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T-2182-86
Mondel Transport Inc. (demanderesse)
c.
Afram Lines Ltd. (défenderesse)
et
Afram Lines Ltd. (demanderesse reconvention- nelle)
c.
Mondel Transport Inc. et Sa Majesté la Reine du Chef du Canada (défenderesses reconventionnel- les)
RÉPERTORIÉ: MONDEL TRANSPORT INC. C. AFRAM LINES LTD. (1" INST.)
Section de première instance, juge Addy —Mont- réal, 18 avril; Ottawa, 14 septembre 1990.
Droit maritime Responsabilité délictuelle Action en vue de recouvrer les frais juridiques et les dépens engagés pour obtenir la libération judiciaire d'une cargaison saisie illégale- ment par le transporteur Le délit de l'abus de procédure, qui est reconnu en common law, s'applique aux recours en amirauté, pourvu que l'on ait établi la mauvaise foi ou une intention malveillante non justifiée Action accueillie Le transporteur savait qu'il n'avait pas le droit de saisir la cargaison et la demanderesse s'est vu forcée soit de payer le fret, soit d'engager des procédures pour obtenir la mainlevée de la saisie Travestissement de la justice pour extorquer de l'argent de cette façon L'action que la demanderesse a intentée en vue d'obtenir la mainlevée de la saisie de la cargaison est justifiée L'action en paiement du fret fondée sur le motif que le propriétaire et la demanderesse savaient que les connaissements étaient entachés de fraude au moment du paiement est rejetée Il n'a pas été établi que d'autres parties ont accepté l'insertion de la clause «le fret doit être payé intégralement avant la livraison de la cargaison» dans les connaissements Il n'a pas été établi que le propriétaire et la demanderesse savaient que les connaissements n'étaient pas autorisés avant de payer.
Il s'agit d'une action en dommages-intérêts en vue de recou- vrer les frais que Mondel a engagés pour se rendre à Abidjan afin d'obtenir la libération judiciaire de la cargaison et d'une demande reconventionnelle visant à obtenir le paiement du fret se rapportant au transport par voie maritime d'une cargaison d'huile de colza canola. Selon le contrat d'affrètement conclu entre Mondel et le propriétaire de la cargaison, le paiement devait être fait cinq jours après la livraison. Des ententes correspondantes se rapportant à la partie maritime du contrat de transport ont été conclues entre Mondel et Merchants et entre Merchants et Afram. Même si Afram savait que des conditions identiques à celles qui se trouvaient dans la partie du contrat d'affrètement se rapportant au fret s'appliquaient, les connaissements qu'elle a établis après que Mondel et Mer chants ont été payées renfermaient les mots «fret payé à
l'avance» et la clause «le fret doit être payé intégralement avant la livraison de la cargaison». Cette dernière clause a été dacty- lographiée à l'aide d'une machine à écrire différente de celle qui a été utilisée pour le reste du connaissement. Les mots «fret payé à l'avance» indiquent seulement que le transporteur renonce à son droit normal d'utiliser la cargaison comme garantie du paiement du fret. Ces mots apparaissent également sur le manifeste de la cargaison. Lorsque la cargaison est arrivée à Abidjan, Afram a refusé de la remettre, pour le motif que le fret n'avait pas été payé et que les connaissements que Merchants avait donnés à Mondel étaient entachés de fraude, puisqu'ils n'avaient été signés ni par Afram ni par un manda- taire autorisé. Afram a avisé le propriétaire et Mondel qu'elle avait l'intention de se départir d'une partie de la cargaison par vente judiciaire. Mondel a envoyé un avocat et deux représen- tants de son entreprise à Abdijan pour obtenir une mainlevée de la saisie par les tribunaux. La première communication écrite adressée au propriétaire ou à Mondel au sujet des connaisse- ments non autorisés a été faite cinq jours après que le proprié- taire a payé Mondel et quatre jours après que celle-ci a payé Merchants. Afram a allégué que le propriétaire et Mondel avaient omis de déterminer si Merchants était autorisée à signer les connaissements sur le navire d'Afram après avoir appris qu'ils étaient entachés de fraude, qu'ils ont omis de protéger l'argent du fret des actes illégaux de Merchants et qu'ils ont bénéficié illégalement de ces actes, sachant que les connaissements étaient frauduleux. Les questions en litige con- sistaient à savoir si le propriétaire, lorsqu'il a payé Mondel et que celle-ci a payé Merchants, savait qu'Afram soutenait que les connaissements étaient entachés de fraude et si Mondel avait droit au remboursement de ses frais juridiques.
Jugement: l'action en dommages-intérêts fondée sur le délit de l'abus de procédure devrait être accueillie et l'action en paiement du fret devrait être rejetée.
Afram n'a pas établi que le propriétaire et Mondel avaient été avisés, avant de payer le fret, du fait que les connaissements que Merchants a remis à Mondel n'étaient pas autorisés. Ils ont été informés de ce fait après le paiement à Merchants. Le manifeste de cargaison était une preuve importante du fait que, lors du chargement de la cargaison, l'entente entre l'expéditeur de fret et le transporteur était que celui-ci ne se servirait pas de la cargaison comme garantie du paiement du fret. Il n'y a aucune preuve indiquant que les autres parties ont accepté l'insertion de la clause contradictoire «le fret doit être payé intégralement avant la livraison de la cargaison». Les alléga- tions d'enrichissement sans cause n'étaient pas fondées, étant donné que ni Mondel ni le propriétaire n'ont joui d'un avan- tage, puisqu'ils ont payé les frais de fret.
Il n'y avait pas de contrat entre Afram et Mondel ou entre Afram et le propriétaire. Mondel devait donc fonder sa demande de remboursement des frais sur un délit. Le délit de l'abus de procédure pour lequel une indemnité, y compris des dommages-intérêts exemplaires, peut être réclamée a une portée restreinte et il faut établir la mauvaise foi ou l'existence d'une intention inappropriée ou malveillante non fondée à l'appui des poursuites judiciaires intentées. Tous les frais et dépens raisonnables engagés pour contester ou poursuivre une action peuvent être recouvrés en droit. Le délit de l'abus de procédure reconnu en common law s'applique aux recours en amirauté, compte tenu du principe de la restitutio in integrum, qui a été reconnu davantage en droit de l'amirauté qu'en
common law, en raison de l'adoption par les tribunaux de l'amirauté de certains principes de droit civil. Afram savait que le fret devait être payé avant l'expédition des marchandises et elle était au courant des conditions de paiement convenues entre les propriétaires et Mondel. Elle a comprendre qu'elle n'avait pas le droit de saisir la cargaison ou le fret. Elle devait également savoir que Mondel serait forcée de payer le fret ou d'engager immédiatement des procédures à Abidjan pour obte- nir la mainlevée de la saisie. On a utilisé la procédure judiciaire de façon abusive pour extorquer de Monde] et du propriétaire une somme d'argent que ni l'une ni l'autre de ces parties n'étaient légalement tenues de payer. La saisie de la cargaison et la menace de vendre immédiatement celle-ci constituaient une forme de chantage commercial. Mondel était entièrement justifiée de prendre toutes les mesures raisonnables pour obte- nir la mainlevée de la saisie afin d'éviter un préjudice financier important dans l'immédiat et une perte considérable d'achalan- dage et de possibilités contractuelles pour l'avenir. Même s'il est rarement possible de recouvrer comme dommages-intérêts tous les dépens et les frais juridiques raisonnables, Afram est tenue de les rembourser à Mondel.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Torsol (1938), 61 L1. L. Rep. 207 (Adm. Div.); Xenos v. Aldersley—The Evangelismos, [1878] 12 Moo. 352; (1878), 14 E.R. 945 (P.C.); Turnbull v. Owners of Ship «Strathnaver» (1875), 1 App. Cas 58 (P.C.); Guil- ford Industries Ltd. v. Hankinson Management Services Ltd. et al. (1973), 40 D.L.R. (3d) 398; [1974] 1 W.W.R. 141 (C.S.C.-B.); Vantage Navigation Corporation v. Suhail and Saud Bahwan Building Materials LLC (The Alev), [1989] 1 Lloyd's Rep. 138 (Q.B.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hammond v. Bussey (1887), 20 Q.B.D. 79 (C.A.); Weinstein et al. v. A.E. LePage (Ontario) Ltd. et al. (1984), 47 O.R. (2d) 126; 10 D.L.R. (4th) 717; 4 O.A.C. 234; 34 R.P.R. 63 (C.A.); Agius v. Great Western Col liery Company, [1899] 1 Q.B. 413 (C.A.); Kasler and Cohen v. Slavouski, [1928] 1 K.B. 78; Crispin & Co. v. Evans, Coleman & Evans Ltd. (1922), 31 B.C.R. 328; 68 D.L.R. 623; [1922] 3 W.W.R. 264 (C.S.); Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341.
DÉCISION EXAMINÉE:
Atland Containers Ltd. v. Macs Corp. Ltd. et al. (1974), 7 O.R. (2d) 107; 54 D.L.R. (3d) 363; 17 C.P.R. (2d) 16 (H.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Chastine Maersk (Le) c. Trans -Mar Trading Co. Ltd., T-1357-74, motifs du juge Mahoney, jugement en date du 6-11-74, C.F. 1" inst., non publié; C.P. Ships c. Les Industries Lyon Corduroys Ltée, [1983] 1 C.F. 736; (1982), 21 B.L.R. 185; 44 C.B.R. (N.S.) 163 (1 fe inst.); The Eudora (1879), 4 P.D. 208.
AVOCATS:
Andrew J. Ness pour la demanderesse/défen- deresse reconventionnelle.
David G. Colford pour la défenderesse/ demanderesse reconventionnelle.
Danièle Dion pour la défenderesse reconven- tionnelle Sa Majesté la Reine.
PROCUREURS:
Marier, Sproule & Pilotte, Montréal, pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle. Brisset Bishop Davidson, Montréal, pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse reconventionnelle Sa Majesté la Reine.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE ADDY: La présente action porte sur le paiement du fret se rapportant à la partie mari time du transport d'une cargaison d'huile de colza canola que l'ACDI a envoyée en Afrique par l'entremise du ministère des Approvisionnements et Services (MAS).
Après avoir soumis une offre qui a été retenue, la demanderesse «Mondel» a obtenu de Sa Majesté la Reine, par l'entremise du MAS, une entente relative au transport de la cargaison du port de Montréal au port d'Abidjan, en Côte d'Ivoire, et par la suite, par voie terrestre aux États de Bur- kina Faso et du Niger. Conformément à l'entente, Mondel a conclu un contrat d'affrétement avec le MAS. Elle a ensuite conclu une entente correspon- dante avec Merchants North America Shipping Limited, ci-après appelée «Merchants», relative- ment à la partie maritime du transport. Merchants s'est engagée à se conformer à toutes les conditions du contrat d'affrétement conclu entre Mondel et le MAS, sauf en ce qui a trait au taux de fret. Peu de temps après, Merchants a conclu un contrat de prêt à court terme avec Afram Lines Limited, ci-après appelée «Afram», relativement à la partie maritime du transport de ladite cargaison de Montréal au port d'Abidjan. Des connaissements ont subséquemment été établis relativement à cette entente.
Lorque la cargaison est arrivée à Abidjan, Afram a refusé de la livrer, pour le motif qu'elle n'avait pas reçu le paiement du fret et que ni Afram ni une personne autorisée par celle-ci n'avaient signé les connaissements que Mondel a reçus de Merchants et que les mandataires de Mondel ont présentés. Les parties ont admis ce fait. Afram a soutenu que les connaissements pré- sentés par Merchants étaient entachés de fraude.
Le MAS a payé Mondel qui, à son tour, a payé Merchants, mais celle-ci n'a jamais payé et a refusé de payer Afram, en raison de graves conflits qui les opposaient. Afram a donc avisé Mondel et le MAS que, afin d'obtenir le paiement de sa créance relative au fret, elle avait l'intention de disposer d'une partie de la cargaison par vente judiciaire à Abidjan, à moins de recevoir le paie- ment immédiat du fret. Le MAS a fait savoir à Mondel que, à moins que les marchandises ne soient libérées, il prélèverait des sommes d'argent à même la lettre de crédit que Mondel avait déposée conformément à son contrat et qu'il la tiendrait également responsable du préjudice découlant de la non-livraison.
Par la suite, Mondel a envoyé un de ses avocats et deux de ses représentants à Abidjan pour obte- nir une mainlevée judiciaire de la saisie. L'avocat de Mondel a présenté une demande devant un tribunal de la Côte d'Ivoire en vue d'obtenir la mainlevée immédiate de la saisie de la cargaison et sa demande a été acceptée.
Les revendications des parties peuvent se résu- mer comme suit.
Mondel réclame de la société Afram la somme de 79 104,88 $ à l'égard des frais qu'elle a engagés pour obtenir la mainlevée de la saisie à Abidjan. Afram nie être responsable et réclame de Mondel ainsi que du MAS la somme de 179 440 $ U.S. (ou 251 220,60 $ CAN) pour le fret, soutenant que ceux-ci ont omis de vérifier si Merchants était autorisée à signer les connaissements sur le navire d'Afram après avoir été avisés qu'ils étaient enta- chés de fraude, qu'ils ont omis d'adopter des mesu- res visant à protéger l'argent du fret des actes frauduleux et illégaux de Merchants et qu'ils ont bénéficié illégalement desdits actes, puisqu'ils
savaient ou étaient en mesure de savoir que les connaissements étaient entachés de fraude.
La cargaison destinée à être envoyée à Abidjan avait quitté le port de Montréal à bord du navire Philippi, qui avait été affrété par Afram et était exploité au nom de celle-ci. Dès l'arrivée du navire à Abidjan le 16 janvier 1986, Afram a saisi la cargaison après avoir obtenu du tribunal local une ordonnance ex parte, étant donné que ces saisies ne peuvent être faites au Niger sans l'autorisation du tribunal. L'ordonnance de mainlevée de la saisie a été obtenue le 13 février. Entre-temps, le 7 février, Afram a libéré volontairement la majeure partie de la cargaison, étant donné que la quantité initialement saisie était nettement exagé- rée, compte tenu du montant réclamé à l'égard du fret.
De l'aveu des parties, le connaissement que Mondel a présenté au MAS après l'avoir obtenu de Merchants et sur la foi duquel elle a payé Mer chants après avoir elle-même été payée par le MAS n'était pas un connaissement qu'avait approuvé le capitaine du Philippi ou un manda- taire autorisé d'Afram. Cependant, l'avocat d'Afram a admis aisément qu'on ne pouvait repro- cher à Mondel d'avoir omis de vérifier, lorsqu'elle a reçu les connaissements, le pouvoir réel de la personne qui a prétendu les signer au nom de Merchants, les parties reconnaissant que les per- sonnes oeuvrant dans le domaine de l'expédition ne procèdent normalement pas à ce genre de vérifica- tion, à moins qu'il n'existe une cause de préoccupa- tion spéciale, car la poursuite des activités devien- drait impossible, compte tenu des centaines de connaissements établis chaque jour.
Selon le contrat initial conclu avec le MAS, les connaissements devaient être établis selon la for- mule Baltimore «C» et le MAS devait payer cinq jours après l'exécution de la totalité du travail ou cinq jours après la réception des documents justifi- catifs, selon la plus tardive des deux dates. Afram était bien au courant de ces conditions lorsqu'elle a conclu son entente avec Merchants et elle savait qu'elle conclurait une entente correspondante con- forme aux contrats intervenus entre Merchants et Mondel et entre cette dernière et le MAS. En d'autres termes, Afram savait et elle a effective- ment confirmé qu'elle réservait des services de
transport maritime conformément à une entente correspondante dont les conditions étaient identi- ques à celles de la partie maritime du contrat d'affrétement. Afram avait une copie de ce contrat d'affrétement.
Il n'a pas été prouvé que le connaissement de type Baltimore «C» que Merchants a signé était inexact quant au montant ou quant à la nature de la cargaison expédiée et cette question n'a pas fait l'objet de contestation. Les mandataires de Mer chants ont présenté les connaissements à Mondel le 22 décembre 1985 et celle-ci les a soumis au MAS vers le 23.
La principale controverse dans le présent litige porte sur la question de savoir si le MAS savait, lorsqu'il a payé Mondel et que celle-ci a payé Merchants sur la foi des connaissements, que la société Afram soutenait qu'ils étaient entachés de fraude ou qu'ils n'étaient pas autorisés. Je constate que le MAS a payé Mondel le 8 janvier et que celle-ci a payé Merchants le lendemain.
Afram n'a pas préparé de connaissement de type Baltimore «C», comme l'exigeait la charte-partie, mais elle a établi des connaissements spéciaux selon la forme qu'exigeaient apparemment les pro- priétaires du navire et les assureurs. Les connaisse- ments ne comportaient pas les conditions de l'offre du MAS, contrairement à ce qui était stipulé dans la charte-partie du MAS, et Afram comptait effec- tivement transporter une partie de la marchandise sur le pont, même si elle savait très bien que le MAS avait demandé le transport sous le pont. Les connaissements de la société Afram portent la date du 22 décembre 1985, mais ils n'ont été établis que le 13 janvier 1986.
J'ai de sérieux doutes au sujet du témoignage de M. Bott et je ne suis pas prêt à conclure, contrai- rement à ce qu'il a soutenu, qu'il a parlé aux gens du MAS et de Mondel le 7 janvier ou en tout temps avant le paiement fait par celle-ci le 9 jan- vier, au sujet des connaissements non autorisés que Merchants a présentés, ou qu'il leur a effective- ment dit avant ce moment-là que les connaisse- ments étaient entachés de fraude. La première communication écrite qui porte sur cette question est en date du 13 janvier. M. Lambert et M. De- lorme ont dit tous deux au cours de leur témoi- gnage qu'ils n'avaient reçu aucun avis de la société
Afram avant le paiement du fret à Merchants. Il est effectivement difficile de concevoir qu'une per- sonne du MAS paierait, sans enquête, le montant du fret à Mondel ou que celle-ci le paierait à Merchants à un moment le transporteur Afram soutenait que les connaissements étaient entachés de fraude. Il est également difficile de comprendre pourquoi, si Afram a appris que Merchants avait présenté ou qu'elle avait l'intention de présenter des connaissements entachés de fraude, elle n'a pas avisé immédiatement Mondel et le MAS de ce fait par écrit. Il appert manifestement des documents que, même le 3 janvier 1986, Afram cherchait encore à se faire payer par Merchants et ce n'est que quelque temps après qu'elle a décidé de pré- senter sa demande de paiement au MAS et à Mondel ou au consignataire.
Même les connaissements que la société Afram a établis et sur lesquels elle se fonde pour contester l'action de Mondel et formuler des réclamations dans sa propre action renfermaient les mots «fret payé à l'avance». Évidemment, cela ne signifie pas que le transporteur a effectivement été payé; cela indique simplement qu'il renonce à son droit normal de conserver la cargaison comme garantie du paiement du fret. Voir l'arrêt Chastine Maersk (Le) c. Trans -Mar Trading Co. Ltd., jugement non publié du juge Mahoney en date du 6 novembre 1974, dossier T-1357-74; C.P. Ships c. Les Industries Lyon Corduroys Ltée, [1983] 1 C.F. 736 (ire inst.).
Afram a invoqué certains arrêts américains selon lesquels, même si le propriétaire des mar- chandises et l'expéditeur peuvent se fonder sur les mots «fret payé à l'avance» inscrits à l'endos, il sera quand même loisible à un tribunal de conclure qu'il existait entre le transporteur et le consigna- taire une entente interdisant à celui-ci de refuser de payer sur livraison; le tribunal permettra alors au transporteur de revendiquer un privilège et de saisir les marchandises en garantie du paiement du fret. Je ne formulerai aucun commentaire sur la question de savoir si ce principe serait reconnu par nos tribunaux, étant donné que, en l'espèce, le consignataire et Mondel ou son cessionnaire, comme transporteur, ne font qu'un, puisque la cargaison devait être expédiée aux consignataires finals uniquement après le parcours par voie ter- restre vers sa destination finale.
Cependant, le connaissement de la société Afram renferme également les mots [TRADUC- TION] «le fret doit être payé intégralement avant la livraison de la cargaison». Fait étrange, les deux expressions, qui sont fondamentalement contradic- toires, sont paraphées par Twelve Oaks, les man- dataires autorisés de la société Afram, qui n'a donné aucune explication sur la question de savoir pourquoi ces conditions contradictoires ont toutes deux été intégrées. Cependant, cette dernière clause portant que le fret doit être payé sur livrai- son a été écrite à l'aide d'une machine à écrire différente de celle qui a été utilisée pour le reste du connaissement et les mots «fret payé à l'avance». Le manifeste de fret, qui est daté du 27 décembre et qui est également signé au nom d'Afram, com- porte également les mots «fret payé à l'avance» pour tous les articles et éléments qui y sont men- tionnés. Bien qu'un manifeste de fret ne soit pas un document attestant le titre de propriété, l'inscrip- tion, tout au long de ce document, des mots «fret payé à l'avance» constitue une preuve importante du fait que, lors du chargement de la cargaison, l'entente entre l'expéditeur de fret et le transpor- teur était que celui-ci ne se servirait pas de la cargaison comme garantie du paiement du fret.
Un autre élément important de preuve concer- nant la séquence des événements est la pièce 6, qui est un télex en date du 13 janvier que la société Afram Lines a fait parvenir à ses mandataires Twelve Oaks pour leur demander d'inscrire sur les connaissements les mots [TRADUCTION] «le fret doit être payé intégralement avant la remise du connaissement». Cette directive a été modifiée par un appel téléphonique du même jour selon lequel il fallait plutôt ajouter les mots [TRADUCTION] «le fret doit être payé intégralement avant la livraison de la cargaison» qui correspondent, comme je l'ai déjà mentionné, aux mots effectivement inscrits sur les connaissements de la société Afram. Cela prouve assez clairement que ce n'est que le 13 jan- vier que ces derniers mots susmentionnés ont été inscrits sur le connaissement et il n'y a aucune preuve digne de foi établissant que ce changement a été accepté, que ce soit de façon explicite ou implicite, par le MAS, Mondel, Merchants ou les consignataires.
Dans l'ensemble, mise à part la question de savoir si Afram, étant pleinement au courant des
conditions du contrat d'affrétement conclu entre le MAS et Mondel, pourrait, en droit, opposer un privilège sur la cargaison, il est évident que les réclamations de la société Afram contre Mondel et le MAS étaient fondées sur la preuve du fait que, avant de payer les frais de fret, ceux-ci ont effecti- vement été avisés et prévenus que les connaisse- ments remis à Mondel par Merchants n'étaient pas autorisés et qu'Afram les jugeait frauduleux. A mon sens, non seulement ce fait n'a-t-il pas été établi, mais bien au contraire, il a été démontré avec certitude que ces parties n'ont été avisées de cette situation qu'après le paiement à Merchants. L'argument supplémentaire de la société Afram selon lequel elle devrait avoir le droit de recouvrer le montant qu'elle réclame en raison de l'enrichis- sement sans cause du MAS ou de Mondel n'a tout simplement aucun sens: ni l'une ni l'autre de ces parties n'ont bénéficié de la situation, puisqu'elles ont effectivement payé les frais de fret. De toute évidence, la seule partie à l'encontre de laquelle l'argument de l'enrichissement sans cause pourrait être invoqué serait Merchants. Les réclamations que la société Afram a formulées contre ces parties doivent donc être rejetées.
La réclamation de Mondel relativement au rem- boursement des frais qu'elle a engagés pour se rendre à Abidjan afin d'obtenir la mainlevée de la saisie faite par Afram est un peu plus ténue du point de vue juridique.
L'avocat de la société Afram a invoqué trois arrêts anglais pour soutenir que Mondel n'avait pas le droit de recouvrer à titre de dommages-inté- rêts les frais et dépens qu'elle a engagés pour obtenir la mainlevée de la saisie. Les deux pre miers arrêts portent sur la saisie inappropriée d'un navire, tandis que le dernier concerne une cargai- son. Les trois causes en question sont les suivantes: Xenos v. Aldersley—The Evangelismos, [1878] 12 Moo. 352; (1878), 14 E.R. 945 (P.C.); Turnbull v. Owners of Ship «Strathnaver» (1875), 1 App. Cas. 58 (P.C.); et The Eudora (1879), 4 P.D. 208.
Dans chacune de ces causes-là, la demande de dommages-intérêts concernant la saisie des biens des demandeurs a été rejetée. L'arrêt The Evange- lismos, qui concernait un appel d'une décision rendue par la High Court of Admiralty, est un arrêt-clé. Le Comité judiciaire du Conseil privé a subséquemment approuvé les principes de cet
arrêt-là dans un appel d'une décision rendue par la Vice -Admiralty Court de la Nouvelle-Zélande et, dans l'arrêt The Eudora, le tribunal a également confirmé et appliqué ces principes, sans toutefois dire pourquoi.
Il est important de mentionner que, dans les deux premiers arrêts, la Cour a pleinement reconnu qu'une action pour abus de procédure serait possible si le demandeur pouvait établir la mauvaise foi ou la négligence grave dont la partie défenderesse a fait preuve en engageant les pour- suites judiciaires reprochées.
Aux pages 359 et 360 de l'arrêt The Evangelis- mos, précité, nous pouvons lire les remarques suivantes:
[TRADUCTION] Nous sommes d'avis qu'il n'y a pas de raison de dire que cette cause-là ne s'applique pas ou d'accorder une indemnité. De toute évidence, il peut y avoir des cas il y a mauvaise foi ou négligence grave, ce qui sous-entend une intention de nuire, de sorte qu'un tribunal de l'amirauté serait justifié d'accorder une indemnité, puisqu'il est possible de le faire dans une action en common law. Cependant, les poursui- tes engagées devant le tribunal de l'amirauté sont plus utiles, car une indemnité peut être accordée dans l'action la principale question en litige est tranchée.
Compte tenu des principes exposés à l'égard des actions appartenant à cette description, la véritable question en l'espèce est la suivante: y a-t-il ou non des raisons de dire que l'action intentée était dénuée de justification, d'apparence de droit ou de fondement à un point tel qu'elle sous-entend plutôt une intention de nuire de la part de la partie demanderesse, ou de la négligence grave, ce qui équivaut à une intention de nuire? À notre avis, aucun élément de la preuve n'établit la proposition de la partie appelante.
Dans l'arrêt «Strathnaver», les principes établis dans The Evangelismos ont été pleinement approuvés et ont été appliqués de la façon suivante à la page 67 du rapport précité:
[TRADUCTION] De toute évidence, il peut y avoir des cas il y a mauvaise foi ou négligence grave, ce qui sous-entend une intention de nuire, de sorte qu'un tribunal de l'amirauté serait justifié d'accorder une indemnité, puisqu'il est possible de le faire dans une action en common law. Cependant, les poursui- tes engagées devant le tribunal de l'amirauté sont plus utiles, car une indemnité peut être accordée dans l'action la principale question en litige est tranchée. Nous en sommes venus à la conclusion que, bien que la preuve soit très solide, en ce sens que l'on s'est trompé de navire lors de la saisie, en l'absence de preuve de mauvaise foi ou d'intention de nuire, nous ne devrions pas condamner les parties qui saisissent un navire à payer des dommages-intérêts. À notre avis, les princi- pes de droit généraux qui sont exposés dans ce jugement sont appropriés et nous avons l'intention de les appliquer. Nous aviserons donc humblement Sa Majesté que cette partie de la sentence du savant juge est infirmée.
Bien que l'on ne semble pas avoir parlé explicite- ment des frais juridiques liés à la contestation d'une autre action dans ces arrêts-là, mais plutôt des dommages accessoires découlant de l'introduc- tion et de la poursuite de l'action, ce sujet est abordé dans The Torsol (1938), 61 Ll. L. Rep. 207 (Adm. Div.), le droit de recouvrer les frais a été reconnu et appliqué. Dans l'arrêt Atland Containers Ltd. v. Macs Corp. Ltd. et al. (1974), 7 O.R. (2d) 107 (H.C.), qui portait également sur une réclamation découlant de l'abus de procédure, la demande a été rejetée, mais le juge de première instance a reconnu le principe régissant le délit de l'abus de procédure. Dans le dernier paragraphe de ses commentaires, le juge Parker, tel était alors son titre, a dit ce qui suit, à la page 111:
[TRADUCTION] Cependant, les règles concernant l'abus de procédure ont une portée très restreinte. Elles ne s'appliquent que lorsque les procédures judiciaires sont utilisées à une fin inappropriée et qu'il y a une menace ou un acte précis pour l'accomplissement de cette fin. Aucun acte ou menace de cette nature n'est invoqué en l'espèce. À tout événement, la demande reconventionnelle ne peut être incluse dans la présente action, puisque les causes d'action sont différentes. En conséquence, la demande reconventionnelle sera rayée avec dépens.
Il semble donc évident qu'en droit canadien, le délit de l'abus de procédure pour lequel une indemnité, y compris des dommages-intérêts exem- plaires, peut être réclamée existe, mais que la portée de ce droit est restreinte et qu'il faut prou- ver la mauvaise foi, l'intention de nuire ou un but inapproprié qui n'est aucunement justifié.
À l'appui de sa demande, Mondel a cité les arrêts suivants: Hammond v. Bussey (1887), 20 Q.B.D. 79 (C.A.); Weinstein et al. v. A.E. LePage (Ontario) Ltd. et al. (1984), 47 O.R. (2d) 126 (C.A.); Agius v. Great Western Colliery Com pany, [1899] 1 Q.B. 413 (C.A.); Kasler and Cohen v. Slavouski, [1928] 1 K.B. 78; et Crispin & Co. v. Evans, Coleman & Evans Ltd. (1922), 31 B.C.R. 328 (S.C.). Toutes ces causes portent sur l'applica- tion de la règle énoncée dans l'arrêt classique Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341. Dans chacun de ces jugements-là, on a reconnu que, sous réserve des règles concernant le caractère éloigné du préjudice, il est possible de recouvrer a titre de dommages-intérêts les frais engagés pour poursui- vre ou contester une autre action. Cependant, dans tous ces arrêts-là, il s'agissait d'actions découlant de la rupture d'un contrat. Par ailleurs, l'arrêt The Torsol, précité, portait sur un délit.
Il n'y avait évidemment aucun lien contractuel entre Afram et Mondel ou le MAS. Afram avait conclu une entente avec Merchants. Si Mondel était tenue, en droit, de fonder sa demande sur la rupture de contrat, elle ne réussirait certes pas.
Compte tenu de l'arrêt The Torsol et surtout des principes qui ont été clairement reconnus par les tribunaux anglais dans les arrêts The Evange- lismos et «Strathnaver», que la société Afram a invoqués et qui étaient fondés sur le délit de l'abus de procédure, je ne vois pas pourquoi, dans un cas approprié, une partie n'aurait pas le droit de recouvrer tous les frais juridiques raisonnables qu'elle a engagés dans la contestation ou la pour- suite d'une autre action. J'estime que les principes énoncés dans ces décisions anglaises s'appliquent aux causes d'amirauté canadiennes. Il ne peut y avoir de raison logique qui expliquerait pourquoi, dans un cas approprié, le délit de l'abus de procé- dure reconnu en common law ne s'appliquerait pas pleinement aux recours en amirauté, compte tenu du principe de la restitutio in integrum, qui a toujours été reconnu encore plus en droit de l'ami- rauté qu'en common law, en raison de l'adoption par les tribunaux de l'amirauté de certains princi- pes de droit civil qui reconnaissent, notamment, la possibilité d'accorder dans tous les cas des intérêts dans une action de nature délictuelle à compter de la date de la perpétration du délit.
Je suis d'avis que la société Afram était pleine- ment au courant des conditions selon lesquelles les marchandises devaient être expédiées ainsi que des conditions de paiement qui avaient été convenues entre les propriétaires et Mondel. Elle savait que l'une des conditions d'expédition était que le fret devait être payé à l'avance et qu'elle n'aurait pas le droit de se servir de la cargaison comme garantie du paiement lors de la livraison à Abidjan. Elle a nécessairement comprendre qu'elle n'avait nul- lement le droit de saisir la cargaison. Les mots «fret payé à l'avance» devaient être inscrits sur les connaissements et Afram les a effectivement ins- crits. Ce n'est qu'un peu plus tard, soit le 13 janvier 1986, lorsque les mots «les frais de fret doivent être payés intégralement sur livraison de la cargaison» ont été ajoutés, en raison du conflit qui l'opposait à Merchants, que la société Afram a tenté d'obtenir de Mondel et du MAS un paiement que ceux-ci n'étaient nullement tenus de faire sur
livraison, ce qu'elle savait très bien. De toute évidence, Afram a procédé ainsi parce que, pour des raisons qui ne concernent ni l'une ni l'autre des deux parties susmentionnées, elle a cru que Mer chants ne paierait pas immédiatement le fret.
En outre, lorsqu'elle a saisi la cargaison, elle devait nécessairement savoir que Mondel serait dans une situation presque insupportable vis-à-vis le MAS et qu'elle serait forcée de payer le mon- tant de fret exigé ou d'engager immédiatement des poursuites à Abidjan pour obtenir une mainlevée de la saisie. Elle savait probablement, au moment de la saisie, que Mondel avait déjà payé Mer chants. Elle devait le savoir à ce moment-là ou peu de temps après, puisque Mondel avait payé Mer chants le 9 janvier. Néanmoins, elle a maintenu la saisie et elle a avisé Mondel que, à moins d'être payée immédiatement, elle vendrait une partie de la cargaison pour obtenir le paiement du fret. Ayant vu le contrat d'affrètement initial, elle savait aussi que Mondel serait responsable en cas de défaut de livraison et que le MAS utiliserait probablement la lettre de garantie que Mondel avait déposée conformément au contrat, si le reste de la cargaison était vendu, comme Afram mena- çait de le faire.
La situation de l'arrêt Vantage Navigation Cor poration v. Suhail and Saud Bahwan Building Materials LLC (The Alev), [1989] 1 Lloyd's Rep. 138 (Q.B.), ressemble beaucoup à la pré- sente affaire sur certains points. Les propriétaires du navire ont avisé les propriétaires de la cargaison que, à moins de recevoir le paiement du fret sur livraison, ils saisiraient la cargaison. Les proprié- taires du navire n'avaient pas le droit de saisir la cargaison, puisque le fret devait être payé à l'avance, selon les conditions de l'expédition. Pour obtenir la cargaison et éviter un grave préjudice, les propriétaires de la cargaison ont payer le fret et signer une entente selon laquelle ils renon- çaient à tous droits et recours contre les propriétai- res du navire. Par la suite, pour obtenir le rem- boursement de la somme d'argent payée pour le fret, nonobstant l'entente qu'ils avaient signée, les propriétaires de la cargaison ont fait saisir le navire The Alev, invoquant la contrainte et la rupture de contrat et demandant une indemnité. Avant d'obtenir la mainlevée de la saisie, les pro- priétaires du navire ont poursuivi à leur tour les
propriétaires de la cargaison en dommages-intérêts et ont réclamé d'eux les sommes d'argent qu'ils ont payées pour obtenir la mainlevée de ladite saisie. La Cour a jugé que les défendeurs n'étaient pas liés par l'entente qu'ils avaient signée sous le coup de la contrainte et elle a rejeté l'action des proprié- taires du navire.
Le juge de première instance, le juge Hobhouse, a dit ce qui suit à la page 142 du volume:
[TRADUCTION] Les demandeurs violaient ouvertement leurs contrats et (pour reprendre les propos du juge Lewis dans l'arrêt Government of the Republic of Spain v. North of England S.S. Co. Ltd., (1938) 61 LI. L.Rep. 44, p. 56) ils exerçaient un droit de propriété sur les biens des défendeurs. M. Davies a conclu que, si les défendeurs voulaient avoir leurs biens, ils n'avaient d'autre choix que de se conformer à la demande des représentants des demandeurs. Il est manifeste qu'aucune entente commerciale n'a été conclue; ce qui s'est passé peut être résumé comme suit: «si vous voulez que nous nous conformions aux connaissements, vous devez accéder à notre demande».
Et à la page 145:
[TRADUCTION] Dans la présente cause, il est évident que l'entente est assujettie aux principes de la contrainte économi- que et même de la contrainte matérielle. Les demandeurs ont fait une menace qui était illégitime et, pour le cas ce serait pertinent, ils le savaient. Ils étaient tenus de transporter la cargaison à Mina Qaboos et de la livrer là-bas aux défendeurs. Ils n'avaient pas le droit de refuser de le faire ou de faire valoir à l'égard des marchandises un droit incompatible. Ils ont refusé de transporter les marchandises à Mina Qaboos et de les livrer aux défendeurs à moins que ceux-ci ne se conforment à leurs demandes. Ils ont fait valoir un droit de propriété sur les biens des défendeurs et ils ont refusé de reconnaître que ceux-ci avaient droit à la possession desdits biens. On n'a pas obtenu le consentement des défendeurs; on les a plutôt contraints à agir contre leur volonté. Ils n'ont jamais conclu l'entente de façon volontaire, que ce soit en fait ou en droit.
Dans le cas qui nous occupe, les poursuites judiciaires ont été intentées pour obtenir de l'ar- gent de Mondel et du MAS, alors que, de toute évidence, ni l'une ni l'autre de ces parties n'étaient légalement tenues de payer.
Dans Guilford Industries Ltd. v. Hankinson Management Services Ltd. et al. (1973), 40 D.L.R. (3d) 398 (C.S.C.-B.), il s'agissait d'un cas un privilège de constructeur ou de fournisseur de matériaux avait été enregistré sans droit et de façon inappropriée à l'encontre des biens du demandeur. Voici ce qu'a dit le juge Anderson aux pages 405 et 406:
[TRADUCTION] Dans la présente cause, les poursuites relati ves au privilège sont dénuées de tout fondement juridique et ont
été engagées dans un but illégal, soit celui d'obtenir un règle- ment par «chantage».
Même si les tribunaux doivent protéger le droit de chaque citoyen de plaider sa cause devant la cour lorsqu'il y a une preuve, si mince soit-elle, qui permet de justifier une réclama- tion, ils ne permettront pas que les recours en justice soient utilisés à d'autres fins. La Cour ne peut fermer les yeux devant le fait que les privilèges de constructeur et de fournisseur de matériaux, les certificats d'affaire en instance et les ordonnan- ces de saisie sont parfois, bien que ce ne soit pas fréquent, utilisés par des personnes sans scrupule qui cherchent ainsi à atteindre des résultats qu'elles ne pourraient obtenir autrement. Les tribunaux mettront rapidement un frein à ces actes; ils protégeront ainsi le caractère sacré de l'appareil judiciaire et verront à ce que les recours en justice soient utilisés à des fins licites.
Ces commentaires constituent, à mon sens, un énoncé valide de la règle applicable. Il convient de souligner que, dans cette cause-là, des dommages- intérêts exemplaires ont également été accordés.
Dans sa déclaration, Mondel a souligné que la saisie et la menace de la vente immédiate de la cargaison constituaient du chantage commercial. À mon avis, cette description n'est pas vraiment exagérée, étant donné que la société Afram savait ou aurait certainement savoir dans quelle posi tion Mondel se trouverait à la suite d'une vente.
Effectivement, en plus de se faire dire par le MAS que, à moins que la cargaison saisie ne soit immédiatement libérée, elle serait appelée à se conformer à sa garantie d'exécution du contrat, Mondel a été avisée qu'elle devait se considérer comme une entreprise à qui il était actuellement interdit de soumettre des offres pour tout autre marché offert par le MAS et que, tant que la cargaison ne serait pas libérée, elle serait rayée de la liste des soumissionnaires approuvés du MAS.
Mondel était donc pleinement justifiée de pren- dre toutes les mesures raisonnables dont elle dispo- sait pour obtenir la mainlevée de la saisie afin d'éviter une perte financière importante et immé- diate et une perte considérable d'achalandage et de possibilités contractuelles pour l'avenir. Même s'il est rarement possible de recouvrer comme domma- ges-intérêts tous les frais juridiques raisonnables, je suis d'avis qu'en l'espèce, la société Afram est tenue de les rembourser à Mondel.
Le paragraphe 34 de l'exposé conjoint des faits qui a été déposé comme pièce 2 au cours de l'instruction se lit comme suit:
[TRADUCTION] 34. En conséquence, Mondel a engagé les frais indiqués ci-après:
i) frais et honoraires juridiques dus aux avocats de Mondel à
Montréal; 41 262,55 $
ii) frais et honoraires juridiques dus aux avocats de Mondel à
Abidjan; 2 915,46 $
iii) frais d'entreposage à Abidjan pour les jours supplémentaires d'entreposage depuis la fin du
voyage; 15 972,66 $
iv) frais supplémentaires et coût du billet d'avion pour l'inspecteur
gouvernemental; 10 975 $
y) salaire de M. Béchard et
M. Lambert au cours du séjour à
Abidjan (perte de temps de cadre
de direction), appels interurbains,
nombreux télex, hôtel et frais
accessoires; 7 979,21 $
TOTAL: 79 104,88 $
Même si elle a convenu que Mondel a engagé les frais susmentionnés, Afram n'a pas admis que ces frais pouvaient tous être recouvrés comme étant des frais raisonnables qui étaient dûment attribua- bles à l'obtention de la mainlevée de la saisie.
À mon avis, le montant de l'élément v), qui s'élève à 7 979,21 $, ne peut être recouvré, étant donné que les deux hommes mentionnés dans ce paragraphe-là étaient des employés salariés de Mondel et que la preuve concernant la perte de temps de cadre de direction est insuffisante, si elle existe. Il semble également qu'ils seraient peut-être bien allés à Abidjan à tout événement. En ce qui a trait à l'élément iv), je soustrais de la somme de 10 975 $ le coût du billet d'avion aller-retour de l'inspecteur, puisqu'il se serait rendu à Abidjan de toute façon. Cependant, les frais supplémentaires engagés à la suite de la saisie sont accordés. Le" coût du billet d'avion aller-retour s'élevait à 1 975 $.
Compte tenu de la déduction des deux montants précités, qui s'élève à 9 954,21 $, j'estime que la société Afram doit payer à Mondel la somme de 69 150,67 $. Mondel a également droit à ses dépens de l'ensemble du litige et le MAS aura droit à ses dépens liés à la contestation de l'action intentée contre lui. Tous les dépens seront taxés entre parties. Étant donné que Mondel n'a pas demandé le paiement d'intérêts à compter de la date du délit, les intérêts sur sa réclamation com- menceront à courir à compter de la date du jugement.
Un jugement sera établi en conséquence.
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