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T-2230-89
Edelbert Tetzlaff et Harold Tetzlaff (requérants) c.
Ministre de l'Environnement et Saskatchewan Water Corporation (intimés)
RÉPERTORIÉ: TETZLAFF c. CANADA (MINISTRE DE L'ENVIRON- NEMENT) (I" IN.ST.)
Section de première instance, juge Muldoon — Winnipeg, 23 janvier; Ottawa, 1e` février 1991.
Pratique Parties Intervention Le juge de première instance a rayé Sask. Water à titre d'intimée puisque l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale excluait les organismes provin- ciaux de la définition d'«office fédéral» La Cour d'appel l'a réintégrée dans sa qualité d'intimée Une distinction a été faite avec la jurisprudence sur laquelle s'est appuyée la Cour d'appel, si bien que cette jurisprudence n'a pas été suivie Sask. Water s'est encore une fois vu accorder la qualité d'intervenante pour défendre sa licence fédérale En l'espèce, l'intervention a été définie de manière à inclure le droit d'appel
Nécessité de modifier les textes législatifs La Cour donne des directives sur la manière d'instruire les instances intentées à l'avenir si aucune modification n'est apportée à la Loi sur la Cour fédérale, lorsqu'un titulaire d'une licence fédérale est à l'abri des procédures fondées sur l'art. 18.
Pratique Parties Jonction Lorsque l'art. 2 de la Loi
sur la Cour fédérale empêche le titulaire d'une licence fédérale d'être poursuivi en qualité d'intimé parce qu'il s'agit d'un organisme provincial, la Règle /716 ne s'applique pas par analogie aux termes de la Règle 5 puisque la Règle 1716 s'applique seulement à des actions.
Pratique Règle des «lacunes» La Cour d'appel a réintégré Sask. Water dans sa qualité d'intimée après qu'elle ait été rayée à ce titre pour le motif que les organismes provinciaux sont exclus de la définition d'«office fédéral» à
l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale La Règle 5 ne peut pas être invoquée lorsqu'une question est réglée par ailleurs
dans une disposition d'une loi du Parlement L'art. 2 prévoit que Sask. Water ne peut être poursuivie conformément à l'art. 18.
Juges et tribunaux Stare decisis Le juge de première
instance a rayé de son propre chef l'intimée pour le motif qu'il s'agissait d'un organisme provincial et non d'un «office fédé- ral» visé par l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale La
Section d'appel l'a réintégrée dans sa qualité d'intimée Le juge de première instance a une fois de plus ordonné que l'intimée putative soit autorisée à se joindre à l'action à titre
d'intervenante seulement Le juge de première instance était dans la position désagréable il devait, soit ne pas tenir compte d'un arrêt de la C.A.F., soit ne pas tenir compte d'une loi fédérale que les juges des deux sections sont assermentés pour maintenir La Cour d'appel a fondé sa décision sur un
arrêt antérieur de la C.A.F. prononcé per incuriam Une distinction a été faite avec la jurisprudence sur laquelle s'est appuyée la Cour d'appel, si bien que cette jurisprudence n'a pas été suivie.
En novembre 1989, la Cour a rayé de son propre chef Saskatchewan Water Corporation (Sask. Water) à titre d'inti- mée, laquelle était titulaire d'une licence fédérale du ministre intimé, du fait que l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale excluait de façon spécifique «un organisme constitué en vertu d'une loi provinciale» de la définition d'office fédéral. Sask. Water s'est vu accorder la qualité d'intervenante. En décembre 1990, la Cour d'appel a réintégré Sask. Water dans sa qualité d'intimée, en s'appuyant sur les arrêts Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.) et Adidas (Can.) Ltd. c. Skoro Enterprises Ltd., [1971] C.F. 382 (C.A.). Ce dernier arrêt a été interprété comme signifiant que toute personne à qui une ordonnance risque d'être défavorable peut être jointe comme partie à l'instance de manière à lui permettre d'obtenir toute réparation pouvant s'offrir à elle par voie d'appel de cette ordonnance. La Cour a donc été placée dans la position désagréable elle devait, soit ne pas tenir compte d'une décision unanime de la Section d'appel, soit ne pas tenir compte d'une loi du Parle- ment, laquelle est dénuée d'ambiguïté, alors que les juges des deux sections sont assermentés pour la maintenir.
Jugement: Sask. Water devrait se voir accorder la qualité d'intervenante.
Distinction a été faite avec l'arrêt Oldman River. Dans cette affaire, la Cour devait statuer sur la compétence à l'égard de la Couronne du chef de l'Alberta, laquelle n'est pas une entité créée par une loi provinciale mais plutôt une entité créée par la Constitution de façon concurrente avec la création de la pro vince de l'Alberta. L'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale pourrait être invoqué dans le cas de la Couronne provinciale, mais rien dans cet article ni ailleurs ne déroge à l'exception claire prévue à l'article 2 de ce qu'est un office fédéral, aux fins d'avoir qualité d'intimé dans une action intentée en vertu de l'article 18.
L'affaire Adidas semble avoir été tranchée per incuriam. La Cour d'appel fédérale n'a pas mentionné la définition prévue à l'article 2 d'un «office fédéral» et ses exceptions. Quoi qu'il en soit, une distinction devrait être faite avec cet arrêt car l'intimé putatif n'était pas un organisme comme un «office fédéral». En outre, la Cour a indiqué que les principes pour la jonction de parties que la Règle 1716 prescrit devraient être appliqués par analogie, conformément à la Règle 5. Cependant, la Règle 5 ne peut pas être invoquée lorsque la question est réglée par ailleurs dans une disposition d'une loi du Parlement. L'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit qu'un organisme comme Sask. Water ne peut pas être poursuivi conformément à l'article 18. La Règle 1716 ne s'appliquait pas puisqu'elle vise seulement les actions et non pas les requêtes ou autres instances. Une per- sonne physique ou morale sur laquelle la Cour ne pouvait pas exercer sa compétence dès le départ ne peut être mise en cause à titre d'intimée.
Sask. Water devrait être autorisée à se joindre à l'action à titre d'intervenante afin de défendre sa licence fédérale et de faire appel de toute ordonnance limitant ses droits en vertu de cette licence. Sask. Water a accepté de payer les dépens que la Cour pourra lui imposer. À défaut de règle particulière voulant que les requérants doivent payer les dépens à Sask. Water, ces derniers ne sauraient être tenus de payer les dépens de celle-ci. La Règle 5 permet à la Cour, dans cette situation d'interven- tion par nécessité, de déterminer la pratique et la procédure par
analogie avec les autres dispositions de ces règles ou avec la pratique en Saskatchewan. La seule jurisprudence citée portait sur le contrôle par la Cour sur ses propres instances. La Règle 1010, une règle en matière d'amirauté qui permet l'intervention dans une action in rem oblige la Cour à définir les droits de l'intervenante. Cette Règle, par le biais de la Règle 5, s'appli- querait en l'espèce de manière à permettre à Sask. Water d'en appeler d'une ordonnance défavorable qui porterait atteinte à ses droits en tant que titulaire d'une licence fédérale, en plus d'intervenir aux mêmes conditions que l'action initiale en vertu de l'article 18.
La Cour a reconnu la nature ad hoc de cette disposition, qui pallie l'absence de compétence légale de la Cour ainsi que la nécessité de régler par voie législative le problème qui risque probablement de se reproduire dans ce nouveau domaine du droit fédéral de l'environnement qui fait intervenir différents ressorts. La Cour ne devrait jamais plus exercer son pouvoir discrétionnaire de cette façon ad hoc. À l'avenir, si aucune modification n'est apportée à la Loi sur la Cour fédérale, lorsqu'un titulaire d'une licence fédérale est à l'abri des procé- dures fondées sur l'article 18, les requérants devraient signifier au titulaire de licence des copies de leur procédure en vertu de l'article 18, en temps opportun. Le titulaire de licence pourrait ensuite intenter une action parallèle en vertu de l'article 18 en vue d'obtenir un bref de prérogative à l'encontre de l'autorité fédérale et chercher en même temps à faire entendre sa demande fondée sur l'article 18 en parallèle avec la requête des requérants. Le titulaire de licence à l'abri serait alors une partie originale de plein droit.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5], art. 101.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 41a), 45.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 2, 18, 19, 25.
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
Adidas (Can.) Ltd. c. Skoro Enterprises Ltd., [1971] C.F. 382; (1971), 12 C.P.R. (2d) 67 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Friends of the Oldman River Society c. Canada (Minis- tre des Transports), [1990] 2 C.F. 18; (1990), 68 D.L.R. (4th) 375 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'environnement), [1990] 1 C.F. 595; (1989), 32 F.T.R. 81 (1" inst.); Fédération canadienne de la faune Inc. et autres c. Canada (Ministre de l'environne- ment) et Saskatchewan Water Corp. (1989), 31 F.T.R. 1
(C.F. U' inst.); Carruthers c. Comités de l'avortement thérapeutique, [1983] 2 C.F. 581; (1983), 1 Admin. L.R. 266 (1fe inst.); conf. par (1983), 6 D.L.R. (4th) 57; 4 Admin. L.R. 51; 50 N.R. 373 (C.A.F.); Halco Inc. c. Sandrin Brothers (1968) Ltd., A-582-85, C.A.F., juge Hugessen, J.C.A., jugement en date du 17/2/86, non publié; Fishing Vessel Owners' Assn. of B.C. c. P.G. Can. (1985), 1 C.P.C. (2d) 312; 57 N.R. 376 (C.A.F.).
DÉCISIONS CITÉES:
Union Oil Co. of Canada Ltd. c. La Reine, [1976] 1 C.F. 74; (1975), 72 D.L.R. (3d) 81 (C.A.); conf. par [1976] 2 R.C.S. v; Martinoff c. Gossen, [1978] 2 C.F. 537; (1978), 46 C.C.C. (2d) 368 (lr° inst.); Société canadienne de la Croix-Rouge c. Simpsons Limited, [1983] 2 C.F. 372; (1983), 70 C.P.R. (2d) 19 (U' inst.); Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1986] 2 C.F. 233; (1986), 1 C.I.P.R. 53; 9 C.P.R. (3d) 193; 1 F.T.R. 310 (1" inst.); Corporation of the City of Toronto c. Morencie, [1989] 1 R.C.S. vii; (1989), 104 N.R. 298.
DOCTRINE
Sgayias, David et al. Federal Court Practice 1990, Toronto: Carswell, 1990.
AVOCATS:
Allan W. Scarth, c.r., et Gordon H. A. Mac kintosh pour les requérants.
Craig J. Henderson pour le ministre de l'En- vironnement, intimé.
D. E. Gauley, c.r., C. Wheatley et R. G. Kennedy pour Saskatchewan Water Corpora tion, intervenante.
PROCUREURS:
Thompson, Dorfman & Sweatman, Winni- peg, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour le ministre de l'Environnement, intimé.
Gauley & Company, Saskatoon (Saskatche- wan) et Saskatchewan Water Corporation, Moose Jaw (Saskatchewan), pour Saskatche- wan Water Corporation, intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: À la convocation précé- dente de l'audience sur cette affaire, le 30 novem- bre 1989 [sub nom. Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environne- ment), [1990] 1 C.F. 595], la Cour a rayé de son propre chef la Saskatchewan Water Corporation
(ci-après désignée «Sask. Water») à titre d'intimée et, avec le consentement des autres parties et à la demande de Sask. Water, elle lui a accordé la qualité d'intervenante. Cette ordonnance, qui modifiait la qualité de Sask. Water, était fondée sur l'exclusion spécifique d'un organisme provin cial de toute désignation à titre d'«office fédéral», en vertu de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7. La Cour a alors fait remarquer que, n'eût été cette exclusion spécifique, Sask. Water, en tant que détentrice d'une licence fédérale du ministre intimé qui avait accepté d'obéir à toutes les lois pertinentes du Canada, pouvait très bien faire la preuve de son statut d'«office fédéral», afin d'être mise en cause comme intimée, conformément à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Cependant, comme Sask. Water est «un organisme constitué en vertu d'une loi provinciale», elle est exclue de façon spécifique de la désignation à titre d'«office fédéral» qui fait autrement et en grande partie l'objet unique des alinéas a) et b) de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
Vu l'appel à l'encontre de l'ordonnance sur le fond prononcée par la Cour, le 28 décembre 1989 [(1989), 31 F.T.R. 1 (C.F. 1fe inst.)], la formation particulière de la Section d'appel qui a entendu l'appel a réintégré Sask. Water à l'unanimité dans sa qualité d'intimée, d'après la note 10 de ses motifs de jugement unanimes (A-48-90), pronon- cés le 21 décembre 1990 [[1991] 1 C.F. 641]. La Section d'appel a ainsi procédé, non pas à sa propre initiative, mais à la demande de Sask. Water. C'était un geste extrêmement pratique de la part de cette formation de la Section d'appel et que le droit aurait prévoir depuis longtemps pour «la meilleure administration des lois du Canada», conformément à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5]].
Bien que l'article 19 de la Loi sur la Cour fédérale vienne à l'esprit parce que, de l'avis de l'avocat de Sask. Water, la législature de la Saskatchewan a adopté une loi pour respecter les termes de l'alinéa 19a), si ce n'est aussi de 19b), ces dispositions ne s'appliquent pas en l'espèce. La présente affaire se rattacherait, cependant, de
façon classique, à l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale, s'il n'y avait pas ces termes absolument clairs et impératifs d'exclusion de Sask. Water de l'instance, conformément à l'article 18, comme l'impose la désignation d'un «office fédéral», for- mulée de façon restrictive à l'article 2.
La décision de la Cour d'appel dans l'appel des frères Tetzlaff susmentionné place la présente Cour dans la position désagréable elle peut, soit ne pas tenir compte du tribunal unanime de la Section d'appel, soit ne pas tenir compte de la loi du Parlement, laquelle est dénuée d'ambiguïté. Le renvoi par lequel le tribunal a énoncé la réintégra- tion de Sask. Water dans sa qualité d'intimée est libellé comme suit la page 649]:
10 Par ordonnance rendue de son propre chef le 30 novembre 1989 [[1990] 1 C.F. 595 (1' inst.)], le juge Muldoon a rayé Sask. Water à titre d'intimée pour cause de défaut de compé- tence de la Cour, mais lui a permis de participer à titre d'intervenante et a modifié l'intitulé de la cause en consé- quence. Voir le Dossier d'appel, étiquette 4. Par avis de requête en date du 19 novembre 1990, Sask. Water a demandé à être partie à l'instance à titre d'intimée/appelante reconventionnelle; la Cour a fait droit à la requête en s'appuyant sur Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Trans ports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.), à la p. 52, et ordonné la modification de l'intitulé de la cause en conséquence. Sask. Water a également demandé à produire de nouvelles preuves sous le régime de la Règle 1102 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], mais cette demande a été rejetée.
Le passage mentionné dans les motifs de juge- ment unanimes de Oldman River [Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.)], à la page 52, est formulé comme suit:
LA COURONNE PROVINCIALE
Deu,ç questions doivent maintenant être discutées: celle de savoir si la Cour est compétente à l'égard de Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta en qualité d'intimée; et, en second lieu, celle de savoir si cette partie est à l'abri des dispositions de la Loi sur la protection des eaux navigables.
La compétence
Cette question a été soulevée devant notre Cour' sans l'avoir été devant la Section de première instance. Elle découle de la décision prononcée par la Section de première instance le 30 novembre 1989 dans l'affaire Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [[1990] 1 C.F. 595 (l" inst.)]. Il y a été conclu que la Cour n'était pas compétente à l'égard d'un des intimés parce que, en qualité d'organisme constitué et établi par les lois de la Saskatchewan, elle ne constituait pas un «office fédéral» au sens de la définition de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. La question en l'espèce consiste à savoir si Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta doit être considérée de la même façon, et si, en
conséquence, nous devrions conclure que notre Cour est sans compétence en ce qui concerne cette partie.
Ce point me semble avoir été réglé par cette Cour dans l'arrêt Adidas (Can.) Ltd. c. Skoro Enterprises Ltd., [197I] C.F. 382, que j'interprète comme concluant que toute personne à qui une ordonnance comme celle demandée en l'espèce risque d'être défavorable peut être jointe comme partie à l'instance «de manière à lui permettre d'obtenir toute réparation pouvant s'offrir à elle par voie d'appel de cette ordonnance». À mon avis, Sa Majesté du chef de l'Alberta comparaît régulièrement devant notre Cour en qualité de partie intimée.
Tout d'abord, il faut noter, et ceci n'est pas une simple technicalité, que la Couronne du chef de l'Alberta n'est pas une entité créée par une loi provinciale, quelle qu'elle soit, mais plutôt créée par la Constitution de façon concurrente avec la création, en 1905, de la province de l'Alberta. Chaque province a le pouvoir de modifier sa propre constitution (conformément à l'article 45 actuel de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]]), sauf en ce qui concerne la charge de lieutenant gouverneur (conformément à l'alinéa 41a) actuel), c'est-à-dire, l'agent de la Couronne. Une telle dis tinction entre la Couronne, du chef de la province, et un organisme comme Sask. Water, créé par une législation provinciale, est si marquée que, dans le cas de la Couronne provinciale, il est tout à fait probable que l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale pourrait être invoqué. Hélas, rien dans l'article 25, ni ailleurs, ne proclame qu'il déroge à l'exception claire de ce qu'est un office fédéral, pour avoir qualité d'intimé dans une action inten- tée en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
Ensuite, la décision annoncée au renvoi 10 doit être rapprochée de l'affaire Adidas (Can.) Ltd. c. Skoro Enterprises Ltd., [1971] C.F. 382 (C.A.), puisque le jugement dans l'affaire Oldman River, à la page 52, ne traite pas de la qualité pour agir d'un organisme créé par la législation provinciale, comme c'est le cas de Sask. Water. Dans l'affaire Adidas (précitée), la Section d'appel a déclaré que l'instance avait été intentée par Skoro en vue d'un mandamus ordonnant au sous-ministre du Revenu national d'admettre au Canada des chaussures appartenant à Skoro et détenues par des fonction- naires des douanes. La Cour a alors fait remarquer la page 383] que:
L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Division de première instance la compétence d'entendre une telle demande et la Règle 603 ... en donne la procédure.
On peut chercher en vain des indices selon lesquels la Cour, dans l'affaire Adidas, a invoqué la défini- tion et ses exceptions dans l'article 2 d'un «office fédéral» qui est l'objectif particulier de la répara- tion dans une action en vertu de l'article 18, d'après cet article même. On peut se demander quelle réparation en vertu de l'article 18, de la nature d'un mandamus, pourrait être accordée à l'encontre du concurrent du requérant, Adidas, et à quelle demande de réparation il faudrait faire appel pour répondre, en outre, à la réaction directe du sous-ministre mis en cause à bon droit. Avec le plus grand respect pour les juges qui composaient cette formation de la Cour d'appel fédérale, l'af- faire Adidas semble avoir été tranchée per incu- riam. Quoi qu'il en soit, l'intimé putatif n'était pas un organisme comme un «office fédéral» ni même encore Sask. Water.
En réalité, à la page 385, la Cour a indiqué que les principes particuliers pour la constitution de parties que la (Règle 1716) prescrit devraient être appliqués par analogie, conformément à la Règle 5. Cette Règle est présentée ci-après:
Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se pose une question non autrement visée par une disposition d'une Loi du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance générale de la Cour (hormis la présente règle), la Cour déter- minera (soit sur requête préliminaire sollicitant des instruc tions, soit après la survenance de l'événement si aucune requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et la procédure à suivre pour cette question par analogie
(a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
(b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des procédures semblables devant les tribunaux de la province à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des procédures,
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en l'espèce. [Non souligné dans le texte original.]
Il est clair, comme le dit la Règle 5, qu'il ne peut pas être invoqué lorsque la question est déjà réglée par ailleurs dans une disposition d'une loi du Parlement. Le fait que Sask. Water ne puisse pas être poursuivie conformément à l'article 18 est effectivement prévu à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, une loi authentique du Parlement. Il n'est pas nécessaire de beaucoup élaborer pour dire qu'une règle de la Cour qui déroge dans sa
nature, dans son fonctionnement ou dans son inter- prétation ou autrement contradictoire, à une loi du Parlement est, dans cette mesure, une règle ultra vires.
Quant à la Règle 1716, il est prévu une jonction des parties à l'action, comme il est noté à la page 734 de Federal Court Practice 1990 de Sgayias, Kinnear, Rennie & Saunders (Carswell) et cette jonction ne s'applique qu'[TRADUCTION] «à des actions et non pas à des requêtes ou autres instances». Ont été citées à l'appui les affaires Société canadienne de la Croix-Rouge c. Simp- sons Limited, [1983] 2 C.F. 372 (1fe inst.) (juge Mahoney [tel était alors son titre]); Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1986] 2 C.F. 233 (i re inst.) (juge Walsh), maintenue à l'unanimité sans motifs écrits par la Section d'appel (les juges d'appel Heald, Urie et Mahoney), (1986), 10 C.P.R. (3d) 288. La Règle 1716 n'a pas d'applica- tion en l'instance, conformément à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
Il existe une jurisprudence abondante dans la présente Cour pour dire que nul ne peut être ajouté à titre de partie intimée si la Cour n'est pas compétente en ce qui le concerne. Cette proposi tion semble être largement évidente car si la Cour ne peut pas exercer sa compétence sur une per- sonne physique ou morale dès le départ et, par conséquent, ne peut pas donner une réparation appropriée au requérant, l'intimé proposé ne peut pas être accueilli par la Cour, même s'il demande d'être mis en cause à titre d'intimé, comme le fait Sask. Water en l'instance.
La conséquence évidente de toute tentative de mise en cause d'une partie sur laquelle la Cour ne peut pas exercer sa compétence ressort de la déci- sion Union Oil Co. of Canada Ltd. c. La Reine, [1976] 1 C.F. 74 (C.A.) que la Cour suprême a maintenue avec les dépens [1976] 2 R.C.S. v. Tel était aussi le résultat obtenu par la demande fondée sur l'article 18 dans l'affaire Carruthers c. Comités de l'avortement thérapeutique, [1983] 2 C.F. 581 (1'e inst.) (juge Collier), maintenu à l'unanimité en appel, (1983), 6 D.L.R. (4th) 57, dans laquelle M. le juge Heald a écrit (aux pages 63 et 64):
Il ressort clairement du dossier que l'entité qui a créé le C.A.T. est le conseil d'administration de l'hôpital qui a adopté une résolution à cet effet. Le conseil d'administration tire ses
pouvoirs généraux des dispositions législatives provinciales et il est autorisé à adopter des résolutions par le droit général régissant les sociétés. Par conséquent, je partage l'avis du juge de première instance lorsqu'il dit: «Le pouvoir en vertu duquel le comité de l'avortement thérapeutique est créé et agit est attribué par une loi provinciale». Comme l'avocat des intimés, j'estime que lorsqu'on examine l'exception à la défintion de «office, commission ou autre tribunal fédéral» contenue à l'arti- cle 2 de la Loi sur la Cour fédérale, les pouvoirs du tribunal ne sont pas en cause car pour que ledit tribunal soit visé par cette définition, l'exercice ou l'exercice présumé de pouvoirs conférés par des lois fédérales est une condition préalable. Je conclus, par conséquent, que les arguments des appelants sur ce point doivent être rejetés.
J'estime que cet argument n'est pas fondé. Le C.A.T. est constitué et établi sous le régime de la loi de la Colombie- Britannique et, plus particulièrement, conformément aux dispo sitions de deux lois provinciales, la Societies Act et la Hospitals Act. La réglementation et le contrôle des hôpitaux est manifes- tement une question de compétence provinciale. Le fait de procurer des avortements est aussi une question qui relève des provinces et est soumise aux prohibitions prévues par le droit pénal. Par conséquent, j'estime qu'il n'existe aucun obstacle d'ordre constitutionnel à la nomination de comités de l'avorte- ment thérapeutique par les conseils d'administration des hôpi- taux dans une province.
Par ces motifs, je conclus que l'appel devrait être rejeté avec dépens.
Dans cette affaire, le comité et, ici, Sask. Water, ne sont pas des commissions fédérales, ou autres tribunaux fédéraux parce qu'ils sont spécifique-
ment exclus de la définition de ceux-ci, en des termes dénués de toute ambiguïté à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
La même conséquence est survenue dans l'af- faire Martinoff c. Gossen, [1978] 2 C.F. 537 (1 fe inst.), (juge Collier), confirmée sans motifs écrits par la Section d'appel, comme il est rapporté au (1979), 46 C.C.C. (2d) 368n. Il en a été de même dans l'affaire Halco Inc. c. Sandrin Brothers (1968) Ltd., A-582-85 (17 février 1986), M. le juge Hugessen a déclaré, au nom de la Cour unanime, dans une action le même principe s'est présenté [aux pages 1 et 2]:
L'intimé a intenté une action en dommages-intérêts par suite d'un incendie survenu pendant que l'appelante effectuait cer- tains travaux de réparation sur son navire. L'appelante soutient que les dommages sont imputables à un extincteur défectueux sur le navire, extincteur fourni par Toronto Fire Control Com pany Limited. La Division de première instance a rejeté la demande présentée par l'appelante en vue de constituer Toronto Fire Control partie défenderesse, d'où le présent appel.
L'appelante a demandé que Toronto Fire Control soit con- stituée défenderesse conformément à l'article 1716 des Règles
parce que, selon son avocate, un problème de compétence était susceptible de se poser si l'on procédait suivant la manière plus habituelle, c'est-à-dire en intentant des procédures relatives à tierce partie contre cette compagnie conformément à la Règle 1726.
Nous ne pouvons souscrire à ce raisonnement. Si effective- ment il se pose, entre la défenderesse et Toronto Fire Control, un problème de compétence tel que des procédures relatives à tierce partie ne puissent être intentées devant cette Cour, ce même problème empêcherait tout autant Toronto Fire Control d'être constituée défenderesse. La forme de procédures ne peut remédier aux prétendus défauts de compétence.
Il s'agit donc d'une situation la règle de droit, c'est-à-dire, l'article 2 de la Loi, est tout à fait claire mais ne rend pas justice au juste détenteur d'une licence fédérale, Sask. Water, parce que cette dernière se voit privée de la qualité pour agir à titre d'intimée aux termes de cette règle de droit dénuée de toute ambiguïté.
Sask. Water devrait être autorisée à se joindre à l'action afin de défendre sa licence fédérale et de faire appel, si elle le juge bon, de toute ordonnance limitant ses droits en vertu de la licence fédérale. Cette Cour serait compétente à cet égard, si seule- ment les termes mêmes de la loi du Parlement ne l'interdisaient pas de façon spécifique et ne l'ex- cluaient pas. Bien que la Loi sur la Cour fédérale ait récemment fait l'objet d'un examen du Parle- ment, la situation présentée ici dans le domaine du
droit fédéral de l'environnement qui connaît une expansion pourrait peut-être mériter une considér- ation spéciale et immédiate.
Dans ce cas, la Cour accordera une fois encore à Sask. Water la qualité pour agir à titre d'inter- ' venante. Sask. Water a, par le biais de son avocat, accepté de payer les dépens que la Cour pourra lui imposer. Ceci a été conclu au début de l'audience.
À défaut de règle particulière, cependant, vou- r lant que les requérants doivent payer les dépens à Sask. Water, lorsque leur demande fondée sur l'article 18 est convenablement formulée seule- ment à l'encontre du ministre, et ce n'est qu'à l'encontre du ministre qu'elle pourrait se voir accorder une réparation du type prévu à l'article 18, les frères Tetzlaff ne sauraient être tenus de payer les dépens de Sask. Water. Il s'agit d'un pis-aller.
La Règle 5 permet à la Cour dans cette situa tion d'intervention par nécessité (mais pas autre- ment, par l'exclusion de l'article 2 prévue dans la
Loi), de déterminer la pratique et la procédure par analogie avec les autres dispositions de ces Règles ou, en l'espèce, avec la pratique en Saskatchewan. Bien que la Cour l'ait prié de le faire, l'avocat n'a pas attiré l'attention de la Cour sur la pratique et la procédure analogues en vigueur en Saskatche- wan, mais il indique qu'aucune jurisprudence par- ticulière n'a été trouvée, si ce n'est sur le contrôle par la Cour sur ses propres instances.
Dans l'affaire Fishing Vessel Owners' Assn. of B.C. c. P.G. Can. (1985), 1 C.P.C. (2d) 312, M. le juge Addy, sur une requête présentée devant la Section d'appel de la présente Cour, a invoqué la Règle 5 pour permettre à la Pacific Gillnetters Association d'intervenir aux fins d'un appel à l'en- contre d'une ordonnance interlocutoire. Le juge Addy a fait l'analogie avec la Règle 1010, une règle en matière d'amirauté qui permet l'interven- tion dans une action in rem.
L'alinéa (3) prévoit que:
Règle 1010....
(3) Par ordonnance rendue en vertu de la présente Règle, ou par ordonnance subséquente contenant des ajoutés ou modifica tions aux instructions de cette ordonnance, la Cour devra définir quels sont, pour l'intervenant, les droits de participation à l'action.
Outre l'intervention aux mêmes conditions que l'action initiale en vertu de l'article 18 en novem- bre 1989, la Cour maintenant, par une ordonnance subséquente, définira le droit de Sask. Water de prendre part à l'instance en y ajoutant le droit d'appel d'une ordonnance défavorable qui viole ses droits prévus par sa licence fédérale.
La Cour reconnaît tout à fait la nature ad hoc de cette disposition qui, en fait, pallie la demande de Sask. Water, évidemment), l'absence de compétence légale claire et particuière de la Cour pour contrer l'intervention de Sask. Water, un «organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale» dans cette instance fondée sur l'article 18, aucune réparation ne peut être réclamée à l'encontre de Sask. Water, ni lui être accordée. Ce type de problème devrait être réglé par voie légis- lative. Quoi qu'il en soit, à moins que cette défini- tion des droits de Sask. Water à prendre part au présent litige ne soit radiée par la Section d'appel qui, après tout, a défié la disposition définissant l'«office fédéral» déjà pour le compte de cette intervenante, alors les difficultés extraordinaires
posées à Sask. Water à cause du texte législatif clair et dénué de toute ambiguïté seront résolues dans le présent litige. Cette disposition ne sera pas nécessairement valable si Sask. Water demande une_ autre autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada: Corporation of the City of Toronto c. Morencie, [1989] 1 R.C.S. vii.
La disposition ci-dessus peut sembler être, pour certains, une distinction futile. Dans un sens, il s'agit d'une solution sémantique, mais, quoi qu'il en soit, tous les juges des deux sections de la Cour sont assermentés pour maintenir le principe de primauté du droit, et cela signifie que les juges ne peuvent simplement défier un impératif de la loi qu'ils jugent peu pratique, même si tel est le cas, et, dans les circonstances, que ce soit la source de conséquences malheureuses.
La Cour, quand elle a exercé son pouvoir inhé- rent de contrôler sa propre procédure et ses pro- pres instances, en l'espèce, admet qu'il n'existe que peu de précédents, si tant est qu'il y en ait, dans le domaine particulier du droit fédéral de l'environ- nement qui fait intervenir différents ressorts. Cependant, même si la Loi sur la Cour fédérale n'était pas modifiée pour régler le problème mis en évidence en l'espèce, ce que les requérants ne reconnaissent pas comme tel, il devrait s'agir de la dernière occasion la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de cette façon ad hoc. Voici ce qui devrait transpirer dans les questions à venir le titulaire d'une licence fédérale est à l'abri des procédures fondées sur l'article 18, comme Sask. Water en l'espèce. Les requérants, soit spontanément, soit à la demande de la Cour, devraient signifier au titulaire de licence des copies de leur procédure en vertu de l'article 18, en temps opportun. Puis, le titulaire de licence, s'il en est avisé, pourrait lui-même intenter une action paral- lèle en vertu de l'article 18 à l'encontre de l'auto- rité fédérale, pour obtenir, disons, un mandamus ou une prohibition composé ou configuré selon une formulation convenable qui ne soit limitée que par l'imagination, la résistance et la débrouillardise de l'avocat du titulaire de licence. Ce dernier cherche- rait, en même temps, à faire entendre sa demande fondée sur l'article 18 en parallèle avec la requête des requérants. Dans de telles circonstances, le titulaire de licence à l'abri serait une partie origi- nale de plein droit, un requérant, à part entière, et
le problème identifié ici serait réglé. Cela, semble- t-il maladroit et filandreux? C'est vrai; mais, sauf si la Loi est modifiée, il vaut mieux allumer une chandelle que de maudir les ténèbres.
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