiorari pour corriger toute injustice résultante.
La jurisprudence est unanime quant à un point: la Cour doit faire preuve de modération pour ce qui est d'intervenir dans des actes essentiellement administratifs comme celui qui est en question dans ce cas. Toutefois, elle doit en même temps être convaincue du respect des exigences fonda- mentales en matière d'équité.
Un détenu ne jouit pas du droit d'avoir une audience orale avant son transfèrement. (Voir: Jamieson c. Commissaire aux Services correction- nels (1986), 51 C.R. (3d) 155 (C.F. lie inst.); Mitchell c. Crozier, [1986] 1 C.F. 255 (lie inst.); Hnatiuk c. Canada (1987), 12 F.T.R. 44 (C.F. i' inst.)). Ce que la jurisprudence a établi est qu'un détenu a droit, en application de la D.C. 540, à être avisé par écrit des motifs du transfèrement et de son droit de présenter des oppositions par écrit dans les 48 heures. Il a également droit à une décision écrite quant à l'approbation du transfère- ment, y compris à une indication quelconque du fait que sa réponse est entrée en ligne de compte dans la décision.
Dans Demaria c. Comité régional de classement des détenus, [1987] 1 C.F. 74 (C.A.), la Cour a déclaré que le devoir d'agir de façon équitable en ce qui concerne le transfèrement d'un prisonnier à un établissement à niveau de sécurité plus élevé inclut l'obligation de donner un avis convenable et d'accorder une chance équitable de répondre aux allégations. Lorsqu'il n'est pas question de tenir une audience, il importe que l'avis relatif à la prétendue conduite soit aussi détaillé que possible pour garantir que le droit de répondre ne devienne pas illusoire. La Cour a insisté sur le fait que c'est aux autorités qu'il appartient de démontrer que les seuls renseignements qui n'ont pas été divulgués sont uniquement ceux qu'il fallait cacher pour protéger l'identité d'un informateur. Comme le déclare le juge Hugessen, J.C.A., à la page 78:
En dernière analyse, il s'agit de déterminer non pas s'il existe des motifs valables pour refuser de communiquer ces renseigne- ments mais plutôt si les renseignements communiqués suffisent à permettre à la personne concernée de réfuter la preuve présentée contre elle.
Toutefois, ceci ne signifie pas que les vices de procédure invalideront nécessairement un transfè- rement si le procédé général a été équitable. Dans l'arrêt Hnatiuk précité, le juge a déclaré que le fait de ne pas remplir intégralement un formulaire exigé ne constituait pas une infraction, de la part des agents de l'établissement, au devoir d'agir équitablement. La Cour s'est fondée sur l'affirma- tion souvent citée du juge Dickson, à l'époque, dans son arrêt Martineau c. Comité de discipline de l'Institution Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, page 630:
5. I1 faut souligner que les cours n'interviendront pas dans tous les cas de violation des règles de procédure carcérale. La nature même d'un établissement carcéral requiert que des décisions soient prises «sur-le-champ» par les fonctionnaires et le contrôle judiciaire doit être exercé avec retenue. Une inter vention ne sera pas justifiée dans le cas d'incidents triviaux ou purement théoriques. Il ne s'agit pas de savoir s'il y a eu une violation des règles carcérales, mais plutôt s'il y a eu une violation de l'obligation d'agir équitablement compte tenu de toutes les circonstances. Les règles ont leur importance pour répondre à cette question: elles révèlent le degré de protection procédurale dont doivent jouir les détenus, de l'avis des autori- tés carcérales. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, je suis convaincu que, dans toutes les circonstances, les intimés n'ont pas enfreint le devoir d'agir équitablement en ne signifiant pas au requérant le résumé de l'évolution du cas. Pour prendre une décision équitable en ce qui concerne le transfèrement d'un détenu, il n'est pas obliga- toire de fournir à ce dernier tous les détails au sujet de tous les prétendus méfaits. Il suffit que le détenu puisse faire des observations pour démon- trer que la recommandation de le transférer est déraisonnable. Il est clair qu'on a fourni au requé- rant suffisamment de détails pour lui permettre de connaître les accusations dont il devait répondre et pour présenter ses observations au sujet des motifs à l'appui de la recommandation. Les faits prouvent que le requérant a pu répondre sérieusement à l'avis de transfèrement et qu'on lui a donné une chance équitable de réfuter par écrit les alléga- tions.
Je suis en outre convaincu du bien-fondé de ma conclusion que l'absence d'un résumé de l'évolu- tion du cas ne doit pas amener la Cour à intervenir dans le processus décisionnel des intimés du fait qu'aucun rapport de ce genre n'a été produit. On n'a pas caché de renseignements au requérant; les personnes chargées de la rédaction de ces résumés participaient plutôt, aux dates en question, à une grève.
Je suis en dernière analyse convaincu que l'ab- sence d'un résumé de l'évolution du cas, dans les circonstances, ne constitue pas une infraction, de la part des intimés, à leur devoir d'agir équitable- ment ni une infraction à l'article 7 de la Charte.
Examinons maintenant la question du refus des intimés de permettre au requérant, après qu'il l'eut demandé le 5 novembre 1989, d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. La question de savoir si
un détenu qui fait l'objet de mesures disciplinaires a droit de recourir à l'assistance d'un avocat a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642. Dans cette affaire, le détenu était accusé d'infraction aux consignes disciplinaires en vertu de l'article 39 du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, et a se soumettre à une audience en matière disciplinaire pour laquelle il a demandé à être représenté par un avocat, demande qui a été refusée. Le juge en chef Thurlow a énoncé le critère suivant pour détermi- ner si une personne peut être considérée comme jouissant d'un droit intrinsèque à l'assistance d'un avocat à la page 663:
... il me semble que la question de savoir si oui ou non une personne a le droit d'être représentée par avocat dépendra des circonstances de l'espèce, de sa nature, de sa gravité, de sa complexité, de l'aptitude du détenu lui-même à comprendre la cause et à présenter sa défense. Cette liste n'est pas exhaustive. Il s'ensuit donc, à mon avis, que la question de savoir si la requête d'un détenu en vue d'être représenté par avocat peut être légalement refusée ne peut être considérée comme une question de discrétion, car il s'agit d'un droit qui existe lorsque les circonstances sont telles que la possibilité d'exposer adéqua- tement la cause du détenu exige la représentation par avocat.
En outre, on a interprété l'expression «en cas d'arrestation ou de détention» employée à l'alinéa 10b) de la Charte comme étant une privation liberté, soit physique soit à la demande ou en application des directives d'une personne occùpânt un poste d'autorité.
Dans l'arrêt Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734 (ife inst.), il a été déclaré qu'un prisonnier qui comparaît devant la Commission des libérations conditionnelles pour un examen de la suspension de sa liberté condition- nelle ne jouit pas du droit absolu d'avoir recours à l'assistance d'un avocat au sens de l'alinéa 10b) de la Charte. Ce droit, ainsi que l'a déclaré la Cour, s'applique uniquement en cas d'arrestation ou de détention, et toute autre application de l'alinéa 10b), dans un contexte carcéral, entraînerait une obligation constante de la part des autorités carcé- rales d'informer les prisonniers de leur droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, au jour le jour.
À mon avis, un détenu qui fait l'objet d'un transfèrement involontaire effectué de toute urgence ne jouit pas du droit absolu d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, ainsi que le
prévoit l'article 10 de la Charte. Ceci ne signifie pas qu'un détenu ne pourra jamais invoquer la protection des droits enchâssés à l'alinéa 10b). Je conviens toutefois avec le juge en chef Thurlow: ce sont les circonstances qui existent dans chaque cas qui déterminent si ce droit absolu existe. En l'es- pèce, je suis convaincu que le requérant connaissait parfaitement les raisons du transfèrement et qu'il était capable de réfuter sérieusement les preuves présentées contre lui. On lui a amplement donné l'occasion de faire convenablement valoir son point de vue, ce qu'il a d'ailleurs fait. L'absence d'un avocat n'a pas entravé le requérant dans l'exposé de son point de vue. Compte tenu des faits existant en l'espèce et de l'urgence de la situation, le refus de permettre au requérant de recourir à l'assis- tance d'un avocat n'a pas constitué un manque- ment à un devoir quelconque des autorités carcéra- les d'agir équitablement et il n'a pas non plus été contraire aux droits que la Charte garantit au requérant.
Enfin, la preuve n'appuie pas l'affirmation du requérant selon laquelle il y a eu délégation irrégu- lière de pouvoirs au Comité régional des transfère- ments pour ce qui est de la décision de le transfé- rer. Selon la Directive du commissaire 540, c'est au sous-commissaire régional, au sous-commissaire adjoint, Opérations, et à l'administrateur régional des Opérations communautaires et institutionnel- les qu'il appartient d'approuver les transfèrements à l'intérieur d'une région. C'est M. Linklater, en sa qualité de sous-commissaire adjoint par intérim, Opérations, après examen des preuves portées à sa connaissance, y compris les observations écrites du requérant, qui a approuvé le transfèrement de ce dernier. Il n'y a donc pas eu délégation irrégulière de pouvoirs au Comité régional des transfère- ments.
Pour tous ces motifs, je ne puis conclure que les intimés n'ont pas respecté leur obligation d'agir équitablement ni que leurs actions ont violé des droits quelconques que la Charte garantit au requérant. La requête est par conséquent rejetée avec dépens.
Les motifs de l'ordonnance écrits dans le cas du requérant Christopher Williams, du greffe T-1505-90, s'appliquent également aux requérants suivants: Harold Dubarry, T-1506-90; Ken McIn- tyre, T-1507-90; Arthur Winters, T-1508-90; et
Eugene Campbell, T-1509-90. Il convient de signa- ler que malgré les légers écarts éventuels quant aux faits dans chacune de ces affaires, les principes contestés sont les mêmes.
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