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T-577-87
The Lubrizol Corporation et Lubrizol of Canada, Limited (demanderesses)
c.
Imperial Oil Limited et sa subdivision Paramins (défenderesse)
RÉPERTORIE: LUBRIZOL CORP. c. IMPERIAL OIL LTD. (l' a INST.)
Section de première instance, protonotaire-chef adjoint Giles—Toronto, 22 août et 13 septembre 1990.
Pratique Ordonnance désignant comme confidentiels cer- tains documents à produire à des fins d'examen (I) De- mande visant à augmenter le nombre de personnes autorisées à avoir accès aux documents afin d'inclure les avocats qui agissent dans des procès intentés à l'étranger et portant sur le même sujet L'ordre public exige la protection du droit à la confidentialité, sauf si l'on a besoin des documents pour rendre justice au procès Il existe un engagement tacite que les documents confidentiels ne seront utilisés qu'aux fins de l'ac- tion malgré l'existence d'une ordonnance de confidentialité La partie n'est pas libérée de l'engagement tacite (2) De- mande visant à assujettir des parties de la transcription du procès à l'ordonnance de confidentialité Il y a conflit entre le principe de la protection de la vie privée et celui de la publicité des procès La transcription est préparée à l'inten- tion du juge et des parties L'ordonnance de confidentialité ne vient pas restreindre des utilisations de ce genre Il convient de limiter l'atteinte qui doit être portée à la vie privée pour s'assurer que le procès soit équitable et qu'il donne l'impression de l'être La preuve documentaire ou verbale produite aux termes d'une ordonnance de confidentialité se trouve dans une situation semblable à la preuve produite dans le cadre d'une communication préalable sous réserve de l'en- gagement relatif à la confidentialité La production volon- taire d'éléments de preuve constitue une renonciation possible à leur caractère confidentiel lorsqu'il y a seulement engage ment tacite La confidentialité s'applique aux éléments de preuve produits volontairement en l'espèce en raison, à la fois, de l'engagement tacite et de l'ordonnance de confidentialité L'ordonnance autorise toute partie à désigner des éléments de preuve comme confidentiels.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663. JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Home Office v. Harman, [ 1983] 1 A.C. 280 (H.L.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Scott v. Scott, [1913] A.C. 417 (H.L.).
AVOCATS:
Peter E. J. Wells et Brad Hint pour les demanderesses.
Douglas Deeth et Anthony Prenol pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Ridout & Maybee, Toronto, pour les deman- deresses.
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE PROTONOTAIRE-CHEF ADJOINT GILES: La requête dont j'ai été saisi après l'instruction de la présente action visait:
1) à assujettir certaines parties de la transcription du procès à l'ordonnance de confidentialité qui a été rendue avant le procès;
2) à augmenter le nombre de personnes autorisées à consulter les documents assujettis à l'ordonnance de confidentialité en y ajoutant certains avocats étrangers qui agissaient comme conseils pour les parties ou pour les parents de celles-ci et qui participaient à des procès intentés à l'étranger et portant sur le même sujet.
J'ai précisé aux avocats qu'à mon avis, on pou- vait résoudre le litige en examinant les principes fondamentaux en cause et en concevant des ordon- nances qui porteraient le moins possible atteinte à ces principes. En ce qui concerne chacun des volets de la requête, il semble que les principes fonda- mentaux s'opposaient.
J'examine d'abord le second volet de la requête. Les documents assujettis à l'ordonnance de confi- dentialité étaient les documents confidentiels des parties que l'ordre public exige que les parties aient le droit de garder confidentiels. Cependant, les Règles [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] obligent la partie à permettre aux autres parties d'examiner tout document qui peut avoir trait à tout point litigieux de l'affaire, que le document soit ou non un document privé et confi- dentiel de la partie en cause. La raison d'être de la règle exigeant la communication des documents confidentiels est que la justice exige que tous les
éléments de preuve pertinents soient portés à la connaissance de la Cour, et que la partie adverse ne soit pas prise au dépourvu au procès. Les documents produits conformément aux Règles bénéficient de l'engagement tacite de l'avocat, dont il est question dans l'arrêt Home Office v. Harman, [1983] 1 A.C. 280 (H.L.), par lequel l'avocat s'engage à n'utiliser les documents ainsi produits que pour les besoins de l'action. Cela tient au fait que la seule raison qui justifie d'exiger la production de documents confidentiels est leur uti lisation éventuelle au cours de l'action. L'engage- ment tacite existe malgré l'existence d'une ordon- nance de confidentialité qui peut compléter ou modifier l'engagement tacite. L'ordre public exige que le droit d'une personne de garder ses docu ments confidentiels soit constamment protégé, et dans la mesure le tribunal n'a pas besoin de ces documents pour rendre justice au procès, ce droit à la confidentialité ne devrait pas subir d'autres atteintes. En l'espèce, les avocats n'ont pas essayé d'obscurcir le fait qu'ils désiraient que l'ordon- nance de confidentialité soit modifiée pour permet- tre l'utilisation des renseignements confidentiels pour les besoins d'une autre action réelle ou éven- tuelle. À mon avis, il n'existe aucune raison de libérer la partie ou ses procureurs de l'engagement tacite ou de l'ordonnance de confidentialité dans la présente action en raison de l'existence réelle ou éventuelle d'une action introduite à l'étranger. Le refus de modifier l'ordonnance de confidentialité prononcée dans la présente action ne rend pas irrecevable la demande qui pourrait être présentée et dans laquelle on mentionnerait expressément une action intentée à l'étranger.
En ce qui concerne la requête visant à assujettir à l'ordonnance de confidentialité certaines parties de la transcription du procès qui s'est déroulé dans la présente action, il nous faut tenir compte d'un principe différent. Il s'agit du principe de la publi- cité des débats. Ainsi qu'on l'a souligné dans la jurisprudence (par ex., Scott v. Scott, [1913] A.C. 417 (H.L.)), l'intérêt qu'a le public à ce que les procès soient publics n'a pas pour objet d'exciter ou de satisfaire la curiosité, mais de permettre aux citoyens de s'assurer que la justice a été rendue de façon régulière. À cette fin, un citoyen intéressé aurait pu assister au procès et aurait eu connais- sance de tout ce qui se trouve dans la transcription. Lors de l'instruction de la présente cause, des
renseignements confidentiels ont été déposés en preuve au cours d'un procès public et, par consé- quent, il se pourrait bien qu'ils aient été portés à l'attention du public. Dans la mesure ils ont été portés à l'attention du public, les renseignements en question ont perdu leur caractère confidentiel, mais, comme on l'a souligné dans l'arrêt Home Office v. Harman, cela ne décharge pas les parties de leurs engagements tacites. À mon avis, cela ne libère pas non plus les parties des obligations que l'ordonnance de confidentialité leur impose. La transcription est préparée à l'intention du juge et des parties pour les besoins du procès et des appels et, sauf ordonnance contraire, elle ne fait pas partie du dossier. Elle n'est pas destinée au public. Il est fort possible que pour lui permettre de vérifier si le procès est équitable, on autorise un citoyen à consulter la transcription. Il n'existe cependant pas de principe qui exige de rendre publics dans un autre but des renseignements con- fidentiels. Dans l'arrêt Home Office v. Harman, on avait fait la lecture au procès d'une grande partie d'un document confidentiel. L'avocat n'a cepen- dant pas été autorisé à communiquer le document au public ou plus particulièrement aux personnes qui cherchaient à se servir des renseignements pour mettre dans l'embarras la partie de qui prove- naient les renseignements. Dans l'arrêt Home Office v. Harman, le tribunal fait allusion à la possible anomalie résultant du fait qu'un journa- liste pouvait obtenir du sténographe judiciaire une transcription du document précis que, à cause de l'engagement, l'avocat ne pouvait fournir au jour- naliste. Je constate qu'à la page 304 du recueil, lord Diplock déclare notamment:
[TRADUCTION] L'enregistrement mécanique des interventions des avocats ne fait pas partie des notes sténographiques officiel- les que l'article 68 des R.S.C. oblige à prendre, mais on peut obtenir du sténographe officiel une transcription des interven tions qui ont été mécaniquement enregistrées, non pas de plein droit ou en contrepartie de frais officiellement autorisés, mais en s'entendant de gré à gré avec le sténographe.
Il semblerait donc qu'un citoyen n'ait pas le droit d'obtenir une transcription qui serait supprimée aux termes d'une ordonnance assujettissant en tout ou en partie la transcription à l'ordonnance de confidentialité. Dans l'arrêt Harman, des déposi- tions ont été communiquées après avoir été préle- vées d'un document confidentiel et le document est demeuré assujetti à l'engagement. En l'espèce, des renseignements confidentiels ont été communiqués
dans le cadre des témoignages et un document contenant ces témoignages a été ou peut être pro- duit. Assujettir ce document à l'ordonnance de confidentialité ne limiterait d'aucune façon l'usage légitime que les avocats ou les parties feraient de ce document. Il convient, dans la mesure du possi ble, de limiter l'atteinte qui doit être portée à la vie privée pour s'assurer que le procès soit équitable et qu'il donne l'impression de l'être. Au sujet des conditions exigées pour la tenue des procès publics, lord Roskill déclare ce qui suit, à la page 326 de l'arrêt Harman:
[TRADUCTION] Le principe de la publicité des débats judiciai- res a pour objet d'éviter les abus de toutes sortes qu'entraîne trop souvent une justice secrète. Cet objet était amplement protégé par la tenue d'audiences publiques, sans qu'il soit par la suite possible d'obtenir les documents dont on avait fait la lecture en séance publique dans un but qui n'avait pas directe- ment trait au procès en question.
Vos Seigneuries, il n'y a aucun doute que les intérêts de la justice doivent toujours commander la communication la plus complète des documents, indépendamment des réticences qu'a un plaideur donné à divulguer à son adversaire ses propres documents privés. Actuellement, lorsqu'il communique des documents confidentiels, il peut compter sur l'engagement et être assuré qu'il est protégé contre toute publicité plus étendue qu'il n'est nécessaire pour la bonne conduite du procès en séance publique. Mais si, comme l'appelant le prétend, l'enga- gement s'éteint dès qu'un document est lu en séance publique, cette protection est par le fait même de la lecture à jamais perdue. Cela milite contre la communication franche et com- plète des documents.
Vos Seigneuries, pour des raisons d'ordre pratique aussi, si la survie ou l'extinction de l'engagement devait dépendre du fait qu'il y a eu ou non une lecture en séance publique, ce qui, comme je l'ai déjà signalé, est dans une certaine mesure une question de hasard, il pourrait se présenter une situation mal- heureuse dans laquelle des manœuvres seraient faites pour s'assurer que des documents donnés sont ou non lus à haute voix, indépendamment de leur importance réelle pour le procès, et il pourrait s'ensuivre ce qu'on pourrait justement appeler une partie de poker entre avocats. [C'est moi qui souligne.]
À mon avis, la preuve, qu'elle soit documentaire ou verbale, qui est produite aux termes d'une ordon- nance de confidentialité se trouve dans une situa tion semblable à la preuve produite dans le cadre d'une communication préalable sous réserve de l'engagement. En conséquence, si une partie réus- sit à faire lire un document en séance publique et à faire enregistrer et transcrire les renseignements qui sont ainsi lus, j'estime que la partie ne devrait pas pouvoir se libérer de l'ordonnance de confiden- tialité ou de l'engagement tacite. Le présent procès a duré plusieurs semaines et la transcription doit être volumineuse. Au lieu de la parcourir page par
page, j'aurais été disposé à considérer une demande d'ordonnance aux termes de laquelle la transcription aurait été scellée pour n'être utilisée que dans le cadre d'un appel, mais sous réserve du droit de toute personne de demander la communi cation de la transcription dans le but de faire un commentaire critique au sujet du déroulement de l'affaire ou dans tout autre but régulier.
Si la seule chose à examiner était l'engagement tacite mentionné dans l'arrêt Harman, il serait nécessaire d'examiner attentivement la transcrip tion pour déterminer quels éléments de preuve ont été produits de plein gré et, partant, si on pourrait considérer qu'on a renoncé à leur caractère confi- dentiel. En l'espèce toutefois, il y a eu, outre l'engagement tacite, une ordonnance de confiden- tialité qui, de par son libellé, autorise à mon avis une partie à revendiquer le caractère confidentiel des documents et des éléments de preuve qui ont été volontairement produits. L'ordonnance autorise toute partie à désigner des éléments de preuve comme confidentiels et la revendication formulée par la requérante dans la présente requête doit être considérée comme une telle désignation. Parce que seulement certaines pages de la transcription ont fait l'objet de la requête dont je suis saisi, j'ai ordonné que seules ces pages soient assujetties à l'ordonnance de confidentialité. En pratique, si aucun appel n'est interjeté du jugement de pre- mière instance, l'application de l'ordonnance de confidentialité à seulement certaines parties de la transcription ne saurait causer des complications inutiles. Cependant, si un appel est interjeté et qu'il existe une possibilité que certaines parties de la transcription soient versées au dossier public et qu'on doive, en raison de l'ordonnance de confiden- tialité, en retrancher des extraits et les déposer dans des enveloppes cachetées, je suggérerais aux avocats de s'entendre pour présenter une demande en vue de faire modifier mon ordonnance pour exiger que toute la transcription soit scellée lors- qu'elle sera déposée pour les besoins de l'appel.
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