Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2652-85
Roy Anthony Roberts, C. Aubrey Roberts et John Henderson, en leur nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne Wewayakum (également connue sous le nom de bande indienne de Campbell River) (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine et Ralph Dick, Daniel Billy, Elmer Dick, Stephen Assu et James D. Wilson, en leur nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne Wewayakai (également connue sous le nom de bande indienne de Cape Mudge) (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: BANDE INDIENNE WEWAYAKUM C. BANDE INDIENNE WEWAYAKAI (1 re INST.)
Section de première instance, juge suppléant Addy—Vancouver, 22 janvier; Ottawa, 6 mars 1991.
Peuples autochtones Terres Les demandeurs poursui- vent en leur nom et au nom des anciens membres de la bande et de ses membres actuels et futurs L'action porte sur la question de savoir laquelle des deux bandes a droit à la possession d'une réserve Requête en radiation d'un para- graphe de la défense contestant aux personnes physiques demanderesses le droit de représenter les membres de la bande Les bandes indiennes possèdent, indépendamment de la Loi sur les Indiens, un statut spécial qui leur permet d'intenter, de continuer et de contester une action en justice en raison de leur existence à titre de société distincte Les demandeurs qui poursuivent au nom de la bande doivent démontrer qu'ils ont ce pouvoir en invoquant les traditions, les coutumes et le gouvernement de la bande.
Pratique Communication de documents et interrogatoire préalable Interrogatoire préalable Action opposant des bandes indiennes au sujet de la possession d'une réserve L'interrogatoire écrit fondé sur les Règles en vigueur avant les modifications de 1990 n'a pas une portée plus restrictive que l'interrogatoire préalable oral On a tendance à accroître les possibilités de communication franche et complète Les événements du passé peuvent parfaitement faire l'objet d'un interrogatoire préalable s'ils constituent des faits simples L'opinion ou la conclusion qui résulte d'une connaissance spéciale ou de l'analyse de certains faits ne peut faire l'objet d'un interrogatoire préalable C'est aux parties à l'action qu'il incombe de répondre aux questions posées dans le cadre de l'interrogatoire écrit On agit irrégulièrement en retenant les services d'un historien qui ne fait pas partie de la bande pour répondre aux questions posées dans l'interrogatoire écrit Comme une partie peut être déclarée irrecevable à adopter une position contradictoire au cours de la même action, la Cour ordonne aux demandeurs de fournir des détails sur les questions qui sont si anciennes qu'il n'en reste plus de témoins et qui ressemblent à celles qu'ils ont posées aux défendeurs Mise en balance de la somme de temps et de dépenses à
consacrer pour répondre aux questions avec le montant d'ar- gent ou l'importance des questions non pécuniaires en litige, ainsi que l'utilité que pourrait avoir la réponse pour trancher les questions essentielles du procès Comme il est essentiel de se prononcer sur le titre ancestral pour trancher l'affaire, les questions relatives à la portée de l'occupation de la réserve sont légitimes.
Pratique Parties Qualité pour agir Comme les personnes décédées ou non encore nées ne peuvent ester en justice, elles ne peuvent faire partie d'un recours collectif La mention d'anciens ou de futurs membres d'une bande indienne dans les actes de procédure et leur désignation à titre de parties dans l'intitulé de la cause sont irrégulières Les bandes indiennes ont, indépendamment de la Loi sur les Indiens, un statut spécial qui leur permet d'ester en justice Les personnes physiques demanderesses ont établi qu'elles étaient autorisées Il ne s'agit pas d'un recours collectif
Il s'agit de deux requêtes préalables. Par la première, les demandeurs sollicitent, en vertu de la Règle 419, la radiation du paragraphe de la défense modifiée par lequel on conteste aux personnes physiques demanderesses le droit de représenter tous les autres membres de la bande demanderesse, y compris les anciens membres de la bande et ses membres actuels et futurs. Par la seconde, les défendeurs veulent forcer la bande demanderesse à répondre à plusieurs questions qui lui ont été posées dans le cadre de l'interrogatoire écrit. Les demandeurs poursuivent en leur nom et au nom de tous les anciens membres de la bande et de ses membres actuels et futurs en vue d'obtenir le droit à la possession et à la jouissance d'une réserve.
(1) Les demandeurs prétendent que le paragraphe contesté ne révèle aucun moyen de défense valable parce que le chef et les membres du conseil sont fondés en droit à exercer un recours collectif au nom des membres de la bande et qu'en soi, la question de l'autorisation n'est pas pertinente, étant donné que toute personne qui fait partie du groupe et qui formule une objection peut demander à être constituée codéfenderesse.
(2) Les demandeurs soutiennent que les questions portant sur l'occupation de la réserve par la bande ne sont pas pertinentes car la bande se fonde sur le rapport publié en 1912 par la Commission McKenna McBride et sur des décrets pris par la province de la Colombie-Britannique et par le Canada. Ils prétendent que des questions qui ont un caractère historique n'entrent pas dans le cadre d'un interrogatoire préalable et que seul un expert peut y répondre au moyen d'une déposition qui sera versée au dossier et qui sera communiquée par la suite au procès. Finalement, ils soutiennent que seul un historien expert peut légalement témoigner au sujet de faits qui sont survenus il y a trop longtemps pour que des personnes puissent en témoigner.
Le litige porte sur la question de savoir si le chef et les membres d'un conseil doivent être autorisés à intenter une poursuite au nom de la bande, et sur la légitimité de questions se rapportant notamment au titre ancestral.
Jugement: la requête des demandeurs devrait être rejetée; la requête des défendeurs devrait être accueillie en partie.
Les personnes décédées et celles qui ne sont pas encore nées ne peuvent ester en justice parce qu'elles n'existent pas, et elles ne peuvent faire partie d'un groupe de demandeurs. La déclara- tion et la défense modifiée sont modifiées d'office par la
suppression de toute allusion au fait que l'action est intentée au nom d'anciens ou de futurs membres de la bande. L'usage consistant à désigner des anciens et des futurs membres d'une bande indienne dans l'intitulé de cause est abusif et on devrait y mettre un terme.
(1) On n'a pas présenté de preuve démontrant que le para- graphe contesté de la défense modifiée est scandaleux, futile ou vexatoire, qu'il peut causer préjudice, gêner ou retarder l'ins- truction équitable de l'action, ou qu'il constitue par ailleurs un emploi abusif des procédures de la Cour au sens de la Règle 419(1)c), d) ou J). Quant à la question de savoir s'il constitue un moyen de défense valable au sens de la Règle 419(1)a), les bandes possèdent effectivement un statut spécial qui leur permet d'intenter, de continuer et de contester une action en justice. Ceux qui prétendent poursuivre au nom d'une bande doivent être prêts à démontrer qu'ils en ont le pouvoir. Cette autorisation n'est pas assujettie à des règles, lois ou procédures spéciales autres que celles que prescrivent les traditions, les coutumes ou le gouvernement de la bande. Ce statut juridique spécial ne dépend pas de la Loi sur les Indiens, mais découle de leur existence en tant que société distincte et de coutumes, lois, privilèges, droits et obligations tribaux communs qui sont fon- damentaux et spéciaux et qui ressemblent à ceux qui sont propres aux citoyens d'un État. Les bandes indiennes peuvent être poursuivies et faire l'objet de décisions judiciaires. Le droit que possèdent les bandes, tribus ou nations indiennes de con- clure des traités et des contrats et d'acquérir certains droits et de renoncer à d'autres a été reconnu dès les premiers contacts entre les Indiens et les Européens. Les Indiens ont eux-mêmes reconnu que les chefs et les conseils possèdent ces pouvoirs. Si l'on permettait aux bandes de poursuivre au moyen d'un recours collectif ordinaire sans les obliger à être dûment autori- sées, des réclamations qui ont pu être rejetées pourraient être à nouveau portées devant les tribunaux et le chaos en résulterait. Le bon sens exige que l'on reconnaisse aux bandes indiennes les mêmes droits de poursuite que ceux que possèdent les personnes morales et qu'on les assujettisse aux obligations qui en découlent.
(2) La bande demanderesse ne peut s'opposer aux questions portant sur l'étendue de son occupation de la réserve contestée. La Cour d'appel fédérale a statué qu'il était essentiel de résoudre la question du titre ancestral pour résoudre le présent litige. En appel, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'elle n'était pas en désaccord, mais a ajouté qu'il fallait également tenir compte de la Loi sur les Indiens. Le titre ancestral est un droit strict qui tire sa source de l'occupation historique des Indiens et de la possession de leurs terres. Ce titre peut être maintenu en vigueur soit par l'entremise de la nation ou de la tribu originale, soit par l'entremise d'un successeur du groupe ayant occupé le premier les terres et ayant établi le titre ancestral. Dans leur déclaration, les demandeurs allèguent que les Indiens de Campbell River sont les ancêtres des membres actuels de la présente bande demanderesse et que celle-ci a, avant et depuis 1888, occupé la réserve 11 et en a eu l'usage et la jouissance mais que, depuis 1888, on lui refuse à tort l'occupation, l'usage et la jouissance de la réserve 12.
L'interrogatoire écrit n'a pas une portée plus restrictive que l'interrogatoire préalable oral sur le fondement des Règles 466.1(1) et 465(15) des Règles de la Cour fédérale dans leur rédaction en vigueur avant leur modification en 1990. Il n'y a aucune raison pratique ou logique pour laquelle un interroga-
toire écrit devrait être plus restrictif. La personne qui pose les questions est déjà désavantagée parce qu'elle ne connaît pas la réponse aux questions déjà posées avant d'insérer d'autres questions dans l'interrogatoire écrit, et parce que la personne qui répond a amplement le temps d'étudier la question et de consulter au besoin une autre personne avant de répondre. Bien qu'il existe des différences entre les provinces au sujet de ce sur quoi doit porter l'interrogatoire préalable, on a de façon géné- rale élargi la portée des règles de pratique de sorte que l'on a tendance à accroître les possibilités de communication franche et complète de la preuve permettant à la partie de prouver ses allégations ou de réfuter celles de son adversaire.
Les événements du passé peuvent parfaitement faire l'objet d'un interrogatoire préalable, pour autant qu'ils constituent des faits simples ou fondamentaux. Exclure de l'interrogatoire préalable des documents ou des déclarations contenant des allusions à des faits qui sont survenus il y a trop longtemps pour que des personnes puissent en témoigner serait injuste envers les Indiens qui s'en remettaient à la tradition orale longtemps après que d'autres cultures eurent commencé à consigner leur histoire par écrit. L'expression d'une conclusion évidente que tirerait nécessairement toute personne ordinaire pourrait faire l'objet d'une question dans le cadre d'un interrogatoire préala- ble, alors qu'une opinion résultant de l'analyse de certains faits précis, qui exigent une certaine compétence ou certaines con- naissances techniques, ne le pourrait pas.
C'est une des parties à l'action qui doit répondre aux ques tions qui sont posées dans le cadre d'un interrogatoire préala- ble. On a eu tort de retenir les services d'un historien qui ne faisait pas partie de la bande demanderesse et qui n'exerçait aucune autorité au sein de cette dernière pour répondre aux questions. Cela allait à l'encontre des Règles de la Cour fédérale relatives au déroulement de l'interrogatoire préalable et à l'encontre de l'usage généralement accepté des tribunaux de common law en matière d'interrogatoire des parties. Si seuls les experts étaient autorisés à répondre aux questions mention- nant des faits historiques, il serait impossible de procéder à l'interrogatoire préalable et le plaideur dont la réclamation est fondée sur un titre ancestral ou sur des questions dont il ne reste plus de témoins ne pourrait produire que des documents.
Pour décider à quelles questions on doit répondre, la Cour a tenir compte du fait que bon nombre des questions auxquel- les les demandeurs refusent de répondre sont presque identiques à celles qu'ils avaient posées aux défendeurs et auxquelles ils voulaient forcer les défendeurs à répondre. Une partie peut être déclarée irrecevable à adopter une position complètement con- tradictoire au cours de la même action. C'est pourquoi certai- nes des questions qui auraient autrement été écartées ont été autorisées parce que les demandeurs réclamaient les mêmes détails sur des questions qui sont si anciennes qu'il n'en reste plus de témoins. La Cour a mis en balance la somme probable de temps, d'efforts, de recherches, de travail et de dépenses à consacrer pour répondre aux questions avec le montant d'argent ou l'importance des questions non pécuniaires en litige, ainsi que le degré de pertinence et l'importance, la valeur ou l'utilité probable que la réponse pourrait avoir pour permettre de trancher les questions essentielles du procès. Lorsqu'une ques tion est pertinente et qu'elle n'est pas par ailleurs répréhensible, le plaideur qui refuse d'y répondre doit fournir certains élé- ments de preuve pour expliquer les difficultés et pour démon- trer les démarches raisonnables quoique infructueuses qu'il a
entreprises pour obtenir une réponse. Les questions qui impli- quent des conséquences juridiques et des témoignages d'opinion ne peuvent légitimement faire l'objet de l'interrogatoire préala- ble qui se déroule entre les parties.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), chap I-5.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 419, 465(15), 466.1(1), (5), (8), 466.2 (édicté par DORS/90-846, art. 16).
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
Kennedy v. Dodson, [1895] 1 Ch. 334 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322; [1989] 3 W.W.R. 117; (1989), 35 B.C.L.R. (2d) 1; 25 F.T.R. 161; 92 N.R. 241; conf. Roberts c. Canada, [1987] 2 C.F. 535; (1987), 36 D.L.R. (4th) 552; [1987] 2 C.N.L.R. 145; 73 N.R. 234; Martin v. B.C. (Govt.) (1986), 3 B.C.L.R. (2d) 60; [1986] 3 C.N.L.R. 84 (C.S.); Calder et autres c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313; (1973), 34 D.L.R. (3d) 145; [1973] 4 W.W.R. 1; Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Co., Baker Marine Co. et Gaz Inter- Cité Quebec Inc. (1988), 25 F.T.R. 226 (C.F. 1" inst.); Boxer v. Reesor (1983), 43 B.C.L.R. 352; 35 C.P.C. 68 (C.S.); Everest & Jennings Canadian Ltd. c. Invacare Corporation, [1984] 1 C.F. 856; (1984), 79 C.P.R. (2d) 138; 55 N.R. 73 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Delgamuukw et al. v. The Queen, greffe Smithers, 0843, C.S.C.-B., jugement en date du 5-8-87, non publié; Oregon Jack Creek Indian Band v. Canadian National Railway Co., sub nom. Pasco et al. v. Canadian National Railway Co. et al. (1989), 56 D.L.R. (4th) 404; 34 B.C.L.R. (2d) 344 (C.A.C.-B.); Uukw v. B.C. (Govt.) (1986), 7 B.C.L.R. (2d) 325 (C.S.); Enquist v. Hass (1979), 15 B.C.L.R. 139; 10 R.P.R. 23 (C.S.); British Columbia Lightweight Aggregates Ltd. v. Canada Cement LaFarge Ltd. et al. (1977), 80 D.L.R. (3d) 365; 4 B.C.L.R. 259 (C.A.C.-B.).
AVOCATS:
Lewis F. Harvey et Maria A. Morellato pour les demandeurs.
John D. McAlpine, c.r. et C. Allan Donovan pour les défendeurs Ralph Dick, Daniel Billy, Elmer Dick, Stephen Assu et James D. Wilson, en leur nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne
Wewayakai (également connue sous le nom de bande indienne de Cape Mudge).
PROCUREURS:
Davis and Company, Vancouver, et Blake, Cassels & Graydon, Vancouver, pour les demandeurs.
McAlpine & Hordo, Vancouver, pour les défendeurs Ralph Dick, Daniel Billy, Elmer Dick, Stephen Assu et James D. Wilson, en leur nom et au nom de tous les autres mem- bres de la bande indienne Wewayakai (égale- ment connue sous le nom de bande indienne de Cape Mudge).
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT ADDY: Je suis saisi de deux requêtes préalables qui concernent des ques tions de procédure. Dans la présente action, le litige porte sur la question de savoir laquelle des deux bandes indiennes mentionnées dans l'intitulé de cause a droit à la possession et à la jouissance d'une réserve qui est connue sous le nom de réserve 12 et qui est située sur la rive droite de la rivière Quinsam.
Les membres défendeurs de la bande indienne de Cape Mudge ont présenté à la Cour une requête fondée sur la Règle 466.1(1) et (8) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant à la bande indienne demanderesse de répondre à plusieurs questions qui lui ont été posées dans le cadre de l'interroga- toire écrit qui lui a été adressé et auxquelles elle a refusé de répondre, et en vue d'obtenir une ordon- nance lui enjoignant de fournir des réponses plus complètes à d'autres questions. D'autre part, les membres demandeurs de la bande indienne de Campbell River ont présenté une requête fondée sur la Règle 419(1)a),c),d) et f) des Règles de la Cour fédérale en vue d'obtenir une ordonnance radiant le paragraphe 2 de la défense au motif qu'il ne révèle aucune défense raisonnable, qu'il est scandaleux, futile ou vexatoire et qu'il peut causer préjudice, gêner ou retarder l'instruction équitable de l'action, et finalement qu'il constitue par ail- leurs un emploi abusif des procédures de la Cour.
Les deux requêtes ont été entendues ensemble. La Couronne défenderesse n'était partie ni à l'une ni à l'autre et elle n'était pas représentée à l'audience.
Il serait plus commode de traiter de la requête que j'ai mentionnée en dernier lieu (c.-à-d. celle des demandeurs) car certaines conclusions auront une incidence sur l'autre requête présentée par la bande indienne défenderesse. Voici le libellé de la Règle 419(1)a),c),d) et f):
Règle 419. (1) La Cour pourra, à tout stade d'une action ordonner la radiation de tout ou partie d'une plaidoirie avec ou sans permission d'amendement, au motif
a) qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou de défense, selon le cas,
c) qu'elle est scandaleuse, futile ou vexatoire,
d) qu'elle peut causer préjudice, gêner ou retarder l'instruc- tion équitable de l'action,
J) qu'elle constitue par ailleurs un emploi abusif des procédu- res de la Cour,
et elle peut ordonner que l'action soit suspendue ou rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.
Le paragraphe 2 de la défense dont les deman- deurs sollicitent la radiation est ainsi libellé:
[TRADUCTION] 2. Les défendeurs nient que les demandeurs Roy Anthony Roberts, C. Aubrey Roberts et John Henderson aient qualité pour représenter les membres de la bande indienne Wewaikum, également connue sous le nom de bande indienne de Campbell River (la «bande de Wewaikum»), y compris les anciens membres de la bande et ses membres actuels et futurs.
Cette conclusion fait suite au paragraphe 3 de la déclaration, dont voici le texte:
[TRADUCTION] 3. Les demandeurs nommément désignés pour- suivent en leur nom et au nom de tous les autres membres de la bande demanderesse, y compris les anciens membres de la bande et ses membres actuels et futurs.
Mais avant d'examiner le bien-fondé de la requête des demandeurs, il importe de remarquer qu'au paragraphe 3 de leur déclaration modifiée, les demandeurs prétendent agir non seulement en leur nom, mais également au nom de tous les anciens et futurs membres de la bande.
C'est un principe élémentaire de droit que ni les personnes décédées ni celles qui ne sont pas encore nées ne peuvent ester en justice. Elles n'existent pas. Il est vrai que, telle qu'elle est présentement constituée, la bande doit son existence et les droits
qu'elle peut présentement exercer au fait que des membres qui sont maintenant décédés ont déjà constitué la bande et qui, par leurs actes et leur existence même, ont assuré sa continuité et la protection des droits et des privilèges dont jouis- sent présentement ses membres. Mais cet état de fait existe déjà et il ne peut être changé par une action en justice intentée au nom des membres décédés ou contre eux. Il est également vrai que les futurs membres bénéficieront des droits et des privilèges que la bande possède présentement ou qu'elle peut acquérir, mais cela résultera unique- ment de l'appartenance future à la bande et non du fait qu'une action en justice est présentement intentée en leur nom personnel.
L'avocat des demandeurs maintient que la Cour doit qualifier la présente instance de recours col- lectif. Comme une action ne peut être ni entamée ni contestée par une personne qui n'est pas vivante, cette personne ne peut faire partie d'un groupe de demandeurs. Le paragraphe 3 de la déclaration modifiée doit donc être à nouveau modifié par la suppression de toute allusion au fait que l'action est intentée au nom d'anciens ou de futurs mem- bres de la bande demanderesse. L'ordonnance sera prononcée d'office par la Cour, parce que telle qu'elle est présentement libellée, cette conclusion est mal fondée en droit et qu'elle doit être écartée. Les mêmes remarques et la même ordonnance valent pour le paragraphe 2 de la défense, par lequel les défendeurs prétendent en fait obliger les demandeurs à établir qu'ils ont qualité pour agir au nom d'anciens et de futurs membres.
Il est arrivé dans plusieurs affaires que des anciens et des futurs membres d'une bande indienne soient désignés comme parties dans l'inti- tulé de cause. Cet usage est, pour la même raison, tout à fait abusif. Il s'est vraisemblablement implanté il y a un certain temps lorsqu'une bande a revendiqué le droit d'intituler ainsi son action à titre de demanderesse et que la Couronne y a consenti en tant que défenderesse. À cause de ce consentement, la Cour a décidé de ne rien changer à la désignation. Il est temps de mettre un terme à cet usage erroné.
En ce qui concerne le bien-fondé de leur requête, les demandeurs n'ont pas présenté la moindre preuve pour justifier leurs allégations que le para- graphe est scandaleux, futile ou vexatoire, qu'il
peut causer préjudice, gêner ou retarder l'instruc- tion équitable de l'action, ou qu'il constitue par ailleurs un emploi abusif des procédures de la Cour. La requête doit donc être rejetée en ce qui concerne les moyens tirés de la Règle 419(1)c),d) et f).
Quant à la question de savoir si le paragraphe 2 de la défense constitue un moyen de défense bien fondé en droit, il est évident qu'aucune preuve n'est nécessaire et, en fait, que la seule chose dont on doit tenir compte lorsqu'on applique la Règle 419(1)a) est le texte de l'acte de procédure lui-même.
Les demandeurs font valoir que le chef et les membres du conseil sont fondés en droit à exercer un recours collectif au nom des membres de la bande, que la question de savoir s'ils ont obtenu l'autorisation de le faire et d'introduire l'action est dénuée de tout intérêt et de toute pertinence, étant donné qu'il s'agit d'un recours collectif ordinaire et que toute personne qui fait partie du groupe et qui formule une objection peut demander à être consti- tuée codéfenderesse. Ils prétendent donc que le paragraphe 2 de la défense ne révèle aucun moyen de défense valable et qu'il devrait être radié.
Il est de jurisprudence constante que le chef d'une bande peut, avec les membres du conseil, intenter une action au nom de la bande, mais la question de savoir s'ils doivent y être autorisés n'a jamais été directement posée dans les décisions publiées que je connais. D'autre part, la question de savoir si un chef et un conseil de bande étaient dûment autorisés à renoncer à des droits au nom de la bande ou à contracter une obligation qui lie la bande a souvent été mise en litige et a été considérée comme très pertinente.
Dans le jugement Martin v. B.C. (Govt.) (1986), 3 B.C.L.R. (2d) 60 (C.S.), le juge en chef de la Cour suprême de la Colombie-Britannique McEachern, tel était alors son titre, a affirmé que la question de savoir si les bandes indiennes étaient des personnes morales ayant la capacité d'ester en justice est une question non résolue. Il a recom- mandé par conséquent dans cette affaire que les demandeurs qui étaient membres du conseil inten- tent leur action avec leur chef sous forme de recours collectif.
Il me semble qu'en tant que tels—et en faisant tout à fait abstraction des dispositions de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), chap. I-5]—les membres d'une bande indienne doivent nécessaire- ment bénéficier d'un statut juridique spécial en raison de leur existence en tant que société dis- tincte et de coutumes, lois, privilèges, droits et obligations tribaux communs qui sont fondamen- taux et spéciaux et qui ressemblent, du moins jusqu'à un certain point, aux droits et aux privilè- ges dont jouissent les citoyens d'un État et aux obligations et aux devoirs qui incombent à ces derniers. Ses membres ne sont pas seulement des personnes physiques qui vivent très près les unes des autres et qui se trouvent à partager un intérêt particulier quant à l'issue favorable d'une décision judiciaire. Comme telles, les bandes indiennes peu- vent elles-mêmes être poursuivies et faire l'objet d'une décision judiciaire. La présente espèce illus- tre bien cette situation, car la bande indienne de Campbell River poursuit, à titre de demanderesse, la bande indienne de Cape Mudge ainsi que Sa Majesté la Reine. La bande demanderesse revendi- que un droit d'occupation et d'usage de la réserve non seulement pour chacun de ses membres, mais aussi pour l'ensemble de la bande elle-même, qui jouira de ce droit dès maintenant et pour l'avenir, à l'exclusion de la bande défenderesse.
Il n'est pas nécessaire de posséder des connais- sances ou des compétences spéciales ou de se lais- ser guider par une preuve particulière pour être parfaitement conscient du fait que dès les premiers contacts entre les Indiens et les Européens, ces derniers ont reconnu le droit que possèdent les collectivités sociales ou raciales indiennes—qu'il s'agisse de bandes, de tribus ou de nations—de conclure des traités et des contrats, de contracter des obligations, d'acquérir certains droits et de renoncer à d'autres droits dont elles jouissaient auparavant. L'histoire élémentaire du Canada, telle qu'on l'enseigne en troisième année de l'école primaire, fait état de ces faits. De temps immémo- rial, les Indiens ont reconnu aussi entre eux que les chefs et les conseils de bandes possèdent ces pou- voirs et ils ont agi en conséquence.
Vu la très forte probabilité que l'on assiste au Canada à des bouleversements constitutionnels graves et fondamentaux dans un avenir très rap- proché et compte tenu des changements qui en
résulteront et des revendications qui mettront en conflit les autorités fédérales, les diverses provinces et plusieurs bandes, tribus et nations de peuples autochtones, dont beaucoup formuleront des revendications territoriales et des revendications concernant une certaine forme de souveraineté ou de souveraineté ou d'autonomie limitée ou par- tielle, il devient plus important que jamais que nos tribunaux déterminent, en faisant entièrement abs traction des dispositions de la Loi sur les Indiens, si les collectivités tribales traditionnelles et bien établies possèdent, en tant que telles, la capacité juridique d'ester en justice. Leur permettre seule- ment de faire une réclamation au moyen d'un recours collectif ordinaire sans les obliger à être dûment autorisées par la bande concernée engen- drerait le chaos le plus complet, sans compter que des réclamations qui ont pu être rejetées pour- raient ultérieurement être à nouveau portées devant les tribunaux.
Il me semble qu'il n'existe aucune raison logique de ne pas reconnaître aux bandes indiennes comme telles les mêmes droits de poursuite que ceux que possèdent, par exemple, les personnes morales et, pareillement, de ne pas les assujettir aux diverses obligations qui en découlent. Bien qu'aucune dis position législative générale ne le prévoie, le bon sens semble imposer cette conclusion. Je conclus donc que les bandes indiennes possèdent effective- ment un statut spécial qui leur permet d'intenter, de continuer et de contester une action en justice. Il s'ensuit que ceux qui prétendent poursuivre au nom d'une bande doivent être prêts à démontrer qu'ils ont ce pouvoir dès que celui-ci est contesté. Il n'est évidemment pas nécessaire qu'une telle auto- risation fasse l'objet de règles, de lois ou de procé- dures spéciales autres que celles que prescrivent les traditions, les coutumes et le gouvernement de la bande concernée.
Par ces motifs, le paragraphe 2 de la défense sera maintenu et la requête sera rejetée.
Je passe maintenant à la requête que les défen- deurs ont présentée en vue d'obtenir des réponses à certaines questions qui ont été posées dans le cadre d'un interrogatoire écrit et des réponses plus com- plètes à d'autres questions. L'avocat de la bande demanderesse soutient que toute question portant sur l'occupation de la réserve par la bande deman-
deresse avant ou après 1888 n'est pas pertinente car la bande fonde maintenant entièrement son action sur un rapport de 1912 connu sous le nom de rapport de la Commission McKenna McBride et sur des décrets pris par la province de la Colom- bie-Britannique et par le Canada.
Une question a initialement été soulevée en l'es- pèce au sujet de la compétence de la Cour fédérale pour instruire l'affaire. Cette question a été portée en appel devant la Cour d'appel fédérale (voir [1987] 2 C.F. 535) au nom de laquelle le juge Hugessen a statué, avec l'appui du juge Urie, qu'il était essentiel, pour résoudre le litige, de répondre à la question de savoir si le titre ancestral apparte- nait à la demanderesse ou à la défenderesse. Un pourvoi a été formé devant la Cour suprême du Canada (voir [1989] 1 R.C.S. 322). Le juge Wilson, qui a prononcé le jugement de cette Cour, a confirmé la décision par laquelle la Cour d'appel avait statué que la Section de première instance de la Cour fédérale avait effectivement compétence et ce qui est plus important en ce qui concerne le présent point litigieux elle a expressément déclaré qu'elle n'était pas en désaccord avec les conclusions formulées par le juge Hugessen au sujet des droits ancestraux des autochtones, mais qu'elle estimait qu'il fallait tenir compte non seule- ment du titre ancestral, mais aussi de la Loi sur les Indiens. Devant la Cour suprême du Canada, l'avocat de la bande demanderesse a par ailleurs reconnu que l'on pouvait tenir compte du titre ancestral pour établir le droit d'occupation de la réserve.
Dans l'arrêt Calder et autres c. Procureur géné- ral de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, la Cour suprême du Canada a reconnu que le titre ancestral était un droit strict qui tirait sa source de l'occupation historique des Indiens et de la possession de leurs terres. Même s'il est anté- rieur à la colonisation britannique, le titre ances tral peut être maintenu en vigueur soit par l'entre- mise de la nation ou de la tribu originale, soit par l'entremise d'un successeur du groupe ayant occupé le premier les terres et ayant établi le titre ancestral.
À la suite de la décision qui a été rendue en l'espèce au sujet de la compétence, une déclaration modifiée a été déposée. Nous trouvons les alléga- tions de fait suivantes aux paragraphes 9 et 12 de ce document:
[TRADUCTION] 9. En 1888 et pendant de nombreuses années auparavant, les Indiens de Campbell River étaient les ancêtres des membres actuels de la présente bande demanderesse.
12. Avant 1888 et sans interruption depuis cette date, la bande demanderesse a occupé la réserve 11 et en a eu l'usage et la jouissance, mais, depuis 1888, la défenderesse, Sa Majesté la Reine, lui refuse à tort l'occupation, l'usage et la jouissance de la réserve 12 ...
Dans ces circonstances, la bande demanderesse est irrecevable à s'opposer aux questions portant sur l'étendue de son occupation de la réserve con- testée tant avant qu'après 1888.
L'avocat de la bande demanderesse affirme éga- lement de façon très énergique que l'interrogatoire écrit a une portée beaucoup plus restrictive que l'interrogatoire préalable oral, en ce sens que cer- tains champs d'investigation que pourrait aborder la partie qui pose les questions au cours de l'inter- rogatoire préalable oral ne peuvent faire l'objet d'une demande de renseignements de la part de la même partie dans le cadre d'un interrogatoire écrit. En plus de la jurisprudence que je mention- nerai, l'avocat a invoqué au soutien de sa thèse les Règles 466.1(1) et 465 (15) des Règles de la Cour fédérale concernant respectivement l'interroga- toire écrit et l'interrogatoire préalable oral. Il con- vient de noter ici que ces deux paragraphes ont, avec d'autres dispositions connexes des Règles con- cernant l'interrogatoire préalable et les mesures préparatoires à l'instruction relatives à la commu nication de la preuve, été récemment modifiés en profondeur par l'ordonnance modificatrice 13. Le terme «interrogatoires» a été supprimé et rem- placé par l'expression «interrogatoires préalables par écrit». Par ailleurs, la nouvelle Règle 466.2 [ajoutée par DORS/90-846, art. 16] des Règles, qui traite de la période de transition, prévoit que «[1]es interrogatoires préalables qui ne sont pas encore terminés le 7 décembre 1990 demeurent assujettis aux règles 455 465.5 et à la règle 466.1 qui étaient en vigueur avant cette date». Cette disposition transitoire s'applique manifestement au cas qui nous occupe et ma décision doit donc reposer sur les Règles 466.1(1) et 465 (15) comme si l'ordonnance modificatrice n'avait pas été adop- tée. Chaque fois que les Règles en question sont mentionnées ci-après dans les présents motifs, l'an- cienne Règle s'applique et tout commentaire con- cernant les interrogatoires écrits et les interroga- toires préalables oraux sera considéré comme étant
conforme à cette situation. La Règle 466.1(1)a) était ainsi conçue:
Règle 466.1 (1) Toute partie à des procédures devant cette Cour peut demander à la Cour de rendre une ordonnance
a) lui permettant de signifier à toute autre partie un interro- gatoire écrit portant sur tout fait en litige entre ces deux parties; ...
La Règle 465(15) disposait:
Règle 465. ^ .. .
(15) À un interrogatoire préalable autre qu'un interrogatoire en vertu de l'alinéa (5), l'individu qui est interrogé doit répon- dre à toute question sur tout fait que la partie interrogée au préalable connaît ou a les moyens de connaître et qui peut soit démontrer ou tendre à démontrer ou réfuter ou tendre à réfuter une allégation de fait non admis dans une plaidoirie à la cause de la partie qui est interrogée au préalable ou de la partie qui procède à l'interrogatoire.
L'expression «sur tout fait en litige entre ces deux parties» a, en substance, une portée aussi large selon moi que l'expression «sur tout fait .. . qui peut soit démontrer ou tendre à démontrer ou réfuter ou tendre à réfuter une allégation de fait non admis dans une plaidoirie à la cause de la partie qui est interrogée au préalable ou de la partie qui procède à l'interrogatoire». Elles sont, en tout état de cause, suffisamment équivalentes pour me convaincre de rejeter l'argument que, suivant le libellé des Règles dans leur rédaction en vigueur avant l'adoption de l'ordonnance modificatrice 13, il faut considérer que les interrogatoires écrits ont une portée plus restreinte que les interrogatoi- res préalables oraux.
En ce qui concerne la jurisprudence générale sur ce sujet, j'ai examiné les diverses décisions citées par les avocats. Mentionnons notamment l'an- cienne décision anglaise Kennedy v. Dodson, [1895] 1 Ch. 334 (C.A.); l'arrêt British Columbia Lightweight Aggregates Ltd. v. Canada Cement LaFarge Ltd. et al. (1977), 80 D.L.R. (3d) 365 (C.A.C.-B.); le jugement Delgamuukw et al. v. The Queen, (jugement non publié rendu le 5 août 1987), greffe Smithers, 0843 (C.S.C.-B.); l'arrêt Oregon Jack Creek Indian Band v. Canadian National Railway Co. sub nom. Pasco et al. v. Canadian National Railway Co. et al. (1989), 56 D.L.R. (4th) 404 (C.A.C.-B.); et le jugement Uukw v. B.C. (Govt.) (1986), 7 B.C.L.R. (2d) 325 (C.S.).
En ce qui concerne les actions intentées devant la Cour fédérale, je ne puis adopter la portée très
limitée qu'on a donnée aux interrogatoires écrits dans l'arrêt Kennedy, qui a été rendu il y a une centaine d'années à une époque les interrogatoi- res préalables étaient beaucoup plus limités et restrictifs, même si cet arrêt a été cité et approuvé dans l'arrêt B.C. Lightweight Aggregates v. Canada Cement LaFarge (précité) et dans d'autres décisions. Je ne puis non plus souscrire au principe suivant lequel même si une question peut être posée à un témoin au cours d'un interrogatoire préalable oral, la même question ne peut être posée dans un interrogatoire écrit. Je ne vois aucune raison pratique ou logique pour laquelle un inter- rogatoire écrit devrait être plus restrictif. La per- sonne qui pose les questions est déjà considérable- ment désavantagée et limitée pour la simple raison qu'elle n'a pas l'avantage de connaître la réponse aux questions déjà posées avant d'insérer d'autres questions dans l'interrogatoire écrit. De même, la personne qui répond aux questions qui lui sont posées dans le cadre d'un interrogatoire écrit a amplement le temps et la possibilité d'étudier attentivement la question et de consulter au besoin une autre personne avant de répondre. Qui plus est, dans les interrogatoires préalables oraux, lors- que la personne interrogée n'est pas au courant de la réponse ou ne la connaît pas encore avec certi tude, les avocats ont pris en général l'habitude de s'entendre normalement pour attendre avant d'ob- tenir la réponse et pour que l'avocat qui occupe pour la partie donne par la suite la réponse par écrit après s'être dûment informé et après avoir obtenu les renseignements demandés.
Il ressort à l'évidence des décisions publiées rendues par les tribunaux provinciaux canadiens qu'il existe effectivement des différences importan- tes entre certaines provinces au sujet de ce sur quoi doit ou ne doit pas porter l'interrogatoire préala- ble, au sujet des limites à y apporter et de son déroulement. Ainsi, certaines provinces permettent le contre-interrogatoire alors que d'autres l'interdi- sent formellement. À la différence des principes généraux touchant le fond du droit, les règles qui s'appliquent dans chaque province en matière de mesures préparatoires à l'instruction telles que celles concernant l'interrogatoire préalable oral ou écrit dépendent non seulement du libellé des règles applicables mais aussi de l'usage qui s'est implanté localement et de l'interprétation que les tribunaux
en donnent. Cela découle, naturellement, de l'ap- plication du principe suivant lequel, en pratique, on considère en règle générale que les tribunaux sont les maîtres de leur propre procédure mais non des règles de fond, qu'ils sont tenus d'appliquer. De toute façon, au cours des dernières années, on a de façon générale élargi la portée des règles de pratique concernant les interrogatoires préalables. Dans le jugement Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Co., Baker Marine Co. et Gaz Inter-Cité Quebec Inc. (1988), 25 F.T.R. 226 (C.F. 1" inst.), le juge McNair, de notre Cour, a déclaré à la page 229:
Le but de l'interrogatoire préalable, qu'il soit fait oralement ou par la production de documents, est d'obtenir des admissions en vue de faciliter la preuve des questions en litige entre les parties. On a tendance aujourd'hui à accroître les possibilités de communication franche et complète de la preuve permettant à la partie de prouver ses allégations ou de réfuter celles de son adversaire. La communication peut servir à faire ressortir plus nettement les questions, permettant ainsi d'éviter d'en faire inutilement la preuve au procès et de réduire ainsi les frais de l'instruction. La communication peut également donner des armes très utiles en vue du contre-interrogatoire.
Cet énoncé a été cité et approuvé par d'autres juges de notre Cour.
Bien qu'il semble qu'en Colombie-Britannique, on ait opté dans plusieurs décisions pour une approche plus restrictive en ce qui concerne le recours à l'interrogatoire préalable, le juge en chef de la Cour suprême McEachern a néanmoins déclaré dans le jugement Boxer v. Reesor (1983), 43 B.C.L.R. 352 (C.S.), à la page 359:
[TRADUCTION] Les demandeurs ont incontestablement le droit de consulter tout document susceptible de les lancer dans un interrogatoire qui pourra, directement ou indirectement, bénéficier à leur cause ou nuire à celle du défendeur, particuliè- rement sur la question vitale de la probabilité que la version du contrat donnée par une partie soit plus exacte que celle de l'autre. Tel étant le cas, il me semble que les demandeurs doivent avoir gain de cause sur certains aspects de la demande.
Ce critère, qui sert à établir la pertinence aux fins d'un interrogatoire préalable, a été expressé- ment approuvé et appliqué par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Everest & Jennings Canadian Ltd. c. Invacare Corporation, [1984] 1 C.F. 856 (C.A.).
L'avocat des demandeurs soutient en outre que, comme de nombreuses questions ont un caractère historique, il n'est pas nécessaire d'y répondre au cours de l'interrogatoire préalable et que seul un
expert peut y répondre au moyen d'une déposition d'expert qui sera versée au dossier et qui sera communiquée par la suite au procès de la manière habituelle conformément aux règles.
Il tire à nouveau ce moyen du jugement Martin, précité, et de plusieurs autres décisions dans les- quelles les tribunaux ont suivi ce jugement et ont déclaré que l'histoire n'entre pas dans le cadre des interrogatoires écrits ou des interrogatoires préala- bles oraux. Je ne suis disposé à souscrire à cette affirmation que si l'on interprète le mot «histoire» comme signifiant une opinion ou des conclusions historiques tirées d'une étude ou d'un examen détaillés des événements du passé. Cependant, les événements du passé peuvent en tant que tels faire parfaitement l'objet d'un interrogatoire préalable, pour autant qu'ils constituent des faits simples ou fondamentaux. Les registres, documents ou écrits de tout genre qui sont censés affirmer un fait ne peuvent, à la différence des conclusions ou opi nions générales qui sont exprimées, être exclus de l'interrogatoire préalable pour la simple raison que le fait est historique en ce sens qu'il est si ancien qu'il n'en reste plus de témoins. Le même critère s'applique aux déclarations orales de fait qui remontent à une époque trop lointaine pour que des personnes puissent en témoigner et qui ont été transmises à d'autres personnes. Évidemment, dans ce dernier cas, les caprices de la mémoire et la tendance naturelle à se rappeler des choses sous un jour favorable peuvent normalement diminuer grandement la valeur probante de ce genre de déclaration. En raisons des circonstances précaires qui l'entourent, il se pourrait que la transmission orale soit telle que la déclaration présumée soit non seulement considérée comme ayant peu de valeur probante mais qu'à cause de l'éloignement dans le temps, elle soit également jugée irreceva- ble. Cela ne signifie cependant pas qu'elle ne pourrait automatiquement pas faire l'objet d'un interrogatoire écrit au seul motif qu'il s'agit d'une déclaration orale qui a été faite il y a trop long- temps pour que des personnes puissent en témoi- gner. En plus de contrevenir au principe général que j'ai mentionné, cela serait particulièrement injuste envers les peuples indiens. Il est bien connu que pendant des siècles après que les peuples de l'Europe, de l'Asie et du Moyen-Orient eurent consigné par écrit divers faits et événements qui font maintenant partie de leur histoire, les Indiens
de l'Amérique du Nord et d'autres peuples autoch- tones s'en remettaient entièrement à la tradition orale et à la coutume de transmettre l'information de père en fils et de génération en génération et d'incorporer fréquemment dans leurs coutumes et cérémonies tribales les événements importants qu'ils consignaient. Il peut également arriver que ce qui est présenté comme une déclaration orale de fait soit par la suite consigné par écrit. Les mêmes règles devraient s'appliquer. Bon nombre de répon- ses qui seraient recevables dans le cadre d'un interrogatoire préalable pourraient évidemment être jugées irrecevables au procès.
Bien qu'on la qualifie souvent d'opinion, la simple expression d'une conclusion évidente et que tirerait nécessairement toute personne ordinaire à la lumière de certains faits doit de toute évidence être distinguée de l'opinion qui résulte de l'analyse de certains faits précis, qui exigent une certaine compétence ou certaines connaissances techniques de la part de la personne qui l'exprime, et elle doit évidemment être distinguée d'une conclusion com- plexe ou indirecte exigeant un examen ou une analyse spéciale ou détaillée de certains faits qui n'emporterait pas nécessairement l'adhésion de toute personne ordinaire. Le premier des trois exemples précités pourrait bien, dans certains cas, faire légitimement l'objet d'une question dans le cadre d'un interrogatoire préalable ou d'un inter- rogatoire écrit alors que les deux autres ne le pourraient pas. Les conclusions tirées de faits, qui ne sont pas des conclusions courantes, simples et incontestables, peuvent légitimement faire l'objet d'un débat mais non d'une preuve, et des règles très spéciales régissent les témoignages d'expert. Cependant, les faits essentiels sur lesquels elles sont fondées entrent parfaitement dans le cadre de l'interrogatoire préalable. Quelle que soit la com- pétence de l'expert consulté, un témoignage d'opi- nion n'a aucune valeur probante à moins qu'il soit appuyé, en ce qui concerne la question à trancher, par des faits essentiels qui sont finalement acceptés comme tels par la Cour.
Les demandeurs soutiennent essentiellement que seul un historien expert peut légalement témoigner au sujet de faits qui sont survenus il y a trop longtemps pour que des personnes puissent en témoigner. L'historien doit donc être considéré comme le seul juge du fait ainsi que comme la
personne dont on sollicite l'avis. Il semble que son opinion puisse aussi être fondée sur d'autres faits, à condition qu'ils soient constatés par un autre historien. Voilà, en fait, une théorie étrange qui ne peut s'expliquer que par une interprétation étroite et restrictive de certains énoncés de quelques juris- tes de la Colombie-Britannique. Cela nous conduit par ailleurs à la conclusion inacceptable suivant laquelle lorsque la réclamation d'un plaideur est fondée sur un titre ancestral ou sur des questions qui sont si anciennes qu'il n'en reste plus de témoins, ce plaideur serait seulement tenu de pro- duire des documents et ne pourrait être interrogé au préalable au sujet des faits précis qui se rappor- tent véritablement à la réclamation, étant donné que le plaideur n'est évidemment pas un historien expert et que c'est le plaideur et non une personne qui est complètement étrangère à l'action qui doit répondre aux questions qui sont posées au cours de l'interrogatoire préalable.
Par ces motifs, je ne saurais accepter la simple affirmation de l'avocat des demandeurs qui pré- tend que lorsque des questions se rapportent à des faits historiques, en ce sens qu'ils sont survenus il y a trop longtemps pour que des personnes puissent en témoigner, seuls des experts peuvent y répondre et qu'ils ne peuvent donc faire l'objet de questions dans le cadre d'un interrogatoire préalable, que ce soit de vive voix ou au moyen d'un interrogatoire écrit.
Contrairement à ce qui se produit lorsque la Cour prononce une ordonnance accordant le droit d'interroger un témoin avant le procès, c'est une des parties à l'action et non une personne étran- gère au procès qui doit répondre aux questions qui sont posées dans le cadre d'un interrogatoire préa- lable oral. La Règle 466.1(1)b) dispose:
Règle 466.1 (1) Toute partie à des procédures devant cette Cour peut demander à la Cour de rendre une ordonnance
b) enjoignant à cette autre partie de répondre à cet interroga- toire par affidavit dans le délai prévu par l'ordonnance. [Passage souligné par mes soins.]
De même, la Règle 466.1(5) dispose:
Règle 466.1.. .
(5) L'affidavit de réponse à l'interrogatoire requis en vertu de la présente Règle peut, sous réserve de l'alinéa (6), être souscrit par un officier compétent d'une corporation ou de la Couronne ou par la personne chargée de la gestion du secteur en cause des affaires de la partie. [Passage souligné par mes soins.]
Les demandeurs ont, pour répondre aux ques tions posées dans l'interrogatoire écrit, retenu les services d'un historien qui ne faisait de toute évi- dence pas partie de la bande demanderesse et qui n'exerçait aucune autorité au sein de cette der- nière. La bande défenderesse ne s'est apparem- ment pas opposée à ce que ce témoin réponde au nom des demandeurs aux questions posées dans l'interrogatoire écrit. Cette façon de procéder est tout à fait irrégulière: elle va certainement à l'en- contre des Règles de la Cour fédérale relatives au déroulement de l'interrogatoire préalable et, autant que je sache, elle va à l'encontre de l'usage généralement accepté par les tribunaux de common law en matière d'interrogatoire des par ties. La situation découle indubitablement de cer- taines décisions rendues par des tribunaux de la Colombie-Britannique au sujet du principe que seul un historien peut témoigner sur des événe- ments ou des faits dont il ne reste plus de témoins. J'ai déjà déclaré que je ne souscrivais pas à ce principe.
Dans l'ordonnance qui a été rendue le 24 sep- tembre 1990 par le juge Cullen de notre Cour et qui autorisait les deux parties à procéder par voie d'interrogatoire écrit, il n'est nullement mentionné qu'il faut écarter le principe général qui exige que les plaideurs eux-mêmes répondent aux questions posées dans l'interrogatoire écrit. Au contraire, l'ordonnance prévoit notamment ce qui suit: [TRA- DUCTION] «La Cour ordonne aux demandeurs de répondre à ces questions ... et ordonne à la bande indienne défenderesse de Cape Mudge de répondre à ces questions ... »
Je n'ai pas l'intention de rendre une ordonnance sur cette question car elle n'a jamais été soulevée à l'audience. Je laisse aux parties le soin de présenter une requête spéciale ou de prendre d'autres mesu- res pour corriger cette situation si elles le jugent à propos.
Les demandeurs refusent de répondre à quelque quarante-trois questions formulées dans l'interro- gatoire écrit produit par les défendeurs. De ce nombre, trente-huit sont soit identiques à celles qui ont été posées aux demandeurs dans leur propre interrogatoire écrit ou en diffèrent légèrement quant à la forme mais y équivalent en réalité quant au fond.
En outre, le 19 septembre 1990, la suite d'une requête semblable présentée par la bande indienne défenderesse de Cape Mudge le 7 septembre 1990, les demandeurs ont demandé à la Cour de pronon- cer une ordonnance enjoignant à la bande défende- resse de répondre à ces questions. Cela crée une situation très étrange, et il est difficile d'accepter maintenant les prétentions des demandeurs suivant lesquelles les questions de la bande défenderesse sont irrégulières. On ne devrait pas permettre à une partie de [TRADUCTION] «changer d'idée à chaque instant», pour reprendre l'expression de l'avocat de la bande défenderesse. Suivant une certaine jurisprudence, une partie peut être décla- rée irrecevable à adopter une position complète- ment contradictoire au cours de la même action (voir, par exemple, le jugement Enquist v. Hass (1979), 15 B.C.L.R. 139 (C.S.). Je n'ai pas l'inten- tion d'appliquer ce principe à la lettre, même si dans certains cas, certaines des questions qui ont été posées dans l'interrogatoire écrit et qui auraient normalement été écartées au motif qu'el- les réclament beaucoup trop de détails sur des questions qui sont si anciennes qu'il n'en reste plus de témoins, peuvent quand même être posées parce que les demandeurs ont demandé à la bande défen- deresse de lui fournir les mêmes détails ou des détails très semblables. Je m'attends naturellement à ce qu'il arrive dans plusieurs cas que les deman- deurs soient véritablement incapables de fournir les détails demandés parce qu'ils ne les connaissent pas. En pareil cas, la bande défenderesse aurait le droit d'en être informée.
Pour décider si une question peut régulièrement faire partie de l'interrogatoire préalable, la Cour doit parfois tenir compte de certains facteurs comme la somme probable de temps, d'efforts, de recherches, de travail et de dépenses qu'il faudra consacrer pour essayer d'obtenir une réponse et les mettre en balance avec d'autres facteurs tels que le montant d'argent ou l'importance des questions non pécuniaires en litige dans le procès, ainsi que le degré de pertinence et l'importance, la valeur ou l'utilité probable que la réponse pourrait avoir pour permettre de trancher les questions essentiel- les du procès. Toutefois, lorsqu'une question est pertinente et qu'elle n'est pas par ailleurs répré- hensible, le plaideur qui refuse d'y répondre ne peut se contenter de rétorquer lors du débat que l'obtention d'une réponse impliquerait des difficul-
tés injustifiées ou exceptionnellement onéreuses. Il doit fournir ou mentionner certains éléments de preuve pour expliquer les difficultés et, le cas échéant, pour démontrer les démarches raisonna- bles quoique infructueuses qu'il a entreprises pour obtenir une réponse.
Les questions qui impliquent des conséquences juridiques et des témoignages d'opinion ne peuvent légitimement faire l'objet de l'interrogatoire préa- lable qui se déroule entre les parties. Ainsi donc, une partie n'est pas tenue de donner suite aux demandes de renseignements qui touchent à la définition ou au fond d'un droit de propriété ou qui portent sur une contestation de propriété ni aux questions d'ordre juridique qui s'y rapportent, lors- qu'elles impliquent de quelque façon que ce soit une question de droit.
La question de savoir si les demandeurs doivent répondre à une question donnée devrait être tran- chée en tenant compte des principes, conclusions et commentaires susmentionnés. Il est fort possible que bon nombre des questions nécessitent, comme c'est habituellement le cas, l'examen de docu ments. Cependant, en pareil cas, les demandeurs seront uniquement tenus de mentionner les docu ments ou les autres articles ou objets qui contien- nent des inscriptions ou d'autres renseignements et qu'ils ont en leur possession ou sous leur garde.
Parmi les questions qui leur ont été posées au cours de l'interrogatoire écrit et auxquelles ils ont refusé de répondre, les demandeurs devront répon- dre aux questions suivantes: 1 à 3; 4a) et b) (auxquelles il devront répondre dans la mesure les membres de la bande indienne de Campbell River sont concernés); 5 (sauf d)); 6 à 8; 9a) et b); 22 24; 28, 29 (sauf d)); 31, 32; 34 (les deman- deurs ne sont toutefois pas obligés de divulguer les éléments de preuve qu'ils présenteront); 35, 36
(sauf e)); 46 49; 61 (sauf la dernière phrase); 63a), b), c) et e); 79 (première partie seulement); 80 (sauf f)).
Les demandeurs devront donner une réponse plus complète aux questions 38b), c), d) et e). Bien que les demandeurs nient que la bande défende- resse ait accompli ces actes, la question qui leur est posée est celle de savoir si l'un ou l'autre des membres de la bande demanderesse les a déjà contestés. Ils doivent répondre à cette question. La
Cour refuse d'ordonner aux demandeurs de répon- dre aux autres questions.
Les dépens suivront le sort du principal entre les deux bandes indiennes.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.