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A-323-89
Herbert H. Winter et David Herbert Outerbridge Winter (appelants)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ: WINTER c. CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et Décary, J.C.A.—Montréal, 2 octobre; Ottawa, 2 novembre 1990.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Évitement fiscal Principe des avantages indirects Le ministre a inclus dans le revenu de l'administrateur la valeur des actions ven- dues à son gendre, conformément à l'art. 56(2) La Cour n'a pas fait abstraction de la personnalité morale L'adminis- trateur, à titre d'actionnaire majoritaire, a pu faire en sorte que la société vende ses actions à un prix inférieur à leur valeur marchande pour avantager l'acheteur L'art. 56(2) est fondé sur la doctrine de la «recette présumée» Cette dispo sition exige simplement que le contribuable soit imposable quand le transfert lui est fait L'art. 56(2) s'applique seulement si l'avantage n'est pas directement imposable entre les mains du bénéficiaire ou du cessionnaire Puisque l'acheteur des actions a agi en sa qualité de gendre, et non en sa qualité d'actionnaire, il n'est pas imposable en vertu de l'art. 15(1).
Il s'agit d'un appel formé contre le jugement de première instance par lequel une action pour contester une cotisation fiscale a été rejetée. En 1979, le conseil d'administration d'une société de portefeuille a passé une résolution aux termes de laquelle celle-ci vendait ses actions d'une société active au gendre de l'actionnaire majoritaire, Sir Leonard Outerbridge, au prix de 100 $ l'action. Le ministre a inclus la valeur de ces actions, fixée à 1 089 $ l'action, dans le revenu de Sir Leonard à titre d'avantage qui lui aurait été accordé conformément au paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le paragraphe 56(2) prévoit que tout transfert de biens fait avec l'accord d'un contribuable à autrui, à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accordé à l'autre personne, doit être inclus dans le revenu du contribuable dans la mesure il le serait si ce paiement ou ce transfert avait été fait au contribua- ble lui-même. Selon les demandeurs, c'est-à-dire les exécuteurs testamentaires de Sir Leonard, les actions appartenaient à la société de portefeuille et non pas à ce dernier. Admettre que Sir Leonard avait accordé un avantage à son gendre reviendrait à faire abstraction de la personnalité morale de la société, sans justification. À titre subsidiaire, ils ont plaidé que Sir Leonard ne devrait pas être imposé conformément au paragraphe 56(2) du fait que le gendre, en sa qualité d'actionnaire, était déjà assujetti à l'impôt à l'égard de l'avantage, conformément au paragraphe 15(1).
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
La Cour n'a pas fait abstraction de la personnalité morale de la société. Ce qui importe c'est que Sir Leonard pouvait faire en sorte que la société vende ses actions à un prix inférieur à leur valeur marchande, dans le but d'avantager l'acheteur. Le fait
qu'il n'avait aucun droit direct sur les actions n'aurait été pertinent que si le paragraphe 56(2) avait visé exclusivement les cas les revenus détournés seraient ceux auxquels le contribuable avait droit.
Le paragraphe 56(2) est une disposition en matière d'évite- ment fiscal qui remonte à 1948. Bien qu'il ait fait l'objet de nombreuses décisions publiées, les tribunaux n'ont jamais pu en élucider le sens exact, et son but demeure controversé. Il faut nuancer le sens du paragraphe 56(2) la lumière de l'objet de la règle et du but dans lequel elle a été adoptée afin d'éviter des résultats déraisonnables. Le paragraphe 56(2) est fondé sur la doctrine de la «recette présumée» et, bien qu'il vise principale- ment les cas le contribuable cherche à éviter de recevoir un revenu en faisant verser ce montant au profit de quelqu'un d'autre, son application n'est pas limitée à de tels cas patents d'évitement fiscal. Comme condition d'application, il n'est pas nécessaire que le contribuable ait d'abord droit au versement ou au transfert du bien en faveur du tiers. Il suffit qu'il soit imposable à cet égard quand le versement ou le transfert lui est fait. Lorsque le contribuable n'a pas droit au versement effec- tué ou au bien transféré, le paragraphe 56(2) s'applique seule- ment si l'avantage accordé n'est pas directement imposable entre les mains du cessionnaire. La raison d'être d'une disposi tion en matière d'évitement fiscal est d'empêcher l'évitement de l'impôt payable sur une opération donnée, et non pas de doubler l'impôt normalement payable, ou d'accorder aux autorités fis- cales une discrétion administrative qui leur permettraient de choisir entre deux contribuables possibles. La condition impli- cite selon laquelle le cessionnaire n'est pas assujetti à l'impôt sur l'avantage qu'il a reçu n'est pas remplie en l'espèce, puisque l'acheteur a acquis les actions en sa qualité de gendre et non pas en sa qualité d'actionnaire, si bien que le paragraphe 15(1) ne s'appliquait pas.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, chap. 52, art. 16(1) (mod. par S.C. 1960-61, chap. 49, art. 5).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 15(1), 56(2), 69 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 37; 1977-78, chap. 32, art. 13; 1979, chap. 5, art. 22).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1970, chap. I-5, art. 56(2).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Canada c. McClurg, [1988] 2 C.F. 356; [1988] 1 C.T.C. 75; (1987), 18 F.T.R. 80; 84 N.R. 214 (C.A.) conf. McClurg (J.A.) c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 355; (1986), 86 DTC 6128; 2 F.T.R. 1 (C.F. 1" inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Minister of National Revenue v. Bronfman, Allan, [1966] R.C.E. 172; [1965] C.T.0 378; (1965), 65 DTC 5235.
DÉCISIONS CITÉES:
Miller, Alex v. Minister of National Revenue, [1962] R.C.E. 400; [1962] C.T.C. 378; (1962), 62 DTC 1139; Murphy (G A) c. La Reine, [1980] CTC 386; (1980), 80 DTC 6314 (C.F. lre inst.); Minister of National Revenue v. Pillsbury Holdings Ltd., [1965] 1 R.C.E. 676; [1964] C.T.C. 294; (1964), 64 DTC 5184; Herbert v. Inland Revenue Comrs., [1943] 1 All E.R. 336 (K.B.D.); Vestey v Inland Comrs. (Nos 1 and 2), [1979] 3 All ER 976 (H.L.).
AVOCATS:
A. Peter F. Cumyn et Gary Nachshen pour les appelants.
P. E. Plourde et Michael Murphy pour l'intimée.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Montréal, pour les appe- lants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Le présent appel d'un jugement de la Section de première instance [Outerbridge (Sir L.C.) succession c. Canada, [1989] 2 C.T.C. 55; (1989), 89 DTC 5304 (C.F. lie inst.) (sub nom Winter c. Canada)] porte sur l'interprétation et les conditions d'application du paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63] qui dispose:
56....
(2) Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions et avec l'accord d'un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder à l'autre personne, doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure il le serait si ce paiement ou ce transfert avait été fait au contribuable.
Cette disposition bien connue en matière d'évite- ment fiscal, qui donne effet au principe des avanta- ges indirects, a une longue histoire législative qui remonte à 1948'. Elle a donné lieu à d'importantes décisions, dont celles rendues par la Cour de l'Échiquier dans les affaires Miller, Alex v. Minis
' La disposition a été édictée à l'origine au paragraphe 16(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1948, chap. 52]. Elle a été modifiée en 1961 (S.C. 1960-61, chap. 49, art. 5) et est devenue le paragraphe 56(2) lors de la révision de 1970.
ter of National Revenue, [ 1962] R.C.É. 400; et Minister of National Revenue v. Bronfman, Allan, [1966] R.C.É. 172, par la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Murphy (G A) c. La Reine, [1980] CTC 386, et, plus récemment, par cette Cour dans l'affaire Canada c. McClurg, [1988] 2 C.F. 356, confirmant [1986] 1 C.T.C. 355 (C.F. 1 r inst.), un arrêt actuellement en appel devant la Cour suprême. Pourtant, l'im- précision de ses termes n'a jamais été complète- ment surmontée et son objet comme son but sont encore objet de controverse. La présente affaire montre une fois de plus combien il est difficile de comprendre en tout point comment le Parlement voulait qu'elle soit appliquée en pratique.
En 1979, Sir Leonard C. Outerbridge, un rési- dent de St-John's (Terre-Neuve) alors âgé de 91 ans, était l'actionnaire majoritaire de Littlefield Investments Limited («Littlefield»), une société constituée sous le régime des lois du Canada le 8 décembre 1961 pour agir à titre de société de portefeuille. Sir Leonard détenait 99,16 p. 100 des actions émises de la société (9 916 actions), alors que sa fille, Nancy D. Winter, en détenait 0,83 p. 100 (83 actions) et son gendre, Herbert H. Winter (Dick), 0,1 p. 100 (une action). Sir Leonard, à titre personnel, et sa société de porte- feuille, étaient tous deux en même temps proprié- taires bénéficiaires d'actions de A. Harvey & Company Limited («Harvey»), une société active qui oeuvrait dans les domaines de la distribution, du transport et de l'entreposage: Sir Léonard déte- nait 254 actions de Harvey, Littlefield, 661.
Le 19 septembre 1979, le conseil d'administra- tion de Littlefield (constitué à l'époque des trois actionnaires), au cours d'une réunion régulière, a passé une résolution autorisant la vente des 661 actions de Harvey appartenant à la société à Dick Winter au prix de 100 $ l'action. L'opération visée par la résolution a été conclue peu de temps après et le prix de vente a été versé en entier. Environ un mois plus tard, Sir Leonard a fait don à sa fille, madame Winter, des 254 actions de Harvey qui lui appartenaient à titre personnel. Dans sa déclaration de revenus pour 1979, il a déclaré ce don comme une disposition de biens ayant donné lieu à un produit réputé de 100 $ l'action.
Le 21 octobre 1985, par avis de nouvelle cotisa- tion, Sir Leonard a été informé que le ministre du Revenu national avait ajouté les sommes suivantes à son revenu pour son année d'imposition 1979: a) la somme de 648 368 $, conformément au paragra- phe 56(2) de la Loi, à titre d'avantage qui lui aurait été accordé du fait que Littlefield avait vendu 661 actions de Harvey à Dick Winter, et b) la somme de 54 673 $, conformément à l'article 69 [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 37; 1977-78, chap. 32, art. 13; 1979, chap. 5, art. 22j de la Loi, à titre de gain en capital imposable qu'il aurait réalisé sur le don des 254 actions de Harvey qu'il avait fait à sa fille. Pour calculer l'avantage et le gain en capital, le ministre a imputé la valeur de 1 089 $ à chacune des actions de Harvey au moment de leur disposition en 1979, un chiffre obtenu suite à une évaluation qui avait été effec- tuée l'année précédente, en 1984. Sir Leonard s'est dûment opposé à cette cotisation. Le 3 juillet 1986, le ministre a émis un second avis de cotisation dans lequel le montant qui avait été ajouté conformé- ment au paragraphe 56(2) était réduit de quelque 150 $, au motif que Sir Leonard, en 1979, détenait seulement 99,16 p. 100 des actions de Littlefield, et non pas 99,18 p. 100, comme on l'avait calculé précédemment, mais qui, pour le reste, confirmait le premier avis. Évidemment, Sir Leonard réitéra son opposition.
Le 7 septembre 1986, Sir Leonard est décédé. Par son dernier testament le défunt avait constitué Nancy et Dick Winter ses seuls exécuteurs testa- mentaires, mais Nancy Winter est décédée elle- même le 25 décembre 1986 et elle a été remplacée par David Herbert Outerbridge Winter. Le 16 juin 1987, après que le ministre eut rejeté l'opposition produite par Sir Leonard avant son décès, les exécuteurs testamentaires, exerçant les droits et les recours du défunt, intentaient une action devant la Section de première instance dans laquelle ils allé- guaient que la nouvelle cotisation du 3 juillet 1986 était mal fondée en fait et en droit. Dans leur action, les demandeurs contestaient les deux chefs de la cotisation, mais avant l'instruction, ils ont. retiré leur opposition quant au second chef relatif au gain en capital réalisé par le contribuable sur le don qu'il avait fait à sa fille des actions détenues par lui à titre personnel. Le 29 mai 1989, jugement intervenait rejetant l'action. Le présent appel est formé contre ce jugement.
Voici en substance, si je l'ai bien comprise, l'argumentation que l'avocat des demandeurs fit valoir devant le juge de première instance. La valeur de 1 089 $ l'action que le ministre a attribué aux actions de Harvey fut établie à la suite d'une évaluation complexe, fondée sur une «sagesse ex post facto», pour reprendre la formule employée par le juge de première instance. Cette évaluation ne respectait pas la perception qu'avaient les par ties au moment de l'opération. Considérant le prix qui avait été attribué aux actions pour certaines opérations effectuées à la même époque, les res trictions auxquelles le transfert des actions était assujetti par les statuts constitutifs de la société et l'avis du comptable qui avait assisté à la réunion des administrateurs au cours de laquelle la vente avait été autorisée, il était raisonnable pour Sir Leonard, soutint l'avocat des demandeurs, de croire que la juste valeur marchande d'une action de Harvey s'établissait à 100 $ le 19 septembre 1979. Rien ne laissait entendre que Sir Leonard souhaitait ou désirait accorder un avantage à Dick Winter. D'ailleurs, Sir Leonard n'avait lui- même aucun droit à ces actions; il ne tentait certainement pas de détourner une partie de son revenu au profit d'un tiers pour éviter l'impôt. Par conséquent, les conditions d'application du para- graphe 56(2), qui contient une disposition visant l'évitement fiscal, n'existent pas.
Le juge de première instance ne fut pas d'ac- cord. Satisfait par la preuve que le ministre avait correctement évalué les actions, il affirma la page 62] qu'«[en se] fondant sur les relations existant entre le contribuable et son gendre, de même que sur les circonstances objectives entou- rant l'opération spécifique en cause et les autres opérations accessoires, [il devait] en venir à la conclusion qu'en faisant procéder au transfert des actions de Littlefield, le contribuable désirait avan- tager son gendre». Puis rejetant l'interprétation du paragraphe 56(2), suggérée par les demandeurs comme [TRADUCTION] «attribuant aux termes uti- lisés une extension qu'ils ne pouvaient raisonnable- ment contenir», il décida que les conditions d'appli- cation de la disposition étaient remplies.
Devant cette Cour, l'avocat des demandeurs dut restreindre davantage son argumentation après avoir reconnu, à l'ouverture de l'audience, que les conclusions de fait du juge de première instance
étaient difficilement attaquables. Sa prétention était maintenant simplement que même si les par ties à l'opération intervenue en 1979 savaient que la juste valeur marchande des actions de Harvey était de 1 089 $ l'action, les conditions d'applica- tion du paragraphe 56(2), correctement interprété selon son objet et son but, faisaient défaut. Il soumit deux arguments au soutien de cette thèse.
1. Il ne fallait pas oublier, fit remarquer l'avo- cat, que les actions appartenaient à Littlefield et non pas à Sir Leonard, qui agissait simplement en sa qualité d'administrateur de la société. Dire que Sir Leonard avait accordé un avantage à Dick Winter, c'était ne pas tenir compte de la distinction entre Sir Leonard et la société, ce qui revenait à faire abstraction de la personnalité morale de celle-ci, et ce sans justification. Par ailleurs, dit l'avocat, le libellé de la disposition ne justifiait pas la notion qu'un administrateur agis- sant en cette qualité pût être considéré comme ordonnant à la société de détourner un paiement ou un transfert de biens à son profit ou au profit d'une autre personne, en l'absence de mauvaise foi ou d'un abus de confiance, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, ni l'un, ni l'autre n'ayant même été allégué. Et l'avocat se référa à l'arrêt McClurg, précité, qui a effectivement jugé que le libellé du paragraphe 56(2) n'atteignait pas les actes d'un administrateur qui participe à une déclaration de dividende.
Je ne souscris pas à ce premier argument. Il n'est pas question de faire abstraction de la person- nalité morale en l'espèce. La distinction entre Litt- lefield et Sir Leonard est entièrement respectée. Il s'agit de décider si Sir Leonard pouvait faire en sorte que la société vende ses actions à un prix inférieur à leur valeur marchande, dans le but d'avantager l'acheteur. Or, c'était incontestable- ment le cas. Le fait que Sir Leonard n'avait aucun droit direct aux actions aurait été pertinent si la disposition en cause devait être interprétée de manière à viser uniquement les cas les revenus détournés étaient ceux auxquels le contribuable avait droit. Or, absolument rien ne laisse entendre que cette disposition ait une portée aussi limitée. Enfin, l'arrêt McClurg portait sur la déclaration d'un dividende conformément (de l'avis de la majorité) aux pouvoirs accordés par l'organisation
du capital social de la société, et j'estime qu'il fait autorité uniquement à l'égard des circonstances particulières qui y étaient traitées.
2. D'autre part, poursuivit l'avocat des appe- lants, Dick Winter, en sa qualité d'actionnaire, était assujetti à l'impôt à l'égard de l'avantage qu'il avait tiré de l'opération, conformément au paragraphe 15(1). Même en admettant que les conditions d'application de la disposition, interpré- tée largement, étaient présentes, une cotisation établie sous son régime, dans ces conditions, ne saurait être valide. Voici comment la partie demanderesse a, exposé cet argument dans son mémoire:
[TRADUCTION] 8. À titre subsidiaire, les appelants plaident qu'en vertu du régime de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'actionnaire A ne devrait pas être imposé conformément au paragraphe 56(2), l'égard d'un avantage accordé à l'action- naire B, lorsque celui-ci peut être imposé conformément au paragraphe 15(1) l'égard du même avantage. Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu suivent un ordre naturel selon lequel les règles techniques, comme celles prévues au paragra- phe 15(1), se situeraient à la base, les règles particulières anti -évitement, comme celles du paragraphe 56(2) se situe- raient à un niveau supérieur et la règle générale anti -évitement prévue à l'article 245 se situerait au sommet. Lorsqu'il s'agit d'établir une cotisation en pratique, il faut recourir à une règle particulière anti -évitement seulement lorsqu'une opération donnée n'est pas visée par une règle technique. Pareillement, la règle générale anti -évitement ne devrait être invoquée qu'en l'absence d'une règle particulière anti -évitement.
9. Dans le contexte particulier des avantages accordés à un actionnaire, le paragraphe 52(1) nous éclaire encore davantage sur le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette disposi tion prévoit qu'un contribuable dont le revenu est majoré relativement à la valeur du bien qu'il acquiert doit ajouter le montant de la majoration au prix de base du bien. Lorsqu'un contribuable est imposé en vertu du paragraphe 15(1) sur des biens acquis d'une société dont il est actionnaire, le paragraphe 52(1) entre en jeu automatiquement pour modifier en consé- quence le prix de base rajusté aux fins de calculer le gain en capital, ou la perte de capital, éventuel. Lorsque le paragraphe 56(2) est invoqué, au contraire, le paragraphe 52(1) est sans effet puisque le contribuable assujetti à l'impôt n'a acquis aucun bien lui-même. Si une partie à l'opération en cause devait être assujettie à l'impôt, il aurait s'agir de M. Winter, conformément au paragraphe 15(1), et non pas du défunt, en vertu du paragraphe 56(2).
Je serais disposé à souscrire à ce raisonnement. Comme il a été si souvent signalé, notamment par le juge de première instance et la Cour d'appel dans l'arrêt McClurg, le libellé du paragraphe 56(2) ne peut être interprété dans son sens le plus large sans aboutir à des résultats évidemment inte- nables, particulièrement dans le contexte de la
gestion des sociétés. Il faut donc en nuancer le sens à la lumière de l'objet de la règle et du but dans lequel elle a été adoptée pour éviter ces résultats déraisonnables.
Il est couramment admis que la disposition prévue au paragraphe 56(2) est fondée sur la doctrine de la «recette présumée» et qu'elle vise principalement les cas le contribuable cherche à éviter de recevoir ce qui serait, entre ses mains, un revenu en s'arrangeant pour que le montant soit versé à quelqu'un d'autre, et ce pour son propre bénéfice (par exemple, pour éteindre une dette) ou pour le bénéfice de cette autre personne (voir les motifs du juge Thurlow dans l'arrêt Miller, pré- cité, et ceux du juge Cattanach dans l'arrêt Murphy, précité). Il ne fait aucun doute cependant que le libellé de la disposition ne permet pas d'en limiter l'application à de tels cas patents d'évite- ment fiscal. L'arrêt Bronfman, qui a confirmé la cotisation, établie en vertu de la disposition de l'ancienne loi qu'a reprise le paragraphe 56(2), d'un actionnaire d'une société privée, à l'égard de dons que la société avait faits régulièrement pen dant plusieurs années à des membres de sa famille, est généralement cité comme autorité pour dire que la disposition s'applique, que la personne imposée ait un droit ou non sur le versement effectué ou sur le bien transféré. Cette jurispru dence ne me semble pas tellement convaincante dans la mesure les dons faits par une société proviennent des bénéfices sur lesquels les action- naires ont un droit éventuel. Le fait néanmoins demeure que le libellé même de la disposition n'exige pas, comme condition d'application, que le contribuable ait initialement eu droit au montant versé ou au bien transféré au tiers; mais unique- ment que le contribuable ait été lui-même imposa- ble à cet égard si le versement ou le transfert avait été fait à lui. Il me semble cependant que, lorsque la doctrine de la «recette présumée» n'est pas clai- rement en cause, parce que le contribuable n'avait aucun droit au versement effectué ou au bien transféré, il n'est que juste d'inférer que le para- graphe 56(2) ne peut recevoir application que si l'avantage accordé n'est pas directement imposable entre les mains du cessionnaire. En effet, selon moi, une disposition en matière d'évitement fiscal
revêt un caractère essentiellement subsidiaire; sa raison d'être est d'empêcher l'évitement de l'impôt payable sur une opération donnée, et non de dou- bler l'impôt normalement payable 2 ni d'accorder aux autorités fiscales une discrétion administrative qui leur permettrait de choisir entre deux contri- buables possibles 3 .
Ainsi, je reconnais que la validité d'une cotisa- tion établie en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi, dans le cas le contribuable n'avait lui- même aucun droit au versement effectué ou au bien transféré, est assujettie à une condition impli- cite, soit celle que le bénéficiaire ou le cessionnaire n'ait pas été assujetti à l'impôt sur l'avantage qu'il a reçu. Le problème pour l'appelant cependant est qu'à mon avis, cette réserve n'entre pas en jeu en l'espèce. Il me semble évident que Dick Winter, quoique détenteur d'une action de Littlefield, a conclu l'opération avec la société et s'est vu accor- der un avantage non pas en sa qualité d'action- naire, mais en sa qualité de gendre de l'actionnaire majoritaire de la société, de sorte qu'il ne pouvait être imposé relativement à cette opération en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi (voir l'arrêt Minis ter of National Revenue v. Pillsbury Holdings Ltd., [1965] 1 R.C.É 676). II s'ensuit que l'argu- ment subsidiaire des appelants est, à mon avis, également mal fondé.
L'appel devrait, je crois, être rejeté.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
2 Qui en plus viendrait s'ajouter à l'impôt sur le gain en capital déjà imposé au payeur ou à l'auteur du transfert pour le produit présumé de la disposition, conformément à l'art. 69 de la Loi.
3 Non seulement une telle discrétion administrative violerait des principes établis en matière d'imposition (voir les arrêts Herbert v. Inland Revenue Comrs., [1943] 1 All E.R. 336 (K.B.D.), à la p. 338; Vestey y Inland Revenue Comrs. (Nos l and 2), [1979] 3 All ER 976 (H.L.), aux p. 984 et 985), elle entraînerait, dans le cas du transfert d'un bien, encore une fois une sorte de doublement gratuit de la taxe, puisque le cession- naire, non imposé, n'aurait pas le droit de se prévaloir du paragraphe 52(1) de la Loi pour obtenir une majoration corres- pondante de son prix de base aux fins du calcul de son gain en capital éventuel.
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