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A-619-90
Gur Raj Singh Grewal (requérant) c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIA' GREWAL C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRAT/ON) (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, MacGuigan, et Linden, J.C.A.—Toronto, 21 juin; Ottawa, 12 septembre 1991.
Immigration Statut de réfugié Réouverture de l'en- quête Refus de l'arbitre de rouvrir l'enquête pour permettre au requérant de revendiquer le statut de réfugié Les faits nouveaux articulés après la décision d'expulsion (risque de persécution au retour en Inde) ont été considérés à deux repri ses par la Commission d'appel de l'immigration avant qu'elle n'ait rejeté l'appel contre la mesure d'expulsion et refusé d'en- tendre l'appel de nouveau, par la ministre avant qu'elle n'ait refusé d'intervenir sur la base des motifs humanitaires, et par l'arbitre avant qu'elle n'ait refusé de rouvrir l'enquête L'ar- bitre rappelle que l'art. 35 de la Loi sur l'immigration autorise la réouverture à seule fin de recueillir des preuves et témoi- gnages nouveaux, .susceptibles de justifier la modification de la décision antérieure Distinction faite entre la cause en ins tance et l'affaire Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (réouverture par exemption constitutionnelle si la situation est manifestement injuste) par ce motif qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation de l'art. 7 de la Charte L'ar- bitre a compétence pour examiner les arguments constitution- nels Elle n'a pas refusé d'exercer sa compétence.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Recours en annulation du refus de l'arbitre de rou- vrir l'enquête d'immigration pour permettre au requérant de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention Il y a eu observation de l'art. 7 de la Charte pour ce qui est de la possibilité de présenter des preuves nouvelles à l'autorité com- pétente, qui doit les instruire pleinement La justice fonda- mentale n'exige pas telle ou telle méthode d'instruire des points de fait ou de droit.
Recours en annulation du refus de l'arbitre de rouvrir l'en- quête d'immigration pour permettre au requérant de revendi- quer le statut de réfugié au sens de la Convention. Le requérant avait été reconnu coupable de tentative de meurtre pour avoir tiré sur un agent de police au cours d'une manifestation à Toronto contre le gouvernement de l'Inde. Durant son incarcé- ration, il fit l'objet d'une mesure d'expulsion à l'issue d'une enquête d'immigration. Avant que son appel en la matière ne fût entendu par la Commission d'appel de l'immigration (compte tenu de «tous les faits de la cause»), un livre avait été publié qui rapportait ce qui s'était passé lors de la manifesta tion et ce qui s'ensuivit. La Commission a rejeté l'appel, quali-
fiant de «pure conjecture» la crainte du requérant d'être persé- cuté s'il retournait en Inde. Des articles sur l'appel rejeté du requérant et sur son expulsion imminente parurent dans la presse punjabi. Le requérant soutient que ces articles ont poussé la police à faire des perquisitions dans son village natal et à avertir avec menaces les villageois de ne pas l'abriter s'il revenait. Des villageois qui craignaient pour sa sécurité l'ont averti de ne pas revenir chez lui. Le requérant a demandé par la suite, sans plus de succès, à la ministre d'intervenir sur la base des motifs humanitaires, en faisant valoir que sa vie serait en danger s'il retournait en Inde. La Commission d'appel de l'im- migration (Section d'appel), saisie d'une demande fondée sur de nouvelles informations, refusa à son tour d'entendre de nou- veau l'appel contre la mesure d'expulsion. Par la suite, l'arbitre a refusé de rouvrir l'enquête à l'issue de laquelle l'expulsion du requérant avait été ordonnée, par ce motif que l'article 35 de la Loi sur l'immigration autorisait la réouverture de l'en- quête «à seule fin de recueillir des preuves et témoignages nou- veaux, susceptibles de justifier la modification de la décision antérieure d'un arbitre». Elle a distingué la cause en instance de l'affaire Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration), dans laquelle il a été jugé qu'une enquête pouvait être rouverte par exemption constitutionnelle si la situation était «manifestement injuste», alors qu'en l'espèce, il n'y avait pas eu violation des droits du requérant, que garantit l'article 7 de la Charte.
Le requérant soutient que l'arbitre a commis une erreur en refusant de rouvrir l'enquête pour entendre l'argument de vio lation de l'article 7 de la Charte. Et qu'il est constitutionnelle- ment nécessaire, lorsque les circonstances s'y prêtent, de per- mettre la réouverture de l'enquête pour que l'intéressé puisse y revendiquer le statut de réfugié. Il échet d'examiner s'il y a eu violation des droits que l'article 7 de la Charte garantit au requérant (c'est-à-dire s'il y a eu violation des principes de jus tice fondamentale) et si l'arbitre a refusé d'exercer sa compé- tence faute d'avoir examiné les arguments constitutionnels.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Il a été jugé qu'une enquête pouvait être rouverte si le refus en constituait un déni de justice fondamentale. L'article 7 exige que le demandeur de statut de réfugié se voie accorder la possibilité de présenter les nouvelles preuves du risque de per- sécution dans son pays d'origine à l'autorité compétente qui doit les instruire pleinement. Tel a été le cas en l'espèce. Le requérant a eu la possibilité de présenter ses faits nouveaux, sous une forme ou sous une autre, à plusieurs autorités. Il se peut que ces faits nouveaux n'aient pas été examinés comme il aurait voulu qu'ils le fussent, mais la justice fondamentale n'exige pas telle ou telle méthode d'instruire des points de fait ou de droit. Rien, à la date de l'enquête primitive, ne privait le requérant de son droit à la justice fondamentale.
L'arbitre avait compétence pour examiner les arguments constitutionnels, et elle l'a exercée en distinguant la cause en instance de l'affaire Kaur. Bien que son analyse de la question constitutionnelle fût succincte, elle n'a pas refusé d'examiner cette question.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 35(1), 43 (mod. par L.R.C. (1985) (4o suppl.), chap. 28, art. 14), 114(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387; (1988), 55 D.L.R. (4th) 481; [1989] 1 W.W.R. 97; 71 Sask. R. 1; 45 C.C.C. (3d) 57; 66 C.R. (3d) 97; 36 C.R.R. 90; 88 N.R. 205.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1990] 2 C.F. 209; (1989), 64 D.L.R. (4th) 317; 104 N.R. 50 (CA.); Mattia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 3 C.F. 492; (1987), 10 F.T.R. 170 (1« inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration), [1990] 2 C.F. 299; (1990), 67 D.L.R. (4th) 697; 42 Admin. L.R. 189; 10 Imm. L.R. (2d) 137; 107 N.R. 107 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Gray c. Fortier, [1985] 2 C.F. 525; (1985), 21 D.L.R. (4th) 14; 61 N.R. 197 (C.A.); Chandra c. Canada (Minis- tre de l'Emploi et de l'immigration), A-753-86, juge en chef Thurlow, jugement en date du 22-5-87, C.A.F., non publié; Ramnarian v. Minister of Employment and Immi gration (1981), 55 N.R. 67 (C.A.F.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Re Seaboyer and The Queen (1987), 61 O.R. (2d) 290; 37 C.C.C. (3d) 53 (C.A.); conf. par [1991] 2 R.C.S. 577; Longia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 288; (1990), 44 Admin. L.R. 264; 10 Imm. L.R. (2d) 312; 114 N.R. 280 (C.A.); Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 487; (1989), 61 D.L.R. (4th) 573; 47 C.R.R. 361; 8 Imm. L.R. (2d) 165 (C.A.); Gayme c. La Reine et al., [1991] 0 R.C.S. 000; Armadale Communications Ltd c. Arbitre (Loi sur l'immigration), [1991] 3 C.F. 242; (1991), 127 N.R. 342 (C.A.); Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 81 D.L.R. (4th) 358; 91 CLLC 14,023; 126 N.R. 1; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail) [1991] 2 R.C.S. 5; (1991), 81 D.L.R. (4th) 121; 91 CLLC 14,024; 122 N.R. 361; [1991] OLRB Rep. 790; Dou-
glas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; (1990), 91 CLLC 17,002.
AVOCATS:
Barbara Jackman pour le requérant. Jacqueline L. Ott pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jackman, Joseph & Associates, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in- timé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Gur Raj Singh Grewal est venu au Canada en 1980 en provenance de l'Inde. A l'automne de 1982, Grewal, qui avait alors 19 ans, participa à une manifestation publique au centre-ville de Toronto pour protester contre le gouvernement de l'Inde. A cette manifestation participaient deux groupes rivaux de Sikh dont les vues s'opposaient sur le double plan politique et religieux. Les esprits s'échauffèrent, la violence éclata, des coups de feu furent tirés et des gens blessés. Au cours de la mêlée, le requérant Grewal tira, avec une arme à main en sa possession, sur l'agent de police Christopher Fernan- dez, qui cherchait à arrêter un autre manifestant, lequel avait aussi tiré des coups avec son revolver. [TRADUCTION] «La balle érafla l'occiput [de l'agent], laissant un sillon de cinq pouces qui nécessitait vingt- cinq points de suture»I. Par suite, Grewal a été inculpé de tentative de meurtre, déclaré coupable le 19 mars 1983 et condamné à une peine d'emprison- nement de 14 ans (peine subséquemment réduite en appel à 9 ans).
Vers la fin de l'année 1985, durant son incarcéra- tion au pénitencier de Joyceville, Grewal, qui s'était vu accorder le statut d'immigrant reçu, fit l'objet d'une mesure d'expulsion à l'issue d'une enquête d'immigration. Appel a été interjeté auprès de la Commission d'appel de l'immigration, par ce motif entre autres que, [TRADUCTION] «compte tenu de tous les faits de la cause», il ne fallait pas expulser Grewal car il [TRADUCTION] «pourrait en pâtir» s'il devait être
1 Voir Soft Target (1989), ouvrage joint à titre de pièce à un affidavit versé au dossier.
renvoyé en Inde, vu la publicité donnée à son crime et à sa condamnation. Avant que cet appel ne fût entendu, un ouvrage intitulé Soft Target avait été publié, qui rapportait ce qui se passait lors de la manifestation et ce qui s'en était suivi. D'autres informations concernant des cas de violation des droits de la personne en Inde avaient également vu le jour. Le 17 novembre 1989 cependant, l'appel fut rejeté, la Commission d'appel de l'immigration ayant qualifié de «pure conjecture» la crainte de Grewal d'être persécuté s'il retournait en Inde. Autorisation d'appel devant la Cour fut demandée et refusée.
Au début de février 1990, des articles sur l'appel rejeté de Grewal et sur son expulsion imminente parurent dans la presse punjabi. Le requérant soutient que ces articles ont poussé la police à faire des per- quisitions dans son village natal au Punjab et à avertir avec menaces les villageois de ne pas l'abriter s'il revenait. Grewal prétend que par la suite, diverses personnes qui se trouvaient en Inde l'ont averti de ne pas rentrer car à leur avis, il risquait des actes de vio lence ou même la mort.
La Cour ayant refusé l'autorisation d'appel, Gre- wal a demandé à la ministre de revoir son cas pour raisons humanitaires, conformément au paragraphe 114(2) de la Loi [Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2], en faisant valoir que sa vie serait en danger s'il retournait en Inde. Dans sa demande, le requérant suggéra qu'on l'autorisât à recourir à l'ex- pédient dit «Buffalo shuffle» qui consistait à le ren- voyer du Canada aux États-Unis, puis à lui permettre de rentrer immédiatement au Canada en vertu d'un permis ministériel, ce qui lui permettrait de démon- trer aux autorités sa pleine réadaptation sociale. Le 19 avril 1990, la ministre fit savoir qu'elle n'inter- viendrait pas dans le dossier de Grewal sur la base de motifs humanitaires.
Grewal demanda alors à la Commission de l'immi- gration (Section d'appel) d'entendre de nouveau son appel contre la mesure d'expulsion, appel qu'elle avait rejeté le 17 novembre 1989. Cette demande était fondée sur de nouvelles informations sur le risque que Grewal pourrait courir à la suite des articles de la presse punjabi, des perquisitions de la police qui le cherchait et des avertissements qu'on lui avait
envoyés. Le 16 mai 1990, la Commission instruisit puis rejeta la demande de réouverture de l'appel.
Le lendemain, savoir le 17 mai 1990, l'avocate du requérant écrivit à G. R. McBrien, l'arbitre qui prési- dait l'enquête d'immigration sur le requérant au péni- tencier de Joyceville. Elle lui demanda de rouvrir cette enquête à l'issue de laquelle l'expulsion du requérant fut ordonnée, afin de permettre à ce dernier de déposer une revendication du statut de réfugié, ce qu'il n'avait pas fait lors de l'enquête initiale puis- qu'à ce moment-là, il n'avait aucune raison de redou- ter son retour en Inde. Cette démarche était faite en application du paragraphe 35(1) de la Loi sur l'immi- gration, que voici:
35. (1) Sous réserve des règlements, l'arbitre peut, à tout moment, rouvrir une enquête—menée ou non par lui—afin d'entendre de nouveaux témoignages et de recevoir d'autres éléments de preuve; le cas échéant, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision antérieure.
Selon une autre disposition de la Loi, la revendication du statut de réfugié se fait à l'enquête même, faute de quoi l'intéressé ne sera plus en droit de revendiquer ce statut par la suite. Les paragraphes (1) et (2) de l'article 43 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 14] portent:
43. (1) Avant que ne soient présentés des éléments de preuve au fond, l'arbitre donne à la personne qui fait l'objet de l'en- quête la possibilité de faire savoir si elle revendique le statut de réfugié au sens de la Convention.
(2) En l'absence de la revendication visée au paragraphe (1), l'enquête se poursuit et la question du statut de réfugié ne peut plus être prise en considération au cours de l'enquête ni au cours des demandes, appels ou autres procédures qui en décou- lent.
Le 25 mai 1990, Mme J. Algar, chargée du dossier à la place de M. McBrien, refusa de rouvrir l'enquête motif pris que l'article 35 de la Loi sur l'immigration autorisait la réouverture de l'enquête [TRADUCTION] «à seule fin de recueillir des preuves et témoignages nouveaux, susceptibles de justifier la modification de la décision antérieure d'un arbitre». Elle expliqua encore que cet article ne permettait pas à un arbitre [TRADUCTION] «de rouvrir l'enquête pour permettre à l'intéressé de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention». Dans sa décision, l'arbitre s'est fondée sur des décisions antérieures par lesquelles
cette Cour avait donné une interprétation stricte de l'article 35 (Gray c. Fortier, [1985] 2 C.F. 525 (C.A.); Chandra c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), A-753-86, C.A.F., 22 mai 1987; Ramnarian v. Minister of Employment and Immigra tion (1981), 55 N.R. 67 (C.A.F.). L'arbitre a distin- gué la cause en instance de l'affaire Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 209 (C.A.) par ce motif qu'il n'y avait pas [TRA- DUCTION] «violation des droits (du requérant) garantis par l'article 7 de la Charte, au cours de son enquête». Autorisation de saisir la Cour d'une demande fondée sur l'article 28 fut subséquemment accordée par le juge Heald, J.C.A., le 2 août 1990.
Le jour la cause fut venue en bon ordre devant la Cour, l'avocate du requérant n'était pas en mesure de dire avec certitude se trouvait celui-ci, tout en faisant savoir que son procureur avait communiqué avec lui. Elle déclara qu'il ne se trouvait plus au Canada, ayant été expulsé en Inde en mai 1990. Aucune preuve n'a été produite devant la Cour de difficultés graves que Grewal aurait rencontrées depuis son retour en Inde.
Par une argumentation détaillée et solide, l'avocate du requérant soutenait que l'arbitre avait commis une erreur en refusant de rouvrir l'enquête pour instruire l'argument de violation de l'article 7 de la Charte. Il est constant que la jurisprudence établie par cette Cour ne permet normalement pas la réouverture d'une enquête pour que l'intéressé puisse y revendi- quer le statut de réfugié (Voir Gray c. Fortier, Chan- dra, Ramnarian, précité). L'avocate du requérant s'est cependant fondée sur l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Par- tie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] pour soutenir qu'il est maintenant constitutionnellement nécessaire de permettre la réouverture de l'enquête à cette fin, lorsque les circonstances s'y prêtent. L'article 7 porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Il a été jugé que l'expulsion des réfugiés porte atteinte à leur droit à la sécurité de leur personne (Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration, [1985] 1 R.C.S. 177. Cela ne signifie bien entendu pas que les gens ne peuvent être expulsés pour une bonne raison, c'est-à-dire pour autant qu'il n'y ait pas violation des principes de justice fonda- mentale. Ainsi, par exemple, une personne peut être expulsée si elle a commis un crime grave. Le juge Pratte de la Cour de céans s'est prononcé en ces termes dans Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 299 (C.A.) la page 310]:
En effet, il n'est nullement injuste d'exiger l'expulsion d'une personne qui a perdu le droit de demeurer au pays. Il n'est pas injuste non plus de prescrire qu'un étranger admis chez nous comme résident permanent perdra le droit d'y demeurer s'il est déclaré coupable d'une infraction que le Parlement juge grave en elle-même.
Il s'ensuit qu'il est possible d'expulser un résident permanent qui a commis un crime grave, sans qu'il y ait atteinte à la Charte tant que les principes de justice fondamentale auront été observés au préalable à son égard. Il échet donc d'examiner s'il y a eu en l'espèce violation des principes de justice fondamentale. La législation et la jurisprudence antérieure de cette Cour doivent le céder aux prescriptions de l'article 7.
Dans Kaur c. M.E.I., supra, il a été jugé qu'une exemption constitutionnelle pouvait être accordée dans des cas exceptionnels, grâce à laquelle une enquête pouvait être rouverte. Tel serait le cas si la situation est «manifestement injuste», pour citer le juge Heald, ou «remarquable», pour citer Mme le juge Desjardins dans Kaur, supra, en pages 324 et 334, reprenant à leur compte les conclusions tirées par le juge Grange de la Cour d'appel de l'Ontario dans Re Seaboyer and The Queen (1987), 61 O.R. 290 (C.A.) (confirmé par d'autres motifs par C.S.C., 22 août 1991, [199112 R.C.S. 577). La Cour de céans a jugé par le passé qu'en application de la Charte, une enquête pouvait être rouverte si le refus en constituait un déni de justice fondamentale. C'est ainsi qu'il a été jugé que si une personne ne revendiquait pas le statut de réfugié au moment de l'enquête sous l'effet de la contrainte (Kaur c. M.E.I., supra) ou en raison d'une incapacité mentale (Mattia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 3 C.F. 492 (i r e inst.)), l'enquête pouvait être rouverte. S'il y a déni de justice naturelle lors de l'enquête primitive, la Commission pourrait considérer sa première déci- sion comme nulle et rouvrir l'enquête pour qu'il n'y
ait pas déni de justice fondamentale (Longia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 288 (C.A.)). En outre, l'article 7 peut forcer la prorogation du délai de demande de nou- velle décision au-delà du délai rigide prévu par la Loi sur l'immigration (Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 487 (C.A.)).
Y a-t-il eu donc en l'espèce violation des droits que l'article 7 garantit au requérant? Contrairement aux requérants qui avaient saisi la Cour dans les deux causes Mattia et Kaur, ce requérant ne se plaint pas d'une injustice tenant à l'enquête primitive. Rien, à la date de cette enquête, ne le privait de son droit à la justice fondamentale. Ce qu'il relève, ce sont les cir- constances survenues après l'enquête primitive, et il soutient qu'il devrait être en mesure de les faire valoir au cours d'une nouvelle enquête pour assurer le respect des droits que lui garantit l'article 7.
À mon avis, la justice canadienne n'a pas, de façon inique, fermé sa porte au requérant. Au contraire, celui-ci a eu la possibilité de présenter ses faits nou- veaux, sous une forme ou sous une autre, à plusieurs autorités, sans qu'il ait réussi à les convaincre. Il se peut que ces faits nouveaux n'aient pas été examinés comme il aurait voulu qu'ils le fussent, mais la jus tice fondamentale n'exige pas l'observation de telle ou telle méthode d'instruire des points de droit ou de fait. Ce qu'exige l'article 7 dans les cas comme celui qui nous intéresse en l'espèce, c'est que le deman- deur de statut de réfugié se voie accorder la possibi- lité de présenter les nouvelles preuves du risque de persécution dans son pays d'origine, à l'autorité com- pétente qui doit les instruire convenablement. II est manifeste que cette obligation a été remplie, à travers l'instruction des arguments présentés par le requérant après l'enquête primitive. En formant appel contre la mesure d'expulsion de 1985, l'intéressé a fait valoir ses faits nouveaux, pour la première fois, devant un comité pour soutenir que sa vie serait menacée s'il était renvoyé en Inde. Le comité a entendu cet argu ment et l'a rejeté comme «pure conjecture». En outre, lorsque le requérant a demandé à la ministre d'inter- venir sur la base de motifs humanitaires, il a fait valoir pour la deuxième fois le fait nouveau que sa vie serait en danger s'il retournait en Inde. En rejetant
sa demande, la ministre doit avoir examiné cette nou- velle preuve qu'elle n'a pas trouver convaincante. Par la suite, lorsqu'il a demandé à la Section d'appel de revoir sa décision de 1989, il a fait valoir pour la troisième fois les faits nouveaux établissant que sa vie était en danger et, encore une fois, il a échoué. Par cette demande visant à rouvrir l'enquête de 1985, laquelle est attaquée en l'espèce, le requérant a fait valoir, pour la quatrième fois, les faits nouveaux sur le danger qui le menacerait s'il était renvoyé en Inde et, de nouveau, il n'a pas réussi à persuader l'arbitre de rouvrir l'enquête. Cela ne l'a pas empêché de sai- sir la Cour en soutenant que les droits que lui garantit l'article 7 ont été violés par l'arbitre. Je n'en suis pas convaincu. Le requérant a eu pleinement la possibi- lité de convaincre différentes instances administra- tives de l'importance de ses faits nouveaux, et chaque fois il a échoué. Il n'y a pas eu déni de justice fonda- mentale. On peut citer à ce propos cette conclusion tirée par le juge La Forest dans un autre contexte dans R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387 la page 412]:
... l'art. 7 de la Charte garantit des procédures équitables sans pour autant garantir les procédures les plus favorables que l'on puisse imaginer.
Des arguments ont été présentés à la Cour au sujet de l'opportunité de déclarer inconstitutionnel tout ou partie des dispositions législatives applicables en la matière, et de la possibilité d'une exemption constitu- tionnelle à accorder au requérant. Depuis l'audition orale de cette demande fondée sur l'art. 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7], la Cour suprême du Canada a rendu ses deux arrêts R. c. Sea- boyer et R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577 (22 août 1991). La question des exemptions constitutionnelles
a fait l'objet d'une analyse en pages 41 44 des motifs de jugement de Mme le juge McLachlin. En l'espèce cependant, comme la Cour a conclu que les droits que l'article 7 garantit au requérant n'ont pas été violés, il est inutile d'examiner s'il faut déclarer inconstitutionnel tout ou partie des dispositions légis- latives applicables ou si l'exemption constitutionnelle serait une option valide en l'espèce.
Le requérant a soutenu, dans son argumentation orale et par mémoires soumis subséquemment, que l'arbitre a refusé d'exercer sa compétence faute d'avoir examiné les arguments constitutionnels pré- sentés dans cette affaire. A l'issue de l'argumentation
orale en appel, un autre collège de la Cour a décidé que les arbitres avaient compétence pour examiner les arguments constitutionnels, puisqu'ils avaient la «capacité pratique» de rendre des décisions sur des questions de droit, notamment sur les questions rela tives à l'application et à la suprématie de la Charte et qu'il leur était loisible de «juger une disposition législative incompatible avec la Charte». (Voir les motifs de jugement du juge Hugessen, J.C.A., aux pages 247 et 249, Armadale Communications Ltd. c. Arbitre (Loi sur l'immigration), [1991] 3 C.F. 242 (C.A.), adoptant Tétreault-Gadoury c. Canada (Com- mission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22. Voir aussi Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail) [1991] 2 R.C.S. 5; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Dou- glas College, [1990] 3 R.C.S. 570. Il s'ensuit que l'arbitre était investie de ce pouvoir, qu'elle a effecti- vement exercé en l'espèce (bien que la Cour ait été informée qu'elle n'était pas saisie d'arguments cons- titutionnels) comme en témoigne cette conclusion:
[TRADUCTION] ... il faut distinguer cette affaire de la cause Kaur attendu qu'il n'y a pas eu violation dans cette enquête des droits (du requérant) prévus à l'article 7 de la Charte.
Il se peut que son analyse de la question ne fût pas du tout celle qu'elle aurait être, mais elle n'a pas refusé d'examiner la question constitutionnelle. Il s'ensuit qu'elle n'a pas manqué à l'exercice de sa compétence, ce qui aurait entaché sa décision.
Ayant conclu que l'arbitre n'a pas commis une erreur en fin de compte, je juge inutile d'examiner les arguments détaillés que présentaient les mémoires écrits sur les pouvoirs de réparation des arbitres.
Par ces motifs, la demande fondée sur l'article 28 sera rejetée.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci- dessus.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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