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T-431-92
Société Inuvialuit régionale («SIR»), Société Inuvialuit de gestion foncière («SIGF»), Conseil Inuvialuit de gestion du gibier («CIGG») et Knute Hansen (requérants)
c.
Sa Majesté la Reine et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (pour le gouvernement du Canada (intimés)
et
Conseil tribal des Gwich'in (intervenant)
RÉPERTORIE: SOCIÉTÉ INUVIALUIT RÉGIONALE C. CANADA (Ire INST.)
Section de première instance, juge Reed—Ottawa, 27 février et 2 mars 1992.
Droit constitutionnel Droits ancestraux ou issus de traités Requête visant à obtenir un bref de prohibition pour empê- cher la ratification d'une entente sur la revendication territo- riale globale conclue avec les Gwich'in Conflit possible avec une entente semblable conclue avec les Inuvialuit, déjà mise en vigueur par une loi fédérale Les deux ententes sont reconnues par l'art. 35(3) de la Loi constitutionnelle de 1982 Les requérants s'appuient sur la possibilité que les disposi tions, constitutionnellement reconnues, soient contradictoires, et ils soutiennent que l'entente des Gwich'in modifie la con vention conclue avec les Inuvialuit sans passer par le proces- sus de modification prévu dans cette convention La requête est rejetée parce qu'elle est prématurée.
Peuples autochtones Terres Les Inuvialuit présentent une requête visant à obtenir un bref de prohibition pour empê- cher la ratification d'une entente sur la revendication territo- riale conclue avec les Gwich'in Les requérants avaient déjà conclu avec le gouvernement une convention sur la revendica- tion territoriale dans une région limitrophe Chevauchement des revendications territoriales La présentation, par le ministre, de l'entente au Cabinet est-elle un acte de nature politique ou ministérielle non sujet à des contraintes imposées par les tribunaux? Réparation refusée puisque la requête est prématurée.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Prohibition Les lnuvialuit demandent un bref de prohibition pour empê- cher la ratification d'une entente sur la revendication territo- riale globale conclue avec les Gwich'in Chevauchement entre les revendications territoriales des Inuvialuit et celles des Gwich'in La requête est rejetée parce qu'elle est prématurée L'approbation du Cabinet n'est pas certaine, on ignore qui doit signer au nom du gouvernement Le litige peut être tran- ché avant que l'entente soit soumise au Parlement.
Compétence de la Cour fédérale Section de première ins tance La définition d'Kofce fédéral» à l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale a été modifiée pour y inclure des personnes exerçant des pouvoirs prévus par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale Il est peu probable que l'acte de soumettre une proposition au Cabinet soit un exercice de la prérogative royale Le principe énoncé dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'Immigration) (1988), 6 Imm.L.R. (2d) 123 (C.A.F.) s'applique à l'action en jugement déclaratoire intentée devant la Section de première instance pour empêcher le ministre d'exécuter une obligation contrac- tuelle.
Il s'agit d'une requête visant à obtenir un bref de prohibition pour empêcher que les intimés procèdent à la ratification d'une entente sur la revendication territoriale globale conclue avec les Gwich'in concernant des terres limitrophes à celles cou- vertes par une convention semblable conclue avec les Inuvia- luit, signée et mise en vigueur par une loi fédérale en 1984. Il existe un chevauchement des revendications territoriales des Gwich'in et des Inuvialuit. Les deux ententes sont des ententes sur une revendication territoriale au sens du paragraphe 35(3) de la Loi constitutionnelle de 1982. Les requérants soutiennent que la ratification de l'entente des Gwich'in conduirait à deux propositions contradictoires, constitutionnellement reconnues, et modifierait la convention conclue avec les Inuvialuit sans passer par le processus de modification prévu dans cette con vention en ne tenant pas compte du statut constitutionnelle- ment reconnu de cette convention. Les intimés prétendent que le ministre, lorsqu'il agit en vertu de l'entente des Gwich'in en présentant la proposition au Cabinet et, par là, en provoquant la signature possible de l'entente et l'incorporation finale de celle-ci dans une loi, agit en vertu d'un accord contractuel privé, et que le bref de prohibition ne peut être décerné pour empêcher la rupture d'un accord privé. L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Section de première instance la compétence de décerner des brefs de prohibition contre tout office fédéral, dont la définition (article 2) a récemment été modifiée pour y inclure toute personne exerçant des pouvoirs prévus par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
La requête devrait être rejetée parce qu'elle est prématurée en ce qu'on ignore si le Cabinet approuvera l'entente ou s'il va l'approuver sous certaines conditions. On ignore également qui va signer l'entente au nom du gouvernement. Même si elle est signée, rien n'oblige à soumettre l'entente au Parlement avant que le litige concernant les terres ne soit tranché à la suite de négociations ou par la Cour.
Il est difficile de qualifier d'exercice de la prérogative royale l'acte par lequel un ministre soumet une proposition au Cabi net, bien que la signature de l'entente, qu'il s'agisse d'un traité ou d'un simple contrat, par des représentants de la Couronne, constitue l'exercice d'un tel pouvoir.
L'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration) (1988), 6 Imm.L.R.(2d) 123 (C.A.F.) a statué que la Cour d'appel a le pouvoir accessoire d'empêcher un ministre
d'exécuter une obligation prévue par la loi afin que les procé- dures devant la Cour ne deviennent pas futiles. Ce principe s'applique à l'action en jugement déclaratoire intentée devant la Section de première instance et il peut être appliqué pour empêcher un ministre d'exécuter une obligation contractuelle.
Bien que ce ne soit pas habituel, il existe au moins une déci- sion dans laquelle une injonction a été décernée pour empêcher la présentation d'un projet de loi en vue de la sanction royale. En tout état de cause, les circonstances de l'espèce sont si exceptionnelles que le principe général que les tribunaux appli- quent pour refuser d'entraver la présentation d'un projet de loi au Parlement n'empêcherait pas les requérants d'obtenir une injonction le cas échéant.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Lai constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice 11, 44].
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen- dice II, no 44], art. 35 (mod. par TR/84-102, art. 2).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art.!), 18 (mod., idem, art. 4).
Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, L.R.C. (1985), ch. I-6, art. 6.
Loi sur le règlement des revendications des Inuvialuit de la région ouest de l'Arctique, S.C. 1984, ch. 24.
JURISPRUDENCE DÉCISION APPLIQUÉE:
Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)
(1988), 6 Imm.L.R. (2d) 123; 86 N.R. 302 (C.A.F.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535; (1984), 13 D.L.R. (4th) 706; 12 C.R.R. 45; [1984] CTC 506; 84 DTC 6478; 55 N.R. 255 (C.A.); Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1.
DOCTRINE
Sgayias, David, et al. Federal Court Practice 1991-92 Scarborough: Thomson Professional Publishing Canada, 1991.
Sharpe, Robert J. Injunctions and Specific Performance, Toronto: Canada Law Book Ltd., 1983.
Spry, I. C. F. The Principles of Equitable Remedies, 3rd ed. London: Sweet & Maxwell, 1984.
REQUÊTE en prohibition pour empêcher les intimés de procéder à la ratification d'une entente sur une revendication territoriale globale. Requête rejetée.
AVOCATS:
C. J. Michael Flavell et Colin Baxter pour les
requérants.
Geoffrey Lester pour les intimés.
Brian A. Crane, c. r. et Martin W. Mason pour
l'intervenant.
PROCUREURS:
McCarthy Tétrault, Ottawa, pour les requérants. Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour 1' intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Les requérants («les Inuvialuit») introduisent une requête visant à obtenir un bref de prohibition ou une réparation de la nature de ce bref pour empêcher que les intimés procèdent à la ratifica tion d'une entente sur la revendication territoriale globale conclue avec les Gwich'in. Les Gwich'in occupent une partie des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon. La région à laquelle se rapporte l'éven- tuelle entente des Gwich'in est limitrophe des régions couvertes par une convention sur la revendication ter- ritoriale globale que le gouvernement a signée avec les Inuvialuit en juin 1984.
L'entente sur la revendication territoriale globale des Gwich'in, qui n'est pas encore signée, contient une disposition que voici:
12.4.3.a) Sous réserve des dispositions de la présente entente, les Gwich'in jouissent d'un droit exclusif d'exploita- tion de la faune dans leurs terres.
b) Aucun non-participant n'est autorisé à exploiter les res- sources fauniques des eaux situées à l'intérieur des terres des Gwich'in, à l'exception des poissons et des oiseux migrateurs visés par la présente entente. [C'est moi qui souligne.]
Le sous-alinéa 18.1.2c) de l'entente des Gwich'in conférera à ceux-ci un droit en fief simple sur environ 718 milles carrés de terre, connus sous le nom de terres d'Aklavik. Environ 233 milles carrés des terres d'Aklavik sont situés dans la région couverte par la convention des Inuvialuit.
La convention de 1984 conclue avec les Inuvialuit et que la Loi sur le règlement des revendications des Inuvialuit de la région ouest de l'Arctique, S.C. 1984, ch. 24, a rendue exécutoire contient une disposition ainsi rédigée:
14. (6) La Convention concède aux Inuvialuit certains droits d'exploitation de la faune dans la région de l'Arctique de l'Ouest. Dans l'exercice de ces droits, les Inuvialuit sont assu- jettis aux lois d'application générale relatives à la sécurité du public et à la protection de la faune. Les dispositions du pré- sent article ne donnent aux Inuvialuit aucun droit de propriété à l'égard de la faune. Sous réserve des dispositions des para- graphes (15) à (18), les droits d'exploitation de la faune com- prennent:
a) le droit préférentiel de prendre toutes les espèces fau- niques, à l'exception des oiseaux migrateurs non considérés comme gibier et des oiseaux insectivores migrateurs, à des fins de subsistance, dans toute la région de l'Arctique de l'Ouest;
b) le droit exclusif de prendre des animaux à fourrure, y compris l'ours noir et le grizzly, dans toute la région de l'Arctique de l'Ouest;
c) le droit exclusif de prendre l'ours polaire et le bœuf mus- qué dans toute la région de l'Arctique de l'Ouest;
d) le droit exclusif de prendre le gibier sur les terres inuvia- luit et, moyennant accord, sur d'autres territoires. [C'est moi qui souligne.]
Lors de la négociation de la convention des Inuvia- luit, on a reconnu qu'il existait un chevauchement des revendications territoriales des Gwich'in et des Inu- vialuit dans certaines régions. Les avocats m'ont fait comprendre que la plupart de ces revendications ont été résolues, mais qu'il en reste une qui est d'impor- tance et qui concerne les terres d'Aklavik. Il n'est pas nécessaire de décrire les détails de la divergence d'opinions qui existe. À ce que je vois, cette revendi- cation se rapporte à la question de savoir si le titre de propriété sur ces terres qui sera conféré aux Gwich'in emporte les droits d'exploitation exclusifs ou si ces droits sont également ou exclusivement dévolus aux Inuvialuit en vertu de la convention des Inuvialuit.
Les avocats ont précisé que les Gwich'in et les Inuvialuit ne sont pas intransigeants pour ce qui est
de leurs positions respectives. Ils sont en négociation et ils s'attendent à parvenir à une solution. Ils ont conclu des accords négociés sur beaucoup d'autres questions de chevauchement.
La convention des Inuvialuit, ainsi qu'il a été noté, a été signée en juillet 1984, et une loi fédérale l'a mise en vigueur dans la même année. La convention (loi) contient des dispositions relatives aux procé- dures qui doivent être suivies pour sa modification. En outre, le paragraphe 3(2) porte:
3.(2) II est précisé, pour plus de sûreté, que la Convention constitue un règlement de revendications foncières au sens du paragraphe 35(3) de la Loi constitutionnelle de /982.
L'entente des Gwich'in, qui n'est pas encore signée, contient une clause semblable (paragraphe 3.1.2.). Il est expressément prévu que cette entente est une entente sur une revendication territoriale au sens de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de /982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n ° 44] (mod. par 1'1t/84-102, art. 2)].
L'article 35 de Loi constitutionnelle de 1982, modifiée, prévoit notamment:
35.(1) Les droits existants—ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones du Canada sont reconnus et con firmés.
(2) Dans la présente loi, «peuples autochtones du Canada» s'entend notamment des Indiens, des !nuits et des Métis du Canada.
(3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis.
L'entente des Gwich'in contient des conditions de sa ratification, de sa signature et de son application éventuelle au moyen d'une loi. Il faut donc qu'il y ait ratification par les Gwich'in au moyen d'un scrutin qui exige l'approbation de pas moins des deux tiers de ceux qui votent et qui exige que trois quarts des électeurs admissibles aillent aux urnes. L'entente pré- voit la ratification par le gouvernement du Canada:
28.7.1. Une fois ... ratification de l'entente par les Gwich'in, l'entente doit être présentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien au Cabinet pour approbation.
Les dispositions concernant la signature ultérieure de l'entente et son incorporation dans une loi sont ainsi rédigées:
28.8.1. Dans les 30 jours suivant la ratification de l'entente par le Cabinet, l'entente doit être signée par des représen- tants des Gwich'in et du gouvernement.
28.9.1. Une fois que l'entente a été signée par le gouverne- ment et par les Gwich'in, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien doit présenter une loi au Parlement pour que la présente entente entre en vigueur.
Les Gwich'in ont ratifié l'entente au mois de sep- tembre dernier. On a fait comprendre aux requérants que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien prévoyait présenter sous peu l'entente à l'approbation du Cabinet. C'est cette mesure que les requérants cherchent à arrêter. Certes, une grande partie de l'argumentation portait sur l'à-propos d'une ordonnance de prohibition portant interdiction au ministre de présenter une question au Cabinet en vue d'une discussion; mais la réparation que les requé- rants sollicitent pourrait être également obtenue si l'une quelconque des mesures tendant à l'application de l'entente était arrêtée en attendant la résolution des différends concernant les terres d'Aklavik.
L'entente des Gwich'in, comme celle des Inuvia- luit, prévoit qu'elle n'entrera pas en vigueur avant son incorporation dans une loi:
3.1.3. La ratification de la présente entente par le Parlement et par les Gwich'in conformément aux dispositions de l'entente est une condition préalable à la validation de l'entente, qui doit entrer en vigueur à la date de promul gation de la loi habilitante, et, sans cette ratification, l'entente demeure nulle.
3.1.4. Le Canada doit recommander au Parlement que la pré- sente entente soit ratifiée, mise en vigueur et déclarée valide dans la loi habilitante.
Les requérants se préoccupent de ce que si les intimés procédaient à la ratification, à la signature et à la présentation au Parlement de l'entente des Gwi- ch'in, cela conduirait à l'incorporation dans la légis- lation de deux dispositions contradictoires, constitu- tionnellement reconnues concernant les droits d'exploitation sur une partie des terres d'Aklavik. (Ainsi qu'il a été noté ci-dessus, on m'a fait com- prendre qu'il existait peut-être aussi d'autres ques tions de «chevauchement» non résolues.) Voici le raisonnement de l'avocat: comment les deux disposi tions contradictoires seront-elles interprétées? Va-t-
on donner priorité à celle figurant dans la convention des Inuvialuit parce que celle-ci a été signée la pre- mière ou à celle figurant dans l'entente des Gwich'in parce qu'elle a été signée et édictée en dernier? Cela présume évidemment l'existence d'une contradiction. Si je comprends bien l'argument de l'avocat des intimés, il affirme qu'il n'en existe aucune. L'avocat des requérants prétend que les intimés, en procédant à la ratification, à la signature de l'entente des Gwi- ch'in et à sa présentation au Parlement en vue de l'adoption d'une loi, se trouvent à modifier la con vention conclue avec les Inuvialuit sans passer par le processus de modification prévu dans cette conven tion, et qu'ils ne tiennent pas compte du statut consti- tutionnellement reconnu de cette convention.
Certaines objections techniques, dirais-je, ont été faites à l'octroi de toute réparation en l'espèce. Il est allégué qu'on ne saurait obtenir un bref de prohibi tion contre la Couronne (la première intimée) parce que c'est celle-ci qui émet ce genre de bref; l'avocat des requérants répond qu'il ne s'agit pas d'une question de grande importance, parce qu'ils cher- chent également à empêcher le ministre en cause et qu'on peut se prévaloir de ces voies de recours contre des ministres particuliers. Il est également allégué que, pour ce qui est de l'obstacle à la signature de l'entente, il ne saurait tenir car on ne sait pas qui doit signer au nom de la Couronne. En effet, on ne sait pas encore qui seront les représentants, et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ne sera pas nécessairement du nombre. Il est allégué que la réparation demandée est trop vague parce qu'elle tend seulement à empêcher la ratification de l'entente des Gwich'in dans la mesure cette entente vise à transmettre aux Gwich'in des droits et des titres de propriété qui ont déjà été transmis aux Inuvialuit ou qui sont incompatibles avec eux. Je n'estime pas que ces vices s'opposent à l'octroi d'une ordonnance.
On invoque un argument plus substantiel, savoir qu'il n'y a pas lieu de décerner un bref de la nature d'une prohibition parce que la présentation de l'en- tente au Cabinet, et probablement plus tard au Parle- ment, par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et sa signature par quiconque pourrait être désigné représentant de la Couronne ne consti-
tuent pas le type d'actes qui est visé par l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F 7]. L'avocat des intimés soutient que ces actes sont de nature politique ou ministérielle et ne sont pas sujets à des contraintes imposées par les tribunaux. Le paragraphe 18(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] prévoit que la Section de première instance a com- pétence exclusive:
18....
a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de manda- mus, de prohibition ou de quo warrante, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;
b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure enga gée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.
Le paragraphe 2(1) [mod., idem, art. 1] de la Loi sur la Cour fédérale est ainsi rédigé:
2.(1)...
«office fédéral» Conseil, bureau, commission ou autre orga- nisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'exclusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867; [C'est moi qui souligne.]
Le manuel Federal Court Practice 1991-92 de Sgayias, Kinnear, Rennie and Saunders fait état, à la page 41, de la récente modification apportée à l'ar- ticle 2:
[TRADUCTION] La définition «office fédéral» est révisée pour y inclure des organismes ou des personnes exerçant des pou- voirs en vertu d'une prérogative royale et pour préciser que le Sénat et la Chambre des communes sont exclus de la portée de cette expression. La première adjonction garantit que la Cour fédérale, et non les cours supérieures provinciales, a le pouvoir d'examiner les actes administratifs fondés sur l'exercice de la prérogative royale fédérale. La dernière clarification, qu'on trouve dans le nouvel article 2(2), représente la réponse du législateur à la décision rendue en première instance dans l'af- faire Southam Inc. c. Canada (P.C.), [1989] 3 C.F. 147, 27 F.T.R. 139, 43 C.R.R. 87 (lre inst.), laquelle décision a par la suite été infirmée en appel; [1990] 3 C.F. 465, 73 D.L.R. (4th) 289, 114 N.R. 255 (C.A.).
L'avocat des requérants cite à la fois l'arrêt Minis- tre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F.
535 (C.A.) et Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441. Dans le pre mier arrêt, aux pages 543 et 544, il a été jugé que le ministre des Finances était susceptible de faire l'objet d'un certiorari lorsqu'il exerçait un pouvoir adminis- tratif purement discrétionnaire, en vertu d'une loi, pour autoriser la perquisition des locaux d'un contri- buable. Il a été décidé que le respect des garanties constitutionnelles énoncées dans la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] s'imposait. Dans l'arrêt Operation Dismantle, à la page 455, il a été bien entendu jugé que les décisions du Cabinet prises dans l'exercice de la prérogative royale pouvaient être sujettes à l'examen judiciaire en vue d'assurer leur compatibilité avec la Charte.
Il m'est difficile de qualifier l'acte par lequel un ministre soumet une proposition au Cabinet d'exer- cice de la prérogative royale, bien que la signature de l'entente, qu'il s'agisse d'un traité ou d'un simple contrat, par des représentants de la Couronne consti- tue l'exercice d'un tel pouvoir. On ne m'a cité aucun texte législatif d'où découleraient les actes en ques tion. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a, en vertu de l'article 6 de la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, L.R.C. (1985), ch. I-6, compétence sur les terres en question.
6. Le ministre a compétence sur toutes les terres du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest qui appartiennent à Sa Majesté du chef du Canada, à l'exception de celles sur lesquelles, au 30 septembre 1966, soit un ministère ou organisme fédéral autre que le ministère du Nord canadien et des Ressources natio- nales, soit un ministre fédéral autre que le titulaire du ministère susmentionné, avait compétence.
Si je comprends bien l'argument de l'avocat des intimés, il prétend que le ministre, lorsqu'il agit en vertu de l'entente des Gwich'in, en présentant la pro position au Cabinet et, par là, en provoquant la signa ture possible de l'entente et l'incorporation finale de celle-ci dans une loi, agit en vertu d'un accord con- tractuel privé. Il soutient qu'un bref de prohibition ne peut être décerné pour empêcher la rupture d'un
accord privé (paragraphe 43 de l'exposé des faits et du droit des intimés).
En tout état de cause, je ne me propose pas de m'attarder davantage sur ces arguments, parce que je trouve qu'il est inutile de le faire. Je souscris à l'argu- ment de l'avocat de l'intervenant selon lequel il ne convient pas de rendre maintenant une ordonnance parce que ce serait prématuré. Il fait valoir qu'on ne devrait pas empêcher le ministre de soumettre l'en- tente au Cabinet pour qu'il en discute, qu'on ne sait pas si le Cabinet approuvera en fait l'entente ou s'il va l'approuver sous certaines conditions. Il avance que l'on ignore qui va signer l'entente au nom du gouvernement, si celle-ci doit être signée, et il note que même si elle est signée, rien n'oblige à soumettre l'entente au Parlement avant que le litige concernant les terres d'Aklavik ne soit tranché par les Gwich'in et les Inuvialuit, ou par cette Cour le cas échéant.
Le 22 octobre 1991, les Inuvialuit ont déposé une déclaration (N° du greffe T-2674-91) en vue d'obte- nir un jugement déclaratoire portant sur le litige rela- tif aux terres d'Aklavik entre les parties. L'avocat des Gwich'in souligne que ce litige pourrait être tranché très rapidement grâce à l'audition accélérée de cette action. Il soutient qu'une telle démarche serait préfé- rable, plutôt que de voir la Cour agir maintenant avec précipitation pour empêcher la prise d'autres mesures fondées sur ce qui peut ne pas se révéler être une question non résolue.
C'est l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm.L.R. (2d) 123 (C.A.F.) qui a statué que la Cour a le pouvoir acces- soire d'empêcher un ministre d'exécuter une obliga tion prévue par la loi afin que les procédures devant la Cour ne deviennent pas futiles. Bien que cette affaire porte sur le pouvoir accessoire de la Cour d'appel fédérale, il n'y a aucune raison pour ne pas appliquer également ce principe aux procédures devant la Section de première instance, et il leur a d'ailleurs été appliqué. De même, bien que cette déci- sion ait été rendue dans le contexte d'une demande de contrôle judiciaire, rien ne justifie de ne pas l'appli- quer également dans le contexte d'une action en juge- ment déclaratoire. En dernier lieu, bien que l'arrêt Toth porte sur l'octroi d'une injonction pour empê-
cher un ministre d'exécuter ses fonctions légales, l'octroi d'une injonction semble convenir encore mieux lorsque cette fonction découle de ce qui semble être une obligation contractuelle.
Je sais qu'il n'est pas habituel pour les tribunaux de décerner des injonctions pour empêcher la présen- tation d'une loi au Parlement, bien qu'il existe au moins une décision dans laquelle une injonction a été décernée pour empêcher la présentation d'un projet de loi en vue de la sanction royale: voir Spry, The Principles of Equitable Remedies (1984, 3e éd.) aux pages 333 et 334, et Sharpe, Injunctions and Specific Performance (1983), la page 171. En tout état de cause, les circonstances de l'espèce sont si exception- nelles que je ne pense pas que le principe général que les tribunaux appliquent pour refuser d'entraver la présentation d'un projet de loi au Parlement empê- cherait les requérants d'obtenir une injonction en l'espèce le cas échéant.
Par ces motifs, la requête introduite par les requé- rants en vue d'obtenir un bref de prohibition ou une réparation de la nature de ce bref est rejetée.
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