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T-1427-89 T-1201-90
Alliance de la fonction publique du Canada (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, représentée par le procureur général du Canada et la Commission de la fonction publique (défenderesse)
RÉPERTORIE: AFPC C. CANADA (COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Rouleau—Ottawa, 8 et 30 janvier 1992.
Fonction publique Procédure de sélection Principe du mérite Le gouverneur en conseil a approuvé le Décret adopté par la Commission de la fonction publique, qui vise à exempter les mutations des concours et des appels Est-il ultra vires? Les mutations constituent des «nominations» au sens de la Loi L'art. 41 de la Loi sur l'emploi dans la fonc- tion publique permet à la Commission d'exempter des per- sonnes ou des postes avec l'approbation du gouverneur en conseil Le principe du mérite ne peut être facilement con- tourné Tout décret adopté conformément à l'art. 41 doit en respecter strictement les dispositions Puisqu'il est excessi- vement général, le décret ne respecte pas l'art. 41.
Il s'agit d'une requête en vue d'obtenir un jugement décla- rant que le Décret d'exemption concernant les mutations et le Règlement sur les mutations, des textes réglementaires présu- mément adoptés en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonc- tion publique, sont ultra vires.
Le 15 mars 1990, sur une recommandation de la Commis sion de la fonction publique, le gouverneur en conseil a approuvé le Décret d'exemption concernant les mutations qui exemptait les mutations latérales des exigences normales d'une nomination faite suite à un concours: une personne se situant déjà au niveau auquel le poste a été classifié pourrait, si elle était par ailleurs compétente, être nommée à ce poste sans qu'il soit possible d'en appeler.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
L'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique prévoit que les nominations internes et externes à des postes de la fonction publique se font selon le principe du mérite. L'ar- ticle 21 accorde un droit d'appel à l'employé qui croit que ses chances d'avancement ont été amoindries par une nomination. Une mutation latérale constitue une nomination. L'article 41 de la Loi permet à la Commission, avec l'approbation du gou- verneur en conseil, d'exempter une personne ou un poste de l'application de la Loi.
Le Décret permettrait qu'un employé soit muté à un emploi dans un autre ministère sans qu'on l'ait désigné comme le mieux qualifié pour l'emploi. Ce processus pourrait amoindrir les chances d'autres employés puisqu'une mutation peut cons- tituer un changement de carrière profitable. Le Décret déroge considérablement du principe du mérite puisque la sélection n'est pas faite en fonction du candidat «le mieux qualifié», mais plutôt en fonction du candidat «compétent». Les articles 10 et 21 de la Loi, précisément adoptés en vue de maintenir le principe du mérite, ne peuvent être facilement contournés. Tout décret adopté conformément à l'article 41 doit en respecter strictement les dispositions. Le décret attaqué vise une catégo- rie de nomination et, en théorie, il pourrait s'appliquer à tout fonctionnaire appartenant au même groupe professionnel, sans égard au ministère dont il relève. Puisqu'ils peuvent potentiel- lement recevoir une application large, le Décret et le Règle- ment ne respectent pas l'article 41 et, par conséquent, ils sont ultra vires.
La Commission a besoin, dans certains cas, de plus de sou- plesse, mais ce conflit relève non pas de la Commission ou de la Cour, mais du Parlement.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret d'exclusion sur les langues officielles dans la
Fonction publique, DORS/81-787, art. 4.
Décret d'exemption concernant les mutations, DORS/89-
305.
Décret d'exemption concernant les mutations, DORS/90-
181.
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985),
chap. P-33, art. 10, 21, 37(1), 41.
Règlement sur les mutations, DORS/89-305.
Règlement sur les mutations, DORS/90-181.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Guy c. Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, [1984] 2 C.F. 369; (1984), 8 D.L.R. (4th) 628; 55 N.R. 105 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Wilkinson c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique), A-490-84, juge Hugessen, J.C.A., jugement en date du 29-I I-84, C.A.F., non publié.
DÉCISION CITÉE:
Procureur général du Canada c. Greaves, [1982] 1 C.F. 806; (1982), 40 N.R. 429 (C.A.); autorisation d'en appeler à la C.S.C. refusée [1982] 1 R.C.S. v; (1982), 42 N.R. 176.
AVOCATS:
Andrew J. Raven pour la demanderesse.
Edward R. Sojonky pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Ottawa, pour la demanderesse. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE ROULEAU: La Commission de la fonction publique du Canada (ci-après appelée «la Commis sion») a approuvé une certaine «législation d'exemp- tion concernant les mutations» visant à accorder plus de flexibilité à l'égard des mutations dans la fonction publique. La demanderesse s'en prend à ce Décret et au Règlement modificatif pour le motif qu'ils sont trop larges dans la mesure ils privent un trop grand nombre de fonctionnaires d'une chance d'avancement établie sur le mérite en plus de res- treindre considérablement le droit d'appel de ces der- niers.
La demanderesse a introduit deux actions en vue d'obtenir un jugement qui déclarerait que le Décret d'exemption concernant les mutations et le Règle- ment sur les mutations (C.P. 1990-513, DORS/90- 181) sont contraires à l'article 41 de la Loi sur l'em- ploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33, et qu'ils sont par conséquent ultra vires.
Les événements remontent au 8 juin 1989, date à laquelle, sur une recommandation de la Commission, le gouverneur en conseil a approuvé le Décret d'exemption concernant les mutations et le Règle- ment sur les mutations (C.P. 1989-1093, DORS/89- 305), entrés en vigueur le 12 juin 1989. Le 11 juillet 1989, l'Alliance de la fonction publique a introduit sa première action devant cette Cour (no du greffe T- 1427-89), afin que le Décret et le Règlement connexe soient déclarés ultra vires du gouverneur en conseil et de la Commission.
La défenderesse a, en raison de l'initiative de la demanderesse, abrogé le Décret et le Règlement, et, le 15 mars 1990, elle a approuvé et modifié le Décret d'exemption concernant les mutations et le Règle- ment sur les mutations (DORS/90-181). L'objectif des nouveaux Décret et Règlement demeurait le même que celui des mesures abrogées, la seule diffé- rence tenant à ce que le nouveau Décret apportait des «précisions d'ordre technique» absentes dans la légis-
lation antérieure. L'Alliance a introduit sa deuxième action le 4 mai 1990. Le Décret et le Règlement de 1989 étant expressément abrogés, la première action de la présente affaire est maintenant hypothétique, bien que les questions en litige présentées soient techniquement les mêmes. Ce Décret porte que:
LOI SUR L'EMPLOI DANS LA FONCTION PUBLIQUE Décret d'exemption concernant les mutations
Règlement sur les mutations C.P. 1990-513 15 mars 1990
Attendu que la Commission de la fonction publique estime qu'il est difficilement réalisable et contraire aux intérêts de la fonction publique
a) d'appliquer l'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, relativement aux qualités autres que la compétence linguistique, à tout poste auquel une personne choisie au sein de la fonction publique est sur le point d'être nommée ou est nommée pour une période indéterminée et la nomination n'entraîne ou n'entraînera aucune modification de la durée des fonctions ou du groupe ou sous-groupe pro- fessionnel et aucune augmentation du niveau de cette per- sonne;
b) d'appliquer l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique aux personnes qui, si ce n'était du présent décret, auraient un droit d'appel relativement à la nomina tion proposée pour une période indéterminée de toute per- sonne à un poste la nomination n'entraîne ou n'entraînera aucune modification de la durée des fonctions ou du groupe ou sous-groupe professionnel et aucune augmentation du niveau de cette personne;
A ces causes,
a) sur avis conforme du Secrétaire d'État, il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en conseil d'approuver l'abrogation, en vertu du paragraphe 41(2) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, par la Commission de la fonction publique, du Décret visant à exempter de l'applica- tion de l'article 10, sauf dans la mesure la compétence linguistique constitue un critère d'évaluation pour la sélec- tion en vue d'une nomination, et de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique des fonctionnaires qui ne font pas partie de la catégorie de la gestion lors de leur nomination pour une période indéterminée lorsque cette nomination n'entraîne aucune modification de la durée de leurs fonctions ou de leur groupe ou sous-groupe profession- nel et aucune augmentation de leur niveau approuvé par le décret C.P. 1989-1093 du 8 juin 1989 (DORSI89-305, Gazette du Canada Partie II, 1989, p. 3017) et en consé- quence d'abroger ledit décret; et il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en conseil de prendre en remplacement, en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, le Décret approuvant l'exemption par la Commission de la fonction publique de certains postes de l'application de l'article 10 relativement aux qualités autres
que la compétence linguistique, et de certaines personnes de l'application de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, ci-après;
b) sur avis conforme du Secrétaire d'État et de la Commis sion de la fonction publique, il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en conseil d'abroger, en vertu du para- graphe 37(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique le Règlement concernant la nomination pour une période indéterminée des fonctionnaires qui ne font pas par- tie de la catégorie de la gestion, lorsque cette nomination n'entraîne aucune modification de la durée des fonctions ou du groupe ou sous-groupe professionnel et aucune augmen tation du niveau de ces fonctionnaires, C.P. 1989-1093 du 8 juin 1989 (DORS/89-305, Gazette du Canada Partie II, 1989, p. 3017); et il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en conseil de prendre en remplacement, en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, le Règlement concernant la nomination ou la nomination proposée pour une période indéterminée d'une personne à un poste la nomination n'entraîne ou n'entraî- nera ..
Le Résumé de l'étude d'impact de la réglementa- tion accompagnant le Décret précise l'effet de ce décret d'exemption:
Le Décret d'exemption concernant les mutations et le règle- ment connexe exemptent certains postes et certaines personnes de l'application de certaines dispositions de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. L'objet du décret est de simplifier l'approche en matière de déplacement des fonctionnaires, au sein du même groupe et sous-groupe professionnel, à des pos- tes de niveau équivalent ou inférieur. Ces mutations peuvent alors être effectuées sans droit d'appel pour les autres fonction- naires et sans qu'il soit nécessaire de comparer la compétence relative des divers intéressés. Les fonctionnaires en question doivent accepter d'être mutés et satisfaire aux exigences du poste, y compris les exigences linguistiques et celles relatives à l'examen médical, à l'enquête de sécurité et à l'accréditation professionnelle. [C'est moi qui souligne.]
Historiquement, le principe du mérite est le fonde- ment de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. La Commission est responsable de la dotation de la fonction publique fédérale et, dans l'exercice de cette fonction, elle agit à titre de mandataire du Parlement en voyant au respect du principe du mérite.
La Loi renferme deux articles adoptés dans le but d'apporter des garanties à cet effet. L'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique prévoit que les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique doivent se faire sur la base d'une sélection fondée sur le mérite afin que le candi- dat le mieux qualifié et le mieux adapté soit nommé. Il porte que:
10. Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par con- cours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.
L'article 21 de la Loi accorde un droit d'appel à l'employé qui croit que le principe du mérite n'a pas été appliqué lors d'une nomination particulière. Il porte que:
21. (1) Tout candidat non reçu à un concours interne ou, s'il n'y a pas eu concours, toute personne dont les chances d'avan- cement sont, selon la Commission, amoindries par une nomi nation interne, déjà effective ou en instance, peut, dans le délai imparti par la Commission, en appeler devant un comité chargé par celle-ci de faire une enquête, au cours de laquelle l'appe- lant et l'administrateur général en cause, ou leurs représen- tants, ont l'occasion de se faire entendre.
(Remarque: Dans l'arrêt Wilkinson c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique) (A-490-84, juge Hugessen, J.C.A., juge- ment en date du 29-11-84, non publié), la Cour d'ap- pel a statué qu'une «mutation latérale» visant à com- bler un poste vacant au sein de la fonction publique constitue une «nomination» au sens de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.)
Outre les articles accordant une certaine protection aux fonctionnaires, le Parlement a également jugé opportun d'accorder à la Commission une certaine flexibilité atteinte par l'entremise des décrets d'exemption et des règlements autorisés conformé- ment aux articles 37 et 41 de la Loi, ainsi libellés:
37. (I) Sur recommandation de la Commission, le gouver- neur en conseil peut, par règlement, statuer sur le sort des pos- tes ou des personnes qui tombent sous le coup de l'exemption totale ou partielle prévue à l'article 41.
41. (1) Avec l'approbation du gouverneur en conseil, la Commission peut exempter un poste, une personne ou une catégorie de postes ou de personnes de l'application de tout ou partie de la présente loi, si elle estime pareille application diffi- cilement réalisable et contraire aux intérêts de la fonction publique.
(2) La Commission peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, annuler, en tout ou partie, les exemptions accordées au titre du paragraphe (1). [C'est moi qui souligne.]
La demanderesse soutient que ce décret d'exemp- tion (DORS/90-181) permettrait des mutations laté- rales sans concours et pourrait ne pas tenir compte du principe du candidat le «mieux qualifié» et que, si la candidature du fonctionnaire «compétent» ou le «mieux qualifié» était rejetée, ce dernier perdrait alors la protection des garanties reconnues dans la Loi conformément aux articles 10 et 21. La demande- resse prétend également que le libellé du Décret d'exemption concernant les mutations est délibéré- ment général et imprécis. Compte tenu de l'article 41, il omet de définir précisément un «poste» ou une «personne» ou une «catégorie de postes» ou «de per- sonnes»; en fait, il confère à la Commission un pou- voir discrétionnaire illimité.
L'avocat de la défenderesse a prétendu que le Décret d'exemption concernant les mutations était précis et qu'il respectait l'article 41 de la Loi. Il a soutenu que selon les règles d'interprétation législa- tive, les termes «un» ou «une» dans le contexte de l'article 41 pouvaient signifier «tout» ou «chaque». À l'appui de cette prétention, il a mentionné que la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Guy c. Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, [1984] 2 C.F. 369 (C.A.), a permis à la Commission d'exempter toute personne ou tout poste de l'applica- tion de la Loi au moyen d'un décret d'exemption d'application générale. Il soutient qu'à des fins pra- tiques, et pour qu'elle puisse faire preuve d'une cer- taine flexibilité, la Commission devrait recevoir un pouvoir de mutation étendu puisqu'il est dans l'inté- rêt de la fonction publique que ce pouvoir discrétion- naire soit accordé.
Je ne peux partager l'avis de la défenderesse à l'égard de la flexibilité, de l'interprétation législative ou de la prétention selon laquelle la Cour d'appel a accordé à la Commission un pouvoir aussi étendu dans les motifs de son jugement prononcés dans l'af- faire Guy c. Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, précitée. Il existe un principe d'interprétation législative bien connu selon lequel la disposition d'une loi du Parlement doit être interpré- tée en fonction de l'objectif général de la législation.
Si j'acceptais la prétention selon laquelle «un» ou «une» peut signifier «tout» dans le contexte de l'ar- ticle 41, j'irais alors à l'encontre de l'objectif général de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique qui vise à assurer l'application du principe du mérite lors des nominations dans la fonction publique. La Com mission pourrait alors adopter un seul décret d'exemption général qui risquerait de bafouer le prin- cipe du mérite et de contourner complètement les garanties que le Parlement désirait accorder.
J'aimerais maintenant faire mention de ce que je crois être la juste analyse de l'arrêt Guy c. Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, précité. Dans cette affaire, une personne s'est portée candidate à un concours restreint pour un poste dans la fonction publique coté «Bilingue, nomination non impérative». Les dispositions pertinentes du Décret d'exclusion sur les langues officielles dans la Fonc- tion publique [DORS/81-787] applicables dans cette affaire étaient les suivantes:
4. (1) Est exclue de l'application de l'article 10 de la Loi, dans les cas une norme de sélection fondée sur la compé- tence linguistique constitue un critère d'évaluation en vue d'une nomination non impérative faite selon une sélection éta- blie au mérite, toute personne ayant la connaissance et l'usage d'une seule langue officielle au niveau de compétence requis pour le poste bilingue visé et
a) qui est admissible aux cours de langue et remet un enga gement à la Commission;
(2) Aux fins de l'alinéa (1)a), une personne est admissible aux cours de langue en vue d'accéder à un poste bilingue, si
a) elle démontre à la Commission son aptitude à acquérir la connaissance et l'usage de l'autre langue officielle au niveau de compétence requis pour ce poste, et que
b) depuis le ICr janvier 1974, le nombre total d'heures de cours de langues qu'elle a suivies est inférieur au maximum autorisé,
et si
d) elle n'a pas atteint, à la suite de cours de langue, un niveau de compétence linguistique semblable ou supé- rieur, ... [C'est moi qui souligne.]
On avait offert le poste au requérant, mais comme il n'a pas satisfait aux exigences linguistiques, on lui a refusé la nomination. Il avait déjà suivi des cours de langue et avait atteint le niveau de compétence requis avant de retomber à un niveau inférieur. Il a demandé
une ordonnance déclarant l'alinéa 4(2)d) ultra vires parce qu'il violait le principe du mérite. La Cour d'appel a rejeté la requête pour les motifs que le Décret avait été valablement adopté conformément à l'article 39 [S.R.C. 1970, chap. P-32] de la Loi (maintenant l'article 41). Le juge Hugessen, J.C.A., se prononçant au nom de la majorité de la Cour, a statué que l'alinéa 4(2)d) du Décret exemptait le requérant. Il a conclu que, par son libellé, le Décret d'exemption visait à ce que la personne qui a suivi des cours dispensés aux frais de l'État afin d'attein- dre un certain niveau de compétence linguistique, mais qui tombe par la suite à un niveau inférieur, ne devrait pas avoir le droit de bénéficier de l'exclusion quant aux exigences linguistiques d'un poste pendant qu'elle suit d'autres cours de langue dispensés aux frais de l'État. Si je comprends bien le raisonnement de la Cour, c'est en raison de la précision du libellé du Décret d'exemption qu'elle a conclu qu'il se situait dans les limites de l'article 39 d'alors, mainte- nant 41, de la Loi.
Des douzaines de décrets d'exemption ont été déposés lors de cette instance, et il n'y a aucun doute que dans tous les cas, ils renvoient à des personnes ou à des postes précis, ce qui permet à la Commission d'approuver des nominations en les exemptant de l'application de la Loi.
Il ressort clairement de la lecture du présent Décret que celui-ci permettrait à la Commission de muter un fonctionnaire d'un emploi à un autre dans un autre ministère, sans qu'on l'ait désigné comme le «mieux qualifié» pour l'emploi. Aucun droit d'appel ne serait disponible à aucun autre employé ni à quiconque croyant que ses chances d'avancement en ont été amoindries. On m'a cité l'exemple d'un commis à la paye, membre de la catégorie CR, au service de l'Of- fice national de l'énergie, qui pourrait facilement être muté au ministère du Revenu.
D'après les faits et la preuve présentée, j'estime qu'il est fort possible que des employés aient le senti ment que leurs chances ont été amoindries par une telle mutation. Il faut se rappeller qu'une mutation peut constituer un changement de carrière profitable nonobstant le fait qu'il n'y a aucune modification du groupe professionnel, du niveau, des conditions
d'emploi ou de la rémunération. Le témoin de la Couronne a lui-même admis lors de son contre-inter- rogatoire qu'une mutation pourrait, dans certains cas, [TRADUCTION] «augmenter les chances de promotion».
À mon avis, le Décret d'exemption concernant les mutations en l'espèce déroge considérablement du principe du mérite. Selon le Décret, la sélection n'est pas faite en fonction du candidat «le mieux qualifié», mais plutôt en fonction du candidat «compétent». Il prive tous les fonctionnaires du droit d'en appeler de la nomination.
Je suis sensible aux tentatives de la Commission visant à assouplir le système. Néanmoins, au cours des dix dernières années, la Cour a de façon cons- tante soutenu le principe du mérite. Elle a toujours maintenu que les articles 10 et 21 ne pouvaient être facilement contournés, puisque ces dispositions ont été précisément adoptées en vue de protéger les fonc- tionnaires et en vue de promouvoir et de maintenir le principe du mérite.
La Commission a reçu un certain pouvoir discré- tionnaire lui permettant d'exempter certaines per- sonnes ou postes de l'application stricte du principe du mérite en vertu des articles 37 et 41 de la Loi. Il s'ensuit que tout décret adopté conformément à l'ar- ticle 41 doit en respecter strictement les dispositions. L'avocat de la demanderesse soutient que le Décret ne respecte pas l'article 41 en ce qu'il ne traite pas précisément de certains «postes ou personnes» ou «catégories de postes ou de personnes». Il vise incon- testablement une catégorie de nomination, soit celle des «mutations latérales».
À l'heure actuelle, lorsqu'un emploi est vacant, le gestionnaire hiérarchique décide de la façon dont ce poste sera comblé, avec ou sans concours. Dans ces cas, tout candidat non reçu ou toute personne dont les chances ont été amoindries peut en appeler. Il résulte de ce nouveau Décret d'exemption concernant les mutations que s'il est urgent de combler un poste vacant, mais qu'il n'est pas important d'engager «le mieux [qualifié]» , le gestionnaire hiérarchique peut décider de combler le poste par mutation latérale. Il n'a alors qu'à se demander: «Le candidat est-il com- pétent et est-il du même niveau?» Le seul recours offert au fonctionnaire qui a le sentiment d'être mieux qualifié, ou dont les chances d'avancement ont
été amoindries, est de déposer un grief ou de deman- der une enquête, deux recours généralement reconnus comme inefficaces.
L'avocat a souligné que, puisqu'il revient généra- lement au gestionnaire hiérarchique de décider com ment un poste vacant dans son ministère sera comblé, il serait possible que toutes les vacances dans la fonc- tion publique fédérale soient comblées au moyen d'une mutation latérale. En théorie, le Décret d'exemption concernant les mutations pourrait s'ap- pliquer à tout fonctionnaire appartenant au même groupe professionnel ou au même niveau, sans égard au ministère dont il relève.
À mon avis, puisque le Décret peut potentiellement recevoir une application large, il ne respecte pas l'ar- ticle 41 et, par les présentes, je déclare que le Décret d'exemption concernant les mutations et le Règle- ment sur les mutations (DORS/90-181) sont ultra vires des pouvoirs de la Commission et du gouver- neur en conseil.
Compte tenu de cette conclusion, j'estime inutile d'étudier la prétention de l'avocat selon laquelle l'ef- fet du Décret était de sous-déléguer aux gestionnaires hiérarchiques le pouvoir conféré exclusivement à la Commission.
Après avoir étudié la jurisprudence qui, de façon constante, maintient le principe du mérite; après avoir lu attentivement des douzaines de décrets d'exemp- tion précis en eux-mêmes; après avoir étudié l'objec- tif général de la législation habilitante et étant con- vaincu que la Commission a besoin, dans certains cas, de plus de souplesse, j'estime que la source de conflit se situe non pas au niveau de la Commission ou de la Cour, mais au niveau du Parlement.
Ma conclusion me rappelle les mots du juge Le Dain, J.C.A., dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Greaves, [1982] 1 C.F. 806 (C.A.) (autori- sation d'appeler à la C.S.C. refusée, [1982] 1 R.C.S. y), à la page 812:
Je suis conscient du fait que la conclusion en l'espèce peut limiter sérieusement la flexibilité que permet le pouvoir de mutation au sein de la Fonction publique, dans la mesure
une mutation précise constitue une nomination au sens de la Loi, mais si on a besoin de plus à cet égard, il faudrait le pré- voir expressément dans la loi. [C'est moi qui souligne.]
Les dépens sont adjugés à la demanderesse.
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