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T-1144-89
Eleanor A. Consulting Ltd. (demanderesse)
c.
Eleanor's Fashions Limited (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: ELEANOR A. CONSULTING LTD. C. ELEANOR'S FASHIONS LTD. (1 Ys INST.)
Section de première instance, juge MacKay— Halifax, 12 septembre 1989; Ottawa, 28 août 1990.
Injonctions En vue d'empêcher l'utilisation de certains noms à l'égard d'un magasin de vêtements pour dames en attendant l'instruction d'une action pour contrefaçon d'une marque de commerce Principe voulant qu'aucune injonction ne soit accordée si elle a pour effet de trancher le litige Le critère préliminaire est celui de l'existence d'une question sérieuse à trancher et non celui de l'apparence de droit Il ne faut pas, au stade interlocutoire, statuer sur le fond du litige Actes de procédure établissant l'existence de questions sérieuses à trancher L'intimée n'a présenté aucune preuve quant aux problèmes qu'entraînerait pour elle l'octroi d'une injonction Aucune preuve d'un préjudice irréparable.
Marques de commerce Contrefaçon Injonction interlo- cutoire tendant à empêcher l'utilisation de certains noms en liaison avec un magasin de vêtements pour dames Confu sion Contrefaçon par imputation Passing off Question sérieuse à trancher Aucune preuve d'un préjudice irréparable.
Il s'agit d'une demande visant à obtenir une injonction interlocutoire qui interdirait à l'intimée d'utiliser les noms «Eleanor's» ou «Eleanor's Fashion Gallery» à l'égard d'un magasin de vente au détail de vêtements pour dames en atten dant que soit instruite une action pour contrefaçon d'une marque de commerce. Depuis 1986, la requérante exploite un magasin de détail se vendent sous le nom commercial «Eleanor A.» des vêtements pour dames faits sur mesure et prêts à porter ainsi que des produits de beauté et des services d'analyse de couleurs et de mode. Sur une période de trois ans, les ventes de vêtements ont rapporté environ 22 000 $. L'inti- mée exploite depuis mars 1989, sous le nom commercial «Elea- nor's Fashion Gallery», un magasin de vente au détail de vêtements pour dames à environ 2,5 milles de l'établissement de la requérante. L'intimée ne vend que du prêt-à-porter et des accessoires qui sont griffés. On prévoyait un chiffre d'affaires de 240 000 $ pour le premier exercice. La présidente de la société requérante commençait à s'inquiéter de la possibilité de confusion des deux entreprises après que des clients l'eurent félicitée de l'ouverture du nouveau magasin et, en mars 1989, on a fait tenir à l'intimée une lettre lui demandant de cesser l'utilisation des noms en question.
La requérante soutient que l'emploi par l'intimée des noms «Eleanor's» et «Eleanor's Fashion Gallery» constitue à première vue une preuve convaincante de confusion avec la marque de commerce enregistrée «Eleanor A.» au sens de l'article 6 de la Loi sur les marques de commerce, d'un emploi interdit par
l'alinéa 7b) et d'une violation réputée du droit à l'utilisation exclusive de la marque de commerce. Elle prétend que la violation d'un droit de propriété sur une marque de commerce enregistrée constitue en soi un préjudice irréparable.
L'intimée fait valoir que la marque de commerce de la requérante, consistant en grande partie dans un prénom commun, est une marque intrinsèquement faible qui ne bénéfi- cie pas d'une protection étendue. Elle soutient en outre que les tribunaux devraient refuser d'accorder une injonction lorsque, comme en l'espèce, cela trancherait définitivement le litige, et que dans des cas semblables le requérant doit établir à tout le moins une apparence de droit suffisante.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Le critère préliminaire qui doit être rempli pour que soit accordée une injonction interlocutoire dans les affaires en matière de marques de commerce est celui de l'existence d'une question sérieuse à trancher et non celui de l'apparence de droit. Le raisonnement à la base du rejet du critère de l'appa- rence de droit est qu'il n'appartient pas au tribunal saisi d'une requête interlocutoire de statuer sur le fond du litige. Pour établir si une demande soulève une question sérieuse à trancher, on doit examiner les actes de procédure. Les causes d'action avancées sont la violation des droits exclusifs sur une marque de commerce prévue à l'article 19, la violation réputée visée à l'article 20 et le passing off, dont il est question à l'alinéa 7b). La confusion soulève, par rapport à ces dispositions, d'épineuses questions de fait et de droit. Il y a des questions sérieuses à trancher.
Pour ce qui est de l'argument de l'intimée selon lequel une injonction trancherait définitivement le litige, il faut compren- dre que la question n'est pas de savoir si l'intimée choisirait de faire instruire le litige au cas une injonction interlocutoire serait accordée, mais bien de savoir si, eu égard aux circons- tances et aux éléments de preuve présentés à l'étape interlocu- toire, la partie qui succombe n'aurait rien à gagner si elle obtenait finalement gain de cause au procès. L'intimée n'a présenté aucune preuve quant aux frais et aux difficultés qu'entraînerait pour elle l'octroi d'une injonction. De fait, compte tenu des attentes de l'intimée en ce qui concerne la croisssance de son entreprise, il pourrait être grandement dans son intérêt de faire instruire le litige si elle subissait un préju- dice par suite d'une injonction interlocutoire.
On a produit peu d'éléments de preuve établissant un préju- dice irréparable pour l'une ou l'autre partie, car l'une ou l'autre pourrait être adéquatement dédommagée par des dommages- intérêts ou par une reddition de compte des profits. Cette conclusion dépend toutefois de l'examen de l'argument de la requérante suivant lequel la violation ou la violation réputée crée en elle-même un préjudice irréparable. Bien que l'usage non autorisé d'une marque de commerce enregistrée crée un préjudice irréparable, il ne suffit pas de simplement invoquer la contrefaçon. A moins qu'il ne réussisse à démontrer la contrefa- çon, un requérant doit présenter d'autres éléments de preuve établissant un préjudice irréparable. La preuve produite en l'espèce ne suffit ni pour établir un préjudice irréparable résul- tant du fait qu'on a sciemment contrefait une marque de commerce, ni pour établir une confusion pouvant fonder une conclusion à la contrefaçon réputée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Companies Act, R.S.N.S. 1967, chap. 42.
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985),
chap. T-13, art. 6, 7, 19, 20.
Partnerships and Business Names Registration Act,
R.S.N.S. 1967, chap. 225.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [ 1989] 2 C.F. 451; (1989), 24 C.P.R. (3d) 1; 91 N.R. 341 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Andres Wines Ltd. (1987), 16 C.I.P.R. 131; 16 C.P.R. (3d) 481; (1987), 11 F.T.R. 139 (C.F. Ire inst.); Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1989), 26 C.P.R. (3d) 481; 28 F.T.R. 124 (C.F. 1" inst.); Maple Leaf Mills Ltd. c. Quaker Oats Co. of Can. (1984), 2 C.I.P.R. 33; 82 C.P.R. (2d) 118 (C.F. ire inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
NWL Ltd v Woods, [1979] 3 All ER 614 (H.L.); Impe rial Chemical Industries PLC c. Apotex Inc., [ 1989] 2 C.F. 608; (1989), 22 C.I.P.R. 201; 23 C.P.R. (3d) 1; 26 F.T.R. 31 (1fe inst.); Universal City Studios, Inc. c. Zellers Inc., [1984] 1 C.F. 49; (1983), 73 C.P.R. (2d) 1 (1te inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Munsingwear, Inc. c. Juvena Produits de Beauté SA (1985), 5 C.P.R. (3d) 244 (Comm. des opp.); Asbjorn Horgard AIS c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544; (1987), 38 D.L.R. (4th) 544; 17 C.I.P.R. 263; 14 C.P.R. (3d) 314; 12 F.T.R. 317; 80 N.R. 9 (C.A.); Sarah Coventry, Inc. c. Abrahamian et autres (1984), 1 C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1" inst.); Beam of Canada Inc. c. Arnold Holdings Ltd. (1988), 19 C.P.R. (3d) 475; 18 F.T.R. 241 (C.F. 1" inst.); Popsicle Industries Ltd. c. Ault Foods Ltd. (1987), 17 C.I.P.R. 86; 17 C.P.R. (3d) 1; 16 F.T.R. 186 (C.F. 1fe inst.); Cochrane-Dunlop Hardware Ltd. v. Capital Diversified Industries Ltd. (1976), 30 C.P.R. (2d) 176 (C.A. Ont.).
AVOCATS:
Diane E. Cornish pour la demanderesse. Michael V. Coyle pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour la demanderesse.
Thorpe, Buntain, Muttart & Forse, Kentville, Nouvelle-Écosse, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: Il s'agit d'une requête visant à obtenir une injonction interlocutoire en attendant que soit instruite une action qui a déjà été entamée. La requérante sollicite une réparation en vue d'interdire à l'intimée, jusqu'au procès ou jusqu'à ce qu'il soit autrement statué sur l'action:
(i) d'offrir d'exécuter, d'exécuter ou d'annoncer les services liés à la gestion d'un magasin de vente au détail de vêtements et d'accessoires pour dames ou d'autres marchandises similaires en liaison avec les marques de commerce ou les noms commer- ciaux «Eleanor's» et «Eleanor's Fashion Gallery»;
(ii) d'employer ou d'annoncer les marques de commerce et noms commerciaux en question ou toute autre marque de commerce ou tout autre nom commercial créant de la confusion avec la marque de commerce et le nom commercial «Elea- nor A.»;
(iii) de violer l'enregistrement canadien de marque de commerce 563 184;
(iv) d'appeler l'attention du public sur ses services ou son entreprise de manière à causer de la confu sion avec les marchandises, les services et l'entre- prise de la requérante;
Au soutien de l'action et de la présente requête, la requérante prétend que l'intimée a violé et est réputée avoir violé le droit exclusif de la requé- rante à l'emploi, dans tout le Canada, de sa marque de commerce enregistrée «Eleanor A.» Elle allègue également que l'intimée a appelé et conti nue d'appeler l'attention du public sur ses mar- chandises, ses services et son entreprise de manière à causer de la confusion entre ses marchandises, ses services et son entreprise et ceux de la requé- rante, et que l'emploi par l'intimée des marques de commerce et des noms commerciaux «Eleanor's» et «Eleanor's Fashion Gallery» crée de la confusion avec les marques de commerce enregistrées de la requérante. Elle affirme en outre que si l'intimée poursuit ses activités, la requérante subira un pré- judice irréparable et qu'en ce qui concerne l'in- jonction interlocutoire sollicitée, la prépondérance des inconvénients favorise la requérante.
Genèse de l'instance
Depuis le mois de juin 1986, la requérante Elea- nor A. Consulting Ltd., une compagnie qui a été constituée en personne morale en Ontario, exploite un magasin de détail à Kentville, en Nouvelle- Écosse. Elle vend des vêtements et des accessoires pour dames, des produits pour le corps, des pro- duits de beauté et des services d'analyse de cou- leurs et de mode et de consultation en matière de produits de beauté. L'entreprise est exploitée sous le nom commercial de «Eleanor A.» Ce nom com mercial est fréquemment écrit en script, sur une ligne horizontale, et apparaît sous cette forme sur l'enseigne par laquelle la requérante identifie le magasin dans sa vitrine, ainsi que sur ses cartes professionnelles, ses communiqués de presse, dans sa publicité, sur les étiquettes apposées sur les produits de beauté, et à l'intérieur de la seconde de deux marques de commerce enregistrées qui est employée sur les étiquettes volantes fixées sur les vêtements. La demanderesse [requérante] affirme que ses marques de commerce sont souvent asso- ciées à la couleur rose qui est souvent utilisée comme fond pour la marque de commerce et le nom commercial. Elle prétend que cette couleur apparaît dans son magasin, ce que conteste la secrétaire générale de l'intimée.
La première marque enregistrée par la requé- rante est la marque «Eleanor A.» (numéro d'enre- gistrement canadien 346 759), dont l'enregistre- ment a été demandé en mai 1986 et a été obtenu le 21 octobre 1988, pour être employée en liaison avec des parfums, des produits de beauté, des pinceaux à maquillage, des sacs et des accessoires, des produits pour le corps et l'exploitation de services d'analyse de couleurs et de consultation en matière de produits de beauté. Je signale pour mémoire que, dans le certificat d'enregistrement, la marque de commerce «Eleanor A.» est inscrite en lettres majuscules imprimées et non en écriture script et que le certificat d'enregistrement ne com- prend pas de dessin pour l'utilisation de la marque de commerce. La seconde marque de commerce de la requérante est la marque «Palettes by Eleanor A.» (numéro d'enregistrement canadien 563 184), dont l'enregistrement a été demandé en mai 1986 et était encore en instance en juin 1989 lorsque la présente action a été introduite. Cette seconde marque a été demandée pour être employée en
liaison avec des vêtements et des accessoires et pour l'exploitation d'une entreprise d'analyse de mode, de planification d'emplettes et de garde- robe personnelles, et de vente au détail de vête- ments et d'accessoires.
Depuis juin 1986, la requérante offre en vente et vend, à son magasin de Kentville, des vêtements et des accessoires pour dames portant plusieurs mar- ques de commerce différentes. En mai 1987, elle a lancé ses propres vêtements mode sous ses marques de commerce. Au début, les marques étaient employées en liaison avec des tricots, puis, à partir de juin 1988, en liaison avec des vêtements sport et de la lingerie pour dames, et, à compter d'octobre 1988, avec des robes. On dit que les deux marques de commerce ont été utilisées en liaison avec les vêtements mode en question, auxquels est fixée une étiquette volante rose portant les marques de com merce apposées sur chaque vêtement.
Au cours des trois exercices qui se sont écoulés entre le mois de juillet 1986 et le mois de juin 1989, le chiffre d'affaires de la requérante a dépassé 63 000 $ au titre des services et des mar- chandises; il s'établissait à environ 28 000 $ pour le premier exercice et à plus de 17 000 $ pour le deuxième et le troisième exercice respectivement. Les recettes imputables à la vente de vêtements pour dames représentaient entre 28 et 39 pour cent du chiffre d'affaires au cours des exercices en question, ce qui, selon mes calculs, équivaut à environ 35 % ou 22 000 $ pour toute la période. On dit que les vêtements et les accessoires qui sont vendus comprennent du prêt-à-porter arborant dif- férentes marques de commerce, mais depuis que la requérante a lancé, en mai 1987, ses propres vête- ments mode qui font partie intégrante de son entreprise, les clientes peuvent aussi choisir sur échantillons des modèles dessinés par la requéran- te—dont le nombre est relativement restreint—ou consulter le catalogue de la requérante. Après que ce choix a été fait, les vêtements sont ensuite confectionnés sur mesure pour exécuter la com- mande d'une cliente. Cette sélection fait parfois suite à une séance de consultation au cours de laquelle on conseille la cliente au sujet du choix de couleurs qui lui convient le mieux et au sujet de la planification de sa garde-robe.
Depuis le mois de mars 1989, l'intimée Eleanor's Fashions Limited dirige un magasin de détail de
vêtements pour dames à New Minas, à environ 2,5 milles de l'établissement que possède la requérante à Kentville. L'intimée fait affaire sous le nom commercial de «Eleanor's Fashion Gallery». On ne sait pas avec certitude si elle utilise sa raison sociale enregistrée «Eleanor's Fashions Limited» pour poursuivre l'un des buts qu'elle s'est assignés à sa fondation.
La compagnie intimée a été constituée en per- sonne morale en novembre 1988 sous le régime de la Companies Act de la Nouvelle-Écosse, R.S.N.S. 1967, chap. 42, modifiée. En décembre de la même année, l'intimée a fait enregistrer sa raison sociale «Eleanor's Fashion Gallery» en vertu de la Part nerships and Business Names Registration Act de la Nouvelle-Écosse, R.S.N.S. 1967, chap. 225. Cette raison sociale ou ce nom commercial figure sur l'enseigne qui identifie l'établissement de l'inti- mée à New Minas, sur des cartes professionnelles, des factures et d'autres imprimés commerciaux, ainsi que dans la publicité et sur les emballages utilisés par l'intimée. En règle générale, le mot «Eleanor's» est inscrit en écriture script légèrement inclinée vers la droite et est souligné, et il est immédiatement suivi des mots «Fashion Gallery», écrits en caractères majuscules d'imprimerie plus gros sur une ligne horizontale. Le nom est souvent employé en liaison avec une couleur que la requé- rante à l'instance qualifie de semblable à la cou- leur rose qu'elle emploie en liaison avec sa marque de commerce. L'intimée n'accepte pas cette com- paraison et nie qu'elle utilise la couleur rose et affirme qu'elle emploie la couleur prune.
Par contraste avec l'entreprise de la requérante, l'intimée ne vend que du prêt-à-porter et des acces- soires pour dames qui sont «griffés». On dit qu'au moment de l'audition de la présente affaire en septembre 1989, le magasin contenait plus de 100 000 $ en marchandises. Au cours de ses pre miers mois d'activité, l'intimée a tiré de la vente de vêtements pour dames des recettes qui variaient entre 14 000 $ et 20 000 $ par mois et elle pré- voyait atteindre un chiffre d'affaires annuel de 240 000 $ pour son premier exercice.
En février 1989, la banque a par erreur débité le compte de la requérante de frais qui, après enquête, se sont avérés imputables à une lettre de crédit délivrée au nom d'une entreprise employant le nom «Eleanor» qui devait ouvrir ses portes à
New Minas. Au début de mars, la présidente de la requérante, Eleanor A. Lynch, a appris l'existence de l'intimée en voyant une publicité dans un jour nal concernant l'ouverture du magasin de l'intimée à New Minas. À l'époque, elle craignait qu'une confusion ne soit créée dans l'esprit des clients au sujet des deux établissements à cause de l'emploi du nom «Eleanor» qui est commun aux deux entre- prises, et qui, soit dit en passant, est le prénom des dirigeantes des deux personnes morales en cause en l'espèce. Elle a conclu que ses craintes étaient fondées lorsque certains clients et amis l'ont félici- tée de l'ouverture du nouveau magasin, croyant qu'il s'agissait d'un autre magasin de la compagnie requérante.
Le 23 mars 1989, l'avocate de la requérante a écrit à l'intimée une lettre dans laquelle elle a appelé son attention sur la marque de commerce enregistrée de la requérante et sur l'emploi du nom commercial «Eleanor A.». L'avocate a précisé qu'en utilisant ce nom l'intimée risquait de créer de la confusion et de violer les droits de la requé- rante, et elle a instamment demandé à l'intimée de cesser d'utiliser les noms «Eleanor's» et «Eleanor's Fashion Gallery». A la suite de l'échec des tentati- ves de conciliation des parties, la requérante a introduit la présente action le 7 juin 1989. En juillet, la présente requête en injonction interlocu- toire a été déposée.
Dans certains des paragraphes de la déclaration introductive d'instance, la requérante invoque les moyens suivants au soutien de la réparation qu'elle sollicite en vertu de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap. T-13:
[TRADUCTION] 13. Au moment la défenderesse a com- mencé à employer les marques de commerce et les noms commerciaux «ELEANOR'S» et «ELEANOR'S FASHIONS GALLERY», elle connaissait l'existence de la marque de com merce et du nom commercial «ELEANOR A.» de la demande- resse et elle avait l'intention de profiter de la réputation que la demanderesse s'était acquise grâce à sa marque de commerce et à son nom commercial.
14. Les marques de commerce et les noms commerciaux «ELEANOR'S» et «ELEANOR'S FASHION GALLERY» que la défenderesse emploie au Canada de la manière alléguée au paragraphe 12 créent, et créaient à toutes les époques en cause, de la confusion avec la marque de commerce et le nom commercial «ELEANOR A.» de la demanderesse.
15. Les marques de commerce et les noms commerciaux «ELEANOR'S» et «ELEANOR'S FASHION GALLERY» que la défenderesse emploie au Canada de la manière mention-
née au paragraphe 12 créent, et créaient à toutes les époques en cause, de la confusion avec la marque de commerce «PALET- TES BY ELEANOR A.» de la demanderesse.
16. Par les actes mentionnés au paragraphe 12, la défenderesse a appelé l'attention du public sur son entreprise de détail en vendant des vêtements et des accessoires pour dames de manière à causer de la confusion au Canada entre ses marchan- dises, ses services et son entreprise et ceux de la demanderesse, en violation des dispositions de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap. T-13.
17. Par les actes mentionnés au paragraphe 14, la défenderesse a violé, et est réputée avoir violé, les droits exclusifs de la demanderesse mentionnés au paragraphe 10.
Dans l'action qui n'a pas encore été instruite, la demanderesse sollicite, à titre de réparation, une injonction interlocutoire et permanente, des dom- mages-intérêts ou une reddition de compte des profits, une ordonnance portant remise et destruc tion des enseignes et imprimés qui se trouvent en la possession ou sous l'autorité de l'intimée et qui portent les noms contestés en l'espèce, ainsi qu'un jugement déclarant que l'intimée a violé les droits exclusifs que possède la requérante sur sa marque de commerce enregistrée «Eleanor A.»
Dans sa requête en injonction interlocutoire, la requérante invoque les moyens suivants:
[TRADUCTION]
1. La demanderesse a une forte apparence de droit qui lui permet d'affirmer que la défenderesse a appelé et a l'inten- tion de continuer à appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services et son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses marchandises, ses services ou son entre- prise et ceux de la demanderesse;
2. La demanderesse a une forte apparence de droit qui lui permet d'affirmer que la défenderesse a violé et continue de violer le droit exclusif que possède la demanderesse d'em- ployer dans tout le Canada la marque de commerce »ELEA- NOR A.» enregistrée sous le numéro 346 759;
3. La demanderesse subira un préjudice irréparable si l'injonc- tion interlocutoire sollicitée en l'espèce ne lui est pas accordée;
4. La prépondérance des inconvénients, en ce qui concerne l'injonction interlocutoire sollicitée en l'espèce, favorise la demanderesse.
Je constate que dans l'affidavit qu'elle a produit pour contester la présente requête, la secrétaire, gestionnaire et dirigeante de la compagnie intimée, Eleanor Graves, déclare que la seule fois le mot «Eleanor's» a été employé sans les mots «Fashion Gallery» dans le cadre de l'entreprise de l'intimée, c'était dans une publicité parue dans le journal local Kentville Advertiser, à la suite d'une erreur
de l'éditeur, qui a par la suite présenté ses excuses. Le seul emploi que l'intimée fait ou autorise de son nom est celui du nom intégral «Eleanor's Fashion Gallery».
À l'audition de la présente requête, l'avocate a précisé que la requérante prendrait l'engagement habituel pour répondre des dommages que l'inti- mée pourrait subir si l'octroi de l'injonction inter- locutoire était jugé injustifié à l'issue du procès. De plus, en réponse aux questions posées par l'inti- mée au sujet de la capacité de la requérante de respecter cet engagement, l'avocate a déclaré que la requérante était prête à fournir au besoin un cautionnement. L'avocat de l'intimée a par ailleurs précisé que l'intimée s'était engagée à tenir une comptabilité pour faciliter le calcul des dommages- intérêts ou une reddition de compte des profits pour le cas la demanderesse obtiendrait gain de cause au procès.
Les dispositions législatives
La réparation sollicitée par la requérante est fondée sur la Loi sur les marques de commerce, et en particulier sur l'article 6, l'alinéa 7b) et les articles 19 et 20, qui disposent:
6. (1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.
(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confu sion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait suscep tible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.
(3) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confu sion avec un nom commercial, lorsque l'emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les mar- chandises liées à cette marque et les marchandises liées à l'entreprise poursuivie sous ce nom sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l'entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.
(4) L'emploi d'un nom commercial crée de la confusion avec une marque de commerce, lorsque l'emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les mar- chandises liées à l'entreprise poursuivie sous ce nom et les
marchandises liées à cette marque sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à l'entreprise poursuivie sous ce nom et les services liés à cette marque sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.
(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le regis- traire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris:
a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;
b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou
noms commerciaux ont été en usage;
e) le genre de marchandises, services ou entreprises;
d) la nature du commerce;
e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.
7. Nul ne peut:
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisem- blablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandi- ses, ses services ou son entreprise ou ceux d'un autre;
19. Sous réserve des articles 21 et 32, l'enregistrement d'une marque de commerce à l'égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi, dans tout le Canada, de cette marque de commerce en ce qui regarde ces marchandises ou services.
20. Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la pré- sente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistre- ment d'une marque de commerce ne peut empêcher une personne:
a) d'utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;
b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque de commerce:
(i) soit le nom géographique de son siège d'affaires,
(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,
d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à la marque de commerce.
Prétentions et moyens des parties
La requérante affirme que, tant dans la présente requête que dans l'action dans laquelle elle sollicite une injonction permanente, la question centrale est celle de la confusion créée par l'emploi par l'inti- mée des noms commerciaux «Eleanor's» et «Elea-
nor's Fashion Gallery» en liaison avec des services de vente de vêtements pour dames et l'emploi par la requérante de ses marques de commerce et du nom commercial «Eleanor A.» en liaison avec ses marchandises et ses services. L'avocate prétend que non seulement la requérante est en mesure de démontrer que la question à trancher est sérieuse, mais encore qu'elle a une forte apparence de droit qui lui permet d'affirmer qu'il y a confusion.
Les moyens invoqués par l'avocate au soutien de cette prétention sont fondés principalement sur la prémisse que l'emploi par la requérante de la marque de commerce «Palettes by Eleanor A.» en liaison avec des vêtements pour dames constitue un emploi simultané de sa marque de commerce «Eleanor A.». À titre subsidiaire, elle invoque la décision Munsingwear, Inc. c. Juvena Produits de Beauté SA (1985), 5 C.P.R. (3d) 244 (Comm. des opp.) pour prétendre que les produits de beauté et les marchandises et services connexes liés à la marque de commerce «Eleanor A.» et les vêtements liés au nom commercial de l'intimée font partie de la même catégorie générale de marchandises et de services, à savoir la mode féminine. En consé- quence, l'emploi d'une marque similaire en liaison avec ce genre d'articles peut créer de la confusion quant à l'origine de ceux-ci.
L'avocate soutient en outre que l'emploi que l'intimée fait du mot «Eleanor» est un emploi des caractéristiques essentielles ou de la quasi-totalité de la marque de commerce enregistrée «Eleanor A.». L'ajout des mots descriptifs «Fashion Gallery» ne permet pas d'éviter la confusion et ne justifie pas l'emploi que l'intimée fait de la marque de commerce de la requérante. Elle prétend que le nom «Eleanor» demeure la caractéristique domi- nante du nom commercial de l'intimée.
L'avocate prétend qu'il ressort à première vue de l'ensemble des marques de commerce et des noms commerciaux en question qu'il y a confusion. La Cour ne devrait pas analyser en détail les deux marques pour en déceler les différences. À pre- mière vue, l'écriture script, le soulignement du mot «Eleanor» et la couleur qui est employée en liaison avec le nom commercial de l'intimée contribuent tous à créer de la confusion et à amener le public et les clients à associer dans leur esprit les deux entreprises.
De surcroît, la requérante soumet des éléments de preuve sous forme d'affidavits à l'appui qui ont été souscrits par des tiers et d'autres incidents relatés par la déposante, Eleanor A. Lynch, qui démontrent, selon elle, qu'il y a effectivement con fusion. Elle invoque l'arrêt Asbjorn Horgard AIS c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544 (C.A.) pour prétendre que ces éléments de preuve sont suffisamment convaincants pour permettre de conclure à une probabilité de confusion.
Si j'ai bien compris, la requérante soutient essentiellement qu'en raison de l'emploi que l'inti- mée fait des noms «Eleanor's» et «Eleanor's Fas hion Gallery», la requérante possède une forte apparence de droit qui lui permet d'affirmer que cet emploi crée de la confusion avec la marque de commerce enregistrée «Eleanor A.» au sens de l'article 6 de la Loi sur les marques de commerce, que cet emploi est interdit par l'alinéa 7b) et qu'il y a violation présumée au sens de l'article 20. Elle prétend qu'en soi, la violation d'un droit de pro- priété dans une marque de commerce enregistrée constitue un préjudice irréparable dont on ne peut être indemnisé par des dommages-intérêts. Ce pré- judice peut se traduire de diverses manières, notamment par la perte du droit de la requérante à l'usage exclusif de sa marque de commerce enre- gistrée, par le fait que la validité de l'enregistre- ment risque d'être contestée au motif que la marque n'est pas distinctive, ou par l'autorisation implicite accordée à l'intimée et à d'autres person- nes d'employer des marques de commerce qui ressemblent à celle de la requérante au point de créer de la confusion. Ce préjudice peut également se manifester par une perte d'achalandage et de réputation, ce qui compromet l'existence même de l'entreprise de la requérante, étant donné que tous les aspects de son entreprise sont exploités en liaison avec la marque de commerce «Eleanor A.»
Pour sa part, l'intimée nie que la requérante ait démontré qu'elle possède une forte apparence de droit. Cela tient principalement au fait que la marque de commerce de la requérante, qui est composée en grande partie d'un prénom commun, est une marque intrinsèquement faible, qu'elle n'a pas droit à une protection étendue, et que les marques de commerce ou les noms commerciaux peuvent être analysés en détail. Les légères diffé- rences qui existent dans l'emploi que l'intimée fait
du nom «Eleanor> suffisent pour la distinguer de la marque de la requérante. L'intimée invoque à l'appui de sa thèse le jugement Sarah Coventry, Inc. c. Abrahamian et autres (1984), 1 C.P.R. (3d) 238 (C.F. lfe inst.).
L'intimée affirme en outre que certains des inci dents que la requérante qualifie de cas concrets de confusion ne permettent aucunement de conclure à la confusion, et que dans la mesure il peut y avoir confusion, celle-ci résulte directement du caractère intrinsèquement faible et non distinctif de la marque enregistrée de la requérante. Elle soutient en outre que s'il existe une confusion, elle ne concerne pas l'origine des marchandises et des services, ainsi que l'exige l'article 6 de la Loi sur les marques de commerce. La confusion porte plutôt sur la marque de commerce et le nom commercial eux-mêmes.
L'intimée prétend de plus que les deux entrepri- ses, ainsi que les marchandises qui sont vendues, sont d'une nature suffisamment différente pour éviter toute confusion.
Finalement, l'intimée soutient que le principe dégagé dans l'arrêt NWL Ltd y Woods, [ 1979] 3 All ER 614 (H.L.) s'applique à la présente affaire. Compte tenu de la nature et de la taille de son entreprise, de la région géographique et des fac- teurs financiers en jeu, elle prétend qu'il ne vau- drait pas la peine de faire passer l'affaire en jugement, si une injonction était prononcée. De fait, l'avocat déclare que dans ce cas l'intimée ne poursuivra pas l'affaire.
Suivant l'interprétation que l'avocat de l'intimée fait de la jurisprudence, il ressort de cette dernière que, lorsque le principe de l'arrêt Woods s'appli- que, le requérant doit établir à tout le moins une apparence de droit suffisante pour satisfaire au critère préliminaire applicable en matière d'injonc- tions. L'avocat affirme qu'en l'espèce, la requé- rante ne justifie pas d'une apparence de droit suffisante et qu'elle devrait en conséquence être déboutée de sa requête.
Finalement, l'avocat affirme que si l'injonction devait être accordée, l'entreprise de l'intimée ferait probablement faillite à cause de ce qu'il lui en coûterait, en réputation et sur le plan financier, si elle changeait de nom commercial. Il prétend que, indépendamment de l'engagement qu'elle a pris, la
requérante n'aurait pas les moyens financiers nécessaires pour indemniser l'intimée de la perte de son entreprise pour le cas la requérante n'obtiendrait pas gain de cause au procès.
Critères applicables en matière d'injonctions interlocutoires
La Cour est liée par l'arrêt Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451 (C.A.), dans lequel le juge Stone, J.C.A. déclare que le critère préliminaire auquel il doit être satis- fait en ce qui concerne la délivrance des injonc- tions interlocutoires dans les affaires de marques de commerce est le critère de la «question sérieuse à trancher» et non celui de l'apparence de droit. Une fois qu'il a été satisfait à ce critère prélimi- naire, la Cour procède à l'évaluation de la prépon- dérance des inconvénients, et examine les préten- tions avancées par chacune des parties au sujet de la probabilité que le refus ou l'octroi d'une injonc- tion en cet état de la cause, avant le procès, cause un préjudice irréparable dont on ne pourrait être indemnisé par des dommages-intérêts.
À mon avis, ce critère préliminaire n'est pas modifié par le principe posé dans l'arrêt Woods, précité, suivant lequel il ne faut pas prononcer une injonction si cela aurait pour effet de régler le sort de l'action de façon définitive. Dans l'arrêt Turbo Resources, aux pages 462-463 et 475-476, le juge Stone, J.C.A. reconnaît que ce principe s'applique dans des circonstances exceptionnelles et précise que le tribunal peut ensuite s'abstenir d'évaluer plus à fond la prépondérance des inconvénients. Il ne dit pas que le critère préliminaire est modifié. Voir également le jugement Syntex Inc. c. Novo- pharm Ltd. (1989), 26 C.P.R. (3d) 481 (C.F. 1" inst.), à la page 495. Dans l'arrêt Woods, précité, aux pages 625 et 626, lord Diplock estime que le principe constitue un élément clé de l'appré- ciation de la prépondérance des inconvénients, et non une exception au critère préliminaire.
Il est logique que l'arrêt Woods, qui a été adopté dans l'arrêt Turbo Resources, ne modifie pas le critère préliminaire, compte tenu du raisonnement à la base du rejet du critère de l'apparence de droit. Le tribunal qui est saisi d'une requête inter- locutoire n'a pas à résoudre les contradictions de la preuve quant aux faits ou à trancher d'épineuses questions de droit. En d'autres termes, le tribunal
ne doit pas statuer sur le fond du litige (voir l'arrêt Turbo Resources, précité, aux pages 462 et 463). Le principe posé dans l'arrêt Woods s'accorde avec cette manière de voir, qui veut qu'on évite de rendre une décision avant l'instruction des points litigieux, ce qui, à toutes fins utiles, reviendrait à statuer sur le fond du litige.
Le critère préliminaire
Pour établir si une demande soulève une qùes- tion sérieuse à trancher, on examine les actes de procédure à la lumière des éléments de preuve présentés (voir l'arrêt Turbo Resources, précité, à la page 468). En l'espèce, les causes d'action sont la violation des droits exclusifs sur une marque de commerce que confère l'article 19 de la Loi sur les marques de commerce, la violation réputée prévue à l'article 20, et le passing -off dont il est question à l'alinéa 7b) de la Loi. La confusion soulève, par rapport à ces dispositions, d'épineuses questions de fait et de droit. En l'espèce, il faut déterminer dans quelle mesure les différences qui existent entre les marchandises et les services offerts par les parties ont une incidence sur la probabilité de confusion. Il faut établir si, par l'emploi qu'elle fait du nom «Eleanor>, l'intimée utilise la marque de commerce enregistrée «Eleanor A.» de la requérante ou s'il s'agit d'un emploi réputé en raison d'une confu sion. Il échet également de déterminer si la marque de la requérante est suffisamment connue pour la rendre distinctive et pour lui donner droit à une protection étendue, et d'établir si l'intimée était au courant de l'existence de la marque de commerce ou du nom commercial de la requérante lorsqu'elle a commencé à employer son nom com mercial. On ne peut alors dire que la cause de la requérante est futile ou vexatoire. Je suis con- vaincu qu'il s'agit de questions sérieuses à tran- cher et la décision qui sera rendue à leur sujet dépendra des éléments de preuve qui seront pré- sentés au procès.
Le principe dégagé dans l'arrêt Woods
Comme je l'ai déjà signalé, l'avocat de l'intimée affirme que si une injonction est prononcée, sa cliente n'aura plus d'intérêt pour justifier une ins truction, et en fait, il déclare catégoriquement que l'intimée ne poursuivra pas l'affaire jusqu'au procès.
Dans l'arrêt Turbo Resources, précité, à la page 476, le juge Stone, J.C.A. qui cite les propos formulés par lord Diplock dans l'arrêt Woods, déclare que le principe s'applique lorsque l'octroi ou le refus d'une injonction «aurait effectivement réglé l'action d'une manière définitive en faveur de la partie qui aurait eu gain de cause dans la demande, parce que la partie perdante n'aurait plus eu d'intérêt pour justifier une instruction». L'application du principe ne dépend pas de la question de savoir si la partie qui succombe choi- sira probablement de ne pas faire instruire le litige. C'est une décision qui est laissée à son apprécia- tion. Le principe s'applique plutôt lorsque, eu égard aux circonstances de l'affaire et des élé- ments de preuve présentés à l'étape interlocutoire, la partie qui succombe n'aurait rien à gagner si elle obtenait finalement gain de cause au procès.
À mon avis, les circonstances et les éléments de preuve qui ont été présentés jusqu'à maintenant ne justifient pas l'application du principe dégagé dans l'arrêt Woods. La requérante prétend que si l'in- jonction interlocutoire qu'elle sollicite en l'espèce ne lui est pas accordée elle subira un préjudice irréparable et une perte d'achalandage et de répu- tation. Elle aurait cependant intérêt à poursuivre l'affaire jusqu'à l'instruction, tant en raison des dommages-intérêts qu'elle pourrait obtenir qu'à cause de l'injonction permanente qui pourrait lui être accordée, dans le cas elle obtiendrait ensuite gain de cause. Quant aux observations formulées par l'avocat de l'intimée au sujet de la suite probable des événements si la Cour pronon- çait une injonction interlocutoire maintenant, le seul fait de formuler de telles préoccupations n'est pas suffisant pour faire tomber la présente affaire sous le coup du principe posé dans l'arrêt Woods. En l'espèce, on n'a pas présenté de preuve au sujet des coûts que l'intimée prévoit devoir engager si, par suite du prononcé d'une injonction interlocu- toire, elle devait changer ses enseignes, sa papete- rie et ses imprimés commerciaux. On n'a déposé aucune preuve au sujet des frais et des difficultés qu'entraînerait pour l'intimée le fait de devoir changer son nom ou sa raison sociale. On n'a pas non plus présenté de preuve démontrant que, dans le domaine de la vente au détail de vêtements pour dames, la vente de vêtements griffés dépend à ce point de son association avec le nom commercial du détaillant que le changement apporté au nom
du détaillant nuirait sérieusement à la viabilité des ventes. Finalement, compte tenu des attentes for- mulées par l'intimée au sujet de la croissance de son entreprise au cours de son premier exercice, il serait peut-être grandement dans son intérêt de faire instruire le litige si elle avait l'impression que le prononcé d'une injonction à cette étape-ci lui causerait un préjudice et qu'elle obtenait finale- ment gain de cause au procès. Je conclus que le principe dégagé dans l'arrêt Woods ne s'applique tout simplement pas à la présente affaire.
La prépondérance des inconvénients et le préjudice irréparable
Dans l'arrêt Turbo Resources, précité, aux pages 473 et 474, le juge Stone énumère les fac- teurs dont on doit tenir compte pour évaluer la prépondérance des inconvénients:
(a) lorsque les dommages-intérêts que le demandeur pourrait obtenir à l'égard de la poursuite par le défendeur de ses activités pendant l'instance indemniseraient adéquatement le demandeur et seraient à la mesure des moyens financiers du défendeur, l'injonction interlocutoire ne devrait norma- lement pas être accordée;
(b) lorsque de tels dommages-intérêts n'indemniseraient pas le demandeur adéquatement mais que des dommages-intérêts (recouvrables en vertu de l'engagement du demandeur) suffiraient à compenser le préjudice subi par le défendeur à la suite de la limitation de ses activités, il n'existerait aucun motif justifiant le refus d'une injonction interlocu- toire;
(c) lorsqu'il est douteux que le redressement en dommages- intérêts pouvant s'offrir à l'une ou à l'autre partie soit adéquat, il doit être tenu compte de la répartition des inconvénients;
(d) lorsque les autres facteurs en jeu tendent à s'équilibrer, il est prudent de prendre des mesures qui préserveront le statu quo;
(e) lorsque les éléments de preuve présentés avec la requête font apparaître la cause d'une partie comme beaucoup plus forte que celle de l'autre, la répartition des inconvénients pourra être considérée comme favorisant cette première partie pourvu que les préjudices irréparables subis par les parties respectivement ne soient pas très disproportionnés;
(g) [sic] d'autres facteurs particuliers qui ne sont pas précisés peuvent être considérés dans les circonstances particulières des différentes espèces.
Ces facteurs ne représentent pas des catégories étanches qui doivent être examinées consécutive- ment; elles ont plutôt tendance à se chevaucher. La force d'un des facteurs peut compenser pour la faiblesse d'un autre. Pourtant, l'un dés facteurs clés qu'a commencé par exposer le juge Stone, J.C.A. est que, sauf dans des cas exceptionnels,
l'injonction interlocutoire ne devrait être accordée que si le requérant peut démontrer que si l'intimé poursuit ses activités, le requérant subira un préju- dice irréparable, dont il ne pourra être indemnisé convenablement par des dommages-intérêts.
Dans la présente requête, on a présenté peu d'éléments de preuve sur lesquels on pourrait fonder une conclusion de préjudice irréparable pour l'une ou l'autre partie, exception faite de la prétention de la requérante suivant laquelle la violation ou la violation réputée de sa marque de commerce enregistrée «Eleanor A.» lui causerait un préjudice irréparable. Hormis cet important point litigieux, il me semble qu'en l'espèce, le préjudice que les activités qu'une partie est suscep tible de causer à l'autre partie peut être convena- blement réparé par des dommages-intérêts ou, si la demanderesse [requérante] obtient gain de cause, par une reddition de compte des profits, qui devront être calculés après que tous les éléments de preuve auront été présentés et examinés au procès.
Cette conclusion dépend toutefois de l'examen de la prétention de la requérante suivant laquelle la violation ou la violation réputée de sa marque de commerce enregistrée «Eleanor A.» crée en elle- même un préjudice irréparable. Pour les motifs exposés dans le jugement Syntex Inc. c. Novo- pharm Ltd., précité, je suis d'avis que l'usage non autorisé d'une marque de commerce enregistrée crée un préjudice irréparable. Mais il ne suffit pas de se contenter d'invoquer la contrefaçon d'une marque de commerce pour établir l'existence d'un tel préjudice. À moins qu'elle ne réussisse à démontrer à cette étape-ci que sa marque de com merce enregistrée a été contrefaite, la requérante doit présenter d'autres éléments de preuve établis- sant un préjudice irréparable pour justifier l'octroi d'une injonction interlocutoire, indépendamment des autres facteurs qui entrent en ligne de compte lors de l'appréciation de la prépondérance des inconvénients.
Dans les décisions citées par la requérante dans lesquelles la Cour a conclu que la contrefaçon avait causé un préjudice irréparable, le contrefac- teur présumé avait non seulement utilisé la marque de commerce du requérant, mais il connaissait aussi cette marque et savait que ses propres actes constituaient des usages non autorisés qui pou- vaient fort bien justifier une conclusion de contre-
façon de la part du tribunal (voir: Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Andres Wines Ltd. (1987), 16 C.I.P.R. 131 (C.F. ire inst.); Maple Leaf Mills Ltd. c. Quaker Oats Co. of Can. (1984), 2 C.I.P.R. 33 (C.F. lie inst.); Syntex Inc. c. Novopharm Ltd., précité, aux pages 501 et 508).
En plagiant une marque de commerce ou en entreprenant une activité alors qu'elle sait que cette activité risque de constituer une contrefaçon d'une marque de commerce, une personne prend, en toute connaissance de cause, le risque de ne pas violer les droits de propriété d'une autre personne. Elle s'expose ainsi à ce que le tribunal ajoute ensuite davantage foi, en cet état de la cause, aux éléments de preuve permettant de conclure à une contrefaçon.
Cet élément de connaissance apparaît non seule- ment dans la jurisprudence citée par la requérante, mais également dans plusieurs autres affaires de marques de commerce dans lesquelles on a conclu que la contrefaçon causait un préjudice irréparable (voir, par exemple, les jugements Beam of Canada Inc. c. Arnold Holdings Ltd. (1988), 19 C.P.R. (3d) 475 (C.F. 1 ` e inst.) et Popsicle Industries Ltd. c. Ault Foods Ltd. (1987), 17 C.I.P.R. 86 (C.F. 1" inst.). En outre, plusieurs des autres affaires portant sur la propriété intellectuelle, en matière de brevets et de droit d'auteur, que j'ai citées dans le jugement Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. pré- cité, à l'appui du principe que la contrefaçon peut constituer en elle-même un préjudice irréparable, contiennent également l'élément de connaissance. Par exemple, dans le jugement Imperial Chemical Industries PLC c. Apotex Inc., [1989] 2 C.F. 608 (i re inst.), l'intimée était un preneur de licence obligatoire du médicament breveté de la requé- rante. À la suite d'une modification à la Loi sur les brevets [S.R.C. 1970, chap. P-4 (mod. par L.C. 1987, chap. 41)], il ne lui était plus possible de vendre ce médicament pour la consommation au Canada à titre de preneur de licence obligatoire. Elle a pourtant continué de le faire. Dans le juge- ment Universal City Studios, Inc. c. Zellers Inc., [1984] 1 C.F. 49 (1" inst.), la violation du droit d'auteur concernait une poupée E.T. contrefaite. Lorsqu'un article ressemble à un autre article pro- tégé par le droit d'auteur au point d'être qualifié de contrefait, on peut présumer que le plagiat et la contrefaçon étaient délibérés.
En l'espèce, la requérante allègue au paragraphe 13 de sa déclaration qu'«Au moment la défen- deresse a commencé à employer les marques de commerce et les noms commerciaux "Eleanor's" et "Eleanor's Fashions Gallery", elle connaissait l'existence de la marque de commerce et du nom commercial "Eleanor A." de la demanderesse et elle avait l'intention de profiter de la réputation que la demanderesse s'était acquise grâce à sa marque de commerce et à son nom commercial.» Cette allégation n'est appuyée d'aucun élément de preuve tendant à démontrer une connaissance de la part de l'intimée, sauf la «mise en demeure» envoyée par l'avocate de la requérante le 23 mars 1989 après que l'intimée eut terminé la planifica- tion et les préparatifs de son entreprise, lesquels ont commencer au plus tard à la date de sa constitution en personne morale en novembre 1988, et après avoir vraisemblablement commencé ses activités au début de mars. La présidente de la requérante explique dans son affidavit les divers moyens qui ont été utilisés pour faire la publicité de l'entreprise à Kentville depuis 1986 et cela pourrait amener, après l'instruction des points liti- gieux, à conclure que l'intimée connaissait déjà la marque de la requérante, mais je ne puis, à cette étape-ci, tirer une telle conclusion.
À mon avis, le requérant est tenu de démontrer que lorsqu'il a commencé ses activités, le contre- facteur présumé savait que ses actes pouvaient constituer une contrefaçon, ou encore qu'il pla- giait. Ce n'est que dans ce cas qu'on peut dire qu'il a pris un risque en toute connaissance de cause.
Tant dans la décision Maple Leaf Mills que dans le jugement Syntex, précités, sur lesquels la requérante se fonde, le tribunal a accordé une injonction interlocutoire alors que la marque de commerce enregistrée de la requérante était connue de l'intimée, qui avait choisi de l'employer, en prenant en toute connaissance de cause le risque que la marque soit jugée invalide ou que la contre- façon ne soit pas découverte. Dans le jugement Seagram, précité, que la requérante invoque aussi, la marque de commerce enregistrée n'a pas été plagiée ou utilisée intégralement, mais encore, il y avait des éléments de preuve tendant à démon- trer que l'intimée connaissait la marque lorsqu'elle avait commencé à utiliser sa propre marque ou son propre nom en se servant d'une grande partie de la marque enregistrée.
En l'espèce, je conclus qu'à cette étape-ci, rien ne permet de penser que l'intimée connaissait la marque de commerce ou le nom commercial de la requérante ni même qu'elle était au courant de son existence à l'époque en cause, c'est-à-dire avant que l'intimée ne commence ses activités en utili- sant le nom commercial qu'elle a adopté.
On ne nous a pas non plus présenté d'éléments de preuve ou d'allégations au sujet de l'emploi par l'intimée de la marque de commerce enregistrée «Eleanor A.» Les circonstances sont différentes de celles des affaires Maple Leaf Mills et Syntex, précitées. Elles s'apparentent davantage à celles du jugement Seagram, précité, dans lequel le juge Cullen a conclu que des caractéristiques essentiel- les de la marque de commerce enregistrée avaient été utilisées, même si cet emploi ne constituait pas un plagiat. J'estime toutefois que le manque d'élé- ments de preuve, à cette étape-ci, quant à la connaissance qu'aurait eue l'intimée à l'époque en cause nous empêche d'affirmer qu'en l'espèce l'in- timée a pris en toute connaissance de cause un risque en employant son nom commercial et que ce manque d'éléments de preuve suffit pour qu'on établisse une distinction entre la présente affaire et l'espèce Seagram. D'ailleurs, dans cette dernière affaire, les marchandises arborant la marque qui contrefaisait une marque enregistrée étaient ven- dues par l'entremise des mêmes points de vente, en l'occurrence des magasins provinciaux de vente au détail d'alcool, que ceux étaient vendues les marchandises de la requérante sur lesquelles appa- raissait sa marque enregistrée.
À mon avis, à cette étape-ci, la preuve ne permet pas de conclure que le droit de propriété exclusif que possède la requérante en vertu de l'article 19 de la Loi est violé par les activités de l'intimée qui sont à l'origine de la présente requête, et la requé- rante n'a donc pas établi que des actes qui consti tuent de toute évidence une violation de ses droits lui causent un préjudice irréparable.
Il nous reste à examiner les prétentions essen- tielles de la requérante, qui affirme qu'il y a en l'espèce violation réputée de ses droits au sens de l'article 20 de la Loi, en raison de l'emploi par l'intimée d'une marque de commerce ou d'un nom commercial créant de la confusion, et qu'une viola tion de cette sorte permet de conclure que la poursuite des activités de l'intimée causerait un
préjudice irréparable à la requérante. La requé- rante invoque aussi la confusion présumée pour prétendre que l'intimée à l'instance a violé l'alinéa 7b) de la Loi.
L'article 6 de la Loi porte sur les marques de commerce et les noms commerciaux qui créent de la confusion. Dans toutes les circonstances qui y sont énumérées pour déterminer si une marque ou un nom crée de la confusion, le critère consiste à se demander si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à cette marque sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces mar- chandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale. Comme nous l'avons déjà signalé, l'intimée à l'instance prétend, en ce qui concerne les éléments de preuve de confusion pré- sentés dans les affidavits produits à l'appui de la présente requête, que si ceux-ci sont indicatifs d'une confusion, celle-ci ne porte nullement sur l'origine des marchandises vendues par les parties à l'instance, mais seulement sur leurs marques de commerce et leurs noms commerciaux eux-mêmes. Comme nous l'avons également déjà fait remar- quer, la requérante prétend que la preuve présen- tée permet de conclure que l'intimée emploie des marques ou des noms qui créent de la confusion avec la marque de commerce enregistrée de la requérante, «Eleanor A.»
La question de l'emploi d'une marque de com merce ou d'un nom commercial d'une manière qui est susceptible de causer de la confusion avec une autre marque de commerce soulève d'épineuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être facilement réglées avant la tenue d'un procès, tant que le juge du fond n'aura pas examiné tous les éléments de preuve et toutes les prétentions. Le paragraphe 6(5) de la Loi énonce les principaux facteurs dont il faut tenir compte parmi «toutes les circonstances de l'espèce». Il est utile de revoir brièvement ces facteurs et certains des points liti- gieux que soulève la preuve par affidavit présentée à cette étape-ci. Voici ces facteurs principaux:
a) Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus.
Pour évaluer ce facteur dans le cas qui nous occupe, il faut tirer des conclusions au sujet de la protection à accorder à une marque de com merce qui est composée en grande partie d'un prénom de femme commun et au sujet des élé- ments de preuve relatifs à l'usage répandu de la marque ou du nom en fonction de la prétention de la requérante qui affirme, en ce qui concerne les vêtements pour dames, que sa seconde marque de commerce enregistrée, «Palettes by Eleanor A.», qui est employée en liaison avec ses vêtements griffés, constitue un emploi d'une pre- mière marque de commerce, la marque «Eleanor A.» Il faut également tenir compte de la publi- cité qu'a faite la requérante, dont une grande partie a porté sur ses produits de beauté et ses services d'analyse de couleurs, pour établir la mesure dans laquelle son nom est devenu connu, compte tenu en particulier des recettes modestes qu'elle a réalisées sur une période de trois ans, et notamment des recettes attribuables aux ventes de vêtements pour dames.
b) La période pendant laquelle les marques de commerce ou les noms commerciaux ont été en usage.
Sur cet aspect relativement simple, on peut tirer certaines conclusions au sujet de l'emploi que la requérante a fait de ses marques de commerce enregistrées et peut-être certaines inférences sur l'emploi que l'intimée fait de son nom commercial. Il se peut qu'on doive tirer une conclusion au sujet de l'emploi que la requérante fait de sa marque de commerce «Eleanor A.» à l'intérieur de la marque «Palettes by Eleanor A.», en liaison avec la vente de vêtements et d'accessoires pour dames. La preuve n'est pas complète ou précise à cette étape-ci, même en ce qui concerne la durée de l'utilisation de son nom par l'intimée. Bien qu'il soit possible que la Cour puisse présumer qu'une marque qui est en usage depuis longtemps s'est acquise la réputation et l'achalandage que la Loi vise à protéger (voir: Cochrane-Dunlop Hardware Ltd. v. Capital Diversified Industries Ltd. (1976), 30 C.P.R. (2d) 176 (C.A. Ont.), à la page 185), cette présomption ne tient pas lorsqu'il existe des éléments de preuve contraires. Même si l'emploi vraisemblablement plus long que la requérante a fait de sa marque de commerce aurait tendance en l'espèce à favoriser une inférence que la
requérante s'est solidement implantée et qu'elle s'est acquise une réputation et un achalandage, quelle importance doit-on accorder à une telle inférence, qui repose sur les recettes limitées que la requérante a réalisées avec ses ventes de vêtements, compte tenu du volume de ventes beaucoup plus important que l'intimée a obtenu au cours de ses premiers mois d'activité?
c) Le genre de marchandises, services ou entreprises.
En l'espèce, la Cour doit comparer les activi- tés exercées par les deux parties en ce qui con- cerne la vente des marchandises et des services. Il peut être utile de déterminer si elles font partie de la même catégorie générale, car même si l'article 6 de la Loi dispose qu'il n'est pas nécessaire qu'elles le soient, dans le cas con- traire, la prétention de l'intimée suivant laquelle il n'existe pas de confusion au sujet de l'origine des marchandises ou des services peut avoir une plus grande valeur. Bien que les deux parties puissent être considérées comme servant les inté- rêts de la mode féminine, la probabilité de con fusion concerne-t-elle davantage les clients éven- tuels que les autres citoyens? Il est peu probable que la clientèle trouve une similitude entre les vêtements griffés et les accessoires de l'intimée et les créations, les produits de beauté et les services connexes de la requérante.
d) La nature du commerce.
Bien que les deux parties exploitent des entre- prises de détail qu'on peut généralement quali fier d'entreprises spécialisées dans la mode fémi- nine, les différences, s'il en est, dans la clientèle qui est recherchée et qui est desservie par cha- cune peut avoir une certaine importance.
e) Le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.
Ce facteur pourrait peut-être être évalué à cette étape-ci mais seule la requérante a abordé cette question lors des débats.
Cet examen superficiel des principaux facteurs à évaluer lorsqu'on examine une demande dans laquelle on prétend qu'un emploi crée de la confu sion nous permet de constater qu'il y a plusieurs
points sur lesquels la preuve et les plaidoiries ne sont pas encore complètes. C'est l'essentiel de la thèse de la requérante telle qu'elle a été exposée jusqu'à maintenant. Certains de ces facteurs pour- raient être évalués à cette étape-ci plus facilement que d'autres, mais, dans l'ensemble, les facteurs pertinents n'ont pas encore été examinés à fond dans la preuve et dans les plaidoiries. J'en arrive à la conclusion qu'au lieu d'essayer de fonder cette évaluation sur des inférences, ce qui préjugerait les points litigieux qui sont cruciaux en ce qui con- cerne les moyens invoqués pour obtenir la répara- tion sollicitée en l'espèce, il est préférable de lais- ser ces questions au juge du fond.
À cette étape-ci, les éléments de preuve invoqués au sujet de la confusion sont insuffisants pour justifier une conclusion de violation réputée au sens de l'article 20 de la Loi. Ainsi donc, pour ce qui est de la présente instance interlocutoire, je conclus qu'on ne peut présumer que la requérante subirait un préjudice irréparable, malgré les asser tions que la requérante a avancées au sujet de la probabilité d'un tel préjudice, vu l'absence de preuve au sujet du préjudice allégué. Ainsi donc, sur la question du préjudice irréparable, les préten- tions de la requérante ne m'ont pas convaincu qu'elle subirait un préjudice irréparable si la répa- ration interlocutoire ne lui était pas accordée.
Dispositif
Je suis forcé de conclure que toute perte que l'une ou l'autre partie pourrait subir d'ici le procès peut être adéquatement réparée par des domma- ges-intérêts. Il ne convient pas en l'espèce de pro- noncer une injonction interlocutoire.
Pour en venir à cette conclusion, il est sans intérêt que j'examine les autres points qui ont été soulevés au sujet des facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer la prépondérance des inconvé- nients, c'est-à-dire la nécessité de préserver le statu quo et l'importance des arguments plus solides que la requérante prétend posséder, même s'il se peut que le juge du procès doive se prononcer sur ces questions.
Lors de l'audition de la présente affaire, l'avocat a déclaré que l'intimée avait déposé un engage ment et qu'elle était prête à tenir une comptabilité au sujet de son entreprise jusqu'à ce que l'affaire soit tranchée au procès, afin de mettre à la disposi-
tion de la Cour des registres permettant d'évaluer les dommages-intérêts ou de rendre compte des profits, si une réparation de ce genre était finale- ment octroyée à la requérante. L'ordonnance déboutant la requérante de sa requête enjoindra à l'intimée de se conformer à cet engagement.
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