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A-319-89
Northern Sales Company Limited (appelante) (défenderesse)
c.
Compania Maritima Villa Nova S.A. (intimée) (demanderesse)
RÉPERTORIE' COMPANIA MAR/T/MA VILLA NOVA SA. c. NORTHERN SALES CO. (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone, J.C.A.—Winnipeg, 4 novembre; Ottawa, 20 novem- bre 1991.
Droit maritime Sentences arbitrales étrangères en matière maritime Transport maritime Charte-partie pré- voyant le règlement de litiges à Londres Litige portant sur les droits de surestarie résolu à Londres suite à une procédure d'arbitrage Demande à la Cour fédérale visant l'exécution de la sentence Appel de la décision de la Section de pre- mière instance sur des points de droit: (1) La sentence est exé- cutoire au Canada malgré l'omission de la demanderesse de faire exécuter sa demande en recouvrement des droits de sures- tarie contre le réceptionnaire; (2) L'omission de la demande- resse de faire exécuter sa demande en recouvrement des droits de surestarie contre le réceptionnaire n'a pas pour effet de pri- ver les arbitres de la compétence qui leur est conférée par le renvoi; (3) La sentence arbitrale de 1985 peut être exécutée devant la Cour fédérale du Canada en vertu des dispositions de la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères de 1986; (4) Le caractère exé- cutoire de la sentence au Canada n'est pas touché par le fait que le fait générateur du litige de la demanderesse était pres- crit en vertu des lois de l'Angleterre au moment l'action a été introduite au Canada La Loi n'est pas exorbitante du Parlement Nature de la sentence arbitrale en common law.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs La Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères n'est pas exorbitante du Parlement puis- qu'il s'agit d'une loi fédérale valide visant l'exécution au Canada de sentences arbitrales étrangères dont la nature est, du point de vue constitutionnel, fédérale La portée de la Loi n'est pas trop générale compte tenu de la présomption selon laquelle les lois ne visent pas à excéder la compétence L'exécution de la sentence en cause relève de la compétence législative fédérale relativement à la navigation et aux bâti- ments et navires.
Compétence de la Cour fédérale Section de première ins tance La naissance de la cause d'action à l'égard de l'exé- cution de sentences arbitrales étrangères en matière maritime relève du droit maritime canadien au sens de l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale L'exécution d'une sentence relève de la compétence législative fédérale relativement à la navigation et aux bâtiments et navires.
Conflit des lois Sentences arbitrales étrangères en matière maritime La charte-partie prévoit le règlement des litiges à Londres Le droit canadien régit le délai pour inten- ter devant un tribunal canadien une action en exécution d'une sentence arbitrale.
En janvier 1978, l'appelante a conclu avec l'intimée, pro- priétaire du Grecian Isles, une charte-partie prévoyant le trans port d'une cargaison de grain de Vancouver à Bombay, en Inde. La charte-partie contenait une clause compromissoire prévoyant que les conflits seraient soumis à des arbitres à Lon- dres (Angleterre). Un conflit sur les droits de surestarie a été réglé suite à un arbitrage en mai 1985. En mai 1987, une action a été introduite devant la Section de première instance en vue de l'exécution de la sentence arbitrale. Il s'agissait en l'espèce d'un appel des réponses positives données par le juge Strayer aux questions suivantes soulevées devant la Cour par les par ties sur certains points de droit: (1) La sentence peut-elle être exécutée au Canada en vertu des dispositions de la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbi- trales étrangères? (2) La sentence peut-elle être exécutée au Canada même si le fait générateur du litige était prescrit en vertu des lois de l'Angleterre au moment l'action a été introduite au Canada? (3) La sentence peut-elle être exécutée I au Canada même si la demanderesse n'a pas fait exécuter sa demande en recouvrement des droits de surestarie contre le réceptionnaire de la cargaison? (4) L'omission par la demande- resse de faire exécuter sa demande contre le réceptionnaire de la cargaison prive-t-elle les arbitres de compétence? L'appe- lante a également soulevé dans cet appel la question constitu- tionnelle de savoir si la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères est exor- bitante du Parlement au motif qu'elle empiète sur une compé- tence provinciale.
Arrêt: la question constitutionnelle devrait recevoir une réponse négative, les réponses données par le juge des requêtes devraient être cofirmées et l'appel rejeté.
L'argument à l'encontre du caractère exécutoire de la sen tence était sans fondement puisque l'omission par l'intimée de faire exécuter sa demande contre le réceptionnaire n'empêchait pas les arbitres de statuer que l'appelante était redevable à l'in- timée pour une partie de sa demande. De même, l'omission présumée n'a pas eu pour effet de priver les arbitres de la com- pétence qui leur est conférée par renvoi. L'obligation contestée de l'appelante d'acquitter les droits de surestarie était la ques tion même qu'ils étaient en droit de régler et ils l'ont effective- ment réglée. La véritable plainte de l'appelante porte sur le fait que les arbitres n'ont pas tenu compte d'un certain moyen de défense qu'elle avait invoqué.
Il n'y a aucun doute que le Parlement possédait effective- ment le pouvoir d'adopter la Loi à titre de législation fédérale valide visant la reconnaissance et l'exécution au Canada de sentences arbitrales étrangères dont la nature est, du point de vue constitutionnel, fédérale. La question se posera toutefois de savoir, lors d'affaires particulières, si l'exécution d'une cer- taine sentence se situe dans la juste portée de la législation. En deuxième lieu, il n'est pas nécessaire d'utiliser des termes explicites pour restreindre l'application de la Loi à des sen-
tences se situant dans la cadre législatif fédéral. 11 existe une présomption de juris quant à l'existence de l'intention véritable d'un organisme législatif d'agir dans les limites de sa compé- tence et une présomption semblable que les termes généraux employés dans une loi n'ont pas pour effet d'étendre son appli cation au-delà de la compétence territoriale de la législature. En troisième lieu, le genre de sentence sur laquelle la Cour devait se prononcer en l'espèce—quant à son origine dans la charte-partie, un contrat sans aucun doute maritime, et quant à la demande sous-jacente de recouvrement de droits de suresta- rie, une demande sans contredit maritime—relève du «droit maritime canadien» tel que nous le connaissons aujourd'hui,) un tel ensemble de règles de droit relevant de la compétence législative du Parlement en vertu du paragraphe 91(10) de 1 Loi constitutionnelle de 1867. Il est important de garder à l'es prit la nature d'une sentence arbitrale en common law. La sen tence, jointe à la promesse implicite de la payer, crée une nou- velle cause d'action.
Il était du ressort du Parlement de conférer à la Section de première instance la compétence de connaître de cette cause d'action. Les trois conditions nécessaires à l'existence de la compétence de la Section de première instance (formulées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt 1TO—International Terminal Operators) ont été respectées en l'espèce. (1) L'attri- bution de la compétence par une loi se trouve à l'article 6 de la Loi et à l'alinéa 22(2)j) de la Loi sur la Cour fédérale. (2) Le droit maritime canadien, qui inclut les sentences arbitrales de ce genre, renferme l'ensemble actuel de règles de droit fédé- rales essentiel à la résolution de l'affaire et constituant le fon- dement de l'attribution de la compétence. (3) Cette loi était «une loi du Canada».
Au chapitre du délai de prescription d'une action, le droit canadien et le droit anglais prévoient clairement que les lois de ce genre en matière de prescription sont de nature procédurale et que les dispositions pertinentes sont celles de la lex fori. Ainsi, le droit canadien régit la question relative au délai de prescription applicable à une action en exécution d'une sen tence intentée devant un tribunal canadien—le paragraphe 39(2) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur du litige. En l'espèce, le fait générateur est survenu le jour la sentence a été rendue, soit le 24 mai 1985, et l'action a été intentée devant la Section de première instance en 1987, bien avant que le délai de prescription de six ans ne soit écoulé.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Limitations Act 1980, 1980, chap. 58 (R.-U.), art. 7.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5], art. 91(10), no 92(13),(14),(16).
Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, S.C. 1986, chap. 21, art. 3, 4(2), 6, ann., art. V 1c), d), XI.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 2, 22(2)i), 39(2).
Loi sur l'arbitrage commercial international, L.M. 1986- 87, chap. 32, CPLM C151.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 474 (mod. par DORS/79-57, art. 14), 1101.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
'Di brio et autre c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152; (1976), 35 C.R.N.S. 57; 8 N.R. 361; Société Radio-Canada et autre c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618; (1979), 101 D.L.R. (3d) 24; 48 C.C.C. (2d) 289; 14 C.P.C. 60; 28 N.R. 541; Dole- man & Sons v. Ossett Corporation, [1912] 3 K.B. 257 (C.A.); Bloemen (F.J.) Pty. Ltd. v. City of Gold Coast Council, [1973] A.C. 115 (P.C.); Agromet Motoimport v. Maulden Engineering Co. (Beds.) Ltd., [1985] 1 W.L.R. 762 (Q.B.D.); Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273; (1990), 77 D.L.R. (4th) 25; [1991] 2 W.W.R. 195; 52 B.C.L.R. (2d) 187; 120 N.R. 109; Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [1979] 2 R.C.S. 157; (1979), 99 D.L.R. (3d) 235; 10 C.P.C. 9; 26 N.R. 313; ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; jMonk Corp C. Island F ertilizers_. Ltd..,__L199 1 . 1 1 R.C.S: 779; (1991), 80 D.L.R. (4th) 58: 123 N.R. 1; Seapearl (Navire MN) c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corpora tion de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161; (1982), 139 D.L.R. (3d) 669; 43 N.R. 517 (C.A.); Eurobulk Ltd. c. Wood Preservation Industries, [1980] 2 C.F. 245; (1979), 106 D.L.R. (3d) 571 (ire inst.); Atlantic Lines & Naviga tion Co. Inc. c. Didymi (Le), [1988] 1 C.F. 3; (1987), 39 D.L.R. (4th) 399; 78 N.R. 99 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 326 (P.C.).
DOCTRINE
Mustill, Michael J. and Boyd, Stewart C. The Law and Practice of Commercial Arbitration in England, Lon- don: Butterworths, 1982.
Walton, Anthony and Victoria, Mary Russell on the Law of Arbitration, 20th ed., London: Stevens & Sons, 1982.
AVOCATS:
Morse Silden et Mathew Bernard Nepon pour
l'appelante (défenderesse).
Peter F. M. Jones pour l'intimée (demande-
resse).
Lewis E. Levy pour l'intervenant.
PROCUREURS:
Kushner, Gordon & Silden, Winnipeg, pour l'appelante (défenderesse).
Paterson, MacDougall, Toronto, pour l'intimée (demanderesse).
Le sous-procureur général du Canada pour l'in- tervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: Il s'agit d'un appel d'une ordonnance rendue par la Section de première ins tance [(1989), 29 F.T.R. 136] le 12 juin 1989, par laquelle elle statuait sur certaines questions qu'elle avait elle-même soulevées dans une ordonnance ren- due en vertu de la Règle 474 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663 (mod. par DORS/79-57, art. 14)] le ler février 1989 en réponse à une demande visant à obtenir des directives pour qu'il soit statué sur certains points de droit soulevés dans les actes de procédure.
Les points en litige soulevés par le présent appel visent l'adoption de la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères [S.C. 1986, chap. 21] (la «Loi»), une loi fédérale sanctionnée le 17 juin 1986 et proclamée le 10 août 1986. Reproduite en annexe et approuvée à l'article 3 de la Loi, la «Convention pour la recon naissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères» (la «Convention») a été adoptée par la Conférence des Nations Unies sur l'arbitrage com mercial international tenue à New York le 10 juin 1958. Le Canada y a adhéré le 12 mai 1986. On nous a fait part que toutes les provinces du Canada de même que le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest avaient adopté une législation uniforme visant à don- ner effet à la Convention. Au Manitoba, cette législa- tion a pris la forme de la Loi sur l'arbitrage commer cial international, L.M. 1986-87, chap. 32, CPLM, C151.
En vertu du paragraphe 4(2) de la Loi, la Conven tion s'applique aux «sentences arbitrales rendues et aux conventions d'arbitrage conclues avant ou après l'entrée en vigueur de la présente Loi».
Le 17 janvier 1978, la compagnie appelante, entre- prise qui achète, vend et transporte le grain, a conclu
avec l'intimée, propriétaire du navire Grecian Isles, une charte-partie prévoyant le transport, de Vancou- ver à Bombay, en Inde, d'une cargaison de grain. Les clauses 10 et 17 de la charte-partie sont pertinentes et elles sont ainsi libellées:
[rRAnucr►oN] 10. CLAUSE COMPROMISSOIRE uCENTRO- CON»
Tout conflit découlant de ce contrat est, sauf si les parties con- viennent immédiatement d'un arbitre unique, soumis, pour arbitrage final, à deux arbitres, membres de la Baltic, exerçant à Londres et oeuvrant dans l'expédition et/ou le commerce du grain. Chaque partie nomme un arbitre; les arbitres ont le pou- voir de nommer un surarbitre. Toute réclamation est soumise par écrit, et l'arbitre du demandeur est nommé dans les 9 (neuf) mois du dernier déchargement; à défaut de respecter cette disposition, la partie est réputée avoir renoncé à la récla- mation alors prescrite. La sentence ne peut être contestée ni invalidée pour le motif que l'un ou l'autre des arbitres n'a pas la compétence exigée, sauf si une objection à sa nomination est soulevée avant que la sentence ne soit rendue.
17. Les droits de surestarie ou d'expédition au port de charge- ment sont réglés entre les armateurs et les affréteurs. Les droits de surestarie ou d'expédition au port de déchargement sont réglés entre les armateurs et les réceptionnaires. Les affréteurs demeurent responsables du règlement des droits de surestarie mais dans tous les cas, ce règlement doit s'effectuer dans les soixante jours à compter de la fin du déchargement, pourvu que toutes les parties se soient entendues sur le calcul de droits de surestarie.
Le juge des requêtes Strayer a également décrit les faits suivants à la page 138:
La défenderesse déclare que la cargaison a fini d'être déchar- gée le 20 mai 1978 et que, conformément au paragraphe 17 précité, toute réclamation que la demanderesse pourrait avoir contre elle relativement aux droits de surestarie aurait être intentée le 20 juillet 1978, c'est-à-dire soixante jours après la fin du déchargement de la cargaison. Il est manifeste que la défenderesse refuse d'acquitter les droits de surestarie. Les par ties ne mentionnent pas dans leurs plaidoiries la date à laquelle ce différend a été soumis à l'arbitrage, ni ne se sont entendues devant la Cour à ce sujet. Elles conviennent cependant qu'il l'a effectivement été, qu'une audience a eu lieu à Londres, en Angleterre, le 13 mai 1985, au cours de laquelle la demande- resse était représentée, alors que la défenderesse n'a présenté que des arguments écrits, et admettent en outre que la sentence a été rendue par les arbitres le 24 mai 1985. La demanderesse armateur a soumis une demande en recouvrement de droits de surestarie au montant de 150 392,25 $ (U.S.). Les arbitres lui ont accordé 53 168,40 $ (U.S.) avec intérêts et dépens.
Le 19 mai 1987, la demanderesse a intenté une action devant la Section de première instance en vue de l'exécution de la sentence arbitrale. Les actes de
procédure de l'action ont soulevé des points de droit soumis sous la forme de questions par l'ordonnance rendue le ler février 1989, lesquelles sont ainsi libel- lées:
(a) La sentence arbitrale («la sentence») mentionnée au paragraphe 5 de la déclaration ci-jointe peut-elle être exécu- tée ou maintenue en vigueur au Canada en vertu des disposi tions de la Loi sur la Convention des Nations Unies concer- nant les sentences arbitrales étrangères, Stat. Canada 1986, chap. 21?
(b) La sentence peut-elle être exécutée ou maintenue en vigueur au Canada si le fait générateur du litige est prescrit en vertu des lois de l'Angleterre?
(c) La sentence peut-elle être exécutée ou maintenue en vigueur au Canada si la demanderesse n'a pas fait exécuter sa demande en recouvrement des droits de surestarie en vertu de la charte-partie («la charte-partie») en date du 17 janvier 1978 contre le réceptionnaire de la cargaison transportée à bord du Grecian isle[sl?
(d) L'omission de la demanderesse de faire exécuter sa demande en recouvrement des droits de surestarie en vertu de la charte-partie contre le réceptionnaire de la cargaison transportée à bord du Grecian Isle[s] a-t-elle rendu les arbitres incompétents?
Après avoir analysé les prétentions respectives des parties et avoir fait part de son opinion à ce sujet, le juge Strayer a répondu aux quatre questions, aux pages 143 et 144, de la façon suivante:
(a) La sentence arbitrale est exécutoire au Canada et devant cette Cour conformément à la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étran- gères;
(b) le caractère exécutoire de la sentence au Canada n'est pas touché même si le fait générateur du litige était prescrit en vertu des lois de l'Angleterre au moment les procé- dures d'exécution ont été engagées au Canada, pourvu qu'une cour canadienne puisse refuser de reconnaître ou d'exécuter la sentence, si la défenderesse fournit la preuve que la question a été soumise à l'arbitrage (défini à la Limi tation Act, 1980 du R.-U.) en Angleterre après l'expiration du délai de prescription prévu par le droit anglais et que la défenderesse a plaidé ou a invoqué devant les arbitres le moyen de défense fondé sur la prescription;
(c) la sentence peut être exécutée et maintenue en vigueur au Canada nonobstant l'omission de la demanderesse de faire exécuter sa demande en recouvrement de droits de surestarie contre le réceptionnaire; et
(d) l'omission de la demanderesse de faire exécuter sa demande en recouvrement de droits de surestarie ne porte pas atteinte à la compétence des arbitres.
Une fois le présent appel interjeté, l'appelante a donné avis de la question constitutionnelle suivante, conformément à la Règle 1101 des Règles de la Cour fédérale:
[TRADUCTION] La Loi sur la Convention des Nations Unies con- cernant les sentences arbitrales étrangères, S.C. 1986, chap. 21 est-elle exorbitante du Parlement du Canada au motif qu'elle viole les paragraphes 92(13), 92(14) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867?
L'avis a été signifié au Procureur général du Canada et à celui du Manitoba. Le Procureur général du Canada est, par conséquent, avec l'autorisation de la Cour, intervenu dans cet appel, il a déposé un exposé des faits et du droit et il a comparu par procureur. Le Procureur général du Manitoba, quant à lui, n'est pas intervenu.
Dans sa plaidoirie écrite, l'appelante a contesté les quatre réponses du juge des requêtes, mais elle a limité ses observations orales aux réponses a) et b), sans toutefois se désister de sa contestation des réponses c) et d). Je peux traiter de ces deux contesta- tions brièvement. Les paragraphes V lc) et d) de la Convention sont concernés par les réponses c) et d). Ils portent que:
Article V
1. La reconnaissance et l'exécution de la sentence ne seront refusées, sur requête de la partie contre laquelle elle est invo- quée, que si cette partie fournit à l'autorité compétente du pays la reconnaissance et l'exécution sont demandées la preuve:
c) que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n'entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu'elle contient des décisions qui dépas- sent les termes du compromis ou de la clause compromis- soire; toutefois, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l'arbitrage peuvent être disso- ciées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l'arbitrage, les premières pourront être reconnues et exécu- tées; ou
d) que la constitution du tribunal arbitral ou la procédure d'arbitrage n'a pas été conforme à la convention des parties, ou, à défaut de convention, qu'elle n'a pas été conforme à la loi du pays l'arbitrage a eu lieu; ou
Le juge des requêtes a écrit, aux pages 142 et 143:
Je traiterai de ces deux questions en même temps parce que je crois qu'elles se recoupent. Je partage l'avis de l'avocat de la défenderesse selon lequel les motifs permis pour refuser la
reconnaissance et l'exécution sont énoncés à l'article V de la Convention. Il invoque le paragraphe 1(c) de cet article relati- vement à ces deux questions, soutenant que si la demanderesse armateur devait régler les droits de surestarie avec le réception- naire conformément au paragraphe 17 de la charte-partie, la décision des arbitres favorisant partiellement la demanderesse n'a donc pas être conforme aux exigences énoncées au paragraphe 17 ni par conséquent, aux termes du paragraphe V 1(c) de la Convention
que la sentence porte sur un différend non visé dans le com- promis ou n'entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu'elle contient des décisions qui dépas- sent les termes du compromis ou de la clause compromis- soire ...
Je ne peux pas conclure que si la demanderesse ne faisait pas exécuter sa demande de paiement des droits de surestarie con- tre le réceptionnaire, le paragraphe V 1(c) empêcherait l'exécu- tion de la sentence. Il me semble que le «différend» visé par la clause compromissoire était l'obligation contestée de la défen- deresse de payer les droits de surestarie conformément au para- graphe 17 de la charte-partie. Ce qui fait plutôt l'objet de la plainte de la défenderesse c'est que les arbitres, en réglant le «différend» qui leur avait été soumis, n'ont pas tenu compte de manière satisfaisante d'un moyen de défense auquel elle croyait avoir droit. Aucune doctrine ni jurisprudence ne m'a été citée et il ne me paraît pas raisonnable de conclure que l'omission, réelle ou hypothétique, de la demanderesse de faire exécuter sa demande contre le réceptionnaire empêchait les arbitres de décider que la défenderesse était en partie redevable à la demanderesse. Il me semble que les arbitres ont déterminé le «différend» qui leur a été soumis par les parties, c'est-à-dire l'existence et l'étendue de l'obligation de la défenderesse d'ac- quitter les droits de surestarie en vertu de la charte-partie. Il leur fallait décider quel effet, le cas échéant, l'omission de la demanderesse de régler les droits de surestarie devrait avoir sur l'obligation de la défenderesse.
Pour la même raison, je suis incapable de conclure que cette omission présumée de la demanderesse de faire exécuter le paiement des droits de surestarie contre le réceptionnaire a eu pour effet de priver les arbitres de la compétence qui leur est conférée par le renvoi. Il importe également de justifier de l'ar- gument portant sur la compétence et fondé sur l'article V 1(c) de la Convention en tenant compte du fait que la question de la détermination de l'obligation de la défenderesse, malgré l'omission de la demanderesse, n'a pas été soumise aux arbitres dans le compromis. Il faut présumer que les termes de la clause compromissoire étaient conformes au paragraphe 10 de la charte-partie, susmentionnée, qui devait régir «tout con- flit découlant de ce contrat». Le «conflit» soumis aux arbitres était certainement l'obligation contestée de la défenderesse d'acquitter les droits de surestarie: il s'agissait de la question qu'ils étaient en droit de régler et qu'ils ont effectivement réglée. La véritable plainte de la défenderesse porte sur le fait que les arbitres n'ont pas tenu compte d'un certain moyen de défense qu'elle croyait avoir le droit d'invoquer. Cela ne cons- titue pas une raison pour refuser de reconnaître une sentence au sens de l'article V de la Convention.
Je suis respectueusement d'accord avec cette opinion.
J'en viens maintenant aux points en litige soulevés par les réponses a) et b). La première réponse soulève une question constitutionnelle que je répéterai pour plus de commodité:
[TRADUCTION] La Loi sur la Convention des Nations Unies con- cernant les sentences arbitrales étrangères, S.C. 1986, chap. 21 est-elle exorbitante du Parlement du Canada au motif qu'elle viole les paragraphes 92(13), 92(14) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867?
Bien que cette question n'ait pas été soumise à la Section de première instance, on a soumis au juge des requêtes un moyen portant sur la compétence du Par- lement d'adopter la Loi. Les opinions du juge se situent dans le contexte de l'article XI de la Conven tion, qu'il a appelé la «clause relative à l'État fédéra- tif», et qui est ainsi libellé:
Article XI
Les dispositions ci-après s'appliqueront aux États fédératifs ou non unitaires:
a) en ce qui concerne les articles de la présente Convention qui relèvent de la compétence législative du pouvoir fédéral, les obligations du gouvernement fédéral seront les mêmes que celles des états contractants qui ne sont pas des États fédératifs;
b) en ce qui concerne les articles de la présente Convention qui relèvent de la compétence législative de chacun des États ou provinces constituants, qui ne sont pas, en vertu du sys- tème constitutionnel de la fédération, tenus de prendre des mesures législatives, le gouvernement fédéral portera le plus tôt possible, et avec son agis favorable, lesdits articles à la connaissance des autorités compétentes des États ou pro vinces constituants;
c) un État fédératif partie à la présente Convention commu- niquera, à la demande de tout autre État contractant qui lui aura été transmise par l'intermédiaire du Secrétaire général de l'Organisation des Mitions Unies, un exposé de la légis- lation et des pratiques e /vigueur dans la fédération et ses unités constituantes, en e qui concerne telle ou telle dispo sition de la Conventio , indiquant la mesure dans laquelle effet a été donné, par ne action législative ou autre, à ladite disposition.
Le juge s'est ainsi exprimé sur la question de la com- pétence du Parlement, à la page 140:
L'article 6 de la Loi de 1986 prévoit qu'une demande d'exécu- tion d'une sentence aux termes de la Convention «peut être faite à la Cour fédérale». En ce qui a trait à la compétence du Parlement pour légiférer dans ce sens, conformément à la «clause relative à l'État fédératif» de la Convention, il faut
présumer que le Parlement a légiféré sur les aspects de la Con vention qui relèvent de sa compétence. «La navigation et les expéditions par eau» en sont un exemple. Il existe beaucoup de jurisprudence soutenant que le droit maritime relève, dans un sens très large, de la compétence du pouvoir législatif et que les lois qui en découlent sont des «lois du Canada» au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le règlement des litiges relatifs aux charte-parties doit être placé sous la rubrique «navigation et expéditions par eau».
Cela veut dire que le Parlement avait la compétence voulue pour donner force de loi à la Convention dans des domaines relevant de son autorité tels que «la navigation et les expédi- tions par eau» et que la Cour fédérale a compétence parce que le Parlement l'a habilitée à statuer sur des réclamations faites en vertu d'une loi du Canada. [Renvoi omis.]
La portée de la Loi est mise en cause parce qu'elle prétend traiter de l'exécution de «sentences arbitrales étrangères» purement et simplement sans se limiter aux sentences qui sont du ressort de la compétence législative fédérale. L'article 6 prévoit la procédure judiciaire par laquelle il est possible d'obtenir l'exé- cution de cette sentence. Il porte que:
6. Une demande de reconnaissance et d'exécution d'une sen tence arbitrale aux termes de la Convention peut être faite à la Cour fédérale ou à toute cour supérieure, de district ou de comté.
L'appelante soumet trois moyens pour faire décla- rer la Loi inconstitutionnelle. En premier lieu, puis- qu'une sentence arbitrale étrangère tire son origine d'un contrat, son exécution au Canada relève de la compétence provinciale en vertu de l'un ou l'autre des paragraphes 92(13), (14) ou (16) de la Loi consti- tutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, n 0 5]], comme matière portant sur: «la propriété et les droits civils», «l'administration de la justice» ou «une nature purement locale ou privée». En deuxième lieu, et subsidiairement, la Loi est inconstitutionnelle en raison de sa portée trop générale, puisqu'elle ne se limite pas aux questions relevant de la compétence fédérale. En conséquence, elle va à l'encontre de la décision du Conseil Privé dans l'affaire Attorney - General for Canada v. Attorney -General for Ontario [Affaire des conventions du travail], [1937] A.C. 326 (P.C.). En troisième lieu, et à titre de corollaire à la dernière prétention, l'appelante soutient que, bien que le Parlement du Canada puisse posséder la compé-
tence législative d'adopter des lois visant la recon naissance et l'exécution de sentences arbitrales étran- gères, il ne peut le faire que par un libellé approprié qui limite la cause d'action à l'exécution des sen tences découlant de matières qui relèvent de sa com- pétence législative. L'appelante prétend que la Loi n'utilise pas un tel libellé.
En ce qui a trait au premier point, à la fois l'inti- mée et l'intervenant prétendent que tous les contrats ne relèvent pas de la compétence provinciale, bien que ce soit le cas pour nombre d'entre eux. Certains contrats sont régis par le droit fédéral, et le Parlement peut investir la Section de première instance de la compétence à leur endroit. L'article 6, prétendent-ils, doit être interprété comme créant une cause d'action à caractère fédéral visant la reconnaissance et l'exé- cution de sentences arbitrales étrangères relevant de la compétence législative fédérale. Cette interpréta- tion devient d'autant plus évidente, selon l'intimée et l'intervenant, lorsqu'on voit que, à la demande du Gouvernement du Canada, les législatures provin- ciales et territoriales ont adopté une législation cor- respondante qui prévoit la reconnaissance et l'exécu- tion de sentences relevant de leurs domaines de compétence respectifs. En fait, ils prétendent qu'en adoptant la Loi, le Gouvernement n'a fait ni plus ni moins que respecter l'obligation législative fédérale du Canada prévue à l'article XI de la Convention.
Ces observations m'ont convaincu. À mon avis, le Parlement possédait effectivement le pouvoir d'adop- ter la Loi à titre de législation fédérale valide visant la reconnaissance et l'exécution au Canada de sen tences arbitrales étrangères dont la nature est, du point de vue constitutionnel, fédérale. La question se posera sans doute de savoir, lors d'affaires particu- lières, si l'exécution d'une certaine sentence se situe dans la juste portée de la législation.
En deuxième lieu, on conteste ce que l'on estime être la trop grande portée de la Loi, étant donné la généralité de l'article 6 et de la Convention elle- même, qui prévoit littéralement l'exécution de toute «sentence arbitrale étrangère». L'article 6, comme l'appelante le souligne, ne se restreint pas expressé- ment à la reconnaissance et à l'exécution de sen tences se situant dans le cadre législatif fédéral. En conséquence, prétend-on, le Parlement n'a pas res-
pecté les exigences énoncées par le Conseil privé dans l'Affaire des conventions du travail, précitée, dans laquelle lord Atkin a dit, à la page 352:
[TRADUCTION] De ce qui précède, il faut conclure que son nouveau statut international, et les attributions exécutives plus étendues qui en découlent, ne confèrent pas au Dominion une plus vaste compétence législative. 11 est vrai, comme l'a noté le juge en chef dans ses motifs, que l'Exécutif est maintenant revêtu du pouvoir de conclure des traités; d'autre part, le Parle- ment du Canada, envers lequel il est responsable, le rend comptable de ces traités. Si le Parlement n'en veut pas, ils ne pourraient être faits ou alors les ministres subiraient le sort prévu par la Constitution. Mais cela est vrai de toutes les attri butions de l'Exécutif par rapport au Parlement. Rien dans la Constitution actuelle ne permet d'étendre la compétence du Parlement du Dominion jusqu'au point elle irait de pair avec l'extension des attributions de l'Exécutif du Dominion. Si les nouvelles attributions portent sur les catégories de sujets énumérés à l'article 92, la législation les appuyant relève uni- quement des législatures provinciales. Dans le cas contraire, la compétence de la législature du Dominion est définie à l'ar- ticle 91 et elle existait au départ. En d'autres termes, le Domi nion ne peut par de simples promesses à des pays étrangers se revêtir d'une autorité législative incompatible avec la Constitu tion à laquelle il doit son existence.
L'appelant soutient que, pour éviter que la Loi soit déclarée inconstitutionnelle, il fallait restreindre la portée du texte de façon à ce que la Loi ne s'«ap- plique que dans la mesure ce Parlement a compé- tence pour l'adopter».
À mon avis, on ne devrait pas considérer la Loi trop générale. La Cour suprême du Canada a claire- ment affirmé qu'une législation susceptible, pourrait- on avancer, d'être inconstitutionnelle en raison de la généralité de ses termes ne doit pas être automatique- ment vue comme telle. Dans l'affaire Di Iorio et autre c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152, le juge Dickson (tel était alors son titre) a dit, à la page 200:
C'est un principe bien reconnu d'interprétation que si un texte d'une loi est également susceptible de deux interpréta- tions, dont l'une aurait pour effet de rendre la loi intra vires et l'autre de la rendre invalide, la première doit prévaloir: McKay et al. c. La Reine ([1965] R.C.S. 798), à la p. 804. Il ne faut pas décider à la légère qu'une loi autorisant des décisions adminis- tratives dépasse la compétence constitutionnelle du corps légis- latif qui l'a adoptée.
Le juge Beetz a de nouveau énoncé le même principe dans l'affaire Société Radio-Canada et autre c. Com-
mission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618, à la page 641. Ses mots sont des plus révélateurs. Il a dit:
Bien des lois sont rédigées en termes si généraux qu'il est pos sible de leur donner un sens qui les rende ultra vires. Il importe alors de les interpréter à la lumière de la Constitution parce que l'on doit présumer que le législateur n'a pas voulu excéder sa compétence:
[TRADUCTION] Il existe une présomption de juris quant à l'exis- tence de l'intention véritable d'un organisme législatif d'agir dans les limites de sa compétence et une présomption sembla- ble que les termes généraux employés dans une loi n'ont pas pour effet d'étendre son application au-delà de la compétence territoriale de la législature.
(Le juge Fauteux,—il n'était pas encore juge en chef—dans Renvoi re The Farm Products Marketing Act ([1957] R.C.S. 198), à la p. 255.)
Pour mettre ce principe en oeuvre, une cour peut, au nom de la Constitution, restreindre la portée apparemment générale d'une disposition et ce, même lorsque la constitutionnalité de la disposition n'a pas été attaquée et que le procureur général n'a pas été mis en cause. C'est ce que cette Cour a fait dans McKay c. La Reine ([1965] R.C.S. 798).
Je crois que ce principe s'applique à l'affaire en l'es- pèce. En l'occurrence, il n'était pas nécessaire d'utili- ser des termes explicites pour restreindre l'applica- tion de la Loi.
L'appelante ne prétend pas sérieusement que le Parlement ne peut prévoir, dans une loi, l'exécution d'une sentence de la nature de celle rendue le 24 mai 1985. Je n'éprouve aucune difficulté à cet égard. Néanmoins, je devrais, en quelques mots, faire con- naître les motifs qui appuient mon opinion. Cette sen tence, comme nous l'avons vu, a été rendue confor- mément à une clause d'une charte-partie. Les parties ont choisi de prévoir, à la clause 10 de cette entente, le règlement des conflits par une procédure d'arbi- trage obligatoire, tenue à Londres. L'intimée a eu recours à l'arbitrage parce que la demande en recou- vrement des droits de surestarie n'a pas été réglée dans la limite des soixante jours prévue à la clause 17.
Il est important de garder à l'esprit la nature d'une sentence arbitrale en common law. Dans l'affaire Doleman & Sons v. Ossett Corporation, [1912] 3 K.B. 257 (C.A.), à la page 267, le lord juge Fletcher Moulton s'est ainsi exprimé sur ce sujet:
[TRADUCTION] Le plaignant peut, au moyen d'un bref, obliger la partie opposée à comparaître devant la Cour dont la décision
lie les parties. Il existe cependant une pratique ancienne selon laquelle, pour certaines catégories de contrats, les parties con- tractantes nomment un tribunal privé auquel elles donnent, par contrat, le pouvoir de régler des conflits découlant du contrat en cause. Lorsqu'un conflit est soumis à un tribunal privé ainsi constitué et qu'une sentence est rendue, celle-ci lie alors les deux parties et tranche, quant à elles, le conflit. En fait, les par ties ont convenu que leurs droits à l'égard de ce conflit sont ceux établis par la sentence, et qu'essentiellement, celle-ci prend alors la nature d'une «dation en paiement aux termes d'une nouvelle convention.» Les droits originaux des parties sont anéantis, et la sentence leur en attribue de nouveaux.
Une telle sentence ne peut, de toute évidence, s'exécuter d'elle-même. La clause 17 de la charte- partie ne prévoit aucune procédure visant à faire valoir la sentence. Toutefois, les tribunaux n'ont jus- qu'à présent éprouvé aucune difficulté à conclure que les parties à une procédure d'arbitrage conviennent implicitement de respecter la sentence et que cet acquiescement fournit les assises d'une action en exécution de la sentence devant les tribunaux com- muns. La sentence, jointe à la promesse implicite de la payer, crée une nouvelle cause d'action. Lord Pear- son, dans l'affaire Bloemen (F.J.) Pty. Ltd. v. City of Gold Coast Council, [1973] A.C. 115 (P.C.), a reconnu ce principe à la page 126:
[TRADUCTION] Il est vrai—comme les affaires précitées le démontrent—que lorsqu'un arbitre fixe un montant à payer par une partie ayant soumis le conflit à l'arbitrage, montant qui représente des dommages-intérêts pour violation de contrat, la sentence crée une nouvelle cause d'action qui se substitue à celle qui découle de la violation du contrat.
Le juge Otton a exprimé la même opinion dans l'af- faire Agromet Motoimport v. Maulden Engineering Co. (Beds.) Ltd., [1985] 1 W.L.R. 762 (Q.B.D.) dans laquelle il a analysé l'effet d'une sentence arbitrale en fonction de la jurisprudence et il a déclaré, à la page 772:
[TRADUCTION] A mon avis, l'action concernant une sentence et l'action visant à exécuter cette sentence ont des causes d'action distinctes. Celle de la seconde est différente et n'est en aucune façon liée au contrat original ni à sa violation, constatée par la sentence. J'en suis venu à la conclusion qu'il n'y a rien de répugnant à supposer l'existence d'une telle condition au con- trat ... À mon avis, il est donc entendu implicitement que la sentence rendue sera respectée. Cette condition implicite fait partie, évidemment, de l'entente originale ... et elle continue d'exister si la sentence n'est pas respectée; il y a alors violation de cette condition implicite ..
Voir également Mustill and Boyd, The Law and Prac tice of Commercial Arbitration in England (Londres,
1982), aux pages 568 et 569; Walton and Victoria, Russell on the Law of Arbitration, 20e éd., (Londres, 1982), aux pages 357 et 358, et 382 385.
Il est bien reconnu que le Parlement possède un vaste pouvoir en matière de «navigation et bâtiments ou navires» en vertu du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867: Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273. Comme le juge La Forest l'a souligné dans cette affaire, lorsqu'un tribunal est appelé à décider si, par leur caractère véritable, les dispositions attaquées constituent une législation por- tant sur l'ensemble de règles de droit fédérales uni- formes appelé le «droit maritime canadien», il doit considérer la jurisprudence qui étudie la portée et le contenu de la compétence conférée à la Section de première instance en matière maritime et d'amirauté. Dans son jugement, le juge La Forest a pris soin de souligner que ces affaires avaient une conséquence sur la portée de la compétence législative du Parle- ment relativement à la navigation et aux bâtiments et navires. Aux pages 1289 et 1290, il a dit:
Au contraire, il ne faut pas oublier que l'examen de la validité et de l'étendue de la compétence relative aux questions mari- times et d'amirauté conférée à la Cour fédérale par l'art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10, a été effectué, conformément aux arrêts de notre Cour Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, et McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, en fonction de l'art. 101 de ce qui est maintenant la Loi constitutionnelle de 1867. Cette disposi tion prévoit que le Parlement pourra créer une «cour générale d'appel pour le Canada, [et établir] d'autres tribunaux pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada». Comme l'a fait remarquer le juge en chef Laskin dans les arrêts Quebec North Shore Paper Co. et McNamara (aux pp. 1065 et 1066, et à la p. 658, respectivement), cela signifie que l'attribution d'une compétence à la Cour fédérale (ou à tout autre tribunal créé en application de l'art. 101) ne sera valide et ne produira des effets que s'il existe «une législation fédérale applicable» nécessaire à son exercice. Autrement dit, l'art. 101 exige que toute compétence accordée à la Cour fédérale soit appuyée ou fondée sur un ensemble de règles de droit assujetties à la com- pétence législative du Parlement.
Quant à la compétence de la Cour fédérale sur les questions maritimes et d'amirauté, cet ensemble de règles de droit est mentionné à l'art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale comme étant le «droit maritime canadien». Comme je l'ai déjà expliqué, notre Cour a décidé qu'un tel ensemble de règles de droit existait bel et bien. Elle a aussi conclu qu'il s'agissait de règles de droit fédérales relevant de la compétence législative du Parlement en matière de navigation et d'expédition par eau qui est visée au par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867;
voir 1TO, à la p. 777. Par conséquent, un examen de la portée et du contenu quant au fond de la compétence de la Cour fédé- rale en matière de droit maritime canadien constitue aussi un examen de la portée et du contenu d'un aspect important de la compétence exclusive du Parlement sur la navigation et les expéditions par eau.
La définition de «droit maritime canadien» figure à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7] ainsi libellé:
2....
«droit maritime canadien» Droit—compte tenu des modifica tions y apportées par la présente loi ou par toute autre loi fédérale—dont l'application relevait de la Cour de l'Échi- quier du Canada, en sa qualité de juridiction de l'Amirauté, aux termes de la Loi sur l'Amirauté, chapitre A-1 des Statuts révisés du Canada de 1970, ou de toute autre loi, ou qui en aurait relevé si ce tribunal avait eu, en cette qualité, compé- tence illimitée en matière maritime et d'amirauté.
Son contenu a été l'objet de plusieurs décisions récentes rendues par la Cour suprême du Canada: Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [1979] 2 R.C.S. 157; ITO—International Ter minal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779. Dans l'affaire Monk, précitée, le juge Iacobucci, s'exprimant au nom de la majorité, a ainsi résumé les motifs et les conclusions du juge McIntyre dans l'affaire ITO, pré- citée, dans la mesure ils sont pertinents au présent débat, à la page 795:
(1) La seconde partie de la définition du droit maritime cana- dien à l'article 2 prévoit une compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté, qu'une méthode historique ne saurait autoriser à limiter ni à figer; au contraire, les termes «mari- time» et «amirauté» doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau.
(2) Le droit maritime canadien n'est limité que par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi constitution- nelle de 1867, de sorte qu'en déterminant si une affaire donnée soulève une question maritime ou d'amirauté, on doit éviter d'empiéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une matière relevant de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle.
(3) Le critère permettant d'établir si la question examinée relève du droit maritime exige de conclure que cette question est entièrement liée aux affaires maritimes au point de consti- tuer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale.
Le droit maritime et d'amirauté du Canada, bien que traditionnel et archaïque sous de nombreux aspects, ne doit pas être enfermé ni limité au droit
dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction de l'Amirauté, et reconnu dans la première partie de la définition de «droit maritime canadien»; comme l'indique la deuxième partie de la définition, il est susceptible d'extension, bien que cette dernière doive s'opérer dans les limites des contraintes constitutionnelles reconnues. C'est ce qu'on a décidé dans l'affaire 1TO, précitée, et le juge Iacobucci a formulé, à ce sujet, les observations supplémentaires suivantes dans l'affaire Monk, précitée, aux pages 800 et 801:
Finalement, je dirais que les demandes de Monk ont un caractère maritime et qu'elles n'empiètent d'aucune façon sur ce qui constitue, «de par son caractère véritable», une matière qui relève de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.. .
Je tiens aussi à ajouter que ma façon d'aborder cette ques tion est en harmonie avec le point de vue du juge McIntyre lorsqu'il dit que les termes «maritime» et «amirauté» doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau, et qu'ils ne doivent pas être statiques ou figés. On devrait plutôt pourvoir adapter ces termes selon l'évolution des circonstances sans être prisonniers du carcan des classifications doctrinales rigides ou des limites historiques excessives.
Il me semble par conséquent tout à fait approprié pour un tribunal qui doit décider si une sentence peut être reconnue et exécutée en conformité avec la Loi, de tenir compte de son origine dans la charte-partie, un contrat sans aucun doute maritime, et de la demande sous-jacente de recouvrement de droits de surestarie, une demande sans contredit maritime, puisque cette entente et cette demande permettent de rendre une sentence, et c'est l'existence de la sen tence qui ouvre la voie à son exécution par procédure judiciaire.
À mon avis, la création d'une cause d'action visant la reconnaissance et l'exécution de la sentence arbi- trale étrangère en litige, découlant comme elle le fait de la violation de la charte-partie relativement au paiement des droits de surestarie, est une matière maritime ou si étroitement liée aux affaires maritimes qu'elle constitue légitimement du droit maritime canadien. La sentence découle indirectement de la charte-partie et se résume, en réalité, à une conclu sion reconnaissant la validité et le montant approprié de la demande de droits de surestarie. Si cette entente n'avait pas prévu le recours à l'arbitrage, l'intimée aurait été en droit d'intenter des poursuites sur le fon- dement de la demande originale devant la Section de
première instance qui, comme nous le verrons, a été investie de la compétence explicite de connaître des demandes de cette nature. L'appelante, d'un point de vue opposé, aurait également été en droit d'intenter devant la même Cour une action en réclamation pour diligence. En effet, une clause compromissoire en soi ne prive pas la Section de première instance de sa compétence, bien qu'elle crée effectivement un fon- dement, dans l'intérêt de la justice, permettant de sus- pendre une action instruite contrairement à cette clause: Seapearl (Navire MN) c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161 (C.A.). À mon avis, l'exécution de la présente sentence relève de la compétence législa- tive fédérale en matière de navigation et de bâtiments ou navires.
Je suis également d'avis qu'il était du ressort du Parlement de conférer à la Section de première ins tance la compétence de connaître de cette cause d'ac- tion. Dans l'affaire Eurobulk Ltd. c. Wood Preserva tion Industries, [1980] 2 C.F. 245 (i r e inst.), on a conclu que la Section de première instance avait compétence pour rendre exécutoire une sentence arbitrale prononcée à l'étranger conformément à une charte-partie. Voir aussi l'affaire Atlantic Lines & Navigation Co. Inc. c. Didymi (Le), [ 1988] 1 C.F. 3 (C.A.). Dans l'arrêt ITO, précité, la Cour suprême du Canada a résumé les trois conditions nécessaires à l'existence de la compétence de la Section de pre- mière instance de cette Cour. S'exprimant au nom de la Cour, le juge McIntyre a, à la page 766, déclaré que, pour pouvoir conclure à cette compétence:
1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Par- lement fédéral.
2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada» au sens cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
À mon avis, ces exigences sont respectées en l'es- pèce. L'attribution de la compétence par une loi du Parlement du Canada se trouve à l'article 6 de la Loi et à l'alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale, ainsi libellé:
22....
(2) 11 demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), la Section de première instance â compétence dans les cas suivants:
i) une demande fondée sur une convention relative au trans port de marchandises à bord d'un navire, à l'usage ou au louage d'un navire, notamment par charte-partie;
Le droit maritime canadien renferme l'ensemble actuel de règles de droit fédérales essentielles à la résolution de l'affaire et qui constitue le fondement de l'attribution de compétence. Ces lois sont des «lois du Canada». Je le répète, je suis convaincu que le genre de sentence en cause en l'espèce relève du «droit maritime canadien», tel que nous le connais- sons aujourd'hui, et que ce droit relève de la compé- tence législative du Parlement en vertu du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867.
À mon avis, la question constitutionnelle doit rece- voir une réponse négative.
Le dernier point en litige découle de la réponse du juge des requêtes à la question b). L'appelante sou- tient que le juge a commis une erreur en concluant que le délai dans lequel il faut instruire l'action devant la Section de première instance n'est pas régi par les lois de l'Angleterre. Subsidiairement, elle pré- tend que l'action est prescrite en vertu des lois du
Canada.
L'appelante s'appuie sur l'article 7 de la Limita tions Act 1980, 1980, chap. 58 (R.-U.) pour établir le délai de prescription applicable. Il porte que:
[TRADUCTION] 7. Une action visant l'exécution d'une sen tence, lorsque le compromis n'est pas un acte revêtu d'un sceau, doit être intentée dans un délai de six ans à compter de la date le fait générateur du litige est survenu.
Selon le juge des requêtes, le droit canadien, et non le droit anglais, régit cette question. A la page 141, il a dit:
Le droit canadien et le droit anglais prévoient clairement que les lois de ce genre en matière de prescription sont de nature procédurale et que les dispositions pertinentes sont celles de la lex fori. Ainsi, le droit canadien régit la question relative au délai de prescription applicable à une action en exécution de sentence intentée devant un tribunal canadien. [Renvois omis.]
Je suis respectueusement d'accord avec cette opi nion. Je l'ai déjà mentionné, la sentence arbitrale étrangère a créé une nouvelle cause d'action qu'il est possible de faire valoir devant la Section de première
instance. Même si la loi anglaise s'appliquait, elle prévoit un délai pour intenter une action en exécution d'une sentence. Mais une telle sentence n'existe qu'après avoir été rendue. Alors seulement peut-on demander son exécution devant les tribunaux.
Les avocats soutiennent, subsidiairement, que la question de prescription est régie par les dispositions du paragraphe 39(2) de la Loi sur la Cour fédérale, ainsi libellé:
39....
(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n'est pas survenu dans une pro vince.
À mon avis, le «fait générateur [est] survenu» au plus tôt le 24 mai 1985, jour la sentence a été rendue. L'action a été intentée devant la Section de première instance bien avant que le délai de prescription de six ans prévu au paragraphe ne soit écoulé.
En résumé, je répondrais négativement à la ques tion constitutionnelle, je confirmerais les réponses données dans l'ordonnance rendue par la Section de première instance le 12 juin 1989, et je rejetterais le présent appel avec dépens en faveur de l'intimée. Comme l'intervenant ne demande aucuns frais, aucuns ne lui seront adjugés.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.. LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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