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T-963-89
David M. Warriner (requérant) c.
Le tribunal disciplinaire du pénitencier de Kings- ton, c'est-à-dire Michael McCue, président indé- pendant (intimé)
RÉPERTORIÉ: WARRINER c. PÉNITENCIER DE KINGSTON (1 1e INST.)
Section de première instance, juge MacKay — Ottawa, 21 novembre 1989; 7 décembre 1990.
Pénitenciers Demande d'annulation de la décision par laquelle un détenu a été déclaré coupable d'une infraction à la discipline, qui consistait dans l'omission d'obtempérer à un ordre légitime Il a refusé de «se pencher» pour exposer la région rectale au cours d'une fouille à nu après une «visite- contact» avec sa femme Le président n'a pas eu tort de refuser d'examiner l'application de la Charte pour déterminer si l'ordre était légitime, la question n'ayant pas été soulevée à l'audience disciplinaire L'ordre de se pencher est autorisé par la loi Cet ordre a été donné en vertu des ordres permanents de l'institution et de la Directive du Commissaire, qui, bien qu'ils n'eussent pas force de loi, se sont conformés à l'art. 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers L'art. 41(2)c) prévoit qu'un membre peut fouiller un détenu lorsqu'il considère une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la présence de contrebande ou pour maintenir le bon ordre L'exercice du pouvoir de fouiller prévu à l'art. 41(2)c) doit seulement correspondre aux fins prévues par le Règlement Bien que le Règlement ne définisse pas la fouille, il est loisible au Commissaire d'établir des définitions et des procédures pour les fins générales prévues à l'art. 41(2)c).
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Un détenu a refusé d'obtempérer à l'ordre de «se pencher» pour permettre un examen visuel de la région rectale après une «visite-contact» avec sa femme L'ordre constitue une fouille au sens de l'art. 8 de la Charte La fouille est raisonnable compte tenu des motifs qui sous-tendent cette pratique Elle est autorisée par la loi La loi n'a rien d'abusif Bien que la fouille porte atteinte à la vie privée, le droit de s'attendre raisonnablement à la protection de sa vie privée qu'un détenu d'une institution à sécurité maximale peut avoir diffère de celui de toute autre personne.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Un détenu a refusé d'obtempérer à l'ordre de «se pencher» pour permettre un examen visuel de la région rectale au cours d'une fouille à nu après une «visite-contact» avec sa femme L'art. 7 de la Charte ne s'applique pas Les rédacteurs de la Charte n'ont pas voulu interdire à l'art. 7 des fouilles qui ne seraient pas interdites par l'art. 8.
Il s'agit d'une demande de bref de certiorari qui annulerait la décision par laquelle le tribunal a déclaré le requérant, qui était détenu au pénitencier de Kingston, coupable d'une infraction à la discipline, qui consistait dans l'omission d'obtempérer à un
ordre légitime. Le détenu a refusé de se pencher pour exposer sa cavité rectale afin de permettre un examen visuel au cours d'une fouille à nu après une «visite-contact» avec sa femme. Il s'est senti avili et humilié et ne connaissait aucun comporte- ment de sa part ni aucun autre élément de preuve faisant raisonnablement croire qu'il était en possession de contrebande. Le requérant soutient que l'ordre n'était pas autorisé par la loi, puisqu'il n'était prévu ni dans la Loi sur les pénitenciers ni dans le Règlement sur le service des pénitenciers, et qu'il violait les droits que le requérant tenait de l'article 7 (le droit d'exiger qu'on ne porte atteinte à la sécurité de la personne qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale) et de l'article 8 (le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives) de la Charte. La demande conteste seulement la validité de l'ordre de «se pencher» donné dans le cadre de la fouille à nu, et non la validité des fouilles à nu en général. L'alinéa 39a) du Règlement fait de l'omission d'obéir à un ordre légitime une infraction à la discipline. L'alinéa 41 (2)c) prévoit qu'un membre du Service correctionnel peut fouiller un détenu lorsqu'il considère une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la présence de contre- bande ou pour maintenir le bon ordre. La Directive 571 du Commissaire permet la fouille à nu, qui est définie, comme une fouille visuelle d'une personne nue, y compris les cavités corpo- relles, pendant que l'individu se penche. L'ordre permanent du pénitencier de Kingston relativement à la fouille des détenus exige le fait de se pencher dans sa définition de fouilles à nu. Il prévoit également qu'on doit procéder à la fouille à nu des détenus qui reviennent d'une visite-contact. Le requérant sou- tient qu'un ordre qui porte atteinte à l'intégrité physique, le premier objet de l'individualité et de la liberté d'une personne, avec pour conséquence l'humiliation, la dégradation et le trauma que cela entraîne viole l'article 7 de la Charte. Il s'agit d'examiner si le président a eu tort de refuser d'examiner l'application de la Charte pour déterminer si l'ordre était légitime, si l'ordre de »se pencher» était autorisé par la loi et si cet ordre contrevenait à l'article 7 ou à l'article 8 ou à ces deux articles de la Charte.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Le président n'a pas commis d'erreur en omettant d'aborder les questions relatives à la Charte. Le requérant n'a pas soulevé la question de l'applicabilité de la Charte à sa situation au cours de l'audience disciplinaire. Le requérant a limité son argumentation à l'idée que l'ordre de »se pencher» était illégi- time puisqu'il n'était pas autorisé par le Règlement sur le service des pénitenciers.
L'ordre de «se pencher» donné dans le cadre de la fouille à nu par suite d'une visite-contact était autorisé par la loi. Il a été donné en vertu des ordres permanents de l'institution et de la Directive du Commissaire, qui, bien qu'ils n'eussent pas force de loi, étaient visés par l'alinéa 41 (2)c) du Règlement. Rien ne limite l'exercice du pouvoir de fouiller des détenus prévu à l'alinéa 41(2)c), sauf que cet exercice doit correspondre aux fins prévues par le Règlement. Celui-ci n'exige pas que l'agent qui procède à la fouille considère une fouille raisonnable et nécessaire pour les fins fixées. La fouille en l'espèce était une question de routine prévue par l'ordre permanent du pénitencier de Kingston, et a été effectuée par suite d'une visite-contact pour déceler la présence de contrebande. Bien que le Règlement ne donne aucune définition ni ne prévoie de procédure particu- lière en matière de «fouille», il était loisible au Commissaire,
responsable de l'administration du Service correctionnel et des pénitenciers, d'établir des définitions et des procédures de fouille pour les fins générales prévues à l'alinéa 41(2)c). Si la politique et les lignes directrices établies correspondent aux questions ou aux fins envisagées par la Loi et le Règlement, elles relèvent alors du pouvoir de fouiller des détenus prévu à l'alinéa 41(2)c).
Il est peu probable que les rédacteurs de la Charte aient voulu interdire à l'article 7 les fouilles qui ne seraient pas interdites par l'article 8. L'article 7 de la Charte ne s'applique pas en l'espèce.
L'ordre de se pencher, donné dans le cadre d'une fouille à nu, ne violait pas l'article 8 de la Charte compte tenu des motifs qui sous-tendent l'établissement de cette routine. L'obligation pour une personne nue de se pencher pour permettre un examen visuel de la cavité anale constituait une fouille au sens de l'article 8. La fouille n'était pas abusive parce que 1) elle était autorisée par la loi; 2) il n'a pas été question de la manière dont elle a été effectuée puisqu'elle n'a jamais eu lieu; 3) la loi n'avait rien d'abusif. Quant à la dernière condition, bien que la fouille ait porté effectivement atteinte à la vie privée du détenu, le droit de s'attendre raisonnablement à la protection de sa vie privée qu'un détenu d'une institution à sécurité maximale peut avoir diffère de celui de toute autre personne. Les fouilles de divers genres au sein des institutions à sécurité maximale s'imposent pour la sécurité des détenus et du personnel, pour le bon ordre de l'institution et le contrôle de la contrebande. Une fouille à nu comprenant l'ordre de se pencher pour un examen visuel de la cavité anale, entamée dans le cadre d'une procédure de fouille habituelle par suite d'une visite-contact et reposant sur la croyance par le directeur que ces fouilles sont essentielles à la sécurité des détenus et du personnel et au bon ordre de l'institution, n'exige pas que les agents procédant à la fouille aient la croyance simultanée que des articles de contrebande sont cachés sur la personne du détenu fouillé.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. I, 7, 8.
Loi sur les pénitenciers, L.R.C. (1985), chap. P-5.
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 38.1(2) (mod. par DORS/80-209, art. 3; DORS/85-640, art. 3), 39a) (mod. par DORS/85-640, art. 4; DORS/88-547, art. 5), 41(2)c) (mod. par DORS/80-462, art. I; DORS/88-547, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586 (C.A.); (1985), 13 Admin. L.R. I; 20 C.C.C. (3d) 206; 6 C.P.R. (3d) 283; 46 C.R. (3d) 91; 16 C.R.R. 271; 60 N.R. 194; Robertson c. Yeoman, [1982] 1 C.F. 53; (1981), 121 D.L.R. (3d) 353; 58 C.C.C. (2d) 1 (l f° inst.); Weatherall c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F. 369; (1987), 59 C.R. (3d) 247; I1 F.T.R. 279 (I"° inst.); R. c. Collins, [1987] I R.C.S. 265; (1987), 38 D.L.R.
(4th) 508; [1987] 3 W.W.R. 699; 13 B.C.L.R. (2d) 1; 33 C.C.C. (3d) 1; 56 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 122; 74 N.R. 276.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Hanna c. Tribunal disciplinaire de l'établissement de Matsqui, T-1479-90, C.F. I" inst., juge Teitelbaum, jugement en date du 13-7-90, encore inédit; Jackson c. Pénitencier de Joyceville, [1990] 3 C.F. 55; (1990), 55 C.C.C. (3d) 50; 75 C.R. (3d) 174 (1' inst.); Gunn c. Yeomans, [1981] 2 C.F. 99; (1980), 114 D.L.R. (3d) 288; 55 C.C.C. (2d) 452 (1" inst.); Re Maltby et al. and Attorney -General of Saskatchewan et al. (1982), 143 D.L.R. (3d) 649; 20 Sask. R. 366; 2 C.C.C. (3d) 153; 4 C.R.R. 348 (B.R. Sask.); confirmé par (1984), 10 D.L.R. (4th) 745; 34 Sask. R. 177; 13 C.C.C. (3d) 308; 14 C.R.R. 132 (C.A.); Soenen v. Director of Edmonton Remand Centre, Attorney General of Alberta and Solici tor General of Alberta (1983), 48 A.R. 31; 31 D.L.R. (4th) 658; [1984] 1 W.W.R. 71; 28 Alta. L.R. (2d) 62; 8 C.C.C. (3d) 224; 35 C.R. (3d) 206; 6 C.R.R. 368 (B.R.).
DÉCISIONS CITÉES:
Weatherall c. Canada (Procureur général), [1989] 1 C.F. 18; (1988), 65 C.R. (3d) 27; 19 F.T.R. 160; 86 N.R. 168 (C.A.); Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; (1977), 74 D.L.R. (3d) 1; 33 C.C.C. (2d) 366; 14 N.R. 285; Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d) 315; 30 N.R. 119; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241.
AVOCATS:
Donald A. Bailey pour le requérant. Ian M. Donahoe pour l'intimé.
PROCUREURS:
O'Connor, Ecclestone & Kaiser, Kingston (Ontario), pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: L'espèce a été entendue à Ottawa (Ontario), le 21 novembre 1989. Le requé- rant, détenu au pénitencier de Kingston, conclut à une réparation sous forme d'une ordonnance de certiorari qui infirmerait la décision en date du
7 janvier 1988 par laquelle l'intimé l'a déclaré coupable d'une infraction à la discipline. À cette fin, le requérant fait valoir que l'infraction qui lui est reprochée, c'est-à-dire l'omission d'obtempérer à un ordre légitime, a trait à l'ordre de se pencher pour exposer la cavité rectale au cours d'une fouille à nu, ordre qui ne serait pas autorisé par la loi. Il prétend que cet ordre n'est prévu ni dans la Loi sur les pénitenciers, L.R.C. (1985), chap. P-5, ni dans le Règlement sur le service des péniten- ciers [C.R.C., chap. 1251], et qu'il viole les droits garantis par les articles 7 et 8 de la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]].
Le 14 décembre 1987, le requérant, après une «visite-contact» avec sa femme, a fait l'objet de deux fouilles à nu effectuées par des agents du pénitencier de Kingston, établissement à sécurité maximale qui relève du Service correctionnel du Canada. La première fouille a été effectuée par l'agent Demers qui, lorsque le requérant n'a pas obéi à son ordre relativement à la fouille, a amené Warriner au corridor des cellules d'isolement. Là, le requérant a été soumis à une deuxième fouille à nu, commencée par Demers et complétée par l'agent Bertrand au cours de laquelle Warriner a encore une fois refusé d'obéir à un ordre relatif à la fouille.
Dans ces fouilles, le requérant a coopéré avec les agents en enlevant tous ses vêtements et en faisant tout ce qu'on attendait de lui, jusqu'au moment on lui a ordonné de se pencher jusqu'à la ceinture et de toucher ses orteils pour exposer sa cavité anale en vue d'une inspection. Il a refusé de le faire. Selon le requérant, il a refusé de se pencher comme on le lui a demandé parce qu'il [TRADUC- TION] «se sentait avili et humilié par cette pratique et ... était d'avis que cela était illégal et inutile». Au moment le requérant a refusé d'obéir à l'ordre, il croyait apparemment, et continue de croire, qu'aucune loi ni aucun règlement n'autori- sait un tel ordre.
Le requérant 'a été accusé de deux infractions à la discipline, soit d'avoir désobéi ou omis d'obéir à un ordre légitime d'un agent du pénitencier, en application de l'alinéa 39a) du Règlement sur le service des pénitenciers [mod. par DORS/85-640,
art. 4; DORS/88-547, art. 5]. Une audience devant l'intimé, le président indépendant Michael Mc- Cue, a eu lieu le 17 décembre 1987 et le 7 janvier 1988. Le requérant a plaidé non coupable pour ce qui est des accusations portées contre lui. Il a été déclaré coupable d'une infraction qu'on lui repro- chait, et il a été condamné à la perte de privilèges pendant sept jours.
La question de savoir si le requérant a refusé de se pencher selon l'ordre donné n'est pas en litige. Le requérant concède ce point dans son affidavit qui énonce notamment:
[TRADUCTION] J'ai refusé de me pencher comme on me l'a demandé parce que je me sentais avili et humilié par cette pratique et que j'étais d'avis que cela était illégal et inutile.
À ce moment, je n'étais en possession d'aucun article de contrebande sur une partie de mon corps, dont ma cavité anale. Je ne connaissais pas non plus un comportement ni un autre élément de preuve faisant raisonnablement croire que j'étais en possession de contrebande.
Le requérant conclut maintenant à une ordon- nance de certiorari qui infirmerait la décision par laquelle l'intimé a conclu à sa culpabilité relative-
ment à l'infraction la discipline qui aurait été commise. Les motifs de la demande figurent dans l'avis de demande:
1. L'ordre auquel le détenu a refusé d'obéir n'était pas un ordre légitime; au contraire, obliger le requérant à y obtempérer revenait à empiéter sur la sécurité de sa personne, contraire- ment aux principes de justice fondamentale, et violait ainsi son droit fondamental garanti par l'article 7 de la Charte cana- dienne des droits et libertés;
2. De plus ou subsidiairement, rien dans la loi ne permet à un agent de prison d'ordonner à un détenu non seulement d'enlever ses vêtements, mais aussi de se pencher pour toucher ses orteils pendant qu'il est nu;
3. De plus ou subsidiairement, même si un tel ordre est prescrit par la loi, une telle limitation n'est pas une limitation qui soit raisonnable et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique;
4. De plus ou subsidiairement, dans les circonstances particu- lières de l'affaire, obliger le requérant à se pencher nu revenait à violer la sécurité de sa personne, il s'agissait d'une pratique dégradante, particulièrement étant donné l'absence d'éléments de preuve faisant croire à une inconduite de la part du requé- rant; cela équivalait à une violation injustifiée de ses droits garantis par l'article 7 de la Charte;
5. De plus, ou subsidiairement, l'intimé a ou bien omis d'abor- der la question de la violation des droits du requérant garantis par l'article 7, et a donc commis une erreur en matière de compétence ou bien, subsidiairement, a eu tort de décider qu'il n'y avait pas eu violation des droits que le requérant tient de l'article 7.
Au cours de l'audition de la présente demande, l'avocat du requérant soulève également la ques tion de la prétendue violation de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il fait remarquer que le requérant avait cherché à soule- ver cette question dans sa comparution devant le président indépendant intimé, au cours de laquelle il se représentait lui-même comme c'était la prati- que dans ces procédures disciplinaires.
L'intimé insiste sur le fait que le requérant ne semble pas contester la légitimité d'une politique qui consiste à exiger des détenus qu'ils se soumet- tent à des fouilles à nu après les visites-contacts, mais que la seule objection porte sur l'ordre de se pencher en vue d'une fouille rectale visuelle dans le cadre de la pratique de la fouille à nu. Le requé- rant a toutefois prétendu dans sa note:
[TRADUCTION] 21. Il est respectueusement allégué que l'auto- risation légale de la conduite des fouilles par les agents de correction est limitée à l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers, qui autorise un agent du Service correctionnel à fouiller «un détenu ou des détenus, lorsqu'un agent considère une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la présence de contrebande ou pour assurer le bon ordre au sein de l'institution».
Règlement sur le service des pénitenciers, alinéa 41(2)c)
22. Il est respectueusement allégué que l'alinéa 41(2)c) est ultra vires la Constitution du Canada, vu qu'il viole les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, et est donc inopérant.
L'intimé fait remarquer que [TRADUCTION] «on a émis des doutes sur la validité de l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers», mais il prétend qu'iil ne s'agit pas du moyen approprié pour faire examiner cette question puisqu'un juge- ment déclaratoire doit être demandé par voie
d'action».
Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimé à cet égard. Il ressort de l'avis de demande que le requé- rant cherche seulement à obtenir une ordonnance de certiorari pour faire annuler la décision de l'intimé. Cet avis ne fait pas savoir que le requé- rant conclut à un jugement déclaratoire portant que l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers [mod. par DORS/80-462, art. 1; DORS/88-547, art. 1] est invalide. Si un jugement déclaratoire est demandé, les Règles de la Cour exigent que ce soit par voie d'action et non par voie de requête introductive d'instance, à moins que l'intimé ne consente à l'action et que les parties ne
versent au dossier un exposé conjoint de tous les faits sur lesquels les questions en litige devront être tranchées', circonstances qui ne prévalent pas en l'espèce.
La demande de redressement du requérant et les faits allégués dans son affidavit ne mettent pas en question la fouille à nu des détenus en général, ou même après les visites-contacts. Cette demande soulève seulement la question de la validité de l'ordre de «se pencher» dans le cadre de la pratique d'une fouille à nu, et seulement dans la mesure cela se rapporte à la validité de la décision de l'intimé.
La présente demande soulève donc les questions suivantes:
a) Le président a-t-il eu tort de refuser d'examiner l'applica- tion de la Charte pour déterminer si l'ordre était légitime?
b) L'ordre de «se pencher» était-il autorisé par la loi?
c) L'ordre allait-il à l'encontre de l'article 7 ou de l'article 8 ou de ces deux articles de la Charte canadienne des droits et libertés et était-il donc illégitime?
Le cadre réglementaire
Avant d'aborder les points litigieux, il convient d'exposer les règlements, les directives et les ordres permanents applicables à l'espèce.
Les alinéas 39a) et 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, modi- fié, sont ainsi rédigés:
39. Est coupable d'une infraction à la discipline, un détenu qui
a) désobéit ou omet d'obéir à un ordre légitime d'un agent; 41. ...
(2) Sous réserve du paragraphe (3), [qui est ainsi conçu: «Une personne du sexe féminin qui est fouillée aux termes du paragraphe (2) ne peut être fouillée que par une personne du même sexe»], un agent peut fouiller
c) un détenu ou des détenus, lorsqu'un agent considère une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la pré- sence de contrebande ou pour assurer le bon ordre au sein d'une institution; ...
La Directive 571, en date du 1-3-1987, du Commissaire du Service correctionnel du Canada comprend ce qui suit sous la rubrique «Fouilles des personnes»:
'Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586 (C.A.), le juge Mahoney, J.C.A., à la p. 589.
5. Lors des fouilles, il faut toujours respecter la dignité de la personne fouillée et faire preuve de discrétion.
7. Il y a trois façons de fouiller des personnes, et chacune peut inclure la fouille des objets qu'elles ont en leur possession.
a. La fouille par palpation est l'examen par palpation d'une personne habillée, effectué le long du corps, de la tête aux pieds ...
b. Une personne faisant l'objet d'une fouille à nu doit se dévêtir complètement, être soumise à un examen visuel et se pencher de manière à permettre une inspection visuelle des cavités. Toute fouille à nu doit être effectuée par un membre du même sexe et habituellement en présence d'un témoin. Ce témoin doit également être du même sexe. De plus, tous les vêtements et les effets sont également examinés.
c. Un examen des cavités corporelles est une fouille à nu comprenant un examen par palpation de toutes les cavités corporelles.
L'Ordre permanent du pénitencier de Kingston relatif à la fouille des détenus, numéro 571-2, en date du 31 octobre 1987, contient une définition de «skin search» (fouille à nu), qui semble se rappor- ter à la «strip search» (fouille à nu) figurant dans la Directive 571 du Commissaire:
[TRADUCTION] Fouille à nu: une fouille à nu signifie que le détenu doit se dévêtir dans un endroit privé, et qu'on le fouille complètement. Doit être faite une inspection visuelle de sa personne, dont la bouche, les pieds et tous les autres orifices. On obligera la détenu à se pencher pour exposer pleinement ses parties rectale et génitale. Les agents qui procèdent à la fouille ne doivent pas toucher le détenu sauf les cheveux: Deux agents doivent être présents sous la surveillance d'un agent de correction.
Je fais remarquer que, bien que cette remarque ne se rapporte pas à la présente procédure, après les événements qui ont donné lieu à la présente demande, en juillet 1988, on a modifié la fin de la troisième phrase de l'Ordre permanent 571-2 pour inclure les mots [TRADUCTION] «il ne sera toute- fois pas requis d'écarter ses fesses». Kenneth Harvey Payne, qui, en tant que directeur du péni- tencier de Kingston de septembre 1987 à janvier 1989, était chargé de la rédaction de l'Ordre per manent 571-2 relatif aux fouilles et aux procédures de fouille, déclare dans son affidavit:
[TRADUCTION] Les définitions correspondaient à la définition de «fouille à nu» figurant à l'alinéa 7b) de la directive 571 du Commissaire, et précisaient que le détenu faisant l'objet de la fouille était tenu de se pencher pour exposer pleinement ses parties rectale et génitale.
L'Ordre permanent prévoyait également:
[TRADUCTION] 5. La fouille des détenus doit être effectuée régulièrement et systématiquement pour empêcher que les déte- nus ne soient en possession de contrebande.
6. Les détenus doivent être fouillés:
c. lorsqu'ils arrivent à la zone des visites et quittent celle-ci.
8. ... En outre, les détenus qui reviennent d'une visite feront l'objet d'une fouille à nu dans la zone des visites et de la correspondance.
Je vais maintenant examiner les trois questions soulevées par la présente demande, telles qu'elles ont été exposées ci-dessus.
a) Le président a-t-il eu tort de refuser d'examiner l'application de la Charte pour déterminer si l'ordre était légitime?
Le requérant prétend essentiellement que le pré- sident indépendant avait compétence pour connaî- tre d'une défense fondée sur la Charte qu'a invo- quée le requérant à son audition initiale, et que, en omettant d'aborder les questions relatives à la Charte, le président a commis une erreur. Le requérant prétend que le paragraphe 38.1(2) du Règlement sur le service des pénitenciers [mod. par DORS/80-209, art. 3; DORS/85-640, art. 3] impose au président la responsabilité d'entendre la défense de l'accusé, et que rien dans ce paragraphe ne limite le recours aux défenses fondées sur la Charte. Le requérant prétend qu'il faut trancher une question préliminaire dans une accusation portée en vertu de l'alinéa 39a) du Règlement, savoir la légitimité de l'ordre, et il soutient donc que:
[TRADUCTION] ... le président indépendant a outrepassé sa compétence en déclarant le requérant coupable sans aborder au préalable la question de la légitimité de l'ordre qui le visait.
L'intimé fait valoir que l'exposé des points de droit et d'arguments du requérant a été rédigé sans s'appuyer sur la transcription de l'audience disci- plinaire, et que:
[TRADUCTION] Il ressort même de l'examen le plus superficiel de la transcription que le président indépendant a, en fait, soigneusement examiné le seul moyen de défense invoqué par le requérant, savoir que l'ordre était illégitime.
Prenant connaissance de la transcription, soumise comme pièce jointe à un affidavit déposé pour le compte de l'intimé, j'estime que l'argument de l'intimé doit être accueilli. Le requérant n'a pas fait état de l'article 7 de la Charte au cours de son
audience disciplinaire. Il a effectivement men- tionné l'article 8 de la Charte, brièvement, à une seule occasion, pendant qu'il discutait des recom- mandations de la Commission de réforme du droit relatives à la fouille à nu. La discussion par le requérant de l'article 8 est enregistrée, dans sa totalité, comme suit:
[TRADUCTION] Je l'ai apporté [Document de travail 30 de la Commission de réforme du droit du Canada] étant donné les descriptions qui ont été faites au sujet de la Charte canadienne des droits, article 8, pour ce qui est des fouilles à nu, et bien d'autres choses encore, et tout y est inclus, notamment les actes très explicites exigés par la police de jadis, relativement aux fouilles de la cavité anale et du vagin, et ainsi de suite.
Le requérant lui-même n'a à aucun moment de l'audience invoqué l'argument selon lequel l'article du Règlement sur le service des pénitenciers auto- risant la fouille violait les droits qu'il tient de l'article 7 ou de l'article 8 ou de ces deux articles de la Charte. Bien que le requérant ait présenté sa cause d'une façon compétente, ses arguments étaient limités à l'idée générale que l'ordre de «se pencher» était illégitime, puisque rien dans le Règlement sur le service des pénitenciers n'ap- prouvait un tel ordre.
Il ressort, semble-t-il, de la transcription que, lorsque l'audience disciplinaire a commencé, le requérant n'était au courant ni de la directive numéro 571 du Commissaire ni de la mention expresse à l'alinéa 7.b de cette directive de l'obli- gation, au cours d'une fouille à nu, pour la per- sonne faisant l'objet de la fouille de «se pencher de manière à permettre une inspection visuelle des cavités». Cela clarifié, le requérant prétend en outre que les directives du Commissaire n'ont pas force de loi. Le propre résumé que le requérant a fait de son argument, la partie de la réponse du président indépendant et des motifs qu'il a invo- qués pour déclarer le requérant coupable de l'in- fraction à la discipline en question ont été trans- crits comme suit:
[TRADUCTION] M. WARRINER: J'estime que l'agent n'avait pas l'autorisation légale de me donner un ordre légitime à cet égard. Et à ce sujet, selon moi, vous le trouverez dans Martins Related Criminal Statutes. Il s'agit d'une affaire qui porte justement sur la légitimité ou l'illégitimité d'un ordre relatif à la directive du Commissaire.
LE PRÉSIDENT: D'accord, mais ce que je vais vous dire est que vous avez probablement un moyen à invoquer. J'ai écouté votre argument, mais j'ai également pris connaissance du Règlement sur le service des pénitenciers, de la directive du Commissaire, et de la décision Robertson Yoemans, l'affaire
que je vous ai citée. Et compte tenu de ces trois choses prises ensemble, j'en suis arrivé à la conclusion que, en fait, il s'agit d'une fouille légale qu'ils ont demandé à effectuer sur vous, et que l'agent avait effectivement l'autorisation de vous demander de vous pencher afin qu'il pût faire une inspection des cavités, ou tout ce qu'on appelle dans les directives du Commissaire. Et je dis surtout que c'est à cause de cette décision de Gibson qui dit que ce type de procédure est légale à l'établissement Kent, selon la politique selon laquelle cela se ferait après toutes les visites, et que c'est exactement ce qui s'est produit en l'espèce.
Un examen attentif de la transcription me permet de dire que le requérant a eu amplement la possibilité de répondre aux accusations et d'invo- quer des moyens de défense et que le président indépendant a abordé la question de la légitimité de l'ordre soulevée par le requérant. Celui-ci n'a pas soulevé la question de l'applicabilité de la Charte à sa situation au cours de l'audience disci- plinaire, et je conclus en conséquence que le prési- dent n'a pas commis d'erreur en omettant d'abor- der les questions relatives à la Charte comme on l'a prétendu.
Compte tenu de cette conclusion, je trouve inu- tile d'examiner la jurisprudence citée par l'avocat, laquelle jurisprudence traite de l'obligation par un tribunal administratif d'examiner les questions relatives à la Charte. Pour mémoire, je note effec- tivement que mon collègue le juge Teitelbaum a décidé, par suite de l'audition en la matière, qu'un président indépendant d'un autre tribunal discipli- naire semblable avait le pouvoir et l'obligation d'examiner un moyen de défense fondé sur la Charte à l'égard d'une accusation disciplinaire 2 .
b) L'ordre de «se pencher> était-il autorisé par la loi?
Le deuxième motif invoqué par le requérant dans la présente demande est le suivant:
[TRADUCTION] Rien dans la loi ne permet à un agent de prison d'ordonner à un détenu non seulement d'enlever ses vêtements, mais aussi de se pencher en avant pour toucher ses orteils pendant qu'il est nu; ...
Dans son exposé des points de droit et de fait, le requérant donne les détails suivants:
[TRADUCTION] 21. 11 est respectueusement allégué que l'auto- risation légale de la conduite des fouilles par les agents de correction est limitée à l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers, qui autorise un agent du Service correctionnel à fouiller «un détenu ou des détenus, lorsqu'un
2 Hanna c. Tribunal disciplinaire de l'établissement de Matsqui (encore inédit, 13 juillet 1990, C.F. inst., no du greffe: T-1479-90).
agent considère une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la présence de contrabande ou pour assurer le bon ordre au sein de l'institution».
23. Il est respectueusement allégué que les directives du Com- missaire, numéro 571 (en date du 1°' mars 1987) définissent une fouille à nu comme suit: «Une personne faisant l'objet d'une fouille à nu doit se dévêtir complètement, être soumise à un examen visuel et se pencher de manière à permettre une inspection visuelle des cavités.»
24. Il est respectueusement allégué que les directives du Com- missaire n'ont pas force de loi.
L'intimé, [TRADUCTION] «aux fins de la pré- sente procédure et en premier lieu», ne conteste pas l'idée que les directives du Commissaire et [TRA- DUCTION] «probablement les ordres permanents du pénitencier» n'ont pas force de loi, position qui reconnaît implicitement la jurisprudence qui a exa- miné le statut des directives du Commissaire 3 . La directive et l'ordre permanent qui en l'espèce pré- voyaient la fouille à nu n'ont pas force de loi, mais constituent simplement une politique administra tive ou interne pour les activités du Service correc- tionnel. Dans une autre affaire, j'ai commenté ce point de vue en ces termes 4 :
Peut-être la Cour suprême ou la Cour d'appel, réexaminera- t-elle la question et limitera-t-elle la portée de l'arrêt Marti- neau, lequel traitait avant tout du sens qu'il faut donner à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970, Supp.), chap. 10] et non pas des questions découlant de la Charte canadienne des droits et libertés. Si je ne m'abuse, on a demandé à la Cour d'appel dans l'affaire Weatherall, précitée, de retenir cette solution mais elle s'en est abstenue. Néanmoins, dans le vaste domaine des activités de l'État aujourd'hui, diverses actions sont accomplies dans l'application de divers actes et instruments censés avoir été pris en conformité avec des lois et des textes réglementaires de portée générale, comme le reconnaît implicitement le Programme de la réforme de la réglementation fédérale. Les tribunaux seraient peut-être bien avisés en adoptant une interprétation large de ce qui constitue une règle de droit ou une action prévue par la loi si la Charte des droits doit s'appliquer intégralement à l'action de l'État. En attendant que ce principe soit reconnu, la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Weatherall empêche la Section de pre- mière instance de cette Cour d'examiner cette question.
Voir: Le juge Strayer dans Weatherall c. Canada (Procu- reur général), [1988] 1 C.F. 369 (l'° inst.), à la p. 413; et Weatherall c. Canada (Procureur général), [1989] 1 C.F. 18 (C.A.), le juge Stone, J.C.A., aux p. 31 à 36. Voir également: le juge Pigeon dans Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui [Martineau 1], [1978] 1 R.C.S. 118, à la p. 129, et également Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui [Martineau 2], [1980] 1 R.C.S. 602, aux p. 631 et 632.
Jackson c. Pénitencier de Joyceville, [1990] 3 C.F. 55 (1'» inst.), à la p. 91.
En vertu de l'alinéa 41(2)c) du Règlement, un membre du Service correctionnel dispose d'un large pouvoir, celui de fouiller un détenu ou des détenus lorsqu'il considère une telle mesure raison- nable pour déceler la présence de contrabande ou pour assurer le bon ordre au sein d'une institution. Rien ne limite l'exercice de ce pouvoir, sauf que cet exercice doit correspondre aux fins prévues par le Règlement. À mon avis, il ressort d'une inter- prétation littérale que le Règlement n'exige pas que l'agent qui procède à la fouille, par opposition à un agent en position d'autorité, considère une fouille raisonnable pour les fins fixées. Les faits qui ont donné lieu à la présente demande indiquent clairement que la fouille en l'espèce était une question de routine prévue par l'ordre permanent du pénitencier de Kingston, par suite d'une visite- contact, situation qui, selon le témoignage sous forme d'affidavit rendu par M. Payne, directeur à l'époque de la fouille, ainsi qu'il a été noté ci-des- sus, était une situation il a considéré le proces- sus nécessaire, pour les motifs qu'il invoque, pour déceler la présence de contrebande. Bien que le Règlement ne donne aucune définition ni ne pré- voie de procédure en matière de «fouille», je con- clus qu'il était loisible au Commissaire, responsa- ble de l'administration du Service correctionnel et des pénitenciers, d'établir des définitions et des procédures de fouille pour les fins générales pré- vues à l'alinéa 41(2)c). Si la politique et les lignes directrices établies correspondent aux questions ou aux fins envisagées par la Loi et le Règlement, elles relèvent alors du pouvoir de fouiller des déte- nus prévu à l'alinéa 41(2)c).
À part les considérations découlant de la Charte, que j'aborde par rapport à la question finale soulevée en l'espèce, je fais mienne la con clusion du juge Gibson dans l'affaire Robertson c. Yeoman 5 selon laquelle une fouille au sens du paragraphe 41(2) du Règlement peut légalement inclure une «fouille à nu» qui comprend un «examen complet du corps et des cavités du corps».
Dans l'affaire Robertson, on a demandé au juge Gibson d'examiner les arguments selon lesquels les ordres de fouiller à nu étaient en conflit avec le paragraphe 41(2) du Règlement sur le service des pénitenciers ou, subsidiairement, s'il n'y avait pas incompatibilité, procéder à des fouilles à nu habi-
5 [1982] 1 C.F. 53 (I" inst.), particulièrement à la p. 60.
tuelles et universelles était illégal en raison du défaut de motifs raisonnables et probables de la part de l'agent du Service des pénitenciers qui a ordonné la fouille. Notant que, par suite de la décision rendue par le juge Cattanach dans l'af- faire Gunn c. Yeomans 6 , le paragraphe 41(2) du Règlement a été modifié (le 20 juin 1980) pour faire disparaître le conflit entre les ordres perma nents de diverses institutions du Service des péni- tenciers et le Règlement dans la forme qu'il avait alors, le juge Gibson a trouvé applicables à l'af- faire dont il était saisi les dires du juge Cattanach dans la décision Gunn au sujet de l'efficacité de la fouille à nu, examinée à la lumière de son objet déclaré:
Dans ses dépositions, le demandeur se déclare convaincu que la fouille à nu a été délibérément imposée dans le seul dessein d'avilir et d'humilier les détenus. S'il en était ainsi, l'ordre permanent, dont l'exécution stricte avait été ordonnée par M. Caros, serait illégitime parce qu'il cachait une arrière-pensée.
Il ne m'appartient pas de me substituer au chef d'institution pour ce qui est de concevoir la méthode la plus efficace d'assurer la sécurité et la protection de l'institution. La fouille à nu est une méthode reconnue au sein du Service des péniten- ciers et je dois, par conséquent, admettre le postulat selon lequel il s'agit de la fouille la plus efficace pour déceler les articles de contrebande et ne requérant pas l'intervention du personnel médical. Une fois ce postulat admis, je dois conclure qu'il n'y a pas eu arrière-pensée'.
Le juge Gibson a conclu:
Je partage cette opinion.
En résumé, donc, vu l'ensemble de la preuve administrée, particulièrement le témoignage de John Dowsett, directeur et chef d'institution de Kent, administrateur compétent et expéri- menté en matière de sécurité en général et en particulier pour ce qui est des pénitenciers fédéraux à sécurité maximum, je suis d'avis que depuis le 20 juin 1980 les fouilles à nu des détenus de Kent, après les visites, sont licites.
Ses consignes [c.-à-d. celles du directeur Dowsett] de procé- der à des fouilles à nu entrent dans sa compétence comme membre du Service des pénitenciers et sont conformes à l'arti- cle 41(2) du Règlement sur le service des pénitenciers.
En outre, il s'ensuit qu'il n'y a aucun fondement qui permette de soutenir que l'article 41(2) est un excès de pouvoir pour absence de motif raisonnable et probable d'un membre du Service des pénitenciers de croire qu'au moment les fouilles à nu sont ordonnées, elles sont nécessaires pour déceler la présence de contrebande ou pour maintenir le bon ordre à l'établissement Kent 8 .
6 [1981] 2 C.F. 99 (1" inst.).
' Idem, aux p. 107 et 108.
8 Susmentionné, renvoi 5, à la p. 60.
Par suite de la décision rendue par cette Cour dans l'affaire Robertson c. Yeomans, susmention- née, et selon ma propre interprétation de l'alinéa 41(2)c) du Règlement, je conclus que l'ordre de «se pencher» donné au requérant Warriner dans le cadre de la fouille à nu et après une visite-contact dans la zone des visites de l'institution était auto- risé par la loi. L'ordre a été donné en vertu des ordres permanents de l'institution et de la Direc tive du Commissaire qui, bien qu'ils n'eussent pas force de loi dans le sens formel, étaient visés par l'alinéa 41(2)c) du Règlement.
c) L'ordre allait-il à l'encontre de l'article 7 ou de l'article 8 ou de ces deux articles de la Charte canadienne des droits et libertés et était-il donc illégitime?
Le requérant fait valoir que l'ordre auquel il a refusé d'obéir n'était pas un ordre légitime parce qu'il violait les droits et libertés prévus aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. L'intimé soutient que, par suite des motifs prononcés par le juge Strayer dans l'affaire Wea- therall susmentionnée, l'article 7 ne s'applique pas en l'espèce, et que les fouilles rectales visuelles ne sont pas abusives dans les circonstances de l'es- pèce, au sens de l'article 8 de la Charte. Je me propose d'examiner les arguments relatifs à
chacun des articles 7 et 8.
L'article 7 de la Charte
Le requérant soutient que l'ordre auquel il a refusé d'obéir n'était pas un ordre légitime, puis- qu'il violait les droits et libertés prévus à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon le requérant, il existe trois éléments distincts pour ce qui est des droits au sens de l'article 7, à savoir le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, et si les actes reprochés ont pour effet de priver l'individu de l'un quelconque de ces droits et que la privation ne soit pas conforme aux principes de justice fondamentale, ces actes vont donc à l'encontre de l'article 7 de la Charte. En l'espèce, on insiste sur le fait que la sécurité de la personne protégée par l'article 7 est violée par un ordre qui porte atteinte à l'intégrité physique, le premier objet de l'individualité et de la liberté d'une personne, avec pour conséquence l'humilia- tion, la dégradation et le trauma psychologique que cela entraîne.
L'article 7 de la Charte porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
L'intimé insiste pour que la décision rendue par le juge Strayer dans l'affaire Weatherall, susmen- tionnée, soit suivie et, compte tenu de son raison- nement, pour qu'on n'applique pas l'article 7 en l'espèce. A une occasion antérieure, j'étais peu disposé à accepter l'argument selon lequel l'article 7 ne s'applique nullement aux points litigieux découlant des fouilles, question qui relève claire- ment de l'article 8, et dans l'affaire Jackson sus- mentionnée, j'ai fait les commentaires suivants:
En première instance dans l'affaire Weatherall, le juge Strayer a décidé que l'article 7 de la Charte ne s'appliquait pas aux questions dont il était saisi et au sujet desquelles il a conclu qu'elles mettaient clairement en jeu l'article 8. Les défendeurs soutiennent qu'il y a lieu d'établir une distinction semblable en l'espèce. Je n'admets pas cet argument parce que les circons- tances sont différentes. En l'espèce, Jackson n'a pas été fouillé parce qu'il a refusé de fournir un échantillon d'urine. Il a plutôt fait l'objet d'audiences disciplinaires et il était passible de sanctions sévères, tout comme s'il y avait eu une fouille et si les résultats de l'analyse d'urines avaient révélé la présence d'une substance hallucinogène. Il est vrai que ces audiences portaient sur l'omission d'obéir à l'ordre reçu de fournir un échantillon, mais elles découlaient directement de l'obligation de se soumet- tre à une fouille. Les audiences disciplinaires affectent la liberté du demandeur, droit qui lui est garanti, avec certaines réserves, par l'article 7. Étant donné le lien direct entre les audiences disciplinaires et l'omission d'obéir à l'ordre de fournir un échantillon, c'est-à-dire de permettre qu'une fouille soit effec- tuée, il me semble à propos dans cette affaire d'examiner l'article 41.1 du Règlement par rapport aux dispositions de l'article 7 ainsi que de l'article 8 de la Charte 9 .
En l'espèce, les principaux faits ne diffèrent pas beaucoup de ceux de l'affaire Spearman c. Tribu nal disciplinaire de l'établissement de Collins Bay [voir: Weatherall c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F. 369 (i re inst.)], que le juge Strayer a également tranchée dans sa décision Weatherall. Spearman était un détenu qui a été puni pour n'avoir pas obéi à un ordre de se soumettre à une fouille par palpation par une gardienne, et qui a conclu à un bref de certiorari qui annulerait la décision par laquelle le tribunal indépendant l'avait déclaré coupable. En l'espèce, comme dans l'affaire Spearman, le processus disciplinaire a été invoqué après l'omission d'obéir à un ordre selon lequel il doit y avoir une fouille habituelle de la
9 Jackson, susmentionné, renvoi 4, à la p. 100.
personne d'un détenu. Il serait artificiel de séparer l'omission d'obéir à un tel ordre du processus de la fouille dont cet ordre faisait partie intégrante.
Je conclus, comme l'a fait le juge Strayer et pour les motifs qu'il a prononcés, qu'il est peu probable que les rédacteurs de la Charte aient voulu interdire à l'article 7 des fouilles qui ne seraient pas interdites par l'article 8. Le juge Strayer a tenu les propos suivants dans l'affaire Weatherall' °:
Il est tentant d'accepter les arguments énoncés au nom des détenus et selon lesquels il existe un droit abstrait à «la vie privée» qui doit bien être protégé quelque part dans la Charte. Mais ce qui fait l'objet du présent litige, c'est une forme particulière d'intrusion dans la vie privée, soit lorsque des gardiens procèdent à des fouilles en vue d'assurer la sécurité dans les prisons. Les demandeurs et le requérant n'ont pas vraiment contesté la nécessité des fouilles corporelles et de la surveillance des cellules. Il n'est pas ici question d'intrusions suscitées par simple curiosité ou par un excès de zèle ou d'autorité. Il s'agit plutôt d'inspections réfléchies de personnes et de lieux faites dans l'intérêt de la sécurité, et à mon avis, ces actes doivent être interprétés comme une «fouille» suivant le sens précis que les rédacteurs de la Charte ont donné à ce terme en formulant l'article 8. Certes, comme il a été décidé dans l'affaire Hunter[ "], c'est une forme particulière de droit à la vie privée que l'article 8 reconnaît et protège contre une forme particulière d'intrusion. Un système établi permet de vérifier cette forme particulière d'intrusion et j'en déduis que les autres vérifications, fondées sur la Charte, sont à rejeter.
J'accueille donc l'argument de l'intimé selon lequel l'article 7 de la Charte ne s'applique pas en l'espèce.
L'article 8 de la Charte
L'article 8 de la Charte est ainsi rédigé:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Le requérant prétend que l'ordre auquel il a refusé d'obéir violait les droits et libertés prévus à l'article 8 de la Charte. Par contre, l'intimé sou- tient que:
[TRADUCTION] Les affidavits du D' Workman et de M. Payne illustrent la raison pour laquelle il est essentiel, au moins au pénitencier de Kingston, que les fouilles à nu soient effectuées en vue de la sécurité des détenus et du personnel.
L'intimé prétend donc que les fouilles rectales visuelles ne sont pas abusives au sens de l'article 8 de la Charte. Mais si on trouve cette procédure de
10 Susmentionné, renvoi 3, (1r° inst.), à la p. 390.
" Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145.
fouille inacceptable, l'intimé s'appuie alors, subsi- diairement, sur l'article premier de la Charte.
Il sera utile, à ce stade, d'examiner le témoi- gnage rendu dans les affidavits du Dr Workman et de M. Payne. Ni l'un ni l'autre n'a été contre- interrogé sur son affidavit, et aucune preuve n'a été produite pour réfuter leur témoignage, ce qui fait que ce témoignage est incontesté en l'espèce.
Kenneth Harvey Payne était directeur du péni- tencier de Kingston de septembre 1987 à janvier 1989. Auparavant, pendant plus de huit ans, il avait été directeur à l'établissement de Joyceville et à l'établissement de Collins Bay. Alors qu'il était directeur du pénitencier de Kingston, il a élaboré l'ordre permanent 571-2 intitulé [TRA- DUCTION] «Fouille des détenus», dans le dessein de souligner les procédures de l'institution en matière de fouille des détenus au pénitencier, et pour assu- rer que ces procédures correspondaient à la direc tive 571 du Commissaire. Dans son affidavit, il fait les déclarations suivantes:
[TRADUCTION] 10. J'ai estimé à l'époque et j'estime encore qu'il est nécessaire, pour la sécurité des détenus et du personnel, que tous les détenus qui reviennent d'une visite fassent l'objet d'une fouille à nu (skin frisk) (qu'on appelle encore «strip search» ou «skin search») et, dans le cadre de cette fouille, soient soumis à une fouille rectale visuelle pour assurer que des articles de contrebande ne sont pas introduits au pénitencier pour les motifs qui suivent.
11. Le pénitencier de Kingston est un établissement multi- sécuritaire (sécurité maximale), recevant environ 500 détenus, et il héberge certains des détenus les plus volatiles et les plus violents du système carcéral canadien. Les crimes dont ces gens sont déclarés coupables comprennent le meurtre, les voies de fait, le viol et l'attentat à la pudeur d'enfants. Des incidents violents ne sont pas habituels au pénitencier de Kingston, mais ils sont malheureusement loins d'être rares.
12. Les détenus désirent fortement obtenir des médicaments psychotropes, et ces médicaments les rendent souvent plus violents et plus dangereux physiquement. Je connais l'étude faite par le D' Donald George Workman sur le rapport entre l'agression et la prise de certains médicaments, et je peux confirmer par expérience que ce qu'il a donné comme preuve relève de faits. Les incidents violents provoqués par les médica- ments sont principalement préoccupants pour un pénitencier. Il est utile de citer un exemple. Quand j'étais directeur à l'établis- sement de Collins Bay, un établissement à sécurité moyenne, j'étais au courant d'au moins deux morts qui ont été provoquées par des médicaments et qui se rapportaient à ceux-ci. Dans un cas, l'omission de livrer dix comprimés de valium a coûté la vie à un jeune détenu.
13. Les visites-contacts, bien qu'elles soient indubitablement importantes pour la réhabilitation, permettent surtout l'intro- duction d'articles de contrebande dans un pénitencier. Ceci est
particulièrement vrai au pénitencier de Kingston, l'unité des visites et de la correspondance est loin des immeubles sont logés les détenus.
14. Il est fâcheux qu'il ne soit pas rare pour un détenu et sa famille de se voir presser d'introduire des articles de contre- bande pour d'autres détenus. Naturellement, la «mule» choisie tend à être quelqu'un qu'on ne soupçonne normalement pas de dissimuler des articles de contrebande.
15. Les détenus sont très astucieux quant à l'introduction des articles de contrebande dans une institution, et les articles introduits connus sont de tous genres, allant des préservatifs et des ballons pleins de drogues à un pistolet de petit calibre (calibre 0,22) qui fonctionne réellement et qui est mis dans la voie rectale. À mon avis, il faut absolument que la direction d'un établissement ait le droit d'empêcher les détenus d'intro- duire facilement des articles de contrebande dans l'établisse- ment afin de protéger la vie et la sécurité du personnel et des détenus.
Le D' Donald George Workman est un médecin qui, depuis 1971, travaille en cette qualité à l'éta- blissement de Millhaven, pénitencier à sécurité maximale. Son affidavit contient ce qui suit:
[TRADUCTION] 6. Les visites-contacts permettent surtout de faire passer des drogues à des détenus. Souvent, on se sert d'un détenu «innocent» comme mule pour obtenir des drogues pour d'autres. C'est un fait regrettable mais vrai. Au cours des années, j'ai constaté que, fréquemment, les détenus qui reçoi- vent des médicaments psychotropes tels que le diazépam (valium) sont souvent plus violents et plus dangereux que ceux qui n'en reçoivent pas.
7. Cette question m'a tellement préoccupé que, conjointement avec un certain M. Cunningham, qui était à l'époque étudiant en médecine et qui avait travaillé à l'établissement de Millha- ven pendant deux étés à titre d'adjoint de recherche, j'ai fait une étude sur le rapport entre l'agression en milieu carcéral et l'utilisation de tranquillisants mineurs et d'autres médicaments. Cette étude a constaté que les tendances violentes chez les détenus qui reçoivent ces médicaments augmentent jusqu'à quinze fois. Jointe comme pièce «A» à mon affidavit est une copie conforme du document que M. (maintenant D') Cunning- ham et moi-même nous avons rédigé et qui a été publié dans Médecin de famille canadien en 1975.
8. Des études ultérieures étayent les résultats de notre étude sur les médicaments et la violence, et l'usage de médicaments continue de préoccuper l'institution. Nous avons constaté que la majorité des détenus s'intéressent davantage aux médicaments psychotropes que le patient moyen dans le secteur privé. À mon avis, il faut surtout contrôler l'utilisation de ces médicaments soit prescrits soit autrement au sein de l'établissement, et il importe particulièrement de tenter d'empêcher tout trafic illi- cite de ces médicaments. Quand nous associons les résultats de notre étude avec le fait que les détenus, dans l'ensemble, sont plus agressifs et plus violents que le citoyen moyen de la population générale, les mesures ci-dessus s'imposent absolu- ment.
9. J'estime que, pour la sécurité des détenus et du personnel, il est essentiel que les autorités carcérales effectuent des fouilles à nu complètes après les visites-contacts, exigeant surtout des
détenus qu'ils se penchent à la ceinture pour toucher leurs orteils, de manière à exposer leur cavité anale. Si cette pratique ne se poursuit pas, je crois que nous pourrions nous attendre à un accroissement d'incidents violents dans les pénitenciers canadiens.
Je note encore une fois que la présente demande porte sur l'ordre de «se pencher» donné par des gardiens et non sur la validité de l'alinéa 41(2)c) du Règlement dans la mesure il est censé autoriser les fouilles à nu en général: La «fouille» qui nous préoccupe en l'espèce est en conséquence un genre de «sous-espèce», ou une phase particu-
lière de la fouille à nu plus générale l'obligation pour l'individu de se pencher de manière à permet- tre une inspection visuelle de la cavité anale.
L'intimé n'a, à aucun stade de la présente action, laissé entendre que l'exigence de «se pen- cher» au cours d'une fouille à nu ne constitue pas une fouille au sens de l'article 8 de la Charte, et je considère donc que cette question n'est pas en litige. Pour mémoire, je constate que la condition qu'une personne doive se dévêtir complètement pour permettre une inspection visuelle des cavités du corps constitue une fouille au sens de l'article 8.
La fouille requise dans les circonstances de l'es- pèce est-elle une fouille qui est abusive au sens de ce terme qualificatif utilisé à l'article 8 de la Charte? Dans l'affaire R. c. Collins 12 , le juge Lamer (tel était alors son titre), au nom de la majorité de la Cour et au sujet de l'article 8, s'est prononcé en ces termes:
Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été effectuée d'une manière abusive.
Les questions soulevées au débat en l'espèce por tent sur les trois aspects de ces critères de carac- tère abusif.
Je me propose de statuer sommairement sur deux de ces aspects. La question de savoir si la fouille était autorisée par la loi a été soulevée à titre de motif distinct de la présente demande, et a déjà été tranchée. J'ai déjà conclu que la fouille contestée, c'est-à-dire l'examen visuel de la cavité anale exposée par le détenu lorsqu'il s'est dévêtu pour se pencher et toucher ses orteils, est autorisée
12 [1987] 1 R.C.S. 265, à la p. 278.
par l'alinéa 41(2)c) du Règlement. À mon avis, la fouille était autorisée par la loi.
À un autre égard, n'est réellement pas en litige en l'espèce la question de savoir si la manière dont cette fouille a été effectuée était raisonnable, puis- que Warriner a refusé de s'exécuter lorsqu'on lui a demandé de «se pencher», et l'inspection visuelle de sa cavité anale n'a jamais eu lieu. Dans les circons- tances, il n'est pas étonnant que ni le requérant ni l'intimé n'a fait d'observations sur la manière dont la fouille pensée être faite dans la région des cavités a été effectuée.
J'aborde maintenant le troisième aspect du cri- tère énoncé par le juge Lamer, à savoir le carac- tère raisonnable de la loi elle-même. S'appuyant principalement sur les décisions de cette Cour et de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Weathe- rall, le requérant soutient que:
[TRADUCTION] ... est abusive une loi autorisant la conduite des fouilles qui exige que le détenu se déshabille et se penche de manière à exposer sa cavité anale pour l'inspection lorsqu'un agent de correction estime qu'une telle fouille est nécesaire pour déceler la présence de contrebande ou pour assurer le bon ordre au sein de l'institution.
Je note de nouveau que les faits exposés dans la présente demande ne sont pas aussi généralement établis que cet argument ne le laisse entendre car, en l'espèce, la fouille à nu a été entamée conformé- ment aux ordres permanents de l'institution, immédiatement après une visite-contact par le requérant avec sa femme, et, je le répète, le requé- rant ne s'est nullement opposé à la fouille; il a plutôt fait preuve de coopération en enlevant ses vêtements, jusqu'au moment on lui a ordonné de se pencher, ce qu'il a refusé de faire. Le requé- rant soutient que:
a) l'ordre porte atteinte au droit d'un individu de s'attendre au respect de sa vie privée.
b) la nature de la croyance invoquée ou requise pour instituer une fouille légale détermine si la manière dont la fouille a été effectuée était raisonnable, et, en l'espèce, on n'a pas rapporté la preuve que les agents en cause croyaient que Warriner portait sur lui des articles de contrebande.
S'appuyant sur l'arrêt Hunter et autres c. Sou- tham Inc.'', le requérant soutient qu'«une fouille sans mandat est à première vue abusive»: Sur ce point, je me contente de faire mienne la conclusion tirée par le juge Strayer dans l'affaire Weatherall 14 qui, en décidant que la fouille des détenus n'exige pas de mandats, s'est livré à cette analyse:
Dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc., qui portait également sur la fouille d'un bureau, la Cour suprême a statué que la fouille était abusive parce que l'autorisation préalable n'était pas adéquate, mais elle a aussi reconnu qu'une autorisa- tion préalable n'était pas une exigence absolue. Tout d'abord, la Cour a souligné que la garantie donnée par l'article 8 contre les fouilles ou saisies abusives, ne vise qu'une attente raisonnable. Elle a dit que dans une situation donnée, il faut déterminer si le droit d'un particulier de ne pas être importuné doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immmiscer dans sa vie privée. La Cour a en outre reconnu qu'il «n'est peut-être pas raisonna- ble dans tous les cas d'insister sur l'autorisation préalable» mais «qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi- ton et d'une saisie». Il y a donc un élément de relativité dont il faut tenir compte dans toute décision portant, comme en l'es- pèce, sur les conditions préalables d'une fouille à nu d'un détenu dans un établissement correctionnel.
Faisant ressortir l'urgence des fouilles des détenus, le juge Strayer ajoute la page 393]:
Les prisonniers sont mobiles et les témoignages de gardiens de prisons ont montré qu'après un laps de temps appréciable, ou avec le déplacement de détenus, même sous surveillance, ceux-ci arrivent souvent à se départir de contrebande ... En outre, il n'est pas raisonnable d'établir un parrallèle entre la vie privée recherchée dans une maison ou un bureau avec celle à laquelle on peut s'attendre dans une prison.
Je n'accepte pas l'argument du requérant selon lequel la fouille sans mandat d'un détenu est «à première vue abusive».
J'accepte que la fouille litigieuse en l'espèce, c'est-à-dire l'obligation de se pencher pour permet- tre une inspection visuelle de la région de la cavité anale, porte effectivement atteinte à la vie privée du détenu en cause. Mais comme l'a noté le juge Strayer et dans d'autres décisions concernant la procédure de fouille imposée aux détenus, le droit de s'attendre raisonnablement à la vie privée qu'un détenu d'une institution à sécurité maximale peut
"Susmentionné, renvoi 11.
4 Weatherall, (lf» inst.), susmentionné, renvoi 3, aux p. 392
et 393.
avoir est très différent de celui de toute autre personne 15 . La fouille de divers genres et l'inspec- tion des détenus particuliers constituent l'ordre du jour au sein des institutions à sécurité maximale, pour la sécurité des détenus et du personnel et pour assurer le bon ordre de l'institution et le contrôle de la contrebande en milieu carcéral.
Je fais également mien le point de vue du juge Gibson dans l'affaire Robertson c. Yeoman 16 , selon lequel une fouille à nu comprenant l'ordre de se pencher pour un examen visuel de la région de la cavité anale, entamée dans le cadre d'une procé- dure de fouille habituelle et reposant sur la croyance par le directeur que ces fouilles sont essentielles à la sécurité et au bon ordre de l'insti- tution, n'exige pas que les agents procédant à la fouille aient la croyance simultanée que des arti cles de contrebande sont cachés sur la personne du détenu fouillé. L'alinéa 41(2)c) du Règlement, modifié en 1980, en vigueur à l'époque de la décision du juge Gibson, continue de s'appliquer. Bien que cet alinéa ait été déclaré inconstitutionnel par le juge Strayer dans sa décision Weatherall'', sans que des normes ou conditions internes vien- nent limiter son application, cette décision a été modifiée en appel. La Cour d'appel a limité l'effet de l'ordonnance du juge Strayer aux situations des fouilles sont effectuées en la présence d'une personne de l'autre sexe, lorsqu'un détenu de sexe masculin était fouillé à nu en la présence d'une gardienne. Dans les motifs qu'il a prononcés au nom de la Cour d'appel, le juge Stone a déclaré en ces termes":
À mon sens, en tranchant ce point nous ne devrions pas ignorer ces particularités de la vie carcérale ni les problèmes spécifiques qu'elles soulèvent pour les administrateurs de pri sons qui s'acquittent de leur responsabilité d'assurer «la sûreté et ... la sécurité» de l'institution. Il ressort selon moi de ces conditions particulières que les administrateurs des prisons ont droit à une certaine latitude dans l'adoption et dans l'applica- tion des politiques et des pratiques requises pour le maintien de l'ordre et de la sûreté de son institution ainsi que pour la sécurité et la protection des détenus comme du personnel. Je n'entends pas ainsi suggérer que les autorités et le personnel devraient être laissés complètement libres en ce qui regarde ces questions et avoir ainsi la possibilité d'abuser de leurs pouvoirs.
15 Weatherall, (1"e inst.), susmentionné, renvoi 3, à la p. 394; et voir le juge Stone, J.C.A., de la Cour d'appel, Weatherall, susmentionné, renvoi 3, aux p. 37 à 43 et la jurisprudence y citée.
16 Susmentionné, renvoi 5.
"Susmentionné, renvoi 3, (1"e inst.).
18 Susmentionné, renvoi 3, (C.A.F.), aux p. 42 et 43.
L'autorité conférée par l'alinéa 41(2)c) est limitée aux situa tions dans lesquelles un membre considère que la mesure visée est «raisonnable» soit pour déceler la présence d'objets détenus illégalement soit pour assurer le bon ordre au sein de l'institu- tion. À mon avis, de telles fouilles doivent toujours être prati- quées de bonne foi. Elles ne peuvent avoir pour but d'intimider, d'humilier ou de harceler les détenus ou de leur infliger une punition. Une procédure effective de révision devrait également être accessible après la fouille de manière à permettre une prompte découverte des abus.
L'intimé cite la jurisprudence qui étaye son point de vue selon lequel les fouilles du type refusé par Warriner ne violent pas l'article 8 de la Charte. Dans Re Maltby et al. and Attorney - General of Saskatchewan et al. 19 , la Cour a con firmé les fouilles à nu habituelles effectuées après des visites-contacts et appliquées au sein d'une institution provinciale aux détenus renvoyés en détention provisoire en attendant le procès, et elle a statué que ces fouilles ne violaient pas les dispo sitions de la Charte. De même, dans l'affaire Soenen v. Director of Edmonton Remand Centre, Attorney General of Alberta and Solicitor General of Alberta 20 , la Cour a confirmé, puisqu'elles ne violent pas l'article 8, les fouilles à nu comportant un examen visuel de la région anale imposé aux détenus d'un centre provincial de renvoi en déten- tion provisoire en attendant le procès. Le juge McDonald a fait les remarques suivantes 21 :
[TRADUCTION] J'estime qu'on ne saurait dire de cette prati- que qu'elle constitue un traitement cruel même si on présume qu'elle est inusitée. Elle ne constitue pas non plus une fouille abusive qui violerait l'article 8 de la Charte. A mon avis, une fouille visuelle du rectum d'une personne tout juste arrêtée, en l'absence de motifs raisonnables et probables de croire qu'on a caché un objet à l'anus, pourrait être abusive et viole le droit de s'attendre raisonnablement à la vie privée; mais une telle fouille n'est pas abusive et ne viole pas le droit de s'attendre raisonna- blement à la vie privée dans le cas d'un détenu qui attend son procès dans une installation de détention, pourvu que la fouille visuelle sait effectuée de bonne foi pour trouver des armes ou des articles de contrebande et non dans le dessein de punir. Ces fouilles peuvent s'effectuer en l'absence de motifs raisonnables et probables de croire que le détenu fouillé a caché un objet dans sa cavité corporelle.
Je reviens maintenant au témoignage sous forme d'affidavit relatif à la question dont est saisie la Cour, donné sous serment par M. Payne et le Dr Workman et qui est essentiellement reproduit plus haut dans les présents motifs. Je note encore une
19 (1982), 143 D.L.R. (3d) 649 (B.R. Sask.); confirmé par (1984), 10 D.L.R. (4th) 745 (C.A. Sask.).
20 (1983), 48 A.R. 81 (B.R.).
21 Id., à la p. 42.
fois que ni l'un ni l'autre des déposants n'a été interrogé relativement à son affidavit, et que la preuve dont je dispose n'a ni mis en doute ni réfuté leurs conclusions ou croyances. Le Dr Workman fait état d'une étude qu'il a faite sur le rapport entre la violence et l'usage de médicaments en milieu carcéral, de l'expérience qu'il a acquise dans le traitement des patients détenus qui reçoi- vent des médicaments, et de son opinion selon laquelle, pour la sécurité des détenus et du person nel, [TRADUCTION] «il est essentiel que les autori- tés carcérales effectuent des fouilles à nu complè- tes après les visites-contacts, exigeant surtout des détenus qu'ils se penchent à la ceinture pour tou- cher leurs orteils, de manière à exposer leur cavité anale». Dans son affidavit, Payne parle de son expérience et exprime l'avis que pour la sécurité des détenus et du personnel, il est nécessaire que tous les détenus qui reviennent d'une visite fassent l'objet d'une fouille à nu et, dans le cadre de cette fouille, soient soumis à une fouille rectale visuelle pour assurer que des articles de contrebande ne sont pas introduits dans la prison. Payne énonce les motifs qui appuient son avis, motifs fondés sur son expérience et son observation de la vie carcérale. De la preuve non contredite, je conclus que la fouille requise en l'espèce, et contestée dans la présente demande, reposait sur des motifs qui se rapportaient à la sécurité des détenus et du person nel et au bon ordre de l'institution, et qu'elle n'était pas une fouille abusive contraire à l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.
L'ordre de se pencher pour permettre une ins pection visuelle de la région de la cavité anale, dans le cadre d'une fouille à nu, habituellement effectuée à la suite d'une visite-contact d'un détenu, ne constitue pas, étant donné les motifs qui sous-tendent l'établissement de cette routine, une fouille abusive interdite par l'article 8 de la Charte. Cette conclusion ayant été tirée, il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument que l'avocat du requérant a invoqué à l'audience, argument selon lequel la fouille ne pourrait être justifiée sur le fondement de l'article premier de la Charte.
Conclusions:
Je résume mes conclusions sur les questions débattues.
Compte tenu des faits révélés par les affidavits et après examen de la transcription de l'audience disciplinaire tenue par le président indépendant intimé, celui-ci n'a pas commis d'erreur en refu- sant d'examiner l'application de la Charte cana- dienne des droits et libertés pour déterminer si l'ordre visant le requérant était légitime. À l'au- dience, le requérant n'a pas invoqué d'arguments et de moyens de défense fondés sur la Charte, d'une manière qui exigeait du président qu'il se prononçât sur ceux-ci.
Compte tenu des faits établis et de la réparation demandée en l'espèce, la fouille en question était limitée à l'obligation de se pencher pour permettre une inspection visuelle de la région de la cavité anale, dans le cadre d'une fouille à nu, à la suite d'une visite-contact par le détenu Warriner, dans une institution à sécurité maximale. Cette fouille était conforme à la directive du Commissaire et aux ordres permanents de l'institution.
Bien que les directives du Commissaire et les ordres permanents d'un pénitencier n'aient pas, techniquement, force de loi, ils sont destinés à l'administration, à la conduite et à la réglementa- tion internes du pénitencier au sein du Service correctionnel. La directive et l'ordre permanent en cause en l'espèce ne vont pas au-delà des fins générales de l'alinéa 42(1)c) du Règlement, ne sont pas incompatibles avec celles-ci et sont autori- sés par cet alinéa; ainsi donc, ils sont autorisés par la loi, tout comme l'était l'ordre de se pencher qui a été donné conformément aux ordres permanents et à la directive.
Certes, l'ordre a nécessairement porté atteinte à la vie privée du détenu; mais il faisait partie intégrante du processus de la fouille; le litige découlant de cet ordre et de la fouille peut donner lieu à la question de savoir si la fouille était valide compte tenu de l'article 8 de la Charte, mais il ne donne pas lieu à des questions relatives à l'article 7 de celle-ci, lequel article ne s'applique pas dans les circonstances de l'espèce.
L'ordre, donné dans le cadre d'une fouille à nu dont j'ai conclu qu'elle était autorisée par la loi, n'a pas porté atteinte à la protection du requérant contre les fouilles abusives, prévue à l'article 8 de la Charte. Dans les circonstances de la vie carcé- rale révélée dans l'affidavit du directeur du péni-
tencier à l'époque, la fouille ordonnée en l'espèce n'était pas abusive compte tenu de la situation factuelle de l'espèce.
Puisque ni l'article 7 ni l'article 8 de la Charte n'est violé, il n'est pas nécessaire d'examiner l'ar- gument portant sur l'article premier de la Charte.
Par ces motifs, la demande est rejetée avec dépens.
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