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A-256-90
Stephan Valentin (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
A-266-90
Michal Modory (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
A-267-90
Ivana Vanikova (appelante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
A-277-90
Dana Valentinova (appelante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
A-301-90
Ladislav Skorvanek (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: VALENTIN c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Desjardins, J.C.A.—Montréal, 29 mai; Ottawa, 21 juin 1991.
Immigration Statut de réfugié Appels formés contre les décisions par lesquelles la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté les demandes de statut de réfugié Le fait qu'un demandeur fait face à des sanctions pénales pour avoir quitté son pays d'origine sans autorisation ou pour être resté à l'étranger plus longtemps que son visa de sortie ne le lui permettait a-t-il de l'importance quant à la reconnais sance du statut de réfugié? Il s'agit d'un problème courant que la Cour n'a pas auparavant eu l'occasion d'examiner Les demandeurs craignent de faire l'objet de sanctions sévères prévues à l'art. 109 du Code pénal tchèque s'ils étaient forcés de rentrer dans leur pays Accorder le statut de réfugié à quiconque fait face à des sanctions pénales est peu logique et
sans fondement rationnel Ni la Convention internationale ni la Loi ne protègent ceux qui, sans avoir fait jusque-là l'objet d'une persécution, se fabriqueraient eux-mêmes une cause de crainte de persécution en violant une loi pénale d'application générale Ce n'est que dans un contexte approprié que le code pénal tchèque peut avoir une portée déterminante sur la reconnaissance du statut de réfugié Il est impossible de rattacher la crainte de sanction pénale des demandeurs aux difficultés qu'ils avaient connues dans le passé La Commis sion a eu raison de conclure que la crainte de sanctions légales ne constitue pas une crainte de persécution bien fondée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code pénal tchèque, art. 109.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. 1-2, art. 2(1), 82.3(1) (édicté, idem (4c suppl.), chap. 28, art. 19).
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.).
DOCTRINE
Goodwin-Gill, Guy S., The Refugee in International Law, Oxford: Clarendon Press, 1983.
Grahl-Madsen, Atle, The Status of Refugees in Interna tional Law, Leyden: A.W. Sijthoff, 1966.
Hathaway, James C., The Law of Refugee Status, Toronto: Butterworths, 1991.
Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Con vention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, septembre 1979.
AVOCATS:
Jean-François Bertrand pour les appelants. Louise Marie Courtemanche et Joanne Gran- ger pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jodoin, Bertrand, Lecouffe, Montréal, pour les appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Ces cinq appels, interjetés en vertu du paragraphe 82.3(1) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), chap. I-2
(édicté, idem (4e suppl.), chap. 28, art. 19)] à l'encontre de cinq décisions de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, ont été joints pour audition à la demande du procureur des appelants et avec le consentement du procureur de l'intimé. Ils présentaient en effet des faits analo gues et soulevaient essentiellement le même pro- blème, un problème bien connu qui, nous a-t-on dit, se pose directement dans plusieurs autres dos siers placés en attente, mais que cette Cour, pour quelque raison, n'a pas encore eu l'occasion de considérer. Formulé de façon générale, le problème est celui de savoir quelle importance peut avoir pour la reconnaissance d'un statut de réfugié le fait que le réclamant fait face, dans son pays, à des sanctions pénales pour avoir quitté le territoire sans autorisation ou pour être resté à l'étranger plus longtemps que son visa de sortie ne le lui permettait.
Les cinq appelants sont, comme je viens de dire, tous dans à peu près la même situation (il s'agit en fait de deux couples vivant comme mari et femme et d'un compagnon de voyage). Ce sont des citoyens tchécoslovaques qui, au cours d'un voyage autorisé à destination de Cuba, avaient, à l'occa- sion d'une escale au Canada, quitté leur avion et réclamé auprès des autorités le refuge politique. Pour appuyer leur revendication au statut de réfu- gié devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, les appelants s'employèrent à faire part d'ennuis qu'ils avaient subis dans leur pays, à l'école, au travail, à l'armée, principale- ment parce qu'ils étaient de religion catholique et aussi, pour l'un d'eux au moins, parce qu'il n'avait pas voulu adhérer formellement, comme on le lui avait suggéré, au parti communiste. Puis, par l'in- termédiaire de leur procureur, ils firent valoir qu'au-delà du traitement déplorable dont ils avaient été l'objet et qui pourrait se poursuivre s'ajoutait pour eux aujourd'hui la crainte de sanc tions sévères, s'ils devaient retourner dans leur pays, aux termes de l'article 109 du Code pénal tchèque, article dont ils avaient fait attester la teneur par une lettre du président de l'Association tchécoslovaque du Canada datée du 23 février 1989, qui s'exprimait comme suit:
[TRADUCTION] Je, soussigné, Dr. Victor G. Zicha, certifie que le paragraphe 109 du Code pénal officiel de la République socialiste tchécoslovaque (Sbirka Zakonu Ceskoslovenske Socialisticke Republiky), promulgué le 8 décembre 1961, énonce à l'article 1:
(i) Quiconque, sans autorisation officielle, quitte le territoire de la république, est passible d'une peine d'emprisonnement variant de six mois à cinq ans ou de mesures correctives.
(ii) Il en est de même de tout citoyen tchécoslovaque qui demeure à l'étranger sans autorisation officielle.
(iii) Quiconque aide une personne ou un groupe de personnes à quitter le territoire de la République socialiste tchécoslo- vaque, sans autorisation officielle, est passible d'une peine d'emprisonnement variant de trois à dix ans.
Les membres du tribunal ne furent pas convain- cus. Les revendications, d'après eux, n'étaient pas recevables. Dans aucun des cinq cas, à leur avis, les ennuis du passé dont avaient fait état les reven- dicateurs étaient suffisamment sérieux pour susci- ter chez eux un motif raisonnable de crainte de persécution en raison de leur religion ou de leurs opinions politiques, et la présence de l'article 109 du Code pénal tchèque ne permettait pas de chan- ger cette conclusion. Leur raisonnement est repris dans chacune des cinq décisions avec les adapta tions requises, et pour en montrer les points de base voici quelques passages de la décision choisie par les procureurs pour fin de présentation (A-301-90) (page 8 de la décision):
En raison de tout ce qui précède, nous sommes d'avis que le demandeur ne s'est pas déchargé du fardeau de la preuve et qu'il n'a pas établi avoir eu, au moment de son arrivée au Canada, une crainte raisonnable de persécution qui justifierait sa demande de protection auprès du gouvernement canadien.
L'avocate du demandeur a produit, comme pièce 3, deux jugements, l'un du District Court of Law in Cheb (Tchécoslo- vaquie), daté du 13 décembre 1985 et l'autre du City Court of Law in Brno (Tchécoslovaquie), daté du 1" septembre 1989 fondés sur les dispositions de l'article 109, paragraphe 1, du Code criminel tchécoslovaque, condamnant les accusés à 20 et à 30 mois d'emprisonnement respectivement pour n'être pas rentrés au pays dans le délai prescrit parles visas de sortie qui leur avaient été émis.
Nous ne savons rien des antécédents de ces deux personnes ni des motifs qui les ont poussés à fuir leur pays, ni des motifs sur lesquels ces jugements ont été fondés. Il ne nous est donc pas possible de faire quelque lien entre ces cas et celui du demandeur.
Étant donné que dans le cas qui nous occupe, nous n'avons pu déceler dans la preuve qui a été faite devant nous, aucun motif valable de crainte de persécution en raison de la religion ou des opinions politiques de monsieur Skorvanek, il ne serait pas raisonnable d'accorder le statut de réfugié au demandeur pour la seule et unique raison qu'il a enfreint une loi de son pays en le fuyant, puisque la preuve ne révèle pas par ailleurs l'exis- tence d'autres éléments pouvant en faire un réfugié au sens de la Convention.
Pour ces motifs la Commission décide que le demandeur n'est pas un «réfugié au sens de la Convention» selon le paragra- phe 2(1) de la Loi sur l'immigration.
Le procureur des appelants chercha d'abord à s'en prendre aux décisions du tribunal au niveau de son évaluation de la preuve et de son interprétation des faits, indépendamment des conséquences à tirer de la présence de l'article 109 du Code pénal tchèque. Il n'eut pas de succès. La Cour montra très tôt sa réticence à admettre que le tribunal avait pu démontrer une vue trop étriquée de la notion de persécution impliquée dans le concept de réfugié ou qu'il avait pu faussement minimiser la portée des ennuis et des difficultés que les revendi- quants avaient dit avoir subis, au fil des ans, à cause de leur appartenance familiale et religieuse ou de leur refus d'adhérer formellement aux grou- pements communistes.
Le procureur contesta alors le rejet par le tribu nal de l'argument tiré de la présence de l'article 109 du Code pénal tchèque et de la crainte d'em- prisonnement qu'il faisait naître chez les revendi- quants. Citant des passages des ouvrages de Guy S. Goodwin-Gill, The Refugee in International Law, et de Atle Grahl-Madsen, The Status of Refugees in International Law, le procureur rap- pela qu'une certaine école de pensée et même quelques jugements venant de la République fédé- rale d'Allemagne s'étaient montrés prêts à admet- tre que la seule crainte de sanction en vertu d'une disposition comme celle de l'article 109 du Code pénal tchèque pouvait équivaloir à une crainte bien fondée de persécution et appuyer valablement une revendication de statut de réfugié. On sait que les quelques tenants de cette thèse invoquent une sorte de présomption que les autorités de l'État national interpréteront automatiquement et inévitablement comme un témoignage d'opposition politique la décision de leur concitoyen de sortir du pays sans autorisation ou de rester à l'étranger au-delà du temps prévu. Le procureur reconnut que c'était une position extrême que la grande majorité des commentateurs rejetait et n'insista pas pour la défendre telle quelle. Mais il suggéra que dès que la crainte de sanction pénale n'existait pas de façon isolée mais se présentait dans un contexte de difficultés comme celles qu'avaient connues ses clients, il y avait lieu de conclure d'emblée à une crainte bien fondée de persécution.
Appelé à commenter l'argumentation du procu- reur de l'appelant sur la seule question de la présence de l'article 109 du Code pénal tchèque, le
procureur de l'intimé fit valoir principalement: premièrement, que le texte de l'article 109 était quelque peu équivoque et que les sanctions possi bles qu'il prévoyait s'étendaient depuis la simple prise de mesures correctives jusqu'à l'emprisonne- ment pour cinq ans; deuxièmement, que rien ne permettait de supposer que des motifs d'opposition politique seraient attribués au geste des appelants au moment de juger de leur comportement sous l'égide de cet article 109 et que rien au dossier ne permettait de savoir à partir de quels éléments serait déterminée la sanction qui pourrait leur être imposée; troisièmement, que cet article 109 consti- tue une loi d'application générale qui en elle-même et dans sa mise en oeuvre ne présente, du moins en autant que la preuve documentaire versée au dos sier était concernée, aucun aspect discriminatoire; quatrièmement, qu'en vertu de cette preuve docu- mentaire versée au dossier, il semblerait que celui qui s'est rendu coupable de l'infraction définie au paragraphe 2 de l'article, celle d'être resté à l'étranger plus longtemps qu'autorisé, peut tou- jours, pendant cinq ans, régulariser sa situation en obtenant une prolongation de son permis de séjour à l'étranger.
Il ne me semble pas que la solution du problème soulevé exige la prise en considération de tous les éléments que les procureurs des parties ont appor- tés au débat et dont je viens de passer en revue les principaux. Les particularités de la disposition tchèque notamment ne m'apparaissent pas vrai- ment pertinentes. Le problème me paraît le même pour tous les cas la législation d'un État prévoit des peines sévères pour ceux de ses nationaux qui quittent le territoire de manière irrégulière ou restent à l'étranger au-delà du temps autorisé.
Je dirai d'abord que si, sur le plan humanitaire, je suis fort bien disposé à sympathiser avec l'idée d'attribuer le statut de réfugié à tous ceux qui font face à des sanctions pénales comme celles imposées par l'article 109 du Code pénal tchèque, sur le plan pratique et légal c'est une idée qui m'apparaît peu logique et sans fondement rationnel. Ni la conven tion internationale, ni la loi qu'elle a suscitée chez nous, à ce que j'en comprends, n'ont eu en vue d'assurer protection à ceux qui, sans avoir été sujet de persécution jusque là, se fabriqueraient eux- mêmes une cause de crainte de persécution en se rendant librement, de leur propre chef et sans
raison, passibles de sanctions pour transgression d'une loi pénale d'ordre général. Et j'ajoute, avec égards pour l'opinion contraire très répandue, que l'idée ne m'apparaît même pas valorisée par le fait que la transgression aurait été motivée par quel- que insatisfaction d'ordre politique (voir en ce sens, notamment, Goodwin-Gill, op. cit. pages 32 et s.; James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, pages 40 et s.), car il me semble d'abord qu'une sentence isolée ne peut permettre que fort exceptionnellement de satisfaire à l'élément répéti- tion et acharnement qui se trouve au coeur de la notion de persécution (cf. Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.)), mais surtout parce qu'entre la peine encourue et imposée et l'opinion politique du transgresseur il n'y a pas le lien direct requis.
Ce n'est que dans le cadre d'un contexte appro- prié, à mon sens, qu'une disposition comme celle de l'article 109 du Code pénal tchèque peut avoir une portée déterminante sur une reconnaissance de statut de réfugié. Il en sera ainsi dans les cas la disposition, en elle-même ou dans son application, est susceptible d'ajouter à la série de mesures discriminatoires dont a été victime un revendica- teur pour une cause prévue à la Convention de façon à permettre de voir de la persécution dans le traitement général que son pays lui réserve'. J'ai mentionné précédemment que le procureur des appelants avait effectivement tenté de rattacher la crainte de sanction pénale de ses clients aux diffi- cultés qu'ils avaient connues dans le passé. Le problème est qu'un tel rattachement n'est pas ici possible, rien ne permettant de penser que l'appar- tenance des revendicateurs à la religion catholique, cause majeure des difficultés qu'ils avaient con- nues, ou même leur désaccord avec le régime, à supposer qu'il ait eu pour eux dans le passé quel- que conséquence malheureuse, put avoir une influence quelconque sur la façon dont l'article 109 pourrait leur être appliqué.
' C'est une application du principe de l'effet cumulatif dont parlent les paragraphes 54 et 55 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, publié par le Haut Commissa riat des Nations Unies pour les réfugiés (Genève, septembre 1979).
À mon avis, le tribunal a eu raison de conclure que la crainte des revendicateurs d'être objet de sanction pénale pour être restés à l'étranger au- delà du temps prévu à leur visa de sortie ne peut constituer une crainte bien fondée de persécution de façon à en faire des réfugiés au sens de la Convention.
Je rejetterais les cinq appels.
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