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T-2300-86
Mary Bland (requérante)
c.
La Commission de la capitale nationale (intimée)
et
Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada (intervenant)
et
La Commissaire à l'information du Canada (intervenante)
RÉPERTORIÉ: BLAND C. COMMISSION DE LA CAPITALE NATIO- NALE (l" INST.)
Section de première instance, juge Muldoon— Ottawa, 14 mai 1990 et 17 mai 1991.
Accès à l'information Demande de révision à la suite d'une plainte contre le refus de la CCN de communiquer certains dossiers dont communication avait été demandée en application de la Loi sur l'accès à l'information Significa tion de «renseignements personnels» au sens de l'art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels Les renseignements demandés portaient sur l'identité des locataires de l'intimée et sur leurs loyers L'intérêt public dans la divulgation justifie l'atteinte à la vie privée qui en résulte La société de la Couronne accordait des avantages financiers facultatifs sous forme de loyers inférieurs aux taux du marché Les renseignements recherchés par la requérante sont exclus de la définition légale de «renseignements personnels».
Protection des renseignements personnels La CCN, société de la Couronne, invoquait la protection des renseigne- ments personnels pour refuser de communiquer les renseigne- ments sur les noms, adresses et loyers de ses locataires Il échet d'examiner si les renseignements recherchés sont des «renseignements personnels» protégés par l'art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels L'intérêt public dans la divulgation de ces renseignements justifie l'atteinte à la vie privée des locataires conformément à l'art. 8(2)m)(1) de la Loi La non-divulgation suscite les suspicions et le cynisme dans une société démocratique.
Couronne Biens immeubles Biens de la Couronne administrés par la Commission de la capitale nationale Une documentaliste de journal, faisant des recherches sur les rumeurs concernant la location d'appartements à des partisans politiques à des loyers inférieurs aux taux du marché, s'est vu refuser la communication des renseignements relatifs aux noms des locataires et aux loyers par eux payés Accès à l'information et protection de la vie privée En cas d'avanta- ges financiers facultatifs accordés par une société de la Cou- ronne, les renseignements y relatifs ne sont pas protégés contre la divulgation à titre de «renseignements personnels» Les renseignements du genre recherché en l'espèce sont publique- ment disponibles grâce aux régimes d'enregistrement immobi- lier et dans le cadre de la réglementation des loyers d'habita-
lion L'intérêt public veut que la confiance du public ne soit pas minée par la dissimulation des faits en cas de rumeurs de favoritisme et de mauvaise gestion de biens du domaine public.
Il s'agit d'une demande de révision d'une plainte contre le refus de la part de la Commission de la capitale nationale (CCN) de communiquer certains dossiers demandés par la requérante en application de la Loi sur l'accès à l'information. Documentaliste au journal The Ottawa Citizen, la requérante avait demandé communication de la liste de tous les immeubles locatifs appartenant à la CCN et administrés par elle ainsi que les noms des locataires de ces immeubles et le loyer qu'ils payaient. Elle reçut la liste mais non pas les autres renseigne- ments par ce motif qu'ils étaient protégés en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elle écri- vit alors à la Commissaire à l'information en faisant remarquer qu'un contrat commercial passé entre un organisme financé par l'impôt et un individu ou une société ne pouvait être considéré comme «personnel». La Commissaire à l'information se conten- terait de la divulgation des lieux loués et de leurs loyers respectifs, sans communication du nom des locataires.
Les avocats des parties sont convenus qu'il y avait trois principaux points litigieux: 1) Que signifie «renseignements personnels» au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels? 2) Les noms des locataires et les loyers qu'ils doivent payer sont-ils des renseignements person- nels? 3) Dans l'affirmative, y a-t-il des raisons d'intérêt public qui justifieraient nettement une violation éventuelle de la vie privée? Il y a une autre question litigieuse, savoir si, au cas le loyer payable à la CCN serait inférieur aux taux du marché, il s'agit d'«un renseignement concernant des avantages finan ciers facultatifs ... accordés à un individu, y compris le nom de celui-ci et la nature de ces avantages», auquel cas ce renseigne- ment est exclu de la définition de «renseignements personnels». Quant à la question de savoir si les noms des locataires, leurs adresses et les loyers qu'ils paient constituent des «renseigne- ments personnels», la requérante et la Commissaire à l'informa- tion soutiennent que si certains locataires ont conclu avec la CCN un bail prévoyant le paiement d'un montant inférieur à ce qui est exigé d'habitations comparables, cela signifie que la CCN accorde à ces locataires un avantage et, de ce fait même, un avantage facultatif; c'est précisément ce que l'alinéa 31) de la Loi sur la protection des renseignements personnels exclut des «renseignements personnels» protégés par le paragraphe 19(1) de la Loi sur l'accès à l'information. À l'appui de sa décision de refuser la communication, la présidente de la CCN a soutenu auprès de la Commissaire à l'information que l'inté- rêt public dans la divulgation n'était pas évident en l'espèce puisque le public ne gagnerait rien à obtenir ces renseigne- ments. Elle a ajouté que le simple fait que les baux concer- naient des terres domaniales ne signifiait pas que le public avait le droit d'être informé par application de la loi.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
La CCN étant une «institution fédérale» au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, sa conduite doit être comme un livre ouvert, et tous les renseigne- ments au sujet des taux de loyer et de leur mode de fixation doivent être à la disposition du public. Voilà la raison pour laquelle la Loi sur l'accès à l'information a été adoptée, qui prévoit le droit d'accès aux dossiers relevant des institutions fédérales. Le recours indépendant du pouvoir exécutif contre le
refus de communiquer les renseignements recherchés par la requérante est prévu à l'article 41 de la Loi. Étant donné que la CCN était chargée de la gestion de deniers et de biens publics et que les rumeurs avaient circulé pendant des années au sujet de traitements de faveur accordés à certains locataires, la question de l'intérêt public était l'un des facteurs les plus importants. Il est toujours conforme à l'intérêt public de dissi- per les rumeurs de corruption ou de mauvaise gestion de deniers et de biens publics.
Le texte de loi en jeu en l'espèce est le sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, aux termes duquel la communication des renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale est autorisée si, de l'avis du responsable de cette institution, des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée. Dans Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et de logement), le juge Heald, J.C.A. conclut que la communica tion est la règle générale et l'exemption, l'exception, et qu'il incombe à ceux qui réclament l'exemption de prouver leur droit à cet égard. Sa Seigneurie ajoute que la Cour est tenue de s'assurer que le pouvoir discrétionnaire conféré au responsable administratif a été exercé dans les limites appropriées et selon les principes appropriés. On peut en conséquence se demander si la décision de la présidente de la CCN de refuser la divulga- tion eu égard au poids relatif de l'atteinte à la vie privée et de l'intérêt public a été prise «dans les limites appropriées et selon les principes appropriés» et dans le respect de «l'objet général de la Loi, tel qu'il est énoncé à l'article 2 précité». Il ressort à l'évidence d'un examen des observations écrites de la prési- dente, qui constituent la seule preuve des facteurs légaux que l'intimée avait pris en considération pour décider de ne pas communiquer les renseignements recherchés, que la CCN n'a nullement mis dans la balance la violation de la vie privée et l'intérêt public dans la divulgation. De simples assertions telles que «l'intérêt public dans la divulgation n'est pas évident en l'espèce» et que «le public ne gagnerait rien à obtenir ces renseignements» ne sont pas l'aboutissement d'une considéra- tion du poids relatif de deux facteurs légaux. L'«intérêt public dans la divulgation» est une valeur primordiale qui ne peut être ignorée que dans le cas où, de toute évidence, il ne justifierait pas la violation de la vie privée.
Il ressort des preuves produites et des arguments présentés que l'intérêt des locataires dans la non-divulgation de leurs loyers est négligeable au point que les raisons d'intérêt public justifieraient nettement la violation de la vie privée en cas de divulgation. Qu'un locataire d'une institution fédérale, la CCN, paie un loyer ou non, voilà qui n'est nullement une question de vie privée, car on doit présumer que tout locataire paie un loyer en espèces ou en nature. Si le locataire bénéficie d'une conven tion en vertu de laquelle il ne doit rien payer à la CCN pour la jouissance des lieux, alors l'intérêt public exige que ce rensei- gnement soit divulgué et que les faits ne soient pas dissimulés, d'autant plus qu'il y a des rumeurs de favoritisme et de mauvaise gestion de deniers et de biens publics. La plupart des renseignements du genre recherché par la requérante sont à la disposition du public grâce aux régimes d'enregistrement immobilier et aux régimes provinciaux de réglementation des loyers. La CCN et le Commissaire à la protection de la vie privée n'ont donc pu prouver aucun préjudice véritable pour les locataires en cas de divulgation. Attendu que la non-divulgation
minerait la confiance du public, engendrerait la suspicion et le cynisme publics dans une société libre et démocratique, l'intérêt public dans la divulgation justifierait sans réserve toute viola tion de la vie privée que pourrait entraîner cette divulgation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63. Loi de 1986 sur la réglementation des loyers d'habita- tion, L.O. 1986, chap. 63, art. 5.
Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe I, art. 2(1), 3, 41.
Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II, art. 2, 3l), 8(1), (2)m)(i), 41.
Loi sur l'enregistrement des actes, L.R.O. 1980, chap. 445.
Loi sur l'enregistrement des droits immobiliers, L.R.O. 1980, chap. 230, art. 110.
Règlements de l'Ontario, 449/88.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265; (1988), 52 D.L.R. (4th) 671; 19 F.T.R. 160; 86 N.R. 186 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
R. v. Pollock (1983), 29 Sask. R. 70 (Q.B.).
DÉCISION CITÉE:
Swain et al. v. Dennison et al., [1967] R.C.S. 7; (1966), 59 D.L.R. (2d) 357; 58 W.W.R. 232a
AVOCATS:
Richard G. Dearden et Neil Wilson pour la requérante.
Barbara A. Mcisaac, c.r., pour l'intimée. Simon Noël pour l'intervenant, le Commis- saire à la protection de la vie privée.
Michael Phalen, Pat Wilson et Paul Tetro pour l'intervenante, la Commissaire à l'infor- mation.
PROCUREURS:
Gowling, Strathy et Henderson, Ottawa, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Noël, Berthiaume, Aubry, Hull, Québec, pour l'intervenant, le Commissaire à la protection de la vie privée.
Osler, Hoskin et Harcourt, Ottawa, pour l'in- tervenante, la Commissaire à l'information.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le directeur général des Recueils de la Cour fédérale a décidé qu'il y avait lieu de publier une version abrégée des motifs de l'ordonnance de Sa Seigneurie, qui occupent 40 pages de texte. Les éléments omis sont les faits incidents de la cause, l'argumentation des avocats et la question de savoir si les noms des locataires de la CCN, leurs adresses et les loyers qu'ils paient consti tuent des «renseignements personnels» à ne pas divulguer en cas de demande faite en application de la Loi sur l'accès à l'information. Cette cause présente un intérêt particulier par l'analyse de l'intérêt public dans la divulgation qui justifie la violation de la vie privée du fait de cette même divulgation. Les passages sautés sont remplacés par leur résumé respectif.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Malgré la documentation volumineuse qui a été déposée en l'espèce, les avocats des parties affirment que les points liti- gieux sont peu nombreux. L'avocat de la requé- rante les énumère comme suit: 1) Que signifie «renseignements personnels» au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II? 2) Les noms des locataires et le loyer qu'ils doivent payer sont-ils des renseignements person- nels? 3) Si la réponse à la question précédente va à l'encontre des conclusions de la requérante, y a-t-il des raisons d'intérêt public qui justifieraient nette- ment une violation éventuelle de la vie privée? L'avocate de l'intimée partage ce point de vue en concluant que le litige est centré sur ce que signifie «renseignements personnels» et ce qu'embrasse cette notion. Il y a cependant une autre question litigieuse, savoir si, au cas il serait établi que le loyer payable à la CCN par des locataires d'habi- tations est inférieur aux taux du marché, il s'agit d'«un renseignement concernant des avantages financiers facultatifs ... accordés à un individu, y compris le nom de celui-ci et la nature précise de ces avantages», auquel cas le nom et la nature précise de ces avantages sont exclus de la défini- tion de «renseignements personnels» «pour l'appli- cation des articles 7, 8 et 26 [de la Loi sur la protection des renseignements personnels] et de l'article 19 de la Loi sur l'accès à l'information»
[S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe I], ainsi que le prévoit l'alinéa 3!) de la Loi sur la protec tion des renseignements personnels.
La Commission de la capitale nationale, qui est une société de la Couronne, est chargée de l'exploitation d'immeubles de rapport (habitations, usage commercial, organisations à but non lucra- tif et usage récréatif) dans la région de la capitale nationale. Des rumeurs avaient circulé pendant des années au sujet des «traitements de faveur» et des loyers inférieurs au taux du marché, accor dés aux partisans du parti politique dont les mem- bres jouissaient de la majorité au Parlement anté- rieurement à 1984. L'une des personnes qui avaient porté ces rumeurs à l'attention des médias (en particulier au responsable de la chro- nique «The Bureaucrats» du journal The Ottawa Citizen) était Jean E. Pigott, devenue par la suite présidente de la CCN. L'ironie c'est qu'elle s'op- pose maintenant à la divulgation qu'elle avait recherchée naguère.
La requérante en l'espèce, Mary Bland, est documentaliste au quotidien The Ottawa Citizen. Elle avait demandé par écrit à la CCN de lui communiquer la liste de ses immeubles locatifs ainsi que les noms des locataires et les loyers qu'ils payaient. La Commission lui communiqua la liste des immeubles mais refusa de divulguer les autres renseignements, lesquels étaient à son avis des renseignements personnels protégés par l'article 3 de la Loi sur la protection des rensei- gnements personnels. Une grande partie des ren- seignements recherchés fut divulguée par la suite et à l'audition de cette requête, le litige ne portait plus que sur les habitations. Lors du contre-inter- rogatoire relatif à son affidavit, la requérante déclare avoir «parlé avec Jean Pigott qui a appelé pour dire qu'elle était contente de voir Frank [Howard, qui est un chroniqueur du journal The Ottawa Citizen] s'occuper de l'affaire parce qu'il était de notoriété publique à Ottawa qu'il y avait de nombreux Libéraux qui ... des politicards Libéraux qui bénéficiaient de ces immeubles ...».
Il n'est pas raisonnable de présumer que des notabilités comme Jean Pigott n'ont transmis ces rumeurs qu'aux médias. En répandant ces asser tions dans le cercle de leurs propres amis et
connaissances, elles ont pu créer le brouhaha public au sujet de l'administration d'immeubles du domaine public.
Une note de service émanant d'un cadre diri- geant de la CCN a été citée, qui reconnaît que la Commission subventionnait en fait les locataires occupant des propriétés dont l'exploitation coûtait plus cher que ce que rapportaient les loyers.
Tous les facteurs pris en considération pour la fixation des loyers part l'observation du pro gramme gouvernemental 6 et 5 de lutte contre l'inflation) et cités dans les observations faites par la présidente en application du paragraphe 35(2) de la Loi sur l'accès à l'information constituaient des avantages financiers facultatifs.
La Cour rejette l'argument de l'avocate de la CCN, selon lequel ces rumeurs sans fondement ont été propagées par suite des chroniques de M. Howard. Il ressort des preuves produites qu'elles avaient circulé pendant des années avant d'être rapportées dans la chronique «The Bureaucrats». Cette conclusion de l'avocate est pour le moins stupéfiante car elle laisse entendre que Mme Pigott avait tort de répandre ces rumeurs de graves agissements répréhensibles, avant qu'elle ne devienne présidente de la CCN.
Il est indéniable que ces enfantillages ne pou- vaient manquer d'avoir un effet sur l'intérêt public. Au Canada, il n'est permis à aucune auto- rité publique nommée, voire élue, de prendre des airs aristocratiques dans la gestion des deniers ou des biens publics en disant au citoyen contribuable que cette gestion ne le regarde en aucune façon. Il est bien connu que les autorités publiques éprou- vent le besoin compulsif de garder secrètes les questions de gestion de deniers et de biens publics, qui intéressent justement le public. Est-ce une hypothèse gratuite? C'est la conclusion qu'on peut tirer du fait que malgré les pouvoirs et activi- tés du vérificateur général du Canada et des comi- tés du Parlement, malgré l'obligation qui incombe au gouvernement de l'heure de jouir de la con- fiance de la Chambre des communes, le législateur a jugé indiqué de mettre en oeuvre et de promou- voir son objectif déclaré en promulguant la Loi sur l'accès à l'information:
2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux docu ments de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispen-
sables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.
Cet objet précis est exprimé de façon tout aussi déterminée dans le texte de l'autre langue offi- cielle. Les deux versions sont aussi précises et péremptoires l'une que l'autre.
La CCN est une «institution fédérale» au sens de l'article 3 et désignée telle à l'annexe I de la Loi. Le recours indépendant du pouvoir exécutif contre le refus de communiquer les renseignements recherchés par la requérante est prévu à l'article 41, et illustré par cette instance même.
La question des rumeurs se pose en l'espèce en raison des effets que ces dernières pourraient avoir sur l'intérêt public, du fait qu'elles pourraient miner la confiance du public dans l'administration du gouvernement en général, et de la CCN en particulier. La destruction de la confiance du public ne laisse jamais un vide à la place.
L'histoire, ainsi que la Cour a le droit de le rappeler, montre que la confiance du public, une fois détruite, laisse vite la place à cette mentalité publique la plus exécrable, la plus corrosive, la plus dangereuse et la plus pernicieuse d'entre toutes, le cynisme. Donc, dans cette situation, qu'est-ce qui est conforme à l'intérêt public? C'est quelque chose de parfaitement clair. Ce qui est conforme à l'intérêt public, c'est que, dès qu'il y a des rumeurs quelles qu'elles soient, la conduite de la CCN doit être comme un livre ouvert, avec toutes les explications qu'elle veut bien ou doit donner au sujet des taux de loyer, du mode de fixation de ces taux, etc.
Il est toujours conforme à l'intérêt public de dissiper les rumeurs de corruption ou de mauvaise gestion pure et simple de deniers et de biens publics. Naturellement, s'il y a faute, négligence ou agissements répréhensibles dans le fonctionne- ment d'une institution fédérale, il est, par défini- tion virtuelle, conforme à l'intérêt public de les révéler, et non pas de les entourer de secret. Autre- ment, cela signifierait que les autorités gouverne- mentales s'instituent, par leur refus de communi- quer les renseignements demandés, juges de leur propre cause. Dans cette société libre et démocrati- que rien, à part l'ordre du ministre compétent,
n'empêche une institution fédérale de donner les explications qu'elle juge indiquées en même temps que les renseignements demandés et légalement divulgués. La Cour ne juge pas en l'espèce la validité des explications données par la CCN au sujet des taux de loyer qu'elle applique. Les expli cations véritables suffiraient dans plusieurs cas à dissiper les rumeurs, comme il appert du dossier confidentiel produit devant la Cour.
Quoi qu'il en soit, si la Cour ne se réjouit pas de mettre en relief le rôle personnel de la présidente de la CCN dans la genèse de ce litige, elle ne peut pas l'ignorer non plus. L'interprétation de ces deux textes de loi parallèles, la Loi sur l'accès à l'infor- mation et la Loi sur la protection des renseigne- ments personnels, mérite une meilleure démarche, moins ad hominem, de la Cour. Ainsi donc, alors que la Cour est obligée de ne pas négliger l'élé- ment personnel, elle essaiera, autant que faire se peut, d'instruire l'affaire conformément aux prin- cipes fondamentaux, comme si la présidente n'avait rien à voir avec les rumeurs qui obligent à mettre dans la balance l'intérêt public et l'atteinte à la vie privée qu'est la divulgation des renseignements.
La Cour est-elle habilitée par la loi à préférer sa propre conception de l'intérêt public à celle de la CCN? Le texte de loi en jeu est celui qui se trouve dans la Loi sur la protection des renseignements personnels:
s....
(2) Sous réserve d'autres lois du Parlement, la communica tion des renseignements personnels qui relèvent d'une institu tion fédérale est autorisée dans les cas suivants:
m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l'avis du responsable de l'institution:
(i) des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée, ... [Mots non souli- gnés dans l'original.]
Que quelque chose justifie quelque chose d'autre est certainement affaire d'opinion et bien sou-
vent d'ajustement très subtil d'opinion qui, aux termes de la loi, relève principalement au moins du responsable (ou de la présidente) de l'institution fédérale (en l'occurrence la CCN). Dans la Loi sur l'accès à l'information comme dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, l'article 41 qui porte l'indication marginale «Révision par la Cour fédérale», prévoit pour la «personne» ou
l'«individu» concerné le droit d'«exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour». Il s'agit ici du recours prévu au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'accès à l'information sous la formula tion «recours indépendants du pouvoir exécutif».
La signification de cette dernière disposition sur les recours indépendants du pouvoir exécutif, con- sidérée dans le contexte de la loi savoir recours indépendants de la décision prise ou du pouvoir discrétionnaire exercé par le responsable de l'insti- tution fédérale concernée a été exposée avec vigueur et clarté par le juge Heald, J.C.A. dans l'arrêt rendu à l'unanimité de la Cour d'appel fédérale dans Rubin c. Canada (Société cana- dienne d'hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265.
À la page 272 de l'arrêt Rubin, le juge Heald, J.C.A. fait l'analyse de l'alinéa 21(1)b) de la Loi, dans un exemple comparable à l'espèce, comme suit:
Dans la lettre qu'il a envoyée à l'intimé le 3 septembre 1986, le commissaire adjoint à l'information du Canada a exprimé le très clair avis, qui se fonde sur son examen de l'échantillon des documents, que [TRADUCTION] «da divulgation de la plus grande partie des procès-verbaux ne nuirait pas aux intérêts de la Société».
En l'espèce, la Commissaire à l'information elle- même, dans son minutieux rapport d'enquête de 29 pages (pièce B de l'affidavit en date du 21 octobre 1986 dossier public de la demande, vol. I, onglet 2), a consacré les 17 dernières pages à la question de l'intérêt public. En voici deux passages, pages 26 et 27:
[TRADUCTION] En bref, il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas la requérante recherche au hasard des renseignements sans intérêt véritable et sur la foi d'allégations dénuées de tout fondement. Il y a à tout le moins preuve prima facie, subsé- quemment confirmée par des déclarations publiques de la CCN elle-même, que le loyer pratiqué par la CCN pour certains peut-être pour la plupart de ses logements est ou était inférieur aux taux du marché.
L'intérêt public en l'espèce tient au droit du public de voir dissipées ses préoccupations au sujet des baux consentis par la CCN et non pas de poursuivre une cible fuyante.
Les faits révélés par cette enquête donnent lieu, à mon avis, à un intérêt public légitime et primordial qui commande qu'on détermine s'il y a des loyers subventionnés et si la répartition des locaux à loyer subventionné a été faite de façon ouverte et équitable par la CCN. Cet intérêt public s'affirme peu importe que les loyers inférieurs aux taux du marché constituent ou non des »avantages financiers facultatifs».
C'était la conclusion tirée par la Commissaire à l'information en l'espèce, et voici ce que le juge Heald, J.C.A. a ajouté dans la décision Rubin la page 272):
On devrait tenir compte de cet avis mûrement réfléchi d'un fonctionnaire supérieur et digne de confiance. De plus, l'exemp- tion générale réclamée en l'espèce par l'intimée fait effective- ment violence aux objets de la Loi tels qu'ils sont énoncés à l'article 2 de celle-ci [supra].
Les passages de la décision Rubin qui s'appli- quent en l'espèce se trouvent aux pages 273 et 274, comme suit:
À mon avis, l'article 49 confère à la Cour le pouvoir de déterminer si le responsable de l'institution peut refuser de donner communication. Le pouvoir discrétionnaire du responsa- ble de l'institution n'est pas absolu. Il doit être exercé confor- mément aux principes de droit reconnus. On doit en faire usage d'une manière compatible avec la loi habilitante (lord Reid dans l'affaire Padfie/d v. Minister of Agriculture. Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.), aux pages 1030, 1034). Dans l'affaire Oakwood, le juge Wilson a bien formulé les principes juridiques applicables lorsqu'elle a dit que: «Il faut donc non seulement (qu'un organisme de décision administra tive) ait tenu compte uniquement de facteurs qui relèvent de la compétence que lui a conférée la loi, mais aussi qu'elle ait pris en considération tous les facteurs dont elle doit tenir compte pour bien remplir la fonction de prise de décisions qu'elle a aux termes de la loi.» Dans l'affaire Padfield susmentionnée, lord Reid s'est prononcé en ces termes à la page 1030:
[TRADUCTION] Le Parlement a attribuer ce pouvoir discrétionnaire avec l'intention qu'il soit exercé pour promou- voir la politique et les objets de la Loi. La politique et les objets de la Loi doivent être déterminés en interprétant la Loi dans son ensemble et l'interprétation est toujours une ques tion de droit pour la Cour ... si le Ministre, parce qu'il a mal interprété la Loi ou pour toute autre raison, exerce son pouvoir discrétionnaire de façon à contrecarrer la politique ou les objets de la Loi ou à aller à l'encontre de ceux-ci, alors notre droit accuserait une grave lacune si les personnes qui en subissaient des préjudices n'avaient pas droit à la protection de la cour.
En conséquence, il incombe au responsable d'une institution (ou à son délégué) de tenir compte de la politique et de l'objet de la Loi sur l'accès à l'information dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'il tient du législateur en vertu du paragraphe 21(1). Lorsqu'on se rappelle que le paragraphe 4(1) de la Loi confère aux citoyens canadiens et aux résidents permanents un droit général d'accès et que les exemptions à cette règle doivent être précises et limitées, le législateur a, à mon avis, clairement voulu que les exemptions fassent l'objet d'une interprétation stricte.
La question se pose alors de savoir si, compte tenu des faits de l'espèce, la déléguée de l'intimé a, de façon appropriée, exercé le pouvoir discrétionnaire qu'on lui a conféré en applica tion de la politique et des objets de la Loi.
Le passage qui commence en haut de la page 276 de la décision Rubin revêt une grande impor tance pour la cause en instance:
En approuvant la mesure prise par la déléguée de l'intimé, le juge des requêtes a suivi la décision rendue ... dans l'affaire CRTC susmentionnée. Il s'est particulièrement appuyé sur les propos ... à la page 420 qu'il convient de reproduire ci-dessous:
Une fois qu'il est décidé qu'un document entre dans la catégorie de documents mentionnés au paragraphe 21(1), le droit du requérant d'en obtenir la communication est assu- jetti au pouvoir discrétionnaire du responsable de l'institution fédérale de donner suite à la demande.
Avec déférence, je ne saurais souscrire à ce point de vue sur l'affaire. Une telle conclusion ne tient pas compte des objets et des fins visés par la Loi. L'objet général de la Loi, tel qu'il est énoncé à l'article 2 précité, comprend l'intention claire du législateur de prévoir un moyen permettant d'assujettir les décisions relatives à l'accès du public aux documents publics à des recours «indépendants du pouvoir exécutif» (paragraphe 2(1) précité). Il est ensuite prévu à l'article 48:
48. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41 ou 42, la charge d'établir le bien-fondé du refus de communication totale ou partielle d'un document incombe à l'institution fédérale concernée.
En vertu de cet article, le fardeau de la preuve d'une exemption incombe à l'institution fédérale qui y prétend.
La communication est la règle générale et l'exemption, l'ex- ception, et c'est à ceux qui réclament l'exemption de prouver leur droit à cet égard. Il faut examiner également l'article 46. Il porte:
46. Nonobstant toute autre loi du Parlement et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, la Cour a, pour les recours prévus aux articles 41, 42 et 44, accès à tous les documents qui relèvent d'une institution fédérale et auxquels la présente loi s'applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.
À mon avis, le législateur entend, à l'article 46, permettre à la Cour d'avoir les renseignements et documents nécessaires à l'accomplissement de son mandat et de s'assurer que le pouvoir discrétionnaire conféré au responsable administratif a été exercé dans les limites appropriées et selon les principes appro- priés. La déférence judiciaire à l'égard de l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré à un tribunal administratif doit néces- sairement se restreindre aux limites régulières du pouvoir déci- sionnel du tribunal. Or, il appartient à la Cour de déterminer ces limites.
Qu'a donc la CCN, par sa présidente, pris en considération avant de conclure que la protection de la vie privée de ses locataires l'emportait défini- tivement sur l'intérêt qu'a le public dans la divul- gation du loyer que doivent payer ces locataires en contrepartie de la jouissance tranquille et exclusive des lieux pendant la durée du bail? La décision de refuser la divulgation eu égard au poids relatif de l'atteinte à la vie privée et de l'intérêt public a-t-elle été prise «dans les limites appropriées et selon les principes appropriés» et dans le respect de
«l'objet général de la Loi, tel qu'il est énoncé à l'article 2 précité»?
L'affidavit de L. J. Prevost a été mentionné plus haut. En voici le paragraphe 11:
[TRADUCTION] 11. La présidente de la CCN a écrit le 9 juin 1986 à la Commissaire à l'information pour lui faire part de ses observations en application du paragraphe 35(2) de la Loi. Ci-joint copie de ces observations, marquée pièce «D» du pré- sent affidavit. [Dossier public de la demande, vol. IV, onglet 17, page 1028.]
Il s'agit des observations écrites où, comme indi- qué plus haut, la présidente énumérait les quelque 19 facteurs de la fixation des loyers.
Voici la teneur du contre-interrogatoire portant sur cet affidavit, et au cours duquel L. J. Prevost a répondu aux questions sur l'intérêt public et l'at- teinte à la vie privée, lesquelles figurent bien en évidence sur la pièce D de son affidavit:
[TRADUCTION] Q. Très bien. Pour en venir à l'alinéa 8m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui prévoit ce que nous appellerons la primauté de l'intérêt public sur la vie privée, qu'avez-vous discuté avec la présidente au sujet de la question de savoir si cette disposition s'applique dans ce cas?
R. Je me rappelle que ce sujet n'a été abordé qu'au cours d'un entretien entre notre présidente et Mme Hansen du Commissariat à l'information. Tout au long de nos dis cussions, personne n'avait soulevé la question de l'intérêt public. Il n'en a été question qu'au cours d'une des dernières rencontres, je ne me rappelle pas laquelle, après que nous eûmes discuté de la définition de renseigne- ments personnels par opposition à l'intérêt public. Cette discussion portait strictement sur les avantages financiers facultatifs accordés aux locataires. Telle était la discussion.
Q. Si c'est, comme vous dites, l'une des dernières rencontres avec la Commissaire, ça devait être au cours de 1986?
R. Fin 1985 ou 1986. Je dirais plutôt fin 1985.
Q. Fin 1985. Très bien, et vous ... monsieur, savez-vous sur quels critères la présidente s'est guidée pour exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 8m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou pour décider si cet alinéa s'applique ou non?
R. Je suis au courant d'une décision. Je suis au courant de ses discussions avec notre principal conseiller juridique. Je n'assistais pas à toutes les réunions, mais à l'une. d'entre elles. J'étais certainement au courant de la con clusion finale.
Q. Qui était non, l'intérêt public ne ...
R. Qui était non à l'intérêt public ...
Q. ... justifie pas la violation de la vie privée. Mais êtes-vous au courant d'aucune raison ou d'aucun fait qui motive sa conclusion que l'intérêt public dans la divulga- tion ne justifiait pas clairement une violation éventuelle de la vie privée des locataires?
R. Il n'y a aucun procès-verbal, sauf peut-être quelques notes ici et de plusieurs réunions, mais au cours de l'une d'entre elles, je me souviens qu'on est arrivé à la conclusion que si c'était l'intérêt public qui l'emporte, on devrait peut-être prendre un des locataires et le soumettre à une enquête de la GRC, et non pas prononcer la condamnation générale de tous les locataires à cause d'une possibilité de favoritisme à leur égard.
Q. Pourquoi y aurait-il une enquête de la GRC?
R. S'il y avait une suspicion de cette sorte de choses, eh bien nous pensions que c'est ce qui se ferait.
Q. Quelle sorte de choses?
R. Les contrats de faveur, soi-disant, accordés à titre d'avan- tages spéciaux à certains locataires, c'est sur ce genre de choses que porte la question soulevée par Howard.
Question soulevée par Howard, la belle affaire! C'est la présidente elle-même, entre autres, qui en a été l'instigatrice à l'origine, comme cela a été maintenant reconnu et prouvé sans réserves!
Cependant, puisqu'il n'y a aucun procès-verbal, les observations écrites (pièce D) de la présidente sont la seule preuve des facteurs légaux que la CCN a pris en considération pour décider de ne pas communiquer les renseignements recherchés par la requérante. Autrement dit, ces observations constituent la seule preuve produite devant la Cour pour ce qui est de savoir si la décision a été prise «dans les limites appropriées et selon les principes appropriés» et dans le respect de «l'objet général de la Loi, tel qu'il est énoncé à l'article 2 précité».
Les observations signées le 9 juin 1986 par la présidente de la CCN prennent 8 pages et demie de papier format légal. En page 3 (page 1038 du vol. IV), le sous-alinéa 8(2)m)(i) est mentionné pour la première fois au sujet d'un entretien entre le conseiller juridique de la Commissaire à l'infor- mation et celui de la CCN, le 3 décembre 1985. Ce bref passage porte:
[TRADUCTION] La Commissaire invoqua alors l'intérêt public qui commande la divulgation de ces renseignements, sous le régime du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. [Passage suivi de la reproduction intégrale de ce sous-alinéa.]
Cette question est mentionnée de nouveau à la page 4 (page 1039 du vol. IV) comme suit:
[TRADUCTION] Le 25 avril 1986, la présidente de la CCN, dans sa réponse à la Commissaire, réitéra la nécessité d'un nouvel examen. Elle confirma aussi que la CCN s'opposait au principe de la divulgation des renseignements personnels au titre de l'intérêt public.
Les observations écrites de la présidente revien- nent sur la question de l'intérêt public à la page 7, le sous-alinéa 8(2)m)(i) est cité de nouveau. La question inhérente à cette disposition est mention- née avec plus de détails à la page 8 (ou page 1043 du vol. IV) de ces passages, qui se poursuivent jusqu'en page 9 (1044) au sujet du sous-alinéa 8(2)m)(i) et de l'intérêt public:
[TRADUCTION] La responsable de cette institution est par conséquent investie du pouvoir discrétionnaire de communiquer des renseignements personnels; dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, elle doit mettre dans la balance l'intérêt public dans la communication et la menace de violation de la vie privée de l'individu. Ainsi que le prévoit la Partie I11 des Lignes directrices provisoires concernant la mise en application de la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels du Conseil du Trésor:
«Des renseignements doivent être divulgués en vertu de cette disposition uniquement lorsqu'il est évident que l'intérêt public le commande et que cette divulgation ne tombe pas sous le coup du paragraphe 8(2).0
L'intérêt public dans la divulgation n'est pas évident en l'espèce puisque le public ne gagnerait rien à obtenir ces renseignements. Qui plus est, comme certaines autres condi tions intégrantes des baux ne seraient pas communiquées en même temps, la divulgation serait trompeuse pour le public et inique pour les locataires.
La preuve que l'intérêt public justifie une violation de la vie privée est subordonnée à une norme élevée pour ce qui est de l'importance et de la nature de cet intérêt public. Le simple fait que les baux concernent des terres domaniales ne signifie certes pas que le public a le droit d'être informé par application de la loi.
La responsable de cette institution a conclu, conformément au sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des rensei- gnements personnels, qu'il n'y a aucun intérêt public en l'es- pèce, ou, s'il y en a un, qu'il ne serait pas substantiel ou important au point de justifier une violation de la vie privée.
La responsable de cette institution a conclu que l'intérêt public ne gagnerait rien à la communication des renseigne- ments relatifs aux locataires d'habitations. Par conséquent, aucun renseignement ne sera divulgué sous le régime du sous- alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
RECOMMANDATION
En outre, il y aurait lieu de demander au Commissaire à la protection de la vie privée d'intervenir en l'espèce afin de préciser la portée et les paramètres du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ce qui serait utile à cette enquête.
Fait à Ottawa (Ontario), le 9 juin 1986.
Signé: Jean Pigott
Présidente
[Phrase non soulignée dans l'original.]
La phrase soulignée du texte de la présidente exprime une assertion qui va visiblement à l'encon- tre de «l'objet général de la Loi», qui est le critère fondamental énoncé par la Cour d'appel fédérale par la voix du juge Heald, J.C.A. dans l'arrêt Rubin, supra. Cette assertion simple et directe (que la Cour souligne) des observations écrites de la présidente, sans aucune explication (parce qu'il n'y en a pas), est tout bonnement incompatible avec l'objet de la Loi sur l'accès à l'information qui, aux termes de son paragraphe 2(1), est d'élar- gir «l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indis pensables à ce droit étant précises et limitées». Il est clair qu'une simple assertion du contraire n'est pas une exception précise et limitée, aussi simpliste que soit cette expression. En effet, la simple déné- gation d'un principe légal ne constitue nullement une exception.
La CCN, par sa présidente, ne montre nulle- ment qu'elle a mis dans la balance la violation de la vie privée et l'intérêt public dans la divulgation, comme l'exige le sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cet «intérêt public dans la divulgation» est le critère légal qu'on ne peut écarter du revers de la main, en affirmant qu'il «n'est pas évident en l'espèce» et que «le public ne gagnerait rien à obtenir ces renseignements». Pareilles assertions ne sont pas l'aboutissement d'une considération du poids relatif de deux facteurs légaux. Quoi qu'il en soit, sous le régime de l'article 2 de la Loi sur l'accès à l'information, «l'intérêt public dans la divulgation» est une valeur primordiale qui ne peut être ignorée que dans le cas de toute évidence, il ne justifierait pas la violation de la vie privée. Il s'ensuit que la «violation de la vie privée» doit être établie de façon rigoureuse, car sinon, c'est «l'inté- rêt public dans la divulgation» qui l'emportera définitivement.
Les cas abondent en jurisprudence des insti tutions fédérales refusent de divulguer des rensei- gnements parce qu'ils concernent des individus. Le Canada n'est pas une nation peuplée d'automates, d'esprits ou de fictions juridiques, mais de person- nes humaines. Il s'ensuit en toute logique que de tous les renseignements relevant des institutions
fédérales, la grosse majorité concerne les gens. Ce facteur ne fait pas de la protection de leur vie privée l'élément suprême car, cela eût-il été le cas, «l'intérêt public dans la divulgation» serait lettre morte.
Il est donc clair qu'on doit quantifier, du moins théoriquement, ce qu'on pourrait qualifier de «droit à la protection de la vie privée» afin d'être à même de le mettre dans la balance face à «l'intérêt public dans la divulgation». Il s'agit d'un exer- cice intellectuel par excellence, que le sous-alinéa 8(2)m)(i) exige en premier lieu des responsables d'institutions fédérales, et en second lieu, de cette Cour, afin que «[leurs] décisions quant à la com munication [soient] susceptibles de recours indé- pendants du pouvoir exécutif».
L'avocat du Commissaire à la protection de la vie privée cite la jurisprudence R. v. Pollock (1983), 29 Sask. R. 70 (Q.B.) qui formule le critère à appliquer à la formation d'une «opinion» dans le cadre d'une loi, critère à la lumière duquel (aux pages 73 et 74) il faut conclure que la présidente de la CCN n'a formé aucune opinion valide quant aux facteurs concurrents prévus au sous-alinéa 8(2)m)(i). La décision Pollock porte entre autres:
[TRADUCTION] ... il faut que cette opinion ait été formée après examen convenable fondé sur une observation suffisante. Il faut que ce soit une opinion objective, susceptible d'être justifiée par des raisons pertinentes.
Eu égard aux faits de cette cause, ce critère s'ap- parente à celui de l'arrêt Rubin, tel qu'il s'applique en l'espèce. L'effort démontré par la présidente ne répond certainement pas à ce critère. La simple assertion du résultat est loin de constituer une justification par des raisons pertinentes. Par ail- leurs, l'arrêt Swain et al. v. Dennison et al., [1967] R.C.S. 7, aux pages 12 et 13, nous indique com ment une telle opinion, formée en application d'une disposition légale, doit être examinée en appel.
Comment la présidente de la CCN a-t-elle formé sa soi-disant opinion? Comment a-t-elle pesé le droit à la protection de la vie privée qui devrait faire pendant à l'intérêt public. Elle ne l'a guère fait. Elle a bien rapporté ce qui suit dans ses
observations écrites du 9 juin 1986, la page 8 (page 1043 du vol. IV):
[TRADUCTION] Ils [les locataires qui ont fait de nombreux appels téléphoniques à la CCN] semblaient très peu disposés à divulguer les renseignements demandés puisqu'ils s'attendaient à ce que ces derniers demeurent confidentiels. Ils ont aussi affirmé catégoriquement que le public n'avait nullement le droit de savoir.
Or, le consentement de l'individu que concernent les renseignements demandés est un élément du paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui n'autorise, à défaut de ce consentement, la communication «que con- formément au présent article». Vient ensuite la partie suivante du «présent article», savoir le para- graphe 8(2) qui prévoit de nombreux cas la communication des renseignements est autorisée, lesquels cas sont énumérés aux alinéas a) à m). Le sous-alinéa 8(2)m)(i) autorise la communication à toute autre fin dans les cas où, de l'avis du respon- sable de l'institution, des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée.
L'alinéa 8(2)m)(i) ignore le consentement, le refus ou l'opinion du locataire, c'est-à-dire du loca- taire que les renseignements concernent. La raison en est évidente. A moins que ces locataires ne soient inspirés par un rare désir d'être des «livres ouverts», ils pourraient tous refuser de consentir à la divulgation, même s'ils ne bénéficient d'aucun traitement de faveur, et encore l'intérêt public suprême dans la divulgation serait frustré. En faisant état du sentiment de certains locataires, la présidente de la CCN ne justifie d'aucun examen objectif ni de leur droit à la vie privée ni de la «violation» de ce droit par suite de l'impératif du texte de loi qu'elle invoque, savoir le sous-alinéa 8(2)m)(i). On peut en trouver la preuve dans les observations écrites qu'elle a signées le 9 juin 1986, savoir la pièce C de l'affidavit de L. J. Prevost (vol. IV, onglet 17).
En instruisant ce recours «indépendant du pou- voir exécutif», c'est-à-dire indépendant du respon- sable de l'institution fédérale concernée en l'es- pèce, la Cour conclut, vu les preuves produites et les arguments présentés par les avocats, y compris leurs références à des matières qui relèvent main- tenant du domaine public, que l'intérêt des locatai- res dans la non-divulgation de leurs loyers est négligeable. Il est à ce point négligeable que les raisons d'intérêt public justifieraient nettement la violation de la vie privée en cas de divulgation.
Comment en est-il ainsi? En premier lieu, qu'un locataire d'une institution fédérale, la CCN, paie un loyer ou non, voilà qui n'est nullement une question de vie privée. On doit présumer que tout locataire paie un loyer en espèces ou en nature. Si le locataire bénéficie d'une convention en vertu de laquelle il ne doit rien payer à la CCN pour la jouissance tranquille et exclusive des lieux, alors l'intérêt public exige certainement que ce rensei- gnement soit divulgué, et que les faits ne soient pas dissimulés au public. Il est donc à présumer que chaque locataire paie un loyer sous une forme ou sous une autre, contre le droit d'occuper les lieux loués qui appartiennent au domaine. Le bail conclu entre un bailleur privé et son locataire crée un certain droit à la vie privée, sous réserve peut-être de la Loi de l'impôt sur le revenu. On présume que le locataire paie son loyer. Personne ne peut donc s'attendre à ce que soit gardée secrète la présomp- tion que les locataires d'habitations de la CCN paient leurs loyers. Il est parfaitement conforme à l'intérêt public qu'on le sache, ou à tout le moins qu'on le présume.
Quel droit à la vie privée défend-on en gardant secret le montant du loyer? Des millions de Cana- diens propriétaires de leur maison débiteurs hypothécaires ou leurs ayants droit ne jouissent d'aucun secret quant au principal de la dette, au taux d'intérêt et à la fréquence des paiements d'hypothèque. Tout cela relève du domaine public, tout comme le prix d'achat de la maison, que ce soit sous le régime Torrens ou le régime cadastral, voire dans plusieurs cas, sous l'ancien régime des «actes de cession». Même les baux dépassant une certaine durée minimum peuvent être enregistrés sous le régime Torrens, comme doit l'être tout domaine en fief simple. La Cour peut tenir pour fait notoire, et elle le fait, que les gens ne voient rien d'exécrable dans le système moderne d'enre- gistrement immobilier, par lequel la province déli- vre et garantit un titre Torrens indéfectible pour le fief simple, les droits miniers, les droits de surface ou les tenures à bail, lequel titre est complètement ouvert au public avec tous les détails relatifs aux hypothèques, charges, privilèges, servitudes, et limitations consenties ou imposées. Des millions de Canadiens qui habitent à l'extérieur de la région de la capitale nationale, et qui ont cependant un intérêt public dans la gestion de la CCN, semblent jouir d'un droit bien plus limité à la vie privée, du
moins en ce qui concerne les biens immeubles hypothéqués, que ne le font certains locataires et cadres dirigeants de la CCN. En effet, non seule- ment les titres grevés sont ouverts au public, mais les titres libres aussi. Personne ne semble souffrir les affres ou même l'inconvénient de cette «viola- tion» institutionnalisée de la vie privée, laquelle n'existe tout bonnement pas dans ces cas. Et cela, bien que, à l'opposé des titres libres, les maisons ou tenures à bail hypothéquées sont des biens émi- nemment privés qui servent à garantir des créances tout à fait privées. Or, les locataires de la CCN ont eux aussi contracté une dette en prenant à bail des biens domaniaux en vertu de baux au sujet des- quels courent des rumeurs de favoritisme et de mauvaise gestion (ou pire) de deniers et de biens publics.
L'Ontario, le Québec et le Manitoba, entre autres, ont des lois portant réglementation des loyers d'habitation. Ces lois varient en ce qui concerne la facilité avec laquelle le public peut se faire communiquer les renseignements du genre recherché en l'espèce. Les avocats n'ont pas sug- géré à la Cour de passer en revue tous les droits des locataires ou toutes les lois sur la location immobilière du Canada, bien que le pays entier ait un droit de regard naturel sur la CCN.
L'avocat de la requérante ne cite que la loi ontarienne. Il fait valoir (transcription, vol. I, pages 48 et 49) que selon l'article 110 de la Loi sur l'enregistrement des droits immobiliers [L.R.O. 1980, chap. 230] et le paragraphe 21(7) de la Loi sur l'enregistrement des actes [L.R.O. 1980, chap. 445], les baux peuvent être enregistrés et devien- nent de ce fait ouverts au public, produisant ainsi les mêmes renseignements que ceux recherchés en l'espèce. Qui plus est, la Loi de 1986 sur la réglementation des loyers d'habitation [L.O. 1986, chap. 63] de l'Ontario, par son règlement d'application (modifié en dernier lieu par l'abroga- tion et le remplacement de son article 5 par le Règl. de l'Ont. 449/88), prévoit la communication [TRADUCTION] «des renseignements relatifs à toute unité d'habitation spécifique ... par télé- phone, par courrier postal ou en personne» et de tout autre renseignement sur demande faite «sur formule 7R». À ce sujet, le témoin cité par l'inti- mée, Gaétan Roy, évaluateur agréé de l'Institut canadien des évaluateurs, a déclaré sous serment
au cours du contre-interrogatoire portant sur son affidavit en date du 6 juillet 1988 (dossier public, vol. III, onglets 13 et 14, pages 937 et 938), qu'il s'était renseigné sur les loyers d'immeubles privés (n'appartenant pas à la CCN) comparables en s'adressant tout simplement au service inter-agen- ces, dont il faisait, et fait peut-être encore, partie.
En outre, les avocats des parties conviennent que selon la loi organique de la CCN, tout bail de cinq ans doit être approuvé par décret en conseil, ce qui fait passer au domaine public les renseignements recherchés, malgré l'inclination de la présidente de la CCN à garder secrets tous ses loyers et l'iden- tité de tous ses locataires. Mais il y a davantage à considérer à cet égard. Le rapport d'enquête en date du 11 septembre 1986 de la Commissaire à l'information, extrêmement équilibré et méthodi- quement composé, est fort convaincant dans sa présentation des faits et ses conclusions. On peut lire ces passages aux pages 21 et 22:
[TRADUCTION] Que [le droit à la vie privée] l'emporte vrai- ment ou non dépend de divers facteurs. L'un de ces facteurs est la question de savoir dans quelle mesure le renseignement en question est considéré comme personnel par la société en géné- ral et par les intéressés en particulier savoir s'il est considéré comme délicat et hautement personnel (par exemple une infir- mité cachée) ou comme un fait de notoriété publique (par exemple le poids et la taille approximatifs).
L'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels consacre expressément le droit de l'individu de jouir d'une certaine protection du caractère personnel de son nom, de son adresse et de sa situation financière, autant de renseigne- ments visés par la demande de consultation de la plaignante. Cependant, la situation est ambiguë pour ce qui est du montant des loyers. Habituellement, le loyer tient une place importante dans les finances des locataires, lesquelles sont classées à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels parmi les «renseignements personnels» qui ne sont normalement pas consultables. Cependant, le montant du loyer payable est généralement publié par le propriétaire du logement qui cherche à attirer des locataires. Ce montant est aussi couramment divulgué par le propriétaire sans le consentement du locataire en diverses autres occasions, par exemple lors d'une opération immobilière ou à titre de coopération entre créanciers. Au moment de la demande de consultation, la CCN avait pour politique de communiquer le montant du loyer aux créanciers qui en faisaient la demande, ainsi que le montant des arriérés le cas échéant.
Par ailleurs, le droit à la protection du secret du montant du loyer qu'on paie est semblable au droit à la protection du secret de la valeur de sa maison, laquelle valeur ressort immanquable- ment des rôles d'impôt foncier, des opérations immobilières et des procédures d'expropriation.
L'espérance de droit à la vie privée est une question connexe. Les renseignements recherchés en l'espèce concernent des immeubles appartenant à une institution fédérale. Voilà qui
pourrait réduire l'espérance de droit à la vie privée, vu le principe généralement reconnu de la responsabilité du gouver- nement envers le Parlement pour ses activités, en particulier depuis la promulgation de la Loi sur l'accès à l'information. Mais, à la suite de la promulgation de la Loi sur la protection des renseignements personnels, l'espérance de droit à la vie privée serait plus élevée.
Un autre facteur est le préjudice dont pourraient souffrir les individus préoccupés par la violation de leur vie privée. Il n'est pas nécessaire de prouver l'existence ou même la possibilité d'un préjudice spécifique, mais la violation de la vie privée serait manifestement plus grave si elle se traduisait par un préjudice affectant réellement la personne dont la vie privée a été violée. Ce préjudice pourrait être l'opprobre, la disgrâce, le harcèlement, une perte d'argent, d'emploi ou d'amis, ou la mauvaise publicité. Comme il n'est pas facile de prédire les effets d'une violation de renseignements personnels, il est néces- saire de considérer non seulement le préjudice éventuel, mais aussi sa probabilité. [Affidavit du 21 octobre 1986 de la requérante, pièce 12 du dossier public de la demande, vol. I, pages 0059-60.I
La phrase soulignée du passage ci-dessus est confirmée par une note de service en date du 10 septembre 1981 au «personnel de la Direction de l'immobilier» de la CCN, dont copie jointe à titre de pièce T à l'affidavit de Bruce M. Anderson, signé le 18 février 1988 et versé au dossier public de la demande, vol. II, onglet 9, page 0472. Selon la pièce U de M. Anderson, la politique d'accès libre et facile de la CCN avait été limitée dans une certaine mesure par son chef des services finan ciers le 11 mars 1986, bien après que la requé- rante ne demandât communication de renseigne- ments jadis du domaine public.
En réponse aux demandes téléphoniques de loca- taires éventuels, la CCN annonce le loyer exigible pour tels ou tels lieux. Cette pratique a été confir- mée au cours du contre-interrogatoire de L. J. Prevost, dont la transcription est versée au dossier public de la demande, vol. IV, onglet 18, page 1156. II ressort en outre de la pièce 11 rela tive à son contre-interrogatoire que les annonces d'habitations à louer, parues dans les journaux de la région, indiquent presque universellement le loyer à payer par le locataire (dossier public de la demande, vol. VI, pages 1613 à 1642).
L'intimée et le Commissaire à la vie privée ne pouvaient prouver aucun préjudice véritable pour les locataires, et le témoin cité par la CCN a déclaré en contre-interrogatoire qu'il n'en connais- sait aucun à l'époque de la politique d'accès libre et facile. Il est entendu que vie privée est vie
privée, que la violation se traduise par un préjudice ou non. Cependant, la divulgation du loyer d'habi- tation payé par une personne à une institution fédérale n'a guère d'importance à côté d'une véri- table violation de la vie privée comme la divulga- tion d'un casier judiciaire, d'un adultère ou d'une maladie, pour ne citer que ces secrets, à part les déclarations d'impôt, que la plupart des gens ne tiennent pas à divulguer ou à voir divulgués.
Il faut aussi reconnaître que ces locataires, si tant est qu'ils existent, qui bénéficient de «contrats de faveur» malhonnêtes dont Mme Pigott, entre autres, a fait état à M. Howard et à la requérante, pourraient être fort embarrassés. D'un autre côté, ils pourraient, par leur «débrouillardise», «influence» ou «importance», susciter le respect et l'admiration chez les éléments matérialistes et hédonistes de notre société contemporaine. A la lumière des preuves, argumentations et délibéra- tions, la Cour conclut que le droit des locataires d'habitations de la CCN à la protection du secret du loyer qu'ils paient n'est assis sur aucun fonde- ment solide.
La requérante et la Commissaire à l'information sont d'avis opposés sur la question de savoir s'il faut nommer les locataires à propos des lieux qu'ils occupent. La Commissaire à l'information se con- tenterait de la divulgation des lieux loués et de leurs loyers respectifs. La requérante cherche à se faire communiquer tous les renseignements. Étant donné la pleine publicité réservée aux biens immo- biliers et à leurs propriétaires à travers le Canada, il ne serait pas raisonnable de protéger l'anonymat de ce petit groupe de locataires de la CCN. Par tous ces motifs, la Cour conclut comme la présidente de la CCN aurait conclure qu'une «violation de la vie privée» [des locataires de son institution] que «pourrait entraîner la divul- gation» serait d'importance négligeable, à la lumière d'une analyse subjective, et surtout objective.
Depuis des siècles, nul doute, comme l'auraient dit les gens avisés ainsi que les tribunaux eux- mêmes, que le loyer payé en espèces ou en nature par tel ou tel locataire à un bailleur privé ne regarde personne d'autre que les intéressés eux- mêmes. Avec l'avènement de la réglementation des loyers appliquée par les provinces, même ce
domaine des contrats privés a cédé le pas à la conception de l'intérêt public chez le législateur. La CCN n'est cependant pas un bailleur privé. Elle est chargée de la bonne administration de deniers et de biens publics. Ce fait seul signifie que le public a éminemment le droit de savoir exacte- ment comment des deniers et biens publics, confiés à la charge de la CCN, une institution, fédérale, sont administrés. Ce qui renforce encore cet intérêt public, au point il devient irrésistible, c'est la propagation par des notabilités de la rumeur que la CCN accorde à ses locataires des faveurs injusti- fiables, sinon malhonnêtes, laquelle propagation de rumeurs a été poussée au point d'exhorter un chroniqueur à les vérifier. C'est ce fait même qui ajoute tellement à l'intérêt public dans la divulga- tion que toute violation du droit ténu des locataires à la protection de leur vie privée n'a guère d'importance.
L'intérêt public dans la divulgation a été analysé en détail plus haut, en ce que la non-divulgation minerait la confiance du public, engendrerait la suspicion et le cynisme publics dans une société libre et démocratique qui est gravement, sinon mortellement, blessée par le cynisme public. Il est donc parfaitement clair dans ce contexte que l'in- térêt public dans la divulgation justifierait sans réserve toute violation de la vie privée que pourrait entraîner la divulgation.
Sa Seigneurie s'est penchée ensuite sur la question de savoir si les noms des locataires, leurs adresses et les loyers qu'ils paient consti tuent des «renseignements personnels». La requérante soutient que si certains locataires paient un loyer inférieur à ce qui est exigé d'habi- tations comparables, cela signifie que la CCN leur accorde un avantage financier facultatif, et que de ce fait les renseignements recherchés ne sont pas des renseignements personnels au sens de l'alinéa 31) de la Loi sur la protection des rensei- gnements personnels.
La Commissaire à l'information avait retenu les services d'un évaluateur immobilier pour donner son opinion sur le loyer que commanderaient sur le marché 30 immeubles de la CCN. Selon le rapport de l'évaluateur, les taux du marché étaient, dans 26 cas, supérieurs en moyenne de 65 p. 100 aux loyers exigés par la CCN. De son côté, un évaluateur engagé par la CCN rapportait
que 15 des 26 immeubles avaient un loyer infé- rieur aux taux du marché. La Commissaire à l'information a établi la preuve prima facie d'avan- tages financiers facultatifs accordés sous forme de loyers inférieurs aux taux du marché, ce qui exclut les renseignements recherchés par la requérante de la définition légale de «renseigne- ments personnels». Il était loisible à la CCN de rendre publique une explication valide de cette situation.
La preuve d'un avantage quantifiable n'est pas nécessaire sous l'optique d'une interprétation correcte de l'alinéa 31) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En concluant un contrat avec l'État (en l'occurrence un bail accordé par la CCN), les locataires se sont vu accorder un avantage financier facultatif. Il n'est pas nécessaire que le lien contractuel ne soit pas ordinaire ou honorable. En d'autres termes, des rapports contractuels entre un individu et une institution fédérale suffisent à faire tomber les renseignements y afférents dans le champ d'ap- plication de l'alinéa 31) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
En conséquence, la Cour a ordonné à la CCN de communiquer à la requérante les noms et adresses de ses locataires ainsi que le montant exact du loyer que chacun d'eux doit payer. La requérante s'est vu accorder frais sur la base procureur-client, et la Commissaire à l'informa- tion, les frais entre parties.
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