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A-514-89
Canadien Pacifique Limitée (requérante) c.
Commission canadienne des droits de la personne et Gilles Fontaine; et Sidney N. Lederman, Kris- tian A. Eggum et Jill M. Sangster, constituant collectivement un tribunal des droits de la per- sonne (intimés)
RÉPERTORIÉ: CANADIEN PACIFIQUE LTÉE C. CANADA (COM- MISSION DES DROITS DE IA PERSONNE) (C.A.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci et juges Urie et Mahoney, J.C.A.—Winnipeg, 25 septembre; Ottawa, 13 novembre 1990.
Droits de la personne Un cuisinier affecté à une équipe d'entretien de la voie du CP par une société de services d'alimentation a été contraint à démissionner Lorsqu'il a appris que le cuisinier était infecté par le virus VIH, le chef cantonnier a refusé de manger, signalant par que l'équipe était en danger Le cuisinier s'est senti menacé Le tribunal des droits de la personne a conclu qu'il y a eu congédiement implicite et violation de l'art. 7 de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne Application de l'art. 7 à la conduite d'une personne, autre que l'employeur réel, qui exerce le contrôle ou une influence sur ce dernier Sens du terme «employer» Vu que CP était la seule cliente du fournisseur de services d'alimentation, elle décidait qui tra- vaillerait comme cuisinier Le tribunal constitué sous le régime de la LCDP connaît de différends en matière d'emploi dans des secteurs qui relèveraient normalement de la compé- tence provinciale (la fourniture de services d'alimentation) lorsque l'activité en question est essentielle à l'entreprise fédé- rale principale (chemin de fer interprovincial).
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Le cuisinier d'une équipe d'entretien de la voie du CP a été contraint à démissionner en raison du climat d'inimitié créé par le chef cantonnier lorsque celui-ci a appris que le cuisinier était infecté par le virus VIH = Le tribunal des droits de la personne constitué sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne connaît de différends en matière d'emploi dans des secteurs qui relèveraient normalement de la compé- tence provinciale (la préparation des aliments ou la fourniture de services d'alimentation) lorsque l'activité en question est essentielle à l'entreprise fédérale principale (chemin de fer interprovincial).
Interprétation des lois Art. 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne Le terme «employé» a un sens plus large que celui qui lui est attribué dans une relation maître- préposé L'interprétation doit promouvoir les objets des lois en matière de droits de la personne La Cour a attribué à ce terme le sens courant et grammatical d'«avoir recours», de sorte que l'art. 7 s'applique à la personne, autre que l'em- ployeur réel, qui exerce une influence ou un contrôle considé- rable sur ce dernier.
Il s'agit d'une demande en vue d'annuler la décision d'un tribunal des droits de la personne portant que la cessation d'emploi d'un cuisinier affecté à une équipe d'entretien de la voie par Canadien Pacifique Limitée (CP) violait l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Aux termes de cet article, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d'employer, ou de continuer d'employer, un individu. Le CP avait sous-traité les services d'alimentation à R. Smith (1960) Limited (Smith). Lorsque le chef cantonnier a appris que le cuisinier affecté par Smith à son équipe était infecté par le virus VIH, lequel peut aboutir au sida, il a refusé de manger, signalant par à son équipe qu'elle était en danger. Par la suite, le cuisinier s'est senti menacé par l'équipe. Même si personne ne lui a expressément demandé de partir, il régnait un climat d'inimitié qui n'a pas laissé de choix au cuisinier, si ce n'est de partir le plus tôt possible. Le tribunal a conclu que le cuisinier avait été congédié de façon implicite et que le défaut du CP de ne pas avoir adopté de politique sur le sida en milieu de travail obligeait les employés, notamment le chef cantonnier, à régler eux-mêmes ces cas en se fondant sur leur propres préjugés personnels. Il a été admis que le cuisinier était atteint d'une «déficience» au sens du paragraphe 3(1) de la Loi. Il s'agissait d'abord de déterminer si l'article 7 s'appliquait à une personne autre que l'employeur réel. Selon le tribunal, l'article 7 s'appliquait à celui qui avait un degré de contrôle ou une influence considérable sur l'employeur réel. Il s'agissait ensuite de déterminer si le tribunal pouvait connaître de l'af- faire, puisque la préparation des aliments et les services d'ali- mentation étaient de compétence provinciale.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Il y a lieu d'accorder au terme «employé» un sens plus large que l'acception qui lui est attribuée dans une relation maître- préposé. Il doit être interprété de façon à promouvoir les objets des lois en matière de droits de la personne. Il est courant et correct, au plan grammatical, d'utiliser «employer» dans le sens d'«avoir recours». Vu les faits en l'espèce, surtout le fait que CP était la seule cliente de Smith et l'inférence selon laquelle elle pouvait décider qui travaillerait comme cuisinier dans ses équi- pes d'entretien, il était loisible au tribunal de conclure que CP avait, par un moyen indirect, refusé de continuer d'employer le cuisinier, en interprétant le terme «employer» dans le sens de «avoir recours».
Le Parlement peut établir sa compétence exclusive en matière d'emploi lorsqu'elle fait partie intégrante de la compé- tence première sur d'autres ouvrages, entreprises ou affaires de compétence fédérale. Le chemin de fer exploité par CP est une entreprise fédérale du fait de son caractère interprovincial. Smith fournissait des services d'alimentation exclusifs aux équi- pes de l'entretien de la voie de CP, et cette dernière était sa seule cliente. Les services étaient vitaux, essentiels et fonda- mentaux à l'exploitation du chemin de fer de CP. Des équipes d'entretien de la voie sont envoyées dans les régions isolées pour effectuer les travaux et elles ne peuvent faire leur travail sans être nourries par des cuisiniers sur place. Il existait un lien direct entre l'entreprise fédérale principale de CP, son chemin de fer, et les activités de Smith.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), chap. H-6, art. 3, 7.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n°5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 92(10)a).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1102.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Pannu, Kang and Gill v. Prestige Cab Ltd. (1986), 73 A.R. 166; 31 D.L.R. (4th) 338; [1986] 6 W.W.R. 617; 47 Alta L.R. (2d) 56; 87 CLLC 17,003 (C.A.); Cormier v. Human Rights Commission (Alta.) and Ed Block Tren ching Ltd. (1984), 56 A.R. 351; 14 D.L.R. (4th) 55; 33 Alta. L.R. (2d) 359; 6 C.C.E.L. 60; 5 C.H.R.R. D/2441 (B.R.); Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en com munication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; (1979), 98 D.L.R. (3d) 1; 79 CLLC 14,211; 28 N.R. 107; Bernshine Mobile Maintenance Ltd. c. Conseil canadien des rela tions de travail, [1986] 1 C.F. 422; (1985), 22 D.L.R. (4th) 748; 85 CLLC 14,060; 62 N.R. 209 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303; Northern Telecom Canada Ltée et autre c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733; (1983), 147 D.L.R. (3d) 1; 83 CLLC 14,048; 48 N.R. 161.
AVOCATS:
Marc W. Shannon, pour la requérante. Peter C. Engelmann pour l'intimée Commis sion canadienne des droits de la personne. Timothy J. Preston pour Gilles Fontaine.
PROCUREURS:
Services juridiques, Canadien Pacifique Ltée pour la requérante.
Services juridiques, Commission canadienne des droits de la personne pour l'intimée Com mission canadienne des droits de la personne.
Kaufman, Cassidy, Winnipeg, pou r Gilles Fontaine.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: La présente demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] vise à faire réviser et annuler la décision rendue le 27 octobre 1989 par un tribunal des droits de la personne [Fontaine v. Cdn. Pacific Ltd. (1989), 29 C.C.E.L. 192; 11 C.H.R.R. D/288; 89 CLLC 17,024] («tri- bunal») constitué sous le régime de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne («LCDP»)'. Le tribunal a décidé que la cessation d'emploi de M. Gilles Fontaine par Canadien Pacifique Limi- tée («CP») violait l'article 7 de la LCDP 2 et a adjugé, des dommages-intérêts et un redressement y afférents, lesquels ne sont pas contestés dans la présente demande. Il serait utile d'exposer les faits qui ont donné lieu au litige de façon plus détaillée.
LES FAITS
En décembre 1985, les médecins ont diagnosti- qué, chez Gilles Fontaine, le virus de l'immunodé- ficience humaine («VIH») qui peut aboutir au syndrome d'immunodéficience acquise («sida»). Son médecin de famille ne lui a pas recommandé de cesser de travailler comme cuisinier, un métier qu'il exerçait depuis de nombreuses années. Il a dit à M. Fontaine qu'il n'y avait aucune preuve médi- cale que le VIH pouvait être transmis à d'autres dans l'exécution de son travail et il l'a informé que c'était à lui de décider s'il voulait dévoiler à d'au- tres qu'il était infecté par le VIH.
Au printemps 1987, M. Fontaine s'est rendu au bureau de R. Smith (1960) Limited («Smith») pour postuler un emploi de cuisinier. À cette occa sion, il a rencontré Mme Rita. Berthelette, direc- trice du personnel chez Smith. Environ un mois et
L.R.C. (1985), chap. H-6.
2 L'article 7 dispose:
7. Constitue un article discriminatoire, s'il est fondé sur
un motif de distinction illicite, le fair, par des moyens directs
ou indirects:
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un
individu;
demi plus tard, on l'a informé qu'il était engagé et il a été affecté au poste de cuisinier dans une équipe d'entretien de la voie du CP chargée de travaux entre Broadview et Moose Jaw (Saska- tchewan). Son travail consistait à entretenir la cuisine, à commander les vivres et à préparer trois repas par jour pour une équipe d'environ 16 ou 17 hommes.
Le 19 mai 1987, M. Fontaine s'est présenté au chef cantonnier, M. J. Fowlie, qui était responsa- ble de l'équipe d'entretien, à Broadview (Saska- tchewan). Pendant un mois, M. Fontaine s'est acquitté de ses fonctions de cuisinier travaillant 15 heures par jour, du lundi au jeudi, sans qu'il n'y ait eu de plaintes à son égard. En outre, M. Fowlie, pour le compte, de CP, avait retenu les services de M. Fontaine pour que celui-ci vérifie, chaque fin de semaine, la génératrice et remplisse les fonc- tions générales de gardien de sécurité, lorsque l'équipe n'était pas au chantier. Ces services fai- saient l'objet d'une entente d'emploi distincte con- clue entre M. Fontaine et CP, qui n'avait aucun rapport avec ses fonctions de cuisinier.
Dans la soirée du 15 juin 1987, M. Fontaine a révélé à un membre de l'équipe d'entretien qu'il était infecté par le VIH 3 . La nouvelle s'est répan- due rapidement et les divers intéressés donnent des opinions divergentes sur ce qui s'est passé par la suite.
Néanmoins, sans passer en revue tous les témoi- gnages divergents sur la question à savoir si M. Fontaine a quitté son emploi volontairement ou s'il a été obligé de partir par suite de la découverte qu'il avait le virus VIH, il est important de noter que le tribunal a constaté et conclu que M. Fon- taine avait été congédié de façon implicite. Les commentaires du tribunal à cet égard sont impor- tants et méritent d'être répétés:
Les parties nous demandent de décider si M. Fontaine a quitté son emploi de son propre gré ou s'il s'est senti obligé de partir par suite de la découverte de sa maladie. M. Fontaine reconnaît clairement que ni M. Fowlie ni M. Lewko, ni certai- nement Mme Berthelette ne lui ont jamais dit qu'il était congédié. Il n'y a eu aucune cessation directe d'emploi en ce sens.
Toutefois, un fait indiscutable ressort de la preuve : il s'agit de la crainte véritable que M. Fontaine a ressentie après sa conversation avec M. Fowlie, au début de la matinée du 16 juin 1987. Non seulement M. Fowlie a-t-il exprimé à M. Fontaine
3 Aux p. 196à 198.
son inquiétude personnelle au sujet de la sécurité de ses hommes et du danger de propagation du sida dans tout le chantier, mais il a refusé personnellement de manger le déjeu- ner préparé ce matin-là. Il s'agissait d'un exemple dramati- que donné à ses hommes qu'ils faisaient face à un grave danger. Si le chef cantonnier responsable de toute l'équipe a donné un tel exemple, on peut facilement imaginer la réaction de l'équipe à l'égard de M. Fontaine. En outre, au cours du contre-interro- gatoire, M. Fowlie a admis la véracité d'une déclaration qu'il avait faite en juin 1988 à un enquêteur des droits de la personne selon laquelle il ne voulait pas que M. Fontaine prépare les repas du groupe pour deux raisons. L'une d'elles était qu'il s'inquiétait du fait que M. Fontaine puisse transmettre l'infec- tion au VIH, car on savait peu de choses au sujet de cette maladie. Même si lui-même et ses hommes n'étaient pas expo- sés, il s'inquiétait que ses hommes puissent néanmoins attaquer M. Fontaine si celui-ci demeurait au chantier. Ses inquiétudes étaient telles qu'il a déclaré avoir stationné son camion de façon à empêcher ses hommes de prendre leur voiture pour aller en ville chercher M. Fontaine. La crainte de celui-ci était si intense qu'il s'est réfugié dans une salle de lavage, à Broadview, pour éviter toute altercation. Mme Berthelette et M. Hutton ont confirmé dans leur témoignage que M. Fontaine avait fait part à d'autres de ses craintes pour sa propre sécurité.
Après discussion avec M. Fowlie, M. Fontaine avait certaine- ment l'impression qu'il ne pouvait continuer à travailler au chantier. Même avant d'aller téléphoner à Mme Berthelette, il avait déjà commencé à faire ses bagages. Dans son témoignage, Mme Berthelette a déclaré qu'elle voulait que M. Fontaine demeure sur place jusqu'à la fin de la semaine, non pas dans le but de faire une enquête sur toute l'affaire mais plutôt dans le but de gagner du temps afin de trouver un cuisinier de rempla- cement qui se rendrait au chantier. Nous devons conclure qu'elle ne s'attendait aucunement à ce que M. Fontaine ne demeure trop longtemps encore au chantier. De plus, personne, ni M. Fowlie, ni M. Lewko, ni Mme Berthelette, n'a fait ou dit quoi que ce soit afin d'apaiser les craintes de M. Fontaine.
Par conséquent, même si personne ne lui a dit expressément de partir et ne l'a menacé directement, il régnait un climat d'inimitié délimité qui n'a pas laissé de choix à M. Fontaine, si ce n'est de partir le plus tôt possible. M. Fowlie est à l'origine de cette appréhension de crainte, et il n'y a aucun doute qu'elle a surgi parce que M. Fontaine avait le virus du sida. La déclaration sans équivoque que Mm' Berthelette a faite dans le relevé d'emploi, selon lequel M. Fontaine était [TRADUCTION] «congédié par le chef cantonnier parce qu'il a le virus du sida» devait être fondée sur ce que M. Fowlie lui avait dit. Dans les circonstances, il faut conclure que M. Fontaine n'est pas parti de son plein gré, mais qu'il a été congédié de façon implicite: Voir Hinds c. Canada (Comm. de l'emploi et de l'immigration) (1988), 24 C.C.E.L. 65; 88 C.L.L.C. 17,029; 10 C.H.R.R. D/5683, à la p. D/5696 (T.C.D.P.). Par conséquent, nous concluons qu'il a été congédié pour cette raison et que la responsabilité de la cessation d'emploi incombe en premier lieu à M. Fowlie, et cet acte est attribuable, à son tour, à son employeur, C.P.: Voir Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; 40 D.L.R. (4th) 577; 8 C.H.R.R. D/4326; 87 C.L.L.C. 17,025; 75 N.R. 303.
En outre, l'absence d'une politique claire et précise sur le sida en milieu de travail, chez C.P., est à l'origine de situations comme la présente, des employés comme M. Fowlie doivent
eux-mêmes régler des problèmes en se fondant sur leurs propres préjugés personnels. Le Dr M. Grimard, chef des Services médicaux et de santé de C.P. a été appelé à témoigner pour indiquer la position de C.P. à l'égard des personnes affectées du sida ou ayant le VIH. Il a déclaré que C.P. considère ces personnes comme n'importe qui d'autre, qu'elles ne constituent aucune menace et ne font l'objet d'aucune restriction profes- sionnelle. Même s'il n'existe aucune politique écrite au C.P. au sujet du sida et du travail, le Dr Grimard a écrit des articles dans le bulletin de C.P. dans lesquels il a mis le problème du sida en perspective et souligné que la maladie est difficilement transmissible d'une personne à l'autre. Toutefois, ces articles du bulletin ne sont pas suffisants pour clarifier aux employés la position de C.P. sur la question. Le Dr Grimard a estimé lui-même qu'entre 200 et 300 employés de C.P. avaient l'infec- tion à VIH en 1987 et que ce seul fait laisse entendre que l'incident dont a fait l'objet M. Fontaine peut ne pas être le dernier, à moins que C.P. n'élabore et ne diffuse, au sein de son personnel, une politique écrite condamnant la discrimination exercée à l'égard de ceux qui sont affectés du sida ou ont l'infection à VIH, et ce, en vue d'éduquer le personnel et d'empêcher l'apparition de craintes irrationnelles qui pour- raient par ailleurs surgir dans les circonstances 4 .
LA DÉCISION DU TRIBUNAL
Vu ces faits et les constatations du tribunal y afférentes, notamment l'admission de CP qu'une personne atteinte du VIH souffre d'une «défi- cience» visée au paragraphe 3(1) de la LCDP 5 , le tribunal a conclu que le CP a contrevenu à l'article 7 de la LCDP en refusant de continuer d'employer M. Fontaine pour un motif de distinction illicite, soit son infection au virus HIV. En arrivant à cette conclusion, le tribunal a rejeté les arguments juri- diques de CP selon lesquels, premièrement, l'«em- ployeur» de M. Fontaine était Smith et non CP, si bien que celle-ci n'était pas responsable en vertu de l'article 7 de la LCDP, et, deuxièmement, que le tribunal n'avait pas compétence puisque l'activité en cause, c'est-à-dire la préparation des aliments
4 Aux p.198à200.
5 Le paragraphe 3(1) de la LCDP dispose:
3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.
De plus, le procureur de CP a reconnu qu'il n'existe aucun fondement valide pour refuser de continuer d'employer une personne ayant le VIH en invoquant l'argument selon lequel le fait de ne pas avoir l'infection à VIH constitue une exigence professionnelle véritable qui justifierait l'exercice de mesures discriminatoires pour cette raison en vertu de l'article 15 de la LCDP.
ou les services d'alimentation, étaient de compé ; tence provinciale et, par conséquent, la LCDP était inapplicable.
Ces mêmes arguments, avec quelques modifica tions, ont été présentés devant cette Cour et je voudrais maintenant les aborder.
DISCUSSION ET DISPOSITIFS
1. L'article 7 de la LCDP
Suivant cet argument, l'avocat de CP a affirmé que celle-ci n'avait jamais employé M. Fontaine et que ce dernier était plutôt à l'emploi de Smith. Puisque la relation employeur-employé en cause était entre Smith et M. Fontaine, CP n'aurait pas refusé de continuer d'employer M. Fontaine. Par conséquent, celle-ci ne saurait être responsable en vertu de l'article 7 de la LCDP. CP plaide qu'il doit y avoir une relation employeur-employé pour que l'article 7 s'applique et qu'il peut s'agir de la relation maître-préposé, au sens strict, ou celle qui unit le maître d'oeuvre à l'entrepreneur indépen- dant. Cependant, M. Fontaine ne faisait partie de ni l'une, ni l'autre de ces deux catégories à l'égard de CP puisqu'il n'était pas l'employé de celle-ci et qu'il n'était lié à elle par aucun contrat d'entre- prise indépendant pour ce qui était de ses fonctions de cuisinier.
CP a soutenu que le tribunal aurait commis une erreur en statuant que les dispositions de l'article 7 s'appliquaient dès qu'il était prouvé que la con- duite reprochée était attribuable à quelqu'un qui avait un degré de contrôle ou une influence consi- dérable sur l'employeur réel et, indirectement sur son employé. Selon le tribunal, le libellé de l'article 7 est assez large pour comprendre les actes discri- minatoires posés par quelqu'un qui, en raison de son poste, peut provoquer la violation d'une entente d'emploi 6 .
Il se peut que le tribunal se soit exprimé mala- droitement à certains égards. Cependant, j'estime qu'il a correctement statué sur l'argument relatif à l'article 7. À mon avis, compte tenu de l'objet de la LCDP et du libellé de l'article 7, CP a contrevenu à ses dispositions.
Je souscris à la jurisprudence qui a accordé au terme «employer» une signification plus large que
6 Voir dossier, volume 1, aux p. 18 et 19.
l'acception qu'or' lui donne dans une relation maî- tre-préposé, prisé dans son sens technique. Dans l'arrêt Pannu, Kang and Gill v. Prestige Cab Ltd.', la Cour d'appel de l'Alberta a entériné l'analyse du juge McDonald . dans l'affaire Cormier v. Human Rights Commission (Alta.) and Ed Block Trench ing Ltd.', selon laquelle des termes comme «employeur», «employer» et «emploi» doivent être interprétés de façon à promouvoir les objets de la loi provinciale sur les droits de' la personne. 9 Les commentaires du juge en, chef Laycraft, .qui; a rédigé le jugement de la. Cour d'appel de l'Alberta, sont particulièrement instructifs. , Le juge .s'est exprimé ainsi:
[TRADUCTION] Je souscris respectueusement à ces interpré- tations larges de l'article J a de la Individual's Rights Protection Act. «Employer» et «emploi» ou les termes qui en sont dérivés, peuvent, effectivement être utilisés dans le sens qui leur est reconnu dans le contexte de la relation préposé-càmmèttant reconnue en common law, dans laquelle le degré de contrôle constitue un facteur important pour déterminer l'existence de la. relation. Cependant, comme le montre l'analyse du juge McDo-. nald dans l'arrêt Cormier, l'acception de ces termes peut être limitée ou étendue par - une définition législative. Par ailleurs, une signification particulière de ces termes peut être mise en évidence,, comme c'était le cas dans l'affaire Yellow Cab Ltd. v. Board of Industrial Relations, précitée. En l'absence d'une telle définition législative, le terme «employer» et ses dérivés sont ambigus. Il est courant, et correct, au plan grammatical, d'utili- ser «employer» ou «emploi» dans le sens de «avoir recours».
À mon sens, d'après l'ensemble de l'Individual's Rights Protection Act, il est évident qu'à l'article 7, les termes sont utilisés dans un sens plus large que le contexte de la relation ordinaire préposé-conmmettant. La Loi ne vise pas les rapports purement privés, mais dans lés cas une personne offre un service au public, il semble clair que la Loi intervient. Son effet se fait sentir non pas au niveau du contrevenant, mais par l'établissement d'un mécanisme de redressement du préjudice causé ou devant `être causé à la victime de l'acte discrimina- toire. Dans ce contexte, il faut, à môn avis, interpréter le terme «employer» comme signifiant «avoir recours» 10 .
En l'espèce, peut-on, affirmer que CP a. refusé de continuer d'«avoir recours» à M. Fontaine comme cuisinier? Cette question nous amène à examiner plus attentivement l'article 7 de la LCDP.
Comme nous l'avons déjà mentionné, l'article 7 prévoit que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait,
' (1986), 73 A.R. 166 (C.A.).
8 (1984), 56 A.R. 351 (B.R.).
9 Voir, à cet égard, l'arrêt de la Cour suprême du Canada Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, notamment les motifs du juge La Forest, aux p. 89 à 91.
10 Ci-dessus, note 7, aux p. 171 et 172.
par des moyens directs ou indirects, de refuser d'employer ou de continuer d'employer un indi- vidu. Vu les faits constatés par le tribunal, surtout le fait que CP était la seule cliente de Smith à l'époque en cause et l'inférence selon laquelle CP déciderait assurément elle-même qui travaillerait comme cuisinier dans ses équipes d'entretien, il était certainement loisible au tribunal de conclure que CP avait, par un moyen indirect, refusé de continuer d'employer M. Fontaine en interprétant le terme «employé» dans le sens de «avoir recours», comme il a été exposé précédemment.
En conséquence, CP a contrevenu à l'article 7, sous réserve de la compétence du tribunal ce qui nous amène à traiter le second argument principal soulevé par CP.
2. Compétence du tribunal
Suivant cet argument, CP affirme que la ques tion en litige relève exclusivement de la compé- tence provinciale et n'est aucunement visée par la LCDP. Je ne suis pas de cet avis.
Le Parlement peut établir sa compétence exclu sive en matière d'emploi lorsqu'elle fait partie intégrante de la compétence première sur d'autres ouvrages, entreprises ou affaires de compétence fédérale. Il n'est pas contesté que le chemin de fer exploité par CP est une entreprise fédérale du fait de son caractère interprovincial (voir l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice JI, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)]). Il s'agit de déterminer si les besoins en services d'alimenta- tion, lesquels sont habituellement, lorsqu'ils sont pris isolément, de compétence provinciale, sont également une entreprise fédérale lorsqu'ils sont donnés à contrat à Smith, comme c'est le cas en l'espèce.
Selon l'arrêt Northern Telecom Ltée c. Travail- leurs en communication du Canada", il y a deux étapes à suivre pour répondre à la question 12 . Il
'' [1980] 1 R.C.S. 115. Voir également l'arrêt Northern Telecom Canada Ltée et autre c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733.
12 Voir Idem, à la p. 133, les commentaires du juge Dickson (alors juge puîné).
faut d'abord se demander s'il existe une entreprise fédérale principale et en étudier la portée. Puis, il faut étudier les activités normales ou habituelles de l'exploitation du sous-traitant en tant qu'entre- prise active et le lien pratique et fonctionnel entre ces activités et l'entreprise fédérale principale, pour déterminer si l'exploitation du sous-traitant peut être qualifiée de fondamentale, essentielle ou vitale à l'entreprise fédérale.
L'arrêt de cette Cour Bernshine Mobile Main tenance Ltd. c. Conseil canadien des relations du travail" illustre très bien comment les principes susmentionnés peuvent s'appliquer à une situation de fait semblable à d'importants égards aux cir- constances en l'espèce. Dans cette affaire, un ancien employé d'entretien d'une société de camionnage interprovincial (Reimer) a constitué sa propre société d'entretien de camions (Bern- shine) pour s'occuper de l'entretien des pneus et du lavage des véhicules de Reimer. Reimer était son unique client et il s'agissait de déterminer , si la nature de l'activité de Bernshine était fondamen- tale, essentielle et vitale pour l'exploitation de l'entreprise fédérale de camionnage interprovincial de Reimer.
Le juge Urie, J.C.A., s'est exprimé en ces termes:
En l'espèce, comme Reimer était, au moment de l'audience, le seul client de Bernshine, l'importance du travail effectué pour Reimer est des plus évidentes. L'on ne peut certainement pas dire que ce travail était exceptionnel ou occasionnel. A cet égard, la situation de Bernshine se distingue nettement de celle des fournisseurs d'essence et d'huile qui exploitent les diverses stations-service situées le long de la route, s'approvisionnent les routiers. L'avocat de l'appelante a tenté de placer sur un même pied les activités de Bernshine et celles de tels fournis- seurs. Naturellement, il ne s'agit pas de dire que toutes les sociétés fournissant des services d'entretien des pneus et de lavage des camions à une entreprise de transport de nature fédérale relève de la compétence fédérale. Qu'elles ressortissent ou non à cette compétence dépend en partie de la question de savoir si les services qu'elles fournissent sont occasionnels ou exceptionnels. Dans les circonstances particulières de l'espèce, ils ne l'étaient certainement pas.
Dans l'arrêt Telecom 2, le juge Dickson a conclu la page 772 R.C.S.; 5 D.L.R.] que ce facteur [le lien opérationnel entre l'activité en cause et l'entreprise fédérale] «est certaine- ment le plus important pour savoir qui du Parlement fédéral ou de la législature provinciale a la compétence constitutionnelle».
13 [1986] 1 C.F. 422 (C.A.).
Le juge Estey s'est montré du même avis. Ce facteur est celui dont l'étude entraîne l'application du critère du caractère «vital», «essentiel» ou «fondamental».
La question à se poser porte donc sur les faits et est la suivante: le travail exécuté par Bernshine pour Reimer est-il de telle nature qu'il est essentiel, vital ou fondamental aux activités de ce dernier?
Le Conseil a conclu que c'était le cas. Aux pages 35 et 36 de ses motifs, il est dit:
Dans la présente affaire, tant que le travail était effectué chez Reimer par ses propres employés, les parties avaient supposé que les services de lavage de camions et de répara- tion de pneus relevaient de la compétence fédérale comme tout le reste de l'exploitation de Reimer. Cette situation a-t-elle changé d'une façon quelconque du simple fait que les services soient maintenant assurés par Bernshine, société distincte sans lien corporatif avec Reimer? Nous ne le pen- sons pas.
Du point de vue des relations de travail, Bernshine est une société distincte et un employeur distinct de Reimer, mais du point de vue constitutionnel, Bernshine fait partie intégrante de l'entreprise fédérale de Reimer. Nous concluons donc que le Conseil possède la compétence constitutionnelle auprès de l'exploitation de Bernshine. (C'est moi qui souligne.)
Cette conclusion est amplement appuyée par la preuve ...
De plus, Reimer ne pourrait, sans camions, exploiter son affaire. Les camions, les tracteurs et les remorques seraient inutilisables s'ils n'étaient pas munis de pneus adéquats 14 .
En l'espèce, Smith est dans la même situation que Bernshine dans la mesure elle fournit des services d'alimentation exclusifs aux équipes de l'entretien de la voie de CP, cette dernière est son seul client et les services qu'elle fournit sont vitaux, essentiels et fondamentaux à l'exploitation du chemin de fer de CP. Celui-ci doit être' entre- tenu, il faut que des équipes d'entretien se rendent dans les régions isolées pour effectuer les travaux
14 Idem, aux p. 433à 435.
et ces équipes ne peuvent faire leur travail sans être nourris par des cuisiniers sur place. En consé- quence, il existe un lien direct entre l'entreprise fédérale principale de CP, son chemin de fer, et les activités de Smith 15 .
En somme, je rejetterais la demande fondée sur l'article 28.
LE JUGE URIE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
15 Les stipulations du contrat intervenu entre CP et Smith montrent de façon frappante à quel point les entreprises de C.P. et Smith sont liées. Il convient de mentionner que ce contrat n'était pas en preuve devant le tribunal et qu'à l'audition de la présente demande, la Cour a autorisé qu'elle soit ajoutée au dossier en application de la Règle 1102(1) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] dans la mesure elle intéressait la compétence du tribunal. Voir l'affidavit de René Duval (Pièce E), du 21 août 1990. Il suffit de dire qu'un certain nombre de stipulations font voir comment les activités de Smith sont intégrées à celles de CP. Par exemple, il est stipulé au contrat qu'il incombe à Smith de fournir les installations nécessaires à la préparation des aliments et de les installer dans les wagons de CP et que Smith fasse payer la dotation aux amortissements relative à ce matériel. En passant, je signale que le tribunal avait noté que les conditions du contrat n'avaient pas été mises en preuve: voir dossier, volume 1, à la p. 14. Je suis certain que le tribunal aurait attaché la plus haute importance aux conditions du contrat aux fins de statuer sur les arguments relatifs à l'article 7 et à ceux relatifs à sa compé- tence. Cependant, j'estime que les observations répétées de l'avocat de CP au tribunal selon lesquelles sa cliente n'exerçait aucun contrôle sur Smith sont encore plus embarrassantes: voir dossier, volume 5, aux p. 687 et 694. Pourtant, la clause 21 du contrat stipule que CP peut effectivement exiger le renvoi ou le remplacement de tout employé de Smith qu'elle juge insatisfaisant.
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