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A-48-90
Edelbert Tetzlaff et Harold Tetzlaff (appelants/ intimés au reconventionnel)
c.
Ministre de l'Environnement (intimé)
et
Saskatchewan Water Corporation (intimée/appe- lante au reconventionnel)
RÉPERTORIÉ: FÉDÉRATION CANADIENNE DE IA FAUNE INC. C. CANADA (MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT) (CA.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci, juges Urie et Linden, J.C.A.—Winnipeg, 22 et 23 novembre; Ottawa, 21 décembre 1990.
Environnement Projet Rafferty-Alameda Le ministre de l'Environnement a délivré le permis pour la construction des barrages sans constituer une commission pour entrepren- dre l'examen public des effets environnementaux Le rapport de l'évaluation environnementale initiale a conclu à certains effets environnementaux néfastes et diverses mesures d'atté- nuation possibles Le juge de première instance a ordonné la constitution d'une commission avant une certaine date, à défaut de quoi le permis serait annulé L'art. 12c) du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement (Lignes directrices) dis pense de l'examen environnemental si les effets néfastes sont «minimes» ou «peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues» Ces deux termes sont équiva- lents Les Lignes directrices ne prévoient aucune obligation, expresse ou implicite, d'attendre le rapport de la commission d'enquête avant de délivrer le permis La responsabilité politique est la sanction du défaut d'attendre le rapport.
Contrôle judiciaire Appel et appel reconventionnel contre l'ordonnance par laquelle le juge de première instance a enjoint au ministre de l'Environnement de constituer une com mission d'examen de l'évaluation environnementale dans un certain délai sous peine d'annulation du permis de construire les barrages Jugé que le ministre a mal interprété l'art. 12c) du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'éva- luation et d'examen en matière d'environnement L'évocation du rapport de l'évaluation environnementale initiale ne visait pas à se mettre à la place du ministre après coup, mais à appliquer aux faits l'interprétation juridique correcte de l'art. 12e) Il n'y a pas eu application de la mauvaise norme de contrôle judiciaire.
Appel et appel reconventionnel contre une ordonnance enjoi- gnant au ministre de l'Environnement de constituer, conformé- ment au Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement et au 30 janvier 1990 au plus tard, une commission chargée d'entrepren- dre l'examen public de certains effets environnementaux du projet de barrage Rafferty-Alameda, faute de quoi le permis de construction délivré à la Saskatchewan Water Corporation (Sask. Water) en application de la Loi sur les ouvrages desti-
nés à l'amélioration des cours d'eau internationaux serait annulé. Le projet consistait en la construction de deux barrages. Selon le rapport de l'évaluation environnementale initiale (REI), les changements que provoquerait le projet dans les débits et les niveaux des lacs devaient avoir certains effets environnementaux néfastes, avec diverses mesures d'atténuation disponibles. Des audiences publiques ont eu lieu en Saskatche- wan, au Manitoba et au Dakota du Nord. À la lumière du REI et des audiences publiques, le ministre a conclu à la possibilité d'atténuer presque entièrement la plupart des incidences néga- tives et a délivré le permis sans constituer une commission chargée d'entreprendre un examen public. L'alinéa 12c) des Lignes directrices prévoit qu'une proposition peut être entre- prise si les effets qu'elle peut avoir sur l'environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues. Le juge de première instance a examiné la documentation sur laquelle était fondée la décision du ministre, dont le REI. Il a relevé les divers effets environnementaux et analysé les insuffisances d'information qui rendaient douteuses certaines conclusions. En outre, le juge Muldoon a examiné certaines assertions contenues dans le REI au sujet des possibi- lités d'atténuation. Enfin, il a interprété les dispositions des Lignes directrices relatives à l'examen public et appliqué cette interprétation aux faits dont il avait été saisi. Il a conclu que la décision du ministre de ne pas constituer une commission conformément aux articles 20 32 des Lignes directrices était illicite. Les appelants soutiennent que le juge de première instance a eu raison d'ordonner l'observation des Lignes direc- trices par la constitution d'une commission, mais qu'il aurait annuler sans conditions le permis. Ils soutiennent qu'il ressort des articles 3, 18, 31 et 33 des Lignes directrices que le ministre doit attendre le rapport de la commission avant de délivrer le permis. Sask. Water fait valoir que le juge de première instance a mal interprété les mots «peuvent être atténués par l'applica- tion de mesures techniques connues» figurant à l'alinéa 12c) des Lignes directrices; que si on interprète cette dernière disposition à la lumière de l'article 14, les mesures d'atténuation ne doivent pas nécessairement éliminer tout effet néfaste potentiel pour tomber dans le champ d'application de l'alinéa 12c); et qu'il suffirait que le ministre conclue qu'elles peuvent empêcher les effets néfastes de prendre de l'ampleur. Sask. Water soutient aussi que le juge de première instance a appliqué la norme de contrôle judiciaire qui ne convenait pas à l'avis et aux conclu sions sur les faits du ministre au sujet du projet, et qu'au lieu de se limiter à la question de savoir si le ministre avait commis une erreur de droit ou de compétence, il a exercé à tort un contrôle au fond de ces conclusions. Il échet d'examiner si les Lignes directrices exigent non seulement que la proposition soit sou- mise à l'examen public par une commission, mais aussi que le ministre prenne en considération le rapport de cette dernière avant de délivrer le permis; et aussi si le juge de première instance a appliqué la norme de contrôle judiciaire qui ne convenait pas.
Arrêt: l'appel principal et l'appel reconventionnel doivent être rejetés.
Le juge de première instance a correctement interprété l'ali- néa 12c) et a conclu à juste titre que l'interprétation et la conclusion qu'en tirait le ministre étaient erronées. Les deux fondements, prévus à l'alinéa 12c), de la question de savoir si l'examen public est justifié doivent être interprétés de la même façon, savoir que les mots «peuvent être atténués par l'applica-
tion de mesures techniques connues» doivent être équivalents•à «minimes» sans l'application de mesures techniques connues. Les mots «peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues» doivent être interprétés comme signifiant «peuvent être rendus minimes par l'application de mesures techniques connues». Ainsi l'alinéa 12c) n'envisage que deux catégories: effets importants et effets minimes. Il ne saurait y avoir une troisième catégorie d'effets «moins qu'importants», qu'il serait impossible de déterminer de façon logique. Si un effet n'est pas minime, il est par définition important, et ce n'est qu'en cas d'effets minimes ou rendus minimes par l'appli- cation de mesures techniques connues qu'on peut se dispenser d'un examen public. Si pareille interprétation signifie que l'examen public sera obligatoire dans presque tous les cas, il s'agit d'une conséquence naturelle des mots choisis, qui sert aussi à souligner l'importance de l'examen public en la matière. L'article 14 fait aux ministères responsables l'obligation de s'assurer que les mesures d'atténuation sont prises «pour empê- cher que les effets néfastes potentiels prennent de l'ampleur». Comme il n'y a que les effets importants et les effets minimes, «empêcher que les effets néfastes ... prennent de l'ampleur» signifie que les mesures d'atténuation et d'indemnisation doi- vent être prises de manière à rendre «minimes» les effets néfastes. Comme le ministre ne pouvait invoquer l'alinéa 12c), les effets environnementaux dont s'agit tombaient sous le coup de l'alinéa 12e), et peut-être aussi des alinéas 12b) et d), qui prévoient tous l'examen public par une commission.
Aucune disposition des Lignes directrices ne prévoit expres- sément ou implicitement l'obligation de ne pas délivrer le permis avant que la commission n'ait présenté son rapport à l'issue d'un examen public. L'article 31, qui prévoit pour la commission l'obligation de soumettre à la décision des ministres compétents un rapport contenant ses conclusions et recomman- dations, lui fait donc l'obligation de rédiger et de soumettre un rapport, mais ne prévoit pas que les ministres intéressés doivent attendre ce rapport. L'article 32, qui habilite le Bureau à
«modifier» les exigences énoncées aux articles 21 31 lorsque des «circonstances spéciales» l'exigent, montre que les disposi tions relatives aux commissions ne sont pas destinées à une application obligatoire puisqu'elles peuvent être modifiées par le Bureau. Ce qui est impératif, c'est qu'une commission soit constituée et on espère qu'elle fera son rapport avant que des décisions irrévocables ne soient prises. La sanction pour le défaut d'attendre le rapport est la responsabilité politique. Les articles 21 32 visent à la participation du public, mais celle-ci n'est pas suffisamment élevée pour empêcher ou limiter des décisions ministérielles qui pourraient être fondées sur un inté- rêt public plus important que celui représenté par le fait d'attendre le rapport de la commission.
Le juge de première instance n'a pas appliqué une mauvaise norme de contrôle judiciaire. Il a évoqué les conclusions du REI, non pas pour se mettre à la place du ministre après coup, mais pour examiner si le ministre, lorsqu'il décidait s'il y avait lieu ou non de constituer une commission d'examen public du projet, s'était fourvoyé sur le principe à observer, s'était fondé sur des considérations juridiques non pertinentes ou avait excédé sa compétence. L'objet en était d'appliquer aux faits de la cause l'interprétation juridique correcte de l'article 12, qu'il avait faite auparavant. Ayant mal interprété l'article 12, le ministre a fondé son action sur le principe qu'il ne fallait pas.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467, art. 2, 3, 6, 10, 11, 12, 13, 14, 18, 31, 32, 33.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18.
Loi sur le ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985), chap. E-10, art. 2, 4, 5, 6.
Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux, L.R.C. (1985), chap. I-20, art. 2, 4,5,6.
Règlement sur l'amélioration des cours d'eau internatio- naux, C.R.C., chap. 982 (mod. par DORS/87-570), art. 10.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1102.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Naskapi-Montagnais Innu Assn. c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1990] 3 C.F. 381 (1`e inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1989] 3 C.F. 309; [1989] 4 W.W.R. 526; (1989), 37 Admin. L.R. 39; 3 C.E.L.R. (N.S.) 287; 26 F.T.R. 245 (1' inst.); Féd. can. de la faune Inc. c. Can. (Min. de l'Environnement), [1990] 2 W.W.R. 69; (1989), 38 Admin. L.R. 138; 4 C.E.L.R. (N.S.) 1; 27 F.T.R. 159; 99 N.R. 72 (C.A.F.); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18; (1990), 68 D.L.R. (4th) 375 (C.A.); Re Braeside Farms Ltd. et al. and Treasurer of Ontario et al. (1978), 20'O.R. (2d) 541; 88 D.L.R. (3d) 267; 5 M.P.L.R. 181; 4 R.P.R. 165 (C. Div.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Fédération canadienne de la faune Inc. et autres c. Canada (Ministre de l'Environnement) et Saskatchewan Water Corp. (1989), 31 F.T.R. 1 (C.F. 1`e inst.); Tetzlaff c. Canada (Ministre de l'Environnement), T-2230-89, juge Muldoon, motifs de l'ordonnance en date du 1-2-91 et motifs supplémentaires en date du 4-2-91, C.F. lfe inst., encore inédits; Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1990] .1 C.F. 595; (1989), 32 F.T.R. 81 (lie inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Association des consommateurs du Canada c. Le procu- reur général du Canada, [1979] 1 C.F. 433; (1978), 87 D.L.R. (3d) 33 (1fe inst.); Bakery and Confectionery Workers International Union of America, Local No. 468 et al. v. White Lunch Ltd. et al., [1966] R.C.S. 282; (1966), 56 D.L.R. (2d) 193; 55 W.W.R. 129; Re Rush and Township of Scugog et al. (1978), 21 O.R. (2d) 592; 92 D.L.R. (3d) 143; 7 M.P.L.R. 196; 9 O.M.B.R. 21
(H.Ct.); Rowley v. Petroleum and Natural Gas Conser vation Board, [1943] 1 W.W.R. 470 (C.S. Alb.); Mon- santo Canada Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture) (1988), 20 C.P.R. (3d) 193; 83 N.R. 279 (C.A.F.).
DOCTRINE
Shorter Oxford English Dictionary, vol. II, Oxford: Cla- rendon Press, 1970, «mitigable», «mitigate».
AVOCATS:
Alan W. Scarth, c.r., et Gordon H. A. Mac kintosh pour les appelants (intimés au reconventionnel).
Brian J. Saunders et Craig J. Henderson pour l'intimé.
D. E. Gauley, c.r., R. G. Kennedy, C. Wheat- ley et D. Wilson pour l'intimée (appelante au reconventionnel).
PROCUREURS:
Thompson, Dorfman, Sweatman, Winnipeg, pour les appelants (intimés au reconvention- nel).
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Gauley & Company, Saskatoon (Saskatche- wan), pour l'intimée (appelante au reconven- tionnel).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: Appel a été interjeté par deux frères, Edelbert et Harold Tetz- laff (les «appelants»), et appel reconventionnel interjeté par la Saskatchewan Water Corporation («Sask. Water»), de l'ordonnance' en date du 28 décembre 1989 [(1989), 31 F.T.R. 1] par laquelle le juge Muldoon enjoignit au ministre de l'Envi- ronnement (le «ministre») de constituer une Com mission d'évaluation environnementale (la «com- mission») conformément au Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement (les «Lignes directrices») Z, afin d'entreprendre un examen public de certains effets environnementaux (dont la liste figure autre part) du projet de barrage Rafferty-Alameda (le «projet»). Par la même
' Dossier d'appel, vol. 1, étiquette 2.
2 Enregistrement DORS/84-467, 21 juin 1984.
ordonnance, le juge Muldoon a décidé que, faute par le ministre de constituer la commission au 30
janvier 1990 17 heures au plus tard, le permis délivré, en application de la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau interna- tionaux («LODACEI») 3 , par ce dernier à Sask. Water pour entreprendre le projet serait annulé.
Pour simplifier, les appelants soutiennent que le juge Muldoon était correct dans son analyse, mais qu'il n'est pas allé assez loin car il aurait annuler le permis sans conditions afin que la com mission puisse effectuer son examen et rendre compte au ministre conformément aux Lignes directrices avant que ne soit délivré le permis en question. De son côté, Sask. Water fait valoir, par appel reconventionnel, que le juge Muldoon est allé trop loin et que son ordonnance devrait être infirmée ou, à titre subsidiaire, que l'appel princi pal devrait être rejeté.
L'interprétation à donner des Lignes directrices est au coeur des points soulevés dans l'appel princi pal et l'appel reconventionnel. La décision sur ces questions revêt une importance considérable non seulement pour les parties et un grand nombre d'intéressés, mais aussi pour la portée et les effets de la législation et de la réglementation fédérales en matière de protection écologique. Malgré l'im- portance des questions environnementales dont la Cour est saisie, l'avocat représentant le ministre l'a informée qu'il ne prenait position à l'égard ni de l'appel principal ni de l'appel reconventionnel, étant apparemment satisfait de la décision du juge Muldoon et disposé à se soumettre aux conclusions de la Cour.
Les faits de la cause
Le bassin de la rivière Souris est formé d'un réseau de cours d'eau qui prennent leur source en Saskatchewan, traversent une partie du Dakota du Nord puis remontent au Manitoba pour se jeter dans le lac Winnipeg. C'est en particulier la course de la rivière Souris: elle prend sa source en Saska- tchewan, descend au Dakota du Nord puis remonte au Manitoba elle se jette dans la rivière Assiniboine. À l'instar des autres «rivières de prairie», son débit dépend des précipitations, de la fonte des neiges au printemps et des pluies pendant les autres saisons de l'année, ce qui expli-
3 L.R.C. (1985), chap. I-20.
que qu'il y a souvent soit inondation soit séche- resse. Il s'ensuit que les installations de retenue, d'emmagasinage et de distribution d'eau ont fait l'objet de discussions et de plans depuis plusieurs années.
Le 12 février 1986, M. Grant Devine, premier ministre de la Saskatchewan, annonça que cette province entreprendrait le projet, dont la construc tion de deux barrages: le barrage de Rafferty sur la rivière Souris près de la ville d'Estevan, et le barrage d'Alameda sur la rivière Moose Mountain, qui se jette dans la Souris près d'Alameda. Ce projet avait pour objet la prévention des inonda- tions en Saskatchewan, au Dakota du Nord et au Manitoba, l'amélioration des installations de sports aquatiques et de l'équipement d'irrigation, la sécurité de l'approvisionnement en eau régional et municipal, et la fourniture de l'eau de refroidis- sement à la centrale thermique de Shand, en cours de construction près d'Estevan.
Le gouvernement de la Saskatchewan a mis sur pied la Souris Basin Development Authority («SBDA»), société de la Couronne chargée de pla- nifier, de mettre en oeuvre et d'administrer le projet pour le compte de Sask. Water, qui est une autre société de la Couronne. SBDA a rendu public un énoncé provincial des incidences environ- nementales. Par la suite, une commission d'en- quête a été instituée pour examiner le projet et faire des recommandations au ministre de l'Envi- ronnement et de la Sécurité publique de la Saska- tchewan, lequel a enfin donné l'autorisation d'en- treprendre le projet sous certaines conditions. Le 23 février 1988, Sask. Water a donné à la SBDA son accord pour commencer la construction du barrage de Rafferty.
Le 17 juin 1988, le ministre, en application de la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux, accorda à Sask. Water le permis pour le projet, après avoir conclu que l'examen, fait par Environnement Canada, de l'exposé des incidences environnementales de la Saskatchewan, ainsi que les conditions attachées au permis délivré par la province, étaient suffisants pour protéger les intérêts de l'État fédéral dans le cadre de ce projet.
Cependant, le permis fédéral a été annulé par ordonnance en date du 10 avril 1989 du juge
Cullen, avec mandamus portant obligation pour le ministre de se conformer aux Lignes directrice". La Cour de céans a confirmé la décision du juge Cullen à cet égard'.
Le ministre a pris alors les mesures suivantes pour se conformer aux Lignes directrices:
(1) Projet d'évaluation environnementale ini- tiale préparé et rendu public en juin 1989;
(2) Processus de consultation publique sous la présidence d'un modérateur impartial et destiné à recueillir l'opinion du public sur le projet d'évaluation environnementale initiale;
(3) Préparation du rapport final de l'évaluation environnementale initiale («REI») 6 en août 1989.
Le REI était destiné à fournir les données qui, conjuguées avec les observations du public, pour- raient permettre au ministre de décider s'il y avait lieu d'accorder un second permis conformément aux Lignes directrices'. Des audiences publiques eurent lieu en Saskatchewan, au Manitoba et au Dakota du Nord, et des mémoires écrits ont été reçus.
Le 31 août 1989, le ministre a accordé, en application de la LODACEI, un second permis pour la mise en oeuvre du projet sous réserve de l'application de certaines mesures d'atténuation. Au cours d'une conférence de presse donnée le 31 août 1989, le ministre aurait expliqué les raisons pour lesquelles il avait décidé d'accorder le permis
Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1989] 3 C.F. 309 (l'a inst.). Le juge Cullen a conclu que ce projet avait des répercussions environne- mentales sur plusieurs questions de compétence fédérale: rela tions internationales, écoulement transfrontalier des eaux, oiseaux migrateurs, affaires interprovinciales et pêches (p. 323).
Féd. can. de la faune Inc. c. Can. (Min. de l'Environne- ment), [1990] 2 W.W.R. 69 (C.A.F.).
6 Le rapport final de l'évaluation initiale comprend trois volumes: Rapport technique (vol. I), Processus de consultation publique (vol. 11), Rapport du modérateur (vol. III). Le REI était joint à titre de pièce à la déposition en date du 16 octobre 1989 de Gordon H. A. Mackintosh (pièce A) et à celle en date du 6 novembre 1989 de Denis A. Davis (pièce D). Voir les étiquettes 8 et 11 respectivement du Dossier d'appel.
7 Voir le REI, volume 1, chap. 12-1.
et de ne pas constituer une commission d'examen public en application des Lignes directrices'. Après avoir parlé du REI et des audiences publi- ques présidées par le modérateur, qu'il qualifiait d'expert-conseil, le ministre a abordé la question de savoir si le projet aurait d'importants effets environnementaux néfastes qui ne pourraient être atténués. Il a déclaré ce qui suit:
À la lumière des avis que m'ont fournis les meilleurs experts du gouvernement fédéral et en tenant compte des conclusions du rapport de M. Millard [le modérateur], je suis convaincu de la possibilité d'atténuer entièrement la plupart des incidences négatives de ce projet sur l'environnement 9 .
Ce bref aperçu nous amène à la décision du juge Muldoon, qui fait l'objet de l'appel principal et de l'appel reconventionnel.
La décision de l'instance inférieure
Deux demandes fondées sur l'article 18 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] furent intentées en première instance contre le permis: Fédération canadienne de la faune Inc. et autres c. Canada (Ministre de l'Environnement) et Saska- tchewan Water Corp. (1989), 31 F.T.R. 1 (C.F. lie inst.) et Tetzlaff c. Canada (Ministre de l'Envi- ronnement), T-2230-89 [C.F. ire inst., le juge Muldoon, ordonnance en date du 1-2-91 et ordon- nance supplémentaire en date du 4-2-91, encore inédites] 1 0. L'une et l'autre demandes visaient à un recours extraordinaire consistant, en une ordon- nance de certiorari portant annulation du permis délivré par le ministre à Sask. Water en applica-
8 L'annexe I du mémoire des points de fait et de droit de Sask. Water est un document intitulé «Speech Discours», Notes pour la déclaration de l'honorable Lucien Bouchard, ministre de l'Environnement, 31 août 1989.
9 Idem, à la p. 2.
19 Par ordonnance rendue de son propre chef le 30 novembre 1989 [[1990] 1 C.F. 595 (1 inst.)], le juge Muldoon a rayé Sask. Water à titre d'intimée pour cause de défaut de compé- tence de la Cour, mais lui a permis de participer à titre d'intervenante et a modifié l'intitulé de la cause en consé- quence. Voir le Dossier d'appel, étiquette 4. Par avis de requête en date du 19 novembre 1990, Sask. Water a demandé à être partie à l'instance à titre d'intimée/appelante reconventionnelle; la Cour a fait droit à la requête en s'appuyant sur Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Trans ports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.), à la p. 52, et ordonné la modification de l'intitulé de la cause en conséquence. Sask. Water a également demandé à produire de nouvelles preuves sous le régime de la Règle 1102 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], mais cette demande à été rejetée.
tion de la LODACEI, et en une ordonnance de mandamus portant obligation pour le ministre de se conformer aux Lignes directrices en constituant une commission chargée de l'examen du projet, et de se conformer à ce décret à tous autres égards. Bien que les intérêts des requérants respectifs ne fussent pas les mêmes, en particulier du fait que les frères Tetzlaff cherchent au premier chef à faire annuler le permis du ministre dans la mesure il porte sur le barrage d'Alameda prévu sur la rivière Moose Mountain ", le juge de première instance a prononcé les mêmes motifs à l'égard des deux demandes.
À la lumière des faits de la cause, le juge de première instance a conclu qu'il s'agissait d'exami- ner si le ministre s'était conformé aux Lignes directrices en décidant d'accorder le permis à Sask. Water ou, plus spécifiquement, si, en omet- tant de constituer une commission conformément aux articles 20 32 du même décret, il avait agi de façon illicite.
Pour répondre à cette question, le juge de pre- mière instance devait déterminer quelles étaient les règles de droit applicables aux faits de la cause. En ce qui concerne ces derniers, le REI était de la plus haute importance puisque, comme indiqué plus haut, le ministre s'y était fondé pour décider d'ac- corder le permis en application des Lignes directrices.
Selon le REI, le changement que provoquerait le projet dans les débits et les niveaux des lacs dans le bassin de la rivière Souris devait avoir les consé- quences environnementales néfastes suivantes, avec diverses mesures d'atténuation disponibles 12 :
Effets importants
(1) réduction du débit en aval, ce qui aggrave encore la mauvaise qualité de l'eau de la rivière Souris et en réduit la valeur ludique;
(2) importants effets néfastes sur la reproduction des oiseaux aquatiques en Saskatchewan et au Dakota du Nord;
" Les frères Tetzlaff sont propriétaires à Alameda d'une exploitation agricole de quelque 1 120 acres, qui appartient à la famille depuis 1942 et qu'ils exploitent depuis 1949.
12 REI, vol. 1, iii à v.
(3) la réduction des débits entrant au Dakota du Nord et les effets connexes sur la qualité de l'eau se traduiraient par un déclin et l'élimination possi ble de la population de poissons du lac Darling, au Dakota du Nord;
(4) pertes en matière d'habitat de poissons en Saskatchewan et au Manitoba;
(5) perte de pâturages domaniaux fédéraux du fait des bassins de retenue du projet;
(6) importants effets néfastes sur des espèces végétales et animales rares et en danger;
(7) effets sur la navigation. Effets modérés
(1) les vidanges des bassins de retenue auraient, de façon intermittente, des répercussions sur la qualité de l'eau en aval;
(2) les niveaux de mercure dans la chair de pois- son s'élèveraient dans les bassins de retenue et peut-être aussi en aval;
(3) l'inondation de la vallée de la rivière Souris par le bassin de retenue de Rafferty réduirait l'habitat critique et les populations locales du pinson de Baird, qui est une espèce menacée d'extinction.
Le REI analyse ensuite ces répercussions envi- ronnementales en Saskatchewan, au Dakota du Nord et au Manitoba et relève les insuffisances des données, comme suit 13 :
[TRADUCTION] Insuffisances des données
La préparation de ce REI a été surtout fondée sur la documen tation antérieurement établie par le promoteur du projet (SBDA), d'autres organismes provinciaux de la Saskatchewan, des organismes fédéraux et d'Etat des États-Unis, des organis- mes du Manitoba, Environnement Canada et d'autres organis- mes de l'administration fédérale. Certaines données et informa- tions supplémentaires ont été compilées en matière d'hydrologie, de qualité de l'eau, d'espèces rares et en danger,
et d'oiseaux migrateurs.
Le manque de données et d'informations à l'égard de certains sujets de préoccupation a limité l'évaluation du projet. Les principales faiblesses sont caractérisées ci-dessous comme étant de grande ou de moyenne importance.
13 REI, vol. 1, ix.
Le REI relève neuf «insuffisances graves» et quatre «insuffisances modérées» en matière de données.
Le juge Muldoon a examiné à juste titre les conclusions du REI dans lesquelles il voyait l'expli- cation du ministre de ne pas constituer une com mission et de délivrer le permis en cause. Ce faisant, il a fait observer que la classification des effets environnementaux «modérés» dans l'évalua- tion initiale n'était pas prévue aux Lignes directrices 14 . En outre, il a relevé les divers effets environnementaux et insuffisances d'information susmentionnées qui rendaient douteuses certaines conclusions. Il a également examiné certaines assertions contenues dans le rapport d'évaluation initiale au sujet des possibilités d'atténuation des effets environnementaux. Il a examiné ces effets, insuffisances et mesures d'atténuation à la lumière de l'interprétation qu'il jugeait correcte des Lignes directrices. En fait, cette interprétation, qui sera examinée plus loin, est au coeur du litige.
En résumé, le juge de première instance a exa- miné les données sur lesquelles le ministre s'était fondé pour délivrer le permis; il a relevé les «importants effets environnementaux néfastes» visés aux Lignes directrices et consignées dans le rapport d'évaluation initiale et les documents con- nexes; il a analysé les insuffisances d'information qui rendaient douteuses certaines conclusions; il a interprété d'une certaine manière les dispositions des Lignes directrices relatives à l'examen public et appliqué cette interprétation aux faits dont il avait été saisi, et conclu que la décision du ministre de ne pas constituer une commission était illicite; il a rendu une ordonnance de mandamus pour enjoindre au ministre de se conformer aux disposi tions des Lignes directrices relatives à la constitu tion de la commission; et exerçant son pouvoir d'appréciation, il a rendu une ordonnance de cer- tiorari pour annuler le permis au cas une
14 Voir les Motifs de l'ordonnance, Dossier d'appel, étiquette 3, 12-13 [aux p. 9 à 11 F.T.R.]. Les lignes directrices ne mentionnent que les effets importants ou minimes. Le juge Muldoon voyait dans les répercussions «modérées» relevées par l'évaluation initiales des répercussions importantes puisque, à son avis, elles n'étaient pas «minimes» et, de ce fait, ne pou- vaient être qu'«importantes». Il a également conclu que pour être minime, une répercussion néfaste ne pouvait être modérée, il fallait qu'elle fût «sans aucune importance». Comme je l'ex- pliquerai plus loin, je souscris à cette analyse.
commission ne serait pas constituée dans le délai imparti.
En cet état de la cause, il y a lieu de rappeler brièvement les dispositions législatives et régle- mentaires applicables aux questions soulevées dans l'appel principal et l'appel reconventionnel.
Aperçu des dispositions législatives et réglementai- res applicables
Le ministre a délivré à Sask. Water un permis en application de la LODACEI et du Règlement sur l'amélioration des cours d'eau internationaux (le «Règlement») 15 pris pour son application. Il est constant que le projet tombe dans le champ d'ap- plication de la définition d'«ouvrage destiné à l'amélioration d'un cours d'eau international» de cette Loi, pour lequel un permis est requis par l'article 4 16 . L'article 10 du Règlement habilite le ministre à délivrer ce permis".
15 C.R.C., chap. 982, modifié par DORS/87-570.
16 L'article 2 de la LODACEI définit «ouvrage destiné à
l'amélioration d'un cours d'eau international» comme suit:
2. ...
... barrage, obstacle, canal, bassin de retenue ou autre
ouvrage dont l'objet ou effet consiste
a) d'une part, à augmenter, diminuer ou changer le débit naturel du cours d'eau international;
b) d'autre part, à déranger, modifier ou influencer l'utili- sation effective ou virtuelle du cours d'eau international hors du Canada.
L'article 4 de la LODACEI porte:
4. Il est interdit à toute personne de construire, de mettre en service ou d'entretenir des ouvrages destinés à l'améliora- tion d'un cours d'eau international, à moins qu'elle ne détienne un permis valide délivré, pour cet objet, en vertu de la présente loi.
L'article 5 prévoit les sanctions pénales en cas d'infraction à la LODACEI, et l'article 6 prévoit la confiscation par enlèvement, destruction ou autre disposition ordonnée par le gouverneur en conseil, de tout ouvrage construit, mis en service ou entretenu en violation de la LODACEI.
'' L'article 10 du Règlement porte:
10. (1) Si le demandeur d'un permis a fourni toutes les précisions requises sous le régime du présent règlement, le Ministre peut
a) lui délivrer un permis pour une période ne dépassant pas 50 ans; et
b) émettre à l'expiration de tout permis, un autre permis pour une période ne dépassant pas 50 ans.
(2) Chaque permis doit stipuler les termes et conditions auxquels l'ouvrage destiné à l'amélioration d'un cours d'eau international peut être construit, mis en fonctionnement et maintenu, ainsi que la période pour laquelle ce permis est délivré. [Mot non souligné dans le texte.]
Les articles 4 et 5 de la Loi sur le ministère de l'Environnement" prévoient les pouvoirs et fonc- tions du ministre, et l'article 6 l'habilite à établir, avec l'approbation du gouverneur en conseil, des directives à l'usage des ministères et autres orga- nismes fédéraux. Voici le texte de ces trois articles:
POUVOIRS ET FONCTIONS DU MINISTRE
4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une façon générale à tous les domaines de compétence du Parle- ment non attribués de droit à d'autres ministères ou organismes fédéraux et liés:
a) à la conservation et l'amélioration de la qualité de l'envi- ronnement naturel, notamment celle de l'eau, de l'air et du sol;
b) aux ressources naturelles renouvelables, notamment les oiseaux migrateurs et la flore et la faune sauvages en général;
c) aux eaux;
d) à la météorologie;
e) malgré l'alinéa 4(2)f) de la Loi sur le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, à l'application, dans la mesure ils touchent la conservation et l'amélioration de la qualité de l'environnement naturel, des règles ou règle- ments pris par la Commission mixte internationale et pro- mulgués aux termes du traité signé entre les États-Unis d'Amérique et Sa Majesté le roi Edouard VII au sujet des eaux limitrophes et des questions d'intérêt commun pour les deux pays;
f) à la coordination des plans et programmes du gouverne- ment fédéral en matière de conservation et d'amélioration de la qualité de l'environnement naturel;
g) aux parcs nationaux;
h) aux champs de bataille, lieux et monuments historiques nationaux.
(2) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent en outre aux autres domaines de compétence du Parlement liés à l'envi- ronnement et qui lui sont attribués de droit.
5. Dans le cadre des pouvoirs et fonctions que lui confère l'article 4, le ministre:
a) lance, recommande ou entreprend à son initiative et coor- donne à l'échelle fédérale des programmes visant à:
(i) favoriser la fixation ou l'adoption d'objectifs ou de normes relatifs à la qualité de l'environnement ou à la lutte contre la pollution,
(ii) faire en sorte que les nouveaux projets, programmes et activités fédéraux soient, dès les premières étapes de plani- fication, évalués en fonction de leurs risques pour la qualité de l'environnement naturel, et que ceux d'entre eux dont on aura estimé qu'ils présentent probablement des risques graves fassent l'objet d'un réexamen dont les résultats devront être pris en considération,
' 8 L.R.C. (1985), chap. E-10.
(iii) fournir, dans l'intérêt public, de l'information sur l'environnement à la population;
b) favorise et encourage des comportements tendant à proté- ger et améliorer la qualité de l'environnement, et coopère avec les gouvernements provinciaux ou leurs organismes, ou avec tous autres organismes, groupes ou particuliers, à des programmes dont les objets sont analogues;
c) conseille les chefs des divers ministères ou organismes fédéraux en matière de conservation et d'amélioration de la qualité de l'environnement naturel.
DIRECTIVES ÉTABLIES PAR ARRÊTÉ
6. Au titre de celles de ses fonctions qui portent sur la qualité de l'environnement, le ministre peut par arrêté, avec l'approbation du gouverneur en conseil, établir des directives à l'usage des ministères et organismes fédéraux et, s'il y a lieu, à celui des sociétés d'État énumérées à l'annexe III de la Loi sur la gestion des finances publiques et des organismes de régle- mentation dans l'exercice de leurs pouvoirs et fonctions.
Les directives visées à l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement sont, en l'espèce, les Lignes directrices qui prévoient la création du Bureau fédéral d'examen des évaluations environ- nementales (le «Bureau»), chargé de contrôler l'ap- plication de ces Lignes directrices par l'ensemble des organismes du gouvernement du Canada. Ces dernières s'appliquent aux «propositions» (ce terme s'entend de toute entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions) relevant d'un «ministère responsable» 19 et
6....
b) pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale 2 ''.
En vertu de cette disposition, les Lignes directrices sont applicables au projet puisqu'il s'agit d'un ouvrage destiné à l'amélioration d'un cours d'eau international, au sens de la LODACEI, pour lequel un permis du ministre est requis et qui peut avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale 21 .
19 Cette expression est définie à l'article 2 comme s'entendant de tout «Ministère qui, au nom du gouvernement du Canada, exerce le pouvoir de décision à l'égard d'une proposition». En l'espèce, le ministère de l'Environnement est le ministère res- ponsable visé par les Lignes directives, et le ministre est aussi l'autorité qui délivre le permis visé à la LODACEI.
20 Article 6 de la LODACEI.
21 Voir dans Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), les observations du juge Cullen au sujet des répercussions du projet sur plusieurs domai- nes de compétence fédérale: note 4 supra.
Les Lignes directrices prévoient deux paliers possibles d'examen. Il y a en premier lieu l'évalua- tion environnementale initiale que doit effectuer le Ministère responsable pour examiner si et dans quelle mesure la proposition peut avoir des effets environnementaux néfastes 22 . Le second palier consiste en un examen public effectué par une commission indépendante, lequel examen public est déclenché (i) par le ministre chaque fois que les préoccupations du public rendent un tel examen souhaitable 23 , (ii) si la proposition est d'un type compris dans une liste en vertu de laquelle elle est automatiquement soumise au ministre en vue de l'examen public par une commission 24 , et (iii) si l'évaluation initiale révèle des facteurs qui justi- fient l'examen public par une commission 25 . Si aucun de ces trois cas ne s'applique, la proposition peut être mise à exécution sans examen public par une commission. Les catégories (i) et (ii) étant reconnues comme inapplicables en l'espèce 26 , c'est sur la troisième catégorie que porte le litige entre les parties à l'appel principal et à l'appel reconventionnel.
Plus particulièrement, les appelants principaux font valoir que le juge de première instance a eu raison de conclure que le ministre ne s'était pas conformé à l'alinéa 12c) des Lignes directrices, lequel prévoit ce qui suit:
12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque pro position à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision, afin de déterminer:
c) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont minimes ou peuvent être atténués par
22 Articles 10 17 des Lignes directrices.
23 Article 13 des Lignes directrices.
24 Effet conjugué des alinéas 11b) et 12b) des Lignes directrices.
25 Alinéas 12d) et e). Ni l'une ni l'autre partie n'invoque l'alinéa 12J) qui porte sur les effets environnementaux inaccep- tables justifiant la modificaiton, voire l'annulation, de la propo sition. L'article 20 prévoit que, lorsque les effets d'une proposi tion ont été déterminés conformément aux alinéas 12b), d) ou e) ou à l'article 13, le ministère responsable soumet la proposi tion au ministre pour examen public.
26 Le cas (i), prévu à l'article 13 des Lignes directrices, n'est pas applicable puisque le ministre a décidé en fait qu'un examen public n'était pas nécessaire. Le cas (ii), que prévoient les alinéas 11b) et 12b), n'est pas applicable puisque, à l'au- dience, la Cour a été informée que la liste visée n'avait pas encore été établie.
l'application de mesures techniques connues, auquel cas la proposition est réalisée telle que prévue ou à l'aide de ces mesures, selon le cas;
S'il ressort de l'évaluation initiale que les effets néfastes que peut avoir la proposition «sont mini- mes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues», cette proposition, à savoir le projet en l'espèce, peut être mise à exécu- tion telle quelle ou à l'aide de ces mesures, selon, le cas. Attendu que sur la foi du dossier dont il a été saisi, le juge de première instance a décidé que le ministre n'avait pu tirer pareille conclusion, , il aurait fallu soumettre le projet à une commission d'examen public. De son côté, Sask. Water sou- tient dans son appel reconventionnel, que, le juge de première instance a mal interprété l'alinéa 12c).
À mon avis, les conclusions du juge de première instance étaient correctes pour les raisons que j'expliquerai ci-après mais, attendu que l'appel reconventionnel soulève des questions qui, en toute logique, devraient se poser en premier lieu, je me prononcerai à ce sujet avant de me pencher sur les motifs de l'appel principal.
L'appel reconventionnel
Le principal argument que fait valoir Sask. Water dans son appel reconventionnel est que le juge Muldoon a mal interprété les mots «peuvent être atténués par l'application de mesures techni ques connues» figurant à l'alinéa 12c) des Lignes directrices. Sask. Water soutient aussi qu'il a appliqué la norme de contrôle judiciaire qui ne convenait pas à l'avis et aux conclusions sur les faits du ministre au sujet du projet et qu'au lieu de se limiter à la question de savoir si le ministre avait commis une erreur de droit ou de compétence, le juge de première instance a exercé à tort, un contrôle au fond de ces conclusions. Sask. Water soutient enfin que le juge de première, instance a rendu à tort une ordonnance de mandamus contre le ministre.
En vue d'un examen minutieux de l'argumenta- tion de Sask. Water, il y a lieu de rappeler les dispositions applicables des Lignes directrices.
10. (1) Le ministère responsable s'assure que chaque propo sition à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision est soumise à un examen préalable ou à une évaluation initiale, afin de déterminer la nature et l'étendue des effets néfastes qu'elle peut avoir sur l'environnement.
(2) Les décisions qui font suite à l'examen préalable ou à l'évaluation initiale visés au paragraphe (1) sont prises par le ministère responsable et ne peuvent être déléguées à nul autre organisme.
11. Aux fins de l'examen préalable et de l'évaluation initiale visés au paragraphe 10(1), le ministère responsable dresse, en collaboration avec le Bureau, les listes suivantes:
a) une liste des divers types de propositions qui n'auraient aucun effet néfaste sur l'environnement et qui, par consé- quent, seraient automatiquement exclus du processus; et
b) une liste des divers types de propositions qui auraient des effets néfastes importants sur l'environnement et qui seraient automatiquement soumises au Ministre pour qu'un examen public soit mené par une commission.
12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque pro position à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision, afin de déterminer:
a) si la proposition est d'un type compris dans la liste visée à l'alinéa 11a), auquel cas elle est réalisée telle que prévue;
b) [si] la proposition est d'un type compris dans la liste visée à l'alinéa 11b), auquel cas elle est soumise au Ministre pour qu'un examen public soit mené par une commission;
c) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues, auquel cas la proposition est réalisée telle que prévue ou à l'aide de ces mesures, selon le cas;
d) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont inconnus, auquel cas la proposition est soumise à d'autres études suivies d'un autre examen ou évaluation initiale, ou est soumise au Ministre pour qu'un examen public soit mené par une commission;
e) si, selon les critères établis par le Bureau, de concert avec le ministère responsable, les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont importants, auquel cas la proposition est soumise au Ministre pour qu'un examen public soit mené par une commission; ou
f) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont inacceptables, auquel cas la proposition est soit annulée, soit modifiée et soumise à un nouvel examen ou évaluation initiale.
13. Nonobstant la détermination des effets d'une proposi tion, faite conformément à l'article 12, le ministère responsable soumet la proposition au Ministre en vue de la tenue d'un examen public par une commission, chaque fois que les préoc- cupations du public au sujet de la proposition rendent un tel examen souhaitable.
14. Le ministère responsable voit à la mise en application de mesures d'atténuation et d'indemnisation, s'il est d'avis que celles-ci peuvent empêcher que les effets néfastes d'une proposi tion sur l'environnement prennent de l'ampleur.
Selon Sask. Water, l'alinéa 12c) qui permet la mise à exécution d'une proposition sans examen public de la part d'une commission si les effets qu'elle peut avoir sur l'environnement «sont mini-
mes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues» doit être interprété à la lumière d'autres dispositions des Lignes directri- ces relatives aux mesures d'atténuation, savoir l'ar- ticle 14. Sask. Water soutient que cet article 14 définit la norme à appliquer lorsqu'il s'agit d'exa- miner, en application de l'alinéa 12c), si les effets néfastes que peut avoir une proposition «peuvent être atténués par l'application de mesures techni ques connues». Selon cette argumentation, l'article 14 a pour effet de faire que des effets néfastes «peuvent être atténués» si les «mesures d'atténua- tion et d'indemnisation, s'il est d'avis que celles-ci peuvent empêcher que les effets néfastes d'une proposition sur l'environnement prennent de l'am- pleur». Il ressort de l'article 14 que les mesures d'atténuation ne doivent pas nécessairement élimi- ner tout effet néfaste potentiel pour tomber dans le champ d'application de l'alinéa 12c). Il suffirait que le ministre conclue que les mesures d'atténua- tion ou d'indemnisation peuvent empêcher que les effets néfastes prennent de l'ampleur.
Je ne saurais accueillir pareil argument. L'article 14 fait aux ministères responsables l'obli- gation de s'assurer que les mesures d'atténuation et d'indemnisation sont prises pour empêcher que les effets néfastes potentiels prennent de l'ampleur. Comme nous le verrons plus loin, les dispositions des Lignes directrices relatives aux commissions d'examen public n'envisagent que deux catégories d'effets environnementaux néfastes: ceux qui sont importants et ceux qui sont minimes. En consé- quence, j'interprète le membre de phrase «empê- cher que les effets néfastes ... prennent de l'am- pleur» comme signifiant que les mesures d'atténuation et d'indemnisation doivent être prises de manière à rendre ces effets néfastes «minimes».
L'avocat de Sask. Water cite encore, à l'appui de son argument, le sens que donne le dictionnaire au mot «Mitigable»: «capable of being mitigated (qui peut être atténué); «Mitigate» (atténuer): To alleviate (amoindrir) ... To reduce the severity of (rendre moins grave) ... To moderate (tempérer) ...» 27 . Ainsi, par l'emploi de ce terme («peuvent être atténués» en français), l'alinéa 12c) n'impose pas une norme inaccessible, savoir l'éli-
27 Shorter Oxford English Dictionary (1970).
mination totale des effets néfastes éventuels pour qu'une proposition puisse être mise à exécution après l'évaluation initiale et sans examen public.
Il faut cependant rappeler que l'article 12, et en particulier l'alinéa 12c), prévoit les cas une proposition sera soumise ou non à l'examen public. Si les effets néfastes qu'elle peut avoir sur l'envi- ronnement sont minimes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues, elle peut être mise à exécution sans examen public. En toute logique et vu le contexte, il faut interpré- ter les mots «peuvent être atténués par l'applica- tion de mesures techniques connues» comme étant parallèles ou équivalents à «minimes» sans l'appli- cation de mesures techniques connues. Il est cer tain que les deux fondements de la décision sur la question de savoir si l'examen public est justifié doivent être interprétés de la même façon. Aussi les mots «peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues» doivent-ils être inter- prétés comme signifiant en fait «peuvent être rendus minimes par l'application de mesures tech niques connues». Dans cette interprétation, le membre de phrase «peuvent être atténués par l'ap- plication de mesures techniques connues» signifie la même chose que «minimes sans l'application de mesures techniques connues».
En d'autres termes, l'alinéa 12c) n'envisage que deux catégories: effets importants et effets mini- mes. Sask. Water soutient qu'il y en a trois, non pas deux: effets minimes, effets moins qu'impor- tants et effets importants. Je rejette cette argu mentation, car comment pourrait-on par exemple définir à quel point un effet environnemental doit être «moins qu'important»? Il serait absurde d'as- sujettir l'examen public à un éventail d'effets envi- ronnementaux moins qu'importants et tous diffé- rents les uns des autres. Je conviens avec le juge Muldoon que, si un effet n'est pas minime, il est par définition important, et ce n'est qu'en cas d'effets minimes ou rendus minimes par l'applica- tion de mesures techniques connues qu'on peut se dispenser d'un examen public. Pour l'avocat de Sask. Water, une telle interprétation signifiera que l'examen public sera obligatoire dans presque tous les cas, mais s'il en est ainsi, il s'agit d'une conséquence naturelle des mots choisis, qui sert aussi à souligner l'importance du processus d'exa- men public en la matière.
À mon avis, le juge Muldoon a correctement interprété l'alinéa 12c) et a conclu à juste titre que l'interprétation et la conclusion qu'en tirait le ministre étaient erronées sur le plan juridique. Le ministre ne pouvant ainsi invoquer l'alinéa 12c), le juge de première instance a conclu que les effets environnementaux dont il s'agit tombaient le plus probablement sous le coup de l'alinéa 12e), et aussi peut-être des alinéas 12b) et 12d) 28 . Dans chaque cas cependant, il y a lieu à examen public par une commission.
Comme indiqué plus haut, Sask. Water fait valoir aussi que le distingué juge de première instance a appliqué la norme de contrôle judiciaire qu'il ne fallait pas, à l'égard de l'avis et des conclusions sur les faits du ministre au sujet du projet, à savoir qu'il a procédé au contrôle au fond de ces conclusions, ce qui reviendrait à substituer son avis à celui du ministre. Une jurisprudence abondante avertit les tribunaux judiciaires, saisis du recours en contrôle judiciaire contre la décision d'une autorité légale, de ne pas toucher à cette décision du seul fait qu'ils auraient tiré une toute autre conclusion, eussent-ils été investis de cette responsabilité en premier lieu. Si c'est ce qu'a fait le distingué juge de première instance en l'espèce, je conclurai à une erreur de sa part.
Cependant, il n'appert pas de ses motifs de jugement que c'est ce qu'il a fait. Nul doute qu'entre autres, il a évoqué les conclusions consi- gnées dans le rapport d'évaluation initiale sur la question des effets importants, modérés et mini- mes, sur les insuffisances des données et sur les mesures d'atténuation. II ne l'a cependant pas fait pour se mettre à la place du ministre après coup. Au contraire, il essayait à bon droit d'examiner si le ministre, pour décider s'il y avait lieu ou non de constituer une commission d'examen public du projet, s'était fourvoyé sur le principe à observer, s'était fondé sur des considérations juridiquement non pertinentes ou avait excédé sa compétence. Il est regrettable que le distingué juge de première instance n'ait pas formulé ses motifs de jugement de façon à montrer indubitablement que tel était le but de son instruction du dossier. Cependant, la conclusion suivante indique clairement que l'objet
28 Comme indiqué plus haut, la liste prévue à l'alinéa 12b) n'existe pas; cette disposition est donc inapplicable en l'espèce.
en était d'appliquer aux faits de la cause l'interpré- tation juridique correcte de l'article 12, qu'il avait faite auparavant:
Et maintenant, puisqu'il existe au moins un important effet néfaste sur l'environnement, et probablement d'autres, qui ne peut être mitigé par des moyens technologiques connus ou qui ne peut être atténué au point d'en faire un effet sans impor tance, il est clair que le Ministre ne pouvait pas invoquer avec raison l'alinéa c) de l'article 12 des Lignes directrices lorsqu'il a pris la décision—s'il est vrai qu'il a lui-même pris une telle décision—d'accorder un second permis à l'intervenante [Sask. Water] le 31 août 1989 29 .
Ayant mal interprété l'article 12, le ministre a fondé son action sur le principe qu'il ne fallait pas. Par sa décision, le juge de première instance n'a pas substitué ses conclusions à celles du ministre, et il n'a pas appliqué non plus une mauvaise norme de contrôle judiciaire. Par ailleurs, attendu que les dispositions applicables de l'article 12 faisaient au ministre l'obligation de constituer une commission, le juge a rendu à bon droit une ordonnance de mandamus.
En conséquence, je me prononce pour le rejet de l'appel reconventionnel.
L'appel principal
Les appelants principaux soutiennent que le ministre doit se conformer aux dispositions des Lignes directrices, qui prévoient le renvoi du projet à une commission d'examen public, dont le minis- tre doit prendre en considération le rapport, avant de délivrer un permis en vertu de la LODACEI. Selon les appelants, le juge Muldoon a eu raison d'ordonner l'observation des Lignes directrices par la constitution d'une commission, mais il aurait aller plus loin et annuler sans conditions le permis tant qu'une commission ne serait pas constituée et son rapport pris en considération par le ministre avant la délivrance du permis. Ils ont invoqué plusieurs décisions de la Cour à l'appui de cette conclusion 30
29 Dossier d'appel, étiquette 3, à la p. 20 la p. 14 F.T.R.].
3o Les appelants citent Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), note 4 supra, confirmé par la Cour de céans, note 5 supra, et Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.). Ils invoquent aussi la décision Re Braeside Farms Ltd. et al. and Treasurer of Ontario et al. (1978), 20 O.R. (2d) 541 (C. Div.) qui a jugé que l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire (la délivrance du permis) ne sau- rait être fondé sur un processus insuffisant et incomplet (le défaut de constituer la commission et d'attendre son rapport).
Je tiens à faire remarquer tout de suite que les décisions antérieures de la Cour, prises dans leur ensemble, font au ministre l'obligation d'observer les Lignes directrices avant de délivrer un permis. Cependant, la question soulevée dans l'appel prin cipal est de savoir en quoi consiste cette observa tion. En particulier, il échet d'examiner si les Lignes directrices exigent non seulement que la proposition soit soumise à l'examen public par une commission, mais aussi que le ministre prenne en considération le rapport de cette dernière avant de délivrer le permis. Cette question n'a pas été ins- truite dans les décisions citées par les appelants.
En cet état de la cause, il est nécessaire de rappeler les dispositions applicables des Lignes directrices:
3. Le processus est une méthode d'auto-évaluation selon laquelle le ministère responsable examine, le plus tôt possible au cours de l'étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables, les répercussions environnementales de toutes les propositions à l'égard desquelles il exerce le pouvoir de décision.
18. Il incombe au Bureau
a) d'émettre à l'intention des ministères responsables, des lignes directrices pour l'évaluation initiale des propositions et pour aider ces ministères à instaurer des procédures d'appli- cation du processus;
b) d'aider les ministères responsables dans la prestation de renseignements et l'obtention de la réaction du public aux propositions, assez tôt au cours de l'étape de planification pour s'assurer que des décisions irrévocables ne sont pas prises avant que l'opinion du public soit entendue;
c) de publier, sous forme de résumé, l'information publique qui lui a été fournie par les ministères responsables au sujet des propositions à l'égard desquelles ces derniers exercent le pouvoir de décision et dont les effets sur l'environnement ont été déterminés conformément à l'article 12; et
d) d'informer le Ministre au moyen d'un rapport périodique à rendre public, au sujet de la mise en application du processus par les ministères responsables.
31. (1) Une fois l'examen terminé, la commission:
a) rédige un rapport contenant ses conclusions et les recom- mandations qu'elle adresse aux ministres responsables; et
b) fait parvenir le rapport visé à l'alinéa q) au Ministre et au ministre chargé du ministère responsable.
(2) Le Ministre et le ministre chargé du ministère responsa- ble rendent public le rapport visé à l'alinéa (1)a).
32. Le Bureau peut modifier les exigences ou procédures énoncées aux articles 21 31, dans les cas d'examens conjoints fédéraux-provinciaux ou lorsque des circonstances spéciales l'exigent.
Le ministère responsable
33. (1) Lors d'un examen public, il incombe au ministère responsable:
a) de s'assurer que le promoteur s'acquitte de ses responsabilités;
b) de prendre les mesures nécessaires pour que [ses] hauts fonctionnaires et son personnel fassent des présentations et répondent aux questions sur les sujets relevant de sa compétence;
c) sous réserve du paragraphe (2), de décider, en collabora tion avec d'autres ministères, commissions ou organismes fédéraux visés par les recommandations de la commission, de la mesure dans laquelle ces recommandations devraient deve- nir des exigences fédérales avant d'autoriser la mise en oeuvre d'une proposition;
d) sous réserve du paragraphe (2), [de] s'assurer, en collabo ration avec d'autres organismes responsables, que les déci- sions prises par les ministres responsables à la lumière des conclusions et des recommandations qu'a formulées une com mission à la suite de l'examen public d'une proposition, sont prises en considération dans la conception, la réalisation et l'exploitation de cette proposition et que des programmes appropriés de mise en œuvre, d'inspection et de surveillance environnementale sont établis; et
e) sous réserve du paragraphe (2), de déterminer de quelle façon seront rendues publiques les décisions prises en vertu de l'alinéa c) et celles visées à l'alinéa d).
(2) Lorsque le ministère responsable a un rôle de réglemen- tation à l'égard de la proposition à l'étude, les responsabilités énoncées aux alinéas (1)c), d) et e) sont modifiées de façon à tenir compte des décisions de ce ministère et à ne pas y nuire. (Passages non soulignés dans le texte.)
Les appelants soutiennent avec force qu'il res- sort des articles 3, 18, 31 et 33, en particulier des passages soulignés ci-dessus, que le ministre doit attendre le rapport de la commission avant de délivrer le permis. Pareille obligation est logique à leurs yeux car à quoi cela servirait-il de prendre la peine et de faire les frais d'un examen public par une commission si cet examen est ignoré a priori par délivrance d'un permis. L'examen public, disent-ils, ne serait qu'une mascarade si le ministre pouvait non seulement passer outre aux recom- mandations contenues dans un rapport de la com mission, mais encore s'abstenir cavalièrement d'at- tendre qu'un tel rapport soit produit. Ils soutiennent que le processus d'examen public doit éclairer la décision de délivrer un permis. Il s'agit d'arguments convaincants, mais je ne pense pas que les dispositions des Lignes directrices autori- sent la conclusion tirée par les appelants.
Dans l'affaire Naskapi-Montagnais Innu Assn. c. Canada (Ministre de la Défense nationale) 31 , Madame le juge Reed de la Section de première instance a été saisie de demandes visant à faire annuler la décision du ministre de la Défense nationale qui autorisait le partage d'installations de la base aérienne de Goose Bay, à Terre-Neuve, avec certains pays de l'OTAN, et à interdire au même ministre de prendre d'autres décisions pour autoriser aux éléments de l'armée de l'air de cer- tains pays de l'OTAN à se livrer aux exercices de vol à basse altitude au-dessus de certaines régions du Labrador et du Québec, avant que ne soit achevé le processus d'évaluation environnementale prévu par les Lignes directrices. Il s'agissait essen- tiellement pour la Cour d'examiner si, sous le régime des Lignes directrices, il était interdit au ministère ou ministre responsable de mettre à exé- cution le projet en cause avant que l'examen par une commission ne soit achevé et son rapport soumis aux ministres compétents.
Je trouve les conclusions de Madame le juge Reed particulièrement utiles en l'espèce:
J'avais d'abord jugé bien fondée la prétention de l'avocat voulant que, lorsqu'on l'interprète en tenant compte de son objet, le Décret exige implicitement que l'on interrompe toute proposition dès qu'elle est soumise pour examen. Toute réflexion faite, j'en viens à une conclusion différente. Je ne crois pas que le texte du Décret justifie cette interprétation. Comme nous l'avons fait remarquer, il n'y a rien dans le Décret qui exige expressément que l'on interrompe un projet tant que l'examen n'est pas terminé. Dans la plupart des cas, il est fort possible que c'est ce qui se produit en pratique. Cela serait sûrement une façon prudente d'agir pour un ministère. Mais on ne trouve aucune obligation impérative expresse de ce genre dans le Décret. En deuxième lieu, l'évaluation qui doit être effectuée aux termes de l'article 3 avant que des décisions irrévocables ne soient prises concerne le processus d'auto-éva- luation que le ministère responsable doit entreprendre. Elle n'a rien à voir avec le processus de la commission d'évaluation environnementale. Le Décret est muet sur la question de savoir ce qui se produit lorsqu'une proposition a été renvoyée pour examen. L'article 18 a trait aux obligations du Bureau fédéral d'examen des évaluations environnementales et ne saurait donc être considéré comme le fondement de l'ordonnance mandatoire de suspension adressée au ministre. Et, en ce qui concerne l'article 33, même s'il est vrai que le ministère doit décider quelles sont les recommandations de la commission qu'il adop- tera, l'article ne déclare pas expressément que la proposition en question doit être suspendue tant que le processus d'examen n'est pas terminé.
De surcroît, une obligation impérative implicite de suspendre la proposition cadre mal avec l'économie générale du Décret et avec ses autres dispositions. Le Décret permet aux ministères et aux ministres responsables de ne pas tenir compte des recom-
31 [1990] 3 C.F. 381 (lfe inst.).
mandations de la commission. Ils le font évidemment à leurs risques et périls au regard de l'opinion publique. Selon l'écono- mie du Décret, c'est l'o✓il vigilant de l'opinion publique qui sert de force de levier pour garantir que des décisions responsables sont prises sur le plan de l'environnement. Il est donc tout à fait logique que le régime qui s'applique au cours du processus d'examen de la commission soit d'un caractère semblable, dans la mesure il peut exister une obligation de ne pas réaliser le projet. À mon avis, le «respect» de l'obligation de ne pas réaliser le projet alors que celui-ci est à l'examen dépend également de la pression de l'opinion publique et de la publicité négative qu'une ligne de conduite contraire comporterait.
Une autre particularité du mécanisme prévu au Décret qui nous amène à conclure qu'il n'existe pas d'obligation légale impérative de ne pas réaliser une proposition dans des circons- tances comme celles qui existent en l'espèce est le fait qu'une fois qu'une proposition est soumise à une commission pour examen, le ministère responsable perd de fait tout contrôle sur la durée de la procédure de la commission. Une commission pourrait en conséquence suspendre une proposition qui lui a été soumise par sa simple inaction. À mon avis, si l'on avait voulu que le renvoi prévu au Décret ait l'effet obligatoire que prétend l'avocat, on aurait inclus dans le Décret d'autres dispositions concernant le délai dans lequel le processus d'examen doit être terminé et certaines dispositions concernant les conséquences d'un retard 32 .
Je fais mien le raisonnement de Madame le juge Reed, savoir qu'aucune disposition des Lignes directrices ne prévoit expressément l'obligation de ne pas délivrer le permis avant que la commission n'ait présenté son rapport à l'issue d'un examen public, et qu'on ne saurait déduire une telle obliga tion des dispositions ou de l'esprit des Lignes direc- trices. L'avocat des appelants fait cependant valoir que Madame le juge Reed ne faisait nulle mention de l'article 31 qui prévoit pour la commission l'obligation, une fois l'examen terminé, de soumet- tre à la décision des ministres compétents un rap port contenant ses conclusions et recommanda- tions. Il est vrai que l'article 31 prévoit pour la commission l'obligation de rédiger et de soumettre un rapport, mais il ne prévoit pas, expressément ou implicitement, selon l'esprit des Lignes directrices prises dans leur ensemble, que le ou les ministres intéressés doivent attendre ce rapport.
Il y a lieu de se référer aussi à l'article 32 qui habilite le Bureau à «modifier» les exigences ou procédures énoncées aux articles 21 à 31 lorsque des «circonstances spéciales» l'exigent. Sans qu'il soit nécessaire de disséquer le sens des mots «cir-
32 Id. aux p. 403 et 404.
constances spéciales» ou «modifier» 33 ou d'exami- ner si pareille disposition est valide et, si oui, dans quelle mesure 34 , on peut voir que d'après cet arti cle, les dispositions relatives aux commissions ne sont pas destinées à une application littérale ou obligatoire puisqu'elles peuvent être modifiées par le Bureau. Ce qui est impératif, c'est qu'une com mission soit constituée et on espère qu'elle fera son rapport avant que des décisions irrévocables ne soient prises, mais aucune disposition ne prévoit impérativement qu'un rapport doit être établi puis pris en considération avant la prise de décisions ministérielles. C'est pourquoi le processus d'exa- men public a été prévu afin d'informer le public, qui pourra alors participer au débat sur les réper- cussions environnementales de la proposition en cause, mais il est loisible au ministre, s'il le juge indiqué, de donner suite au projet pendant que l'examen est en cours.
À cet égard, comme les Lignes directrices ont pour objet de garantir que la prise de décisions chez les organismes gouvernementaux ait pour contrepoids les préoccupations écologiques, je ne pense pas que les dispositions relatives au rapport de la commission, telles qu'elles s'inscrivent dans le régime des Lignes directrices, puissent être consi- dérées comme primant, de façon absolue et totale, le processus normal de prise de décisions des ministres. Aucune des parties en présence ne con- teste que les ministres puissent ignorer les recom- mandations contenues dans le rapport de la com mission, sauf à en supporter les conséquences politiques subséquentes. Telle est également la sanction pour le défaut d'attendre le rapport de la
33 Pour les interprétations qui donnent une signification exhaustive au mot «modifier», voir par exemple L'Association des consommateurs du Canada c. Le procureur général du Canada, [1979] 1 C.F. 433 (1'» inst.); Bakery and Confectio nery Workers International Union of America, Local No. 468 et al. v. White Lunch Ltd. et al., [1966] R.C.S. 282; Re Rush and Township of Scugog et al. (1978), 21 O.R. (2d) 592 (H.Ct.); Rowley v. Petroleum and Natural Gas Conservation Board, [1943] 1 W.W.R. 470 (C.S. Alb.).
34 Comme indiqué plus haut, l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement habilite le ministre à établir, avec l'approbation du gouverneur en conseil, des directives de pro tection environnementale à l'usage des ministères fédéraux. On pourrait donc soutenir que les Lignes directrices ne sauraient être tournées ou ignorées par simple décision du Bureau, lequel, bien que fort important dans l'ordre des choses envisagées par les Lignes directrices, n'est constitué que de fonctionnaires comptables au ministre. Cependant, je ne mentionne ce point qu'en passant, sans me prononcer à ce sujet.
commission, ainsi que Madame le juge Reed l'a fait remarquer: le ministre responsable répondra, sur le plan politique, de toute décision prise. Les
articles 21 31 visent à la participation du public, mais celle-ci n'est pas suffisamment élevée pour limiter ou empêcher des décisions ministérielles qui pourraient être fondées sur un intérêt public plus large que celui représenté par le fait d'atten- dre le rapport de la commission.
Comme l'a fait observer Madame le juge Reed, constituer une commission peut signifier que le ministère responsable ou, ce qui est plus grave encore, le ministre perd tout contrôle sur l'élément temps du processus d'examen public. Quand bien même le ministre aurait fixé un délai en prévoyant une date limite pour la présentation du rapport de la commission 35 , cela ne garantit pas que le rap port sera établi et présenté. Si tel est le cas, le permis ne pourrait-il pas être délivré dans les cas le ministre responsable estimait qu'il y a des raisons impératives pour lancer le projet en déli- vrant ce permis? À mon avis, on ne saurait inter- préter les dispositions des Lignes directrices comme prévoyant implicitement l'obligation de ne pas entreprendre le projet, alors qu'elles ne la prévoient pas expressément 36 . En bref, je conclus que les dispositions des Lignes directrices relatives à la présentation du rapport de la commission à l'examen du ministre n'ont que valeur d'exhorta- tion et non d'impératif pour le ministre.
En conséquence, je conclus que l'ordonnance de certiorari du juge Muldoon a été rendue à bon droit, et me prononce pour le rejet de l'appel principal.
En résumé, je me prononce pour le rejet de l'appel reconventionnel et de l'appel principal, sans allocation de dépens.
35 Ce qui pourrait se faire par l'insertion de cette date limite dans le mandat de la commission, que prévoit le paragraphe 26(1) des Lignes directrices.
36 Une jurisprudence relative aux cas la loi et les règle- ments font expressément au ministre l'obligation de tenir compte d'un rapport avant d'agir est Monsanto Canada Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture) (1988), 20 C.P.R. (3d) 193 (C.A.F.), qui intéresse la Loi sur les produits antiparasitaires, S.R.C. 1970, chap. P-10, et les règlements pris pour son application.
LE JUGE URIE, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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