Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-511-88
Ian Wilson Callie, en son propre nom et au nom d'un groupe de personnes dont Sa Majesté la Reine a administré les pensions en vertu de l'arti- cle 16 de la Loi sur les pensions, S.R.C. 1927, chap. 157, révisée et modifiée (demandeur)
c. -
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: CALLIE c. CANADA (1" INST.)
Section de première instance, juge Joyal—Cal- gary, 29 octobre 1990; Ottawa, 8 février 1991.
Anciens combattants Le demandeur a servi dans les Forces canadiennes de 1939 à 1941 Il a été démobilisé pour schizophrénie Il a été hospitalisé dans un établissement psychiatrique Il s'est vu accorder une pension pour la totalité de son invalidité La pension a été remise au ministère des Anciens combattants pour qu'il l'administre Les prestations ont été déposées au crédit du receveur général En 1986, les crédits de pension accumulés ont été remis à la nièce du demandeur La Couronne a payé les frais d'hospi- talisation du demandeur Il s'agit de savoir si, comme elle a été fiduciaire des prestations de pension du demandeur, la Couronne s'est acquittée des obligations qui incombent à un fiduciaire La Couronne doit-elle rendre des comptes pour enrichissement sans cause? La Cour peut-elle accorder des
intérêts? Objet de la Loi sur les pensions Aucune action ne peut être intentée pour obtenir le remboursement d'une prime de démobilisation octroyée à un officier militaire Le législateur n'avait pas l'intention de faire du ministère des Anciens combattants le fiduciaire des prestations versées aux pensionnés atteints de maladie mentale Aucune des disposi tions de la Loi sur les pensions n'oblige le ministère des Anciens combattants à placer les prestations de pension et à verser de l'intérêt sur les prestations en question.
Couronne Fiducies Ancien combattant hospitalisé pour schizophrénie Il s'est vu accorder une pension pour la totalité de son invalidité Les prestations ont été remises au ministère des Anciens combattants pour qu'il les administre La Couronne était-elle fiduciaire des prestations de pension et, dans l'affirmative, a-t-elle rempli les obligations qui incom- bent à un fiduciaire? Distinction faite avec l'arrêt Guerin au motif qu'il reposait sur le titre autochtone des Indiens sur leurs terres, titre qui existait indépendamment de la Loi sur les Indiens Renvoi à la jurisprudence relative aux fiducies politiques» Directive légale imposant une obligation admi nistrative et non fiduciaire La Loi sur les pensions ne renferme pas de mots portant disposition et certitude quant à l'obligation La Loi n'oblige pas le ministère des Anciens combattants à placer les prestations de pension et à verser des intérêts sur les prestations en question.
Equity Moyen de défense tiré de la compensation recon- nue en equity Ancien combattant hospitalisé dans un éta- blissement psychiatrique depuis 45 ans aux frais de l'État Recours collectif intenté contre la Couronne au motif qu'elle a
manqué à ses obligations fiduciaires en ne plaçant pas les prestations de pension administrées par le ministère des Anciens combattants et en ne versant pas d'intérêt sur les prestations en question Le coût des soins hospitaliers dépasse les intérêts qui auraient été accumulés si les presta- tions avaient été placées Le fiduciaire a le droit en common law d'être indemnisé des dépenses La thèse du demandeur repose sur l'equity Les principes de l'equity ne peuvent être appliqués sélectivement pour créer des résultats injustes.
Il s'agit d'un recours collectif tendant à obtenir des domma- ges-intérêts à la suite du manquement à la fiducie ou aux obligations fiduciaires qu'aurait commis la Couronne en admi- nistrant les prestations de pension d'un ancien combattant entre 1946 et 1986. Le demandeur a servi dans les Forces armées de 1939 à 1941, alors qu'on a diagnostiqué une schizophrénie. Il a servi un an au Canada et un an en Angleterre. De 1946 à 1986, la pension du demandeur a été remise au ministère des Anciens combattants pour qu'il l'administre. Le ministère a déposé les prestations au crédit du receveur général. En 1986, la Commis sion canadienne des pensions a autorisé la remise en deux versements à la nièce du demandeur du capital du total des crédits de pension accumulés pour qu'elle l'administre. De plus, la Couronne a payé à un établissement psychiatrique le coût des soins en hébergement du demandeur depuis 1949. La valeur accumulée de ces soins excède la valeur de l'intérêt que les prestations du demandeur auraient produit si ces prestations avaient été placées dans des titres portant intérêt.
Le demandeur prétend que le paragraphe 41(1) de la Loi sur les pensions crée une relation fiduciaire entre la Couronne et les pensionnés. Ce paragraphe permet à la Commission d'or- donner que la pension payable à un pensionné atteint d'une maladie mentale soit administrée «au profit du pensionné». Le demandeur soutient que l'obligation légale d'administrer les prestations de pension crée une fiducie en sa faveur. La Cou- ronne avait notamment l'obligation de placer l'argent qu'elle administrait et d'obtenir de ce fait un rendement raisonnable. Le demandeur prétend en outre que la Couronne avait l'obliga- tion légale de verser de l'intérêt sur les prestations parce que celles-ci ne constituaient pas des fonds «publics» au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques étant donné qu'elles n'«appartenaient» pas au Canada et que, par conséquent, les dispositions de la Loi portant sur le pouvoir discrétionnaire qu'a la Couronne de verser de l'intérêt sur cet argent ne s'appliquent pas. L'expression «fonds publics» est définie comme suit à l'article 2 de la Loi: «Fonds appartenant au Canada ... La présente définition vise notamment ... d) les fonds reçus ... sous le régime ... d'une loi, d'une fiducie ...». La Couronne prétend que les prestations répondent à la partie de la définition de l'expression «fonds publics» qui commence par les mots: «La présente définition vise notamment ...» Le demandeur prétend que la Couronne est tenue de par la loi de lui fournir des soins médicaux en raison de son incapacité totale. Il affirme que, parce que cette obligation légale est imposée à la Couronne indépendamment de son obligation de lui verser une pension d'ancien combattant, la théorie de la compensation reconnue en equity ne peut s'appliquer. Il s'agit de savoir (1) si la Couronne avait l'obligation fiduciaire de verser de l'intérêt sur les presta- tions de pension du demandeur; (2) si la Couronne avait l'obligation légale de verser de l'intérêt sur les prestations en question; (3) si la théorie de la compensation reconnue en equity s'applique en ce qui concerne les frais d'hospitalisation payés par la Couronne.
Jugement: l'action devrait être rejetée.
(1) L'État n'a pas d'obligation fiduciaire envers le deman- deur au sens l'on entend ce terme en droit privé. La jurisprudence relative aux «fiducies politiques» démontre que l'existence d'une simple directive légale donnée à des fonction- naires de la Couronne d'administrer une somme d'argent au profit de personnes désignées n'implique pas nécessairement l'existence d'une relation fiduciaire entre les deux parties. L'obligation légale d'administrer la pension du demandeur à son profit impose une obligation administrative ou gouverne- mentale d'administrer les prestations de pension, mais pas une fiducie. La Loi sur les pensions établit un système législatif global de prestations, qui prévoit le paiement de pensions et d'allocations. La Loi n'a pas pour objet de constituer une fiducie en faveur des pensionnés, mais plutôt d'accorder des prestations aux membres des Forces canadiennes qui ont fait leur service militaire. L'octroi d'une prime de démobilisation à un officier militaire dépend, de par sa nature même, de la générosité de la Couronne et on ne peut poursuivre cette dernière pour obtenir le recouvrement de cette prime. De plus, les éléments constitutifs de la fiducie ne se retrouvent pas dans la Loi sur les pensions: celle-ci n'exprime pas d'intention expresse de constituer une fiducie pour les pensionnés et l'exis- tence d'une telle fiducie ne peut être déduite implicitement. Le libellé du paragraphe 41(1) ne constitue pas des mots portant disposition et certitude quant à l'obligation, comme il est exigé dans le cas des fiducies dont on peut obtenir l'exécution forcée par les voies de justice.
Il y a lieu d'établir une distinction avec l'obligation fiduciaire de la Couronne en ce qui concerne les terres des Indiens détenues dans des réserves. Même si le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens ressemble au paragraphe 41(1) de la Loi sur les pensions, la Cour suprême a pris soin de souligner, dans l'arrêt Guerin, que c'était le caractère spécial du titre des Indiens sur leurs terres qui créait l'obligation fiduciaire, et non le paragraphe 18(1).
(2) Comme les prestations ont été reçues en vertu du para- graphe 41(1) de la Loi sur les pensions, elles sont des «fonds publics» au sens de la définition de la Loi sur la gestion des finances publiques. L'emploi du mot «comprend» dans une définition sert à élargir ou à étendre le sens ordinaire du terme que l'on définit. L'expression «fonds publics» a été élargie pour englober des sommes d'argent qui ne répondraient pas autre- ment au sens courant de cette expression. Par conséquent, les articles 17, 18, 21 et 26 de la Loi sur la gestion des finances publiques s'appliquent aux prestations de pension qui étaient administrées par la Couronne. Bien qu'elle exige que tous les fonds publics soient déposés au crédit du receveur général (article 17), la Loi n'oblige pas à verser des intérêts sur les fonds publics qui ont été reçus à une fin spéciale et qui ont été versés au Trésor (paragraphe 21(2)) par opposition à l'argent des Indiens détenu au Trésor (paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens).
Aucune des dispositions de la Loi sur les pensions ou des divers règlements cités par l'avocat n'oblige le ministère des Anciens combattants à placer les prestations de pension qu'il administre et à verser de l'intérêt sur les prestations en question lorsque l'argent est remis à quelqu'un d'autre pour qu'il l'admi- nistre. Les règlements sont facultatifs. Le pouvoir qu'a le ministre des Finances de placer des fonds publics dans des titres
en vertu du paragraphe 18(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques est discrétionnaire. Finalement, l'article 31 de la Loi sur les pensions fixe une certaine limite au droit de la succession d'un pensionné de réclamer des prestations. Ils lais- sent à la Commission un pouvoir discrétionnaire étendu quant à leur distribution et prévoient même que, faute d'un ordre de la Commission, aucune prestation n'est versée. Cela ne s'accorde pas avec l'existence d'une obligation fiduciaire.
(3) Même si la Couronne avait une obligation fiduciaire de placer les prestations de pension, la théorie de la compensation reconnue en equity, théorie qui s'accorde avec les obligations des fiduciaires et des confidés, s'appliquerait en ce qui concerne les frais d'hospitalisation fournis par la Couronne au profit du demandeur au cours des 45 dernières années. Le fiduciaire a le droit en common law d'être indemnisé des dépenses qu'il a engagées de façon raisonnable et légitime pour le compte de la fiducie. La thèse du demandeur repose sur l'equity. Les princi- pes de l'equity ne peuvent être appliqués sélectivement pour créer des résultats sévères ou oppressifs. Bien que les frais d'hospitalisation et les prestations de pension découlent de lois différentes, ils tirent leur origine du pouvoir que confèrent la Loi de crédits que le Parlement adopte chaque année. Ce sont tous des fonds publics qui se trouvent entre les mains de la Couronne, laquelle peut être considérée, en ce sens, comme la fiduciaire de l'ensemble des contribuables.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 36.
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), chap. F-11, art. 2, 17, 18(2), 20(3), 21(2), 26, 37.
Loi sur le ministère des Anciens combattants, L.R.C. (1985), chap. V-1.
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), chap. 1-5, art. 18(1), 61(2).
Loi sur les pensions, S.R.C. 1927, chap. 157, art. Il.
Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), chap. P-6, art. 21(1), 31 (mod. par L.R.C. (1985) (2° suppl.), chap. 12, art. 6), 35(l), 41(1), 72(1).
Règlement sur la curatelle des biens des anciens combat- tants, C.R.C., chap. 1579.
Règlement sur la réception et le dépôt des deniers publics, C.R.C., chap. 728.
Règlement sur le remboursement des recettes, C.R.C., chap. 729.
Règlement sur les comptes en fiducie de revenu, C.R.C., chap. 730.
Règlement sur le soin des anciens combattants, DORS/84-709.
Règlement sur le traitement des anciens combattants, C.R.C., chap. 1585.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1711.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Nova, An Alberta Corporation c. Amoco Canada Petro leum Co. Ltd. et autres, [1981] 2 R.C.S. 437; (1981), 32
A.R. 613; 128 D.L.R. (3d) I; [1981] 6 W.W.R. 391; 38 N.R. 381.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. I.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Kinloch v. Secretary of State for India in Council (1882), 7 App. Cas. 619 (H.J.); Tito v. Wadell (No. 2), [1977] Ch. 106; Hereford Railway Co. v. The Queen (1894), 24 R.C.S. l; Rustomjee v. The Queen, [1876] I Q.B.D. 487; [1876] 2 Q.B.D. 69 (C.A.); Quebec, Mont- real and Southern Railway Company v. The King (1914), 15 R.C.É. 237; 20 D.L.R. 987; Thomas v. The King, [1928] R.C.É. 26; [1928] 2 D.L.R. 535; Worrall v. Harford (1802), 8 Ves. Jun. 4; 32 E.R. 250 (H.C. of Ch.); Williams v. Wentworth (1842), 5 Beav. 325; 49 E.R. 603 (Ch.); Payne v. Evens (1874), 18 L.R. Eq. 356.
DOCTRINE
Weinrib, Ernest J. «The Fiduciary Obligation» (1975), 25 U. T. L.J. I.
AVOCATS:
Willian S. Klym et Teresa J. Glod pour le demandeur.
Duff F. Friesen, c.r. et Audrey J. Nowack pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Cook Snowdon, Calgary, pour le demandeur. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE .LOYAL: Il s'agit d'une action, qui a été intentée par le demandeur sous forme de recours collectif, par laquelle on demande à la Couronne de rendre compte des prestations de pension d'an- cien combattant qu'elle a accumulées et adminis- trées pour le compte du demandeur entre 1946 et 1986. Le demandeur réclame également des dom- mages-intérêts pour le manquement à ses obliga tions fiduciaires que la Couronne aurait commis en administrant les prestations en question.
À l'ouverture du procès, les avocats ont convenu que la Cour ne devait examiner que la question du
manquement présumé à la fiducie, c'est-à-dire la question de savoir si la Couronne avait ou non l'obligation de placer les prestations de pension qu'elle administrait et d'en obtenir de ce fait un rendement raisonnable au fur et à mesure qu'elles s'accumulaient.
Il a également été reconnu que l'avocat du demandeur recevait ses instructions de Sandra Keats, qui est la nièce du demandeur et qui est tutrice à la présente instance. Depuis 1986, Sandra Keats administre les prestations pour le compte de son oncle, ayant été désignée à cette fin par la Commission canadienne des pensions.
LES FAITS
Les faits ne sont pas contestés et ont fait l'objet d'un accord entre les parties. Voici la relation de ces faits.
Le demandeur a servi dans les Forces armées canadiennes d'abord au Canada, à compter de la date de son enrôlement en septembre 1939, jus- qu'en septembre 1940, puis en Angleterre, de sep- tembre 1940 à mars 1941, alors qu'on a diagnosti- qué une schizophrénie. Par conséquent, il a été démobilisé le 8 avril 1941 pour des raisons médica- les. Avant et après sa démobilisation en 1941, il a été hospitalisé pendant diverses périodes de temps. Le 19 mai 1949, il a été interné dans ce qui est maintenant connu sous le nom de Psychiatric Insti tute, Victoria Hospital Corporation, à London, en Ontario. Il est interné dans cet établissement depuis cette date.
Le 8 mai 1941, la Commission canadienne des pensions a statué, en vertu de l'article 11 de la Loi sur les pensions, S.R.C. 1927, chap. 157, que l'affection dont souffre le demandeur était anté- rieure à son enrôlement et qu'elle n'avait pas été aggravée au cours de son service militaire. Dans une autre décision datée du 16 juillet 1941, la Commission a statué que la schizophrénie était une affection d'origine antérieure à l'enrôlement et qu'elle avait été délibérément dissimulée lors de l'enrôlement et avait progressé au cours du service militaire du demandeur. La Commission a statué que la schizophrénie avait été aggravée dans la proportion de deux cinquièmes au cours du service militaire du demandeur en Angleterre.
Le 10 décembre 1942, une recommandation faite le 4 décembre en vue d'accorder une pension au demandeur a été approuvée par la Commission, qui a décidé qu'à compter de la date de la fin de son traitement, le 19 août 1942, une pension d'in- validité de 30 $ par mois serait versée au deman- deur conformément à l'article 11 de la Loi (main- tenant les paragraphes 21(1) et 35(1) [L.R.C. (1985), chap. P-6]), et qu'elle serait calculée à un taux équivalant à 40 % de l'invalidité entière. Le 23 décembre 1942, il a été décidé qu'à cause de l'incapacité du demandeur, tous les paiements de pension seraient faits à la mère du demandeur, qui serait chargée de les administrer.
Cependant, par une décision rendue par la Com mission le 19 juillet 1943, la pension du deman- deur a été discontinuée à compter du 7 juillet 1943 pendant sa période de traitement. Le 4 octobre 1946, la Commission a décidé de rétablir le paie- ment de la pension du demandeur et de la remettre au ministère des Anciens combattants pour qu'il l'administre. Le 31 août 1948, la Commission a décidé d'accorder un montant supplémentaire de 7,60 $ par mois à la mère du demandeur à compter du 1" mai 1948, à titre d'allocation de personne à charge.
Par la suite, le 2 février 1950, la Commission a statué, en vertu de l'alinéa 11(1)c) (maintenant l'alinéa 21(1)c)) de la Loi que la schizophrénie d'origine antérieure à l'enrôlement n'était pas évi- dente et n'avait pas été consignée au moment de l'enrôlement et qu'elle avait été aggravée pendant le service du demandeur sur un théâtre réel de guerre. Le demandeur s'est donc vu accorder une pension pour la totalité de son invalidité avec effet rétroactif 12 mois avant la date de cette décision. Par conséquent, depuis le 2 février 1949, la Cou- ronne verse au demandeur une pension calculée à un taux équivalant à 100 % de l'invalidité entière. La pension qui est actuellement payée au deman- deur est de 1 293,75 $ par mois. Par ailleurs, la Loi sur les pensions a été modifiée en 1971 de sorte que le demandeur a maintenant droit, en vertu du paragraphe 57(1) [mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 22, art. 28] (maintenant le paragra- phe 72(1)) de la Loi, à une allocation supplémen- taire connue sous le nom d'allocation d'incapacité exceptionnelle. Cette allocation est maintenant de 228,30 $ par mois.
À compter du 4 octobre 1946 jusqu'au mois de décembre 1986, la pension et les allocations du demandeur ont été remises au ministère des Anciens combattants pour qu'il les administre con- formément à l'ordre donné par la Commission en vertu de l'article 16 (maintenant le paragraphe 41(1)) de la Loi sur les pensions. Pendant cette période, le Ministère a déposé toutes les presta- tions au crédit du receveur général conformément à l'article 17 de la Loi sur la gestion des finances publiques, maintenant L.R.C. (1985), chap. F-11, et la loi qu'elle a remplacée. Ces prestations ont été détenues au bureau de district jusqu'en 1972, année la Commission a ordonné que la plus grande partie des sommes accumulées soient trans- férées au Fonds de pension administré en fiducie à l'Administration centrale et que le reste soit con- servé au bureau de district.
Le 22 septembre 1986, la Commission a autorisé la remise à la nièce du demandeur, Sandra Keats, de tous les crédits de pension accumulés pour qu'elle les administre. Ces crédits ont été remis à Mm" Keats par versements échelonnés. On lui a fait en octobre 1986 un premier versement de 34 028,52 $, qui représentait le solde intégral détenu au bureau de district, et un second versement en décembre 1986, au montant de 157 822,79 $, qui représentait le solde intégral conservé dans le Fonds de pension administré en fiducie à l'Administration centrale. Ces sommes représentent le capital du total des crédits de pension accumulés du demandeur.
M"" Keats a ensuite demandé qu'on lui rende compte des prestations du demandeur. La défende- resse a accédé à cette demande dans la mesure du possible en se servant des documents et des rensei- gnements disponibles. Le compte rendu qui a été présenté faisait état du solde d'ouverture des exer- cices écoulés entre avril 1956 et décembre 1986 et du solde mensuel minimal entre janvier 1970 et décembre 1986.
Pendant la période au cours de laquelle le Ministère a administré les prestations, la Commis sion a autorisé trois paiements à la mère du demandeur sur le compte de ce dernier pour la défrayer de ses visites au demandeur en 1955, 1960 et 1964. D'autres versements ont également été faits à l'occasion pour permettre au demandeur
de prendre des vacances et de faire des excursions, et pour des frais divers se rapportant aux besoins personnels du demandeur.
En plus de verser les pensions et allocations susmentionnées, la Couronne a également payé, en vertu du Règlement sur le traitement des anciens combattants, C.R.C., 1978, chap. 1585, du Règle- ment sur le soin des anciens combattants, C.P. 1984-2971 [DORS/84-709], et des règlements et lois qui les ont précédés, le coût des soins en hébergement du demandeur à compter de la date de son hospitalisation jusqu'à maintenant. En fait, Sa Majesté paie en ce moment des frais quotidiens de 169 $ à l'hôpital à l'égard du demandeur et à son profit. Les parties conviennent que la valeur des avantages qui ont été accordés au demandeur sous forme notamment de soins d'hébergement depuis la date de son hospitalisation jusqu'à main- tenant excède la valeur de l'intérêt que les presta- tions du demandeur auraient produit, si ces presta- tions avaient été placées dans des titres portant intérêt.
LES QUESTIONS EN LITIGE
La présente action soulève plusieurs questions de fond et de forme qui, conformément à l'entente intervenue entre les parties, peuvent être résumées de la façon suivante:
1. La Couronne était-elle en fait fiduciaire du demandeur pendant les quarante années au cours desquelles elle a administré ses prestations de pen sion et, dans l'affirmative, a-t-elle rempli toutes les obligations qui incombent à un fiduciaire?
2. La Couronne s'est-elle enrichie sans cause par l'usage qu'elle a fait des prestations du demandeur de sorte qu'elle doive maintenant rendre compte au demandeur des profits qu'elle a de ce fait réalisés?
3. Le demandeur a-t-il un droit de recours, compte tenu de l'article 36 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7], qui déclare que la Cour ne peut accorder d'intérêt sur aucune des sommes qu'elle estime être dues au deman- deur, sauf si une clause d'un contrat y pourvoit expressément ou si une disposition législative en prévoit le paiement par la Couronne?
Autant que je sache et autant que les avocats le sachent, c'est la première fois qu'un tribunal est saisi d'une demande de cette nature. Les circons-
tances de l'affaire sont nouvelles; les principes qu'on tente d'appliquer ne le sont pas.
THÈSE DU DEMANDEUR
Le demandeur invoque essentiellement deux moyens au soutien de son action. Il prétend tout d'abord qu'il ressort de l'économie de la loi concer- nant les pensions et les allocations versées aux anciens combattants que la Couronne agit comme fiduciaire, ou à tout le moins comme confidé, à l'égard du demandeur et des autres pensionnés malades mentaux dont elles administre les pen sions. Il soutient aussi que la Couronne est tenue de par la loi de verser des intérêts sur les presta- tions car celles-ci ne sont pas des fonds «publics» au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques.
Pour les besoins de la présente affaire, il serait peut-être sage d'examiner ces moyens individuelle- ment.
OBLIGATION FIDUCIAIRE OU FIDUCIE
Suivant l'avocat du demandeur, l'économie de la loi concernant les anciens combattants astreint la Couronne à la norme de conduite très stricte qui est exigée des fiduciaires et des confidés. Une des ces obligations consiste à placer l'argent qu'ils administrent de manière à en obtenir un rende- ment raisonnable. Or la Couronne ne l'a pas fait. La Couronne a donc manqué à son obligation et elle doit maintenant en rendre compte en versant des dommages-intérêts pour le préjudice subi pen dant la période de quarante ans qui s'est écoulée entre 1946 et 1986.
L'avocat du demandeur affirme que l'obligation fiduciaire à laquelle Sa Majesté est tenue envers le demandeur découle du paragraphe 41(1) de la Loi sur les pensions', dont voici le libellé:
41. (I) Lorsqu'il paraît évident à la Commission qu'un pensionné:
a) soit est incapable de gérer ses propres affaires, en raison de son infirmité, de sa maladie ou pour une autre cause;
b) soit n'entretient pas une personne qu'il a l'obligation juridique d'entretenir;
la Commission peut ordonner que la pension payable au pen- sionné soit administrée au profit du pensionné ou de toute personne qu'il a l'obligation juridique d'entretenir ou au profit des deux à la fois, par la Commission, le ministère ou une personne ou un organisme choisi par !a Commission. [C'est moi qui souligne.]
L.R.C. (1985), chap. P-6.
L'avocat soutient que l'obligation légale d'admi- nistrer les prestations de pension crée une fiducie en faveur du demandeur. L'avocat invoque à cet égard l'arrêt célèbre Guerin et autres c. La Reine et autre' de la Cour suprême du Canada, dans lequel la Cour a statué que la Couronne était assujettie à une obligation fiduciaire en ce qui concerne les terres des Indiens détenues dans des réserves. L'avocat affirme que la Couronne est assujettie à une obligation semblable en ce qui concerne les prestations des pensionnés. L'avocat signale en particulier que le libellé du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens' est pratiquement identique à celui du paragraphe 41(1) de la Loi sur les pensions. Le paragraphe 18(1) est ainsi conçu:
18. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté; sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l'usage et au profit de la bande.
Selon l'avocat du demandeur, la même obliga tion est imposée à la défenderesse en l'espèce par le paragraphe 41(1) de la Loi sur les pensions. La Couronne n'avait pas le pouvoir discrétionnaire illimité de décider si elle placerait ou non la pen sion du demandeur et elle ne pouvait transférer les prestations de pension du demandeur dans le Trésor à son propre avantage. La Couronne était assujettie aux normes strictes qui régissent la con- duite de tout fiduciaire.
En toute déférence, j'estime qu'il est dangereux de tirer hâtivement de telles conclusions. L'avocat du demandeur semble tabler beaucoup sur le libellé du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens tout en omettant de tenir compte du fait que dans l'arrêt Guerin (précité), la Cour suprême a répété à plusieurs reprises que c'était le caractère spécial du titre des Indiens sur leurs terres qui créait l'obligation fiduciaire qui incombait à la Couronne. Ce droit était indépendant de tout droit d'origine législative et existait longtemps avant d'être reconnu par la Loi sur les Indiens.
Ainsi, suivant le juge Dickson (qui n'était pas encore juge en chef), à la page 376:
' [ 1984] 2 R.C.S. 335.
3 L.R.C. (1985), chap. 1-5.
Le rapport fiduciaire entre Sa Majesté et les Indiens découle du concept du titre aborigène, autochtone ou indien.
Il a été plus précis aux pages 378 et 379:
... le titre indien est un droit qui a une existence juridique indépendante et qui, bien que reconnu dans la Proclamation royale de 1763, existait néanmoins avant celle-ci. C'est pour- quoi les arrêts Kinloch v. Secretary of State for India in Council et Tito v. Waddell (N° 2), précités, ainsi que les autres décisions concernant les «fiducies politiques» ne s'appliquent pas en l'espèce. La jurisprudence en matière de «fiducies politiques» porte essentiellement sur la distribution de deniers publics ou d'autres biens détenus par le gouvernement. Dans chaque cas, la partie qui revendiquait le statut de bénéficiaire d'une fiducie s'appuyait entièrement sur une loi, une ordonnance ou un traité pour réclamer un droit sur les deniers en question. La situation des Indiens est tout à fait différente. Le droit qu'ils ont sur leurs terres est un droit, en common law, qui existait déjà et qui n'a été créé ni par la Proclamation royale, ni par le par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou ordonnance du pouvoir exécutif.
L'avocat du demandeur fait également grand cas du passage dans lequel le juge Dickson cite, à la page 384, les propos du professeur Ernest Wein- rib [«The Fiduciary Obligation» (1975), 25 U.T.L.J. 1] suivant lesquels [TRADUCTION] «la marque distinctive d'un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l'une d'elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire l'autre», et il a conclu:
Je ne me prononce pas sur la question de savoir si cette description est de portée assez large pour comprendre toutes les obligations de fiduciaire. J'estime toutefois que, lorsqu'une loi, un contrat ou peut-être un engagement unilatéral impose à une partie l'obligation d'agir au profit d'une autre partie et que cette obligation est assortie d'un pouvoir discrétionnaire, la personne investie de ce pouvoir devient un fiduciaire. L'equity vient alors exercer un contrôle sur ce rapport en imposant à la personne en question l'obligation de satisfaire aux normes strictes de conduite auxquelles le fiduciaire est tenu de se conformer.
Il faut cependant rapprocher la conclusion qu'il a tirée à cet égard des remarques qu'il a formulées plus loin, à la page 385:
Il nous faut remarquer que, de façon générale, il n'existe d'obligations de fiduciaire que dans le cas d'obligations prenant naissance dans un contexte de droit privé. Les obligations de droit public dont l'acquittement nécessite l'exercice d'un pou- voir discrétionnaire ne créent normalement aucun rapport fidu- ciaire. Comme il se dégage d'ailleurs des décisions portant sur les «fiducies politiques», on ne prête pas généralement à Sa Majesté la qualité de fiduciaire lorsque celle-ci exerce ses fonctions législatives ou administratives. Cependant, ce n'est
pas parce que c'est à Sa Majesté qu'incombe l'obligation d'agir pour le compte des Indiens que cette obligation échappe à la portée du principe fiduciaire. Comme nous l'avons souligné plus haut, le droit des Indiens sur leurs terres a une existence juridique indépendante. Il ne doit son existence ni au pouvoir législatif ni au pouvoir exécutif. L'obligation qu'a Sa Majesté envers les Indiens en ce qui concerne ce droit n'est donc pas une obligation de droit public. Bien qu'il ne s'agisse pas non plus d'une obligation de droit privé au sens strict, elle tient néan- moins de la nature d'une obligation de droit privé. En consé- quence, on peut à bon droit, dans le contexte de ce rapport sui generis, considérer Sa Majesté comme un fiduciaire. [Souligne- ments ajoutés.]
Madame le juge Wilson a également fait remar- quer, dans l'arrêt Guerin, que l'obligation fidu- ciaire qu'a la Couronne envers les Indiens «a sa source dans le titre aborigène des Indiens du Canada» et que, aux pages 348 et 352:
... l'art. 18 n'impose pas en soi à Sa Majesté une obligation de fiduciaire à l'égard des réserves indiennes ...
Il me semble que la jurisprudence relative à la »fiducie politi- que» se distingue nettement de l'espèce parce que le titre indien existe tout à fait indépendamment du par. 18(1) de la Loi sur les Indiens.
Ainsi donc, je pense qu'il ressort à l'évidence de l'arrêt Guerin que l'obligation fiduciaire que Sa Majesté a envers les Indiens ne tire pas sa source du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens, mais du droit sui generis que les autochtones possédaient déjà sur leurs terres. L'article 18 reconnaît simplement l'obligation fiduciaire que la Couronne est réputée avoir envers les Indiens par suite de leurs droits uniques et historiques sur les terres de leurs réserves. C'est à partir de ce prin- cipe même que le juge Dickson et le juge Wilson ont pu établir une distinction entre l'arrêt Guerin et la jurisprudence relative aux «fiducies politi- ques». Arrêtons-nous maintenant sur ce que nous apprend cette jurisprudence relative aux fiducies politiques.
Dans l'une des premières affaires, l'affaire Kin- loch v. Secretary of State for India in Council 4 , la Reine avait, par mandat royal, octroyé un butin de guerre au Secrétaire d'État «en fiducie» pour les officiers et les hommes des forces armées, à charge par le Secrétaire de le distribuer selon son gré. L'appelant avait intenté une action dans laquelle il réclamait une reddition de compte des sommes
4 (1882), 7 App. Cas. 619 (H.L.).
d'argent et la distribution du reliquat du butin. La Chambre des lords a statué que, même si une fiducie au sens strict avait peut-être été créée, il n'existait pas de fiducie dont on pouvait obtenir l'exécution en justice.
De même, dans l'arrêt Tito v. Waddell (No. 2)', les Banabans prétendaient qu'aux termes d'une ordonnance de 1928, une fiducie avait été consti- tuée en leur faveur relativement aux redevances obtenues à la suite de l'extraction de phosphate sur leur île natale. L'ordonnance de 1928 disposait notamment que les sommes payables sous forme de redevances seraient versées au commissaire rési- dent, qui les détiendrait «en fiducie» pour le compte des anciens propriétaires du terrain. Cette ordonnance a été modifiée par l'ordonnance de 1937, qui ne parlait pas de fiducie mais plutôt du paiement des sommes d'argent payables sous forme de redevances au commissaire résident qui [TRADUCTION] «les affectera conformément aux directives du Haut Commissaire au profit des peu- ples autochtones de l'île.» (C'est moi qui souligne). Le vice-chancelier Megarry a expliqué pourquoi la Couronne avait seulement une «obligation gouver- nementale» par opposition à une obligation fidu- ciaire envers les Banabans [aux pages 228 et 230]:
[TRADUCTION] Je ne pense pas qu'on puisse dire qu'une obliga tion légale d'administrer de l'argent d'une façon particulière impose nécessairement ni même probablement une obligation fiduciaire à la personne assujettie à '.'obligation. De nombreuses obligations légales existent sans donner lieu à une obligation fiduciaire, et avant qu'une telle obligation ne soit créée, je pense qu'il doit y avoir quelque chose qui démontre que l'imposition d'une telle obligation était voulue ou que son existence était implicite.
S'il existe une obligation fiduciaire, les règles d'equity concer- nant les opérations internes s'appliquent; mais les opérations internes n'imposent pas l'obligation. L'equity fait reposer ses règles concernant les opérations internes sur une obligation fiduciaire préexistante; c'est la non-observation de cette obliga tion préexistante qui assujettit l'auteur de l'opération interne aux conséquences des règles relatives aux opérations internes. Je ne pense pas qu'on puisse dire d'une personne qui n'est assujettie à aucune obligation fiduciaire préexistante que parce qu'elle effectue des opérations internes elle est par conséquent assujettie à une obligation fiduciaire.
Dans le même ordre d'idées, les tribunaux cana- diens se sont montrés hésitants à imposer des obligations fiduciaires à la Couronne lorsqu'elle
5 [1977] Ch. 106.
exerce son pouvoir discrétionnaire légal. Dans l'ar- rêt Hereford Railway Co. v. The Queen', l'appe- lante réclamait une subvention du lieutenant-gou- verneur pour achever une ligne de chemin de fer. Les dispositions de la loi sur lesquelles la compa- gnie de chemin de fer fondait sa réclamation étaient libellées de la façon suivante la page 8]:
[TRADUCTION] Le lieutenant-gouverneur en conseil est auto- risé à accorder les subventions suivantes ...
et
[TRADUCTION] Le lieutenant-gouverneur en conseil peut légitimement accorder une subvention ...
Le juge en chef Strong a refusé de conclure, à partir de ces dispositions, à l'existence implicite d'une fiducie exécutoire au profit de l'appelante la page 13]:
[TRADUCTION] Le libellé de la loi est facultatif; il n'accorde pas de subvention directe à la compagnie de chemins de fer, mais en employant les mots «le lieutenant-gouverneur en conseil peut légitimement accorder une subvention,, il signifie que la Couronne exerce selon ce qu'elle juge bon son pouvoir discré- tionnaire de remise ou de retrait de l'argent.
Le juge en chef a ensuite cité l'arrêt Kinloch et une autre décision anglaise, l'arrêt Rustomjee v. The Queen', et a poursuivi en disant la page 15]:
[TRADUCTION] Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer cette jurisprudence. S'il n'a pas été créé de fiducie qui puisse être sanctionnée lorsque des sommes d'argent destinées à une fin particulière ont été confiées à la Couronne par traité ou autrement que par voie législative, pourquoi le résultat serait-il différent lorsque c'est le législateur qui concède l'argent à des fins définies de telle manière qu'elles confèrent un pouvoir discrétionnaire à la Couronne?
Le tribunal en est venu à la même décision dans le jugement Quebec, Montreal and Southern Rail way Company v. The King, dans lequel le juge Audette a considéré que la subvention qui avait été accordée par la Couronne pair la construction d'un chemin de fer constituait une libéralité sans engagement de la Couronne la page 250]:
[TRADUCTION] Lorsqu'il y a un pouvoir discrétionnaire, il n'y a pas de recours judiciaire.
Ainsi donc, comme cette jurisprudence le démontre, l'existence d'une simple directive légale donnée à des fonctionnaires de la Couronne d'ad- ministrer un fonds ou une somme d'argent au
6(1894), 24 R.C.S. 1.
' [1876] 1 Q.B.D. 487; [1876] 2 Q.B.D. 69 (C.A.).
" (1914), 15 R.C.É. 237.
profit de personnes désignées n'implique pas néces- sairement l'existence d'une relation fiduciaire entre les deux parties. En fait, je crois que c'est le cas en ce qui concerne l'obligation que la loi impose à la Couronne d'administrer la pension du demandeur au profit de ce dernier. Bien que la Couronne puisse avoir une obligation administra tive ou gouvernementale d'administrer les presta- tions de pension du demandeur en conséquence, cette obligation n'équivaut pas à une fiducie ou à une obligation fiduciaire.
Ainsi que l'avocat de la Couronne l'a souligné, la Loi sur les pensions établit un système législatif global de prestations, qui prévoit le paiement de pensions et d'allocations. La Loi n'a pas pour objet de constituer une fiducie en faveur des pensionnés, mais plutôt d'accorder des prestations aux mem- bres des Forces canadiennes qui ont fait leur ser vice militaire. Dans l'arrêt Thomas v. The King 9 , le tribunal a fait remarquer que l'octroi d'une prime de démobilisation à un officier militaire dépend entièrement, de par sa nature même, de la générosité et de la bienveillance de la Couronne et qu'on ne peut poursuivre la Couronne pour obtenir le recouvrement de cette prime.
De plus, les divers éléments constitutifs de la fiducie ne se retrouvent pas dans les dispositions de la Loi sur les pensions. D'abord, la Loi n'exprime pas une intention de constituer une fiducie pour les pensionnés comme le demandeur, et l'existence d'une telle fiducie ne peut être déduite implicite- ment. Le juge Dickson a fait remarquer, dans l'arrêt Guerin, précité, à la page 386:
Le droit des fiducies constitue un domaine juridique très per- fectionné et spécialisé. Pour qu'il y ait fiducie explicite, il faut un disposant, un bénéficiaire, une masse fiduciaire, des mots portant disposition, certitude quant à l'objet et certitude quant à l'obligation. Ces éléments ne sont pas tous présents en l'espèce.
En l'espèce, je ne pense pas que le libellé du paragraphe 41(1) de la Loi sur les pensions suffise pour constituer des mots portant disposition et certitude quant à l'obligation, comme il est exigé dans le cas des fiducies dont on peut obtenir l'exécution forcée par les voies de justice. Le légis- lateur aurait été beaucoup plus précis s'il avait eu l'intention de constituer une fiducie en faveur du demandeur et d'autres pensionnés mentalement incapables.
9 [1928] R.C.É. 26.
Le libellé de la loi ne me permet pas non plus de conclure que le législateur ait déjà eu l'intention de faire du ministère des Anciens combattants ou de tout autre organisme un fiduciaire relativement aux pensions payables aux pensionnés atteints d'une maladie mentale. J'estime plutôt que l'obli- gation que la loi lui impose consiste uniquement à administrer les prestations de pension du deman- deur, un point c'est tout. En d'autres termes, bien que l'État puisse avoir l'obligation morale ou poli- tique d'administrer la pension au profit du deman- deur, il n'a pas d'obligation fiduciaire envers le demandeur, du moins au sens l'on entend ce terme en droit privé. Cette distinction entre les fiducies «au sens strict» et les fiducies «au sens large» a été adoptée dans les arrêts Kinloch Tito et les nombreuses autres décisions que j'ai déjà mentionnées.
L'OBLIGATION LÉGALE
Le second moyen qu'invoque le demandeur au soutien de son action porte sur la question de savoir si la Couronne a l'obligation légale de verser des intérêts sur les prestations de pension du demandeur. L'avocat du demandeur affirme que les prestations de pension en question ne consti tuent pas des fonds «publics» au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques. Par conséquent, il prétend que plusieurs dispositions de cette Loi ne s'appliquaient pas aux prestations de pension du demandeur. Ces dispositions portent sur le place ment des fonds publics, ainsi que sur le pouvoir discrétionnaire qu'a la Couronne de verser de l'in- térêt sur cet argent. Voici le texte des dispositions pertinentes de la Loi:
2....
«fonds publics» Fonds appartenant au Canada, prélevés par le receveur général ou un autre fonctionnaire public agissant en sa qualité officielle ou toute autre personne autorisée à en prélever. La présente définition vise notamment [C'est moi qui souligne.] :
d) les fonds reçus par un fonctionnaire public sous le régime d'un traité, d'une loi, d'une fiducie, d'un contrat ou d'un engagement et affectés à une fin particulière précisée dans l'acte en question ou conformément à celui-ci.
17. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les fonds publics sont déposés au crédit du receveur général.
18. ...
(2) Le ministre peut, lorsqu'il le juge opportun pour la bonne gestion des fonds publics ou de la dette publique, acheter, acquérir, et détenir des valeurs et les payer sur le Trésor.
20....
(3) Les fonds non publics versés au crédit du receveur général peuvent être restitués conformément aux règlements du Conseil du Trésor.
21. (1) Les fonds visés à l'alinéa d) de la définition de «fonds publics» à l'article 2 et qui sont reçus par Sa Majesté, ou en son nom, à des fins particulières et versés au Trésor peuvent être prélevés à ces fins sur le Trésor sous réserve des lois applicables.
(2) Sous réserve des autres lois fédérales, les fonds visés au paragraphe (1) peuvent être majorés d'intérêts payables sur le Trésor aux taux fixés par le ministre avec l'approbation du gouverneur en conseil.
26. Sous réserve des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982, tout paiement sur le Trésor est subordonné à l'autorisation du Parlement.
37. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la partie non utilisée d'un crédit est annulée à la fin de l'exercice pour lequel il a été accordé.
L'avocat du demandeur soutient, en invoquant l'article 2 de cette Loi, que, comme les prestations de pension n'«appartiennent» pas au Canada, elles ne peuvent constituer des fonds publics assujettis à la Loi. Les fonds ordinaires détenus en fiducie n'«appartiennent» pas au fiduciaire. L'avocat de la Couronne rétorque que ces prestations répondent effectivement à la définition de l'expression «fonds publics» contenue à l'alinéa 2d). Cet alinéa porte: «La présente définition vise notamment les fonds reçus ... sous le régime d'un traité, d'une loi, d'une fiducie, d'un contrat ou d'un engagement». [Soulignements ajoutés.]
Il me semble clair qu'une interprétation de cet article fondée sur l'arrêt Nova, An Alberta Corpo ration c. Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. et autres 10 amène à recourir à la «méthode d'amplifi- cation» qui élargit le sens des mots qui les précè- dent. Quant à l'inclusion du mot «fiducie» dans cet article, l'avocat de la Couronne souligne que les
1 '
[1981] 2 R.C.S. 437.
prestations de pension n'ont pas été payées sous le régime d'une fiducie mais sous le régime d'une loi.
Comme j'ai conclu qu'en l'espèce les prestations de pension n'étaient pas détenues par la Couronne en vertu d'une fiducie dont on peut obtenir l'exécu- tion forcée en justice, la question de savoir si les prestations ont été reçues en vertu d'une «fiducie» ou sous le régime d'une loi semble plutôt théori- que. Je pense qu'on peut dire que les deux inter- prétations sont exactes. D'une part, l'avocat du demandeur reconnaît et a en fait même allégué que les prestations reçues en vertu d'une fiducie politique tomberaient sous le coup de l'alinéa 2d) de la Loi. D'autre part, je pense qu'il est égale- ment clair que les prestations ont également été reçues en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur les pensions et, encore, qu'elles tomberaient par conséquent sous le coup de l'alinéa 2d) de la Loi sur la gestion des finances publiques. J'estime r donc que les prestations de pension sont en fait des «fonds publics» au sens cette expression est employée dans la dernière Loi.
Ainsi qu'on l'a souligné dans l'arrêt Nova, pré- cité, on emploie l'expression «comprend» dans une définition afin d'élargir ou d'étendre le sens ordi- naire du terme que l'on définit. C'est précisément ce que fait l'alinéa 2d) de la Loi sur la gestion des finances publiques en l'espèce. L'expression «fonds publics» a été élargie pour englober des sommes d'argent qui ne feraient autrement pas partie du sens courant ou ordinaire de cette expression.
Par conséquent, les articles 17, 18, 21 et 26 de la ' Loi sur la gestion des finances publiques s'appli- quent effectivement aux prestations de pension qui étaient administrées par la Couronne. Le libellé du paragraphe 21(2) de la Loi a un ton manifeste- ment facultatif lorsqu'il déclare que sous réserve des autres lois fédérales, des intérêts «peuvent être» payables sur le Trésor. Je constate, en revanche, le caractère impératif du paragraphe 17(1) de la même Loi, qui dispose que les fonds publics «sont» déposés au crédit du receveur général.
Je pense qu'il vaut également la peine de citer le paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens, qui a été examiné dans l'arrêt Guerin, précité, étant donné qu'une grande partie de la thèse du deman- deur repose sur cet arrêt:
61....
(2) Les intérêts sur l'argent des Indiens détenu au Trésor sont alloués au taux que fixe le gouverneur en conseil. [C'est moi qui souligne.]
Ainsi donc, bien qu'elle exige que les fonds publics soient déposés au crédit du receveur géné- ral, la Loi sur la gestion des finances publiques n'oblige pas à verser des intérêts sur les fonds publics qui ont été reçus à une fin spéciale et qui ont été versés au Trésor. En revanche, il ressort à l'évidence du paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens, que je viens tout juste de citer, que la Couronne serait tenue de verser des intérêts sur l'argent des Indiens détenu au Trésor. Je pense qu'on peut légitimement présumer que si le législa- teur avait également voulu rendre obligatoire le versement d'intérêts sur les fonds publics, il aurait pu facilement manifester cette intention car il l'a fait dans d'autres dispositions législatives.
En outre, je ne puis trouver dans la Loi sur les pensions elle-même aucune disposition qui oblige- rait le ministère des Anciens combattants à placer les prestations de pension qu'il administre et à verser de l'intérêt aux pensionnés sur les presta- tions en question lorsque l'argent est remis à quel- qu'un d'autre pour qu'il l'administre. L'avocat du demandeur n'a pas pu mettre le doigt sur une telle disposition dans la Loi mais a laissé entendre que notre Cour devait tenir compte de l'effet de divers règlements pris en application de la Loi sur la gestion des finances publiques et de la Loi sur le ministère des Anciens combattants [L.R.C. (1985), chap. V-1]. Parmi les règlements qu'il a cités, mentionnons: le Règlement sur la réception et le dépôt des deniers publics", le Règlement sur le remboursement des recettes'', le Règlement sur les Comptes en fiducie de revenu'', le Règlement sur le traitement des anciens combattants' et le Règlement sur la curatelle des biens des anciens combattants's.
Cependant, j'ai examiné ces règlements et je n'y vois rien qui impose à la Couronne l'obligation de verser des intérêts sur les prestations de pension qu'elle administre pour le demandeur. De plus, ces règlements sont de caractère largement facultatif,
" C.R.C., chap. 728. 12 C.R.C., chap. 729. " C.R.C., chap. 730. ' C.R.C., chap. 1585. " C.R.C., chap. 1579.
de sorte que le ministre ou le sous-ministre con cerné «peut» autoriser le versement d'intérêts à l'occasion. Il n'est cependant nullement obligé de le faire. De même, le décret C.P. 1970-300, qui a été pris en application du paragraphe 21(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques ne rend pas obligatoire le versement d'intérêts. Il approuve simplement le taux auquel des intérêts «peuvent» être alloués et versés.
De même, le pouvoir qu'a le ministre des Finan ces de placer des fonds publics dans des titres en vertu du paragraphe 18(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques est purement discrétion- naire. Le ministre n'est pas obligé de le faire. Ainsi donc, je dois conclure que la Couronne n'a pas l'obligation fiduciaire ou l'obligation légale de verser des intérêts sur les prestations de pension en litige.
Finalement, je pourrais citer l'article 31 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap. 12, art. 6] de la Loi sur les pensions, dont voici le libellé:
31. (I) Toute pension ou allocation détenue en fiducie par la Commission ou par le ministère et due à un pensionné décédé, lors de son décès, ne fait pas partie de la succession de ce pensionné décédé.
(2) La Commission peut, à sa discrétion, ordonner le paie- ment de la pension ou allocation visée au paragraphe (1), soit à la succession du pensionné, soit au conjoint survivant de celui-ci ou à son ou ses enfants, ou ordonner qu'il soit versé en totalité ou en partie à toute personne qui a eu le pensionné à sa charge ou qui a été à la charge du pensionné, ou aux fins des frais de sa dernière maladie et de ses funérailles.
(3) Si la Commission n'émet aucun ordre pour le paiement de la pension ou allocation visée au paragraphe (1), cette pension ou allocation n'est pas payée.
Ces dispositions qu'invoque l'avocat de la Cou- ronne ne semblent pas appuyer la thèse du deman- deur. Il faut reconnaître qu'elles ne permettent pas de trancher définitivement la question de l'obliga- tion fiduciaire. Qui plus est, les conséquences qui pourraient légalement découler de ces dispositions ne peuvent être facilement déterminées sans une analyse de l'ensemble de la Loi. Néanmoins, elles servent à fixer une certaine limite au droit de la succession d'un pensionné décédé de réclamer des prestations. Elles laissent en apparence à la Com mission un pouvoir discrétionnaire étendu quant à leur distribution et prévoient même que, faute d'un ordre de la Commission, aucune prestation n'est versée. À mon humble avis, cela ne s'accorde pas
avec la théorie de la fiducie que préconise le demandeur.
MOYEN DE DÉFENSE TIRÉ DE LA COM PENSATION RECONNUE EN EQUITY
Il est constant que, depuis les 45 dernières années, le demandeur est hospitalisé au Psychiatrie Institute de London et que les frais d'hospitalisa- tion ont été supportés par la Couronne. Le coût actuel des soins hospitaliers dépasse 5 000 $ par mois et les parties ont convenu que l'accumulation de ces frais au fil des ans dépasse la valeur des intérêts qu'auraient rapportés les prestations du demandeur si elles avaient été placées dans des titres productifs de revenus. Cette situation fac- tuelle soulève évidemment la question de la doc trine de la compensation reconnue en equity, une doctrine qui s'accorde avec les obligations des fiduciaires et des confidés, lesquelles reposent elles-mêmes sur l'équité et la bonne conscience. Comme le professeur Weinrib le déclare dans son article bien connu, The Fiduciary Obligation:
[TRADUCTION] Ce dont nous avons présentement besoin—et que la jurisprudence ne nous donne pas—ce sont des éclaircisse- ments sur l'utilité de ces règles, sur les valeurs qu'elles encoura- gent, et sur les processus qu'elles tentent de protéger.
Tout ce qu'un système de justice peut exiger, c'est l'apprécia- tion et l'application uniforme des principes sous-jacents, même s'ils ne sont pas cristallisés par des mots'''.
En l'espèce, on doit se demander quelles sont les valeurs qui sont encouragées et à quoi servirait d'accueillir la présente action. Nous devons nous rappeler que le demandeur a nécessité une atten tion et des soins médicaux constants au cours des quarante-cinq dernières années. Il souffre d'une affection qui existait au moins jusqu'à un certain point avant son service militaire au cours de la Seconde guerre mondiale. La Couronne a assumé seule la responsabilité de lui fournir les soins en question à grands frais pour l'ensemble des contri- buables canadiens.
Il est de jurisprudence constante qu'en matière de fiducie, on peut invoquer le moyen de défense tiré de la compensation reconnue en equity. Il ressort tant de la jurisprudence anglaise que de la jurisprudence canadienne que le fiduciaire a le droit en common law d'être indemnisé des dépen-
d' (1975), 25 U.T.L.J. I, à la p. 2.
ses qu'il a engagées de façon raisonnable et légi- time pour le compte de la fiducie. Le lord chance- lier Eldon s'est exprimé en ces termes dans l'arrêt Worral v. Harford ":
[TRADUCTION] Il est de la nature de la charge du fiduciaire, qu'elle soit exprimée dans l'acte constitutif ou non, qu'il se rembourse sur les biens détenus en fiducie de tous les frais qu'il a engagés pour exécuter la fiducie. C'est une condition implicite de tout acte de fiducie.
Dans l'arrêt Williams v. Wentworth'H, le maître des rôles (lord Langdale) a déclaré:
[TRADUCTION] [...] Je suis d'avis que dans le cas des sommes d'argent dépensées pour assurer la protection nécessaire de la personne et des biens de l'aliéné, la loi présume l'existence d'un contrat implicite et crée une créance valide qui peut être exercée contre l'aliéné ou sa succession, et que dans les circons- tances de la présente affaire, une créance a été constituée et qu'on peut en obtenir le paiement sur les immeubles, si les meubles ne suffisent pas.
L'avocat du demandeur prétend évidemment que la Couronne est tenue de par la loi de fournir des soins médicaux au demandeur en raison de son incapacité totale. Cette obligation légale est impo sée à la Couronne indépendamment de son obliga tion de verser une pension d'ancien combattant au demandeur. Cette pension découle d'une loi diffé- rente et la théorie de la compensation reconnue en equity ne peut s'appliquer.
En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. La thèse du demandeur repose essentiellement sur l'equity. Les principes de l'equity ne peuvent, à mon avis, être appliqués sélectivement pour créer des résultats que toute personne raisonnable consi- déreraient sévères ou oppressifs. Cela créerait une anomalie dans toute la législation relative aux anciens combattants, une anomalie que je doute sérieusement que le législateur voulait créer. Bien qu'on puisse à bon droit affirmer que les frais d'hospitalisation et les prestations de pension découlent de lois différentes, ils tirent tous leur origine, selon moi, du pouvoir conféré à la Cou- ronne par la Loi de crédits que le Parlement adopte chaque année et dont la ventilation détail- lée se trouve dans le Livre bleu annuel. Ce sont tous des fonds publics qui se trouvent entre les mains de la Couronne, laquelle peut être considé- rée, en ce sens, comme la fiduciaire de l'ensemble des contribuables.
"(1802), 8 N'es. Jun. 4; 32 E.R. 250 (H.C. of Ch.), à la
p. 252.
18 (1842), 5 Beav. 325; 49 E.R. 603 (Ch.), à la p. 605.
Mais venons-en au fait. Même si l'on réussissait à établir, par le biais d'une acrobatie juridique quelconque, que la Couronne a l'obligation fidu- ciaire de placer les prestations de pension en ques tion, j'appliquerais quand même la doctrine de la compensation reconnue en equity en ce qui con- cerne les frais d'hospitalisation fournis par la Cou- ronne au profit du demandeur au cours des 45 dernières années, lesquels frais dépassent, comme le reconnaissent les parties, tout revenu accumulé que les prestations de pension auraient par ailleurs rapporté. Quelle que soit la doctrine qu'on appli- que, la réparation que sollicite le demandeur ne peut lui être accordée.
Cependant, avant de conclure, je m'arrêterai brièvement sur l'allégation formulée par le deman- deur dans son action, suivant laquelle la Couronne ne lui a pas fourni une comptabilité suffisamment détaillée au sujet de l'administration des presta- tions de pension sur une période couvrant deux générations. L'avocat du demandeur n'invoque pas d'élément de preuve ou de moyen à cet égard et je peux raisonnablement conclure que le véritable noeud de son argument est le défaut de la Cou- ronne de placer les prestations plutôt que son omission de fournir une comptabilité suffisante. Sur la question du caractère suffisant, je renverrais l'avocat à la décision Payne v. Evens' 9 , dans laquelle une action en reddition de comptes avait été intentée en 1872 par un bénéficiaire contre un fiduciaire et représentant survivant à l'égard d'une succession qui s'était ouverte en 1832. Tout en reconnaissant que le fiduciaire devait s'acquitter de ses fonctions avec la plus grande ponctualité, le tribunal a refusé de tenir les défendeurs responsa- bles après un aussi grand nombre d'années au seul motif que certaines pièces justificatives et comptes n'étaient pas disponibles. Le tribunal a déclaré:
[TRADUCTION] [...] mais je n'ai jamais entendu parler d'une affaire dans laquelle, après un intervalle aussi long que celui qui s'est écoulé en l'espèce et après la conclusion d'opérations comme celles qui sont de toute évidence établies en l'espèce, la règle interdisant les fiduciaires ait été appliquée comme s'ils étaient toujours des fiduciaires, qu'ils détenaient encore des fonds, et qu'ils étaient encore tenus de rendre des comptes.
Et le tribunal de conclure:
[TRADUCTION] [...] On me demande de présumer que, parce qu'un fiduciaire n'a pas produit de comptes et de pièces justifi-
" (1874), 18 L. R. Eq. 356, à la p. 362.
catives, il a commis une faute pour laquelle notre cour peut, lorsqu'un fiduciaire refuse de rendre compte ou ne remet pas ses comptes dans le délai voulu, non seulement le tenir respon- sable, mais lui faire payer les frais accumulés jusqu'à l'au- dience. La Cour n'a jamais été saisie de ce genre de cas, et statuer ainsi porterait directement atteinte aux règles qui ont toujours été suivies, et irait directement à l'encontre de la probité —j'allais dire de l'honnêteté la plus élémentaire 20 .
Le demandeur peut peut-être méditer avec profit sur cette décision.
CONCLUSION
Avec le consentement des parties, un seul point litigieux a été débattu au procès. Il reste donc à examiner la question de savoir si l'action a été à bon droit intentée sous forme de recours collectif, en vertu de la Règle 1711 des Règles de notre Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], à fixer le montant des dommages-intérêts auxquels la Couronne pourrait par ailleurs être condamnée, et finalement à savoir si les lois relati ves à la prescription s'appliquent et empêchent d'obtenir une indemnité pour la totalité ou une partie de la période visée.
Eu égard aux circonstances, j'inviterais les avo- cats des parties à essayer de s'entendre sur le règlement de ces questions connexes de manière à éviter de porter atteinte au droit d'appel du demandeur. S'ils peuvent en venir à un accord, je demanderais aux avocats de me soumettre un projet de dispositif pour signature. Autrement, ils peuvent s'adresser à moi et, dans l'intervalle, je demeure saisi de l'affaire.
Sous réserve de ce qui précède, je suis d'avis de rejeter l'action en dommages-intérêts intentée par le demandeur en raison du manquement dont la Couronne se serait rendue coupable en ce qui concerne ses obligations de fiduciaire en ne plaçant pas les prestations de pension du demandeur, et d'adjuger les dépens à la Couronne.
Précité, à la p. 363.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.