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T-18-88
Sky Charter Limited et S.T.S. Holdings Limited (requérantes/demanderesses)
C.
Le Bureau canadien de la sécurité aérienne (intimé/défendeur)
RÉPERTORIÉ: SKY CHARTER LTD. C. CANADA (BUREAU DE LA SÉCURITÉ AÉRIENNE) (1" INST.)
Section de première instance, juge MacKay— Toronto, 19 juin 1989; Ottawa, 11 septembre 1990.
Droit aérien Les propriétaires d'un enregistreur de con versations de poste de pilotage, remis au Bureau canadien de la sécurité aérienne après un incident aérien, ont droit à la restitution de l'enregistrement ou à la transcription complète de celui-ci, à leur demande, lorsque l'enquête est complétée en vertu de l'art. 21 de la Loi sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne La protection conférée à l'enregistrement par les art. 33 et 34 ne constitue pas une fin de non-recevoir à l'égard du droit à la restitution La protection ne s'oppose pas au droit des propriétaires à la restitution La protection a pour but d'assurer que les enregistrements soient accessibles aux fins d'enquête des accidents aériens tout en protégeant la vie privée des pilotes La possibilité que les propriétaires abusent des droits des employés ne concerne pas le Bureau.
Il s'agit d'une requête en jugement déclaratoire portant que les demanderesses ont le droit de récupérer une bande d'enre- gistrement ou la transcription complète de celle-ci. Les deman- deresses sont propriétaires d'un jet Lear, y compris l'enregis- treur de conversations de poste de pilotage (CVR) et l'enregistreur de données de vol (FDR). Le jet a subi d'impor- tants dommages au moment il s'apprêtait à atterrir à l'aéroport Pearson. À la demande du Bureau canadien de la sécurité aérienne, les demanderesses lui ont remis les enregis- trements CVR et FDR. Même si l'enquête du Bureau est terminée, il a, malgré de nombreuses demandes, refusé de restituer les bandes d'enregistrement. L'article 21 de la Loi sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne prévoit que lors- qu'ils ont servi aux fins voulues, les biens saisis en application de l'alinéa 19(1)c) sont restitués le plus tôt possible à leur propriétaire, sauf consentement écrit contraire du propriétaire. Les demanderesses ont intenté une action en dommages-intérêts à la suite de cet incident, alléguant la négligence des employés de l'État. Elles croient que la restitution de la bande aurait pu leur éviter d'introduire cette action ou les aider à la préparer. Il s'agissait de déterminer si après avoir saisi la bande CVR aux fins d'enquête sur un incident ou un accident et avoir complété cette enquête, le Bureau peut refuser de restituer la bande d'enregistrement ou la transcription complète de celle-ci au propriétaire qui en a fait la demande. Le défendeur prétend qu'en vertu de la protection spéciale que confèrent à la bande CVR les articles 33 et 34 de la Loi, il ne peut restituer la bande d'enregistrement. Ces articles prévoient que le Bureau ne peut communiquer l'enregistrement ou les renseignements qu'il con- tient qu'aux agents de la paix, au coroner et aux personnes qui
participent à des enquêtes, à la demande d'un tribunal ou d'un coroner, après que le tribunal ou le coroner a examiné l'enregis- trement à huis clos et donné au Bureau la possibilité de présenter des observations relatives à la communication, et qu'il a conclu qu'il peut y avoir communication de l'enregistrement parce que l'intérêt public d'une bonne administration de la justice a prépondérance sur la protection conférée à l'enregis- trement. Le.défendeur a allégué que la Loi ne prévoit pas que le propriétaire de l'enregistrement y a accès.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
Les demanderesses ont droit à la restitution de l'enregistre- ment ou du moins à la transcription complète de son contenu, conformément à l'article 2L
La protection conférée à l'enregistrement pilotage ne s'op- pose pas au droit qu'a le propriétaire de le récupérer. Cette protection avait pour but d'assurer que ces enregistrements soient accessibles aux fins licites établies, notamment les enquê- tes relatives aux accidents et incidents aériens, tout en proté- geant le plus possible la vie privée des pilotes dont la moindre parole est enregistrée. La protection vise l'enregistrement, peu importe qu'il soit en la possession des propriétaires, du Bureau ou de toute autre personne. La possession de l'enregistrement n'a aucune importance aux fins de la Loi et des fonctions du Bureau.
La possibilité qu'un propriétaire qui a accès à l'enregistre- ment en abuse au détriment des droits de l'employé ne concerne pas le Bureau. L'article 35 interdit l'utilisation des enregistre- ments dans le cadre de procédures disciplinaires ou autres, à l'exclusion des procédures civiles, dans certains cas. Les conven tions collectives ou les contrats d'emploi entre pilotes et pro- priétaires régissent l'utilisation possible de ces enregistrements.
Les conditions relatives à la communication des enregistre- ments sont énoncées dans la Loi, notamment la protection conférée par le paragraphe 33(1) et la restriction de l'utilisation que prévoit cet article de façon tacite et l'article 35, de façon expresse. Les demanderesses désirent la restitution de l'enregis- trement pour permettre à leur avocat de l'examiner afin d'éva- luer et de préparer leurs réclamations dans l'action civile et au président des sociétés demanderesses de les examiner pour comprendre l'incident en vue d'améliorer la sécurité aérienne. La consultation de l'avocat ne contrevient pas à la protection puisqu'il peut être considéré comme un prolongement des demanderesses. Les conseils de l'avocat au sujet des poursuites possibles sont protégés en soi; il est de l'intérêt de la justice de restituer l'enregistrement 'aux demanderesses à des conditions permettant à l'avocat d'y avoir accès. Après la restitution, l'avocat devrait avoir accès à l'enregistrement de façon confi- dentielle, aux seules fins de conseiller les demanderesses.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18.
Loi sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne, L.R.C. (1985), chap. A-12, art. 2, 5(1), 7, 9, 10, 16, 19, 21, 32, 33, 34, 35, 36(3).
Loi sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne, S.C. 1980-81-82-83, chap. 165, art. 2(1), 4(1), 6, 8, 9, 12, 15, 16, 26, 27(3).
Ordonnance sur les enregistreurs de la parole dans les postes de pilotage, C.R.C., chap. 37.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586; (1985), 13 Admin. L.R. 1; 20 C.C.C. (3d) 206; 6 C.P.R. (3d) 283; 46 C.R. (3d) 91; 16 C.R.R. 271; 60 N.R. 194 (C.A.).
DOCTRINE
Canada, Rapport de la Commission d'enquête sur la sécurité aérienne: Caractère confidentiel des éléments de preuve recueillis par les enquêteurs, vol. 1, Partie X (Ottawa, Approvisionnements et Services, 1981) (Commissaire: C. L. Dubin).
AVOCATS:
W. A. Richardson pour les requérantes/ demanderesses.
D. Bruce Garrow et F. Reinhardt pour l'intimé/défendeur.
PROCUREURS:
Lilly, Blott, Fejér, Toronto, pour les requé- rantes/demanderesses.
Hughes, Amys, Toronto pour l'intimé/défen- deur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACKAY: La présente instance, intro- duite par voie d'avis de requête, vise à obtenir une déclaration portant que les requérantes/demande- resses ont le droit d'avoir, de garder ou d'obtenir de l'intimé/défendeur une certaine bande d'enre- gistrement ou la transcription complète de celle-ci et, le cas échéant, une ordonnance de mandamus enjoignant au Bureau de remettre aux requéran- tes/demanderesses l'enregistrement en cause ou la transcription complète et intégrale de celui-ci.
Questions préliminaires
En moyen préliminaire, l'intimé/défendeur a prétendu que la procédure choisie par les requé- rantes/demanderesses était inutile parce que ces dernières pouvaient, dans le cadre d'autres instan ces déjà engagées contre Sa Majesté, demander la production et l'examen de l'enregistrement en
litige et que le tribunal concerné pourrait décider s'il est opportun d'ordonner la production ou l'exa- men de l'enregistrement, conformément à la Loi sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne, L.R.C. (1985), chap. C-12, article 34 [ancien paragraphe 26(6) S.C. 1980-81-82-83, chap. 165]. En réplique, les requérantes/ demanderesses allè- guent que cette dernière procédure implique que l'intimé/défendeur a le droit de garder l'enregistre- ment, ce qui fait justement l'objet de la requête dont cette Cour est présentement saisie. À mon avis, la question du droit qu'aurait le Bureau de garder l'enregistrement même si les requérantes/ demanderesses, qui en sont propriétaires, ont demandé la restitution de l'enregistrement ou de la transcription complète de celui-ci, ne peut être tranchée qu'au terme d'un débat et ce, dans la mesure les règles de procédure en permettent la tenue.
La Cour a ensuite discuté avec les avocats de l'exception d'irrecevabilité que soulève la requête telle que présentée, c'est-à-dire qu'en vertu des Règles de cette Cour, les instances engagées en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, en vue d'obtenir un jugement déclaratoire, comme en l'espèce, ne peu- vent l'être par voie de requête; elles doivent pren- dre la forme d'action introduite par déclaration. Même si ces Règles ne s'appliquent pas au manda- mus, également demandé en l'espèce, elles pré- voient implicitement que, dans le cas d'une demande de jugement déclaratoire, les questions en litige doivent faire l'objet d'un procès. En l'es- pèce, les requérantes/demanderesses ont déposé une déclaration le 7 janvier 1988 en vue d'obtenir une réparation semblable à celle demandée en l'espèce par voie de requête, mais rien d'autre ne figure au dossier, aucune des procédures prélimi- naires habituelles afin d'obtenir ou d'éclaircir des éléments de preuve et aucune démarche en vue de faire procéder à l'instruction de l'action, jusqu'à ce que le présent avis de requête soit déposé au mois de mai 1989. Dans Wilson c. Ministre de la Jus tice, [1985] 1 C.F. 586 (C.A.), le juge Mahoney a reconnu, au nom de la Cour d'appel, qu'il existe une procédure exceptionnelle par laquelle, avec le consentement des parties et non simplement en l'absence d'objection, la Cour peut ordonner que l'on considère que l'instance a été régulièrement introduite, à condition que les parties versent au
dossier un exposé conjoint de tous les faits sur lesquels les questions en litige devront être tranchées.
Après un bref ajournement afin de permettre aux avocats de se consulter, l'avocat de l'intimé/ défendeur a informé la Cour qu'il acceptait que la requête soit entendue comme s'il s'agissait d'une action, à la condition que l'alinéa 9d) de la décla- ration déposée le 7 janvier 1989 soit radié. Cet alinéa se rapportait à la réparation demandée à l'époque par les requérantes/demanderesses et visait la validité des dispositions de la Loi relatives à la saisie de l'enregistrement par l'intimé/défen- deur. Les avocats des deux parties ont consenti à la radiation de cet alinéa et ont convenu qu'aucun des faits générateurs du litige n'était contesté.
Dans ces circonstances, ayant pris acte du con- sentement des parties à ce que l'affaire suive son cours et de leur accord quant aux faits en cause, j'ai ordonné que l'on considère que l'instance a été régulièrement introduite et que les faits énoncés dans la déclaration déposée le 7 janvier 1988 cons tituent l'exposé conjoint des faits. Dans cette déclaration, les paragraphes 1 à 8 résument les faits; le paragraphe 9 énonce la réparation deman- dée par les requérantes/ demanderesses et qui, je le présume, a été remplacée par la réparation deman- dée dans l'avis de requête du 10 mai 1989. À l'audience, les plaidoiries ont porté exclusivement sur la réparation visée dans l'avis de requête. Tout ce qui différencie fondamentalement la réparation demandée dans la déclaration déposée en janvier et celle visée dans l'avis de requête est que celui-ci porte uniquement sur un jugement déclaratoire et une ordonnance de mandamus relatifs à un certain enregistrement fait au moyen d'un enregistreur de conversations de poste de pilotage (CVR) tandis que la déclaration portait également sur un deuxième enregistrement produit par un enregis- treur de données de vol (FDR).
Les faits admis et la réparation demandée
Aux fins du dossier, voici les faits admis par les avocats des parties et énoncés aux paragraphes 1 à 8 de la déclaration déposée par les demanderesses le 7 janvier 1989.
[TRADUCTION] 1. La demanderesse/requérante, Sky Charter Limited («Sky Charter») et la demanderesse/requérante, S.T.S. Holdings Limited («S.T.S.»), sont deux compagnies constituées en vertu des lois de la province de l'Ontario. Pendant toute la
période pertinente, Sky Charter et S.T.S. étaient respective- ment propriétaires de 40 % et de 60 % d'un jet Gates Lear 25B 1973, de série 109 et d'enregistrement C-GSAS (»C-GSAS»). Pendant toute la période pertinente, Sky Charter louait les 60 % du C-GSAS appartenant à S.T.S.
2. Le défendeur/intimé, le Bureau canadien de la sécurité aérienne («de Bureau») est un bureau fédéral créé en vertu de l'article 4 de la Loi sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne, S.C. 1980-81-82-83, chap. 165, modifiée («la Loi»). Le Bureau a pour mission de promouvoir la sécurité aérienne en constatant les manquements à la sécurité mis en évidence par les accidents aéronautiques; en procédant à des enquêtes indé- pendantes sur les accidents aéronautiques afin de dégager leur cause et les autres facteurs en jeu; et en rendant compte, dans des rapports publics, de ces enquêtes.
3. Conformément à certaines ordonnances sur la navigation aérienne relatives aux aéronefs de catégorie «C» (dont était le C-GSAS), le C-GSAS était muni notamment d'un enregistreur de conversations de poste de pilotage (CVR) et d'un enregis- treur de données de vol (FDR) et ce, pendant toute la période pertinente. Pendant toute la période en cause, Sky Charter et S.T.S. étaient propriétaires des bandes d'enregistrement CVR et FDR ainsi que de leur contenu.
4. Le CVR est un dispositif qui enregistre sur une cassette audio d'enregistrement continu les trente (30) dernières minu tes de conversation entre les membres de l'équipage ou entre l'équipage et d'autres aéronefs ou des installations au sol.
5. Le FDR est un dispositif qui mesure et enregistre, par des moyens semblables, certains paramètres de vol sur une bande métallique.
6. Le,3 avril 1985, vers 04:09 heures, un incident s'est produit au moment le C-GSAS s'apprêtait à atterrir à l'Aéroport international Lester B. Pearson («aéroport Pearson») dans la municipalité régionale de Peel, en Ontario. Le C-GSAS a subi d'importants dommages imputables à cet incident. De plus, Sky Charter n'a pu utiliser le C-GSAS entre le 3 avril et le 10 mai 1985.
7. Peu après l'incident, et à la demande d'un représentant du Bureau, Sky Charter et S.T.S. ont remis les enregistrements CVR et FDR ainsi que leur contenu à ce représentant, aux seules fins d'aider le Bureau à mener son enquête relative à l'incident. Sky Charter et S.T.S. ont en aucun temps donné ou cédé au Bureau leurs droits de propriété relatifs aux bandes d'enregistrement et à leur contenu.
8. Par la suite, et jusqu'à ce jour, le Bureau a illégalement refusé de restituer aux demanderesses/requérantes les bandes d'enregistrement CVR et FDR, ou la transcription de celles-ci, malgré de nombreuses demandes en ce sens et malgré le fait qu'il n'a plus besoin des bandes d'enregistrement.
Aux fins du dossier, je reprends également la réparation demandée par les demanderesses dans l'avis de requête daté du 10 mai 1989:
a) une déclaration portant que, en vertu de la Loi sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne, le propriétaire d'un enregistreur de conversations de poste de pilotage (CVR) a le droit d'avoir, de garder ou d'obtenir du Bureau la bande d'enregistrement CVR ou la transcription com- plète de son contenu; et, le cas échéant,
b) une ordonnance de mandamus enjoignant au Bureau de communiquer et de remettre aux demanderesses/ requé- rantes la bande CVR enregistrée à bord du C-GSAS, les ou vers les 2 et 3 avril 1985, ou la transcription complète et intégrale de cet enregistrement.
Aux fins du dossier, je note également certaines autres questions abordées dans l'affidavit d'Irving Oscar Shoichet, président des deux sociétés demanderesses, présenté à l'appui de la requête maintenant considérée comme une action devant la Cour, et dans l'affidavit de Franz Reinhardt, avocat du bureau défendeur, déposé en réplique partielle à l'affidavit de M. Shoichet, ainsi que certaines questions dont les avocats sont convenus à l'audience. Même si ces éléments n'ont pas été énoncés dans l'exposé conjoint des faits, ils peuvent servir de toile de fond à cette instance. Les voici:
1) Le déposant, M. Shoichet, déclare qu'une autre action a été introduite par voie de déclara- tion devant la Cour, le 30 septembre 1985 (no du greffe: T-2145-85), en vue d'obtenir des domma- ges-intérêts pour des pertes imputables à l'inci- dent mettant en cause l'aéronef C-GSAS, de l'acte quasi-délictuel ou de l'acte délictuel pré- sumé d'employés ou de préposés de Sa Majesté. Cette action a été engagée parce que l'on croyait qu'une certaine prescription s'appliquait aux actions intentées contre la Couronne. De plus, avec le consentement de l'avocat de Sa Majesté, cette action n'a pas connu de suite, après la délivrance et la signification de la déclaration, en attendant l'issue de la présente requête en jugement déclaratoire et en mandamus.
2) Le déposant, M. Shoichet, croit que si l'avo- cat des demanderesses et ses consultants avaient pu étudier et analyser la bande d'enregistrement CVR, cela aurait pu leur éviter d'introduire une action contre Sa Majesté ou pourrait les aider à préparer l'action en justice.
3) Le déposant, M. Shoichet déclare que, bien qu'il n'ait jamais eu l'occasion d'utiliser les enre- gistrements CVR à des fins disciplinaires contre ses employés, il a souvent, à leur connaissance et avec leur consentement, écouté ces enregistre- ments ou les conversations entre ses employés et les contrôleurs de la navigation aérienne, surtout lorsque ses employés lui avaient fait part de directives erronées ou conflictuelles données par des contrôleurs. De plus, il croit que le proprié- taire/exploitant d'un aéronef muni d'un CVR et
d'un FDR devrait avoir libre accès aux bandes d'enregistrement ou à la transcription de cel- les-ci afin de maintenir ou d'améliorer la sécu- rité aérienne, objectif qui intéresse le proprié- taire/exploitant au moins autant, sinon plus, que le bureau défendeur. A titre de propriétaire du CVR et du FDR installés dans un aéronef, le propriétaire/exploitant ou ses représentants devraient avoir libre accès à toutes les données relatives à un incident afin d'améliorer la sécu- rité aérienne et de lui permettre de déterminer la responsabilité civile de l'incident.
4) Le déposant, M. Reinhardt, affirme qu'il croit que la preuve des conversations entre les employés de Sky Charter, à bord de l'aéronef C-GSAS, et les contrôleurs de la navigation aérienne, pendant la période de l'incident sur- venu à l'aéronef, figure dans l'enregistrement du contrôle de la navigation aérienne, dont la com munication peut être légalement exigée, en vertu du paragraphe 36(3) (ancien paragraphe 27(3)) de la Loi; une transcription de l'enregistrement contrôle est jointe en annexe à son affidavit.
5) À l'audience, les avocats ont convenu, du moins de façon tacite, que l'enquête menée par le Bureau relativement à l'incident aérien met- tant en cause l'aéronef des demanderesses était terminée. De plus, il a été admis que l'enregis- treur de conversations de poste de pilotage saisi par l'inspecteur du Bureau avait été restitué aux demanderesses, de sorte qu'en l'espèce, le litige porte sur la bande d'enregistrement produite par l'enregistreur, qui se trouvait initialement à l'in- térieur de celui-ci et que le Bureau a toujours en sa possession.
La question en litige et le régime légal
La principale question en litige est assez simple: il s'agit de déterminer si le Bureau défendeur peut, après avoir saisi ou autrement obtenu la bande d'enregistrement CVR aux fins d'enquête d'un incident ou d'un accident, refuser de restituer la bande ou la transcription de l'enregistrement au propriétaire qui en a fait la demande, une fois l'enquête terminée.
Des questions subordonnées ont été soulevées lors des plaidoiries. Dans la mesure elles ne seront pas réglées en même temps que la question principale, je suggère de les examiner d'abord
puisque l'une d'entre elles au moins a été soulevée par l'intimé en objection préliminaire au début de l'audience.
L'issue de la question principale dépend de l'in- terprétation de certaines dispositions de la Loi. La Loi a été adoptée en 1983 la suite du rapport et des recommandations de la Commission d'enquête sur la sécurité aérienne présidée par le juge Char- les Dubin, maintenant juge en chef de l'Ontario. Les dispositions pertinentes de la Loi sont reprises ci-dessous. (Les extraits suivants reprennent les dispositions pertinentes de la Loi, L.R.C. (1985), chap. C-12; à la fin de chaque disposition, figure entre crochets, à la suite du mot «ancien», la disposition correspondante en vigueur au moment de la saisie de l'enregistrement par le défendeur et cité par les avocats durant leurs plaidoiries. Les renvois à la Loi sont faits de la même façon dans les présents motifs.)
19. Au cours d'une enquête menée par le Bureau en applica tion de la présente loi, les enquêteurs peuvent, ...
a) monter à bord de tout aéronef ou pénétrer en tout lieu ils ont des motifs raisonnables de croire leur présence néces- saire à l'enquête;
b) procéder, à bord de l'aéronef ou dans le lieu mentionnés à l'alinéa a), à toute visite qu'ils ont des motifs raisonnables de croire nécessaire à l'enquête, notamment en ce qui concerne tout ou partie du matériel, des marchandises, du fret, des bagages, des documents, des pièces ou autres biens qui s'y trouvent, ainsi que faire des copies ou prendre des extraits de ces documents ou pièces;
c) en tout ou en partie, saisir, retenir, enlever, conserver, protéger et soumettre à des essais au besoin destructifs tous aéronefs, matériels, marchandises, fret, bagages, documents, pièces ou autres biens, mentionnés à l'alinéa b), qu'ils ont des motifs raisonnables de croire en rapport avec un fait aéro- nautique objet d'une enquête menée en application de la présente loi; (ancien article 15)
21. (1) Lorsqu'ils ont servi aux fins voulues, les biens saisis en application de l'alinéa 19c) sont, sauf consentement écrit contraire de l'intéressé, restitués le plus tôt possible à leur propriétaire ou à la personne dont on a des motifs raisonnables de croire qu'elle y a droit.
(2) Le saisi, ou la personne dont on a des motifs raisonnables de croire qu'elle a droit aux biens saisis, peut demander leur restitution au tribunal compétent.
(3) Le tribunal peut, s'il estime que les biens saisis ont servi aux fins voulues ou qu'il est de l'intérêt de la justice de les restituer, faire droit à la demande, sous réserve des conditions jugées utiles pour assurer leur conservation aux fins pour
lesquelles le Bureau peut ultérieurement vouloir en disposer en application de la présente loi. (anciens paragraphes 16(1),(2) et ( 3 ))
32. Aux articles 33 35, «enregistrement pilotage», forme
abrégée de l'expression «enregistrement des conversations du poste de pilotage», s'entend de tout ou partie de l'enregistre- ment des conversations ou de l'environnement sonore du poste de pilotage d'un aéronef, des conversations entre l'aéronef et d'autres interlocuteurs ou des signaux audibles d'identification des aides à la navigation et des aides d'approche, ou de la transcription ou d'un résumé appréciable de ces conversations. (ancien paragraphe 26(1))
33. (1) Les enregistrements pilotage sont protégés. Sauf disposition contraire du présent article ou de l'article 34, nul ne peut, notamment s'il s'agit de personnes qui y ont accès au titre du présent article ou de l'article 34:
a) sciemment, les communiquer ou les laisser communiquer;
b) être contraint de les produire ou de témoigner à leur sujet lors d'une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre.
(2) Les enregistrements pilotage relatifs à un fait aéronauti- que objet d'une enquête prévue par la présente loi doivent être communiqués au Bureau ou à l'enquêteur qui en fait la demande dans le cadre de sa mission.
(3) Le Bureau peut utiliser les enregistrements pilotage obtenus en application de la présente loi comme il l'estime nécessaire dans l'intérêt de la sécurité aérienne, mais, sous réserve du paragraphe (4), il ne peut sciemment communiquer ou laisser communiquer les parties de ces enregistrements qui sont étrangères aux causes et autres facteurs en jeu du fait aéronautique objet d'une enquête prévue par la présente loi.
(4) Le Bureau est tenu de communiquer les enregistrements pilotage qu'il a obtenus en application de la présente loi:
a) aux agents de la paix autorisés par la loi à en prendre connaissance;
b) aux coroners qui en font la demande pour leurs enquêtes;
c) aux personnes qui participent aux enquêtes coordonnées visées à l'article 17 ou sont nommées en application du paragraphe 26(2) et qui en font la demande pour l'exercice de leurs fonctions (anciens paragraphes 26(2),(3),(4) et (5))
34. (1) Par dérogation à l'article 33, le tribunal ou coroner qui, dans le cours de procédures devant lui, est saisi d'une demandé de production et d'examen d'un enregistrement pilo- tage doit:
a) transmettre un avis de la demande au Bureau, si ce dernier n'est pas partie aux procédures;
b) examiner l'enregistrement pilotage à huis clos;
c) donner au Bureau la possibilité de présenter des observa tions relatives à cet enregistrement.
S'il conclut, dans les circonstances de l'espèce, que l'intérêt public d'une bonne administration de la justice a prépondérance sur la protection conférée à l'enregistrement par l'article 33, il doit en ordonner la production et l'examen, sous réserve des
restrictions ou conditions qu'il juge indiquées; il peut en outre enjoindre à toute personne de témoigner au sujet de cet enregis- trement. (ancien paragraphe 26(6))
35. Il ne peut être fait usage des enregistrements pilotage:
a) contre les personnes mentionnées au paragraphe 36(1), dans une procédure judiciaire ou autre à l'exclusion des procédures civiles;
b) contre quiconque dans le cadre de procédures disciplinai- res ou de procédures concernant la capacité ou la compétence d'un agent ou employé relativement à l'exercice de ses fonc- tions. (ancien paragraphe 26(8))
L'examen de la Loi dans son ensemble, auquel les deux parties souscrivent dans leur exposé des faits et du droit, révèle que la Loi a pour mission de promouvoir la sécurité aérienne par la constitu tion du Bureau intimé auquel est confiée cette même mission générale ainsi que le pouvoir d'iden- tifier les manquements à la sécurité mis en évi- dence par les faits aéronautiques (c'est-à-dire tout accident ou incident lié à l'utilisation d'un aéronef et toute situation qui pourrait, à défaut de mesure corrective, provoquer ce genre de fait). Le Bureau peut procéder à des enquêtes indépendantes ou à des enquêtes publiques et peut rendre compte, dans les rapports publics, de ces enquêtes, des conclu sions qu'il en tire et des recommandations sur les moyens d'éliminer ou de réduire les manquements à la sécurité. Le Bureau peut enquêter sur tout fait aéronautique, sauf ceux qui mettent en cause un aéronef militaire. Il ne relève pas de la mission du Bureau de se prononcer sur la détermination ou l'attribution des fautes ou des responsabilités rela tives à des faits aéronautiques (articles 2, 5(1), 7, 16; anciens articles 2(1), 4(1), 6, 12).
Le Bureau nomme des enquêteurs en application des articles 9 et 10 (anciens articles 8 et 9) qui ont des pouvoirs considérables en vertu de l'article 19 (ancien paragraphe 15(1)), notamment le pouvoir de «saisir, retenir, enlever, conserver, protéger ... tous aéronefs, matériels, ... documents, pièces .. . qu'ils ont des motifs raisonnables de croire en rapport avec un fait aéronautique objet d'une enquête menée en application» de la Loi (alinéa 19c), ancien alinéa 15(1)c)). Le pouvoir de saisir et de retenir des biens est restreint par la restitution obligatoire des biens saisis à leur pro- priétaire; et ce dernier, ou la personne qui a droit aux biens saisis, peut demander leur restitution au
tribunal compétent (paragraphes 21(1) et (2), anciens paragraphes 16(1) et (2)).
Après des dispositions relatives au Bureau, à sa constitution, à son fonctionnement et à son admi nistration, les articles 32 41 (anciens articles 26 à 29) traitent, sous la rubrique «Renseignements protégés», des enregistrements pilotage, des enre- gistrements contrôle et des déclarations se rappor- tant à un fait aéronautique obtenues par le Bureau ou un enquêteur; le Parlement a adopté pour cha- cune de ces catégories de documents des disposi tions particulières portant sur les restrictions appli- cables à leur utilisation. À cet égard, ces documents sont «protégés» au sens de la Loi. Les dispositions relatives aux enregistrements pilotage ont été citées auparavant, dans la mesure elles sont pertinentes en l'espèce. Elles feront l'objet d'une étude approfondie plus tard.
Les questions subordonnées
Puisque l'intimé a soulevé une question comme moyen préliminaire, je me propose de traiter main- tenant de toutes les questions subordonnées que les avocats ont soulevées, à l'exception de celles qui seront nécessairement examinées au moment de l'étude de la question principale.
La première question est la suivante: le défen- deur prétend que la présente action est irrecevable en vertu du paragraphe 34(1) (ancien paragraphe 26(6)) de la Loi. Cette prétention est fondée sur l'application possible de cette disposi tion si, dans le cadre de l'action introduite par voie de déclaration le 30 septembre 1985, les demande- resses présentaient une demande de production et d'examen de l'enregistrement en cause. Dans ce cas, la Cour devrait en aviser le Bureau, examiner l'enregistrement à huis clos, donner au Bureau la possibilité de présenter des observations et, si la Cour conclut que l'intérêt public d'une bonne administration de la justice a prépondérance sur la protection conférée à l'enregistrement par l'article 33, elle en ordonnera la production et l'examen, sous réserve des restrictions qu'elle juge indiquées.
De toute évidence, les demanderesses sont libres de demander la production et l'examen de l'enre- gistrement en vertu de l'article 34. Mais cela ne répond pas aux revendications des demanderesses qui, à titre de propriétaires, désirent récupérer la
bande d'enregistrement ou la transcription com- plète de celle-ci à cette étape-ci de l'instance.
En deuxième lieu, les demanderesses prétendent que les articles 32 à 35 [ancien article 26] devraient être interprétés de façon à permettre au propriétaire du CVR soit de conserver le CVR (je présume qu'il s'agit de la bande d'enregistrement et non du matériel ou de l'enregistreur en soi) et d'en remettre une copie au Bureau, soit de conser- ver une copie de l'enregistrement et de remettre l'original au Bureau. Les faits de l'espèce ne don- nent pas lieu à cette question. De plus, en vertu de l'alinéa 19c) (ancien alinéa 15(1)c)), un inspecteur peut saisir tout ce qui lui semble utile aux fins d'une enquête. En l'espèce, il a exigé que le CVR lui soit remis, les propriétaires avaient l'obligation de le lui confier et, d'après les plaidoiries, le CVR et la bande d'enregistrement ont tous deux été saisis par l'enquêteur. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de traiter de la question de savoir ce que le propriétaire aurait pu faire mais n'a pas fait en l'espèce pour répondre à la demande de l'inspec- teur portant que le CVR et la bande d'enregistre- ment de celui-ci lui soient confiés aux fins d'enquête.
De même, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de s'attendre à une question soulevée par l'avocat du défendeur, savoir [TRADUCTION] «si les renseigne- ments protégés demandés par la requérante peu- vent être obtenus facilement d'une autre source non protégée». On peut présumer qu'il s'agit ici de la transcription de l'enregistrement contrôle, jointe en l'espèce à l'affidavit de M. Reinhardt, présenté à l'appui du défendeur, ou peut-être des souvenirs et des déclarations faites, le cas échéant, par les pilotes de l'aéronef aux propriétaires, soit les demanderesses en l'espèce. Ni l'une ni l'autre de ces sources ne saurait être aussi complète que les renseignements que contient l'enregistrement de tous les sons audibles entendus dans le poste de pilotage au cours des trente (30) dernières minutes de vol et d'atterrissage. Et même si elles étaient aussi complètes, le fait qu'elles soient disponibles ne répond pas pleinement aux revendications des demanderesses qui désirent récupérer l'enregistre- ment dont elles sont propriétaires.
La principale question en litige: le droit du pro- priétaire de récupérer un enregistrement saisi par le Bureau
Les demanderesses se fondent sur l'article 21 (ancien article 16) de la Loi pour demander la restitution de l'enregistrement en cause; cet article prévoit que «lorsqu'ils ont servi aux fins voulues, les biens saisis en application de l'alinéa 19c)» [ancien alinéa 15(1)c)) «sont, sauf consentement écrit contraire de l'intéressé, restitués le plus tôt possible à leur propriétaire ou à la personne dont on a des motifs raisonnables de croire qu'elle y a droit». En l'espèce, les demanderesses n'ont jamais consenti à ce que le Bureau conserve l'enregistre- ment; de fait, elles ont maintes fois demandé sa restitution. Il n'y a pas de doute non plus qu'il a servi aux fins voulues, savoir l'enquête relative à l'incident aérien mettant en cause l'aéronef des demanderesses. Il est admis que l'enquête du Bureau est terminée. Les demanderesses ont le droit de demander la restitution de l'enregistre- ment à la Cour, conformément au paragraphe 21(2) (ancien paragraphe 16(2)) et, sauf empêche- ment prévu par la Loi, elles ont le droit d'obtenir la restitution de l'enregistrement.
Le défendeur prétend que, de fait, il existe une fin de non-recevoir opposable à une demande de communication de l'enregistrement à son proprié- taire, et qu'il a refusé de restituer l'enregistrement à cause de la protection spéciale conférée aux enregistrements pilotage par les articles 33 et 34 de la Loi (anciens paragraphes 26(2) à (7)). On allègue que compte tenu de l'objet de la Loi, savoir l'amélioration de la sécurité aérienne au moyen d'enquêtes et de rapports sur les incidents aériens, pour lesquels un enregistrement pilotage est essen- tiel, la Loi prévoit une protection particulière que le défendeur qualifie dans son mémoire de [TRA- DUCTION] «protection absolue». En plus d'accorder au Bureau et à ses enquêteurs l'accès aux docu ments dans l'exécution de leurs responsabilités, en vertu du paragraphe 33(3) (ancien paragraphe 26(4)), la Loi prévoit que le Bureau ne peut communiquer l'enregistrement ou les renseigne- ments qu'il contient qu'en conformité avec le para- graphe 33(4) et l'article 34 (anciens paragraphes 26(5) et (6)). Ces dispositions prévoient la com munication des enregistrements aux agents de la
paix, au coroner et aux personnes qui participent à des enquêtes et qui en font la demande pour l'exercice de leurs fonctions, ainsi que la communi cation des enregistrements à la demande d'un tri bunal ou d'un coroner qui est saisi d'une demande de production et d'examen d'un enregistrement. Ce genre de communication ne peut avoir lieu qu'a- près que le tribunal ou le coroner a examiné l'enregistrement à huis clos et a donné au Bureau la possibilité de présenter des observations relatives à la communication, et que le tribunal ou le coro ner conclut, dans les circonstances de l'espèce, qu'il peut y avoir communication de l'enregistre- ment parce que l'intérêt public d'une bonne admi nistration de la justice a prépondérance sur la protection conférée à l'enregistrement par l'article 33 (ancien paragraphe 26(2)). Le défendeur souli- gne que la Loi ne prévoit pas que le propriétaire de l'enregistrement y a accès, et il prétend que l'habi- tude qu'avaient les demanderesses d'écouter les enregistrements, avec le consentement de ses pilo- tes, n'est ni autorisée par la Loi ni pertinente en l'espèce.
Le défendeur renvoie à la définition d'«enregis- trement pilotage» prévue à l'article 32 (ancien paragraphe 26(1)) et de «communiquer», à l'article 2 (ancien paragraphe 2(1)); il prétend que ces définitions portent surtout sur les renseigne- ments que contient l'enregistrement et soutient avec insistance que les demanderesses, à titre de propriétaires/exploitants, n'ont aucun droit de pro- priété afférent aux renseignements. Toutefois, le Bureau évite toute la question du droit de pro- priété qu'ont les demanderesses à l'égard de la bande sur laquelle les sons ont été enregistrés. Le Bureau n'a pas su répondre à la demande de restitution de la bande faite par les demanderesses en rendant au propriétaire le bien saisi par l'enquê- teur, c'est-à-dire l'enregistreur qui contenait la bande lorsque le CVR a été saisi mais pas au moment de sa restitution.
Les avocats des deux parties ont fait référence au rapport de la Commission d'enquête sur la sécurité aérienne, volume I, partie X. Cette partie du rapport porte sur le «Caractère confidentiel des éléments de preuve recueillis par les enquêteurs» et les recommandations qu'elle contient semblent avoir été reprises dans la Loi sur le Bureau cana- dien de la sécurité aérienne, adoptée par la suite.
Ce rapport nous aide à comprendre ce qui a motivé l'adoption dans la Loi d'une protection particulière pour les enregistrements pilotage. Cette protection semble avoir pour but d'assurer que ces enregistre- ments soient accessibles aux fins licites établies par la Loi, notamment les enquêtes relatives aux acci dents et incidents aériens, tout en protégeant le plus possible la vie privée des pilotes dont la moindre parole ou le moindre son produit est enregistré. Lors des auditions tenues par la Com mission d'enquête, les représentants des pilotes s'étaient dit inquiets de l'invasion inhabituelle de la vie privée au travail que créent les CVR et avaient insisté pour qu'existe une protection abso- lue, à l'exception des enquêtes menées pour amé- liorer la sécurité aérienne. La Commission n'a pas recommandé l'adoption d'une protection absolue et le Parlement ne l'a pas adoptée. L'article 32 (ancien paragraphe 26(1)) définit la protection conférée aux enregistrements pilotage et la Loi prévoit que, sauf disposition contraire, nul ne peut, notamment s'il s'agit de personnes qui y ont accès au titre de la Loi, sciemment, les communiquer ou les laisser communiquer, ou être contraint de les produire ou de témoigner à leur sujet lors d'une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre (paragraphe 33(1), ancien paragraphe 26(2)).
Ni le rapport ni la loi ne prévoient de disposi tions portant directement sur la propriété de la bande d'enregistrement ou de son contenu, ou sur le droit du propriétaire d'y avoir accès, sauf dans la mesure l'article 21 (ancien article 16) peut être applicable dans les cas où, comme en l'espèce, l'enregistrement a été saisi par le Bureau ou au nom de celui-ci, et le propriétaire tente de le récupérer. Décrétée avant la publication du rap port et l'adoption de la Loi, l'Ordonnance sur la navigation aérienne, série II, 14 ([Ordonnance sur les enregistreurs de la parole dans les postes de pilotages] C.R.C., chap. 37), adoptée en vertu de la Loi sur l'aéronautique, L.R.C. (1985), chap. A-2, prévoyait que nul ne peut piloter un avion commercial, comme celui des demanderesses en l'espèce, le C-GSAS, à moins que cet avion ne soit muni d'un enregistreur en bon état de service et de fonctionnement. L'aéronef des demanderes- ses était muni d'un CVR dont elles étaient proprié- taires, y compris la bande d'enregistrement que l'enregistreur contenait et que le Bureau continue de garder.
La Loi touche les droits de propriété afférents au CVR et à l'enregistrement par certains aspects particuliers. Le CVR et l'enregistrement peuvent être saisis par un enquêteur en vertu de l'alinéa 19c) (ancien alinéa 15(1)c)) qui impose au Bureau l'obligation de restituer le bien saisi à son proprié- taire (paragraphe 21(1); ancien paragraphe 16(1)); l'enregistrement relatif à une question fai- sant l'objet d'une enquête sera certainement com- muniqué au Bureau ou à l'enquêteur qui en fait la demande aux fins de l'enquête (paragraphe 33(2), ancien paragraphe 26(3)); l'enregistrement est protégé en vertu de la Loi et ne peut être commu- niqué que dans les circonstances prévues aux para- graphes 33(1) et (2) ainsi qu'à l'article 34 (anciens paragraphes 26(2),(3) et (6)); et l'enregistrement ne saurait être utilisé contre certaines personnes, notamment les équipages d'aéronefs et les contrô- leurs de la navigation aérienne, ou contre quicon- que dans le cadre de procédures disciplinaires ou de procédures concernant la capacité ou la compé- tence d'un agent ou employé relativement à l'exer- cice de ses fonctions (article 35, ancien paragraphe 26(8)). L'article 2 prévoit que «communiquer» signifie révéler, divulguer ou mettre à disposition des renseignements, documents, enregistrements ou déclarations. L'obligation qu'a le propriétaire de communiquer l'enregistrement au Bureau ou à un enquêteur n'a pas d'autre portée sur ses droits afférents à l'enregistrement.
Le défendeur ne m'a pas convaincu que le droit qu'a le propriétaire de récupérer, en vertu de l'article 21 (ancien article 16), un enregistrement saisi et encore détenu par le Bureau s'oppose à la protection conférée à l'enregistrement pilotage par les articles 32 à 35 (ancien article 26). La protec tion vise l'enregistrement, peu importe qu'il soit en la possession des propriétaires, du Bureau ou de toute autre personne à qui il a été communiqué conformément à la Loi. La possession de l'enregis- trement par le propriétaire, surtout après la con clusion de l'enquête menée par le Bureau, n'a aucune importance aux fins de la Loi et des fonc- tions du Bureau.
Les représentants du Bureau se sont dit soucieux parce que la protection accordée à l'enregistrement avait notamment pour but d'éviter qu'un proprié- taire qui a accès aux renseignements enregistrés
sur la bande en abuse au détriment des droits des employés. L'article 35 (ancien paragraphe 26(8)) interdit l'utilisation des enregistrements dans le cadre de procédures disciplinaires ou autres, notamment de procédures judiciaires, à l'exclusion des procédures civiles, dans certains cas. De plus, comme l'indique le rapport de la Commission d'en- quête Dubin, dans certains secteurs, les conven tions collectives régissent les relations qui existent entre les propriétaires/exploitants et leurs pilotes employés à l'égard de l'utilisation des enregistre- ments. En l'absence de dispositions législatives res- trictives, ces relations demeurent assujetties au régime contractuel applicable en matière d'emploi, lequel est certainement influencé par les usages du milieu. Ces questions ne concernent pas directe- ment le Bureau défendeur.
Conclusion
Je conclus que la protection conférée à un enre- gistrement pilotage en vertu de la Loi ne s'oppose pas au droit qu'ont les propriétaires d'un enregis- trement de le récupérer, après qu'il eut été saisi par un enquêteur du Bureau, lorsque, l'enquête terminée, les fins visées par le Bureau ont été atteintes. Les demanderesses ont le droit d'obtenir la restitution de l'enregistrement conformément à l'article 21 (ancien article 16) ou du moins la transcription entière de celui-ci, si elles s'en satis- font, ce qui semble être le cas d'après la demande de réparation.
Le défendeur a allégué que si une ordonnance devait être prononcée conformément à la répara- tion demandée par les demanderesses, elle devrait être assujettie à des conditions visant à contrôler et à restreindre la communication des renseignements et l'utilisation susceptible d'en être faite. Ces con ditions sont énoncées en grande partie dans la Loi, notamment la protection conférée aux enregistre- ments pilotage en vertu du paragraphe 33(1) (ancien paragraphe 26(2)) et la restriction de l'uti- lisation que prévoit cet article de façon tacite et l'article 35 (ancien paragraphe 26(8)), de façon expresse.
Au sujet de l'ordonnance qui peut être pronon- cée à la demande du propriétaire qui veut obtenir la restitution des biens saisis, la Loi prévoit des conditions utiles pour assurer leur conservation aux fins pour lesquelles le Bureau peut ultérieure-
ment vouloir en disposer en application de la Loi (paragraphe 21(3); ancien paragraphe 16(3)). L'ordonnance prononcée aux présentes compren- dra une condition en ce sens au cas l'enregistre- ment saisi serait remis aux demanderesses, plutôt que la transcription de son contenu.
D'après l'affidavit de M. Shoichet, président des sociétés demanderesses, il appert que celles-ci dési- rent obtenir la restitution de l'enregistrement pour deux raisons: l'avocat des demanderesses et ses consultants désirent examiner le document afin d'évaluer et de préparer les réclamations des demanderesses dans l'action T-2145-85 intentée contre Sa Majesté, et le déposant veut l'examiner pour comprendre l'incident en vue d'améliorer la sécurité aérienne. Je suis d'accord pour affirmer que la question de la sécurité aérienne est toute aussi importante pour les activités des demande- resses que pour le Bureau, mais l'accessibilité de l'enregistrement à cette fin est, je le répète, une question relevant des relations juridiques qui exis tent entre Sky Charter et ses pilotes. Quant au premier objectif, la consultation de l'avocat, à première vue, cela semble contrevenir à la protec tion conférée à l'enregistrement par le paragraphe 33(1) (ancien paragraphe 26(2)) qui est applicable peu importe que l'enregistrement soit en la posses sion du propriétaire, du Bureau ou de quiconque autorisé en vertu de la Loi.
Par contre, l'avocat conseillant les demanderes- ses peut être considéré comme un prolongement des sociétés demanderesses et les conseils qu'il peut donner au sujet des poursuites possibles sont proté- gés en soi; j'estime qu'il est de l'intérêt de la justice de restituer l'enregistrement aux demanderesses à des conditions permettant à l'avocat et à ses con sultants d'y avoir accès. En vertu du paragraphe 21(3) (ancien paragraphe 16(3)), la Cour a le pouvoir d'ordonner la restitution de l'enregistre- ment saisi si elle «estime que les biens saisis ont servi aux fins voulues et qu'il est de l'intérêt de la justice de les restituer». Après la restitution, l'avo- cat et ses consultants devraient avoir accès à l'en- registrement de façon confidentielle, aux seules fins de conseiller les demanderesses en rapport avec l'action T-2145-85. L'avocat et ses consul tants y auraient accès sous réserve de la protection conférée à l'enregistrement en vertu de la Loi. Bien que l'article 34 (ancien paragraphe 26(6)) ne
vise pas directement le cas les propriétaires d'un enregistrement tentent de l'employer dans une action en justice, les intérêts des propriétaires sont toujours assujettis à la protection conférée à l'enre- gistrement par le paragraphe 33(1) (ancien para- graphe 26(2)), et toute utilisation de l'enregistre- ment, dans le cadre de cette autre action, qui serait contraire à la protection légale devrait être assujet- tie aux mêmes règles que celles prévues à l'article 34 pour une personne qui n'est pas partie aux procédures et qui demande la production et l'exa- men de l'enregistrement.
La Cour prononcera une ordonnance portant que les demanderesses ont droit à la restitution de l'enregistrement saisi au nom du Bureau, ou à la transcription de tout son contenu, et enjoignant au Bureau d'en faire la restitution aux demanderes- ses. L'ordonnance comprendra des conditions visant à restreindre l'utilisation ou la communica tion de l'enregistrement et à conserver l'enregistre- ment s'il est restitué, conformément aux présents motifs.
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