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T-1031-90
David Basu (demandeur)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ' BAU/ C. CANADA (Ire INST.)
Section de première instance, juge Rouleau—Ottawa, 29 novembre et 9 décembre 1991.
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires Action en vue d'obtenir une déclaration vou- lant que le supérieur est obligé d'accepter la démission d'un employé en application de l'art. 26 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique Le fonctionnaire demandeur a fait l'ob- jet d'une suspension sans traitement et a été inculpé de fraude Le Ministère a refusé d'accepter la démission Il fait valoir l'obligation d'accepter sa démission, ce qui lui donne- rait droit à certains avantages dont une indemnité de fin d'em- ploi qui a été retenue en raison du renvoi motivé Reconnu coupable de fraude Action rejetée Prise en compte de l'intérêt public dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'accorder un jugement déclaratoire Application de la maxime von ne doit pas tirer avantage d'un délit» Le demandeur tente de tirer avantage d'actes délictueux Accor- der la réparation demandée serait encourager la criminalité, ce qui est contraire à l'ordre public.
Fonction publique Fin d'emploi Action en vue d'obte- nir une déclaration selon laquelle le supérieur est obligé d'ac- cepter la démission d'un fonctionnaire faisant l'objet d'une suspension pendant l'enquête menée sur une allégation de faute Si la démission avait été acceptée, l'employé aurait eu droit à une indemnité de fin d'emploi qui a été retenue par la suite lorsque l'employé a fait l'objet d'un renvoi motivé Le demandeur a été reconnu coupable de fraude La réparation discrétionnaire demandée refusée pour des motifs d'ordre public.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Lai sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33, art. 26.
Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique, DORS/67-118, art. 106.
JURISPRUDENCE DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cowan v. C.B.C., [1966] 2 O.R. 309; (1966), 56 D.L.R. (2d) 578 (C.A.); Cleaver v. Mutual Reserve Fund Life Association, [1892] 1 Q.B. 147 (C.A.); Hall v. Hebert (1991), 46 C.P.C. (2d) 192 (C.A.C.-B.).
AVOCATS:
Catherine H. MacLean pour le demandeur. Geoffrey Lester pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour le demandeur. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE ROULEAU: Le demandeur, qui fait partie de la fonction publique du Canada depuis le 8 janvier 1973, a été suspendu de ses fonctions sans traitement le 11 août 1989, pendant que le Ministère menait une enquête sur une allégation de faute commise dans l'exercice de ses fonctions.
En septembre, le demandeur a téléphoné à son supérieur pour l'informer qu'en raison de la tension engendrée par l'enquête, il voulait démissionner. Quelques jours plus tard, il a été inculpé de fraude, de vol et d'abus de confiance relativement à une somme d'environ 94 000 $. Par une lettre datée du 4 octobre 1990, il a remis sa démission; celle-ci prenait effet le 10 octobre 1990. En réponse à cette lettre, le Minis- tère l'a informé qu'il refusait sa démission [TRADUC- TION] «à cause des questions disciplinaires dont le Ministère était saisi». Le 10 octobre 1990, M. Basu a remis à nouveau sa démission, laquelle prenait effet immédiatement, en raison de sa maladie. Une lettre de son médecin y était jointe.
L'enquête s'est poursuivie durant l'automne et, finalement, le demandeur a fait l'objet d'un renvoi motivé prenant effet le 22 décembre 1989, conformé- ment à l'article 106 du Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique [DORS/67-118]. Le 29 avril 1991, il a plaidé coupable devant la Cour provinciale de l'Ontario à l'égard d'un chef d'accusa- tion de fraude concernant une somme de plus 1 000 $. Il s'est vu infliger une amende, ordonner de restituer la somme et soumettre à la probation pour trois ans.
En mars 1990, la Commission des relations de tra vail dans la fonction publique a rejeté un grief au sujet du refus, mais elle a jugé que la question de
l'acceptation ou du refus de la démission échappait à sa compétence.
Par la présente action, le demandeur veut obtenir de la Cour une déclaration, savoir que son supérieur était obligé d'accepter sa démission et que son refus portait atteinte à l'article 26 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), chap. P-33], qui est ainsi conçu:
26. Le fonctionnaire qui a l'intention de démissionner de la fonction publique en donne avis, par écrit, à l'administrateur général; il perd sa qualité de fonctionnaire le jour sa démis- sion, après acceptation écrite de celui-ci [sic], prend effet.
Le demandeur allègue que son supérieur, l'admi- nistrateur général, avait l'obligation d'accepter sa démission et que, s'il l'avait fait, le demandeur aurait eu droit à un certain nombre d'avantages, dont une indemnité de fin d'emploi de 10 333,20 $. Cette somme a été retenue parce qu'il a ensuite été l'objet d'un renvoi motivé.
L'avocat du demandeur soutient que l'administra- teur général n'avait pas le pouvoir de refuser la démission, qu'elle a pris effet quand elle a été remise et qu'il avait donc droit à une indemnité de fin d'em- ploi.
Les deux parties ont présenté une argumentation très approfondie et raisonnée sur le droit de démis- sionner reconnu en common law, sur la situation dis- tincte de l'emploi dans la fonction publique et dans le secteur privé et sur l'interprétation de l'article 26 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.
Vu la nature de la réparation demandée, j'estime qu'il n'est pas nécessaire de me prononcer sur le fond de ces arguments. Le jugement déclaratoire constitue une décision discrétionnaire. Le juge Schroeder de la Cour d'appel de l'Ontario a écrit dans l'arrêt Cowan v. C.B.C., [1966] 2 O.R. 309, à la page 314:
[TRADUCTION] C'est un pouvoir discrétionnaire et, si aucune réparation précise, autre qu'une déclaration, n'est demandée, il faut l'exercer avec beaucoup de prudence: Russian Commer cial & Industrial Bank v. British Bank of Foreign Trade, Ltd., [1921] 2 A.C. 438, la p. 445, arrêt dans lequel le vicomte Finlay a dit: «Il faut l'exercer avec modération "avec un très grand soin et avec vigilance" "avec une extrême prudence"».
Il est évident, à mon sens, que la Cour doit, en exerçant sa compétence, tenir compte de nombreux facteurs, dont le moindre n'est pas l'intérêt public.
Des considérations d'ordre public m'obligent à repousser la demande. La maxime «on ne doit pas tirer avantage d'un délit» a été adoptée et suivie depuis des siècles. Ce principe a été énoncé assez succinctement dans l'arrêt Cleaver v. Mutual Reserve Fund Life Association, [1892] 1 Q.B. 147 (C.A.), à la page 156, par le lord juge Fry:
[TRADUCTION] Il me paraît qu'aucun système de droit ne peut à raison inclure dans les droits dont il assure l'exécution, ceux que la personne qui les revendique tire directement de son délit ... Cette règle d'ordre public, comme tous les principes de cette nature, doit être appliquée dans tous, les cas cela est possible sans égard à la nature particulière du droit revendiqué ou à la forme de cette revendication.
Plus récemment, dans l'arrêt Hall v. Hebert (1991), 46 C.P.C. (2d) 192, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a invoqué la maxime et ajouté qu'il serait manifestement inacceptable, du point de vue de personnes équitables et sensées, qu'un tribu nal aide un demandeur qui a violé la loi.
Dans le cas qui nous occupe, le demandeur ne veut pas être indemnisé d'un dommage qu'il a subi en commettant des actes délictueux. Au contraire, il s'agit d'un cas il tente en fait de tirer avantage de son délit. Je ne vois aucune raison quelle qu'elle soit qui m'autorise à exercer mon pouvoir discrétionnaire en sa faveur et à lui accorder la réparation demandée. Faire droit à cette demande serait encourager la cri- minalité, servirait une fin préjudiciable et serait con- traire en fin de compte à l'ordre public.
La présente action est rejetée. Les dépens sont adjugés à la défenderesse.
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