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IMM -1-91
Joseph Smith et Sarah Smith (requérants)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ: SMITH C. CANADA aa 1e INST.)
Section de première instance, juge Cullen— Toronto, 5 et 12 février; Ottawa, 11 mars 1991.
Immigration Statut de réfugié Les requérants sont des citoyens iraqiens Ils sont entrés au Canada grâce à de faux documents avec une liste de prix d'armes et des documents publiés par une organisation islamique chiite militante qui s'oppose au régime iraqien Ils ont été placés sous garde au motif qu'ils constituaient un danger possible pour la sécurité Une attestation a été délivrée en vertu de l'art. 40.1 déclarant que les requérants ne remplissaient pas les condi tions requises pour être admis parce qu'on les soupçonnait d'appartenir à des catégories non admissibles La Cour annule l'attestation au motif qu'elle n'est pas raisonnable Lorsque la liberté d'une personne est en jeu, le degré de probabilité exigé est élevé Une explication crédible a été fournie au sujet de la liste d'armes Les requérants recon- naissent leur rattachement à l'organisation Sans d'autres éléments de preuve sur la propension ou la participation des requérants au terrorisme, le maintien de leur détention n'est pas raisonnable.
Immigration Pratique Le ministre a délivré, en vertu de l'art. 40.1 de la Loi, une attestation déclarant que les requérants ne remplissaient pas les conditions requises pour être admis au Canada parce qu'ils étaient soupçonnés d'appar- tenir à des catégories non admissibles La Cour a prononcé une ordonnance prorogeant le délai imparti pour signifier aux requérants l'avis de procédure, autorisant l'intimé à faire entendre un agent du SCRS et permettant que l'audience se déroule à huis clos et que les renseignements secrets en matière de sécurité soient mis sous scellés Le respect des disposi tions de l'art. 40.1(3)b) relatives à l'avis ne constitue pas une condition préalable à l'exercice du pouvoir d'examen que l'art. 40.1(4) confère à la Cour, bien que l'on ne ferme les yeux sur les dérogations à la norme prévue par la loi que lorsque le délai de trois jours a été respecté dans l'ensemble et qu'il n'y a pas atteinte aux droits de l'intéressé La Cour a le pouvoir d'accorder ex parte une prorogation de délai Étant donné qu'il se voit conférer par l'art. 40.1(4)a) le pouvoir discrétion- naire de recueillir des éléments de preuve ex parte lorsque leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale, le juge peut implicitement prononcer des ordonnances accessoires à l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire L'art. 40.1(4)a) permet expressément à la Cour d'entendre des témoignages à huis clos pour des raisons de sécurité nationale et, implicite- ment, de décider à huis clos d'entendre ces témoignages L'art. 40.1(4)b) n'oblige pas le juge à préparer le résumé lui-même L'attestation a été transmise à la Cour aussitôt que possible dans les circonstances, ce qui satisfait à l'art. 40.1(3)a), qui exige qu'elle soit transmise «sans délai» L'art. 40.1(4) accorde au juge chargé d'examiner l'attestation le pouvoir discrétionnaire de refuser la communication d'une
partie des éléments d'information au motif que leur divulga- tion porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes Application des lignes directrices formulées dans le jugement Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité) La communication des documents se trouvant sous pli scellé porterait atteinte à la sécurité nationale.
Il s'agit d'une instance introduite en vertu de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration en vue de faire examiner une attesta tion délivrée en vertu de la Loi en question pour que la Cour décide si l'attestation était raisonnable. Les requérants, qui sont des citoyens iraqiens, sont entrés au Canada le 9 janvier 1991 avec de faux documents et ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Ils avaient en leur possession une liste d'armes et de munitions et des documents publiés par le parti Ad-Da'wa, une organisation islamique chiite militante qui s'op- pose au gouvernement iraqien actuel et qui s'est livrée à des activités terroristes contre l'Iraq avec l'appui du gouvernement iranien. Le SCRS croyait que l'Ad-Da'wa était impliquée dans des attentats à la bombe perpétrés contre les ambassades françaises et américaines au Koweït. M. Smith (les requérants sont désignés sous les pseudonymes de Joseph et de Sarah Smith à la suite d'une ordonnance de la Cour) a reconnu son affiliation à l'Ad-Da'wa. Il a passé deux ans en prison en Iraq en raison de son appartenance présumée à l'Ad-Da'wa. Après sa libération, il s'est réfugié en Iran et a combattu contre l'Iraq en 1984. Par le biais de l'Ad-Da'wa, il a donné en 1985 des instructions religieuses élémentaires à des Kurdes. Il est retourné en Iran, il a rencontré et épousé sa femme. À la suite de l'invasion du Koweït par l'Iraq, les exilés iraqiens se trouvant en Iran devaient être rapatriés de force en Iraq. Smith a décidé de s'enfuir au Canada car il craignait que sa vie soit en danger s'il devait retourner en Iraq. Il a déclaré que la liste d'armes avait été dressée en 1986 alors qu'il se trouvait à la base de l'Ad-Da'wa en Iraq. Un marchand d'armes kurde lui avait donné le prix des articles de son inventaire pour le cas l'Ad-Da'wa serait intéressée à en acheter.
Les Smith ont été placés sous garde au motif qu'ils consti- tuaient un danger possible pour la sécurité. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le solliciteur général ont signé en vertu de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration une attestation dans laquelle ils ont déclaré que les requérants ne remplissaient pas les conditions requises pour être admis parce qu'ils étaient soupçonnés d'appartenir à l'une des catégories non admissibles. Cette attestation a eu pour effet de prolonger la détention des requérants et de suspendre toute enquête sur leur statut de réfugié jusqu'à ce que la Cour fédérale examine l'attestation pour décider si elle est raisonnable.
Après examen des renseignements secrets en matière de sécurité dont le ministre et le solliciteur général avaient eu connaissance et après avoir entendu le témoignage d'un agent du SCRS, le juge Cullen a prononcé une ordonnance proro- geant le délai imparti pour signifier aux requérants l'avis de procédure prévu à l'alinéa 40.1(3)6), accordant ainsi un délai de quatre jours à compter de la date de la remise de l'attesta- tion au lieu du délai de trois jours prévu. L'ordonnance autori- sait également les intimés à faire entendre un agent du SCRS et prévoyait que l'audience se déroulerait à huis clos en l'ab- sence des requérants et que les renseignements secrets seraient mis sous scellés et qu'ils seraient séparés des autres dossiers publics de la Cour.
Les requérants formulent les objections suivantes: (1) la Cour n'avait pas compétence pour prolonger le délai de signifi cation, et le respect des exigences du paragraphe 40.1(3) en matière d'avis est une condition préalable à l'exercice du pou- voir d'examen de la Cour; (2) la Cour n'avait pas compétence pour prononcer ex parte les ordonnances en question; (3) l'article 40.1 autorise uniquement l'examen à huis clos des renseignements de sécurité, de sorte que la décision de la Cour d'entendre à huis clos le témoignage supplémentaire de l'agent du SCRS n'aurait pas être prononcée à huis clos; (4) le résumé des renseignements fourni aux requérants ne respectait pas les exigences de l'alinéa 40.1(4)b), étant donné que le juge ne l'avait pas rédigé personnellement; (5) l'attestation n'avait pas été transmise «sans délai» à la Cour fédérale comme l'exige l'alinéa 40.1(3)a); (6) la Cour devrait ordonner que les requé- rants obtiennent une communication plus complète.
Jugement: l'attestation devrait être annulée.
Sur les objections préliminaires: (1) le respect des disposi tions de l'alinéa 40.1(3)6) relatives à l'avis ne constitue pas une condition préalable à l'exercice du pouvoir d'examen que le paragraphe 40.1(4) confère à la Cour. Le fait que le législateur fédéral n'entendait pas exiger un strict respect des dispositions relatives à l'avis comme condition préalable à la compétence de la Cour est appuyé par le fait que la Loi prévoit que, dans certains cas, il est possible de procéder à l'examen avant que la personne désignée dans l'attestation soit informée de la remise de l'attestation. Les mots «est tenu de» au paragraphe 40.1(3) sont indicatifs, et non impératifs. Même si les dispositions législatives devraient être observées dans toute la mesure du possible, il n'est peut-être pas toujours pratique, lorsque la sécurité nationale est menacée, d'exiger un strict respect lors- que la personne désignée ne subit pas de préjudice grave. De plus, aucune conséquence précise n'est prévue en cas de défaut de donner avis. Comme la personne désignée dans l'attestation n'intervient qu'après que l'examen à huis clos a eu lieu, le défaut d'aviser les requérants dans le délai prescrit de trois jours ne leur a pas causé de préjudice grave. Comme le but de cette disposition en matière d'avis est de s'assurer que la personne soit informée de la raison de sa mise sous garde et du fait qu'elle peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion, on ne devrait fermer les yeux sur une dérogation à la norme prévue par la Loi que lorsque les dispositions relatives au délai de trois jours ont été respectées dans l'ensemble et qu'il n'y pas atteinte aux droits de la personne désignée. On a retardé d'une journée l'envoi de l'avis, et ce retard n'était pas important ou indûment préjudiciable.
(2) L'alinéa 40.1(4)a) accorde à la Cour le pouvoir discré- tionnaire d'entendre des témoignages en l'absence de la per- sonne désignée dans l'attestation lorsque leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes. Ce droit s'étend implicitement au prononcé des ordonnances nécessairement accessoires à l'exercice de ce pouvoir discrétion- naire et il n'est donc pas nécessaire que le juge entende des observations sur ces ordonnances.
(3) L'alinéa 40.1(4)a) accorde expressément au juge le pou- voir discrétionnaire de «recueillir [...] les autres éléments de preuve ou d'information» à huis clos pour des raisons de sécurité nationale. La décision d'entendre à huis clos des témoi- gnages peut donc aussi être prononcée à huis clos.
(4) L'alinéa 40.1(4)b) n'exige pas explicitement que le juge rédige lui-même le résumé. Le rôle du juge consiste à s'assurer que l'intéressé soit suffisamment informé.
(5) Il a été jugé que, par «sans délai», il faut entendre «dès que possible eu égard aux circonstances». L'attestation a été transmise à la Cour dès qu'il était raisonnablement possible de le faire dans les circonstances. Lorsque la liberté d'une per- sonne est en jeu, la question devrait être soumise au tribunal avec diligence raisonnable. Il était nécessaire pour l'intimée de recueillir les éléments de preuve et d'information nécessaires qui devaient être présentés à la Cour. De telles recherches demandent nécessairement un certain temps à partir de la délivrance de l'attestation. Comme une partie du temps s'est écoulé pendant une fin de semaine, le temps qui s'est écoulé était raisonnable dans les circonstances.
(6) Le paragraphe 40.1(4) accorde au juge chargé d'exami- ner l'attestation le pouvoir discrétionnaire de refuser la commu nication d'une partie des éléments d'information ou de preuve au motif que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes. La communication des documents se trouvant dans les dossiers scellés porterait atteinte à la sécurité nationale. Si l'on applique les principes directeurs énoncés dans le jugement Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité), il serait contre-indiqué de faire des commentaires sur les raisons pour lesquelles les documents ont été scellés, car on pourrait ainsi découvrir les éléments de preuve. Il en irait de même pour la demande de contre-interrogatoire des personnes.
L'attestation n'était pas raisonnable. Lorsque la liberté indi- viduelle est en jeu, la norme de preuve appliquée pour juger du caractère raisonnable est celle de la grande probabilité. La preuve était insuffisante pour permettre au ministre de conclure que les requérants appartenaient aux catégories non admissi- bles. Même s'il existait des éléments de preuve concernant les activités suspectes de l'Ad-Da'wa, aucune preuve n'a été pré- sentée au sujet des activités subversives auxquelles les requé- rants pourraient se livrer personnellement. On ne peut pas non plus raisonnablement penser que les requérants commettront des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie humaine au Canada ou qu'ils appartiennent à une organisation susceptible de commettre de tels actes. Sans d'autres éléments de preuve sur la propension ou la participation personnelle des requérants au terrorisme ou à d'autres actes violents, le main- tien de leur détention n'est pas raisonnable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 2, 12, 19(1)f),g), 40, 40.1 (édicté par L.R.C. (1985), (4' suppl.), chap. 29, art. 4), 103(3)b) (mod. par L.R.C. (1985) (4' suppl.), chap. 28, art. 27), 103.1 (édicté, idem, art. 12).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Parrot (1979), 27 O.R. (2d) 333; 106 D.L.R. (3d) 296; 51 C.C.C. (2d) 539 (C.A.); Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité), [1989] 2 C.F. 229; (1988), 53 D.L.R. (4th) 568 (1" inst.); Reg. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Khawaja, [1984] A.C. 74 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Neal c. P.G. (Sask.) et autre, [1977] 2 R.C.S. 624; (1977), 56 C.C.C. (2d) 128; 17 N.R. 67; R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421; (1990), 80 C.R. (3d) 317.
DÉCISION EXAMINÉE:
Secretary of State for Education and Science v. Tame- side Metropolitan Borough Council, [1977] A.C. 1014 (H.L.).
DOCTRINE
Jones, David Phillip and De Villars, Anne S. Principles of Administrative Law, Toronto: Carswell Co. Ltd., 1985.
AVOCATS:
Clayton Ruby et Gregory James pour les requérants.
Winston K. H. Fogarty, Josée Desjardins et Mylène Bouzigon pour l'intimée.
PROCUREURS:
Ruby & Edwardh, Toronto, pour les requé- rants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: Dans la présente affaire, les requérants ont présenté une demande en vue d'être admis au Canada à titre de réfugiés. Ils ont été placés sous garde au motif qu'ils constituaient un danger possible pour la sécurité publique et ont ensuite été amenés devant un arbitre qui a exa- miné les circonstances ayant donné lieu à leur détention. L'arbitre a statué que la prolongation de leur garde n'était pas justifiée et a ordonné leur mise en liberté à certaines conditions. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le solliciteur général ont ensuite délivré une attestation en vertu
de l'article 41 de la Loi sur l'immigration de 1976 (S.C. 1976-77, chap. 52, édicté par L.C. 1988, chap. 36, art. 4, maintenant l'art. 40.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 29, art. 4) (ci-après appelée «la Loi»). Dans l'attestation, les ministres déclarent qu'à leur avis les requérants ne remplissent pas les conditions requises pour être admis au Canada parce qu'ils appartiennent aux catégories de personnes visées aux alinéas 19(1)f) et 19(1)g) de la Loi, dont voici le libellé:
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégo- rie non admissible:
J ) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, que, pendant leur séjour au Canada, elles travailleront ou inciteront au renversement d'un gouvernement par la force;
g) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles commettront des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, ou qu'elles appartiennent à une organisation susceptible de com- mettre de tels actes ou qu'elles sont susceptibles de prendre part aux activités illégales d'une telle organisation;
Cette attestation a pour effet de prolonger la détention des requérants malgré l'ordonnance de l'arbitre et de suspendre toute enquête sur leur statut de réfugié tant que la Cour fédérale n'a pas examiné l'attestation. L'attestation ministérielle a été renvoyée à la Cour fédérale du Canada confor- mément à l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi pour que je l'examine en ma qualité de juge délégué par le juge en chef et que je décide si l'attestation est raisonnable compte tenu des éléments de preuve et d'information à ma disposition.
FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE
Je me propose d'examiner à fond les faits de la présente affaire avant de passer aux questions d'ordre juridique. Les requérants, qui sont mari et femme, sont des citoyens iraqiens. Ils sont entrés au Canada le 9 janvier 1991 l'aéroport interna tional Pearson de Toronto en provenance de Tokyo. À leur arrivée, ils ont cherché à entrer au Canada à titre de réfugiés au sens de la Conven tion et ont été interrogés par un agent d'immigra- tion en vertu de l'article 12 de la Loi. Les requé- rants ont déclaré qu'ils avaient quitté l'Iran le Zef janvier 1991 destination de Kuala Lumpur, en Malaisie, ils ont séjourné illégalement pendant
sept jours. Ils se sont ensuite envolés pour le Canada après avoir fait une escale d'une journée à Tokyo. Suivant les fonctionnaires de l'immigra- tion, les requérants ont voyagé grâce à un passe- port saoudien falsifié et endommagé.
Au cours de l'interrogatoire, on a découvert que Mme Smith avait en sa possession un carnet d'adresses dont l'une des pages contenait l'inscrip- tion suivante en arabe (la traduction est celle qu'ont fournie le ministre de l'Emploi et de l'Im- migration et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS)):
[TRADUCTION]
missile 10 dinars fusées-détonateurs
balles de mitraillettes 120 fels
balles de mitraillettes lourdes 150 fels
Thagar noir 17 dinars
balles traçantes 30 dinars
Le carnet d'adresses contenait également plu- sieurs adresses et numéros de téléphone, ainsi qu'un certain nombre de phrases écrites à la main en arabe. Voici la traduction que le SCRS a donnée de l'une de ces phrases:
[TRADUCTION] Nous sèmerons la plus profonde terreur dans le cœur des infidèles qui croient en plusieurs dieux.
Mme Smith avait également une carte d'identité sur laquelle était inscrit le nom d'emprunt qu'elle avait utilisé en Iraq à titre de membre de l'Union islamique des étudiants iraqiens, qui serait, selon le SCRS, liée à l'organisation Ad-Da'wa.
En fouillant les bagages des requérants, on a découvert notamment un faux passeport iraqien, des lettres apparemment écrites par la police secrète iraqienne dans lesquelles il était précisé qu'on avait pris la décision d'arrêter M. Smith pour trahison, et une carte d'identité indiquant que M. Smith faisait partie de la garde révolutionnaire islamique, une division de l'armée iranienne. On a en outre découvert des brochures et des tracts apparemment publiés par le parti Ad-Da'wa. Par suite de la découverte de ces objets, les requérants ont été interrogés par les agents du SCRS au sujet des circonstances entourant leur arrivée au Canada et au sujet de leurs rapports avec 1'Ad-Da'wa.
L'Ad-Da'wa
Il serait utile, à ce moment-ci, d'examiner les renseignements qui ont été mis à la disposition de
la Cour au sujet de l'Ad-Da'wa. Suivant la preuve que l'intimée a fournie et qui consiste surtout en des articles de magazines et de journaux et en des extraits d'ouvrages de référence déjà répandus dans le public, l'Ad-Da'wa est une organisation islamique chiite intégriste et militante qui s'oppose au régime relativement sécularisé du parti Baas de Saddam Hussein et qui est alignée sur le gouverne- ment révolutionnaire islamique de l'Iran. Lorsque la guerre éclata entre l'Iraq et l'Iran en 1980, Bagdad a déporté en Iran des milliers de chiites du sud de l'Iraq, ils sont majoritaires. Certains de ces exilés iraqiens se sont livrés à des activités terroristes organisées par l'Ad-Da'wa contre l'Iraq, avec l'appui du gouvernement iranien. L'Ad- Da'wa opère présentement à partir de l'Iran, mais continue à oeuvrer clandestinement en Iraq elle a perpétré des attentats à la bombe et des détour- nements contre le gouvernement Hussein et d'au- tres États du Moyen-Orient.
Le SCRS croit que l'Ad-Da'wa a été impliquée dans des attentats terroristes commis contre des intérêts occidentaux au Moyen-Orient, et notam- ment dans les attentats à la bombe dont les ambas- sades françaises et américaines au Koweït ont fait l'objet en 1983. Le SCRS croit que ces attentats ont été exécutés avec l'appui et l'encouragement de l'Iran. Il affirme également que l'Ad-Da'wa a participé à des activités terroristes avec le groupe libanais Hezbollah, un groupe chiite intégriste qui serait également associé à l'Iran.
Entrevue avec le SCRS
Le dossier de l'entrevue révèle que M. Smith a répondu très franchement aux questions que les agents du SCRS lui ont posées au sujet de son association avec l'Ad-Da'wa. Il convient de noter que l'intimée a reconnu que les agents du SCRS n'ont pas, avant l'entrevue, informé les requérants de leur droit de se faire représenter par un avocat et qu'ils ne leur en ont pas accordé la possibilité. Cependant, à cause de la conclusion à laquelle j'en suis finalement arrivé dans la présente affaire, je ne juge pas nécessaire d'examiner les possibles violations de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] découlant de cet
aveu. En tout état de cause, il s'agit à mon avis d'un cas dans lequel la totale franchise dont les requérants ont fait preuve a joué en leur faveur malgré l'absence d'avocat.
M. Smith a déclaré qu'il s'était pour la première fois occupé du parti en Iraq en 1979 en distribuant des tracts en son nom et en participant à des manifestations. À la suite du déclenchement de la guerre entre l'Iran et l'Iraq en 1980, le gouverne- ment Hussein croyait que l'Iran appuyait des grou- pes d'opposition chiites comme l'Ad-Da'wa dans le but de déstabiliser le régime iraqien. La police secrète iraqienne a été chargée de se mettre à la recherche de ces intégristes chiites et de les mettre en prison. Les membres de l'Ad-Da'wa qui étaient découverts étaient exécutés. M. Smith a été arrêté et emprisonné en 1981. On n'a cependant pas réussi à le rattacher directement à l'Ad-Da'wa et il a été relâché en 1983.
Après sa libération, M. Smith s'est enfui de l'Iraq et s'est réfugié en Iran. En tant qu'Iraqien, il lui fallait se trouver un parrain approuvé par l'État pour pouvoir demeurer en Iran durant la guerre. M. Smith a été parrainé par le parti Ad-Da'wa. À ce moment-là, il a pris un nom d'emprunt pour protéger sa famille en Iraq pour le cas le gouvernement iraqien découvrirait son affiliation à l'Ad-Da'wa par l'intermédiaire d'indicateurs et d'agents iraqiens. Pendant son séjour en Iran, il s'est engagé comme volontaire dans la garde révo- lutionnaire islamique et, après une brève période d'instruction militaire, il a combattu contre l'Iraq pendant trois mois en 1984. Il est ensuite retourné à Téhéran, il a travaillé pour un magazine pendant une année.
Par la suite, M. Smith a de nouveau oeuvré activement au sein de l'Ad-Da'wa et s'est proposé pour se rendre au Kurdistan d'Iraq à une base de l'Ad-Da'wa qui devait servir de centre des opéra- tions de sabotage contre les installations iraqien- nes. M. Smith a dit au SCRS qu'il n'avait pris part à aucune mission de sabotage et que son rôle était celui de conseiller spirituel des Kurdes de la région. Le SCRS lui a demandé pourquoi on lui avait confié cette responsabilité, étant donné qu'il n'avait reçu aucune formation religieuse. Il a déclaré qu'il donnait des instructions très élémen- taires, étant donné que les paysans kurdes n'ont qu'une connaissance très rudimentaire de leur reli-
gion. Il a passé un an à la base. Pendant cette période un nombre limité de missions ont été entreprises contre l'Iraq, et une seule a réussi. Il a affirmé qu'il ne connaissait pas l'identité véritable des saboteurs et qu'il s'agissait probablement d'une mesure de précaution prise contre l'infiltration par les agents iraqiens, et a ajouté qu'il possédait très peu de renseignements au sujet de leur formation.
En 1986, M. Smith a été libéré de ses fonctions à la base et a passé six mois dans la ville iranienne de Qom. C'est qu'il a rencontré et épousé Mme Smith en 1987. Mme Smith avait quitté l'Iraq en 1980 et était allée s'installer en Iran après avoir passé trois années en Syrie à titre de visiteuse autorisée. Ils sont ensuite retournés à Téhéran, M. Smith a repris son ancien poste au magazine.
Avec la fin de la guerre entre l'Iran et l'Iraq en 1988, les relations entre les anciens ennemis ont commencé à s'améliorer. Les relations se sont améliorées encore plus à la suite de l'invasion du Koweït par l'Iraq en 1990, et M. Smith a déclaré qu'il avait été prévenu, avec d'autres membres de la communauté iraqienne en exil, que l'une des modalités de ce rapprochement était que les exilés iraqiens se trouvant en Iran seraient rapatriés de force en Iraq. Il craignait qu'en tant qu'opposant au régime Hussein sa vie soit en danger s'il devait retourner en Iraq. Il a également déclaré qu'il craignait que l'on se serve de l'ambassade ira- qienne qui venait d'ouvrir à Téhéran pour identi fier et éliminer des dissidents exilés en Iran.
M. Smith déclare qu'il a alors décidé de se réfugier au Canada à cause de sa réputation de société libre et démocratique. Il a emprunté de l'argent et a acheté les faux passeports iraqiens et saoudiens et des billets d'avion pour le Canada. Les passeports ont été délivrés sous le nom d'em- prunt que les Smith avaient utilisé pendant leur séjour en Iran. Un ami qui se trouvait à Téhéran leur a fourni le nom de personnes à contacter à Toronto qui pourraient être en mesure de les aider à leur arrivée.
Les agents du SCRS ont demandé à M. Smith de leur expliquer l'allusion aux armes dans le carnet d'adresses. Il a déclaré qu'il avait dressé la liste en 1986 alors qu'il se trouvait à la base de l'Ad-Da'wa en Iraq. Il avait été approché par un marchand d'armes kurde, qui savait que M. Smith
était membre de l'Ad-Da'wa. Le marchand a demandé à M. Smith d'inscrire le prix de certains articles de son inventaire pour le cas l'Ad- Da'wa serait intéressée à en acheter. M. Smith a déclaré qu'il avait transmis ces renseignements à ses collègues de la section militaire de la base, et qu'il ignorait si des achats avaient eu lieu.
Le SCRS a également demandé à M. Smith d'expliquer la déclaration faite en arabe dans le carnet au sujet des «infidèles». Il a déclaré qu'il s'agissait d'un verset du Coran dont les membres de l'Ad-Da'wa se servaient entre eux comme mot de passe. Ce mot de passe lui avait été donné avant qu'il quitte la base située en Iraq pour se rendre à Qom et il devait s'en servir pour entrer en commu nication avec d'autres membres de l'Ad-Da'wa à son arrivée à Qom. Il a déclaré qu'il avait écrit le verset dans le carnet pour pouvoir s'en souvenir lorsqu'il arriverait à Qom.
M. Smith a terminé son entrevue en déclarant aux agents du SCRS qu'il était venu au Canada pour des motifs pacifiques, et qu'il n'avait pas l'intention de se joindre de nouveau à l'Ad-Da'wa si on l'autorisait à demeurer au Canada.
DÉTENTION DES SMITH
Les Smith ont été placés sous garde pendant sept jours en vertu de l'alinéa 103.1(1) a) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 29, art. 12] de la Loi, au motif qu'ils étaient incapables d'établir leur identité à la satisfaction de l'agent d'immigra- tion et qu'ils étaient soupçonnés de faire partie de l'une des catégories non admissibles. Il a été ordonné que les Smith soient gardés dans des centres de détention différents. Le 16 janvier 1991, un agent principal a ordonné la prolongation de la garde après examen de l'affaire par un arbitre.
Le 23 janvier 1991, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration a délivré, en vertu du paragraphe 103.1(2) [édicté, idem] de la Loi, une attestation déclarant que l'identité des requérants n'avait pas encore été établie et qu'il avait des raisons de soupçonner que les requérants faisaient partie de l'une des catégories de personnes non admissibles. Le ministre a déclaré qu'il était nécessaire de prolonger la garde pour enquêter sur ces questions, et les requérants ont ensuite été amenés devant un autre arbitre conformément au paragraphe 103.1(5) [édicté, idem] de la Loi pour que l'arbitre
détermine si le ministre faisait des efforts valables pour faire enquête et si ces efforts justifiaient une prolongation de leur garde.
Audience devant l'arbitre-23 et 24 janvier 1991
À l'audience, un agent principal a déclaré que les requérants faisaient l'objet d'une enquête de la part du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), qui les soupçonnait de constituer un danger pour la sécurité publique, au motif qu'ils étaient entrés au Canada à l'aide de docu ments falsifiés, que M. Smith avait reconnu son association avec l'Ad-Da'wa, et qu'il avait été en possession de la liste d'armes inscrite dans le carnet. L'agent a reconnu que l'Ad-Da'wa n'ap- puyait pas le gouvernement iraqien actuel, mais il a fait valoir que, compte tenu de l'état de guerre qui existait entre l'Alliance des Nations Unies et l'Iraq, il était concevable que les requérants puis- sent agir au Canada pour le compte de l'Iraq si la guerre devait mal tourner pour l'Iraq. L'agent a assuré l'arbitre qu'une enquête était en cours au sein du SCRS, et qu'il avait un rapport du SCRS en sa possession. Il a toutefois refusé de produire à l'audience ce rapport ou tout autre élément de preuve démontrant les efforts entrepris pour faire enquête sur la question.
L'arbitre a conclu que le ministre ne l'avait pas convaincu qu'il faisait des efforts valables pour enquêter sur l'identité des requérants ou sur leur appartenance présumée à l'une des catégories non admissibles, étant donné que l'agent d'immigration ne lui avait pas fourni de données de fait lui permettant d'établir si les efforts étaient valables. Il a donc refusé d'ordonner la prolongation de la garde en vertu du paragraphe 103.1(5) de la Loi. Il a déclaré que même si les faits communiqués par l'agent d'immigration auraient pu justifier la garde initiale, ils ne constituaient pas des efforts valables d'enquête qui justifieraient une prolongation de la garde.
L'agent d'immigration a ensuite fait valoir que l'arbitre devait ordonner la prolongation de la garde des requérants en vertu de l'alinéa 103(3)b) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 27] de la Loi au motif que les requérants consti- tuaient une menace pour la sécurité publique. À l'appui de sa thèse, il a fait valoir que les requé-
rants faisaient partie d'un groupe terroriste qui, suivant le SCRS, était hostile à l'Occident, qu'ils n'avaient pas de pièces d'identité en règle, et il a mentionné les inscriptions du carnet d'adresses il était question d'armes et de [TRADUCTION] «terreur profonde».
L'avocat des requérants affirme que les rensei- gnements que le SCRS possède au sujet de l'Ad- Da'wa sont erronés et périmés. Il prétend que les requérants ne constituent pas une menace pour le Canada à cause de leur appartenance à l'Ad- Da'wa, et que leur affiliation à l'Ad-Da'wa est la raison initiale pour laquelle ils ont sollicité le statut de réfugié au Canada. Il fait observer que M. Smith a passé deux ans en prison à cause de son opposition au gouvernement iraqien, ce qui renforce la crédibilité de sa revendication du statut de réfugié. Il fait valoir qu'il est peu probable qu'une personne qui entre au Canada dans le but de commettre des actes de terrorisme porte sur elle des brochures concernant sa cause, ou qu'elle entre au Canada grâce à des passeports falsifiés et endommagés. Quant aux inscriptions figurant dans le carnet d'adresses, il souligne que M. Smith a fourni des explications franches et crédibles à leur sujet. Quant à M me Smith, elle est maintenant enceinte et il est peu probable qu'elle constitue un danger pour le Canada.
L'arbitre à ordonné la mise en liberté des requé- rants à certaines conditions. Il a déclaré que les éléments de preuve qui lui avaient été communi- qués ne lui permettaient pas de conclure que les requérants constituaient une menace pour la sécu- rité publique. Il a reconnu que l'Ad-Da'wa était opposée au gouvernement iraqien et qu'elle s'était probablement livrée à une opposition armée à celui-ci. Il a toutefois déclaré que le ministre n'avait fourni aucun élément de preuve hormis l'affirmation de l'agent d'immigration que l'Ad- Da'wa était susceptible de commettre des actes hostiles à l'Amérique du Nord ou d'autres mem- bres de l'Alliance. En outre, il a conclu qu'il n'y avait aucun élément de preuve permettant de croire que les requérants avaient eux-mêmes commis des actes terroristes, et que même si M. Smith avait déjà participé à la résistance armée contre le régime iraqien, rien ne permettait de penser qu'il commettrait des actes de violence pendant son séjour au Canada. L'arbitre a égale-
ment conclu que les explications fournies par M. Smith au sujet du carnet d'adresses étaient crédi- bles et qu'elles se conciliaient avec la revendication du statut de réfugié qu'il présentait en tant qu'op- posant au gouvernement iraqien.
L'ATTESTATION PRÉVUE AU PARAGRA- PHE 40.1(1) DE LA LOI
Le 25 janvier 1991, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le solliciteur général ont remis une attestation à un agent principal en vertu de l'article 40.1 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 29, art. 4] de la Loi, qui dispose (je cite les dispositions pertinentes à la présente affaire):
40.1 (1) Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, le ministre et le solliciteur général peuvent, s'ils sont d'avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont ils ont eu connaissance, qu'une personne qui n'est ni citoyen canadien ni résident permanent appartiendrait à l'une des catégories visées aux alinéas 19(1)d),e),/),g) ou j), ou 27(2)c), signer et remettre une attestation à cet effet à un agent d'immigration, un agent principal ou un arbitre.
(2) En cas de remise de l'attestation visée au paragraphe (1), l'enquête prévue par ailleurs aux termes de la présente loi sur l'intéressé ne peut être ouverte tant que la décision visée à l'alinéa (4)d) n'a pas été rendue. L'agent principal ou l'arbitre doit, par dérogation aux articles 23 ou 103, retenir l'intéressé ou prendre une mesure à cet effet contre lui en attendant la décision.
(3) En cas de remise de l'attestation prévue au paragraphe (1), le ministre est tenu:
a) d'une part, d'en transmettre sans délai un double à la Cour fédérale pour qu'il soit décidé si l'attestation doit être annulée;
b) d'autre part, dans les trois jours suivant la remise, d'en- voyer un avis à l'intéressé l'informant de la remise et du fait que, à la suite du renvoi à la Cour fédérale, il pourrait faire l'objet d'une mesure d'expulsion.
(4) Lorsque la Cour fédérale est saisie de l'attestation, le juge en chef de celle-ci ou le juge de celle-ci qu'il délègue pour l'application du présent article:
a) examine dans les sept jours, à huis clos, les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont le ministre et le solliciteur général ont eu connaissance et recueille les autres éléments de preuve ou d'information présentés par ces derniers ou en leur nom; il peut en outre, à la demande du ministre ou du solliciteur général, recueillir tout ou partie de ces éléments en l'absence de l'intéressé et du conseiller la représentant, lorsque, à son avis, leur communi-
cation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;
b) fournit à l'intéressé un résumé des informations dont il dispose, à l'exception de celles dont la communication pour- rait, à son avis, porter atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes, afin de permettre à celui-ci d'être suffi- samment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation;
c) donne à l'intéressé la possibilité d'être entendu;
d) décide si l'attestation est raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et d'information à sa disposition, et, dans le cas contraire, annule l'attestation;
e) avise le ministre, le solliciteur général et l'intéressé de la décision rendue aux termes de l'alinéa d).
(5) Pour l'application du paragraphe (4), le juge en chef ou son délégué peut recevoir et admettre les éléments de preuve ou d'information qu'il juge utiles, indépendamment de leur receva- bilité devant les tribunaux.
(6) La décision visée à l'alinéa (4)d) ne peut être portée en appel ni être revue par aucun tribunal.
(7) Si l'attestation n'est pas annulée en vertu de l'alinéa (4)d):
a) elle fait foi du fait que la personne qui y est nommée appartient à l'une des catégories visées aux alinéas 19(1)d),e)J),g) ou j), ou 27(2)c);
b) la personne nommée dans l'attestation doit, par dérogation aux articles 23 ou 103, être retenue jusqu'à son renvoi du Canada.
Un agent principal a ensuite ordonné la mise sous garde des requérants.
L'article 41 [maintenant article 40.1] a été édicté par la Loi modifiant la Loi sur l'immigra- tion de 1976 et apportant des modifications corré- latives au Code criminel, L.C. 1988, chap. 36, art. 4, maintenant L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 29, art. 4 et est entré en vigueur le 3 octobre 1988. L'article 40.1 prévoit une sorte de contrôle judi- ciaire dans le cas d'une personne qui sollicite le statut de réfugié et qui n'est pas un résident per manent du Canada et qui, pour des raisons de sécurité ou d'autres raisons spécifiées, ne peut être admise au Canada. Les ministres concernés trans- mettent à notre Cour une attestation de leur con clusion qu'une personne ne remplit pas les condi tions requises pour être admise afin que la Cour
l'examine et décide si l'attestation est raisonnable compte tenu des éléments de preuve et d'informa- tion fournis au juge. L'enquête sur le statut de réfugié du requérant ne peut être ouverte ou pour- suivie tant que cette décision n'a pas été rendue et que l'attestation n'a pas été annulée ou confirmée.
Le 31 janvier 1991, j'ai présidé une audience au cours de laquelle j'ai examiné les renseignements secrets en matière de sécurité dont le ministre et le solliciteur général avaient eu connaissance. J'ai également entendu un autre témoignage, celui d'un agent du SCRS, Gregory Pearce. A l'issue de cette audience, j'ai signé une ordonnance proro- geant au 29 janvier 1991 le délai imparti pour signifier aux requérants l'avis de procédure prévu à l'alinéa 40.1(3)b), accordant ainsi un délai de quatre jours à compter de la date de la remise de l'attestation au lieu du délai de trois jours prévu à l'alinéa 40.1(3)b). J'ai également autorisé les inti- més à faire entendre Gregory Pearce, j'ai ordonné que l'audience se déroule à huis clos en l'absence des personnes désignées dans l'attestation et du conseiller les représentant, et j'ai ordonné que les renseignements secrets obtenus par le service de sécurité soient mis sous scellés et qu'ils soient séparés des autres dossiers publics de la Cour. J'ai examiné le résumé des renseignements qui m'a été fourni et qui a été rédigé par le SCRS, je l'ai corrigé et j'ai ordonné qu'il soit signifié aux requé- rants. J'ai ensuite fixé au 5 février 1991 la date à laquelle les requérants auraient «la possibilité d'être entendus».
AUDIENCES DES 5 ET 12 FÉVRIER 1991
L'audience s'est déroulée en séance publique à la demande des requérants, sans opposition de l'intimée. J'ai également ordonné, à la demande des requérants et sans opposition de l'intimée, que dans l'intérêt véritable des requérants ceux-ci soient désignés dans la présente instance sous les pseudonymes de Joseph Smith et de Sarah Smith.
À l'audience, l'avocat des requérants a essayé de me soumettre une requête en bref de certiorari pour faire annuler l'ordonnance de détention pro- noncée par l'agent principal le 25 janvier 1991. Cependant, comme l'avocat n'avait pas obtenu l'autorisation de présenter la requête, je n'ai pas permis que la requête soit déposée à l'audience.
L'avocat des requérants a alors déclaré qu'il essayerait d'obtenir l'autorisation de présenter la requête selon la procédure normale dans le cadre d'une demande distincte de la présente instance fondée sur l'article 40.1 de la Loi.
À l'audience, les requérants ont formulé plu- sieurs objections préliminaires au sujet de la procé- dure que la Cour et l'intimée ont suivie en l'espèce et qui, de l'avis des requérants, rend la Cour incompétente pour examiner le caractère raisonna- ble de l'attestation. Voici les objections en question:
a) je n'avais pas compétence pour rendre l'ordonnance de prolongation du délai de signification de l'avis aux requérants, et le respect des exigences prévues au paragraphe 40.1(3) en matière d'avis est une condition préalable à la compétence de la Cour sur l'objet de présent litige;
b) la Cour n'avait pas compétence pour prononcer ex parte l'ordonnance de prorogation de délai ou les autres ordonnances;
c) la décision de la Cour d'entendre à huis clos le témoignage supplémentaire de Gregory Pearce n'aurait pas être pronon- cée à huis clos;
d) le résumé fourni aux requérants ne respecte pas les exigences de l'alinéa 40.1(4)b) de la Loi, étant donné qu'il n'a pas été rédigé personnellement par le juge délégué;
e) l'attestation n'a pas été transmise «sans délai» à la Cour fédérale comme l'exige l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi;
f) la Cour devrait ordonner une communication plus complète des documents scellés aux requérants, la communication inté- grale des témoignages entendus à huis clos, la datation de l'encre et du papier du carnet d'adresses au moyen des techni ques de la médecine légale, la possibilité pour les requérants de contre-interroger les agents du SCRS qui les ont interrogés ainsi que la possibilité de contre-interroger le traducteur des documents et la production du dossier intégral que le SCRS possède au sujet de l'Ad-Da'wa pour que les requérants l'utilisent.
L'affaire a ensuite été ajournée au 12 février 1991, date à laquelle les observations des parties au sujet des objections préliminaires ont été entendues. A la suite du débat sur ces questions, j'ai remis le prononcé de ma décision. Il a alors été convenu que si je jugeais mal fondées les objections prélimi- naires, les requérants auraient, le 26 mars 1991, «la possibilité d'être entendu[s]» que leur accorde l'alinéa 40.1(4)c) de la Loi. En ce qui concerne la question de la communication plus complète, les avocats des deux parties se sont engagés à se consulter l'un l'autre pour savoir s'ils pourraient s'entendre sur les conditions auxquelles le témoi- gnage des agents du SCRS serait soumis à la Cour. La Cour a subséquemment été informée par
une lettre datée du 22 février 1991 que les avocats ne pouvaient pas parvenir à une entente. Quant à la question de la datation de l'encre et du papier du carnet d'adresses, l'intimée a déclaré qu'elle était disposée à accepter l'aveu de M. Smith que la date la plus récente à laquelle le carnet d'adresses avait été utilisé remontait à 1986.
OBJECTIONS PRÉLIMINAIRES
Les objections des requérants portent sur la compétence de notre Cour pour statuer sur la présente affaire au fond. Bien que la conclusion à laquelle j'en suis finalement arrivé en ce qui con- cerne le caractère raisonnable de l'attestation tende à rendre théoriques la plupart des questions soulevées dans l'analyse qui suit, j'estime qu'elles doivent être abordées étant donné que la compé- tence de la Cour pour se prononcer sur le caractère raisonnable de l'attestation est contestée.
1. Ordonnance de prorogation de délai
L'intimée fait valoir plusieurs moyens pour riposter à la prétention des requérants suivant laquelle notre Cour n'a pas compétence pour accorder une prorogation de délai. Premièrement, l'intimée prétend que le respect des dispositions de l'alinéa 40.1(3)b) relatives à l'avis ne constitue pas une condition préalable à la compétence de la Cour pour examiner le caractère raisonnable de l'attestation. L'intimée soutient en outre que, dans le contexte des dispositions relatives à l'avis, les mots «est tenu de» devraient être interprétés comme ayant une connotation indicative et non impérative dans ce contexte particulier. À titre subsidiaire, elle soutient que la Cour a le pouvoir implicite de proroger le délai dans le but de pou- voir exercer de façon efficace les pouvoirs d'exa- men de l'attestation que lui accorde expressément la Loi. Finalement, l'intimée affirme que les dispo sitions des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] relatives au calcul des délais devraient s'appliquer à la présente instance.
Je suis d'accord avec l'intimée pour dire que le respect des dispositions relatives à l'avis ne consti- tue pas une condition préalable à l'exercice du pouvoir d'examen que prévoit le paragraphe 40.1(4). Il convient de noter qu'aux termes de l'alinéa 40.1(4)a), la Cour est tenue de procéder à l'examen à huis clos dans les sept jours suivant la date à laquelle l'attestation est renvoyée à la Cour
en vertu du paragraphe 40.1(3). Le renvoi à la Cour doit avoir lieu «sans délai» après que l'attes- tation a été, conformément au paragraphe 40.1(1), remise au fonctionnaire compétent de l'immigra- tion. La personne désignée dans l'attestation doit être informée de la remise dans les trois jours de celle-ci. Il est donc possible qu'une attestation soit remise, puis renvoyée à la Cour et examinée avant l'expiration du délai de trois jours. Il est vrai qu'en l'espèce, les requérants n'ont été avisés qu'après que quatre jours se furent écoulés à compter de la remise de l'attestation, et que la Cour n'a procédé à l'examen que six jours plus tard. Cependant, il faut quand même faire observer que la loi prévoit que dans certains cas il est possible de procéder à l'examen avant que la personne désignée dans l'attestation soit informée de la remise de l'attesta- tion. Compte tenu de ce qui précède, je conclus donc que le législateur fédéral ne voulait pas que les dispositions relatives à l'avis soient strictement observées pour que la Cour puisse examiner l'at- testation en vertu du paragraphe 40.1(4).
Je suis également persuadé que l'intimée a raison de dire que les mots «est tenu de» au para- graphe 40.1(3) devraient être interprétés comme étant indicatifs et non comme étant impératifs. Dans leur ouvrage Principles of Administrative Law (1985, Carswell), Jones et de Villars font observer, aux pages 110 et 111, que pour détermi- ner si une condition prévue par la loi est impéra- tive ou indicative, le tribunal doit tenir compte
[TRADUCTION] ... de l'esprit de la loi, de l'ensemble de ses dispositions, de la raison pour laquelle on a inclus l'exigence législative en question, de la question de savoir si la loi prévoit des conséquences en cas d'inobservation, et des effets pratiques de l'inobservation sur le plaignant ou sur toute autre personne.
À mon avis, le cadre législatif concernant les délais était conçu comme indicatif et non comme impératif. L'esprit et l'objet de la Loi sur l'immi- gration qui sont énoncés à l'article 2 de la Loi mettent en équilibre les intérêts du pays en matière de sécurité et les droits individuels des personnes qui cherchent à entrer au Canada, et ils pourraient donc être interprétés comme appuyant l'une ou l'autre qualification. Cependant, même si les dis positions législatives devraient être observées dans toute la mesure du possible, il n'est peut-être pas toujours pratique, lorsque la sécurité nationale est menacée, d'exiger un strict respect lorsque la per- sonne désignée ne subira pas de préjudice grave.
De plus, aucune conséquence précise n'est prévue en cas de défaut de donner avis. Comme la per- sonne désignée dans l'attestation n'avait aucune raison d'intervenir tant que l'examen à huis clos n'avait pas eu lieu, eu égard aux circonstances de l'espèce, le défaut de l'intimée d'aviser les requé- rants dans le délai prescrit de trois jours ne leur a pas causé de préjudice grave. Cela ne veut cepen- dant pas dire que la Cour devrait excuser d'impor- tants retards à respecter les exigences de la loi en matière d'avis en les considérant comme de sim- ples vices de procédure. Il semblerait que le but de cette condition particulière de la Loi en matière d'avis est de s'assurer que la personne désignée dans l'attestation soit informée de la raison du maintien de sa mise sous garde et du fait qu'elle pourrait faire l'objet d'une mesure d'expulsion. À mon avis, ce sont des droits importants qui doivent être protégés, et on ne devrait fermer les yeux sur une dérogation à la norme prévue par la loi que lorsque les dispositions relatives au délai de trois jours ont été respectées dans l'ensemble et qu'il n'y a pas atteinte aux droits de l'intéressé. En l'espèce, on a retardé d'une journée l'envoi de l'avis aux requérants, et ce retard n'était pas important ou indûment préjudiciable dans les circonstances.
Je suis donc d'avis de conclure, sur le fondement de ce qui précède, que la compétence de la Cour pour examiner le caractère raisonnable du certifi- cat n'a pas été touchée par le défaut des intimés d'observer rigoureusement les exigences relatives à l'avis. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner les moyens subsidiaires que l'intimé fait valoir sur cette question.
2. Procédure ex parte
L'avocat des requérants prétend que la Cour n'avait pas compétence pour rendre ex parte l'or- donnance de prorogation de délai et pour accorder ex parte les autres éléments de l'ordonnance. À l'appui de cette prétention, il invoque l'arrêt Neal c. P.G. (Sask.) et autre, [1977] 2 R.C.S. 624, dans lequel la Cour suprême du Canada a annulé la demande présentée par le ministère public en vue d'obtenir ex parte la prorogation du délai imparti pour interjeter appel d'un verdict d'acquittement dans une affaire de déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Ce moyen est, selon moi, dénué de tout fonde- ment. À mon avis, on peut facilement distinguer la présente affaire de l'arrêt Neal. C'est un principe élémentaire de droit que, dans une poursuite judi- ciaire, l'usage courant veut que l'on avise la partie adverse et que celle-ci ait la possibilité de faire valoir son point de vue. J'estime toutefois qu'en l'espèce l'alinéa 40.1(4)a) de la Loi accorde à la Cour le pouvoir de procéder ex parte. À la diffé- rence de la situation qui existait dans l'arrêt Neal, la loi à l'examen en l'espèce accorde manifeste- ment au juge qui préside le pouvoir discrétionnaire de recueillir tout ou partie des éléments de preuve et d'information présentés en l'absence de la per- sonne désignée dans l'attestation ou du conseiller la représentant, lorsque leur communication porte- rait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes. À mon avis, ce droit d'exclusion s'éten- drait implicitement au prononcé des ordonnances nécessairement accessoires à l'exercice de ce pou- voir discrétionnaire et il n'est donc pas nécessaire que le juge entende des observations sur ces ordon- nances. En l'espèce, l'ordonnance prescrivant l'au- dition du témoignage de Gregory Pearce à huis clos était accessoire à la décision de non-divulga- tion de la preuve, laquelle est une décision que le juge est expressément habilité à rendre. On pour- rait en dire autant des ordonnances prescrivant le déroulement à huis clos de toute l'audience, la conservation sous pli scellé des renseignements, et la communication d'un résumé vérifié. Quant à l'ordonnance de prorogation de délai, je suis con- vaincu qu'elle pourrait aussi avoir lieu à huis clos dans le cadre de l'instance générale, et de toute façon, pour les raisons déjà exposées, le fait qu'il n'a pas été possible de présenter des observations sur ce point n'a causé aucun préjudice.
3. Audience à huis clos
Les requérants prétendent que l'article 40.1 ne permet que dans des circonstances limitées l'exa- men à huis clos des renseignements secrets en matière de sécurité dont les ministres ont eu con- naissance, ainsi que d'autres éléments d'informa- tion comme le témoignage de Pearce. Ils préten- dent également que la décision de permettre la présentation d'autres éléments de preuve à huis clos ne peut être prononcée à huis clos.
À mon avis, cette prétention est également dénuée de fondement. L'alinéa 40.1(4)a) accorde
expressément au juge le pouvoir discrétionnaire de «recueil[lir] les autres éléments de preuve ou d'in- formation» à huis clos pour des raisons de sécurité nationale. Il n'y a aucune raison d'exclure les témoignages du champ d'application de cette dis position. Quant à l'argument que cette décision ne peut pas elle-même être prononcée à huis clos, je le rejette pour les mêmes motifs que ceux que j'ai avancés dans la section relative à la procédure ex parte.
4. Le résumé
Les requérants soutiennent en outre que le résumé des informations dont les requérants ont besoin pour être suffisamment informés des cir- constances ayant donné lieu à l'attestation doit être rédigé par le juge lui-même. L'alinéa 40.1(4)b) n'exige pas explicitement que le juge rédige lui-même le résumé, et je refuse de conclure à l'existence de cette obligation en l'absence de raisons sérieuses. À mon avis, le rôle que joue le juge dans le cas présent consiste à s'assurer que l'intéressé soit suffisamment informé. En l'espèce, j'ai examiné et approuvé le compte rendu des éléments de preuve mis à ma disposition et, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, j'ai ordonné que certaines parties soient retranchées du résumé dans l'intérêt de la sécurité nationale sans porter atteinte au droit des requérants d'être suffisam- ment informés. Je tiens également à souligner qu'il existe des situations analogues dans lesquelles les tribunaux retranchent une partie des renseigne- ments qui lui ont été communiqués, comme par exemple dans le cas des affidavits des informateurs de police lorsqu'on demande l'accès au paquet scellé dans une affaire d'écoute électronique (voir l'arrêt R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421).
5. «Sans délai»
Les requérants prétendent également que comme l'attestation n'a été transmise à la Cour fédérale qu'après que quatre jours se furent écou- lés à compter de la date de la remise de l'attesta- tion, celle-ci n'a pas été transmise «sans délai» comme l'exige l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi.
La Cour d'appel de l'Ontario a examiné le sens de l'expression «sans délai» dans l'arrêt R. c. Parrot (1979), 27 O.R. (2d) 333. Le dirigeant syndical accusé était tenu, en vertu d'une loi for- çant le retour au travail, d'aviser «sans délai» (en
anglais, forthwith) ses compagnons de travail que la grève était devenue illégale. La Cour s'est pen- chée sur le sens des mots «sans délai» aux pages
339 et 340:
[TRADUCTION] Finalement, .. . nous sommes convaincus qu'il faut interpréter l'expression «sans délai» à l'art. 3(1) de la Loi comme signifiant «immédiatement» ou [TRADUCTION] «dès que possible eu égard aux circonstances et en tenant compte de la nature de l'acte à accomplir» (37 Hals., éd., à la p. 103) ou [TRADUCTION] «aussi promptement qu'il est raisonnablement possible ou réalisable en tenant compte de toutes les circons- tances» (R. v. Bell, [1969] 2 C.C.C. 9, à la p. 18) ...
Il semble ressortir de toutes les décisions publiées que «sans délai» ne veut pas dire «instantanément» (R. v. Cuthbertson, précité) mais plutôt «dans un délai raisonnable», en tenant compte [TRADUCTION] «du but visé par le principe, et des circonstances de l'affaire» (le maître des rôles Jessel dans le jugement Ex parte Lamb (1881), 19 Ch. D. 169, la p. 173.. . Voir également Mihm et autres c. Ministre de la Main-d'oeu- vre et de l'Immigration, [1970] R.C.S. 348, la p. 358.. .
En l'espèce, je suis persuadé que l'attestation a été transmise à la Cour dès qu'il était raisonnablement possible de le faire dans les circonstances. Il est évidemment souhaitable, lorsque la liberté d'une personne est en jeu, que la question soit soumise au tribunal avec diligence raisonnable. En l'espèce, il était nécessaire pour l'intimée de recueillir les éléments de preuve et d'information nécessaires qui devaient être présentés à la Cour. De telles recherches demandent nécessairement un certain temps à partir du moment de la délivrance de l'attestation et, en l'espèce, eu égard au fait qu'une partie du temps s'est écoulé pendant une fin de semaine, je suis persuadé que le temps que l'inti- mée a pris était raisonnable dans les circonstances. Je signale que la loi prévoit que la Cour doit examiner les renseignements secrets qui sont portés à sa connaissance notamment en matière de sécurité dans les sept jours de la délivrance de l'attestation et qu'en l'espèce les quatre jours qui se sont effectivement écoulés laissaient à la Cour suffisamment de temps pour examiner la preuve.
6. Communication plus complète
Comme je l'ai déjà signalé, les requérants récla- ment une communication plus complète des docu ments qui ont été mis à la disposition de la Cour durant l'audience à huis clos. Ils sollicitent la communication intégrale des documents se trou- vant dans les dossiers scellés; ils veulent qu'on leur communique tous les détails au sujet du témoi- gnage donné par les témoins à l'audience, et ils
demandent de pouvoir contre-interroger l'auteur des documents qui m'ont été soumis. Ils deman- dent également qu'on leur permette de contre- interroger les agents qui les ont fouillés et ques- tionnés, et de pouvoir contre-interroger le traduc- teur. Ils demandent également l'accès aux dossiers que le SCRS pourrait posséder au sujet de 1'Ad-Da'wa.
L'intimée a déclaré à l'audience qu'elle s'oppo- sait à ce que les agents du SCRS qui ont interrogé les requérants soient contre-interrogés, mais elle s'est dite prête à permettre aux requérants de soumettre par écrit des questions au sujet de possi bles violations de la Charte ou autres irrégularités qui auraient pu se produire au cours de l'entrevue et elle a précisé que les agents y répondraient par affidavit. L'intimée s'est opposée à la demande de production des documents scellés, des dossiers et des autres éléments de preuve exclus de l'audience au motif qu'ils ne pouvaient être communiqués pour des raisons de sécurité nationale. Pour la même raison, l'intimée s'est opposée à ce que le traducteur du SCRS comparaisse pour être contre- interrogé. Quant à la demande de contre-interro- gatoire de l'auteur des documents, cette requête a été jugée acceptable à condition que le contre- interrogatoire ne porte que sur des questions ne touchant pas au domaine de la sécurité nationale.
Le paragraphe 40.1(4) de la Loi m'accorde, en ma qualité de juge chargé d'examiner l'attestation, le pouvoir discrétionnaire de refuser la communi cation d'une partie des éléments d'information ou de preuve à ma disposition au motif que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité natio- nale ou à celle de personnes. Je suis persuadé que, dans les circonstances, la communication des docu ments des dossiers scellés porterait atteinte à la sécurité nationale. À cet égard, je fais miennes les observations formulées par le juge Addy dans le jugement Henrie c. Canada (Comité de surveil lance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (i ie inst.), aux pages 242 et 243 et les considère comme des principes directeurs appropriés pour l'exercice de mon pouvoir discré- tionnaire:
Il importe de se rendre compte qu'un [TRADUCTION] «obser- vateur bien informé», c'est-à-dire une personne qui s'y connaît en matière de sécurité et qui est membre d'un groupe consti- tuant une menace, présente ou éventuelle, envers la sécurité du Canada, ou une personne associée à un tel groupe, connaîtra les
rouages de celui-ci dans leurs moindres détails ainsi que les ramifications de ses opérations dont notre service de sécurité pourrait être relativement peu informé. En conséquence de quoi l'observateur bien informé pourra parfois, en interprétant un renseignement apparemment anodin en fonction des données qu'il possède déjà, être en mesure d'en arriver à des déductions préjudiciables à l'enquête visant une menace particulière ou plusieurs autres menaces envers la sécurité nationale. Il pour- rait, par exemple, être en mesure de déterminer, en tout ou en partie, les éléments suivants: (1) la durée, l'envergure et le succès ou le peu de succès d'une enquête; (2) les techniques investigatrices du service; (3) les systèmes typographiques et de téléimpression utilisés par le SCRS; (4) les méthodes internes de sécurité; (5) la nature et le contenu d'autres documents classifiés; (6) l'identité des membres du service ou d'autres personnes participant à une enquête.
Pour ces motifs, il m'est impossible de faire des commentaires directs sur les raisons pour lesquel- les des documents ont été mis sous scellés en l'espèce, car on pourrait se servir de mes commen- taires pour découvrir les éléments de preuve et les autres éléments énumérés par le juge Addy. Les mêmes considérations s'appliqueraient à la demande de contre-interrogatoire formulée par les requérants. Les requérants citent l'arrêt R. c. Garofoli, précité, à l'appui de leur demande de contre-interrogatoire des agents du SCRS. La si tuation en cause dans l'arrêt Garofoli était diffé- rente parce que même si l'on craignait pour la confidentialité et l'efficacité des enquêtes policiè- res, cette crainte n'existait pas à propos de la sécurité nationale.
Il est quand même possible que la procédure prévue à l'article 40.1 viole la Charte. La question de savoir si la procédure d'examen de l'attestation de sécurité, de communication de la preuve et de détention prévue à l'article 40.1 de la Loi viole l'article 7 de la Charte a été abordée au cours des débats, mais aucune prétention détaillée n'a été présentée sur cette question. Les requérants s'ap- prêtaient probablement à présenter une argumen tation détaillée fondée sur la Charte à l'audience fixée pour le 26 mars 1991, celle on leur donnait «la possibilité d'être entendu[s]». J'en suis toutefois venu à la conclusion que, pour donner aux requérants la possibilité d'être entendus, il n'est pas nécessaire de leur accorder plus de temps que celui qu'ils ont eu pour présenter les observa tions déjà formulées, parce qu'il me semble que le ministre n'a pas démontré que l'attestation était raisonnable d'après les éléments de preuve qui m'ont été soumis. Comme les questions relatives à
la Charte n'ont pas été débattues en détail et qu'aucune preuve n'a été présentée en vertu de l'article premier, je n'exprime aucune opinion quant à la question de savoir si l'article 40.1 pourrait résister à un examen minutieux fondé sur les dispositions de la Charte.
CARACTÈRE RAISONNABLE DE L'ATTES- TATION
Comme j'ai conclu que j'ai compétence pour rendre la présente décision, on pourrait s'attendre normalement à ce que nous prenions maintenant des mesures en vertu de l'alinéa 40.1(4)c) pour donner aux personnes désignées dans l'attestation la possibilité d'être entendues et, c'est effective- ment ce qui devait se produire le 26 mars 1991. Cependant, après avoir procédé à un examen approfondi des points litigieux et après avoir entendu la thèse des requérants, je ne vois pas la nécessité d'entendre les personnes retenues parce que la question de fond peut être tranchée dès maintenant.
DÉCISION
La première étape consiste à déterminer le sens exact qu'il convient d'accorder au mot «raisonna- ble» qu'on trouve à l'alinéa 40.1(4)d). Lorsque la Cour procède au contrôle judiciaire des actes de l'administration, son rôle consiste habituellement non pas à examiner le bien-fondé de la décision, mais plutôt à déterminer si la personne qui a pris la décision a agi conformément à la loi. Habituel- lement, si la loi applicable soumet explicitement le fonctionnaire à l'obligation d'agir de façon raison- nable, celui-ci doit, si on lui reproche sa conduite, justifier sa décision en présentant des éléments de preuve qui démontreraient que sa décision était raisonnablement justifiée et qu'il n'a pas fondé ses conclusions sur des considérations non pertinentes. On trouve un exemple d'une conception relative- ment restrictive du caractère raisonnable dans l'ar- rêt Secretary of State for Education and Science v. Tameside Metropolitan Borough Council, [1977] A.C. 1014 (H.L.), à la page 1064, dans lequel lord Diplock déclare que lorsqu'une loi oblige une autorité publique à exercer un pouvoir discrétionnaire «de manière raisonnable», on doit considérer que cette exigence interdit [TRADUC- TION] «toute conduite qu'une autorité sensée et dûment consciente de ses responsabilités n'aurait pas décidé d'adopter».
J'estime toutefois qu'il y a lieu d'appliquer une norme de preuve plus élevée en ce qui concerne le caractère raisonnable lorsque la liberté individuelle est en jeu. Dans l'arrêt Reg. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Khawaja, [1984] A.C. 74, la Chambre des lords a examiné certaines dispositions de la Immigration Act [(R.-U.), 1971, chap. 77] britannique et a statué que si un agent d'immigration faisait garder une personne au motif qu'elle se trouve illégalement en Angleterre, il ne suffirait pas de justifier la mesure en invoquant certains motifs raisonnables. Comme la liberté individuelle est compromise à cause de la détention, l'agent d'immigration doit satisfaire à une norme de preuve civile plus élevée en démon- trant qu'il est très probable que la personne déte- nue se trouve illégalement en Angleterre. Ainsi que lord Scarman l'a déclaré aux pages 113 et 114 au nom de la majorité:
[TRADUCTION] Vos Seigneuries, j'estime qu'il y a lieu d'adop- ter la norme civile qui est appliquée avec souplesse dans les cas l'exécutif restreint la liberté de la personne ... Il n'est pas nécessaire d'incorporer dans les poursuites civiles dans lesquel- les le tribunal exerce un contrôle judiciaire la formule conçue par les juges pour guider les jurés en matière criminelle. La liberté est en jeu: c'est, comme le tribunal l'a reconnu, dans les décisions Bater v. Bater [1951] P. 35 et Hornal v. Neuberger Products Ltd. [1957] 1 Q.B. 247, une grave question. Le tribunal qui procède au contrôle judiciaire devra donc être convaincu que les faits nécessaires à la justification de la limite apportée à la liberté existent effectivement. La souplesse de la norme de preuve civile suffit pour garantir que le tribunal exigera le degré élevé de probabilité qui convient à ce qui est en
jeu: [TRADUCTION] « . la façon de se convaincre de la véracité d'une question dépend nécessairement de la nature et la gravité de cette question» (le juge Dixon dans l'arrêt Wright v. Wright (1948) 77 C.L.R. 191, la page 210). J'adopterais donc la norme civile qui est appliquée avec souplesse de la manière qui est expliquée dans la jurisprudence que j'ai men- tionnée. Et je souscris entièrement à l'observation formulée par mon éminent collègue, lord Bridge of Harwich, suivant laquelle les difficultés de la preuve dans de nombreuses affaires d'immi- gration ne justifient aucunement l'affaiblissement de la norme de preuve exigée.
Si j'applique la norme établie dans l'arrêt Kha- waja, il me semble évident que l'attestation déli- vrée en vertu de l'article 40.1 n'est pas raisonnable et qu'elle devrait par conséquent être annulée. J'estime, suivant la norme établie dans l'arrêt Khawaja, que la preuve était insuffisante pour permettre au ministre de conclure que les requé- rants appartenaient aux catégories non admissibles prévues aux alinéas 19(1)f) et 19(1)g) de la Loi. Il n'existe pas de motifs suffisants pour croire que les
requérants essayeront d'inciter au renversement d'un gouvernement par la force pendant leur séjour au Canada. Le rattachement des requérants à l'Ad-Da'wa, qu'ils reconnaissent librement, ne constitue pas à mon avis une raison suffisante pour conclure que les requérants commettront des actes subversifs sans preuve convaincante démontrant qu'ils commettront personnellement des actes sub- versifs pendant leur séjour au Canada. La preuve fournie par l'intimée portait sur les activités sus- pectes de l'Ad-Da'wa, mais elle n'a présenté aucune preuve quant aux activités subversives aux- quelles les requérants seraient personnellement susceptibles de se livrer. Ainsi que l'arbitre l'a souligné, le fait que M. Smith se soit engagé par le passé dans la résistance armée contre l'Iraq ne veut pas dire qu'il le fera pendant son séjour au Canada. Quant au carnet d'adresses, je suis d'ac- cord avec l'arbitre pour dire que les explications fournies par les requérants étaient dignes de foi et qu'elles sont conciliables avec la revendication du statut de réfugié des requérants.
Je suis également d'avis de conclure que l'on ne peut raisonnablement penser que les requérants commettront des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie humaine pendant leur séjour au Canada, ou qu'ils appartiennent à une organisation susceptible de commettre de tels actes. L'intimée n'a présenté aucune preuve ten- dant à démontrer que l'Ad-Da'wa a commis de tels actes au Canada ou qu'elle est susceptible de le faire à l'avenir. On pourrait en dire autant des requérants. Les déductions que l'on pourrait peut- être tirer de leur association avec l'Ad-Da'wa ou du carnet d'adresses sont à mon avis insuffisantes vu l'absence d'éléments de preuve plus directs et personnalisés au sujet de la probabilité qu'ils parti- cipent à de telles activités. À mon avis, il est possible que des groupes qui prennent part à des activités terroristes comme il semble que l'Ad- Da'wa le fasse dans certaines circonstances ne sont pas monolithiques, mais peuvent compter dans leurs rangs ceux qui sont le moins enclins à la violence ou qui sont mêmes tout à fait passifs. Sans d'autres éléments de preuve sur la propension ou la participation des requérants au terrorisme ou à d'autres actes violents, j'estime que le maintien de leur détention n'est pas raisonnable.
À mon avis, les activités des requérants sont conciliables avec la revendication de statut qu'ils ont présentée en vue d'être reconnus comme réfu- giés (lequels arrivent dans bien des cas dans notre pays avec des documents douteux). Il semble que la revendication du statut de réfugié des requé- rants soit authentique et qu'elle soit fondée sur leur opposition au régime de Saddam Hussein. De toute façon, il est difficile de croire que, si les requérants avaient l'intention de commettre des actes subversifs, ils seraient entrés au Canada avec des tracts d'identification et qu'ils fourniraient volontiers aux fonctionnaires de l'immigration un récit détaillé de leur affiliation à un groupe suspect.
Je suis donc d'avis d'ordonner l'annulation de l'attestation. Il est évidemment loisible à l'intimée, si des preuves incriminantes contre l'une ou l'autre personne étaient portées à son attention, de présen- ter une autre requête fondée sur l'article 40.1, mais dans les circonstances, les personnes retenues sont libres de poursuivre leur revendication du statut de réfugié.
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