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A-17-90
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appe- lant)
c.
David Ross Burgon (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IM- MIGRATION) C. BURGON (CA.)
Cour d'appel, juges Mahoney, MacGuigan et Linden, J.C.A.—Toronto, 30 janvier; Ottawa, 22 février 1991.
Immigration Catégories de personnes non admissibles L'art. 19(1)a)(ii) de la Loi refuse l'admission aux personnes qui, pour des raisons d'ordre médical, risqueraient d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé Ancienne héroïnomane sollicitant le droit d'établissement Le médecin qui l'a examinée l'a déclarée en bonne santé Le médecin agréé a rejeté sa demande pour des raisons d'ordre médical en raison de son ancienne toxicomanie Il n'a pas été démontré que la toxicomanie était une maladie permanente Un refus reposant sur des raisons d'ordre médical doit être fondé sur des preuves médicales L'art. 19(1)c) de la Loi refuse l'admission à certaines personnes qui ont été déclarées coupables La requérante s'est reconnue coupable, en Angle- terre, de complot visant à fournir des drogues contrôlées Elle a fait l'objet d'une ordonnance de probation La loi britannique présume que l'accusé n'a pas été déclaré coupable lorsqu'une ordonnance de probation est prononcée Il s'agit de savoir si l'expression «déclarées coupables» dans la Loi sur l'immigration exclut les déclarations de culpabilité qui ont été effacées Il n'existe aucune raison pour que le droit canadien de l'immigration contrecarre l'objectif du texte de loi britannique.
Interprétation des lois Immigration Catégories de personnes non admissibles L'art. 19(1)c) de la Loi sur l'immigration refuse l'admission aux personnes qui ont été déclarées coupables d'une infraction punissable au Canada d'un emprisonnement de dix ans La requérante s'est recon- nue coupable en Grande-Bretagne de complot visant à fournir une substance contrôlée (de l'héroïne) Elle a par la suite obtenu un pardon en vertu d'une loi britannique prévoyant qu'un accusé est réputé ne pas avoir été déclaré coupable lorsqu'une ordonnance de probation est prononcée Le sens des mots «déclarées coupables» dans la Loi est compatible avec le sens qu'ils ont dans la législation criminelle La loi canadienne prévoit la clémence La loi britannique a le même objectif Il y a lieu de respecter les lois des pays étrangers dont le système juridique repose sur des fondements analogues à ceux du Canada et qui partagent des valeurs similaires à celles du Canada, à moins qu'il existe une raison solide de s'en écarter.
L'intimé, qui est citoyen canadien, a épousé sa femme, Susan Mary Pearn Burgon, en Angleterre. Mn" Burgon est une citoyenne britannique. Ils se sont mariés le 26 juin 1986, une semaine après que Mn" Burgon eut été condamnée à deux ans de probation après avoir reconnu sa culpabilité à une accusa-
tion de complot en vue de fournir des drogues contrôlées. Aux termes du paragraphe 13(1) de la Powers of Criminal Courts Act, 1973 (R.-U.), une personne qui fait l'objet d'une ordon- nance de probation est réputée ne pas avoir été déclarée coupable.
Durant la plus grande partie de l'enfance de Mme Burgon, son père, qui dévalisait les banques, avait été en prison. Elle a abandonné ses études de nursing lorsqu'elle est devenue enceinte à l'âge de 20 ans. Elle a divorcé de son premier mari en 1983. Sous l'influence de son ex-mari, elle est devenue héroïnomane. A la suite de l'incarcération de ce dernier, elle a fait le commerce de la drogue, en échange de son propre approvisionnement, pour le compte d'un criminel nommé Szuluk. Les membres de la bande de Szuluk ont été arrêtés, y compris Mme Burgon. Malgré le fait que Szuluk l'avait préve- nue de garder le silence, elle a volontairement donné un témoi- gnage à la suite duquel Szuluk et d'autres personnes, dont le fils de Mme Burgon et son père, ont été condamnés à des peines d'emprisonnement. Les Burgon ont vécu en Angleterre de juin 1986 janvier 1987, alors qu'ils se sont rendus au Canada. En mars 1987, parrainée par l'intimé, Mme Burgon a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Le 7 décembre 1987, elle a obtenu en Angleterre une absolution qui a effacé sa déclaration de culpabilité.
Le ministre a rejeté la demande de résidence permanente. Cette décision a été communiquée à Mme Burgon en février 1988 alors qu'elle se trouvait en Angleterre pour assister aux funérailles de son fils, mort à la suite de l'absorption d'une dose massive d'héroïne. La demande de la requérante a été refusée au motif qu'elle appartenait à deux catégories de personnes non admissibles: celle des personnes déclarées coupables d'une infraction grave au sens de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration, et celle des personnes qui, pour des raisons d'ordre médical, risqueraient d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au sens du sous-alinéa 19(1)a)(ii). La section d'appel de la Commission de l'immigra- tion et du statut de réfugié a infirmé la décision initiale sur les deux motifs. Le ministre a interjeté appel de cette décision.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Linden, J.C.A.: Le sens des termes «déclarées coupa- bles» que l'on trouve à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigra- tion est compatible avec le sens qu'ils ont dans la législation criminelle canadienne. La loi britannique poursuit les mêmes objectifs que le droit criminel canadien en ce qui concerne l'effet d'une ordonnance de probation à la suite d'une «déclara- tion de culpabilité».
La Loi prévoit, à son alinéa 18(1)c), que les personnes déclarées coupables qui se sont réadaptées peuvent être admi- ses. De même, la Loi sur le casier judiciaire et le Code criminel permettent d'effacer la déclaration de culpabilité dont une personne a fait l'objet. Il faut supposer que lorsqu'il a adopté de nouveau la Loi sur l'immigration, le législateur fédéral connais- sait l'état du droit criminel; les mots «déclarées coupables» que l'on trouve dans la Loi devraient être interprétés en harmonie avec la législation criminelle existante, qui prévoit qu'une per- sonne qui a obtenu un pardon est réputée ne pas avoir été déclarée coupable.
Les dispositions législatives britanniques qui prévoient la clémence sont compatibles avec le droit canadien. Bien que le droit d'un autre pays ne soit pas déterminant en ce qui concerne
la question de savoir si l'admission devrait être accordée, il y a lieu de respecter les lois des pays dont les systèmes juridiques reposent sur les mêmes fondements et les mêmes valeurs que les nôtres, surtout lorsque leurs objets sont identiques. En l'espèce, comme il n'y a pas eu de «déclaration de culpabilité» selon la loi britannique, il n'y a pas eu de déclaration de culpabilité selon la loi canadienne.
La Section d'appel a eu raison de statuer que l'on n'avait pas réussi à démontrer que la toxicomanie signalée par ie médecin agréé est une maladie permanente et que son avis que la requérante risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé pour des raisons d'ordre médical n'était pas fondé sur un diagnostic médical. Le fait qu'une personne a été toxicomane ne signifie pas qu'elle tombe auto- matiquement sous le coup du sous-alinéa 19(l)a)(ii).
Le juge Mahoney, J.C.A. (motifs concordants quant au dispositif): L'avis que prévoit l'alinéa 19(1)a) est l'avis d'un médecin, qui doit nécessairement être fondé sur une preuve médicale. L'aveu d'un profane qu'il a déjà souffert d'une affection ne constitue pas une preuve médicale et ne peut servir à frapper la requérante d'exclusion après que le médecin qui l'a examinée l'a déclarée «en bonne santé» et que le pronostic prévoit une vie et une santé normales.
La Loi sur l'immigration ne devrait pas être interprétée de manière à accorder un traitement préférentiel aux personnes qui ont été déclarées coupables et qui viennent de pays qui partagent la politique de clémence du Canada par rapport à ceux qui viennent de pays qui ne la partagent pas. La gravité de l'infraction se mesure en fonction de la norme du droit cana- dien, et non de celle du droit étranger. Aux termes de la Loi sur l'immigration, le mot anglais «convicted» (déclarées coupables) signifie (found guilty» (reconnues coupables) ou ayant plaidé coupable. En matière d'immigration, la personne qui a obtenu un pardon à l'étranger à l'égard d'une infraction commise à l'étranger continue d'avoir été déclarée coupable, alors que la personne qui a obtenu un pardon au Canada à l'égard d'une infraction commise au Canada est réputée ne pas avoir été déclarée coupable.
La Section d'appel a commis une erreur en statuant que parce que l'intimé pouvait vivre avec sa femme en Angleterre, comme il l'avait déjà fait, il n'existait pas de circonstances extraordinaires justifiant d'accorder pour des raisons d'ordre humanitaire la mesure sollicitée. L'alinéa 3c) prévoit que la réunion au Canada des citoyens canadiens avec leurs proches parents de l'étranger est un des objectifs explicites de la Loi. Il n'est pas nécessaire que les raisons d'ordre humanitaires soient extraordinaires. Ces raisons peuvent être aussi ordinaires que l'amour d'un mari et de sa femme et leur désir naturel de vivre ensemble.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 736(3)
(mod. par L.R.C. (1985) (let suppl.), chap. 27, art.
162; (4» suppl.), chap. 1, art. 18 (annexe I, item 24)). Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
Loi de 1972 modifiant le Code criminel, S.C. 1972, chap. 13.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 52c).
Loi sur le casier judiciaire, S.C. 1969-70, chap. 40, art. 5.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 3c), 19(1)a)(ii),c), 77(3)b) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap. 10, art. 6; (4' suppl.), chap. 28, art. 33); 84(1) (mod., idem, (4e suppl.), chap. 28, art. 19).
Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-2, art. 5d). Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 19(1)c).
Powers of Criminal Courts Act, 1973 (R.-U.), 1973, chap. 62, art. 13(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Seyoum c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration), A-419-90, juge Mahoney, J.C.A., jugement en date du 15-11-90, C.A.F., encore inédit.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.); Ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850; (1973), 36 D.L.R. (3d) 522.
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. McInnis (1973), 1 O.R. (2d) 1; 13 C.C.C. (2d) 471; 23 C.R.N.S. 152 (C.A.); Rex v. Vanek, [1944] O.R. 428; [1944] 4 D.L.R. 59; (1944), 82 C.C.C. 53 (C.A.); Reg. v. Blaby, [1894] 2 Q.B. 170; The King v. Sheridan (Frank), [1937] I K.B. 223 (C.A.); R. v. Grant (1936), 26 Cr App Rep 8; Ex parte Johnston, [1953] O.R. 207; (1953), 105 C.C.C. 161; 16 C.R. 93 (C.A.); États-Unis d'Amérique c. Cotroni; États-Unis d'Amérique c. El Zein, [1989] I R.C.S. 1469; (1989), Q.A.C. 182; 96 N.R. 321; 48 C.C.C. (3d) 193.
DOCTRINE
Canada. Rapport du Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle (Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1969) (président: Roger Guimet).
Salhany, Roger E. Canadian Criminal Procedure, 5e éd., Aurora (Ontario), Canada Law Book, 1989.
Wydrzynski, Christopher J. Canadian Immigration Law and Procedure, Aurora (Ontario): Canada Law Book, 1983.
AVOCATS:
Donald A. Macintosh pour l'appelant. Kenneth P. Swan pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Kenneth P. Swan, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: J'ai eu l'avantage de lire le projet de motifs de jugement proposé par mon collègue le juge Linden. Bien que je sois d'accord avec lui quant au dispositif et que je partage, en substance, son opinion sur l'une des questions en litige, celle de l'exclusion fondée sur des raisons d'ordre médical, je ne puis me rallier à son opinion sur l'autre point litigieux qu'il a exa- miné, en l'occurrence l'exclusion fondée sur la déclaration antérieure de culpabilité. En consé- quence, j'estime nécessaire d'aborder une troisième question: le refus de la Commission d'octroyer une mesure spéciale pour des raisons d'ordre humani- taire. Le juge Linden a traité à fond des faits à l'origine du litige et je ne les répéterai pas.
L'EXCLUSION FONDÉE SUR LES RAISONS D'ORDRE MEDICAL
La disposition applicable de la Loi sur l'immi- gration' est l'alinéa 19(1)a):
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégo- rie non admissible:
a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut:
(i) soit que ces personnes constituent ou constitueraient vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques,
(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'en- traîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé; [Les soulignements sont de moi.]
L'avis que prévoit cette disposition est l'avis d'un médecin. L'avis d'un médecin quant à la question de savoir si une personne souffre de l'une des maladies ou invalidités visées doit nécessairement être fondé sur une preuve médicale quelconque. Il ne s'agit pas de savoir si la personne a déjà pu souffrir d'une telle maladie ou d'une telle invali- dité. L'aveu d'un profane qu'il a déjà souffert d'une maladie ou d'une invalidité quelconque, qui n'a pas nécessairement un caractère permanent, ne constitue pas une preuve médicale sur laquelle l'avis médical exigé peut être fondé. La maladie ou l'invalidité dont a déjà souffert une personne ne saurait non plus, en l'absence de preuve médicale, appuyer l'avis d'un médecin suivant lequel cette
1 L.R.C. (1985), chap. I-2, modifiée.
personne risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. On n'a pas présenté la moindre preuve médicale justifiant l'avis formulé en l'espèce. Je partage l'opinion du juge Linden suivant laquelle le raisonnement suivi par la Commission sur cette question était irréprochable.
LA «DÉCLARATION DE CULPABILITÉ» PRONONCEE AU R.-U.
La disposition pertinente de la Loi est l'alinéa 19(1)c):
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégo- rie non admissible:
c) celles qui ont été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle a été commise au Canada, peut être, ou, si elle a été commise à l'étranger, pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal de dix ans et plus et qui ne ...
L'exception prévue par le reste de cette disposition ne s'applique pas.
La seule question qui se pose est celle de savoir si, eu égard aux circonstances, l'épouse de l'intimé a été déclarée coupable; dans l'affirmative, toutes les autres conditions prévues par la disposition pour prononcer son exclusion sont réunies. La Commission a conclu qu'elle n'avait pas été décla- rée coupable au sens de l'alinéa 19(1)c). À mon avis, elle a eu tort.
La disposition de la loi britannique, qui est reproduite dans les motifs du juge Linden, ne prévoit pas que la personne qui fait l'objet d'une ordonnance de probation ou d'une absolution sous condition n'a pas été déclarée coupable; elle pré- voit plutôt qu'à certaines fins déterminées, le con- trevenant est réputé ne pas avoir été déclaré cou- pable. Il va sans dire qu'un tribunal canadien ne saurait considérer l'une ou l'autre de ces fins comme étant l'une des fins poursuivies par le droit canadien.
En toute déférence, je ne suis pas persuadé que le législateur fédéral avait l'intention d'intégrer dans notre droit de l'immigration les principes du droit criminel d'un pays étranger, si compatibles qu'ils soient avec les nôtres. Les étrangers ne peu- vent entrer ou demeurer au Canada que dans la mesure la loi canadienne applicable leur
accorde expressément ce droit. On ne m'a démon- tré aucune raison pour laquelle le Canada devrait accorder à un immigrant éventuel qui a commis une infraction les avantages d'un principe général qui reflète les attitudes actuelles de notre société pour l'unique raison que le pays dans lequel l'in- fraction a été commise partage nos vues éclairées. Si, au Canada, le fait d'être déclaré coupable de l'infraction reprochée donnerait vraisemblable- ment lieu à une absolution ou à une probation plutôt qu'à une amende ou à une incarcération, malgré le fait que le contrevenant encourt un emprisonnement de dix ans ou plus, pourquoi les immigrants éventuels ne devraient-ils pas bénéfi- cier des mêmes avantages, même si le pays dans lequel ils ont été déclarés coupables ne leur accorde pas des options analogues en matière de probation ou d'absolution sous condition? Je ne suis tout simplement pas convaincu que le législa- teur fédéral avait l'intention de traiter différem- ment les personnes qui sollicitent l'admission et qui se trouvent dans la même situation au simple motif que les principes généraux du droit criminel de leur pays d'origine respectif sont différents.
En revanche, comme nous le savons bien, cer- tains pays punissent sévèrement, voire même sau- vagement, des infractions que nous considérons relativement mineures. Pourtant, le législateur fédéral a bien précisé que c'est la norme cana- dienne, et non la norme étrangère, de la gravité des crimes, mesurée en fonction de la durée possible de la peine, qui régit l'admissibilité au Canada. Le fondement logique de l'exclusion prévue à l'alinéa 19(1)c) doit certainement être la gravité relative envisagée d'un point de vue canadien de l'infraction dont la personne en cause a été décla- rée coupable et non les conséquences réelles de cette conclusion en droit interne étranger. Si c'est le fondement logique, il me semble qu'il n'existe aucune raison de ne pas appliquer uniformément la norme canadienne à toutes les personnes qui solli- citent l'admission indépendamment de l'endroit l'infraction a été commise.
Je ne puis également partager l'opinion suivant laquelle la modification par laquelle on a remplacé en 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52, art. 19(1)c)] l'expression «les personnes qui ont été déclarées
coupables de quelque crime impliquant turpitude morale ou qui admettent avoir commis un tel crime» [Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-2, art. 5d)] par les mots de l'actuel alinéa 19(1)c) a pour conséquence de ne plus permettre d'invoquer un plaidoyer de culpabilité pour justi- fier une déclaration de culpabilité au sens de cet alinéa. J'estime qu'en apportant cette modifica tion, le législateur voulait corriger l'imprécision juridique de l'expression «turpitude morale» et exprimer son intention que la culpabilité soit éta- blie conformément à la loi et non par l'accusé lui-même.
En toute déférence, je ne considère pas non plus que l'exclusion du Canada d'une personne réputée aux termes d'une loi étrangère ne pas avoir été déclarée coupable d'une infraction contrecarre les objectifs de cette loi étrangère. Pour commencer, en l'absence de traité ou d'accord international, les législateurs étrangers n'ont tout simplement pas le droit de s'attendre à ce que nos lois s'ajustent aux objectifs visés par les leurs. De toute façon, bien qu'il ne fasse aucun doute qu'elle ait pour objectif de lever les incapacités civiles internes frappant les contrevenants, la loi britannique ne devrait pas si c'est effectivement son but viser à faciliter l'émigration au Canada.
À mon humble avis, en employant le mot anglais «convicted» (déclarées coupables) à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration, le législateur fédéral voulait dire «found guilty» (reconnues cou- pables) à la suite notamment d'un plaidoyer de culpabilité 2 . Il s'ensuit, selon moi, que la Commis sion a commis une erreur en concluant que c'était à tort que l'épouse de l'intimé s'était vue refuser l'admission à titre d'immigrante en raison de l'ali- néa 19(1)c).
2 Je ne voudrais pas laisser entendre que l'on ne peut invo- quer les dispositions applicables du Code criminel [L.R.C. (1985), chap. C-46] pour présumer qu'il n'y a pas eu déclara- tion de culpabilité lorsque l'art. 19(1)c) prévoit les motifs justifiant de prendre des mesures d'expulsion contre une per- sonne (1) qui se trouve légalement au Canada et (2) qui a été déclarée coupable d'une infraction qui a été commise au Canada. Cela reviendrait à incorporer dans notre droit de l'immigration les principes du droit criminel canadien, et non ceux d'un pays étranger.
POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE FONDÉ SUR DES RAISONS D'ORDRE HUMANITAIRE
Étant donné qu'il a obtenu gain de cause devant la Commission sur d'autres moyens, l'intimé n'a pas contesté le refus de la Commission d'admettre son épouse pour des raisons d'ordre humanitaire. La question n'a pas été examinée par les parties dans leur mémoire, mais la Cour l'a soulevée au cours des débats et a donné aux avocats l'occasion de l'aborder. Comme j'ai conclu, en ce qui con- cerne la décision de la Commission, que l'épouse de l'intimé devait être admise pour d'autres rai- sons, il me faut examiner ce refus.
La Loi dispose [alinéas 3(c), 77(3)b) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap. 10, art. 6; (4e suppl.), chap. 28, art. 33)]:
3. La politique canadienne d'immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en œuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité:
c) de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l'étranger;
77....
(3) S'il est citoyen canadien ou résident permanent, le répon- dant peut en appeler devant la Commission en invoquant les moyens suivants:
b) raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale.
À nouveau, les soulignements sont de moi.
Pour rejeter l'appel de l'intimé sur ce moyen, la Commission a déclaré:
[TRADUCTION] ... la Commission n'est pas persuadée qu'il existe des circonstances extraordinaires qui justifient l'octroi d'une mesure spéciale par la Commission. L'appelant a vécu en Angleterre pendant quelque seize années. Sa fille de vingt ans et son fils de treize ans issus d'un mariage antérieur y résident. Le préjudice qu'il pourrait subir s'il retournait en Angleterre est surtout de caractère économique.
Elle a poursuivi en ne tenant pas compte de la crainte et de l'angoisse qu'ils imputent aux mena ces de revanche proférées par Eddie Szuluk. La situation est analysée par mon collègue le juge Linden et je ne veux pas entrer dans les détails de ce problème.
Il n'est pas nécessaire que les circonstances dans lesquelles la Commission peut exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 77(3)b) soient extraordinaires. Il suffit qu'il existe des raisons d'ordre humanitaire. Il me semble que ces raisons peuvent être les plus ordinaires qui soient: l'amour d'un mari et de sa femme et leur désir naturel de vivre ensemble.
En outre, la raison invoquée pour refuser d'oc- troyer la mesure sollicitée, en l'occurrence l'ab- sence relative de préjudice que subirait l'intimé s'il retournait en Angleterre pour y retrouver sa femme, va manifestement à l'encontre d'un objec- tif explicite de la Loi sur l'immigration: la réunion au Canada des citoyens canadiens avec leurs pro- ches parents de l'étranger. Je n'ai aucune hésita- tion à affirmer que si l'intimé avait interjeté appel du refus d'octroyer une mesure spéciale pour des raisons d'ordre humanitaire, j'y aurais fait droit.
CONCLUSION
La réparation qui peut être accordée dans le cadre du présent appel est prévue à l'alinéa 52c) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7]:
52. La Cour d'appel peut: c) dans les autres cas d'appel:
(i) soit rejeter l'appel ou rendre la décision qui aurait être rendue,
(ii) soit, à son appréciation, renvoyer l'affaire pour juge- ment conformément aux instructions qu'elle estime appropriées;
Notre Cour a jusqu'à maintenant et à juste titre témoigné beaucoup de déférence envers la Commission en ce qui concerne l'exercice du pou- voir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 77(3)b). Lorsqu'une erreur a été constatée, nous avons presque toujours exercé le pouvoir discré- tionnaire prévu au sous-alinéa 52c)(ii) et renvoyé l'affaire à la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision. Ceci dit, aucune des dispositions de la Loi sur l'immigration ne nous enlève le pouvoir discrétionnaire de réparation que nous accorde le sous-alinéa 52c)(1). A mon avis, nous manquerions à notre devoir si nous n'exercions pas notre pouvoir discrétionnaire en rendant la déci- sion qui aurait être rendue alors qu'il ne reste plus de question de fait à trancher par la Commis-
Sion et que son erreur de droit repose si manifeste- ment sur son défaut de respecter les principes généraux que le législateur fédéral a explicitement déclarés dans la Loi.
Un appel porte sur une décision, et non sur les motifs invoqués à l'appui de celle-ci. Comme je suis d'avis que la Commission est parvenue au bon résultat, bien que pour la mauvaise raison, je trancherais l'appel de la manière proposée par le juge Linden.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Susan Mary Pearn Burgon n'a pas eu une vie heureuse en Angleterre. Née en 1949, la requérante était l'aînée de huit enfants. Son père dévalisait les banques et a passé une grande partie de sa vie en prison. Lorsque la requérante avait neuf ans, sa mère est disparue pendant un certain temps et les services de protec tion de l'enfance ont s'occuper d'elle et de ses frères et soeurs. À dix-sept ans, elle vivait seule. Elle travaillait comme serveuse et étudiait en vue de devenir infirmière. En 1969, l'âge de 20 ans, elle est devenue enceinte, a abandonné ses études et a donné naissance à son fils aîné, Simon. Peu de temps après, elle a rencontré son premier mari, Harry Pearn, qu'elle a épousé en 1971. Les Pearn ont mis au monde un second fils, Nicholas. Harry Pearn était un homme violent et possessif qui avait à l'occasion des démêlés avec la justice. En 1981, M 11Q Burgon a quitté Pearn. Lorsque leur divorce a été prononcé en 1983, la garde des enfants a été confiée à Pearn.
Pearn, qui avait consommé régulièrement du cannabis, a poussé Mme Burgon à en fumer pen dant un certain temps, mais celle-ci a fini par y renoncer en 1974. Pearn a commencé à consom- mer de l'héroïne en 1981 et il y a également initié Mme Burgon au cours des visites qu'elle rendait aux enfants. Elle a appris qu'il faisait le commerce de l'héroïne et, préoccupée par le bien-être de ses enfants, elle est revenue vivre avec lui pour les protéger. Malheureusement, elle est elle-même devenue héroïnomane par la suite.
En 1984, elle a tenté à nouveau sans succès de se désintoxiquer en allant s'installer en Cornouailles.
Par suite de l'arrestation et de l'emprisonnement de Pearn pour des délits liés aux stupéfiants, son approvisionnement en héroïne a été coupé. Au lieu de cesser de consommer, elle est tombée sous l'influence d'un pourvoyeur local de drogues appelé Eddie Szuluk, qui lui a remis un gramme d'héroïne, qui a été divisé en 20 portions, 2 pour son propre usage et 18 pour la vente. Son fils aîné, Simon, est rapidement devenu un consommateur de drogues. Elle a tenté sans succès d'échapper à l'influence de Szuluk. Elle a demandé à son père de l'aider, mais au lieu de la secourir, il est devenu lui aussi un pourvoyeur pour Szuluk.
En 1985, Mme Burgon a été appréhendée à la suite d'accusations ayant trait à des stupéfiants avec Szuluk et d'autres personnes. Pendant qu'elle attendait de subir son procès en prison, elle a passé dix mois, son fils cadet, Nicholas, lui a appris que son fils aîné, Simon, faisait maintenant le commerce des stupéfiants pour Szuluk. Malgré le fait que Szuluk l'avait prévenue de garder le silence, cette nouvelle l'a incitée à faire à la police une déclaration qui a conduit à l'incarcération de son fils, Simon, de son père, de Szuluk, ainsi que d'autres personnes. Elle s'est reconnue coupable de complot visant à fournir des drogues contrôlées et elle a été condamnée le 18 juin 1986 deux ans de probation. En prononçant la sentence, le juge, sir Hugh Park, a expliqué qu'il faisait preuve de clémence envers elle parce qu'elle avait été une toxicomane, qu'elle avait été influencée par Szuluk, qu'elle avait fait des aveux complets et qu'elle était prête à témoigner pour la poursuite. Szuluk a écopé d'une peine de dix ans d'emprison- nement et d'autres membres de sa bande ont égale- ment été condamnés à diverses peines d'emprison- nement.
Le 26 juin 1986, Mme Burgon a épousé David Ross Burgon, l'intimé, un citoyen canadien qui vivait en Angleterre. Ils s'étaient rencontrés en 1981 et étaient restés en contact pendant qu'elle subissait son procès. Après leur mariage, ils ont vécu pendant quelques mois à Barnstaple, Mme Burgon a travaillé au pub local.
En janvier 1987, la mère de M. Burgon est tombée malade et les Burgon sont venus la voir au Canada. En mars 1987, parrainée par son mari, Mme Burgon a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Le 7 décembre 1987, avec
l'assistance de son agent de probation, elle a obtenu en Angleterre une absolution qui a eu pour effet de l'acquitter complètement. Par la suite, elle a été admise au Canada à titre de visiteur et a attendu qu'Emploi et Immigration Canada entre en communication avec elle.
En février 1988, le fils aîné de Mme Burgon, Simon, est mort à la suite de l'absorption d'une dose massive de drogues. Elle est retournée en Angleterre pour assister aux funérailles, et, pen dant qu'elle se trouvait là-bas, elle a reçu une lettre des autorités canadiennes de l'immigration l'informant que sa demande, de résidence perma- nente avait été rejetée. Son mari a réussi à obtenir que Mme Burgon soit autorisée à rentrer temporai- rement au Canada, ils vivent maintenant et désirent demeurer en sécurité hors de l'atteinte de Eddie Szuluk.
La demande d'établissement de Mme Burgon a initialement été rejetée au motif qu'elle apparte- nait à deux catégories de personnes non admissi- bles. On l'a premièrement informée qu'à cause de sa «déclaration de culpabilité», elle tombait sous le coup de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigra- tion, qui dispose:
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégo- rie non admissible:
c) celles qui ont été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle a été commise au Canada, peut être, ou, si elle a été commise à l'étranger, pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal de dix ans et plus et qui ne peuvent justifier auprès du gouverneur en conseil ni de leur réadaptation ni du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis l'expiration de leur peine;
En deuxième lieu, on lui a dit qu'à cause de son ancienne héroïnomanie, elle tombait sous le coup du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigra- tion, dont voici le libellé:
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégo- rie non admissible:
a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut:
(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'en- traîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;
M. Burgon en a appelé devant la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui, dans une décision datée du 21 août 1989, a infirmé la décision initiale sur les deux motifs et a admis la requérante au Canada. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration se pour- voit maintenant devant notre Cour.
La question litigieuse plus complexe est celle de savoir si Mme Burgon est frappée d'exclusion du Canada en vertu de l'alinéa 19(1)c) parce qu'elle s'est reconnue coupable du complot en vue de fournir des substances contrôlées dont elle a été accusée et à l'égard duquel elle a été condamnée à une probation de deux ans, ou si elle échappe à l'application de l'alinéa 19(1)c) par application du paragraphe 13(1) de la Powers of Criminal Courts Act, 1973 [(R.-U.), 1973, chap. 62] du Royaume- Uni, qui dispose:
13. (1) [TRADUCTION] ... le contrevenant qui a été déclaré coupable d'une infraction pour laquelle il fait l'objet d'une ordonnance de probation ou d'une ordonnance d'absolution inconditionnelle ou sous condition prononcée en vertu de la présente partie de la présente loi est réputé n'avoir été déclaré coupable que dans le cadre de l'instance au cours de laquelle l'ordonnance a été prononcée et dans celui de toute poursuite ultérieure qui pourrait être intentée contre lui en vertu des dispositions précédentes de la présente loi.
L'avocat de l'appelant prétend notamment que, comme elle s'est reconnue coupable de l'infraction dont elle a été accusée et comme elle a été jugée coupable et a été condamnée, elle a été «déclarée coupable d'une infraction» au sens de l'alinéa 19(1)c). Il affirme que la loi du Royaume-Uni ne saurait déterminer le sens des mots «déclarées coupables» de la Loi sur l'immigration, qui a des objectifs différents de ceux du droit criminel britannique.
L'avocat de l'intimé prétend notamment que c'est à bon droit que la Section d'appel a conclu que Mme Burgon n'avait pas été déclarée coupable au Royaume-Uni et, de surcroît, que le droit de l'Angleterre devait régir la question. En d'autres termes, si elle est déclarée coupable en Angleterre, elle est «déclarée coupable» ici; si elle n'est pas déclarée coupable là-bas, elle n'est pas «déclarée coupable» ici.
Il est évident que les mots «déclarées coupables» n'ont pas un sens universel immuable. Comme tant d'autres mots, ils peuvent avoir [TRADUCTION] «des sens équivoques et différents selon le contexte
dans lequel ils sont employés» (voir R. v. McInnis (1973), 1 O.R. (2d) 1 (C.A.), à la page 10, le juge Martin, J.C.A.; Rex v. Vanek, [1944] O.R. 428 (C.A.), à la page 433, le juge en chef de l'Ontario Robertson). Il existe plusieurs décisions publiées dans lesquelles l'expression «déclaration de culpa- bilité» a été interprétée dans divers contextes de procédure criminelle, mais ces décisions d'espèce ne nous sont pas très utiles pour découvrir le sens de cette expression dans le présent contexte parti- culier (voir Reg. v. Blaby, [1894] 2 Q.B. 170 (affaire portant sur la détermination de la peine); The King v. Sheridan (Frank), [1937] 1 K.B. 223 (C.A.); (autrefois convict) R. v. Grant (1936), 26 Cr App Rep 8 (conséquences du plaidoyer de culpabilité); Ex parte Johnston, [1953] O.R. 207 (C.A.) (conséquences du plaidoyer de culpabilité); R. v. Mclnnis, précité (pouvoirs en matière d'appel).
La question à trancher en l'espèce est celle de savoir si, lorsqu'il s'agit de cerner le sens de l'ex- pression «déclarées coupables», ce sont les principes généraux de la Loi sur l'immigration qui l'empor- tent ou si ce sont ceux du droit criminel, ou encore si la Cour devrait essayer de concilier les textes de loi dans ces deux domaines. En outre, il y a un élément étranger en l'espèce, ce qui oblige notre Cour à se demander quelle reconnaissance, s'il y a lieu, devrait être accordée aux lois d'un pays étran- ger pour interpréter cette expression.
La Loi sur l'immigration définit certaines caté- gories de personnes non admissibles qui [TRADUC- TION] «sont caractérisées de façon générale comme une menace pour la santé publique, le bien-être, l'économie et la sécurité du Canada» (voir Wydr- zynski, Canadian Immigration Law and Procedure (1983), à la page 160). En particulier, l'alinéa 19(1)c) vise [TRADUCTION] «à exclure les person- nes qui ont été déclarées coupables d'infractions graves» (ibid., à la page 167). Mais les personnes qui ont commis des crimes ne sont pas toutes exclues à jamais. Le droit de l'immigration peut, à l'instar de la société en général, pardonner à ceux qui commettent des crimes. Peuvent être admises les personnes qui «peuvent justifier auprès du gou- verneur en conseil ... de leur réadaptation [et] du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis l'expiration de leur peine»» (voir l'alinéa 19(1)c)). Il ressort de cette disposition qu'une personne qui commet un crime grave peut se voir accorder la
chance de refaire sa vie au Canada, du moins à certaines conditions.
Les principes généraux du droit criminel en matière de casiers judiciaires ont changé au cours des dernières années pour refléter l'évolution des attitudes de la société envers ceux qui ont enfreint le droit criminel. Le Rapport du Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle (le comité Ouimet) a recommandé en 1969 de trouver une façon d'éviter les conséquences préjudiciables qu'entraîne l'existence d'un casier judiciaire. (Voir Salhany, Canadian Criminal Procedure, (5e éd., 1989, la page 382). La première réaction législa- tive à cette recommandation a été l'adoption de la Loi sur le casier judiciaire, S.C. 1969-70, chap. 40, qui permet au gouverneur en conseil d'accorder un pardon, après l'écoulement d'une certaine période de temps, sur la recommandation de la Commission nationale des libérations conditionnel- les. L'octroi du pardon a pour effet d'«annule[r] la condamnation pour laquelle il est accordé et, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, [d']élimine[r] toute déchéance que cette condam- nation entraîne, pour la personne ainsi déclarée coupable, en vertu de toute loi du Parlement du Canada . ..» (article 5). Ainsi donc, en faisant la preuve de sa «bonne conduite», la personne décla- rée coupable d'une infraction pouvait être lavée de toute souillure causée par la déclaration de culpa- bilité. Peu de temps après, le Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] du Canada a également été modifié ([Loi de 1972 modifiant le Code cri- minel] S.C. 1972, chap. 13, sanctionnée le 15 juin 1972) pour permettre aux juges d'octroyer dans certaines circonstances une absolution incondition- nelle ou sous condition. Il en résulte que l'accusé «n'est pas censé avoir été déclaré coupable de l'infraction quant à laquelle il a plaidé coupable ou dont il a été déclaré coupable ... » sous réserve de certaines exceptions. (Voir le paragraphe 662.1(3), maintenant le paragraphe 736(3) [mod. par L.R.C. (1985) (1 er suppl.), chap. 27, art. 162; (4e suppl.), chap. 1, art. 18 (annexe I, item 24)] du Code criminel du Canada).
Des dispositions semblables visant à aider les personnes déclarées coupables de crimes à refaire leur vie ont été édictées au Royaume-Uni ainsi que dans d'autres pays. Les Britanniques sont allés plus loin que le Canada: en plus de permettre
l'absolution inconditionnelle et sous condition, on y a adopté le paragraphe 13 (1) précité qui prévoit que le contrevenant qui a été déclaré coupable d'une infraction pour laquelle il fait l'objet d'une ordonnance de probation [TRADUCTION] «est réputé [ne pas] avoir été déclaré coupable», sauf à certaines fins techniques. C'est cette disposition qui a permis à Mme Burgon de faire effacer sa déclaration de culpabilité au Royaume-Uni.
L'expert, Me Manraj, a expliqué les conséquen- ces de ces dispositions législatives du Royaume- Uni:
[TRADUCTION] Bien qu'une ordonnance de probation ne puisse être prononcée qu'après que le contrevenant a été déclaré coupable d'une infraction, ce contrevenant est réputé n'avoir été déclaré coupable que dans le cadre de l'instance au cours de laquelle l'ordonnance a été prononcée. Ainsi donc, l'accusé est réputé avoir été «déclaré coupable» dans le but de lui permettre d'interjeter appel de la «déclaration de culpabilité», mais il est réputé ne pas avoir été déclaré coupable pour permettre, par exemple, par la suite à la Cour de prononcer une peine plus lourde, dans les cas cela est possible, pourvu que l'accusé ait déjà fait l'objet d'une peine, qu'il ait déjà été condamné. Ce n'est que dans le cas il est par la suite déclaré coupable du même type d'infraction que l'on considère que l'accusé a déjà été «déclaré coupable».
Hormis ces cas, une fois que le contrevenant a fait l'objet d'une ordonnance de probation qui a été inscrite, il n'est plus «déclaré coupable» [Soulignements ajoutés].
Ce témoignage a été accepté par la Section d'ap- pel. Même s'il n'est pas identique à celui du Canada, ce texte de loi du Royaume-Uni y est certainement semblable de par son contenu et de par ses effets.
J'estime qu'il faut supposer que lorsqu'il a adopté de nouveau la Loi sur l'immigration en 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], le législateur fédé- ral connaissait ses propres textes de loi pénale antérieurs, qui permettaient d'effacer les déclara- tions de culpabilités criminelles du casier des per- sonnes méritantes. En employant les termes «décla- rées coupables» à l'alinéa 19(1)c), le législateur visait donc une déclaration de culpabilité qui n'avait pas été effacée en vertu de toute autre loi édictée par lui. Si une «déclaration de culpabilité» était effacée par application des dispositions d'une autre loi du législateur fédéral, ce dernier ne vou- lait pas qu'elle soit traitée de la même manière qu'une déclaration de culpabilité qui n'avait pas été supprimée du casier judiciaire d'une personne. S'il avait voulu que les termes «déclarées coupa- bles» que l'on trouve dans la Loi sur l'immigration
soient interprétés autrement, il aurait pu et aurait l'exprimer. Lorsqu'on interprète de cette manière l'alinéa 19(1)c), on réussit à concilier et non à mettre en conflit la Loi sur l'immigra- tion et la législation criminelle canadienne. Les principes généraux du droit criminel sont intégrés dans la Loi sur l'immigration.
Je suis conforté dans cette opinion par l'examen de l'historique législatif de l'alinéa 19(1)c), qui était très différent dans sa rédaction antérieure. L'alinéa 5d) de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-2, interdisait à certaines catégories de «personnes qui ont été déclarées coupables de quelque crime impliquant turpitude morale, ou qui admettent avoir commis un tel crime ...» [souli- gnement ajouté] d'entrer au Canada. S'il avait été repris dans la loi de 1976, ce libellé aurait proba- blement visé Mme Burgon, qui aurait été légitime- ment frappée d'exclusion, parce qu'elle avait «admis avoir commis un crime» [soulignement ajouté]. Cependant, dans la nouvelle loi de 1976 sur l'immigration, on a laissé tomber les mots soulignés et on a laissé seulement les mots clés «déclarées coupables». Cette disposition a mainte- nant un sens différent: il ne suffirait plus de plai- der coupable pour tomber sous le coup de cet article. La réforme législative est intervenue après l'adoption des modifications qui ont été apportées au Code criminel et qui ont reçues la sanction royale le 15 juin 1972, prévoyant notamment l'ab- solution inconditionnelle ou sous condition à titre de mesure permise au Canada. Ainsi donc, on doit supposer que lorsqu'il a omis en 1976 les mots soulignés dans la Loi sur l'immigration et qu'il a laissé seulement les mots «déclarées coupables», le législateur fédéral connaissait la fiction juridique par laquelle on présume qu'un contrevenant n'a pas été déclaré coupable et, par conséquent, on doit supposer que le législateur fédéral voulait soustraire ces personnes à l'application de l'alinéa 19(1)c) et rendre la Loi sur l'immigration compa tible avec le Code criminel du Canada:
L'autre question à examiner est celle de savoir si le texte de loi du Royaume-Uni, dont l'objet est semblable, mais non identique à celui de la loi canadienne, devrait être traité de la même façon. Dans les deux pays, certains contrevenants se voient accorder l'avantage d'éviter l'infamie causée par l'existence d'un casier judiciaire pour faciliter
leur réadaptation. Il n'existe aucune raison valable pour que le droit canadien de l'immigration con- trecarre l'objectif de ce texte de loi britannique, qui est compatible avec le droit canadien. Nos deux systèmes juridiques reposent sur des fonde- ments analogues et partagent des valeurs sembla- bles. Dans un autre contexte, qui n'est pas étranger à celui-ci, le juge MacGuigan de notre Cour a écrit [Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.), à la page 176]:
En l'absence d'une preuve de circonstances exceptionnelles ... les tribunaux canadiens doivent tenir pour acquis qu'il existe un processus judiciaire équitable et impartial dans le pays étran- ger. Dans le cas d'un Etat non démocratique, il peut être facile de faire la preuve contraire, mais en ce qui a trait à un État démocratique comme les États-Unis, il se peut qu'il faille aller jusqu'à démontrer, par exemple, que le processus de sélection du jury est gravement atteint dans la région en question ou que l'indépendance ou le sens de l'équité des juges est en cause. [Voir également l'arrêt États-Unis d'Amérique c. Cotroni; États-Unis d'Amérique c. El Zein, [1989] 1 R.C.S. 1469].
Ce qui a été dit au sujet des États-Unis vaut également pour le Royaume-Uni.
À moins qu'il existe un motif valable de rendre une autre décision, j'estime donc qu'il y a lieu de respecter les lois des pays qui sont semblables aux nôtres, surtout lorsque leurs buts sont identiques. Bien que je sois certainement d'accord avec le juge Bora Laskin pour dire que le droit d'un autre pays m'est pas déterminant en ce qui concerne une question relative aux condamnations criminelles posée aux fins de déterminer si l'immigration au Canada devrait être permise» (voir Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks,
[1974] R.C.S. 850, la page 863), nous devons reconnaître les lois d'autres pays qui reposent sur les mêmes fondements que les nôtres, à moins qu'il existe une raison solide de s'en écarter. Pour reprendre les mots de la Section d'appel:
[TRADUCTION] On porterait gravement atteinte au sens cana- dien de la justice si le ministère canadien de l'Immigration ou le système judiciaire canadien s'autorisait lui-même à présumer qu'une personne est déclarée coupable d'une infraction alors que cette personne est réputée ne pas avoir été déclarée coupa- ble de la même infraction dans le territoire l'infraction aurait été commise.
Bien que notre Cour ne soit pas, comme le fait valoir l'avocat de l'intimé, tenue d'aller jusqu'à «reconnaître» les lois de tous les ressorts étrangers, il convient de le faire en l'espèce, parce que les lois
et le système juridique de l'autre pays sont similai- res aux nôtres.
Comme il n'y a pas de «déclaration de culpabi- lité» au Royaume-Uni et qu'il n'y a pas de raison de refuser de reconnaître la loi du Royaume-Uni qui est semblable à la nôtre, Mme Burgon n'a pas été «déclarée coupable» au sens de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration et elle n'est pas frap- pée d'exclusion.
La question moins complexe est la question d'ordre médical. La Section d'appel a infirmé la décision initiale par laquelle on a refusé l'entrée à Mme Burgon au motif qu'elle était visée par le sous-alinéa 19(1)a)(ii). Pour ce faire, la Section d'appel a suivi le raisonnement suivant:
[TRADUCTION] Le rapport [médical] indique que la requérante ne souffre d'aucune anomalie; le diagnostic indique que c'est [TRADUCTION] «une femme en bonne santé» et le pronostic prévoit [TRADUCTION] «une vie et une santé normales». Suivant la requérante, le médecin traitant ne l'a pas interrogée au sujet de sa toxicomanie. Pourtant, le médecin agréé explique, dans son exposé:
[TRADUCTION] Cette femme a été victime d'héroïnomanie. Elle a été déclarée coupable de complot en vue de fournir des drogues contrôlées et fait présentement l'objet d'une proba tion de deux ans autorisée par les tribunaux qui ne prendra fin qu'en juin 1988. Elle est non admissible aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi (toxicomanie).
Il semblerait que le médecin qui a procédé à l'examen des facultés physiques de la requérante n'a pas tiré de conclusion au sujet de l'ancienne toxicomanie de la requérante et qu'il n'y a pas fait allusion. Le médecin qui a rédigé l'exposé semble avoir fondé son avis sur les renseignements fournis par la requérante, qui a reconnu, au cours de son entrevue avec l'agent des visas, avoir été accusée de complot en vue de fournir des drogues contrôlées. La Commission est d'accord avec l'avo- cat de l'appelant pour dire que le refus fondé sur des raisons d'ordre médical est entaché de deux erreurs. Premièrement, il est entaché d'une erreur de fait en ce sens qu'il n'est pas démontré que la «toxicomanie» signalée par le médecin agréé est une maladie ou une invalidité permanente auquel le sous- alinéa 19(1)a)(ii) peut s'appliquer. En deuxième lieu, il est également entaché d'une erreur en raison de l'avis exprimé dans l'exposé dans lequel le médecin agréé conclut que la requérante «entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé„ sur le fondement d'un diagnos tic qui n'est appuyé par aucune preuve médicale. Les déclara- tions de culpabilité et les probations mentionnées dans l'exposé sont dénuées de toute pertinence en ce qui concerne le sous-ali- néa 19(1)a)(ii).
La Commission conclut que le refus pour des raisons d'ordre médical n'est nullement fondé et, par conséquent, qu'il n'est pas valable en droit.
On ne m'a pas convaincu que ce raisonnement était erroné.
Ce que les médecins ont fait en l'espèce ressem- ble à ce qui a été fait dans l'arrêt Seyoum c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion) (A-419-90, juge Mahoney, J.C.A., jugement en date du 15-11-90, encore inédit), dans lequel la Cour a jugé que le requérant était visé par le sous-alinéa 19(1)a)(ii) parce qu'il avait été jugé incapable de subir son procès pour cause d'aliéna- tion mentale. Le juge Mahoney de notre Cour a déclaré que cela ne pouvait pas «appuyer automati- quement la conclusion qu'on pourrait raisonnable- ment s'attendre à ce qu'il entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé». De même, le fait qu'une personne a été toxicomane ne signifie pas qu'elle tombe automatiquement sous le coup du sous-alinéa 19(1)a)(ii), comme l'ont assumé les médecins agréés.
Mme Burgon n'est donc pas non admissible à cause du sous-alinéa 19(1)a)(ii).
Par ces motifs, le présent appel est rejeté et Mme Burgon se voit accorder la possibilité de refaire sa vie au Canada. Les frais extra-judiciaires seront accordés à l'intimé conformément au paragraphe 84(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 19] de la Loi sur l'immigration.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je suis du même avis.
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