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90-T-726
Joan Millicent Hamilton (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: HAMILTON c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (l' a INST.)
Section de première instance, juge Reed— Ottawa, 16, 17 et 24 août 1990.
Immigration Expulsion Demande en vue de surseoir à l'exécution d'une ordonnance en attendant la contestation, fondée sur l'art. 18, du refus de dispenser la requérante de l'obligation de présenter depuis l'extérieur du Canada toute demande du statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'éta- blissement Allégation selon laquelle les fonctionnaires n'ont pas tenu compte du rapport d'un psychiatre La Cour a-t-elle la compétence voulue? Obligation d'obtenir une autorisation Y avait-il une question sérieuse à trancher? Quant au fond, la Cour n'était pas disposée à accorder un recours discrétionnaire.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance La Cour a-t-elle la compétence voulue pour surseoir à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion en atten dant la contestation, fondée sur l'art. 18, du refus de dispenser la requérante de l'obligation de présenter depuis l'extérieur du Canada toute demande du statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement? Examen et exposé de la jurispru dence sur le sujet La Cour a probablement la compétence voulue, car la mesure de redressement prévue par la loi serait inopérante si la requérante était expulsée.
Il s'agissait d'une demande en vue de surseoir à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion en attendant la contestation, fondée sur l'article 18, du refus de dispenser la requérante de l'obligation de présenter depuis l'extérieur du Canada toute demande du statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établis- sement. La requérante déclare craindre vraiment de subir un préjudice si on la retourne en Jamaïque. Après la signification d'un avis d'expulsion, la requérante a déposé un rapport d'un psychiatre fondé sur des documents écrits qui avaient été fournis par son avocat. La requérante avait refusé de rencontrer le psychiatre de crainte qu'il ne répande des faussetés qui pourraient nuire à ses chances d'emploi. La requérante conteste la validité du refus du ministre pour le motif qu'on n'a pas tenu compte du rapport.
Les questions à examiner étaient les suivantes: (1) la Cour a-t-elle la compétence voulue pour surseoir à une ordonnance d'expulsion qui n'est pas elle-même contestée? (2) faut-il obtenir une autorisation? (3) peut-on aller de l'avant avec la présente demande avant que l'autorisation ne soit accordée relativement à la demande fondée sur l'article 18? et (4) un sursis est-il justifié quant au fond?
L'intimé a invoqué des décisions jurisprudentielles selon les- quelles la Cour n'a pas la compétence voulue pour accorder un sursis quand une ordonnance d'expulsion n'est pas directement en cause, tandis que la requérante a cité des décisions statuant
que la Cour avait le pouvoir implicite de surseoir à une ordonnance si c'était la seule façon de faire en sorte que le droit d'en appeler ne devienne pas inopérant.
Jugement: la demande est rejetée.
L'ordonnance dont on demande la suspension était liée étroi- tement à la mesure de redressement sollicitée de la Cour. Si la requérante est expulsée, la mesure sollicitée au moyen du processus prévu au paragraphe 114(2) deviendrait inopérante. Le point en litige ici n'a pas été résolu par la décision rendue par la Cour d'appel dans Bhattia c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration. L'avocat avait probablement raison de soutenir que la Cour a la compétence voulue pour statuer sur la présente demande.
Quant à l'obligation d'obtenir une autorisation, elle a été ajoutée dans la loi afin d'éviter que les requérants ne recourent abusivement au tribunal en intentant des procédures non fon- dées uniquement pour pouvoir rester plus longtemps au Canada. Par conséquent, il serait rare que la Cour surseoie à une ordonnance d'expulsion sans avoir accordé l'autorisation d'intenter une procédure fondée sur l'article 18 ou l'article 28.
De toute façon, l'octroi d'un sursis d'exécution constitue un recours discrétionnaire. Il était douteux qu'il y ait une question sérieuse à trancher. Si le rapport du psychiatre avait été disponible beaucoup plus tôt, les fonctionnaires du gouverne- ment auraient eu le temps voulu pour l'examiner, et la demande de sursis aurait pu être étudiée dans le cadre de la demande d'autorisation fondée sur l'article 18. Par conséquent, la Cour n'était pas disposée à exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de la requérante.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18, 28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 114(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123; 86 N.R. 302 (C.A.F.); Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 90-A-1030, juge Pratte, J.C.A., ordon- nance en date du 7-3-90, (C.A.F.), encore inédite; Yhap c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 89-T-676, juge Muldoon, ordonnance en date du 12-10-89, C.F. 1" inst., encore inédite; Yhap c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 1 C.F. 722 (1" inst.); Bhattia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 63 (C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 775; (1979), 94 D.L.R. (3d) 326; 25 N.R. 437 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216; (1975), 54 D.L.R. (3d) 277; 7 N.R. 271 (C.A.); Astudillo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1979), 31 N.R. 121 (C.A.F.); Armson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.); Attakora c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1987), 99 N.R. 168 (C.A.F.); Sharma c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration (1984), 55 N.R. 71 (C.A.F.).
AVOCATS:
M. Pia Zambelli pour la requérante. Robert Goldstein pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jackman, Zambelli, Silcoff, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La requérante demande de sur- seoir à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion qui a été rendue contre elle. Le sursis est demandé en attendant qu'il soit statué sur une instance que la requérante tente de poursuivre en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7. Elle essaie de contester la vali- dité de la décision par laquelle le ministre a refusé de recommander qu'elle soit dispensée, pour des raisons d'ordre humanitaire, de certaines obliga tions imposées par la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2. Elle a déposé, en même temps que la présente requête, une demande d'au- torisation d'introduire une instance conformément à l'article 18 afin de contester la décision du ministre.
La requérante est entrée au Canada en 1982 sur présentation d'un visa de visiteur. Elle est restée au pays illégalement. En 1986, elle a été arrêtée. Elle a demandé officiellement le statut de réfugié. Cette demande a été rejetée. Un avis d'interdiction de séjour lui a été signifié par la suite. Elle a omis de s'y conformer. Sa mère est décédée trois jours avant la date à laquelle la requérante était censée quitter le pays conformément à cet avis d'interdic- tion de séjour. Les funérailles de sa mère ont eu lieu deux jours après la date de départ. Elle a
présenté une demande conformément au paragra- phe 114(2) en vue d'être dispensée, pour des rai- sons d'ordre humanitaire, de l'obligation de pré- senter depuis l'extérieur du pays toute demande du statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établis- sement. La demande d'examen sur cette base semble avoir été formée aux alentours du 18 avril 1990 (du moins, la lettre annexée à l'affidavit de la requérante en date du 13 août 1990 porte cette date). La demande a finalement été refusée et l'avis d'interdiction de séjour, qui avait été signifié le 6 juin 1990, devait être exécuté le 13 août 1990.
C'est par un avis de requête déposé le 13 août que la Cour a été saisie de la présente demande de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion. Une motion d'introduction d'instance aux termes de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale contestant le refus du ministre de recommander une dispense conformément au paragraphe 114(2) a été déposée en même temps. La demande en vue de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expul- sion a été instruite par conférences téléphoniques les 16 et 17 août. L'intimé a consenti à reporter l'exécution de l'ordonnance d'expulsion jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la présente demande de la requérante.
Les motifs que la requérante a invoqués pour obtenir une dispense prévue au paragraphe 114(2) sont les suivants: elle craignait vraiment de subir un préjudice si on la retournait en Jamaïque; sa soeur est citoyenne canadienne, réside au Canada, est disposée à l'aider et est sa seule parente par le sang. La requérante est également la seule parente de sa sœur à n'être pas établie au Canada. Il ressort clairement des documents annexés aux affidavits que la demande en date du 18 avril 1990 n'a pas eu pour résultat la prise d'une décision favorable. Ainsi qu'il a été mentionné, l'ordon- nance d'expulsion a été rendue le 6 juin 1990. Le 1e' août 1990, l'avocate de la requérante a fait parvenir des renseignements supplémentaires à l'intimé à l'appui de la requête en vue du recours prévu au paragraphe 114(2). II s'agissait d'une évaluation de la requérante par un psychiatre. Le rapport du psychiatre est libellé en partie ainsi:
[TRADUCTION] Bien que je n'aie pas eu l'occasion de l'exa- miner directement, je suis d'avis que ses lettres et rapports révèlent un comportement compatible avec un diagnostic de désordre hallucinatoire (paranoïaque) de type persécutif .. .
Je suis d'avis qu'elle ressentirait des troubles fonctionnels si elle devait retourner en Jamaïque ... Ses idées paranoïaques s'intensifieraient et il s'ensuivrait probablement qu'elle s'isole- rait davantage. Et elle n'a pas de soutien social en Jamaïque car elle n'a pas de famille là-bas, n'y a apparemment aucun ami proche et a vécu à l'extérieur du pays pendant plusieurs années.
Comme il est indiqué dans le rapport, le psychiatre n'avait jamais rencontré la requérante au moment de rédiger ledit rapport. Elle refusait d'être inter- rogée par lui de crainte qu'il ne répande à son sujet des faussetés qui nuiraient à ses chances d'emploi au Canada. Le psychiatre a donc rédigé son éva- luation en se fondant sur de longs documents écrits que lui avait fait parvenir l'avocate de la requé- rante. Il ressort de renseignements versés ultérieu- rement au dossier que la requérante a effective- ment rencontré personnellement le psychiatre le 13 août 1990 et que celui-ci a confirmé dans une note laconique l'évaluation faite antérieurement.
La requérante conteste la validité du refus du ministre de recommander une dispense prévue au paragraphe 114(2) principalement pour le motif que les fonctionnaires concernés ont refusé de tenir compte du rapport du psychiatre. La preuve pré- sentée dans ce sens par la requérante repose sur des conversations que son avocate a eues avec des fonctionnaires du ministère de l'Emploi et de l'Im- migration. Les passages pertinents de l'affidavit de Maureen Silcoff mentionnent:
[TRADUCTION] 2. L'avocate de la requérante m'informe et j'ai tout lieu de croire qu'il est vrai que la demande présentée par la requérante pour des raisons d'ordre humanitaire a été rejetée tant par la Section du réexamen des cas à Ottawa que par le bureau régional de la Commission de l'immigration. L'avocate de la requérante m'informe et j'ai tout lieu de croire qu'il est vrai que le 9 août 1990 elle a parlé avec Mme Pam Cullen, de la Section du réexamen des cas à Ottawa, qui lui a dit que le rapport psychiatrique du Dr Payne ne l'avait pas convaincue que le recours à des considérations humanitaires était justifié.
3. L'avocate de la requérante m'informe que, par la suite, elle a demandé à M. Craig Morrison, du bureau régional, de réexa- miner le cas et que, le 9 août 1990, elle a parlé avec M. Morrison qui lui a dit avoir également rejeté la demande, car le rapport du Dr Payne ne constituait pas une preuve qu'il fallait répondre favorablement à la demande, parce que ce n'était qu'une prédiction faite par un psychiatre au sujet de ce qui pouvait arriver si l'on retournait la requérante en Jamaïque.
Il ne fait aucun doute que les organismes déci- sionnels doivent tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents qui sont produits devant eux: Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.); Astudillo c. Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration (1979), 31 N.R. 121 (C.A.F.). Ils doivent fonder leurs conclusions sur les élé- ments de preuve présentés devant eux et ne pas rejeter arbitrairement ceux qui ne sont pas contre- dits et ne sont manifestement pas peu vraisembla- bles: Armson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.); Attakora c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1987), 99 N.F. 168 (C.A.F.); Sharma c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion (1984), 55 N.R. 71 (C.A.F.).
L'avocate a classé ainsi les questions à traiter aux fins de la présente affaire: (1) la Cour a-t-elle la compétence voulue pour recevoir la demande de sursis d'exécution de l'ordonnance d'expulsion étant donné que ladite ordonnance d'expulsion n'est pas elle-même contestée?; (2) si elle a la compétence voulue, peut-on poursuivre l'instruc- tion de la présente demande sans en avoir d'abord obtenu l'autorisation (l'avocate a indiqué que, si cette autorisation est requise, elle présentait alors une demande de ce genre, oralement, en même temps que sa plaidoirie quant au fond)?; (3) si elle a la compétence voulue et si l'autorisation n'est pas nécessaire ou est accordée, peut-on aller de l'avant avec la présente demande avant d'être autorisé à introduire la demande principale fondée sur l'arti- cle 18?; (4) de toute façon, y a-t-il, quant au fond, des motifs qui justifieraient le prononcé d'une ordonnance pour surseoir à l'exécution de l'ordon- nance d'expulsion (une question sérieuse à tranch- er?; la requérante subira-t-elle un préjudice irrépa- rable si une ordonnance n'est pas accordée?; comment le partage des inconvénients se fait-il?): voir Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.).
La thèse de l'intimé selon laquelle notre Cour n'a pas la compétence voulue pour accorder un sursis lorsque la validité de l'ordonnance d'expul- sion n'est pas directement en cause, est fondée sur les décisions rendues par la Cour d'appel dans Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1979] 1 C.F. 775 (C.A.), et Bhattia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion) (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 63 (C.A.F.). Dans la décision Lodge, on dit aux pages 783 785:
Une autorité publique se verra décerner une injonction afin de l'empêcher d'accomplir un acte ultra vires ou autrement illégal. Voir, par exemple, Rattenbury c. Land Settlement
Board [1929] R.C.S. 52, le juge Newcombe à la p. 63: [TRA- DUCTION] «... le tribunal interviendra pour empêcher un orga- nisme créé par la loi d'accomplir des actes ultra vires ou illégaux»; voir également Le Conseil des ports nationaux c.
Langelier [1969] R.C.S. 60, la p. 75, le juge Martland parle du pouvoir d'empêcher la commission d'un acte [TRADUC- TION] «sans justification légale». À partir de ces décisions et d'autres semblables, on peut selon moi tenir pour acquis, aux fins de l'espèce, qu'un ministre de la Couronne, censé agir en vertu d'un pouvoir à lui conféré par la loi, peut, si le cas l'exige, se voir décerner une injonction. C'est la conclusion expresse du juge d'appel Freedman dans Carlic c. La Reine et le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration (1968) 65 D.L.R. (2°) 633, affaire portant sur l'exécution d'ordonnances d'expulsion par le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration. Le juge d'appel Freedman (alors juge puîné), qui a prononcé le juge- ment au nom de la Cour d'appel du Manitoba, déclare à la p. 637 du recueil: [TRADUCTION] «11 peut être opportun de sou- ligner que les tribunaux ont plus d'une fois confirmé leur droit d'empêcher un ministre de la Couronne d'accomplir des actes illégaux ou des actes qui outrepasseraient le pouvoir que la loi lui confère».
Tant que la validité des ordonnances d'expulsion concernant les appelantes n'aura pas été contestée avec succès, on ne pourra dire que le Ministre, en les exécutant, excède le pouvoir qui lui est conféré par la loi ou agit par ailleurs contrairement à la loi.
... Les avocats n'ont pu nous citer de jurisprudence et je n'en ai trouvé aucune qui puisse justifier l'emploi d'une injonction pour interdire l'exécution d'un devoir imposé par la loi, au motif qu'une telle exécution peut nuire à un droit que le requérant cherche à faire valoir devant un autre tribunal. Je ne crois pas qu'un tel emploi de l'injonction puisse être reconnu comme un principe. Cela équivaudrait à donner un pouvoir général de suspendre l'exécution de décisions administratives dans des causes reconnues justifiées. La Cour n'a pas ce pouvoir, même relativement à des décisions qui font l'objet d'examen devant elle.
Cela dit, je ne comprends pas pourquoi l'exécution des ordonnances d'expulsion rendrait impossible la tenue d'une enquête relative à la plainte des appelantes, ou empêcherait ces dernières d'obtenir les redressements prévus à l'article 41 de la Loi. Selon l'affidavit déposé à l'appui de leur demande d'injonc- tion, la plainte des appelantes ne semble pas dépendre de leurs connaissances personnelles. [C'est moi qui souligne.]
Et dans l'affaire Bhattia, le juge Marceau a déclaré [aux pages 64 66]:
Je souscris d'emblée à la position adoptée par mes collègues. Je le fais cependant sous réserve de deux remarques que je me permets, avec respect, d'exprimer à cause de l'influence que pourrait avoir la présente décision du fait que, d'une part, elle est la première du genre rendue dans le cadre du régime nouveau introduit par les amendements à la Loi sur l'immigra- tion de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, entrés en vigueur le 1°" janvier 1989 et, d'autre part, elle vient de trois juges et non d'un seul comme ce sera le cas, du moins en principe, à l'avenir.
1. Ma première remarque se rapporte à la recevabilité même de la demande telle que présentée. Je doute sérieusement que la Cour soit en mesure d'ordonner un sursis d'exécution d'une ordonnance d'expulsion avant qu'elle ne soit en état de consi- dérer la demande d'autorisation d'introduire une instance aux termes de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, l'encontre de l'ordonnance d'expul- sion elle-même, comme le requiert l'article 83.1 paragraphe 1 de la Loi. Mon doute repose sur trois motifs.
a) Le pouvoir de la Cour d'ordonner un sursis d'exécution d'une décision d'un tribunal est un pouvoir ancillaire et auxi- liaire qui n'existe que pour protéger son pouvoir de déclarer nulle et sans effet la décision même. On voit mal comment un tel pouvoir secondaire pourrait exister avant que ne soient formellement engagées les procédures sous l'article 28 et que la question de la validité de la décision elle-même ne soit devant la Cour.
b) L'une des deux conditions de base auxquelles est soumis le pouvoir inhérent de la Cour d'ordonner un sursis d'exécution est l'existence d'un motif apparent soutenable (prima facie arguable case) de contester la validité de la décision elle-même. Or, c'est précisément la question, et la seule, qu'une demande d'autorisation d'introduire des procédures sous l'article 28 sou- lève. Il est difficile de penser que la Cour puisse décider qu'il existe dans un cas comme en l'espèce une cause apparente de contester, tout en considérant ne pas être encore en état de juger de la demande d'autorisation d'introduire les procédures de contestation elles-mêmes.
c) L'autre condition de base pour légitimer l'exercice par la Cour de son pouvoir d'ordonner un sursis est la conclusion qu'autrement un jugement éventuel de nullité de la décision attaquée pourrait devenir inefficace et sans effet, l'exécution immédiate de cette décision risquant de créer une situation irrémédiable ou un tort irréparable. Dans le cas d'un ordre d'exclusion, la possibilité d'un tort irréparable est nécessaire- ment et exclusivement fonction du risque que court le requérant s'il est retourné d'où il vient à cause du contexte politique qui règne, là, dans son pays.
Je n'oublie pas, en faisant ces remarques, que cette Cour, dans l'affaire Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123, 86 N.R. 302, a consenti déjà à ordonner un sursis d'exécution d'un ordre de déportation avant d'autoriser l'introduction de procédures d'ap- pel à l'encontre de l'ordre lui-même. Je ferai remarquer d'abord que le recours d'appel sur permission dont il est question dans Toth était un recours créé par la Loi sur l'immigration de 1976 elle-même, et que par conséquent son exercice devant la Cour pouvait être considéré comme débutant dès la demande de permission d'appeler. Le recours dont il est question ici existe en vertu de la Loi sur la Cour fédérale et la demande de permission requise par la nouvelle loi sur l'immigration n'en est certes pas partie intégrante. Le pouvoir de surseoir que la Cour peut détenir est donc ancillaire et auxiliaire au pouvoir qui lui est donné par la Loi sur la Cour fédérale, lequel n'est mis en cause qu'une fois que la Cour a accepté de réviser et possible- ment d'annuler la décision elle-même. Mais de toute façon, je soumets que la situation créée par l'entrée en vigueur des amendements majeurs apportés à la Loi est suffisamment différente de celle qui existait auparavant pour que l'autorité de
l'arrêt Toth, qui d'ailleurs ne portait pas sur un cas de réclama- tion de statut de réfugié, ne soit pas vue comme s'imposant sans réserve. [C'est moi qui souligne, en omettant les notes infrapaginales.]
Les motifs du juge Marceau venaient s'ajouter à ceux exprimés par les deux autres juges de la Cour, qui croyaient seulement nécessaire de dire que, en supposant que les principes énoncés dans l'arrêt Toth fussent applicables, la situation qui existait dans l'affaire Bhattia ne satisfaisait pas aux exigences.
La décision Toth c. Canada (Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.), a été rendue antérieurement à la décision Bhattia et ultérieurement à la décision Lodge. Dans l'affaire Toth, on a sursis à l'exécu- tion d'une ordonnance d'expulsion en attendant qu'une décision soit rendue sur la question de savoir si serait accordée l'autorisation d'interjeter appel auprès de la Cour d'appel fédérale d'une décision de la Commission d'appel de l'immigra- tion. Cette décision était fondée sur le principe selon lequel le refus de surseoir à l'exécution ren- drait inopérant tout droit d'appel qui pourrait être accordé subséquemment la page 126]:
Dans l'affaire Comm. d'énergie électrique du N.-B. c. Mari time Electric Co., [1985] 2 C.F. 13, 60 N.R. 352 (C.A.), notre Cour a statué que, dans les cas il existe des dispositions législatives conférant le droit d'interjeter appel à l'encontre de l'ordonnance d'un tribunal, cette circonstance conjuguée aux dispositions du para. 30(1) précité, confère implicitement à la Cour d'appel fédérale la compétence voulue pour surseoir à l'exécution de cette ordonnance lorsque l'appel deviendrait autrement inopérant.
À cet égard, le juge Stone, dans l'arrêt Comm. d'énergie électrique du N.-B., a signalé, à la p. 27 [C.F.] des motifs:
«... l'absurdité qui résulterait si, pendant un appel, l'exécu- tion de l'ordonnance contestée rendait celui-ci inopérant.»
Il a également fait remarquer:
«Notre compétence en tant que cour d'appel serait alors futile et réduite à de simples mots vides de sens. Le droit d'une partie à un "appel" n'existerait que sur papier parce que, en réalité, il n'y aurait pas "d'appel" à entendre, pas plus qu'il n'y aurait une partie heureuse et l'autre, déboutée. Le processus d'appel serait entravé. Il ne pourrait offrir, comme il le devrait, la possibilité d'un redressement à qui l'invoquerait. Ainsi la Cour serait incapable, contrairement à son objet, de résoudre véritablement un litige. Je ne peux croire que le Parlement entendait que la Cour soit incapable de prévenir une telle situation.»
Je souscris à ces remarques de mon collègue et je les applique
L'avocate de la requérante soutient que l'on ne peut donc pas interpréter l'arrêt Lodge de façon aussi libérale que le prétend l'avocat de l'intimé et que l'on doit l'interpréter en tenant compte de décisions telles que Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.); Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (no du greffe 90-A-1030, 7 mars 1990); et Yhap c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (no du greffe 89-T-676, 12 octobre 1989 et [1990] 1 C.F. 722 (1« inst.)).
L'arrêt Lodge traitait d'une situation qui était assez différente de celle qui est ici en cause ou de celle qui était en cause dans les affaires Toth, Bains ou Yhap. En premier lieu, l'un des facteurs les plus importants dans l'arrêt Lodge était que l'injonction, si elle était accordée, serait définitive; elle n'était pas considérée comme une ordonnance interlocutoire. Le juge Le Dain a écrit la page 783] au sujet de l'injonction sollicitée:
Elle n'est pas présentée dans le cadre d'une action pendante en Cour fédérale. Elle emporte jugement définitif et non interlocu- toire à l'issue de la demande d'injonction.
Les principes à appliquer sont ceux qui déterminent si une injonction permanente doit être accordée pour interdire à un ministre de la Couronne d'exécuter une fonction prévue par la loi. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, comme c'était le cas dans les affai- res Toth, Bains et Yhap, l'ordonnance d'expulsion dont on demande la suspension est liée étroitement à la mesure de redressement sollicitée de notre Cour. Cette mesure que la requérante sollicite du gouverneur en conseil, en conformité avec le réexa- men prévu au paragraphe 114(2), vise à permettre à la requérante de demander depuis Buffalo (New York) le statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement plutôt que d'être retournée en Jamaïque. l'origine, la requête visait à obtenir la permission de demander un tel statut depuis le Canada.) Si la requérante est expulsée en Jamaï- que, la mesure sollicitée au moyen du processus prévu au paragraphe 114(2) deviendrait inopé- rante. Dans de telles circonstances, l'avocate a peut-être vraiment raison de laisser supposer que les principes énoncés dans l'arrêt Toth s'appliquent et que la Cour a le pouvoir de surseoir à l'exécu- tion de l'ordonnance d'expulsion en attendant qu'il soit statué sur la demande fondée sur l'article 18.
La Cour l'a effectivement fait dans l'affaire Yhap. Et la Cour d'appel a retenu une solution similaire dans l'affaire Bains. De plus, selon mon interpréta- tion de l'arrêt Bhattia, je ne suis pas convaincue que le juge Marceau aurait trouvé opportun d'in- terdire d'octroyer une ordonnance de sursis, si l'autorisation d'introduire une instance fondée sur l'article 28 avait déjà été accordée. Ainsi qu'il a déjà été mentionné, bien que le juge Marceau ait formulé les motifs susmentionnés, les deux autres juges siégeant avec lui à la Cour d'appel ont cru nécessaire de dire seulement que, en supposant que les principes énoncés dans l'arrêt Toth fussent applicables, la situation qui existait dans l'affaire Bhattia ne satisfaisait pas aux exigences. Par con- séquent, le point en litige dans la présente affaire n'était nullement réglé.
Dans l'affaire Bains, la Cour d'appel a sursis à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion jusqu'à ce que cette Cour puisse instruire et juger la demande présentée par la requérante en vue d'être autorisée à introduire une procédure de révision judiciaire conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. La décision dont on demandait la révision dans cette procédure émanait de la Commission d'appel de l'immigration et portait sur la revendication, par le requérant, du statut de réfugié selon la Convention.
Dans l'affaire Yhap, le juge Muldoon a sursis à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion jusqu'à ce qu'il soit statué sur une demande présentée par le requérant en vue d'être autorisé à introduire une procédure fondée sur l'article 18. La décision dont on sollicitait la révision dans cette procédure por- tait sur le bien-fondé sur le plan juridique des directives de politique générale formulées à l'inten- tion des fonctionnaires du ministère de l'Emploi et de l'Immigration et qu'ils devaient suivre pour examiner les demandes de dispense pour raisons d'ordre humanitaire, visées au paragraphe 114(2). Il a été sursis à l'exécution de l'ordonnance d'ex- pulsion le 12 octobre 1989 (89-T-676). Le 14 novembre 1989, la Cour a autorisé les requérants à introduire une procédure fondée sur l'article 18 (T-2543-89). Cela a mené à une décision en date du 8 mars 1990 (T-2543-89) dans laquelle les critères appliqués ont été considérés comme une entrave au pouvoir discrétionnaire. Ainsi, les déci- sions rendues en tenant compte ont été considérées
comme ayant été rendues en l'absence d'une audi ence pleine et impartiale et ont été renvoyées afin d'être examinées de nouveau.
Les motifs qui ont incité le juge Muldoon à surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion dans l'affaire Yhap sont libellés en partie ainsi [aux pages 4 à 5 et 15 à 16]:
En fait, la réparation sollicitée en l'espèce par les requérants est de la nature d'une injonction interlocutoire ou, pour reprendre la propre expression de l'avocate des requérants, de ce que l'on pourrait appeler une interdiction interlocutoire ou temporaire. En ce qui concerne l'administration fédérale, l'alinéa 18a) de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Section de première instance une compétence exclusive, en première instance, pour décerner notamment une injonction et un bref de prohibition «contre tout office fédéral». Ce sont les principaux recours. Toutefois, l'alinéa 18b) ajoute:
b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a) ... [Non souligné dans le texte original.]
En conséquence, en présentant des demandes de réparation de la nature visée par l'alinéa 18a), les requérants prétendent en fait introduire une instance aux termes de l'article 18—pour être précis, de l'alinéa 18b)—de la Loi sur la Cour fédérale. Ils doivent en conséquence d'abord obtenir l'autorisation de le faire en vertu de l'article 83.1 de L.C. 1988, chap. 35. Ce raisonne- ment en apparence évident a échappé aux procureurs et avocats des requérants. Une demande tardive visant à obtenir cette autorisation a été présentée à l'audience le 6 octobre 1989, la date de présentation précisée dans les avis de requête des requérants.
Si la ministre s'engageait à ne renvoyer aucun des requérants tant que l'état de la loi et la légalité des procédures ne seront pas connus, il n'y aurait, de façon concevable, aucun fondement à la présente instance. On peut avoir de la compassion pour le demandeur de statut de réfugié qui fait l'objet d'une ordon- nance de renvoi du Canada en vertu de lois dont la validité est reconnue et de procédures licites, mais le tribunal refusera d'intervenir en pareil cas. D'autre part, ce serait effectivement une maigre consolation pour le requérant ou pour l'un ou l'autre de ses compagnons d'être renvoyé et d'apprendre ensuite que la loi en vertu de laquelle son cas a été examiné a été déclarée inconstitutionnelle ou que les procédures ont été jugées inéquitables ou illégitimes. Il y a lieu de noter que les modifica tions radicales récemment apportées aux lois sur l'immigration, qui n'ont pas encore été refondues et dont on n'a pas encore vérifié la constitutionnalité non plus que la légalité de leurs procédures ou l'équité de leur application, ajouté à la multitude de déclarations et de directives ministérielles dont nous avons déjà parlé et aux lacunes du règlement, impliquent que le droit canadien, dont notre Cour a reçu la mission d'améliorer l'appli- cation, se trouve dans ce qui est perçu à tout le moins comme un état d'imprécision et d'inconstance.
Le paragraphe 26(1) de la Loi sur la Cour fédérale est ainsi libellé:
26. (1) La Section de première instance a compétence, en première instance, pour toute question ressortissant aux
termes d'une loi fédérale à la Cour fédérale—ou à l'ancienne Cour de l'Échiquier du Canada—, à l'exception des questions expressément réservées à la Cour d'appel.
La disposition citée est analogue au paragraphe 30(1) de la Loi en ce qui concerne la compétence implicite de la Section d'appel qui a été décrite par le juge Heald, au nom d'une formation collégiale unanime, dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.). En l'espèce également, si pendant une demande présentée devant la Section de première instance et une demande présentée en vertu de l'article 28 devant la Section d'appel, le déroulement du processus avait pour résultat de rendre chacune des instances inopérantes, cela serait absurde, sans compter que cela serait injuste. [C'est moi qui souligne.]
En examinant cette jurisprudence, il me semble évident que la décision Lodge ne se rapporte pas à la question. La demande de sursis dans cette affai- re-là était fondée sur la thèse selon laquelle elle était nécessaire afin d'accorder au requérant la possibilité de présenter une demande devant la Commission des droits de la personne. Elle n'avait aucun rapport avec une instance déjà devant notre Cour. La présente demande vise à surseoir à une expulsion jusqu'à ce qu'il ait été statué sur une demande de révision aux termes de l'article 18. Notre Cour a été saisie de cette demande fondée sur l'article 18, et celle-ci fait partie du présent dossier. Cela ressemble à la situation qui existait tant dans l'affaire Bains que dans l'affaire Yhap.
Selon mon interprétation des motifs exprimés par le juge Marceau dans l'affaire Bhattia, ceux-ci m'indiquent que, compte tenu des nouvelles procé- dures en matière d'immigration qui exigent main- tenant que les requérants obtiennent l'autorisation de la Cour avant d'introduire une demande fondée sur l'article 18 ou sur l'article 28, ii devrait être rare que la Cour sursoie à l'exécution d'une ordon- nance d'expulsion à moins d'avoir déjà accordé l'autorisation d'introduire une procédure fondée sur l'article 18 ou sur l'article 28. La raison en est évidente. L'une des principales questions à tran- cher pour déterminer s'il faut accorder un sursis correspond à la même question ou à une question similaire à celle qu'il faut trancher pour détermi- ner si on doit accorder l'autorisation: s'il existe une question sérieuse à trancher. De plus, l'obligation d'obtenir une autorisation a été ajoutée dans la loi pour éviter que les requérants ne recourent abusi- vement à la Cour par l'introduction de procédures qui sont peu justifiées en droit, mais qui pourraient traîner en longueur et permettre aux requérants de
rester au Canada pendant plus longtemps qu'ils en ont le droit. Des remarques du juge Marceau, je relève la préoccupation selon laquelle, en permet- tant au requérant d'obtenir la suspension d'une ordonnance d'expulsion, avant que la demande d'autorisation ne soit accordée, on pourrait laisser place, encore une fois, à un abus de procédure à cet égard. Je m'empresse d'ajouter que je ne crois pas que la présente demande puisse être considérée comme un abus de procédure.
L'octroi d'un sursis d'exécution d'une ordon- nance, dans une affaire comme en l'espèce, consti- tue cependant un recours discrétionnaire. Compte tenu des nouvelles exigences en ce qui concerne l'autorisation, j'hésiterais beaucoup à exercer ce pouvoir discrétionnaire, à surseoir à une ordon- nance d'expulsion, en l'absence de toute autorisa- tion d'introduire une instance fondée sur l'article 18, sauf si l'on peut prouver l'existence de circons- tances spéciales et contraignantes. En l'espèce, la raison pour laquelle la demande de la requérante en vue d'être autorisée à introduire une instance fondée sur l'article 18 n'a pas été déposée avant le 13 août est que le rapport du psychiatre n'a été remis à l'intimé que le lei août. La requérante savait depuis le 6 juin 1990 qu'une ordonnance d'expulsion avait été prononcée contre elle. La requête invoquant des raisons d'ordre humanitaire avait été introduite au moins avant avril 1990, sinon plus tôt. Selon le déroulement de l'affaire, il est évident qu'aucune raison n'empêchait que la preuve en question (le rapport du psychiatre) puisse être rédigée et présentée à l'intimé beau- coup plus tôt. Si tel avait été le cas, les fonction- naires concernés auraient pu l'examiner de façon opportune. Dans ce cas, il aurait été possible que la requête en sursis soit examinée dans le cadre de la demande d'autorisation fondée sur l'article 18. Par conséquent, même si j'avais la compétence voulue pour accorder l'ordonnance sollicitée, je ne serais pas disposée à exercer mon pouvoir discrétionnaire dans ce sens en l'espèce.
En outre, j'ai de sérieux doutes au sujet de la solidité de la prétention de la requérante selon laquelle il existe une question sérieuse à trancher. Les remarques de Mme Pam Cullen selon lesquel- les le «rapport du psychiatre ne la convainquait pas» ne prouvent sûrement pas que l'on n'a pas tenu compte de ce rapport en preuve. Cela montre
seulement qu'on lui a accordé peu d'importance. Aussi est-il difficile d'évaluer quelle importance il faudrait accorder à la remarque de M. Morrison selon laquelle «le rapport du Dr Payne ne consti- tuait pas une preuve qu'il fallait répondre favora- blement à la demande, parce que ce n'était qu'une prédiction faite par un psychiatre au sujet de ce qui pouvait arriver si l'on retournait la requérante en Jamaïque». Il ne s'agissait certainement pas d'un «rejet» de la preuve aussi manifeste et fla grant que, selon moi, la plaidoirie de l'avocate le qualifierait.
Dans le cadre de la demande d'autorisation d'introduire une instance fondée sur l'article 18, l'intimé aura le temps de répondre aux affirma tions de la requérante et d'expliquer plus longue- ment la procédure qui a été suivie. Ce contexte permet un examen plus approfondi de la solidité de la question qu'un requérant tente de soulever que ce n'est possible dans le présent contexte. C'est pour cette raison que j'hésite quelque peu à faire des remarques sur la solidité de la preuve de la requérante.
De toute façon, comme j'en suis venue à la conclusion susmentionnée, je n'estime pas néces- saire de traiter les autres questions qui ont été soulevées. Pour ces motifs, la demande sera rejetée.
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