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A-575-87
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada et Procureur général du Canada (appe- lants)
c.
Selvadurai Kuganeswaran (intimé)
RÉPERTORIÉ: KUGANESWARAN C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Desjar- dins, J.C.A.---Montréal, 25 octobre 1990; Ottawa, 9 janvier 1991.
Immigration Statut de réfugié Appel d'un jugement de première instance annulant une décision de la Commission d'appel de l'immigration Le 15 janvier 1986, la Commis sion a procédé, en l'absence de l'intimé, au réexamen de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention La Commission a accepté de rouvrir l'audition après avoir été informée du fait qu'il n'y avait pas eu réception de l'avis d'audition, que le procureur avait agi sans instructions et que l'intimé avait projeté de témoigner La Commission a jugé que l'intimé était inadmissible en vertu de l'art. 2d)(i) du Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié qui prescrit qu'aucune audition ne doit avoir commencé avant le 21 mai 1986 Le juge de première instance a déclaré l'audition nulle pour violation des principes de justice natu- relle; aucune audition n'avait donc commencé Appel accueilli Il y a eu début d'une audition, même s'il y a lieu à réouverture en vertu des règles de justice naturelle Aucune disposition réglementaire ne rend l'avis d'audition nul faute d'adresse de la Commission sur la formule de demande Les notions de «nullité» et d'«annulabilité» s'appliquent aux actes juridiques et non aux faits.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Appel d'une ordonnance d'un juge de première instance annulant une décision de la Commission d'appel de l'immigration Le juge de première instance n'a pas compé- tence pour annuler une décision de la Commission Absence de référence dans la demande visant à faire annuler la décision de la Commission portant que l'intimé était inadmissible en vertu du Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié La décision de la Commission n'est sujette à révision que par la Cour d'appel fédérale conformément à l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale Appel accueilli.
Il s'agit en l'espèce d'un appel interjeté contre l'ordonnance du juge de première' instance annulant une décision de la Commission d'appel de l'immigration. L'intimé, citoyen du Sri Lanka, avait demandé à la Commission, en 1983, le réexamen de sa revendication du statut de réfugié. Une audition devait avoir lieu le 15 janvier 1986, mais l'intimé ayant déménagé plusieurs fois après le dépôt de sa demande, il n'a pas reçu d'avis à cet effet. Bien qu'il ait avisé la Commission canadienne de l'immigration de ses changements d'adresse, il n'en a pas informé la Commission d'appel, n'étant pas au fait des fonc- tions différentes des deux organismes. De plus, l'adresse de la Commission ne figurait pas dans l'espace prévue à cette fin sur
la formule imprimée de demande. L'intimé avait perdu contact avec son avocat qui, lui aussi, avait déménagé. Ce dernier ayant reçu l'avis d'audition, il a comparu devant la Commission qu'il a persuadée de procéder en l'absence de l'intimé. La Commis sion a rejeté la revendication de l'intimé, mais a par la suite accepté de rouvrir l'audition après avoir appris que l'intimé n'était pas au courant de l'instance, qu'il avait projeté de témoigner et que son procureur avait agi sans avoir reçu d'instructions. Entretemps, l'intimé avait été jugé inadmissible à la révision administrative prévue par le Règlement sur l'ar- riéré des revendications du statut de réfugié puisqu'il ne rem- plissait pas la condition, prescrite au sous-alinéa 2d)(i), exi- geant qu'il n'y ait pas eu devant la Commission, avant le 21 mai 1986, début de l'audition relativement au réexamen de la revendication du statut de réfugié. Le Règlement a été adopté après que la Cour suprême du Canada eut, dans l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, annulé la procédure de réexamen des revendications du statut de réfugié en vertu de laquelle des revendications pouvaient alors être rejetées sans que le revendicateur ait pu bénéficier d'une audi tion. Ce règlement visait au traitement prioritaire des revendi- cations de toutes les personnes qui n'avaient pas eu gain de cause selon l'ancien système et qui, étant encore au Canada, avaient le droit d'invoquer l'arrêt Singh. Par conséquent, ceux qui s'étaient vu accorder une audition permettant au tribunal de déterminer personnellement la crédibilité du revendicateur étaient exclus de ce processus. L'intimé a présenté devant la Section de première instance une requête en certiorari visant à faire annuler la décision décrétant son inadmissibilité. Le juge de première instance a conclu que l'audition n'avait pas satis- fait aux règles de justice naturelle et qu'elle était nulle. Vu l'absence d'audition, l'intimé n'était donc pas, pour le motif allégué, inadmissible au programme. Les appelants ont fait valoir que, même si la décision pouvait être annulable, il y avait eu début d'une audition. L'intimé a répliqué que pour qu'il y ait eu début d'une audition, cette dernière devait avoir été valide. Or la validité de l'audition supposait un avis en bonne et due forme, une présence physique et un procureur dûment mandaté. Selon l'intimé, le Règlement devait recevoir une interprétation restrictive, vu son caractère exhorbitant par rapport au proces- sus normal. La question en litige consistait à déterminer s'il n'y avait pu y avoir début d'audition parce que l'intimé n'avait pas reçu d'avis, que son procureur n'avait pas reçu d'instructions et que ce qui s'était passé n'équivalait pas à une audition au sens de l'arrêt Singh.
Arrêt (le juge Hugessen, J.C.A. dissident): Il devrait être fait droit à l'appel.
Le juge Marceau, J.C.A.: Le juge de première instance a commis une erreur en concluant qu'une audition n'avait pu commencer. La condition d'admissibilité n'était pas que l'audi- tion n'ait pas eu lieu, mais plutôt que l'audition n'ait pas commencé. Que l'audition ait été insuffisante, inadéquate ou incomplète n'implique pas qu'elle n'ait pas pu commencer. On ne saurait dire qu'une audition ne commence que si on la clôt valablement.
En décrétant la nullité de l'instance, le juge de première instance a appliqué à l'audition, un fait, des notions qui ne peuvent s'appliquer qu'à un acte juridique. La distinction entre nullité absolue et nullité relative ne vise que les actes juridiques et se rapporte à leurs effets sur le plan du droit. Un fait a eu lieu ou n'a pas eu lieu; s'il a eu lieu, certaines conséquences
peuvent s'y rattacher de par la loi, mais on ne peut l'effacer rétroactivement. Si, par exemple, la Commission avait procédé en l'absence de toute personne et sans aviser qui que ce soit, il n'y aurait eu alors qu'une pure apparence, qu'un pur simulacre d'audition.
En outre, le juge de première instance n'avait pas compé- tence pour annuler la décision de la Commission puisque la demande dont il était saisi ne se rapportait pas à cette décision et ne pouvait s'y rapporter, une décision de cette nature n'étant sujette à révision que devant la Cour d'appel fédérale, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. La décision de la Commission est toujours valide.
Le juge Desjardins, J.C.A.: Les règles ordinaires d'interpré- tation s'appliquent au Règlement puisque c'est le sens à accor- der à la disposition qui est en litige.
L'avis d'audition, prescrit par les règles mêmes de la Com mission, a été donné conformément à la loi. Aucune règle n'oblige la Commission, qui est un organisme public doté d'une adresse publique, à indiquer son adresse sur les formules qu'elle fournit, sous peine de voir son avis d'audition mis en péril dans l'hypothèse elle ne parviendrait pas à rejoindre une partie qui, malgré les avertissements reçus, a déménagé sans prévenir de son changement d'adresse.
Il y a eu début d'une audition, bien que les principes de justice naturelle en exigent la réouverture. Si un tribunal accepte de réentendre une requête en raison de circonstances exceptionnelles ayant causé l'absence d'une partie, ou s'il est appelé à annuler une décision antérieure en raison de la décou- verte de nouveaux éléments de preuve qui n'avaient pu être obtenus au moment du procès, on ne peut dire que l'instance antérieure n'a jamais eu lieu.
Le juge Hugessen, J.C.A. (dissident): Étant donné que la crédibilité de l'intimé était en litige et que celui-ci voulait témoigner mais n'a pu le faire sans faute de sa part, ce qui s'est produit le 15 janvier n'était pas une audition satisfaisant aux exigences de l'arrêt Singh et, partant, n'était pas une audition au sens du sous-alinéa 2d)(i).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52. Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié, DORS/86-701, art. 2d)(i).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 329, 330, 1733.
Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigra- tion (réfugié au sens de la Convention), DORS/81-420, Règles 2, 5, 22 (abrogées par DORS/89-103).
JURISPRUDENCE
DÉCISION INFIRMÉE:
Kuganeswaran c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1987), 3 Imm. L.R. (2d) 102; 13 F.T.R. 282 (C.F. l fe inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Al-Meh- dawi v. Secretary of State for the Home Dept, [1989] 3 All ER 843 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Bamrah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration), A-1011-88, C.A.F., juges Marceau, Hugessen et Desjardins, J.C.A. jugement encore inédit en date du 11-10-89; Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration) c. Chan, A-1123-87, C.A.F., juge Pratte, J.C.A. jugement encore inédit en date du 14-2-90; Wiswell et al. v. Metropolitan Corpn. of Greater Winnipeg, [1965] R.C.S. 512; (1965), 51 D.L.R. (2d) 754; 51 W.W.R. 513; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; (1979), 96 D.L.R. (3d) 14; [1979] 3 W.W.R. 676; 26 N.R. 364; Uddin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), T-1017-87, C.F. 1" inst., juge Daoust, jugement non publié en date du 2-12-88; Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 209; (1989), 64 D.L.R. (4th) 317; 104 N.R. 50 (C.A.); Gill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 2 C.F. 425; (1987), 27 Admin. L.R. 257; 27 C.R.R. 235; 80 N.R. 1 (C.A.); Willis c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), A-793-87, C.A.F., juge Reed, jugement non publié en date du 5-7-88.
DOCTRINE
Jones, David Phillip, et de Villars, Anne S. Principles of Administrative Law, Toronto: Carswell Co. Ltd., 1985.
AVOCATS:
J. LeVasseur pour les appelants. Joyce Yedid pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants.
Joyce Yedid, Montréal, pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: C'est une ordon- nance d'un juge de la Section de première instance [(1987), 3 Imm. L.R. (2d) 102] que l'appel ici attaque. Faisant droit à une requête pour l'émis- sion de divers brefs de prérogative présentée par
un immigrant revendicateur du statut de réfugié en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] («la Loi»), le juge, par son ordonnance, annulait une décision de la Commis sion d'appel de l'immigration et défendait au ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada, ainsi qu'à la Commission elle-même, d'entreprendre ou de poursuivre quelque procédure d'exécution que ce soit contre l'intimé. Pour faire ressortir le caractère tout à fait inusité de la situation créée par les procédures et bien mettre en lumière les problèmes que pose la décision atta- quée, il me faudra m'attarder quelque peu sur les principaux faits et les situer les uns par rapport aux autres avec une certaine précision. Les voici.
L'intimé, Selvadurai Kuganeswaran, un citoyen du Sri Lanka, est arrivé au Canada, le 10 novem- bre 1982, sans visa ni permis de séjour. Un arbitre procéda, dès le lendemain, à une enquête à son sujet conformément aux prescriptions de la Loi, mais au cours de cette enquête il revendiqua le statut de réfugié, ce qui força l'arbitre à ajourner sa conclusion pour permettre l'étude de la revendi- cation. La Loi, à ce moment, prévoyait qu'un revendicateur devait se soumettre à un interroga- toire sous serment sur la base duquel le ministre devait se prononcer: l'intimé fut interrogé le ler février 1983 et il fut informé de la décision défavo- rable du ministre le 13 juin suivant. La Loi pré- voyait aussi qu'un revendicateur refusé par le ministre pouvait demander un réexamen de sa revendication par la Commission d'appel de l'im- migration: l'intimé soumit sa demande de réexa- men le 27 juin 1983 en indiquant qu'il était repré- senté par un avocat du nom de Leclaire.
Au cours du mois de décembre 1985, la Com mission d'appel de l'immigration fixa au 15 janvier 1986 la date d'audition de la demande de réexa- men qu'avait soumise l'intimé, et elle lui en donna avis par courrier recommandé, selon les prescrip tions de ses règles de pratique, en même temps qu'elle en informait son avocat. Le 15 janvier, l'intimé n'était pas là, mais, son avocat et l'avocat du ministre étant tous deux prêts à procéder, la Commission procéda effectivement à l'audition. Des preuves documentaires furent déposées et des représentations soumises de part et d'autre, après quoi l'affaire fut prise en délibéré. Le 13 février
suivant, la Commission d'appel rendait jugement déterminant que M. Kuganeswaran n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
L'intimé ne fut informé de ce jugement de la Commission qu'en recevant, le 31 mars 1986, un avis de convocation pour la continuation de son enquête de départ du 11 novembre 1982, qui avait été suspendue pour permettre la vérification de sa prétention au statut de réfugié. Sa réaction fut simple et fort compréhensible. Guidé par un nou- veau procureur, il s'adressait à la Commission d'appel le 23 mai 1986 et lui demandait de réou- vrir l'audition de sa demande, faisant valoir qu'il n'avait jamais voulu que l'on procède en son absence et que, s'il ne s'était pas présenté, c'était uniquement parce que, à des changements d'adresses dont il croyait avoir donné avis suffi- sant, il n'avait jamais reçu d'avis de sa tenue, ni de la part de son procureur, avec qui, d'ailleurs, il n'avait pas été en communication depuis long- temps, ni de la part de la Commission elle-même. Le 23 décembre 1986, la Commission d'appel avi- sait M. Kuganeswaran qu'elle acceptait de réouvir la demande de réexamen de sa revendication et le conviait à une audition pour le 29 avril 1987.
Il arrive cependant qu'entre le dépôt de la demande de réouverture et son acceptation, soit le 26 juin 1986, le gouverneur général en conseil avait passé un Règlement sur l'arriéré des reven- dications du statut de réfugié, DORS/86-701, qui simplifiait considérablement et même appuyait sur des bases nouvelles l'admission au Canada avec droit d'établissement de certains revendicateurs du statut de réfugié. Le 10 mars 1987, le nouveau procureur de l'intimé s'adressait à la Commission de l'emploi et de l'immigration et réclamait pour son client le bénéfice de ce Règlement spécial du 26 juin 1986. La réponse lui fut donnée le 8 avril suivant, par lettre sous la signature de Louis Gre- nier, directeur: elle indiquait que M. Kuganeswa- ran n'était pas admissible au programme de révi- sion administrative mis en vigueur par le Règlement au motif qu'il ne satisfaisait pas à l'une des conditions stipulées au sous-alinéa 2d)(i) des dispositions réglementaires, soit celle voulant qu'aucune =audition [n'ait] débuté le 21 mai 1986 ou avant cette date devant la Commission relative- ment au réexamen de sa revendication du statut de réfugié».
C'est alors que le procureur de l'intimé fit requête devant la Section de première instance pour obtenir: a) un bref de certiorari cassant la décision du directeur Grenier; b) un bref de man- damus ordonnant au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de considérer le cas de M. Kuganes- waran dans le cadre du programme de révision administrative; et c) un bref de prohibition contre le ministre de l'Emploi et de l'Immigration afin d'empêcher toutes autres procédures à l'égard de M. Kuganeswaran, et contre la Commission d'ap- pel afin de l'empêcher de tenir l'audition prévue pour le 29 avril 1987. C'est l'ordonnance du juge faisant droit à cette requête qui est devant la Cour.
Voici comment le juge procède et raisonne dans ses motifs. Il expose d'abord les faits, en apprécie la portée et en tire deux constatations: d'une part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances, de repro- cher à M. Kuganeswaran d'avoir omis d'aviser la Commission d'appel elle-même de ses change- ments d'adresse; d'autre part, il n'y a pas lieu non plus de douter de l'affirmation de M. Kuganeswa- ran à l'effet que son procureur, qu'il n'avait pu rejoindre depuis plusieurs mois, était au courant de son désir d'être présent à l'audition pour pouvoir témoigner. De ces deux constatations de fait, le juge en vient aisément à la conclusion de droit à l'effet que l'audition du 15 janvier—à laquelle M. Kuganeswaran n'a pu assister et se faire entendre n'en ayant pas été avisé et il était représenté par un procureur mal informé et non autorisé à agir seul—n'en fut pas une susceptible de satisfaire aux règles de justice naturelle. Cette conclusion, pour le juge, est décisive puisqu'il est aujourd'hui acquis en jurisprudence qu'un manquement aux règles de justice naturelle emporte nullité absolue. Il n'y a donc pas eu d'audition, la décision de la Commis sion d'appel est nulle, et M. Kuganeswaran ne saurait se voir refuser accès au programme spécial au motif invoqué, bien qu'à ce stade il ne soit pas encore possible d'ordonner son admission, la preuve qu'il remplit les autres conditions d'admis- sibilité n'ayant pas été fournie.
Cette décision du juge de première instance est-elle valable et doit-elle être approuvée? Je dois dire avec égards que tel n'est pas mon avis. Non pas que j'aie quelque difficulté avec les constata- tions de faits du juge, et que m'apparaîtrait insou- tenable la conclusion qu'il en tire à l'effet que
l'audition du 15 janvier n'a pu satisfaire aux règles de justice naturelle. Mais je ne crois pas qu'à partir de le juge pouvait disposer de la requête comme il l'a fait.
Il n'y a aucun doute d'abord que le juge ne pouvait prononcer un jugement d'annulation visant la décision de la Commission d'appel. La demande qui était devant lui ne se rapportait pas à cette décision et ne pouvait d'ailleurs s'y rapporter, une décision de cette nature n'étant sujette à révision que devant la Section d'appel de la Cour fédérale, en vertu de l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] de sa Loi constitutive. Mais, dira-t-on, ne doit-on pas penser qu'il y a simplement eu erreur de désignation de la décision visée? Peut-être, mais alors la décision de la Com mission d'appel est toujours en vigueur et doit être tenue pour valable; or il s'agit d'une décision qui, aux termes mêmes de la Loi sur laquelle elle se fonde, ne peut être rendue qu'à la suite d'une audition. On voit mal comment un autre tribunal pourrait lui adjoindre une décision qui, contredi- sant ce qu'elle présuppose, ordonnerait à un offi- cier public tout simplement d'en ignorer le sens et la portée.
Mais mon objection ne se limite pas à cette question initiale de juridiction; elle rejoint le rai- sonnement même du juge sur le problème de fond et ainsi l'ensemble de ses dispositions.
Je crois, d'une part, que le juge n'a pas suffisam- ment tenu compte de ce que la condition d'admis- sibilité dont il s'agissait de vérifier la présence n'est pas que l'audition n'ait pas encore eu lieu mais plutôt que l'audition n'ait pas encore com- mencé, en d'autres termes, n'ait pas encore été mise en marche. J'ai dit déjà accepter la conclu sion du juge à l'effet que l'audition du 15 janvier n'était pas susceptible de satisfaire aux prescrip tions des règles de justice naturelle. Valablement saisie d'une demande d'examen, cette Cour aurait possiblement annulé la décision de la Commission d'appel et celle-ci a été sage de consentir à la demande de réouverture, car son refus n'aurait probablement pas plus résisté à une attaque sous l'article 28 que le refus qu'elle avait opposé dans un cas analogue dans l'affaire Bamrah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), numéro A-1011-88, non encore publié, dont le jugement fut prononcé le 11 octobre 1989. Mais
que l'audition ait été insuffisante, inadéquate ou incomplète n'implique pas qu'elle n'ait pas pu commmencer. On ne saurait évidemment dire qu'une audition ne commence que si on la clôt valablement.
Je crois, d'autre part, que le juge a erronément appliqué à l'audition du 15 janvier, soit à un fait, un processus, un événement matériel, des notions qui ne peuvent s'appliquer qu'à un acte juridique comme, par exemple, la décision de la Commission d'appel. La distinction entre nullité absolue et nullité relative ne vise que les actes juridiques et se rapporte à leurs effets sur le plan du droit. Un fait a eu lieu ou n'a pas eu lieu; s'il a eu lieu, on peut lui reconnaître certaines conséquences que lui rat- tache la loi mais on ne peut l'annuler et le faire disparaître rétroactivement. Si l'on pouvait dire que ce qui s'est passé devant la Commission d'ap- pel le 15 janvier ne pouvait nullement constituer une audition ou une partie d'audition; si, par exemple, on avait procédé en présence de personne et sans aviser qui que ce soit, il faudrait là, bien sûr, parler d'une pure apparence, d'un pur simula- cre d'audition, le fait lui-même n'ayant jamais existé. Mais ce n'est certes pas le cas: les avis d'audition avaient été régulièrement donnés; les parties étaient représentées (Me Leclaire était l'avocat au dossier, et son mandat, peu importe son étendue, n'avait pas été retiré); des preuves docu- mentaires furent déposées; des représentations furent faites de part et d'autre. On ne peut certes pas parler de simple simulacre d'audition au seul motif que l'intimé n'était pas lui-même physique- ment présent; et tout ça, il me semble, ne peut disparaître rétroactivement par jugement d'annu- lation.
Bref, à partir de la seule constatation que l'audi- tion tenue le 15 janvier n'avait pu satisfaire aux règles de justice naturelle et que la décision de la Commission était en conséquence irrégulière, le juge, à mon avis, que j'exprime, je le répète, avec égards, ne pouvait en déduire qu'une audition n'avait pas débuté aux fins de l'admissibilité au programme de révision administrative prévue au Règlement. (Comp. avec le jugement de cette Cour dans Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chan, A-1123-87, prononcé le 14 février 1990, non encore publié.)
Je maintiendrais donc l'appel avec dépens et casserais l'ordonnance du juge qui a annulé la décision de la Commission d'appel et défendu au ministre et à la Commission d'intenter quelque procédure d'exécution que ce soit contre M. Kuganeswaran.
L'intimé s'était lui-même porté contre-appelant pour contester le refus du juge d'accéder à tous les items de sa requête. Naturellement, ce contre- appel ne peut qu'être rejeté, mais comme le procu- reur n'y a pas insisté à l'audition, il devrait, je pense, être rejeté sans frais.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A. (dissident): J'ai eu l'avantage de lire les motifs du jugement préparés par ma collègue, le juge Desjardins, J.C.A. Mal- heureusement, il m'est impossible de souscrire à son avis.
Il est inutile de répéter les faits qui ont été énoncés en détail par le juge Desjardins, J.C.A. Toutefois, je tiens à souligner deux points qui ne ressortent peut-être pas clairement de la lecture de ses motifs.
En premier lieu, la question dont la Commission d'appel de l'immigration était saisie se rapportait clairement au degré de crédibilité à accorder aux histoires de détention et de torture dont l'intimé aurait fait l'objet au Sri Lanka. La décision défa- vorable du ministre en ce qui concerne la revendi- cation initiale du statut de réfugié est ainsi libellé:
[TRADUCTION] Les allégations que vous avez faites, à savoir que vous avez été torturé pendant que vous étiez détenu en 1979 et en 1980, semblent être exagérées, compte tenu du rôle secondaire que vous avez eu dans les activités de propagande et dans les manifestations du TULF. Vous avez également fourni des renseignements insuffisants à l'appui des allégations concer- nant les mauvais traitements dont plusieurs membres de votre famille auraient été victimes. Il est en outre difficile de croire que vous ayez pu participer à des activités politiques peu de temps avant votre départ et que vous ayez malgré tout réussi à obtenir votre passeport en quelques jours. (Annexe au mémoire, page 4)
Le second point porte sur l'omission par la Commission d'envoyer un avis d'audition à l'in- timé, comme ses propres règles l'obligeaient à le faire. Selon les appelants, l'intimé était fautif car il avait omis d'aviser la Commission de plusieurs
changements d'adresse. Toutefois, à mon avis, et indépendamment de la conclusion tirée par le juge de première instance, soit que l'intimé n'était pas fautif, Immigration Canada et la Commission ne sont ni l'une ni l'autre exemptes de blâme à cet égard. Il est clair, et c'est ce que le juge de première instance a conclu, que l'intimé a avisé Immigration Canada chaque fois qu'il changeait d'adresse. À l'audition devant la Commission tenue le 15 janvier 1986, Immigration Canada était présente; elle était représentée par Harry Langston. Il a été question des difficultés auxquel- les elle avait fait face lorsqu'il s'était agi de com- muniquer avec l'intimé, mais M. Langston n'a jamais voulu fournir de son plein gré les renseigne- ments cruciaux que lui seul semblait posséder, à savoir l'adresse de l'intimé à ce moment-là'. La Commission elle aussi a contribué au problème; l'inscription suivante figure au bas de la formule imprimée de demande de réexamen qu'elle a fournie:
[TRADUCTION] VEUILLEZ SIGNALER TOUT CHANGE- MENT D'ADRESSE AU GREFFIER DE LA COMMIS
SION D'APPEL DE L'IMMIGRATION AU (Annexe au dossier, page 6)
Les espaces laissés en blanc n'ont pas été rem- plis et il est difficile de savoir ce que l'intimé aurait pu faire, si ce n'est informer Immigration Canada comme il l'a fait.
La question stricte à trancher en l'espèce est celle de savoir si ce qui est arrivé le 15 janvier 1986 devant la Commission d'appel de l'immigra- tion suffisait pour constituer une audition, de façon que l'intimé ne soit pas considéré comme un «revendicateur» au sens du sous-alinéa 2d)(i) du Règlement:
2....
«revendicateur» Toute personne revendiquant le statut de réfu- gié, dont le cas fait partie de l'arriéré et qui répond aux conditions suivantes:
d) elle n'est pas une personne:
(i) au sujet de qui une audition a débuté le 21 mai 1986 ou avant cette date devant la Commission relativement au
réexamen de sa revendication du statut de réfugiée .. .
' En fait, le 25 mars 1986, peu de temps après que la Commission d'appel eut rendu sa décision, Immigration Canada a écrit à l'intimé à la bonne adresse.
2 Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié, DORS/86-701, 26 juin 1986.
À mon avis, pour bien répondre à cette question, il faut comprendre le contexte dans lequel le Règlement a été adopté. L'arrêt qui fait autorité à ce sujet est l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, rendu par la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, l'élément primordial de la procédure de réexamen des revendications du statut de réfu- gié alors en vigueur a été annulé pour le motif qu'il allait à l'encontre des valeurs énoncées dans la Charte. Cette incompatibilité résultait principale- ment du fait que, selon le système, des revendica- tions pouvaient finalement être rejetées sans que le revendicateur ait bénéficié d'une audition. A cet égard, le juge Wilson a dit ceci:
Je ferai cependant remarquer que, même si les auditions fondées sur des observations écrites sont compatibles avec les principes de justice fondamentale pour certaines fins, elles ne donnent pas satisfaction dans tous les cas. Je pense en particu- lier que, lorsqu'une question importante de crédibilité est en cause, la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d'audition. Les cours d'appel sont bien conscientes de la faiblesse inhérente des transcriptions lorsque des questions de crédibilité sont en jeu et elles sont donc très peu disposées à réviser les conclusions des tribunaux qui ont eu l'avantage d'entendre les témoins en personne: voir l'arrêt Stein
c. Le navire Kathy« K», [1976] 2 R.C.S. 802, aux p. 806 à 808 (le juge Ritchie). Je puis difficilement concevoir une situation un tribunal peut se conformer à la justice fondamentale en tirant, uniquement à partir d'observations écrites, des conclu sions importantes en matière de crédibilité'. [C'est moi qui souligne.]
Par suite de l'arrêt Singh, plusieurs milliers de revendicateurs ont eu droit à une audition, droit qui leur était antérieurement nié. La Commission a été inondée de demandes qui ont épuisé ses ressources matérielles. Le Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié visait au traitement prioritaire des revendications de toutes les personnes qui n'avaient pas eu gain de cause selon l'ancien système et qui, étant encore au Canada, avaient le droit d'invoquer l'arrêt Singh. Dans ces circonstances, il n'était que naturel d'ex- clure les personnes qui, même dans l'ancien sys- tème, s'étaient vu accorder une audition satisfai- sant aux exigences établies par la Cour. Bien sûr, cela voulait dire qu'il fallait tenir une audition permettant au besoin au tribunal de déterminer personnellement la crédibilité du revendicateur.
Singh et autres (précité) aux p. 213 et 214.
En l'espèce, la crédibilité de l'intimé était claire- ment en litige. Celui-ci n'a jamais été avisé de la tenue de l'audition du 15 janvier 1986, bien que la Règle 22(1) 4 prévoie expressément la signification d'un avis. L'intimé voulait assister à l'audition et il ne l'a pas fait, il voulait témoigner et il ne l'a pas fait, et ce, sans que la chose soit attribuable à sa faute. Dans ces circonstances, il me semble que, quoi qu'il se soit produit le 15 janvier, il ne s'agis- sait pas d'une audition satisfaisant aux exigences énoncées dans l'arrêt Singh.
Il est inutile d'examiner ici la question d'une renonciation possible au droit que possède le requérant à la tenue d'une audition. Le juge de première instance a conclu que l'intimé n'avait pas renoncé à ce droit et que son avocat, en agissant «de son propre chef» avait excédé son mandats. Il n'est pas nécessaire non plus de déterminer si ce qui est arrivé le 15 janvier 1986 était nul ou simplement annulable; il suffit de dire que, dans le contexte du Règlement sur l'arriéré des revendica- tions du statut de réfugié, il ne s'agissait pas d'une «audition» au sens du sous-alinéa 2d)(i) de la définition de l'expression «revendicateur».
Je rejetterais l'appel, mais je corrigerais l'erreur qui a été commise dans le jugement de première instance, il est question de la décision rendue par la Commission le 13 mars 1986, plutôt que de la décision d'Immigration Canada en date du 8 avril 1987, dans laquelle il a été conclu que l'in- timé n'était pas admissible à la révision adminis trative.
* * *
Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigration (réfugié au sens de la Convention) DORS/81-420. (Révoquées depuis lors [DORS/89-103]).
5 Cette conclusion, toutefois, ne veut pas dire qu'il s'agit ici d'un cas les problèmes de l'intimé sont attribuables à la négligence de son avocat, comme c'était le cas dans l'affaire Al-Mehdawi v Secretary of State for the Home Dept, [ 1989] 3 All ER 843, la Chambre des lords a récemment rendu jugement. En l'espèce, il est clair que la Commission a décidé de procéder, et ce, avec ou sans la participation de l'avocat. Elle a fixé la date d'audition «péremptoirement» malgré son omis sion de donner un avis comme le prévoyaient ses propres règles et l'omission d'Immigration Canada de révéler qu'elle connais- sait l'adresse de l'intimé. Dans ces conditions, les agissements de l'avocat n'ont pas grand-chose à voir avec le déni de justice qui a été commis.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: L'intimé prétend avoir droit à ce que sa demande de statut de réfugié soit traitée en vertu du Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié'. Ce que nient les appelants.
Nous sommes saisis d'un appel interjeté à l'en- contre de l'ordonnance du juge Rouleau, en date du 12 juin 1987, lequel, sur requête de l'intimé en certiorari, en prohibition et en mandamus, a accordé le certiorari annulant la décision de la Commission d'appel de l'immigration («la Com mission») en date du 13 février 1986, prononcé l'ordonnance de prohibition demandée et rejeté la requête en mandamus. Un appel incident a été formé contre le refus du juge de première instance d'accorder le mandamus, mais on n'y a pas donné suite devant cette Cour.
Le litige porte en l'espèce sur la question de savoir si le juge de première instance a eu raison de conclure que l'intimé respecte les exigences du sous-alinéa 2d)(i) du Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié en ce qu'il «n'est pas une personne au sujet de qui une audi tion a débuté le 21 mai 1986 ou avant cette date devant la Commission relativement au réexamen de sa revendication du statut de réfugié»'.
Voici les faits, tels que les a résumés le juge de première instance':
Le requérant, citoyen du Sri Lanka, est arrivé au Canada le 10 novembre 1982 et a immédiatement revendiqué le statut de réfugié à son port d'arrivée, l'aéroport de Mirabel. La date de l'enquête a été fixée au 11 novembre 1982, et le requérant y a
6 DORS/86-701, 26 juin 1986.
' Le sous-alinéa 2d)(i) du Règlement sur l'arriéré des reven-
dications du statut de réfugié édicte:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent au présent
Règlement.
«revendicateur» Toute personne revendiquant le statut de réfugié, dont le cas fait partie de l'arriéré et qui répond aux conditions suivantes:
d) elle n'est pas une personne:
(i) au sujet de qui une audition a débuté le 21 mai 1986
ou avant cette date devant la Commission relativement au
réexamen de sa revendication du statut de réfugié ...
8 Aux p. 104 à 106.
encore une fois revendiqué le statut de réfugié. L'arbitre a ajourné l'enquête en vertu du paragraphe 45(1) de la Loi sur l'immigration, S.C. 1976-77, chap. 52 et ses modifications, et imposé certaines conditions au requérant en vertu de l'article 104 de cette Loi. Le ler février 1983, le requérant a subi un interrogatoire sous serment relativement à sa revendication devant un agent supérieur de l'immigration, en vertu du para- graphe 45(1) de la Loi. Par la suite, la revendication du requérant, ainsi qu'une transcription de l'interrogatoire sous serment, a été déférée au ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion. Dans une lettre datée du 27 avril 1983, le requérant a été informé de la décision du ministre selon laquelle il n'était pas un réfugié au sens de la Convention, selon la définition conte- nue au paragraphe 2(1) de la Loi.
Sur réception de cette décision, le requérant s'est rendu au cabinet de son avocat, Me Gérard Therrien; celui-ci l'a informé qu'il n'était pas en mesure de le représenter et l'a déféré à un autre avocat du même cabinet, Me Michel Leclaire. Le requé- rant voulait retenir les services d'un avocat afin d'obtenir de l'aide pour remplir une demande de réexamen d'une revendica- tion du statut de réfugié au sens de la Convention. Lors de la rencontre initiale entre le requérant et son avocat, Me Leclaire, l'adresse de ce dernier était le 7244, rue Saint-Denis, à Mont- réal. Le 27 juin 1983, le requérant s'est rendu à nouveau au cabinet de Me Leclaire pour signer sa demande et la déclaration assermentée. Ce rendez-vous a eu lieu au cabinet de Me Leclaire qui se trouvait alors au 5846, 2e Avenue, à Rosemont. Sur les deux documents que le requérant a signés lors de ce rendez-vous, il donne comme adresse le 1240, rue du Fort, à Montréal. Le requérant a informé Me Leclaire que son adresse actuelle était le 5555, rue Hutchinson, appartement 102, à Montréal, et on lui aurait apparemment dit que le changement serait fait.
Par la suite, le requérant a emménagé au 6585, avenue du Parc, appartement 26, à Montréal. Il a informé la Commission canadienne de l'immigration de ce changement d'adresse et s'est également rendu au cabinet de son avocat pour l'en informer. Toutefois, le requérant n'a pas informé la Commis sion d'appel de l'immigration de sa nouvelle adresse, puisqu'il avait l'impression que son avocat le ferait et que l'avis de changement d'adresse donné à la Commission canadienne de l'immigration suffirait. C'est à la Commission qu'on avait ordonné au requérant de signaler un tel changement. Par la suite, l'appelant s'est installé au 1180, rue du Fort, à Montréal, et il a encore une fois informé la Commission canadienne de l'immigration de son changement d'adresse. Il a tenté d'infor- mer son avocat, Me Leclaire, de sa nouvelle adresse, mais en se rendant au cabinet de ce dernier, il a découvert que son procureur avait déménagé; le requérant n'avait pas reçu d'avis de changement d'adresse de son avocat et il n'a pu retrouver Me Leclaire. Bien qu'il ait rempli un avis de changement d'adresse qu'il a laissé au bureau de poste pour que tout son courrier soit acheminé à sa nouvelle adresse, le requérant n'a reçu aucune communication de Me Leclaire.
En 1986, le requérant est encore déménagé pour s'installer au 7171, rue Châteaubriand, appartement 29, à Montréal. Il a encore une fois informé la Commission canadienne de l'immi- gration de ce changement, mais, incapable de retrouver Me Leclaire, le requérant a pris des mesures pour retenir les services d'un autre avocat.
Entretemps, une audience devait avoir lieu devant la Com mission d'appel de l'immigration au sujet de la demande de réexamen d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du requérant. L'audience était fixée au 15 janvier 1986. Bien qu'un avis d'audience ait apparemment été envoyé au requérant en décembre 1985, ce dernier ne l'a jamais reçu et n'a jamais été mis au courant de la date de l'audience par son avocat d'alors, Me Leclaire.
Le requérant s'est aperçu que quelque chose n'allait pas lorsqu'il a reçu une lettre de la Commission canadienne de l'immigration en date du 25 mars 1986 contenant le passage suivant:
[TRADUCTION] Suite à la décision défavorable de la Com mission d'appel de l'immigration relativement à votre demande de réexamen du statut de réfugié au sens de la Convention, vous devrez vous présenter au Centre d'immi- gration du Canada ... pour que votre enquête suive son cours.
La lettre était accompagnée d'une copie de la décision de la Commission d'appel de l'immigration. Suite à une enquête, on a découvert que Me Leclaire avait assisté à l'audience du 15 janvier 1986 et avait demandé à la Commission et obtenu l'autorisation de procéder en l'absence du requérant. En fonc- tion de la preuve et des documents présentés par Me Leclaire, la Commission a rendu sa décision le 13 février 1986.
Le 23 mai 1986, l'intimé a produit à la Commis sion une requête en réouverture 9 . Dans son affida vit, il explique qu'au cours de la période en cause, il a informé régulièrement la Commission cana- dienne de l'immigration et le bureau de poste de ses changements d'adresse. Il ajoute qu'il a com- muniqué avec son avocat, en pensant que celui-ci effectuerait lesdits changements d'adresse auprès de la Commission, qu'à un certain moment il a perdu la trace de son procureur et qu'il était à la recherche d'un nouvel avocat lorsqu'il a été avisé de la décision de la Commission de rejeter sa demande de réexamen. Il déclare qu'il n'était pas au courant de l'instance qui s'est déroulée le 15 janvier 1986, qu'il avait projeté de témoigner à l'audition et que son procureur a agi sans avoir reçu d'instructions. La Commission a accueilli la requête le 23 décembre 1986 10 . La date de l'audi- tion a été fixée au 29 avril 1987 11 .
Le 10 mars 1987, le nouveau procureur de l'in- timé a demandé que la demande de son client soit traitée sous le régime des dispositions du Règle- ment sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié. Voici la réponse qu'a faite, le 8 avril 1987,
9 Dossier d'appel, annexe I, à la p. 49.
10 Dossier d'appel, annexe I, à la p. 41.
11 Dossier d'appel, annexe I, à la p. 70.
M. Louis Grenier, directeur de la Commission canadienne de l'immigration, à Galt 12 :
Je désire confirmer par la présente que M. Selvadurai Kuganes- waran n'est pas éligible à la révision administrative puisque l'audition de la demande de réexamen de sa revendication a débuté devant la Commission avant le 21 mai 1986, tel que stipulé à l'article 2d) (i) du Règlement concernant l'arriéré des revendications au statut de réfugié.
L'audition de la demande de réexamen de votre client a eu lieu le 15 janvier 1986. Le fait que la CAI ait maintenant accédé à votre requête ne signifie pas qu'il n'y ait pas eu d'audition, mais que la CAI consent à ouvrir de nouveau l'audition qui a déjà eu lieu.
L'intimé a fait valoir devant le juge de première instance que, puisqu'il n'avait pas reçu d'avis de l'audition du 15 janvier 1986, qu'il n'avait pas assisté à celle-ci et qu'il n'avait pas autorisé son avocat à le représenter en son absence, il ne pou- vait y avoir eu début d'audition au sens du sous- alinéa 2d)(i) du Règlement sur l'arriéré des reven- dications du statut de réfugié. Pour leur part, les appelants ont soutenu qu'il y avait eu audition, que le requérant avait été entendu par l'entremise de son avocat devant un tribunal dûment constitué, les documents pertinents ayant été versés au dos sier et la preuve soumise. Le fait que l'avocat de l'intimé n'ait pas reçu mandat d'agir en l'absence de ce dernier n'a donc pas empêché qu'il y ait eu début d'une audition.
Le juge de première instance a déclaré qu'en vertu des Règles de 1981 de la Commission d'ap- pel de l'immigration (Réfugié au sens de la Convention)", l'avis d'audition devait être signifié à la partie ainsi qu'à son procureur 14 . Il a ajouté que ces exigences en matière d'avis visaient à permettre à une personne de savoir comment ses droits risquent d'être touchés, et de se préparer à présenter des arguments. L'insuffisance ou l'ab- sence d'avis rendrait les actes de l'organisme déci- sionnel nuls. L'arrêt Wiswell et al v. Metropolitan Corpn. of Greater Winnipeg 15 a été cité. Aucune
12 Dossier d'appel, annexe I, à la p. 58. " DORS/81-420, 28 mai 1981.
14 Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigra- tion (Réfugié au sens de la Convention):
22. (1) Lorsque la Commission permet à une demande de suivre son cours, le greffier doit signifier aux parties et à leur conseil les dates et lieu de l'audition.
(2) La date de l'audition d'une demande doit suivre d'au moins quinze jours la date de signification visée au paragra- phe (I).
15 [1965] R.C.S. 512.
partie, de l'avis du juge de première instance, ne pourrait exposer sa cause sans savoir ce qui pour- rait être dit contre elle. Il a ajouté qu'il ne suffisait toutefois pas de connaître simplement la preuve qui sera présentée, la possibilité de présenter son point de vue étant également essentielle. Ces con ditions n'ont pas été réalisées en l'espèce, étant donné l'impossibilité de signifier l'avis et le fait que le procureur qui a représenté l'intimé devant la Commission n'avait pas reçu de directives à cet égard. Le juge de première instance a ainsi poursuivi 16 :
Si j'applique ces principes de justice naturelle à l'espèce, je suis d'avis que le requérant n'a pas bénéficié d'une audition comme l'exigent les Règles de la Commission d'appel de l'immigration. Premièrement, ces règles établissent clairement qu'un avis de l'heure et de l'endroit de l'audition soit signifié à la partie visée ainsi qu'à son procureur. La signification de l'avis au seul procureur du requérant ne suffit pas. Il est difficile de comprendre exactement pourquoi la Commission d'appel de l'immigration n'a pas pu signifier l'avis au requé- rant. Assurément, la Commission canadienne de l'immigration était, pendant toute l'époque en cause, au courant des allées et venues du requérant, puisque ce dernier a signalé avec diligence tous ses changements d'adresse à cet organisme. Je ne puis trouver aucune faute dans la conduite du requérant à cet égard. Deuxièmement, bien que le paragraphe 23(1) des Règles per- mette à une partie d'être représentée par avocat lors de l'audi- tion d'une demande, cette représentation signifie, à mon avis, que le procureur agit selon les instructions de son client et non de son propre chef. À titre de procureur, Me Leclaire a outrepassé l'étendue de ses fonctions en représentant le requé- rant à l'audition de réexamen. La preuve établit clairement qu'il n'avait pas reçu de directives à cet égard du requérant, lequel était en fait à la recherche d'un autre avocat puisqu'il avait été incapable de communiquer avec Me Leclaire. Ce qui vicie encore plus toute l'affaire, c'est que Me Leclaire connais- sait très peu le requérant et ignorait que ce dernier voulait témoigner à l'audition et faire entendre des témoins, comme il en avait le droit en vertu des Règles.
Le juge de première instance a conclu que ce qui s'était passé devant la Commission le 15 janvier 1986 n'était pas une audition au sens des Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigra- tion (réfugié au sens de la Convention) ni, en conséquence, une audition au sens du sous-alinéa 2d)(i) du Règlement sur l'arriéré des revendica- tions du statut de réfugié.
Les appelants soutiennent que le juge de pre- mière instance ne pouvait, dans son ordonnance, annuler la décision de la Commission en date du 13 février 1986, puisque la décision en cause
16 Aux p. 110 et 111.
était celle de M. Louis Grenier, de la Commission canadienne de l'immigration, en date du 8 avril 1987, refusant que la demande soit traitée en vertu des dispositions du Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié. Ce point a été admis par l'intimé. Mais plus important encore, les appelants prétendent que la question en litige en l'espèce, aux fins de décider si «une audition a débuté le 21 mai 1986 ou avant cette date» comme le prévoit le sous-alinéa 2d)(i) du Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié, n'est pas la validité de la décision à laquelle en est arrivée la Commission le 13 février 1986, mais bien l'existence de l'instance qui s'est déroulée le 15 janvier 1986. La décision est peut-être annula- ble s'il y a eu non-respect des principes de justice naturelle ", mais il y a eu néanmoins début d'une audition.
L'intimé fait valoir que, pour qu'il y ait eu début d'une audition, cette dernière doit avoir été valide. Devraient donc s'y retrouver les éléments essentiels suivants: un avis en bonne et due forme, une présence physique et un procureur dûment man- daté. L'avis a pour but de permettre à la personne dont les droits sont touchés de comparaître en personne, d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, de préparer sa cause, d'assigner des témoins, de préparer des observations, etc. Sa pré- sence physique était essentielle à la tenue de l'au- dition puisque, suivant la décision du ministre en date du 27 avril 1983, sa crédibilité était en jeu. Aucune «audition» ne pouvait donc être tenue sans que le requérant puisse se faire entendre'$. Or, aucune preuve ne permet d'établir que le procu- reur de l'intimé, qui le représentait en 1983 au moment de la demande de réexamen, détenait toujours un mandat en 1986 devant la Commis sion. Si ce qui s'est passé le 15 janvier 1986 n'était donc pas valide, rien n'a pu «débuté[r]». Qui plus est, affirme l'intimé, l'audition du 15 janvier 1986 est non seulement annulable, mais nulle en raison de la sévérité de la peine 19 .
' 7 Comme l'a établi l'arrêt Harelkin c. Université de Regina,
[1979] 2 R.C.S. 561, à la p. 585.
' 8 En sens contraire le procureur a cité Uddin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), T-1017-87 (C.F. 1`e inst.) non publié et Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chan, A-1123-87 (C.A.F.) précité.
19 On a cité Jones et de Villars, Principles of Administrative
Law (Toronto: Carswell, 1985), à la p. 193.
Le Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié a été rendu public le 21 mai 1986 et son entrée en vigueur a suivi peu après. Il était censé accélérer le traitement d'un important arriéré de revendications du statut de réfugié qu'on appréhendait à la suite de l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration 20 rendu par la Cour suprême du Canada. Ce Règlement permet de fait aux personnes visées (définies comme étant des «revendicateur[s]») d'être exemp- tées de la plupart des conditions habituelles d'ad- mission au Canada à titre d'immigrants, pourvu qu'elles satisfassent à certains critères précis en vertu desquels un agent d'immigration peut con- clure qu'elles sont «susceptibles de pouvoir s'établir avec succès au Canada». Les appelants nous invitent à donner à ce Règlement une interpréta- tion restrictive, vu son caractère exorbitant par rapport au processus normal. Sur ce point, je conclus que les règles ordinaires d'interprétation s'appliquent puisque la question dont nous sommes saisis est celle du sens à accorder à la disposition.
Il ressort de la transcription des débats qui se sont tenus devant la Commission que l'intimé n'avait pu être rejoint, qu'on avait éprouvé des difficultés à contacter son procureur mais que ce dernier avait reçu, le 16 décembre 1985, avis qu'une audition serait tenue péremptoirement le 15 janvier 1986. Ce jour-là, il a informé la Com mission qu'il avait été incapable de communiquer avec son client, invoquant un changement probable d'adresse. Il a indiqué que le seul témoin qu'il avait l'intention de citer était son client mais que, vu son absence, il se servirait de l'affidavit produit au dossier et soumettrait une preuve documentaire. Il a persuadé la Commission de procéder en disant 21 :
Alors que mon client soit présent ou non, il est actuellement représenté par un avocat dûment—qui a l'autorisation de repré- senter des clients devant une Commission d'appel et mon confrère savait aussi de par l'affidavit que le seul témoin qui serait entendu possiblement serait mon client. Alors je pense que la Commission a le droit de rendre une décision unique- ment sur la déclaration assermentée et sur les documents soumis aujourd'hui devant vous, même si mon client est absent, étant donné qu'il est représenté par avocat.
C'est après avoir, grâce à un affidavit produit à l'appui de la requête de l'intimé, pris connaissance de faits nouveaux, que la Commission a accepté de
20 [1985] 1 R.C.S. 177.
2' Dossier d'appel, à la p. 24.
rouvrir l'audition. Les principes de justice natu- relle, ainsi que l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] l'auraient d'ailleurs empêchée d'exercer autrement son pou- voir discrétionnaire 22 . La Commission est donc sur le point de donner à l'intimé l'occasion d'exercer tous ses droits constitutionnels. Mais, et c'est la question en litige en l'espèce, peut-on dire qu'une audition n'a jamais commencé le 15 janvier 1986, vu que l'intimé n'a pas été rejoint, que celui qui a pris la parole l'a fait sans mandat, et que ce qui s'est passé ce jour-là n'équivalait pas à une audi tion complète au sens de l'arrêt Singh?
En vertu de la Règle 22 des Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigration (Réfugié au sens de la Convention), avis des dates et lieu de l'audition doit être signifié «aux parties». Dans ses motifs de jugement, le juge Hugessen, J.C.A. fait remarquer que la Commission n'est pas à l'abri de tout reproche en ce qui concerne son incapacité de rejoindre l'intimé. Le juge renvoie en particulier à une note portant la mention «Important», qui appa- raît au bas de la formule imprimée de demande de réexamen fournie par la Commission. On y avise le requérant de veiller à prévenir le greffier de la Commission de tout changement d'adresse, sans toutefois indiquer l'adresse de la Commission. Plus loin dans ses motifs, le juge Hugessen, J.C.A. parle «du défaut de la Commission de donner avis con- formément à ses propres règles».
Cette lacune dans la formule de la Commission est malheureuse, étant donné que l'intimé a indi- qué, dans l'affidavit à l'appui de sa requête en vue de faire rouvrir sa demande de réexamen, qu'il avait traité avec Immigration Canada, et que la différence entre les responsabilités de la Commis sion d'appel de l'immigration et celles de la Com mission de l'immigration lui avait échappé 23 . L'ex-
22 Voir Bamrah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), A-1011-88, 11 octobre 1989 (C.A.F.) les faits invoqués à l'appui de la requête en réouverture d'audition sont très semblables à ceux de l'espèce. Pour un autre exemple de requête en réouverture, cette fois à l'égard de la décision d'un arbitre, voir Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 209 (C.A.). Voir également Gill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 2 C.F. 425 (C.A.).
plication de l'intimé, liée à l'ignorance de la loi, milite en faveur de la réouverture de l'audition par la Commission dans l'exercice de son pouvoir dis- crétionnaire. Des commentaires semblables con- cernant la formule de la Commission ont été faits par un membre dissident de la Commission d'appel de l'immigration dans la décision Bamrah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) 24 , confirmé ultérieurement par la présente Cour pour des motifs différents 25 . La question qui se pose en l'espèce, toutefois, est celle de la conformité à une prescription de la loi. La Commission s'est fiée à l'adresse figurant au dossier 26 . On ne m'a cité aucune règle, et à ma connaissance il n'en existe aucune, obligeant une commission, qui est un organisme public doté d'une adresse publique, à indiquer son adresse sur les formules qu'elle met à la disposition du public, sous peine de voir son avis d'audition mis en péril dans l'hypothèse elle ne parviendrait pas à contacter une partie qui, malgré les avertissements reçus, a déménagé sans prévenir de son change- ment d'adresse. L'avis d'audition a été, à mon avis, donné conformément à la loi. Pour cette raison, les expressions «nul» et «annulable», qu'on retrouve dans les espèces il y avait eu faute de la part des commissions en cause, ne sont d'aucune utilité quant à la qualification de la décision du 13 février 1986. De plus, le fait que le procureur de l'intimé ait peut-être adopté une attitude présomptueuse
23 Dossier d'appel, annexe, aux p. 14 et 15.
24 M87-1708X, 20 septembre 1988.
25 Voir note 22.
26 La Règle 5 des Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigration (réfugié au sens de la Convention) dispose: 5. La signification des documents ou avis prévue par ces règles doit être effectuée
a) en mains propres;
b) par courrier recommandé; ou
c) par tout autre mode déterminé par le président.
Ces règles ne contiennent pas, à l'égard d'une partie, une définition semblable à celle que comporte l'expression «adresse aux fins de signification» à la Règle 2 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] mais, à mon avis, cela revient au même. C'est la dernière adresse au dossier qui paraît être la règle. À titre d'exemple, voir Willis c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), A-793-87 (C.A.F.), non publié.
devant la Commission ne saurait constituer une erreur de la part de cette dernière 27 .
Ce qui s'est passé le 15 janvier 1986 n'équivalait pas à une audition au sens le prescrit l'arrêt Singh. Mais n'est pas la question en l'espèce. Ce qu'il s'agit de déterminer, c'est si «une audition a débuté» le 15 janvier 1986. D'après mon interpré- tation, le sous-alinéa 2d)(i) du Règlement sur l'arriéré des revendicaitons du statut de réfugié signifie que le programme spécial s'applique à condition que l'audition suivant la procédure nor- male n'ait pas commencé à la date limite fixée ou avant cette date. Or, à mon avis, la procédure normale avait commencé, et elle était valide. Même dans l'hypothèse l'avocat n'aurait pas fait la déclaration qu'il a faite et la Commission aurait procédé, l'affaire ayant été fixée péremptoi- rement, il y aurait néanmoins eu début de l'audi- tion, encore que les principes de justice naturelle en exigeraient la réouverture. Si un tribunal accepte de réentendre une requête en raison de circonstances exceptionnelles ayant causé l'absence d'une partie 28 , ou s'il est appelé à annuler une décision antérieure en raison de la découverte de nouveaux éléments de preuve qui n'avaient pu être obtenus au moment du procès 29 , dira-t-on que l'instance antérieure n'a jamais eu lieu? Je ne le crois pas.
En l'espèce, l'audition n'est pas conforme aux principes énoncés dans l'arrêt Singh et doit être reprise. Il y a eu, cependant, début de l'instance en ce qui concerne cette audition.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'annuler la décision du juge Rouleau en date du 12 juin 1987, et de confirmer la décision de M. Louis Grenier, de la Commission canadienne de l'immigration, en date du 8 avril 1987.
Le tout avec dépens quant à l'appel, mais sans dépens quant à l'appel incident.
27 Al-Mehdawi y Secretary of State for the Home Dept, [1989] 3 All ER 843 (H.L.). On peut penser que la responsa- bilité de vérifier auprès d'Immigration Canada la dernière adresse de l'intimé, avant l'audition, incomberait avant tout au procureur de ce dernier, et non au représentant d'Immi- gration Canada, informé de l'absence de l'intimé seulement au moment de l'audition.
28 Règle 329 des Règles de la Cour fédérale. Voir aussi la Règle 330 [mod. par DORS/79-58, art. 1].
29 Règle 1733 des Règles de la Cour fédérale.
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