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A-726-90
Monica Mileva (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: MILEVA c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Desjardins, J.C.A.—Montréal, 23 janvier; Ottawa, 25 février 1991.
Immigration Statut de réfugié Compétence d'un arbi- tre et d'un membre de la section du statut de réfugié pour ce qui est de prendre en considération un «changement de cir- constances» dans le pays d'origine qui amoindrit le risque de persécution Rôle du tribunal de première instance en vertu de l'art. 46.01 de la Loi sur l'immigration Question de savoir si la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» à l'art. 2 englobe la notion de «changement de circonstances» Rôle de la section du statut de réfugié en vertu de l'art. 69.1(5).
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Question de savoir s'il est compatible avec les principes de justice fondamentale de permettre que, dans une affaire de revendication de statut de réfugié au sens de la Convention, un tribunal de première instance prenne en consi- dération un changement de circonstances dans le pays d'origine qui amoindrit le risque de persécution.
Il était question dans cette affaire d'une requête pour que soit annulée a) la décision d'un arbitre et d'un membre de la section du statut de réfugié (tribunal de première instance), décision selon laquelle la revendication du statut de réfugié de la requérante était dénuée d'un minimum de fondement et n'avait pas à être déférée à la section du statut de réfugié, et b) l'ordonnance d'exclusion découlant de cette décision. La requé- rante vient de Bulgarie. Elle craignait de retourner dans son pays parce que la police l'avait faussement accusée de prostitu tion et l'avait fichée comme prostituée dans ses dossiers. En outre, elle ne pouvait poursuivre ses études: aucune école ne voulait l'accepter parce qu'elle avait été arrêtée pour avoir pris part à des manifestations. Après avoir résumé les récents changements politiques survenus en Bulgarie, l'arbitre a consi- déré qu'à son avis la crainte qu'avait la requérante d'être persécutée n'avait pas le minimum de fondement requis.
La requérante a fait valoir que le tribunal n'aurait pas prendre en considération les changements politiques récemment survenus en Bulgarie, qui faisaient qu'il y avait moins de risques qu'elle soit victime de persécution. Elle a soutenu qu'en vertu du paragraphe 69.1(5) et de l'alinéa 2(2)e) de la Loi sur l'immigration, seule la section du statut de réfugié est autorisée à juger, dans les cas le ministre le demande, si un revendica- teur a perdu le statut de réfugié parce que les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécuté ont cessé d'exister. La requé- rante a de plus reproché au tribunal de s'être interrogé sur les conclusions que, à son avis, la preuve autorisait plutôt que sur celles qu'aurait pu tirer la section du statut de réfugié si elle avait été saisie de l'affaire.
Selon l'article 2 de la Loi sur l'immigration, est «réfugié au sens de la Convention» celui qui satisfait aux exigences énon- cées à l'alinéa a) et qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe 2(2). Selon ce paragraphe, une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention lorsque les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée ont cessé d'exister. Le paragraphe 69.1(5) prévoit qu'à l'audience, la section du statut de réfugié est tenue de donner au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve et, si le ministre informe la section du statut de réfugié que la revendication met en cause le paragraphe 2(2), de contre-interroger des témoins et de présenter des observations. Selon le paragraphe 46.01(6), si l'arbitre ou le membre de la section du statut de réfugié conclut qu'il existe des éléments crédibles sur lesquels la section du statut de réfugié peut se fonder pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié au sens de la Convention, l'un ou l'autre conclut que la revendication a un minimum de fondement.
Arrêt: la requête devrait être accueillie.
Le juge Pratte, J.C.A.: L'argument initial de la requérante devait être rejeté. Le tribunal de première instance doit décider s'il est possible que la section du statut de réfugié reconnaisse le statut de réfugié à la personne qui le revendique. Le fait que la situation politique existant dans le pays d'origine d'un revendi- cateur ait évolué de façon à faire disparaître les motifs de sa crainte de persécution est un fait pertinent à la question de savoir si cette personne peut sérieusement prétendre être un réfugié au sens de la Convention. La question que soulève une telle revendication n'est pas celle de savoir si le revendicateur a eu, dans le passé, des motifs de craindre d'être persécuté, mais bien celle de savoir s'il a aujourd'hui des motifs sérieux de craindre d'être persécuté dans l'avenir. La définition de l'ex- pression «réfugié au sens de la Convention», qui fait référence au fait de n'avoir pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe 2(2), étaye cette affirmation. Le paragraphe 69.1(5) indique seulement dans quels cas, lors d'une audience portant sur un cas de revendica- tion du statut de réfugié, le ministre a le droit de contre-interro- ger des témoins et de présenter des observations. Il n'existe pas de disposition semblable qui s'applique aux audiences du tribu nal de première instance parce que ce dernier est toujours tenu, en vertu du paragraphe 46(3), de «donner au ministre et à l'intéressé la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations».
Le second argument de la requérante était fondé. L'arbitre s'est trompé en tirant des conclusions de la preuve. Le tribunal de première instance n'est pas tenu de juger si le changement de circonstances établi parla preuve est suffisant pour faire échec à la revendication. Il doit seulement décider si cette preuve est telle qu'il serait impossible que la section du statut fasse droit à la revendication.
Le juge Marceau, J.C.A. (motifs concourants quant au résultat): Le tribunal de première instance n'est pas habilité à prendre en considération les changements politiques intervenus dans le pays dont le revendicateur s'est enfui. Seule la section du statut de réfugié peut refuser le statut de réfugié à cause de changements politiques qui auraient enlevé tout fondement rationnel à la crainte de persécution, et, dans ce cas, peut-être uniquement à l'instigation du ministre.
Le «changement de circonstances» qui entraîne la perte du statut de réfugié, expression figurant au paragraphe 2(2), ne fait pas partie de la définition de base générale du terme «réfugié», laquelle a été rédigée de manière à intégrer la définition de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Les principes suivants ont aidé à interpréter les dispositions applicables: (i) une personne est réfugiée avant d'être reconnue comme telle: elle ne le devient pas parce qu'elle est reconnue mais elle est reconnue parce qu'elle est réfugiée; (ii) le fait qu'une personne soit réfugiée dépend de faits passés qui l'ont amenée à fuir son pays pour chercher protection et refuge ailleurs; (iii) le «changement de circonstances» ne joue que négativement, pour appuyer un refus ou un retrait de reconnaissance de statut, ce qui est de la compétence exclusive de la section du statut de réfugié.
Le rôle assigné au tribunal de première instance s'oppose à une prise en considération des «changements de circonstances». D'après l'article 46.01, il est évident que si le tribunal de première instance a décelé des faits susceptibles d'appuyer la prétention du revendicateur qu'il a fui son pays poussé par une crainte justifiée de persécution pour les motifs prévus, il ne saurait prétendre que la revendication n'a aucun fondement minimum sans évaluer la force des diverses preuves déjà accep- tées relativement au caractère raisonnable de la crainte que le revendicateur dit avoir encore. Cette évaluation n'est pas du ressort du tribunal de première instance.
La seule explication que l'on voit au paragraphe 69.1(5) est que le changement de circonstances en tant qu'élément négatif pose des problèmes si complexes en matière de preuve, d'appré- ciation et même de relations internationales qu'on a voulu que son examen soit d'abord soumis au contrôle du ministre et ensuite annoncée à l'avance.
Si le tribunal de première instance était habilité à prendre en considération un «changement de circonstances» de son propre chef, il placerait le revendicateur dans une situation procédu- rale fort difficile. Pour faire valoir son droit, ce dernier ne pourrait plus se limiter à rendre compte des faits qui l'ont incité à chercher refuge ailleurs en montrant que sa crainte de persécution était raisonnable. Il lui faudrait aussi faire la preuve que les changements politiques survenus dans son pays depuis son départ n'étaient pas de nature à faire disparaître cette crainte ou à la rendre déraisonnable. Un tel système contreviendrait aux principes de justice fondamentale dont il est fait mention à l'article 7 de la Charte.
Le juge Desjardins, J.C.A.: Le tribunal de première instance a compétence pour entendre la preuve portant sur les change- ments politiques survenus dans le pays d'origine de la requé- rante. Ces changements constituent un des éléments essentiels de la définition du terme «réfugié au sens de la Convention». Nier au tribunal de première instance la compétence pour examiner des éléments de preuve portant sur les changements de circonstances survenus dans le pays d'origine équivaudrait à empêcher de rejeter des revendications manifestement frivoles.
Il ne faut pas limiter la portée du paragraphe 46(3) cause des restrictions contenues au paragraphe 69.1(5). Les deux niveaux décisionnels ont compétence pour entendre les éléments de preuve portant sur les changements politiques survenus dans un pays d'origine, mais ils n'ont pas la même fonction à l'égard de ces éléments.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7.
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. 6, Art. 1, sections A, C, E, F.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. 1-2, art. 2 [mod. par L.R.C. (1985) (4° suppl.), chap. 28, art. 1], 46(3) (mod., idem, art. 14), 46.01(6) (édicté, idem, art. 14), 69.1(5) (édicté, idem, art. 18).
JURISPRUDENCE
Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'Immigration) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313; 12 Imm. L.R. (2d) 43 (C.A.F.).
DOCTRINE
Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Con vention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, septembre 1979.
AVOCATS:
Anthony Daoulov pour la requérante. Johanne Levasseur pour l'intimé.
PROCUREURS:
St-Pierre, Buron & Associés, Montréal, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: La requérante vient de Bulgarie. Dès son arrivée au pays, le 18 décem- bre 1989, elle a revendiqué le statut de réfugié. Comme le veut maintenant la Loi sur l'immigra- tion [L.R.C. (1985), chap. I-2], cette revendica- tion fut soumise à un arbitre et à un membre de la section du statut pour qu'ils décident si elle méri- tait d'être déférée à la section du statut ou si elle ne devait pas plutôt être rejetée sommairement au motif qu'elle était irrecevable ou dénuée de tout fondement. Le 10 juillet 1990, l'arbitre et le membre de la section du statut décidèrent que la
revendication de la requérante n'avait pas un «minimum de fondement» et ne devait pas, pour ce motif, être déférée à la section du statut; l'arbitre prononça immédiatement une ordonnance d'exclu- sion contre la requérante qu'il avait préalablement jugée inadmissible au Canada. De cette demande faite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7].
L'avocat de la requérante a soulevé deux moyens au soutien de son pourvoi. Il a d'abord prétendu que l'arbitre et le membre de la section du statut n'auraient pas tenir compte de la preuve des changements politiques récents surve- nus en Bulgarie. Suivant lui, il s'agit d'une preuve que seule la section du statut aurait pu prendre en considération si l'affaire lui avait été déférée. L'avocat de la requérante a aussi soutenu, c'était son deuxième moyen, que, de toute façon, l'arbitre et le membre de la section du statut ne s'étaient pas posé, au sujet de la preuve qu'ils avaient devant eux, la question qu'ils auraient se poser.
Avant d'aller plus loin, il convient de rappeler la différence qui existe entre les rôles respectifs de la section du statut, d'une part, et de l'arbitre et du membre de la section du statut, d'autre part, lors- qu'ils ont à statuer sur une revendication du statut de réfugié dont la recevabilité n'est pas contestée.
Ce que l'on demande à la section du statut', c'est de déterminer, à la lumière de la preuve, si le revendicateur est un réfugié au sens de la Conven tion. La section du statut doit donc prendre con- naissance de preuves relatives à des faits passés ou présents qui concernent le revendicateur, sa famille et son pays d'origine. Ces preuves, la section du statut doit les apprécier comme le ferait n'importe quel autre tribunal, en tenant compte de leur crédibilité et de leur force probante, et décider quels sont les faits que ces preuves établissent. La section du statut doit ensuite juger si les faits ainsi prouvés sont tels qu'ils permettent de conclure que le revendicateur courrait vraiment le risque d'être persécuté pour des motifs prévus à la Convention s'il devait retourner dans son pays. Comme il est
1 Voir l'art. 69.1 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 18] de la Loi sur l'immigration et, en particulier, la version anglaise de l'art. 69.1(9).
impossible de prédire l'avenir, en portant pareil jugement la section du statut ne fait, bien sûr, qu'exprimer une opinion.
Le rôle de l'arbitre et du membre de la section du statut est défini par le paragraphe 46.01(6) [édicté, idem, art. 14] de la Loi. Ils doivent, eux aussi, prendre connaissance des diverses preuves qui leur sont soumises. Ils doivent se prononcer sur la crédibilité de ces preuves. Ils doivent ensuite se demander si, en se fondant sur celles de ces preu- ves qu'ils jugent crédibles, il serait raisonnable- ment possible que la section du statut conclue au bien fondé de la revendication si l'affaire lui était déférée. Il ne leur appartient pas de décider quels faits sont établis par la preuve; ils n'ont pas d'avantage à juger si la preuve permet de conclure que le revendicateur courrait vraiment le risque d'être persécuté s'il retournait chez lui. Après avoir statué sur la crédibilité des preuves, la seule question que l'arbitre et le membre de la section du statut peuvent se poser est celle de savoir si, en se fondant sur celles de ces preuves qui sont crédi- bles, la section du statut pourrait, si elle était saisie de l'affaire, conclure à l'existence de faits qu'elle pourrait juger suffisants à établir le bien fondé de la revendication 2 .
J'en reviens maintenant aux deux moyens invo- qués par la requérante.
L'avocat de la requérante a d'abord soutenu que l'arbitre et le membre de la section du statut avaient excédé leur compétence en tenant compte des preuves qui établissaient que des changements politiques importants venaient d'avoir lieu en Bul- garie qui rendaient peu probable que la requérante puisse être persécutée à l'avenir. Il a fondé cette prétention sur le paragraphe 69.1(5) et sur l'alinéa 2(2)e) [mod. idem, art. 1] de la Loi' qui, suivant lui, autoriseraient la section du statut et elle seule à juger, dans les cas le ministre le demande, si un revendicateur a perdu le statut de réfugié parce que les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécuté ont cessé d'exister.
2 Voir Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313 (C.A.F.).
3 Ces deux dispositions se lisent comme suit:
69.1 ...
(5) À l'audience, la section du statut est tenue de donner à l'intéressé et au ministre la possibilité de produire des élé- ments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations, ces deux derniers droits n'étant
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Ce premier moyen doit être rejeté. L'arbitre et le membre de la section du statut doivent décider s'il est possible que la section du statut reconnaisse le statut de réfugié à la personne qui le revendique. Pour rendre cette décision, ils doivent tenir compte de toute preuve crédible qui tend à établir des faits pertinents à cette question. Or, le fait que la situation politique existant dans le pays d'origine d'un revendicateur ait évolué de façon à faire disparaître les motifs qui lui faisaient craindre la persécution est évidemment un fait pertinent à la question de savoir si cette personne peut sérieuse- ment prétendre être un réfugié au sens de la Convention. La question que soulève la revendica- tion du statut de réfugié, en effet, n'est pas celle de savoir si le revendicateur a déjà eu, dans le passé, des motifs de craindre la persécution, mais bien celle de savoir s'il a aujourd'hui, au moment ou l'on statue sur sa revendication, des motifs sérieux de craindre d'être persécuté dans l'avenir. Tout doute que l'on pourrait avoir à ce sujet disparaît lorsqu'on lit la définition que donne le paragraphe 2(1) [mod., idem] de l'expression «réfugié au sens de la Convention». En effet, suivant cette défini- tion, est «réfugié au sens de la Convention» celui qui satisfait aux exigences énoncées dans l'alinéa a) et qui, en outre, «n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2)» 4 . Le paragraphe 69.1(5) qu'invo- que l'avocat de la requérante n'a rien à voir avec cette question. Il ne fait qu'indiquer dans quels
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toutefois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la revendication met en cause la section E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi.
2. ...
(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où:
e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.
° Je suppose ici, comme l'a fait le requérant, que l'art. 2(2) de la Loi sur l'immigration ne vise pas seulement les personnes qui perdent le statut de réfugié après l'avoir revendiqué avec succès. Il ne faudrait pas en conclure que cette interprétation doive être retenue.
cas, lors d'une audience de la section du statut sur une revendication, le ministre a le droit de contre- interroger les témoins et de présenter des observa tions. On ne trouve pas de disposition semblable qui soit applicable aux audiences de l'arbitre et du membre de la section du statut parce que ceux-ci sont toujours tenus, suivant le paragraphe 46(3) [mod., idem, art. 14], de «donner au ministre et à l'intéressé la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interoger des témoins et de présenter des observations».
Si l'arbitre et le membre de la section du statut doivent tenir compte des preuves tendant à démon- trer un changement de circonstances dans le pays d'origine du revendicateur, ce n'est pas à eux de juger si le changement de circonstances établi par ces preuves est suffisant pour faire échec à la revendication. Ils doivent seulement décider si cette preuve est telle qu'il serait impossible que la section du statut fasse droit à la réclamation.
Je rejoins ici le second moyen de la requérante qui reproche à l'arbitre et au membre de la section du statut de s'être interrogés sur les conclusions que, à leur avis, la preuve autorisait plutôt que sur celles que pourrait peut-être tirer la section du statut si elle était saisie de l'affaire.
Ce second reproche me semble fondé. L'arbitre, dans sa décision, résume d'abord le témoignage de la requérante dont il ne met pas la crédibilité en doute:
Vous déclarez voir participé à quatre manifestations publi- ques. C'est lors de la dernière de ces manifestations que vous avez été arrêtée, battue, brutalisée puis relâchée car vous étiez mineure. Peu de temps après, vous avez été renvoyée de votre école. Cette école comptait quelque 1000 élèves et vous seule avez été renvoyée, à votre connaissance, ayant été la seule, selon vous, à participer à cette manifestation.
Par la suite, vous avez été refusée dans deux écoles et exclue de l'organisation des jeunes communistes, puis vous avez été arrêtée et accusée de prostitution. Vous avez été fichée comme prostituée dans les dossiers de la police. Vous avez été sollicitée par la suite pour devenir délatrice et vous avez refusé.
Vous craignez de retourner en Bulgarie à cause de ce dossier de prostitution faussement préparé contre vous et aussi parce que vous ne pouvez, selon vous, aspirer à des études supérieures.
L'arbitre résume ensuite la preuve relative à l'évo- lution récente de la situation politique en Bulgarie et fait ensuite part de ses conclusions. Il convient
de citer certains passages de cette dernière partie de la décision en portant une attention particulière aux mots que j'ai soulignés:
Après avoir analysé ces preuves et les soumissions, j'en suis arrivé à la conclusion suivante:
L'évolution positive non-répressive des manifestations à caractère politique atténue beaucoup, à mon avis, les effets ou l'impact de votre arrestation lors de la manifestation. Votre renvoi de l'école étant une conséquence de cette participation à la manifestation, j'ai tendance à accueillir comme plausible et possible la proposition de madame Drapeau d'une demande de révision de votre renvoi de l'école par les autorités en place actuellement.
Vous craignez que la police utilise le faux dossier de prostitu tion monté contre vous. Cependant, comme il a été établi qu'il s'agit d'un délit sous le Code criminel, vous pouvez vous défendre avec les services d'un avocat.
La crainte subjective existe, puisque vous la manifestez. Cependant, à mon avis, la crainte objective repose sur des éléments dont le fondement, dans le contexte actuel de la Bulgarie, n'a plus le minimum requis. Conséquemment, la persécution appréhendée n'existe pas, à mon avis, puisqu'on ne peut plus parler d'éléments de persécution.
Je ne peux faire de lien entre le statut politique déclaré et la persécution appréhendée, et le besoin de protection ne trouve pas, dans mon analyse, une justification minimale. Je n'écarte pas les arguments de maitre Daoulov à l'effet qu'il existe une incertitude et que les changements vers le respect des libertés n'ont peut-être pas atteint tous les paliers locaux, encore fau- drait-il que les faits qui vous sont personnels puissent être actualisés dans cette optique. Le fait d'être empêchée de pour- suivre des études ne subsiste pas, à mon avis, à cette actualisa tion. Le refus de devenir délatrice est, à mon avis, un autre fait qui perd son acuité lorsqu'examiné dans le contexte actuel du pays.
Il me paraît, à la lecture de cette décision, que l'arbitre s'est interrogé sur les conclusions qu'il convenait, à son avis, de tirer de la preuve. Ce n'est pas là, je l'ai déjà dit, la question qu'il aurait se poser.
Je ferais donc droit à la requête, je casserais la décision prononcée le 10 juillet 1990 par l'arbitre et le membre de la section du statut à l'effet que la revendication de la requérante n'a pas un mini mum de fondement et je casserais aussi l'ordon- nance d'exclusion de la requérante prononcée le même jour par l'arbitre; enfin, je renverrais l'af- faire pour que la requérante subisse une nouvelle enquête au cours de laquelle elle pourra, si elle le désire, réclamer de nouveau le statut de réfugié.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A. (motifs concourants quant au résultat): Je partage d'emblée l'opinion de monsieur le juge Pratte, J.C.A., que cette demande d'annulation doit être accueillie. Il ne me paraît pas douteux, moi non plus, que l'arbitre et le membre de la section du statut ne pouvaient pas décider que les changements politiques récents sur- venus en Bulgarie avaient enlevé à la revendication de la requérante au statut de réfugié le minimum de fondement requis pour qu'elle soit déférée à la section du statut. J'appuie ma conclusion, toute- fois, sur un fondement plus direct et plus décisif que celui retenu par mon collègue. Je pense, en effet, que ce tribunal initial d'accès que forment l'arbitre et le membre de la section du statut, dans le nouveau système d'adjudication mis sur pied par le Parlement en matière de revendication du statut de réfugiés, n'est tout simplement pas habilité à prendre en considération les changements politi- ques intervenus dans le pays dont le revendicateur s'est enfui pour éviter la persécution. Mon collègue rejette formellement cette proposition qui, évidem- ment, dépasse la portée du litige et est susceptible, dans le contexte international actuel, d'être mise en cause de façon de plus en plus fréquente: aussi me faut-il essayer d'expliquer avec égards pour- quoi je la crois fondée.
Ce sont des considérations qu'ils rattachent à la notion même de réfugié et au rôle assigné au tribunal d'accès, dans le processus d'examen d'une revendication du statut de réfugié mis en place par la législation nouvelle, que font valoir ceux qui soutiennent que déjà, à cette étape de départ, les changements politiques intervenus dans le pays dont le revendicateur s'est enfui doivent être pris en considération.
On rappelle d'abord qu'au cœur même de la crainte de persécution du réfugié se trouve le contexte politique et social du pays d'où il vient, ce qui fait de ce contexte non seulement un élément pertinent mais un élément dominant de la défini- tion de réfugié. On rappelle aussi que le bien-fondé d'une revendication du statut de réfugié doit être vérifiée au jour le tribunal en est saisi, ce qui implique que le contexte politique et social dont il
5 Loi modifiant la Loi sur l'Immigration de 1976, L.C. 1988, chap. 35, entrée en vigueur le janvier 1989.
faut tenir compte pour juger du caractère raison- nable de la crainte du revendicateur de réclamer la protection de son pays est celui existant au moment de la décision. On rappelle enfin que la Loi elle-même reconnaît formellement qu'un chan- gement de contexte politique et social dans son pays d'origine, un «changement de circonstances», comme l'on dit, peut faire perdre le statut de réfugié à une personne qui se l'est déjà fait recon- naître, ce qui force à penser qu'un tel «changement de circonstances» doit être pris en compte lors de l'examen de la revendication, comme le laisse entendre d'ailleurs la définition même de «réfugié au sens de la Convention» du paragraphe 2(1) en se référant au cas de perte de statut selon le paragraphe 2(2). Puis, raisonnant à partir de là, on dit ne pas voir comment ce tribunal d'accès, dont le rôle est de vérifier si, dans la preuve qui lui est soumise et qu'il juge crédible, il existe des élé- ments susceptibles de conduire la section du statut à reconnaître le bien-fondé de la revendication, pourrait s'acquitter pleinement de sa tâche sans prendre en considération une donnée aussi centrale qu'un changement d'importance dans le contexte politique du pays d'où vient le revendicateur.
Ce raisonnement est clair et la conclusion à laquelle il conduit semble aller de soi, mais je dois dire avec égards qu'il n'est pas parvenu à me convaincre. Il repose sur une compréhension de la Loi qui ne correspond pas tout-à-fait à celle que j'ai, tant et si bien que ce sont, moi aussi, des considérations tenant à la notion même de réfugié et au rôle du tribunal d'accès que j'invoque pour faire valoir une conclusion inverse. J'appuie en effet ma façon de voir sur trois considérations majeures.
1. La première est la plus difficile à faire valoir car elle se rapporte à la notion même de réfugié et s'oppose, dans une certaine mesure, à une prémisse du raisonnement qui appuie la position de mon collègue. Aussi est-ce avec égard que je la fais valoir. A mon avis, le «changement de circonstan- ces»—expression, je le répète, qui est utilisée pour désigner un changement important survenu au niveau politique ou social dans le pays que le revendicateur a été forcé de fuir pour éviter la persécution (et je me servirai moi aussi de l'expres- sion pour simplifier)—n'entre pas dans la défini- tion générale de base du réfugié.
La définition du terme «réfugié au sens de la Convention» que l'on retrouve au paragraphe 2(1) de la Loi vise évidemment à reprendre celle de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés signée à Genève en 1951, partielle- ment modifiée par un Protocole signé à New York en 1967. C'est ce qui explique sa formulation quelque peu alambiquée. Dans la Convention de 1951, le terme «réfugié», selon la définition géné- rale donnée à l'article 1, section A, paragraphe 2), s'appliquait à toute personne:
Article premier
A. ...
2) Qui, par suite d'événements survenus avant le premier janvier 1951 et craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
Cette «date clé» du 1" janvier 1951 avait été inscrite, on le sait, à la demande de certains États participants pour limiter les obligations qu'ils assu- maient. C'est cette limite que le Protocole de New York a voulu laisser tomber, à cause des situations nouvelles qui se multipliaient, mais il l'a fait sans autrement modifier les dispositions de la Conven tion, et parmi ces dispositions s'en trouvait une qu'il faut noter spécialement, celle de la section C de l'article 1 relatif à la définition, qui se lit ainsi:
C. Cette Convention cessera, dans les cas ci-après, d'être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci-dessus:
I) Si elle s'est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité; ou
2) Si, ayant perdu sa nationalité, elle l'a volontairement recouvrée; ou
3) Si elle a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité; ou
4) Si elle est retournée volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée; ou
5) Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité;
Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s'appliqueront pas à tout réfugié visé au para-
graphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures;
6) S'agissant d'une personne qui n'a pas de nationalité, si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle est en mesure de retourner dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle;
Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s'appliqueront pas à tout réfugié visé au para- graphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de retourner dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, des raisons impérieuses tenant à des persé- cutions antérieures.
Voilà donc les sources qui ont conduit au para- graphe 2(1) de la Loi, dont je rappelle le texte dans ses deux versions:
»réfugié au sens de la Convention» Toute personne:
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;
b) n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Conven tion en application du paragraphe (2).
Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.
Et je rappelle aussi ce paragraphe (2) auquel il est fait référence:
2....
(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où:
a) elle se réclame de nouveau et volontairement de la protec tion du pays dont elle a la nationalité;
b) elle recouvre volontairement sa nationalité:
c) elle acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protec tion du pays de sa nouvelle nationalité;
d) elle retourne volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée;
e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.
On ne peut comprendre ces dispositions, il me semble, qu'en fonction d'un certain nombre d'idées sous-jacentes que l'on retrouve d'ailleurs énoncées dans un chapitre intitulé «Principes généraux»,
placé en tête du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés 6 .
La première idée est qu'une personne est néces- sairement réfugiée avant d'être reconnue comme telle; elle ne devient pas réfugiée parce qu'elle est reconnue mais elle est reconnue parce qu'elle est réfugiée; on a d'abord une situation de fait qui donne lieu à un état, on a ensuite une reconnais sance de droit qui se traduit par un statut.
Une deuxième idée est qu'une personne est réfu- giée en fonction de faits passés, car c'est à cause d'événements qu'elle a vécus qu'elle a cru devoir fuir son pays pour chercher protection et refuge ailleurs. «Qui, par suite d'événements survenus ... et craignant avec raison d'être persécutée ... se trouve hors du pays ... et qui ... du fait de cette crainte ne veut se réclamer», dit la Convention. «Qui, craignant ... se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ... du fait de cette crainte ne veut se réclamer», reprend le paragraphe 2(1) de la Loi. On voit le lien entre la crainte et le fait d'être hors du pays et la même crainte (cette crainte) et le refus de retourner. Et en cela, il faut le noter, la définition technique de la Convention et de la Loi respecte le sens commun du mot «réfugié» qui (je prends la définition du Petit Robert) «[s]e dit d'une personne qui a fuir le lieu qu'elle habitait afin d'échapper à un danger (guerre, persécutions politiques ou religieuses, etc.)».
Je sais bien que l'on a dégagé en pratique cette notion de «réfugié sur place» pour l'appliquer à une personne qui n'a pas fui son pays par crainte de persécution, mais, après un séjour à l'étranger, a peur d'y retourner à cause d'événements survenus pendant son absence. Il peut s'agit d'un diplomate ou autre fonctionnaire en poste à l'étranger, d'un
6 Je n'oublie évidemment pas que la Convention à laquelle se réfère le Guide n'est pas comme telle une loi du Canada, mais notre loi a été adoptée en exécution des obligations découlant de la Convention et la définition de réfugié qu'on y retrouve se veut précisément celle de la Convention: on ne saurait trouver meilleure source de renseignements et outil de compréhension que le Guide auquel je réfère.
prisonnier de guerre, d'un étudiant, par exemple. Mais il s'agit là, à mon sens, d'une extension artificielle de la notion de base de réfugié, que l'on accepte au niveau de l'octroi du statut à cause de l'équivalence du besoin de protection ressenti.
Une troisième idée, rattachée à la seconde, c'est que le «changement de circonstances» survenu depuis sont départ ne permet pas de contester que le revendicateur a vraiment fui son pays pour chercher refuge ailleurs, qu'il est un réfugié de fait; ce que le «changement de circonstances» permet uniquement de contester, c'est que le revendicateur ait encore raison de douter de la volonté ou de la possibilité des autorités de son pays de le protéger et que partant il ait vraiment encore besoin aujourd'hui d'un refuge. C'est ainsi qu'on ne lui attribue qu'une signification ou valeur négative comme on le fait pour toutes les clauses dites de cessation, que notre Loi reprend au para- graphe 2(2), et pour toutes les clauses dites d'ex- clusion des sections E et F de l'article 1 de la Convention, que notre Loi adopte par référence'. Et cette signification ou valeur négative ne joue qu'au niveau de la reconnaissance de statut, soit pour retirer un statut déjà accordé, ce que pré- voient la section C de l'article 1 de la Convention et le paragraphe 2(2) de notre Loi, soit pour refuser de l'accorder, ce que suppose le paragraphe 69.1(5) relatif à la considération d'une revendica- tion par la section du statut, paragraphe sur lequel je reviendrai mais dont je rappelle tout de suite le texte:
' Les sections E et F de l'article 1 de la Convention se lisent comme suit:
Article premier
E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:
a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dis positions relatives à ces crimes;
b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;
c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contrai- res aux buts et aux principes des Nations Unies.
69.1...
(5) À l'audience, la section du statut est tenue de donner à l'intéressé et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations, ces deux derniers droits n'étant toutefois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la revendication met en cause la section E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi.
Ainsi, tel que je le comprends, le «changement de circonstances» est un élément qui n'entre pas dans la définition de base du réfugié, celle qui s'appli- que au réfugié proprement dit que j'ai appelé un réfugié de fait; il ne joue que négativement, pour appuyer un refus ou un retrait de reconnaissance de statut 8 , ce qui est de la juridiction exclusive de la section du statut.
2. La deuxième considération que je veux faire valoir est indépendante de la première en ce sens qu'elle me paraît valable peu importe que j'aie tort quant à cette distinction entre critères de valeur positive et négative dans l'octroi du statut de réfu- gié et qu'il faille considérer qu'en fait et en tout état de cause une personne n'est réfugiée que si la crainte d'être persécutée qui l'a fait fuir son pays est restée objectivement raisonnable malgré les changements politiques survenus entre temps. Je soumets que de toute façon le rôle assigné à l'arbi- tre et au membre de la section du statut, en tant que formant le tribunal d'accès dans le processus de considération d'une revendication du statut de réfugié, s'oppose à une prise en considération des «changements de circonstances». Ce rôle est, comme l'on sait, défini au paragraphe 46.01(6) de la Loi dans les termes qu'il faut avoir bien présents à l'esprit:
46.01.. .
(6) L'arbitre ou le membre de la section du statut concluent que la revendication a un minimum de fondement si, après examen des éléments de preuve présentés à l'enquête ou à l'audience, ils estiment qu'il existe des éléments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié au sens de la Convention. Parmi les éléments présentés, ils tiennent compte notamment des points suivants:
8 Dans le cas du «réfugié sur place», la situation est évidem- ment totalement différente puisque les données naturelles constituent l'élément, le critère, positif sur lequel la revendica- tion se fonde.
a) les antécédents en matière de respect des droits de la personne du pays que le demandeur a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d'être persécuté;
b) les décisions déjà rendues aux termes de la présente loi ou de ses règlements sur les revendications était invoquée la crainte de persécution dans ce pays.
Il me paraît tout simplement évident, eu égard à ma compréhension des notions mises en cause, que si l'arbitre et le membre du statut ont pu déceler, dans la preuve crédible reçue par eux, des faits susceptibles d'appuyer la prétention du revendica- teur à l'effet qu'il a fui son pays poussé par une crainte justifiée de persécution pour les motifs prévus, ils ne sauraient prétendre que la revendica- tion n'a aucun minimum de fondement. En effet, pour être en mesure de vérifier si les éléments nouveaux résultant d'un prétendu «changement de circonstances» applicables de façon générale annu- lent les éléments acquis applicables au revendica- teur spécifiquement au point de les rendre «non- existants» au sens du texte («il existe des éléments», dit le texte), il leur faudrait procéder à une évalua- tion de la force des diverses preuves acceptées par eux et des incidences qui peuvent en être tirées relativement au caractère raisonnable de la crainte que dit avoir encore le revendicateur, et cette évaluation n'est tout simplement pas de leur ressort.
C'est à ce point-ci que je voulais revenir sur ce paragraphe 69.1(5) dont j'ai déjà dit plus haut qu'il présupposait que le «changement de circons- tances» pouvait conduire au refus d'une reconnais sance de statut. Je pense qu'il convient de repren- dre le texte:
69.1...
(5) À l'audience, la section du statut est tenue de donner à l'intéressé et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations, ces deux derniers droits n'étant toutefois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la revendication met en cause la section E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi.
Ce que je voulais faire remarquer d'abord c'était l'utilisation des expressions: en français, «met en cause ... le paragraphe 2(2) de la présente loi» et en anglais, «matters involving ... subsection 2(2) of this Act are raised». C'est certes la possibilité de refuser le statut pour une des causes de retrait prévues au paragraphe 2(2) que l'on prévoyait et non les cas un statut accordé précédemment aurait déjà été retiré. Dans le cas d'une revendica- tion réitérée après la perte du statut, il n'y a pas besoin d'avis ou de représentations au niveau de la section du statut; la définition même de réfugié est rendue inapplicable par le texte même du paragra- phe 2(1) et nul doute que le rejet de la revendica- tion doit être prononcé dès le départ.
Mais ce que je voulais souligner tout spéciale- ment c'est cette exigence d'un avis préalable pour que le ministre puisse contre-interroger les témoins et faire des observations lorsqu'à son avis «la revendication met en cause la section E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi». Je veux bien qu'il soit formellement question dans cet article uniquement des pouvoirs du ministre et de la possibilité de rendre la procédure contradictoire lorsqu'il est question de refuser une reconnaissance pour un des motifs prévus au paragraphe 2(2), notamment le «changement de circonstances». Mais cette disposi tion n'est pas isolée et doit être placée en contexte. Il faut lui donner un sens. Peut-on penser que le tribunal d'accès et la section du statut seraient pleinement habilités à tenir compte du «change- ment de circonstances», mais que le ministre, lui, pour simplement le soulever et en discuter, serait soumis à l'obligation d'un avis préalable. Ou mieux encore, peut-on penser que le ministre aurait pleine latitude devant le tribunal d'accès, mais devant la section du statut son droit de représenta- tions serait conditionnel à un avis préalable?
La seule explication que je vois à cette disposi tion est que le «changement de circonstances» en tant qu'élément négatif pose des problèmes si com plexes en matière de preuve, d'appréciation et même possiblement de relations internationales qu'on a voulu que sa- considération soit d'abord laissée sous le contrôle du ministre et ensuite annoncée à l'avance. Ce qui me conduit à ma troisième considération.
3. Cette troisième considération ne peut donner ouverture qu'à un argument subsidiaire de conve- nance mais qui ne me paraît pas sans valeur. Si le nouveau système d'adjudication mis sur pied par le Parlement en matière de revendication du statut de réfugié confiait au tribunal d'accès et à la section du statut le pouvoir et même le devoir de prendre en considération, librement et de leur propre chef, un «changement de circonstances», il placerait le revendicateur dans une situation procé- durale fort difficile et le soumettrait à des exigen- ces de présentation extrêmement lourdes. Le revendicateur, en effet, pour faire valoir son droit, ne pourrait plus se limiter à rendre compte des faits qui l'ont incité à chercher refuge ailleurs en montrant que sa crainte de persécution était plei- nement raisonnable, il devrait aussi assumer le fardeau de prouver que les changements politiques survenus dans son pays depuis son départ ne sont pas de nature à faire disparaître cette crainte ou à la rendre déraisonnable. Et il devrait le faire sans connaître à l'avance les changements susceptibles d'être pris en considération et sans moyen adéquat pour en vérifier pleinement la signification. J'ai peine à penser qu'un tel système serait en tout point conforme aux principes de justice fondamen- tale auxquels se réfère l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]].
Ce sont donc les considérations qui me con- duisent à affirmer que les changements politiques survenus dans le pays d'origine du revendicateur depuis sa fuite (lorsqu'il s'agit d'un réfugié ordi- naire et non d'un «réfugié sur place» comme pré cisé ci-haut) ne sont pas de la compétence de l'arbitre et du membre de la section du statut chargé de vérifier si la revendication a un mini mum de fondement. C'est sur la base des événe- ments passés et vécus par le revendicateur que sa revendication doit d'abord être appréciée. Sans doute, le statut de réfugié pourra lui être refusé à cause de changements politiques qui auraient enlevé tout fondement rationnel à sa crainte de réclamer aujourd'hui la protection de son pays d'origine, parce que on ne peut plus parler d'une obligation de lui assurer un refuge. Mais c'est la section du statut seule qui pourra le faire, et peut-être même uniquement (mais je n'ai pas
besoin aujourd'hui d'aller jusque là), à l'instigation du ministre et après avis.
C'est donc d'après moi parce que l'arbitre et le membre du statut ont excédé leur rôle en procé- dant sur une base qui n'était pas de leur ressort que leur décision ne peut tenir et doit être annulée.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: J'estime, tout comme mon collègue le juge Pratte, J.C.A., que le tribunal d'accès a compétence pour entendre la preuve ayant trait au changement politique sur- venu dans le pays d'origine de la requérante.
Le paragraphe 46(3) de la Loi sur l'immigra- tion 9 est rédigé en termes généraux. Les change- ments politiques dans le pays d'origine constituent, selon moi, un des éléments essentiels de la défini- tion du terme «réfugié au sens de la Convention» que l'on retrouve à l'alinéa b) de cette définition 10 , lequel incorpore, par voie d'adoption, le paragra- phe 2(2) de la Loi. Devant le tribunal d'accès, le revendicateur, qui n'ignore certainement pas lui- même les changements survenus dans son pays d'origine, a la charge de démontrer, devant une preuve contraire mais également sans cette preuve contraire, que les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécuté n'ont pas cessé d'exister". Il peut également à ce stade se prévaloir du paragraphe 2(3) [mod., idem, art. 1] de la Loi qui stipule:
2....
(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.
9 Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2.
46....
(3) Au cours de l'examen des points visés aux alinéas (I)b) et c), l'arbitre et le membre de la section du statut doivent donner au ministre et à l'intéressé la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations.
10 Voir art. I de la Loi sur l'immigration. " Art. 2(2)e) de la Loi sur l'immigration.
Bref, le revendicateur doit toujours démontrer le bien-fondé de sa crainte.
Le tribunal d'accès doit déterminer la crédibilité de toute la preuve qui lui est présentée. Il lui appartient ensuite de déterminer si, devant la preuve retenue comme étant crédible, la section du statut pourrait raisonnablement conclure au bien- fondé de la revendication. Il ne lui appartient pas de soupeser cette preuve à l'égard de l'existence de chacun des éléments essentiels de la définition de «réfugié au sens de la Convention», puisque ce rôle appartient à la section du statut. Si cependant la preuve est telle que jamais la section du statut ne pourrait conclure au bien-fondé de la revendica- tion, le tribunal d'accès a compétence pour écarter la revendication au motif qu'elle n'a aucun mini mum de fondement ' 2 .
Nier au tribunal d'accès la compétence pour recevoir de la preuve portant sur le changement de circonstances survenu dans le pays d'origine équi- vaudrait à lui nier le droit d'écarter une revendica- tion manifestement frivole.
Mon collègue le juge Marceau, J.C.A., a certes raison de souligner la différence marquée qui existe dans la rédaction des paragraphes 69.1(5) 13 et 46(3) de la Loi. Je ne saurais cependant déduire qu'il faille limiter la portée du paragraphe 46(3) à cause des restrictions contenues au paragraphe 69.1(5). Les deux paliers décisionnels ont compé- tence pour entendre la preuve portant sur les chan- gements politiques survenus dans le pays d'origine mais n'ont pas la même fonction à l'égard de cette preuve' 4 .
''- Art. 46(1) et 46.01(6) de la Loi. Leung c. Canada (Minis- tre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313 (C.A.F.).
' 3 69.1...
(5) À l'audience, la section du statut est tenue de donner à l'intéressé et au ministre la possibilité de produire des élé- ments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations, ces deux derniers droits n'étant toutefois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis la revendication met en cause la section E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi.
14 Nous ne sonores pas concernés, dans la présente affaire, avec l'application de l'art. 69.2 de la Loi.
Je disposerais de cette affaire tel que le suggère le juge Pratte, J.C.A.
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