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T-2099-86
Parkland Operations Ltd. (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: PARKLAND OPERATIONS LTD. c. CANADA (1" INST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Edmonton, 7 et 8 septembre, 1989 et 22 février, 1990; Ottawa, 19 octobre 1990.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Détournement de fonds par des administrateurs et des action- naires minoritaires Déductibilité de la perte résultant du vol Dépenses engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise Visé par l'exception établie à l'art. 18(1)a) Le bulletin d'interprétation portant que la perte découlant d'un vol effectué par un employé n'est pas déductible s'il s'agit d'un cadre supérieur ou d'un actionnaire majoritaire ne lie pas la Cour La Cour canadienne de l'impôt a décidé récemment que le niveau d'emploi ne devrait avoir aucun effet sur la déductibilité.
Il s'agit d'un appel interjeté de la cotisation d'impôt de la demanderesse pour les années 1982 et 1983. La demanderesse était au nombre des sept sociétés de la «jante» organisées autour d'une société «moyeu» qui fournissait les services de gestion et de comptabilité. Le but visé par cette «roue» de sociétés liées était de faire en sorte que la société «moyeu» assure le financement des sociétés de la «jante». Des enquêtes policières n'ont pas réussi à recueillir suffisamment d'éléments de preuve pour fonder des poursuites au criminel, mais il semble que deux administrateurs et actionnaires minoritaires aient détourné la somme de 563 396 $ de la demanderesse. La question en litige était de savoir si la demanderesse pouvait déduire cette perte. La défenderesse s'est fondée sur le bulletin d'interprétation qui portait qu'une perte découlant d'un vol commis par un employé n'est pas admise à titre de déduction s'il s'agit d'un cadre supérieur ou d'un actionnaire majoritaire.
Jugement: l'appel devrait être accueilli.
La dépense a été engagée en vue de tirer un revenu d'une entreprise, et elle a été engagée en conformité avec les principes comptables généralement reconnus. Les fonds ont été retirés frauduleusement de la ligne de crédit de la société qui consti- tuait une partie des activités lucratives normales de la société. La dépense est visée par l'exception établie à l'alinéa 18(1)a); elle est donc déductible.
Même s'il n'est que l'interprétation que donne le Ministère à la loi qu'il administre et qu'il ne lie pas la Cour, le bulletin d'interprétation correspond à la tendance majoritaire de la jurisprudence en ce qui a trait au «niveau du vol». Toutefois, la Cour canadienne de l'impôt a conclu récemment que le niveau d'emploi du fraudeur ne saurait entraîner quelque différence quant à la question de la déductibilité de sommes volées par un employé. Les actionnaires minoritaires ont détourné les fonds en cause non en leur qualité d'actionnaires, mais plutôt de fraudeurs, à l'insu et sans le consentement des autres actionnai- res. Ils ont détourné l'argent dans le cadre des activités de la
société, et non en exerçant un pouvoir dominant sur les fonds qui aurait existé hors de ces activités. Le montant perdu par suite du détournement était une perte autre qu'en capital, dont la déduction est envisagée en conformité avec les principes comptables généralement reconnus, et n'est pas interdite par la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 9(1), 18(1)a) [mod. par S.C. 1985, chap. 45, art. 126, 26], b), 20(1)p), 172(2) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 158, art. 58).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cassidy's Ltd. (auparavant Packer Floor Coverings Ltd.) c. M.R.N. (1989), 89 DTC 686 (C.C.I.); W G Evans & Co Ltd y Commissioner of Inland Revenue, [1976] 1 NZLR 425 (S.C.); Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du revenu), [1988] 2 R.C.S. 175; (1988), 53 D.L.R. (4th) 656; [1988] 2 C.T.C. 294; 87 N.R. 300; 29 O.A.C. 268.
AVOCATS:
Neil W. Nichols pour la demanderesse. James N. Shaw pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Neil W. Nichols Professional Corporation, Edmonton, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: La pré- sente affaire a été entendue le 7 septembre 1989, à Edmonton (Alberta). En temps opportun, la décision Cassidy's Ltd. (auparavant Packer Floor Coverings Ltd.) c. M.R.N. (1989), 89 DTC 686 a été portée à mon attention. Il s'agit d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt, rendue le 26 oc- tobre 1989. Puisque toutes les parties estimaient que la décision Cassidy's pouvait avoir un rapport avec la présente affaire, j'ai demandé aux parties de produire des observations supplémentaires sur la pertinence de la décision Cassidy's, et les argu ments sur ce point ont été présentés le 22 février 1990.
La présente action est intentée en vertu du paragraphe 172(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, modifiée [par S.C. 1980-81-82-83, chap. 158, art. 58], par voie d'appel de l'impôt à payer par la demanderesse pour ses années d'imposition 1982 et 1983. Au cours de la période pertinente, la demanderesse a subi une perte de 563 396 $, qu'elle veut déduire dans le calcul de son impôt à payer. L'exposé conjoint des faits présenté par les avocats a gran- dement simplifié les questions en litige, et le seul point litigieux dont la Cour est saisie porte sur la question de savoir si le contribuable a le droit de déduire la perte de 563 396 $ dont le montant n'est pas contesté.
La demanderesse, Parkland Operations Ltd. (Parkland) est une société de l'Alberta qui exploi- tait une entreprise de construction et de services pétroliers dans un champ de pétrole près de Dray- ton Valley, au sud-ouest d'Edmonton. Parkland a changé de propriétaires en 1980, lorsqu'elle a été acquise par quatre personnes qui ont aussitôt transféré leurs actions de la société à leurs sociétés de portefeuille respectives. Ces sociétés et les quatre personnes physiques qui leur correspondent
étaient Neil Orser Holdings (Neil Orser), 226614 Alberta Ltd. (Michael Piro), E. Dyck Holdings Ltd. (Earl Dyck) et 223015 Alberta Ltd. (James Herringer). En août 1980, Joelene Holdings Ltd. (Joseph Makarowski) et Lyle McGinn Holdings Ltd. (Lyle McGinn), anciennes actionnaires de Parkland, ont chacune acquis à nouveau 10 % des actions ordinaires de Parkland des quatre sociétés actionnaires, de sorte que les quatre autres sociétés actionnaires conservaient chacune 20 % des actions ordinaires de la société.
Au moment Parkland a changé de propriétai- res, elle est devenue partie intégrante d'une struc ture intersociétés que tous les témoins ont décrite comme un «moyeu». Si je comprends bien, les propriétaires avaient l'intention de former une «roue» de sociétés liées, dont Supercorp Manage ment Inc. (Supercorp) serait le «moyeu», et sept autres sociétés, notamment Parkland, la «jante». La notion de «moyeu» a été élaborée par M. Orser, et elle avait pour but de permettre à chaque société dans la roue d'aider les autres, particulièrement en matière de financement. Supercorp devait fournir
les services de comptabilité et de gestion, et sa présence devait aider à assurer le financement des sociétés qui se trouvaient sur la jante.
MM. Makarowski et Orser ont donné des expli cations sur la structure intersociétés en cause. La notion de moyeu était une idée de M. Orser, et elle était fondée sur l'hypothèse selon laquelle Supercorp pourrait pourvoir au financement des sociétés qui se trouvaient sur la jante. L'existence d'un moyeu permettait à chaque société dans la roue d'aider les autres, en particulier en matière de financement. L'interrogatoire principal de M. Orser a donné lieu à l'échange suivant: (Dos- sier, à la page 56)
[TRADUCTION] Q Pouvez-vous expliquer à la Cour comment la notion du moyeu a été élaborée et faire le lien avec les diverses sociétés qui figurent sur ce tableau?
R La société moyeu était Supercorp, qui devait être respon- sable de la comptabilité et de la gestion des autres sociétés participantes.
Q Lorsque vous avez songé à investir dans Parkland, qu'est-ce qui était important au sujet de Parkland?
R Parkland avait une bonne marge brute d'autofinancement et un excédent d'encaisse.
Q Pouvez-vous maintenant nous expliquer davantage com ment cela se situe dans la notion de faire de Supercorp le moyeu?
R Eh bien, si les autres sociétés éprouvaient de la difficulté ou avaient besoin de financement, il devait censément être beaucoup plus facile de contracter un emprunt par l'intermédiaire de Supercorp de façon à permettre le financement des autres sociétés.
Parkland disposait d'une ligne de crédit de 750 000 $ auprès de la Banque canadienne impé- riale de commerce. Une «carte de signature» sur laquelle figuraient les signatures des six actionnai- res ne rend pas expressément obligatoire la signa ture conjointe pour la conclusion d'une opération bancaire. La disposition de la carte va toutefois dans ce sens, et elle donne l'impression qu'on visait l'obligation de signer conjointement. En se fondant sur l'apparence de cette carte et sur les discussions qui ont eu lieu entre les parties, Makarowski et Orser, les deux seuls directeurs qui se sont présen- tés comme témoins, étaient tous deux d'avis qu'il fallait apposer deux signatures pour retirer des fonds de Parkland: au moins une signature de Makarowski ou de McGinn, et une des quatre «nouveaux» propriétaires, Orser, Piro, Dyck ou Herringer. Bon nombre de chèques furent signés de cette façon. M. Makarowski, qui avait pris des mesures pour obtenir la délégation de signature
des chèques précisément afin d'avoir un certain droit de regard et une certaine mesure de contrôle sur les dépenses de Parkland, signait la plupart des chèques, tandis que Herringer et Dyck, entre eux, signaient tous les chèques. Malgré tout, certains retraits ont été effectués à l'insu et sans l'approba- tion de Makarowski ou de McGinn, voire de Orser, et des fonds ont été détournés par Earl Dyck et James Herringer dans des circonstances qui ne sont pas encore éclaircies.
En fait, Dyck and Herringer contrôlaient Super- corp, mais dès l'automne 1981, se manifestait une insatisfaction de plus en plus grande à leur égard. M. Makarowski a appris que plus d'un demi-mil lion de dollars avaient été payés à Supercorp par Parkland, ce qui l'a surpris puisque, malgré l'en- tente interne selon laquelle lui et M. McGinn devaient signer tous les chèques, ces retraits avaient été effectués à son insu. Le 16 décembre 1981, Earl Dyck et James Herringer étaient rele- vés de leurs fonctions d'administrateurs de Parkland.
Le sergent d'état-major David Bradley de la GRC a déclaré avoir reçu des plaintes au sujet de détournements de fonds de Parkland et d'Island Recreational Inc., une autre société de la «jante», ce qui a donné lieu à une enquête de la GRC. Il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour intenter des poursuites au criminel contre Dyck et Herringer en ce qui a trait à Island Recreational. Dyck et Herringer ont manifestement vendu des biens qui appartenaient à cette société et se sont approprié une somme d'environ 200 000 $, actes pour lesquels ils ont été condamnés et ont purgé une peine d'emprisonnement. En ce qui a trait à Parkland toutefois, le sergent d'état-major Bradley était d'avis que même si les autorités étaient cer- taines que les fonds de ces sociétés avaient été détournés par Dyck et Herringer, elles estimaient qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour fonder une poursuite au criminel, en raison particulièrement d'un certain manque de précision dans les arrangements bancaires ou dans la délégation de signature.
M. Jack Foulds, le comptable agréé responsa- ble des livres de Parkland, a aussi été appelé à titre de témoin expert. Il a donné son avis sur les principes comptables généralement reconnus en se fondant en partie sur son interprétation des
articles 3480 et 3610 du manuel de l'Institut cana- dien des comptables agréés. Il était d'avis que le détournement ou la disparition frauduleuse de fonds, qui n'est pas une transaction en capital, est une perte dont la déduction devrait être réclamée à titre de dépense. Selon lui, la perte subie en l'es- pèce serait considérée par les comptables comme déductible à titre de poste extraordinaire, au sens défini à l'article 3480 du manuel de l'ICCA, et tiendrait par conséquent de la nature d'un revenu. M. Foulds estimait également qu'en supposant que la demanderesse exploitait une entreprise de prêt, cette perte serait aussi déductible parce qu'elle aurait été subie par l'entreprise de prêt appartenant à la demanderesse.
Le paragraphe 9(1) de la Loi prévoit que, sous réserve des dispositions de la Partie I de la Loi, «le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le béné- fice qu'il en tire pour cette année». La demande- resse prétend que les pertes subies par Parkland par suite du «détournement» des fonds par Dyck et Herringer sont déductibles dans le calcul du béné- fice tiré par Parkland d'une entreprise et ne sont visées par aucune interdiction prévue dans la Loi. Elle prétend subsidiairement que les pertes sont survenues dans le cours de l'entreprise secondaire de prêt du contribuable et qu'elles sont donc déductibles en vertu de l'article 9 ou de l'ali- néa 20(1)p) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
De son côté, la défenderesse prétend que la somme n'est pas déductible puisqu'il n'y a pas eu de détournement et que, s'il y a eu détournement, cela ne constitue pas une dépense engagée en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de lui faire produire un revenu. La défenderesse prétend en outre que la demanderesse n'a pas exploité une entreprise secondaire de prêt.
La décision de la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Cassidy's a été rendue peu après la mise en délibéré de cette affaire, et, après les arguments supplémentaires des avocats, j'ai étudié la question de façon plus approfondie. Il me faut donc déterminer si les faits établissent que l'argent qui a été détourné a été dépensé pour les fins visées à l'alinéa 18(1)a) [mod. par S.C. 1985, chap. 45, art. 126, 26] de la Loi de l'impôt sur le revenu, ce qui permettrait d'invoquer les exceptions qui y sont prévues. Les deux avocats semblent s'entendre
sur la position suivante: en l'absence d'interdiction de déduire un montant en vertu des alinéas 18(1)a) ou b), ce montant est déductible du revenu en conformité avec les principes comptables géné- ralement reconnus, même si ces principes ne cons tituent pas un critère déterminant ni ne peuvent être utilisés pour trancher la question de la déductibilité.
Les parties conviennent que si elle est accordée sur la base de la théorie du «détournement», la déduction s'applique entièrement à l'année d'impo- sition 1982; si elle est fondée sur l'hypothèse de l'entreprise secondaire de prêt, la déduction s'ap- plique en entier à l'année d'imposition 1983.
Les alinéas 18(1)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu portent:
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles:
a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contri- buable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;
b) une somme déboursée, une perte ou un remplacement de capital, un paiement titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;
Le droit d'obtenir une déduction en vertu de l'alinéa 18(1)a) a été examiné de façon approfon- die par le juge Rip de la Cour canadienne de l'impôt dans la décision Cassidy's. Je suis con- vaincu que la position adoptée par les avocats en l'espèce correspond à la position retenue par le juge Rip à la page 690 en ce qui a trait à la pertinence des principes comptables généralement reconnus à l'égard des dispositions de la Loi. J'aborde par conséquent l'étude des conditions nécessaires pour établir le droit de demander une déduction fondée sur l'alinéa 18(1)a).
La «dépense» en question a-t-elle été engagée par le contribuable . en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de lui faire produire un revenu? La demanderesse prétend que:
[TRADUCTION] En ce qui a trait à Parkland, il convient de noter, que les fonds détournés provenaient des fonds de fonction- nement de la société, parce qu'ils avaient été retirés de sa ligne de crédit qui était garantie par ses comptes-clients. Ce fait permet de qualifier l'opération comme tenant de la nature d'un revenu.
La demanderesse m'a référé à l'arrêt Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du revenu), [1988] 2 R.C.S. 175, dans lequel Madame le juge Wilson, de la Cour suprême du Canada, la page 187] a cité en les approuvant les commentaires suivants du président Thorson de la Cour de l'Échiquier du Canada dans l'affaire Royal Trust Co. v. Minister of National Revenue, [1957] C.T.C. 32:
[TRADUCTION] La restriction essentielle apportée à l'excep- tion prévue à l'al. 12(1)a) est que le contribuable doit avoir fait la dépense ou le débours «en vue» de tirer un revenu «de l'entreprise» ou de lui faire produire un revenu. C'est le but de la dépense ou du débours qui est important et ce but doit être de tirer un revenu «de l'entreprise» à laquelle le contribuable se consacre ou de lui faire produire un revenu ... Ainsi, dans une affaire relevant de la Loi de l'impôt sur le revenu, si le contribuable effectue un débours ou engage une dépense en conformité avec les principes applicables aux opérations com- merciales ou la pratique commerciale reconnue, et ce, dans le but de tirer un revenu de son entreprise ou de lui faire produire un revenu, son montant est déductible aux fins de l'impôt sur le revenu. [Je souligne.]
La demanderesse prétend que les «dépenses» en l'espèce provenaient du processus productif de revenu et, partant, que leur déduction n'est pas interdite par l'alinéa 18(1)a).
La défenderesse prétend bien sûr que les dépen- ses demandées étaient des pertes causées par le vol ou le - détournement de fonds de la part d'un employé, d'un dirigeant ou d'un administrateur de la demanderesse, et ne constituaient pas des dépen- ses engagées en vue de tirer un revenu de l'entre- prise ou de lui faire produire un revenu au sens de cet alinéa. Voici la teneur de la prétention de la défenderesse:
[TRADUCTION] En l'espèce, l'argent au moment du vol ne se trouvait pas dans la caisse enregistreuse, ni n'existait sous forme de reçus, ni sous forme de comptes-clients, ni ne faisait partie des activités lucratives normales de la société. Lorsqu'il a été volé, l'argent ne se trouvait à aucune étape du processus productif de revenu.
Nonobstant cette prétention, je suis convaincu qu'en l'espèce la dépense a été engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entre- prise ou de lui faire produire un revenu; et que cette dépense a été engagée en conformité avec les principes relatifs à la pratique commerciale recon- nue. Je conclus que les fonds en cause ont été retirés frauduleusement de la ligne de crédit de la société, ce qui, comme le prétend la demanderesse, qualifie l'opération comme tenant de la nature
d'un revenu. Je ne puis accepter la prétention de la défenderesse portant que l'argent au moment du vol ne faisait pas partie des activités lucratives normales de la société. Les fonds en cause prove- naient des fonds de fonctionnement de la société, qui constituent effectivement une partie des activi- tés lucratives normales de la société.
J'en suis donc arrivé à la conclusion que la dépense en cause est visée par l'exception établie à l'alinéa 18(1)a). La défenderesse a toutefois sou- levé aussi la question du bulletin d'interprétation IT-185, en date du 4 novembre 1974:
1. Une perte de capital de roulement, notamment de stock en magasin ou d'espèces, découlant d'un vol, d'un détourne- ment de fonds ou de malversation est généralement admise comme déduction lors du calcul du revenu lorsque l'entre- prise d'un contribuable comporte ce risque. Pour établir les circonstances dans lesquelles ces pertes sont admissibles, le Ministère utilise les lignes directrices suivantes.
2. Une perte découlant
a) d'un vol ou d'un hold-up commis par un étranger, ou
b) d'un vol, de malversation ou d'un détournement de fonds effectué par un employé, à moins qu'il ne s'agisse d'un cadre supérieur ou d'un actionnaire majoritaire, est admise. Les pertes découlant d'un vol, de malversation ou d'un détournement de fonds effec- tué par un associé ne sont pas admises.
En se fondant sur ce bulletin, la défenderesse prétend que peu importe qu'il ait ou non force de loi, si le bulletin interprète correctement la loi et établit la politique en ce qui a trait au niveau du vol, la demanderesse ne peut obtenir gain de cause. En revanche, la demanderesse prétend qu'un bulle tin d'interprétation du Ministère ne représente pas plus que ce qu'il est: l'interprétation que donne le ministère de l'Impôt à la loi qu'il administre sa version de la loi ou un avertissement public de la pratique qu'il a l'intention d'adopter en matière de fixation d'impôt, et que par conséquent il ne lie pas la Cour. J'accepte et j'approuve cette position. Toutefois, l'avocat de la défenderesse a raison de souligner que ce bulletin, particulièrement lorsqu'il suggère qu'une perte ne sera pas admise lorsqu'elle découle d'un vol effectué par un employé qui est un «cadre supérieur ou un actionnaire majoritaire», correspond à la tendance majoritaire de la juris prudence en ce qui a trait au «niveau du vol». C'est ce problème qui a été soulevé dans la décision Cassidy's, qu'il y a lieu d'examiner de façon plus approfondie ici.
Lorsqu'il a conclu que le fait que le fraudeur ait été un cadre dirigeant ne suffit pas en tant que tel à refuser la déduction des pertes, le juge Rip s'est référé à une décision de la Nouvelle-Zélande, W G Evans & Co Ltd v Commissioner of Inland Reve nue, [1976] 1 NZLR 425 (S.C.), à la page 435: [TRADUCTION] Le fait qu'il ait été aussi administrateur, actionnaire et dirigeant de l'entreprise ne change rien au fait qu'il ait détourné l'argent dans le cadre des activités de l'entre- prise, et non en exerçant un pouvoir dominant complètement hors de ces activités, comme l'a fait l'administrateur délégué unique dans Curtis. Le risque d'un tel détournement était inhérent au fonctionnement de l'entreprise, exercé de cette manière par nécessité, et il s'ensuit que la perte qui en résulte est une conséquence secondaire de la production d'un revenu imposable et est déductible.
Le raisonnement du juge Casey dans l'affaire Evans s'applique particulièrement bien à l'espèce. Dyck et Herringer étaient peut-être des actionnai- res minoritaires de Parkland, mais ils ont détourné les fonds en cause non en leur qualité d'actionnai- res, mais plutôt de fraudeurs, à l'insu et sans le consentement des autres actionnaires. Ils ont détourné l'argent dans le cadre des activités de la société, et non en exerçant un pouvoir dominant sur les fonds qui aurait existé hors de ces activités. Le principe déterminant dans l'affaire Cassidy's, à savoir que la distinction dans le niveau d'emploi ne saurait entraîner une différence quant à la ques tion de la déductibilité de sommes volées par un employé, ne s'applique pas moins en l'espèce. Lors- qu'un actionnaire minoritaire, qui fait fi des plans ou des souhaits des autres actionnaires, détourne des fonds, le contribuable a droit au même traite- ment que s'il s'agissait d'une fraude commise par un employé supérieur.
Le montant perdu par suite du «détournement» effectué par Dyck et Herringer était une perte autre qu'en capital, dont la déduction est envisagée en conformité avec les principes comptables géné- ralement reconnus, et n'est pas interdite par quel- que disposition de la Loi.
L'appel est donc accueilli et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvelles cotisations conformément aux présents motifs. La demanderesse a droit à ses dépens.
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