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A-129-90
Everywoman's Health Centre Society (1988) (appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (intimé)
RÉPERTORIÉ: EVERYWOMAN'S HEALTH CENTRE SOCIETY (1988) c. M.R.N. (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Desjardins et Décary, J.C.A.—Vancouver, 24 octobre; Ottawa, 26 novem- bre 1991.
Organismes de charité Clinique d'avortement indépen- dante Médecins rémunérés par le régime d'assurance-mala- die provincial Société sans but lucratif La société n'exige pas de frais des patientes qui n'ont pas les moyens de payer La société a reçu un prix pour sa contribution aux services de santé communautaires Le M.R.N. a refusé l'enregistrement comme œuvre de charité pour le motif qu'il n'existait aucune politique générale en matière d'avortement, ni aucun consen sus public en faveur de l'avortement Question de savoir si les activités de l'organisme étaient utiles à la collectivité con- formément à l'esprit de la Loi d'Elizabeth Les mots «soins médicaux pour les malades» signifient maintenant «services de santé» L'avortement est une forme de service de santé Aucune autorité n'étaie l'argument selon lequel, en droit, il n'y a pas d'oeuvre de charité lorsque l'objet est controversable Une fin charitable peut précéder l'opinion publique ou l'offen- ser Si l'activité semble être visée par une des catégories reconnues d'oeuvres de charité, la Cour supposera que la fin est utile à la collectivité, à moins que le contraire ne soit éta- bli.
Impôt sur le revenu Enregistrement comme organisme de charité L'appelante administre une clinique d'avortement sans but lucratif et fournit des services de santé dans le domaine de la reproduction Les médecins sont rémunérés par le régime d'assurance-maladie provincial L'enregistre- ment a été refusé pour le motif qu'il n'existait aucune politique générale, ni aucun consensus public en matière d'avortement Question de savoir si les activités de l'appelante sont utiles à la société La prestation de services de santé constitue à première vue une fin charitable Les fonds publics sont réputés être dépensés conformément à la politique générale Aucune exigence selon laquelle la fin charitable doit être étayée par une politique officielle, par l'opinion publique La Cour doit déterminer ,c'il y a un avantage dans le cadre du droit concernant les oeuvres de charité, et non si le public estime que pareil avantage existe.,
Il s'agissait d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 172(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu à la suite du présumé refus de l'intimé d'enregistrer l'appelante comme organisme de charité.
L'appelante a été constituée en 1988 en vertu des lois de la Colombie-Britannique. Son objet était de fournir aux femmes des services médicaux nécessaires au profit de la collectivité dans son ensemble et de se livrer à des activités éducatives complémentaires. Son but immédiat était de mettre sur pied une clinique d'avortement indépendante; son but à long terme était d'administrer un centre de reproduction. La clinique offre notamment les services suivants: tests de Papanicolaou, dépis- tage des maladies transmissibles sexuellement, counseling en matière de contrôle des naissances et délivrance de contracep- tifs, tests de grossesse et avortements. Il s'agit d'une société sans but lucratif dont les administrateurs ne sont pas rému- nérés. La société ne reçoit aucune subvention de l'État. Les dons servent à la réduction des frais exigés des patientes. Les médecins qui travaillent à la clinique sont rémunérés par le régime d'assurance-maladie provincial. La clinique admet et traite toutes les femmes sans discrimination. Celles-ci peuvent être dirigées par leur médecin ou elles peuvent se présenter d'elles-mêmes. Une patiente éventuelle qui envisage de mettre fin à sa grossesse doit prendre rendez-vous. Elle rencontre d'abord une conseillère. La séance dure environ une heure et demie. La conseillère informe la patiente des solutions de rechange et s'assure que cette dernière ait pris sa décision de son plein gré. Si la patiente est indécise, elle est invitée à reve- nir à la clinique à une date ultérieure. Par suite de ces mesures, environ 11 % des patientes éventuelles qui voulaient se faire avorter ont décidé de poursuivre leur grossesse. La clinique n'effectue que des avortements du premier trimestre. Les hôpi- taux n'offrent que des services d'avortement restreints; la cli- nique ne peut pas satisfaire aux besoins de toutes les femmes qui s'adressent à elle, ces dernières venant de Vancouver, des régions rurales et du nord de la C.-B., du Yukon et de l'Al- berta. La société a reçu un prix de la Public Health Nurses' Association pour sa contribution aux services de santé commu- nautaires. La clinique n'exigeait pas de frais des patientes qui n'ont pas les moyens de payer (soit environ 15 % de la clien- tèle jusqu'à ce jour).
A l'appui de sa décision de refuser l'enregistrement, l'intimé a soutenu qu'[TRADUCTION] «en l'absence de déclarations de politique générale claires et en l'absence d'un consensus public au sujet de la question de l'avortement, on ne peut pas dire que les activités (de l'appelante) sont utiles à la société d'une façon que la loi considère comme charitable» et qu'étant donné que le législateur n'avait pas remplacé les dispositions du Code cri- minel qui avaient été annulées dans l'arrêt R. c. Morgentaler, «on ne peut pas conclure que l'avortement pratiqué pendant le premier trimestre à la suite du choix effectué par la patiente, bien que clairement légal, reflète la politique générale en matière d'avortement».
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Il y a quatre types de fins charitables: (1) soulager la pau- vreté, (2) promouvoir l'éducation, (3) promouvoir la religion et (4) autres fins utiles à la collectivité et non visées par les caté- gories précédentes: Native Communications Society of B.C. c. Canada (M.R.N.) (C.A.F.). L'appelante s'appuyait sur la der- nière catégorie. Pour être visée par cette catégorie, la fin doit être utile à la collectivité d'une façon que la loi considère
comme étant conforme à l'esprit de la Loi d'Élizabeth. Ce texte de loi est la source du droit concernant les oeuvres de cha- rité, mais il est maintenant reconnu qu'il faut tenir compte des décisions dans lesquelles celui-ci a été interprété pour détermi- ner ce qui constitue, en droit, une fin charitable. Les hôpitaux qui exigent des frais ont été reconnus comme organismes de charité en common law parce qu'ils fournissent des «soins médicaux pour les malades». Cette expression ne devrait pas être interprétée d'une manière trop littérale, car les mots «pour les malades» sont redondants. Dans le contexte canadien moderne, on parlerait plutôt de «services de santé». L'avorte- ment pratiqué par un médecin semblerait constituer une cer- taine forme de soin de santé. Des avortements sont pratiqués dans les hôpitaux publics qui sont reconnus comme des orga- nismes de charité et qui sont financés par le régime d'assu- rance-maladie provincial, comme le permet la Loi canadienne sur la santé.
Un organisme ne peut pas avoir une fin charitable si ses activités sont contraires à la politique générale, mais on ne peut pas dire qu'une activité est contraire à la politique générale en l'absence de pareille politique. Exiger que leurs activités soient reconnues par une politique générale claire imposerait un far- deau insupportable aux personnes qui cherchent à faire enre- gistrer une oeuvre de charité. En l'espèce, les médecins qui pra- tiquent les avortements sont rémunérés à l'aide de fonds publics. Les fonds publics sont réputés être dépensés confor- mément à la politique générale. Il n'existe aucune autorité à l'appui de l'argument selon lequel il ne peut pas, en droit, y avoir d'oeuvre de charité en l'absence de consensus public. Certains types de fins charitables précèdent l'opinion publique, alors que d'autres peuvent même l'offenser. On demande aux tribunaux de déterminer s'il y a un avantage pour le public, et non si le public estime que pareil avantage existe.
L'arrêt Positive Action Against Pornography c. M.R.N. (C.A.F.) ne s'appliquait pas en l'espèce. Dans cette affaire-là, la Cour examinait une «fiducie visant à la modification de la loi»; elle a jugé que les activités politiques ne peuvent pas être considérées comme des activités de bienfaisance. L'appelante ne cherche pas à faire modifier la loi en matière d'avortement ou à prôner le point de vue «pro-choix». La controverse à laquelle l'avortement donne lieu ne doit pas dissuader la Cour de chercher la fin véritable de la clinique, qui est de venir en aide aux femmes qui reçoivent un service de santé légalement reconnu dans une clinique légalement constituée. Le droit con- cernant les oeuvres de charité est en évolution. Lorsqu'une fin semble d'une manière générale être visée par l'une des catégo- ries d'oeuvres de charité, la Cour supposera que cette fin est utile à la collectivité, à moins que le contraire ne soit établi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur la santé, L.R.C. (1985), chap. C-6.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 110(8)c) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 43; 1977-78, chap. 1, art. 101; 1984, chap. 45, art. 35), 149.1(1)6) (édicté par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 60; mod. par S.C. 1984, chap. 45, art. 57; 1988, chap. 55,
art. 134), 172(4) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 108; 1976-77, chap. 4, art. 87; 1977-78, chap. 32, art. 41; 1980-81-82-83, chap. 47, art. 53 (item 12); 1984, chap. 45, art. 72; 1986, chap. 6, art. 92; 1988, chap. 55, art. 147).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1312.
Statute of Elizabeth, 1601 (U.K.), 43 Eliz. I, chap. 4.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Native Communications Society of B.C. c. Canada (M.R.N.), [1986] 3 C.F. 471; [1986] 4 C.N.L.R. 79; [1986] 2 C.T.C. 170; (1986), 86 DTC 6353; 23 E.T.R. 210; 67 N.R. 146 (C.A.); National Anti-Vivisection Society v. Inland Revenue Commissioners, [1948] A.C. 31 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Positive Action Against Pornography c. M.R.N., [1988] 2 C.F. 340; (1988), 49 D.L.R. (4th) 74; [1988] 1 C.T.C. 232; 88 DTC 6186; 29 E.T.R. 92; 83 N.R. 214 (C.A.); Auckland Medical Aid Trust v Commissioner of Inland Revenue, [1979] 1 NZLR 382 (S.C.).
DÉCISION EXAMINÉE:
In re Resch's Will Trusts, [1969] 1 A.C. 514 (P.C.). DÉCISIONS CITÉES:
Scarborough Community Legal Services c. La Reine, [1985] 2 C.F. 555; (1985), 17 D.L.R. (4th) 308; [1985] 1 C.T.C. 98; 85 DTC 5102; 56 N.R. 369 (C.A.); Toronto Volgograd Committee c. M.R.N., [1988], 1 C.T.C. 365; (1988), 88 DTC 6192; 83 N.R. 241 (C.A.F.); Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; (1989), 59 D.L.R. (4th) 321; [1989] 4 W.W.R. 193; 58 Man. R. (2d) 161; 26 C.C.E.L. 1; 10 C.H.R.R. D/6183; 89 CLLC 17,012; 94 N.R. 373; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988), 63 O.R. (2d) 281; 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d) 449; 62 C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. 1; 82 N.R. 1; 26 O.A.C. 1; R. c. Sullivan, [1991] 1 R.C.S. 489; (1991), 55 B.C.L.R. (2d) 1; 63 C.C.C. (3d) 97; 3 C.R. (4th) 277; 112 N.R. 166; Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530; (1989), 27 Q.A.C. 81; 62 D.L.R. (4th) 634; 11 C.H.R.R. D/165; 102 N.R. 81; McGovern v Attorney General, [1981] 3 All ER 493 (Ch.D.).
AVOCATS:
Judith Ashbourne et D. W. Mossop pour l'appe-
lante.
Bonnie F. Moon et Linda L. Bell pour l'intimé.
PROCUREURS:
Community Legal Assistance Society, Vancou- ver, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in- timé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Il s'agit d'un appel inter- jeté en vertu du paragraphe 172(4) de la Loi de l'im- pôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 108;1976-77, chap. 4, art. 87; 1977-78, chap. 32, art. 41; 1980-81- 82-83, chap. 47, art. 53 (item 12); 1984, chap. 45, art. 72; 1986, chap. 6, art. 92; 1988, chap. 55 art. 147] (la Loi) à la suite du présumé refus du ministre du Revenu national (le ministre) d'enregistrer la Société appelante (la Société) comme oeuvre de charité.
La Société a été constituée en vertu des lois de la Colombie-Britannique en juillet 1988 en vue:
[TRADUCTION] (I) de fournir aux femmes des services médicaux nécessaires au profit de la collectivité dans son ensemble et
(2) de se livrer à des activités éducatives complémentaires.
La Société doit être administrée à des fins exclusive- ment charitables et n'est pas destinée à faire des pro fits. Ses administrateurs ne sont pas rémunérés. Son but immédiat est de mettre sur pied une clinique d'avortement indépendante. Son but à long terme est de mettre sur pied et d'administrer un centre de reproduction. Elle doit être administrée dans le cadre de la loi et les médecins qui y travailleront doivent être rémunérés par l'entremise du Medical Services Plan de la province. Le surplus et les dons de charité doivent servir à la réduction des frais que les patientes doivent assumer.
Le genre de services offerts par la Société est décrit dans un mémoire préparé par un fonctionnaire du ministère du Revenu national à la suite d'une visite effectuée à la clinique de l'appelante le 31 juil- let 1989. Voici les passages les plus pertinents de ce mémoire:
[TRADUCTION] I. Services actuels:
Counseling par téléphone
Tests de grossesse
Counseling en matière de contrôle des naissances et
délivrance de contraceptifs
Avortements
Dépistage des MTS (maladies transmissibles
sexuellement)
Counseling et examen de suivi
Examens physiques et tests de Papanicolaou
Analyse d'urines; analyse du sang (hémoglobine)
La patiente communique d'abord avec la clinique par télé- phone; elle doit répondre à un certain nombre de questions au sujet du stade de sa grossesse et de la décision qu'elle a prise. Si la conseillère qui a répondu à l'appel constate que la patiente est enceinte depuis plus de douze semaines, elle la dirige vers le Vancouver General Hospital ou vers l'hôpital Shaughnessy, à Vancouver, ou vers un hôpital de sa région des avortements sont effectués, si la patiente n'habite pas Van- couver et que l'hôpital local effectue des avortements. Si l'on s'aperçoit que la patiente manifeste un sentiment ambivalent à l'égard de sa décision de se faire avorter ou qu'elle ne sait pas exactement ce qu'elle veut faire, une séance de counseling sera organisée, et ce, qu'un avortement soit prévu ou non.
En se présentant à son rendez-vous à la clinique, la patiente doit produire un document montrant qu'elle a subi un test en vue de déterminer le Rh; ce test est habituellement administré à l'hôpital Shaughnessy le matin même la patiente a un ren- dez-vous. On fait ensuite subir un test de grossesse à la patiente et cette dernière rencontre alors une conseillère. Les séances de counseling durent habituellement environ une heure et demie. Si la conseillère constate que la patiente a un senti ment ambivalent au sujet de sa décision, elle recommande à celle-ci de revenir à la clinique à une date ultérieure. Tous les choix, en ce qui concerne la continuation de la grossesse, sont examinés; la patiente est dirigée vers des organismes de ser vice social, des ministères du gouvernement, des agences d'adoption, etc. au cas elle décide de ne pas mettre fin à sa grossesse. Des quelque 630 patientes qui se sont présentées à la clinique jusqu'à ce jour, environ 70 ont décidé de poursuivre leur grossesse.
La clinique considère que ces séances de counseling sont d'une importance cruciale pour les patientes. Les séances visent à permettre de déterminer si la patiente a été contrainte à décider de se faire avorter, si elle a envisagé tous les autres choix possibles et si elle s'est fermement engagée à mettre fin à sa grossesse.
Si, après le counseling, la patiente décide qu'elle veut se faire avorter, on l'amène dans une salle d'examen et le médecin lui fait subir un examen physique complet ...
À la suite de l'examen, on amène la patiente à la salle d'opéra- tion et on la met sous anesthésie locale. Une infirmière ou une conseillère accompagne la patiente; elle reste aux côté§ de cette dernière et lui parle pendant l'avortement. La clinique ne pra- tique pas d'anesthésies générales car on croit que le processus de guérison, sur le plan émotionnel et psychologique, se fait en partie pendant l'intervention.
On amène ensuite la patiente à la salle de réveil; la clinique exige que celle-ci y demeure pendant au moins vingt minutes, mais la plupart des patientes y restent plus longtemps. La patiente rencontre ensuite de nouveau la conseillère pour dis- cuter d'un programme de contrôle des naissances; des ordon-
nances peuvent être données ou des contraceptifs peuvent être insérés.
Au moment du départ, la clinique donne à toutes les patientes une lettre de références dans laquelle le traitement qu'elles ont subi est expliqué. Les patientes doivent remettre cette lettre à leur médecin personnel.
2. Ressources: L'avortement lui-même dure de 15 à 30 minutes; la période de rétablissement dure environ 30 minutes. La patiente passe habituellement de trois à quatre heures à la clinique.
Aucune donnée n'est disponible en ce qui concerne la question de savoir dans quelle proportion les ressources de la clinique sont consacrées strictement aux avortements et dans quelle proportion elles sont consacrées aux autres services offerts par cette dernière.
3. En août, 70 patientes doivent se présenter à la clinique. En moyenne, la clinique est ouverte de 10 à 14 jours par mois en vue des avortements; sept ou huit avortements sont effectués ces jours-là. A l'heure actuelle, la clinique ne dispose pas des services d'un médecin à plein temps. La directrice médicale de la clinique est disponible de 10 à 14 jours par mois. On espère retenir les services de deux médecins qui seront disponibles sur appel deux demi-journées par semaine.
4. Renvois: Il n'est pas nécessaire qu'une patiente soit dirigée par un médecin pour qu'elle obtienne un avortement. Certaines patientes sont dirigées par leurs médecins, par des organismes de services sociaux (par exemple Planned Parenthood) ou elles peuvent s'y présenter d'elles-mêmes.
Paramètres: La clinique n'effectue que les avortements du premier trimestre de la grossesse (soit jusqu'à douze semaines). L'entrevue téléphonique permet de déterminer en est la grossesse. S'il y a de la place, un rendez-vous est donné. En l'absence de contre-indications médicales et si la conseillère et le médecin sont convaincus que la patiente a pris une décision réfléchie, l'avortement sera pratiqué.
5. La clinique ne vérifie pas les motifs qui poussent une femme à demander un avortement. Il s'agit d'une question confiden- tielle entre la patiente et la conseillère ...
7. Personne ne peut obtenir un avortement en se présentant tout simplement à la clinique. Il faut obtenir un rendez-vous; un rendez-vous sera uniquement donné s'il y a de la place. On ne parle pas d'avortement sur demande.
9. La clinique est mise à la disposition de toutes les femmes, indépendamment de leur race, de leur origine ethnique, de leur religion ou de leur niveau de revenu. On n'exige pas de frais des femmes qui n'ont pas les moyens de payer. Environ 15 p. 100 des patientes ne sont pas en mesure de payer les frais exigés, en totalité ou en partie.
La clinique effectue un dépistage minutieux en vue de s'assu- rer qu'elle peut procéder à l'avortement sur le plan médical. Elle veut s'assurer que la patiente prend une décision réfléchie.
Les jeunes filles âgées de moins de 16 ans ne peuvent pas se faire avorter; quant aux jeunes filles de 16 à 19 ans, le consen- tement parental est requis, ou encore le consentement de deux autres médecins.
Les femmes qui ont un sentiment ambivalent au sujet de leur décision ne peuvent pas se faire avorter.
10. Accréditation par les ministères provinciaux et fédéraux: Le MSP a attribué à la clinique son propre numéro de factura- tion. Cette dernière est en pourparlers avec le College of Physi cians and Surgeons de la Colombie-Britannique en vue d'être accréditée à titre de clinique médicale indépendante. La Public Health Nurses' Association a décerné un prix à la clinique pour sa contribution aux services de santé communautaires.
11. La clinique ne reçoit aucune subvention fédérale ou pro- vinciale.
12. La clinique n'effectue que des avortements du premier tri- mestre de la grossesse et elle ne fait aucune exception en cas de viol, d'inceste, etc.
16. Counseling: Trois catégories Prise de décision
Consentement réfléchi
Counseling individuel en matière de contrôle des naissances
information au sujet des choix en matière d'adoption, du contrôle des naissances, des maladies transmissibles sexuellement, de la prévention du SIDA.
17. Le VGH n'offre aucun counseling avant ou après l'avorte- ment. L'avortement se fait sous anesthésie générale et la patiente est donc endormie pendant l'intervention.
Le VGH limite maintenant le nombre d'avortements à 100 par semaine. L'hôpital de Richmond ne pratique plus d'avorte- ments.
Les patientes doivent être dirigées vers l'hôpital par un gyné- cologue—le médecin de la patiente doit passer par un gynéco- logue étant donné que ce dernier doit réserver la salle d'opéra- tion en vue de l'avortement.
Demande: La clinique a reçu 30 fois plus d'appels que prévu. Elle ne peut pas répondre aux besoins de toutes les femmes qui demandent un avortement. En ce moment, cinq hôpitaux des régions rurales de la Colombie-Britannique n'offrent pas de services d'avortement. Dans le nord de la Colombie-Britan- nique, il n'y a pas d'hôpitaux qui fournissent ce service. Un grand nombre de patientes viennent du Yukon et de l'Alberta.
18. La clinique est beaucoup plus accessible aux femmes car elle accepte des renvois d'un certain nombre de sources; de plus, les femmes peuvent se présenter d'elles-mêmes à la cli- nique.
19. Les femmes choisissent d'aller 'a la clinique plutôt qu'à l'hôpital parce qu'elles seront traitées avec respect et dignité; elle ne feront pas face à des médecins qui portent un jugement; elles ne feront pas partie d'une chaîne; elles seront traitées d'une manière attentive et réconfortante; une personne (homme ou femme) peut les accompagner à la clinique; au point de vue médical, l'avortement se fait de la façon la moins gênante possible; la période de rétablissement est plus courte, tant sur le plan physique qu'émotionnel, compte tenu du coun seling sérieux dont les femmes bénéficient avant et après l'avortement; ces dernières ne peuvent pas se faire avorter dans leur collectivité locale; elles ont été dirigées par un méde- cin, par une travailleuse sociale, par une amie, etc.
21. Frais: 150 $ si la patiente est assurée
250 $ si la patiente n'est pas assurée
Frais exigés par les hôpitaux: La patiente doit payer des
frais d'anesthésie s'élevant à 89 $;
l'assureur verse 215 $ au médecin à titre de «ser-
vice en salle d'opération»;
de 480 à 510 $ si la patiente n'est pas assurée.
Le MSP (le régime d'assurance) couvre les honoraires du médecin, le test de grossesse et l'analyse d'urines; toutes les autres dépenses qui sont faites à la clinique doivent être finan cées au moyen de dons, des frais exigés, etc.
25. Services médicaux fournis à la clinique:
Counseling; tests habituels et traitement des MTS; insertion de contraceptifs et délivrance d'ordonnances; examens phy siques; tests de Papanicolaou.
28. La clinique a sa propre procédure d'urgence; si elle n'est pas en mesure de s'occuper d'une patiente, cette dernière est dirigée vers le VGH. La clinique entretient de bonnes relations professionnelles avec le VGH et avec l'hôpital Shaughnessy.
Le problème fondamental auquel le ministre, et maintenant la Cour, font face est ainsi énoncé dans un document interne préparé le 23 novembre 1988 par un fonctionnaire du Ministère:
[TRADUCTION] Ainsi, la question controversable que nous devons essentiellement trancher est celle de savoir si la presta- tion de services par une clinique d'avortement indépendante est une activité de bienfaisance.
Les dispositions légales pertinentes sont les alinéas 110(8)c) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 43; 1977-78, chap. 1, art. 101; 1984, chap. 45, art. 35] et 149.1(1)b) [édicté par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 60; mod. par S.C. 1984, chap. 45, art. 57; 1988, chap. 55,
art. 134] de la Loi:
11o....
(8)...
c) «organisme de charité enregistré» à une date quelconque,
désigne
(i) une oeuvre de charité, une fondation privée ou une fon- dation publique, au sens du paragraphe 149.1(1), dont la .résidence est au Canada et qui y a été créée ou établie,
(ii) toute division annexe, section, paroisse, congréga- tion —, d'une oeuvre ou fondation visée au sous-alinéa (i), dont la résidence est au Canada et qui y a été créée ou établie, qui reçoit des dons en son nom propre,
qui a fait une demande d'enregistrement en la forme prescrite auprès du Ministre et qui, à cette date, était enregistré comme œuvre de charité, fondation privée ou fondation publique.
149.1(1)...
b) «oeuvre de charité» désigne une oeuvre, constituée ou non
en corporation:
(i) dont la totalité des ressources est consacrée à des acti- vités de bienfaisance qu'elle mène elle-même,
La Loi confère un statut spécial aux organismes de charité enregistrés en ce sens que ces derniers bénéfi- cient de deux privilèges exceptionnels: en premier lieu, ils sont exonérés d'impôt et, en second lieu, les personnes qui font des dons à des organismes de cha- rité enregistrés ont droit à une déduction dans le cal- cul de leur propre revenu imposable (s'il s'agit d'une corporation) ou dans le calcul de l'impôt exigible (s'il s'agit d'un particulier).
La décision rendue par la Cour dans l'affaire Native Communications Society of B.C. c. Canada (M.R.N.) 1 contient une définition utile de l'expres- sion «oeuvre de charité» au sens du paragraphe 149.1(1) de la Loi:
Le point de départ d'une discussion sur ce qui peut ou non constituer une fin charitable valable est la décision de la Cham- bre des lords dans l'affaire Commissioners of Income Tax v. Pemsel, [1891] A.C. 531, et plus particulièrement le sens juri- dique du mot «charity» (organisme de charité) donné par lord Macnaghten à la page 583 du recueil:
[TRADUCTION] Dans quelle mesure la signification courante de l'expression «charity» correspond-elle à son sens juri- dique? Entendue dans son sens juridique, l'expression «cha- rity» («organisme de charité») comprend quatre types d'or- ganismes: des fiducies ayant pour but de soulager la pauvreté; des fiducies constituées pour promouvoir l'éduca- tion; des fiducies visant à promouvoir la religion; et des
[1986] 3 C.F. 471 (C.A.), aux p. 478 et 479, le juge Stone, J.C.A.
fiducies constituées pour des fins utiles à l'ensemble de la société et ne se situant pas à l'intérieur des catégories sus- mentionnées.
Cette définition a été appliquée à plusieurs reprises au Canada et a été approuvée par notre Cour suprême (voir Guaranty Trust Company of Canada v. Minister of National Revenue,
[1967] R.C.S. 133, la page 141). Pour constituer une fin «charitable» valable, une fin doit avoir un caractère charitable au sens de [TRADUCTION] «l'esprit» du préambule de la Loi d'Élizabeth intitulée «An Acte to redresse the Misemployment of Landes Goodes and Stockes of Money heretofore given to Charitable Uses». Cette Loi a été adoptée en Angleterre en 1601 au cours du règne d'Élizabeth Ire et est rapportée à 43 Eliz. I, chap. 4. De nos jours, elle est généralement désignée dans ce domaine du droit simplement comme la [TRADUCTION] «Loi d'Élizabeth». Il n'est pas nécessaire d'exposer tout ce préambule et il n'est peut-être pas souhaitable non plus d'es- sayer de le reproduire dans sa version originale. Je préfère plu- tôt suivre l'exemple du juge Slade dans l'arrêt McGovern v. Attorney -General, [1982] Ch. 321, la page 332, il a donné en anglais moderne la liste des fins charitables prévues dans cette Loi:
[TRADUCTION] Soulager les personnes âgées, les infirmes ou les pauvres ... pourvoir aux besoins des soldats et des marins malades ou invalides; subventionner les établisse- ments scolaires, les écoles gratuites et les boursiers étudiant dans les universités ... réparer les ponts, les ports, les havres, la chaussée, les églises, le littoral et les grandes routes ... faire élever et instruire les orphelins ... venir en aide aux maisons de correction, leur fournir des provisions ou les subventionner ... doter les jeunes filles pauvres ... fournir une aide aux jeunes commerçants, aux artisans et aux personnes ruinées ... soulager ou délivrer les prison- niers, et aider ou soulager tous les citoyens pauvres relative- ment au paiement de la taxe d'un quinzième, de l'impôt pour la levée des armées et d'autres taxes.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la fin sur laquelle l'appelante s'appuie est la quatrième, c'est-à- dire l'existence d'une «fiducie constituée pour des fins utiles à l'ensemble de la société». Ici encore, il est utile de citer les remarques que le juge Stone, J.C.A., a faites dans l'affaire Native Communications Society 2 :
Il semble ressortir de la jurisprudence que les propositions suivantes au moins peuvent être présentées comme des condi tions préalables pour déterminer si une fin particulière peut être considérée comme une fin charitable s'inscrivant dans la quatrième catégorie prévue dans la classification de lord Macnaghten:
a) la fin doit être utile à la société d'une façon que la loi consi- dère comme charitable en étant conforme à «l'esprit» du pré- ambule de la Loi d'Élizabeth, si ce n'est pas à sa lettre. (National Anti -Vivisection Society v. Inland Revenue Commis-
2 Précité, note 1, aux p. 479à 481.
sioners, [1948] A.C. 31 (H.L.), aux pages 63 et 64; In re Stra- kosch, decd. Temperley v. Attorney -General, [1949] Ch. 529 (C.A.), aux pages 537 et 538), et
b) c'est en se fondant sur le dossier dont elle dispose et en exerçant sa compétence reconnue en equity en matière d'orga- nismes de charité que la cour doit déterminer si une fin servi- rait ou pourrait servir l'intérêt du public (National Anti -Vivi section Society v. Inland Revenue Commissioners (précité), aux pages 44, 45 et 63).
Peut-on dire que les fins poursuivies par l'appelante sont conformes à «l'esprit» du préambule de la Loi d'Élizabeth et donc à la quatrième catégorie de la définition que donne lord Macnaghten du mot «charity»? Pour répondre à cette question, nous devons prendre en considération ce que lord Greene, le maître des rôles, déclarait dans In re Strakosch (précité), à la page 537:
[TRADUCTION] Dans l'arrêt Williams' Trustees v. Inland Reve nue Commissioners ([1947] A.C. 447), la Chambre des lords a établi très clairement que, pour entrer dans la quatrième catégorie énoncée par lord Macnaghten, le don ne doit pas seulement être utile à la société mais être utile d'une façon que la loi considère comme bienfaisante. Afin de répondre à cette dernière condition, il doit être conforme à «l'esprit» du préambule de la Loi d'Élizabeth. Ce préambule prévoyait les fins qui étaient alors considérées comme devant être tenues pour charitables en droit. Il est évident qu'avec le temps, la signification du mot charitable a évolué, ce que confirme l'examen le plus sommaire de la jurisprudence concernée. [C'est moi qui souligne.]
Plus récemment, dans l'arrêt Scottish Burial Reform and Cre mation Society Ltd. v. Glasgow Corpn., [1968] A.C. 138 (H.L.), lord Wilberforce nous rappelle que [TRADUCTION] «le droit évolue en matière d'organismes de charité». Je me reporte plus longuement à l'opinion qu'il a exprimée sur ce point à la page 154 du recueil:
[TRADUCTION] Sur ce sujet, la loi anglaise, bien que sans doute elle ne soit pas très satisfaisante et ait besoin d'être rationalisée, est assez claire. Pour que les fins en question soient charitables, il faut prouver qu'elles sont utiles au public, ou à la collectivité, dans un sens ou d'une façon qui soit conforme à l'esprit du préambule de la loi rapportée à 43 Eliz. 1, chap. 4. Cette dernière condition ne signifie pas tout à fait ce qu'elle énonce, car il est maintenant reconnu que ce n'est pas le libellé du préambule lui-même qui doit être pris en considération mais l'effet des décisions des tri- bunaux sur sa portée, décisions qui ont tenté de faire évoluer le droit relatif aux organismes de charité conformément à l'apparition de nouveaux besoins sociaux et au respect ou à la disparition des anciens. Le groupement des catégories d'organismes de charité reconnus effectué par lord Mac- naghten dans l'arrêt Pemsel ([1891] A.C. 531, 583) s'est révélé important et permet de résoudre plusieurs problèmes. Mais il se prête à trois commentaires que son auteur n'aurait certainement pas désavoués: premièrement, cette classifica tion étant de convenance, certaines fins peuvent ne pas
s'inscrire aisément dans l'une ou l'autre des catégories; deuxièmement, il ne convient pas d'accorder aux mots utili- sés la même importance qu'à un texte de loi à interpréter; et troisièmement, le droit en matière d'organismes de charité est un domaine qui évolue et qui peut bien avoir changé même depuis 1891. [C'est moi qui souligne.]
L'alinéa 149.1(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu parle des «activités de bienfaisance». La Loi d'Elizabeth [Statute of Elizabeth, 1601 (U.K.), 43 Eliz. I, chap. 4], qui est la source de toutes les déci- sions dans lesquelles la notion de fiducie à des fins charitables a été élaborée, parle de [TRADUCTION] «fins charitables». Toutefois, en l'espèce, je ne vois pas pourquoi il ne faudrait pas appliquer aux «acti- vités» d'un organisme les principes établis à l'égard des «fins» d'un organisme, à moins, bien sûr, que le contexte ne nous empêche de le faire3.
Étant donné qu'il s'agit ici d'un cas de présumé refus de la part du ministre, nous ne disposons pas, comme c'était le cas dans les affaires Native Commu nications Society'', Positive Action Against Pornogra phy c. M.R.N. 5 , Scarborough Community Legal Ser vices 6 , et Toronto Volgograd Committee 7 , de motifs que l'appelante peut contester et que la Cour peut examiner. Bien sûr, il ne s'agit pas d'une situation idéale, mais c'est une situation qui est expressément permise par la Loi et nous devons nous contenter de ce qui se trouve dans l'exposé du ministre pour découvrir les motifs sur lesquels le présumé refus est fondé. Comme nous le verrons, ces motifs sont plutôt restreints.
Il va sans dire que les hôpitaux privés qui exigent des frais remplissent prima facie les conditions vou- lues pour être des organismes de charité en common law puisqu'il est reconnu que [TRADUCTION] «la four- niture de soins médicaux pour les malades» est utile au public 8 :
[TRADUCTION] Un don destiné à un hôpital est prima facie un don de charité valable. La chose est maintenant clairement éta-
3 Voir Scarborough Community Legal Services c. La Reine, [1985] 2 C.F. 555 (C.A.), à la p. 579, le juge Marceau, J.C.A., et Toronto Volgograd Committee c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 365 (C.A.F.), aux p. 371 et 372, le juge Stone, J.C.A.
4 Précité, note 1.
5 [1988] 2 C.F. 340 (C.A.).
6 Précité, note 3.
7 Précité, note 3.
5 In re Resch's Will Trusts, [ 1969] 1 A.C. 514 (P.C.), aux p.
540 et 541, per lord Wilberforce.
blie tant en Australie qu'en Angleterre, non seulement par suite de l'emploi du mot «infirmes» figurant dans le préambule de 43 Eliz. ch. 4, bien que souvent la référence au préambule ne soit qu'un argument supplétif, mais aussi parce que la fourni- ture de soins médicaux aux malades est de nos jours reconnue comme étant utile au public et partant susceptible d'entraîner les privilèges conférés aux institutions de charité. La chose a été reconnue par la High Court d'Australie dans les affaires Taylor v. Taylor ((1910), 10 C.L.R. 218, 227 per Griffith C.J.) et Kytherian Association of Queensland v. Sklavos ((1958), 101 C.L.R. 56) ainsi qu'en Angleterre dans l'affaire In re Smith, decd. ([1962], 1 W.L.R. 763; [1962] 2 All E.R. 563, C.A.).
Malgré tout, certains hôpitaux, ou certaines catégories d'hô- pitaux, ne sont peut-être pas des institutions de charité (voir In re Smith, decd. ([1962] 1 W.L.R. 763; [1962] 2 All E.R. 563, C.A.)), et ce, parce que l'hôpital est exploité commercialement, c'est-à-dire en vue de permettre à des particuliers de faire des profits, ou qu'il ne procure pas d'avantages au public ou à un secteur suffisamment important du public pour satisfaire aux critères requis en ce qui concerne le caractère public. Chacun de ces arguments est invoqué en l'espèce. Quant au premier argument, il est reconnu que l'hôpital privé n'est pas exploité au profit de particuliers, au sens ordinaire du terme. En outre, si l'hôpital est par ailleurs exploité à des fins charitables, la nature de ces fins ne change pas simplement parce que des frais sont exigés des personnes qui bénéficient des avan- tages ...
la page 542] Leurs Seigneuries examinent le second argu ment. Fondamentalement, il est soutenu que l'hôpital privé n'est pas exploité à des fins «utiles à la collectivité» parce qu'il est uniquement accessible aux personnes aisées qui sont en mesure de payer les frais importants exigés à titre de condition d' admission.
En examinant cet argument, il faut d'abord régler un malen- tendu. Pour qu'une fiducie ayant pour but de soulager les malades soit valide, il n'est pas nécessaire qu'elle soit limitée aux pauvres qui sont malades. Que l'on considère que le carac- tère charitable des fiducies ayant pour but de soulager les malades découle du mot «infirmes» («les personnes âgées, les infirmes ou les pauvres») figurant dans le préambule de 43 Éliz. ch. 4 ou, d'une manière plus générale, de la notion de fin utile à la collectivité, rien ne justifie d'ajouter la condition con- cernant la pauvreté à celle concernant la maladie.
la page 544] Fournir en réponse à un besoin du public un traitement médical par ailleurs inaccessible, mais par sa nature coûteux, sans aucun motif de profit, pourrait bien être une fin charitable; d'autre part, limiter aux gens riches l'accès à une maison de repos ne le serait pas. Il s'agit essentiellement de savoir s'il y a une fin utile au public, l'utilité directe et indi- recte entrant en ligne de compte. En l'espèce, l'élément d'uti- lité pour le public existe fortement. Il n'est pas contesté qu'il existe un besoin lorsqu'il s'agit de fournir des places et un trai- tement médical dans une ambiance plus intime et plus
relaxante que cela ne serait possible dans un hôpital général et à titre de complément aux installations d'un hôpital général. C'est ce que fait l'hôpital privé et il le fait à peu près au prix coûtant. Tout le monde a besoin de ce service, et pas unique- ment les gens fortunés. Dans la mesure sa nature le permet, il est accessible à tous; les frais ne sont pas minimes, mais la preuve montre qu'on ne peut pas dire que les pauvres sont exclus; dans la mesure il y a exclusion, elle ne vise que certaines des personnes pauvres, à savoir a) celles qui n'ont pas versé une cotisation suffisante à un régime d'assurance des frais médicaux, b) celles qui doivent rester à l'hôpital plus longtemps que ne leur permet l'assurance ou c) celles qui ne peuvent pas obtenir de réduction ou d'exemption des frais. L'utilité générale de pareilles installations pour la collectivité résulte du fait que les lits et le personnel médical de l'hôpital général sont libérés, de la disponibilité d'un type particulier de soins infirmiers et de traitement qui complémente ceux qui sont fournis par l'hôpital général et de l'avantage découlant de la juxtaposition des deux institutions en ce qui concerne la qualité des soins médicaux donnés par l'hôpital général.
Je n'ai pas entendu l'avocate de l'intimé dire que les avortements effectués par les médecins ne sont pas visés par l'expression [TRADUCTION] «soins médi- caux pour les malades» employée par lord Wilber- force. De fait, cette expression ne devrait pas être interprétée d'une manière trop littérale: les mots [TRADUCTION] «pour les malades» sont, à mon avis, redondants en ce sens que les soins médicaux laissent de prime abord supposer l'existence d'un problème de santé et que dans le langage courant, les soins médicaux sont associés à une maladie peu importe que le problème de santé puisse ou non à proprement parler être considéré comme une maladie. Dans le contexte canadien, je proposerais de remplacer les mots [TRADUCTION] «soins médicaux pour les malades» par «soins de santé» ou «services de santé». La chose serait conforme au langage utilisé dans la Loi canadienne sur la santé 9 . On ne saurait, à propre- ment parler, qualifier la grossesse de «maladie» 1 o, mais il semblerait que l'avortement pratiqué par un médecin constitue une certaine forme de soin de santé. L'avocate de l'intimé a de fait reconnu que des avortements sont pratiqués dans certains hôpitaux publics qui remplissent les conditions voulues pour être des oeuvres de charité, que la Colombie-Britan- nique finance l'avortement à titre de service médical assuré en vertu du Medical Services Plan et que le
9 L.R.C. (1985), chap. C-6.
10 Voir Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, à la p. 1237, per le juge en chef Dickson.
financement de l'avortement n'est pas prohibé par la Loi canadienne sur la santé.
Par conséquent, il ressort de l'exposé du ministre que le présumé refus a été opposé non parce que l'avortement ne constitue pas un soin de santé, ni parce que les activités de la Société étaient considé- rées comme préjudiciables à la collectivité, ni parce que ces activités étaient considérées comme étant de nature politique, ni parce que les activités étaient con- sidérées comme illégales, ni parce que, contrairement aux hôpitaux publics ou privés, les cliniques privées ne peuvent pas jouir du statut d' «oeuvre de charité», ni parce que les femmes qui bénéficiaient des ser vices de la clinique ne faisaient pas partie «du public» ou d'un secteur suffisant du public, mais strictement parce qu' [TRADUCTION] «en l'absence de déclarations de politique générale claires et en l'ab- sence d'un consensus public au sujet de la question de l'avortement, on ne peut pas dire que les actitivés (de l'appelante) sont utiles à la société, d'une façon que la loi considère comme charitable» 11 . Bref, l'ar- gument du ministre est qu'il ne peut pas y avoir d'uti- lité pour le public, et par conséquent de fin charitable, lorsque, toutes les autres conditions étant remplies, l'objet de l'oeuvre de charité est controversable.
Il est bien établi qu'un organisme n'aura pas, en droit, une fin charitable si ses activités sont illégales ou contraires à la politique générale 12 . Comme je l'ai déjà fait remarquer, il est reconnu en l'espèce que les activités de la Société ne sont pas illégales: elles ne sont contraires ni au droit pénal I 3 ni au droit civil ou au «droit anglo-canadien» 14 . Cependant, soutient l'intimé, en l'absence de déclarations de politique générale claires au sujet de la question de l'avorte- ment, on ne peut pas dire que les activités de la Société sont conformes à la politique générale: le défaut du législateur de remplacer les dispositions du Code criminel qui ont été annulées dans l'arrêt Mor-
t' Exposé des arguments de l'intimé, par. 21.
12 Voir National Anti -Vivisection Society v. Inland Revenue Commissioners, [1948] A.C. 31 (H.L.), aux p. 65 et 72, per lord Simonds.
13 R. c. Morgentaler, [1988] I R.C.S. 30; R. c. Sullivan, [1991] 1 R.C.S. 489.
14 Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, à la p. 565.
gentaler amène l'intimé à soutenir 01U' [TRADUCTION] «on ne peut pas conclure que l'avortement pratiqué pendant le premier trimestre à la suite du choix effec- tué par la patiente, bien que clairement légal, reflète la politique générale en matière d'avortement» 15 .
Je n'ai trouvé dans la jurisprudence rien qui étaie pareille approche. C'est une chose que d'agir d'une manière qui va à l'encontre de la politique générale; c'est toute autre chose que d'agir d'une manière qui ne trouve écho, favorable ou défavorable, dans aucune politique générale. Une activité ne peut tout simplement pas être jugée contraire à la politique générale lorsqu'il est reconnu que pareille politique n'existe pas. Ce serait imposer un fardeau insupporta ble aux personnes qui cherchent à faire enregistrer une oeuvre de charité, que d'exiger que leurs activités soient clairement reconnues par une politique géné- rale. Selon mon interprétation des arrêts, pour qu'une activité soit considérée comme «contraire à une poli- tique générale», il doit y avoir une politique définie et d'une certaine façon officiellement déclarée et appli- quée. En l'espèce, pareille politique n'existe pas. Au contraire, le fait que les médecins qui pratiquent des avortements dans ces cliniques sont rémunérés à l'aide de fonds provinciaux dépensés conformément à la législation fédérale tend à confirmer que le fait d'effectuer des avortements dans ces cliniques ne va à l'encontre d'aucune politique générale. Amon avis, les fonds publics sont réputés être dépensés confor- mément à la politique générale et si la validité de cette dépense de l'État n'est pas contestée, je ne suis pas prêt à supposer que les fonds publics ne sont pas dépensés pour le bien du public.
Par ailleurs, l'avocate de l'intimé n'a pu citer aucune autorité à l'appui de l'argument selon lequel il ne peut pas, en droit, y avoir d'organisme de cha- rité en l'absence de consensus public. De fait, elle a été incapable de préciser ce qu'elle entendait par [TRADUCTION] «consensus public», quel serait le degré de consensus requis et comment les tribunaux mesu- reraient ce degré de consensus. Définir un «orga- nisme de charité» en fonction d'un consensus public serait fort imprudent. Charité et opinion publique ne font pas toujours bon ménage; il est des formes de charité qui précèdent l'opinion publique, tout comme
15 Exposé des arguments de l'intimé, par. 32.
il en est qui l'offensent. Les tribunaux ne sont pas bien placés pour définir le consensus public, qui est une notion fragile et volatile. La nature charitable d'une activité ne devrait pas être déterminée à coups de sondages. On demande aux tribunaux de détermi- ner s'il y a un avantage pour le public, et non pas de déterminer si le public estime que pareil avantage existe.
L'avocate de l'intimé s'appuie en particulier sur la décision rendue par cette Cour dans l'affaire Positive Action Against Pornography c. M.R.N. 16 , dans laquelle le juge Stone, J.C.A., a déclaré ceci, aux pages 350 353:
... la loi sur les organismes de charité, particulièrement sous cette large rubrique, est quelque peu élastique, les tribunaux étant consentants à reconnaître toute modification pertinente des conditions sociales ou d'autres circonstances spéciales. Néanmoins, pour être charitable, une fin ou une activité doit l'être d'une façon que la loi reconnaît comme charitable. Il existe sans doute de nombreuses fins et activités qui~ sont utiles à la collectivité dans un sens large ou commun mais non pas dans le sens juridique du terme, c'est-à-dire celui auquel son- geait lord Macnaghten dans l'arrêt Commissioners of Income Tax v. Pemsel, [1891] A.C. 531 (H.L.), ou celui qu'envisageait Sir Samuel Romilly dans l'arrêt Morice v. Durham (Bishop of) (1805), 10 Ves. Jun. 522 (H.C. of Ch.), à la page 532, à savoir [TRADUCTION] «des objets d'utilité publique et générale».
L'avocat de l'appelante soutient que le fait de débarrasser la société de ce genre de choses ou tout au moins en contrôler et en limiter la publication, la diffusion et l'usage, peut être con- sidéré comme conforme à «l'esprit» du préambule de la Loi d'Élizabeth ou, quoi qu'il en soit, comme analogue à des objets dont les tribunaux ont déjà reconnu le caractère charitable parce qu'ils relèvent de la quatrième catégorie d'organismes de charité mentionnée par lord Macnaghten.
La tâche de la Cour relativement à cette rubrique est relative- ment précise et bien délimitée. Nous n'avons pas à décider ce qui est utile à la collectivité dans un sens large, mais simple- ment ce qui lui est utile d'une façon à laquelle la loi reconnaît un caractère charitable. L'examen de la documentation et de la jurisprudence me convainc que les fins ou activités premières de l'appelante ne peuvent être considérées comme utiles à la collectivité dans le sens dont je viens de parler, mais plutôt comme étant politiques au sens donné à ce mot par cette bran- che du droit.
En toute déférence, je ne vois pas comment ces remarques peuvent aider l'intimé. Dans cette affaire- là, la Cour examinait ce qui était, à son avis, une
16 Précité, note 5.
«fiducie ayant des fins politiques» et, en particulier, «une fiducie visant la modification de la loi» 17 :
De plus, les excellentes raisons qu'a expliquées le juge Parker dans l'arrêt Bowman v. Secular Society, [1917] A.C. 406 (H.L.), une fiducie visant la modification de la loi n'a jamais été reconnue comme étant charitable. Le juge Parker a dit à la page 442:
[TRADUCTION] L'abolition des examens de religion, la sépara- tion de l'Église et de l'État, la sécularisation de l'éducation, la modification de la loi en ce qui concerne la religion et le mariage, ou l'observation du dimanche, sont purement des objectifs politiques. L'equity a toujours refusé de reconnaître un caractère charitable à de tels objectifs ... Mais une fidu- cie visant la poursuite d'objectifs politiques a toujours été tenue pour invalide, non parce qu'elle est illégale, car cha- cun est libre de préconiser ou de promouvoir la modification de la loi par toute voie légale, mais parce que les tribunaux n'ont aucun moyen de juger si une modification proposée de la loi sera ou non utile au public, et par conséquent ils ne peuvent dire si un don visant à obtenir cette modification est un don charitable ou non ...
En l'espèce, selon la preuve présentée à la Cour, la «fiducie» vise à donner des soins de santé aux femmes qui veulent ou doivent se faire avorter; il ne s'agit pas d'une «fiducie» visant à faire modifier la loi en matière d'avortement, ni d'une «fiducie» ayant la fin politique de promouvoir le point de vue «pro- choix». La controverse à laquelle l'avortement donne lieu ne devrait pas nous dissuader de chercher la fin véritable de la clinique, qui est de venir en aide aux femmes qui reçoivent un service de santé légalement reconnu dans une clinique légalement constituée. Le dossier mis à notre disposition ne contient pas la moindre indication que la Société se livre ou entend se livrer à des activités politiques et, comme je l'ai déjà fait remarquer, l'intimé ne soutient pas non plus qu'il y a en l'espèce quelque fin politique.
L'avocat de l'appelante s'appuie fortement sur la décision rendue par le juge Chilwell dans l'affaire
17 Précité, note 5, à la p. 354. Voir également National Anti - Vivisection Society, précité, note 12 (le but était d'éveiller la conscience de l'humanité sur le fait que la torture des animaux est injuste); McGovern v Attorney General, [1981] 3 All ER 493 (Ch.D.) (le but était d'obtenir la mise en liberté des prison- niers d'opinion); Toronto Volgograd Committee, précité, note 3 (le but était de favoriser l'entente entre la population d'une ville canadienne et celle d'une ville soviétique); Scarborough Community Legal Services, précité, note 3 (le but était d'ex- ploiter une clinique juridique communautaire dont la plupart des activités visaient à influencer le processus d'élaboration des politiques).
Auckland Medical Aid Trust v Commissioner of Inland Revenue )8 , dans laquelle le but à long terme de la fiducie en litige était semblable à celui de l'ap- pelante en l'espèce. Cette décision contient des décla- rations utiles, mais elle n'a pas l'importance que l'avocat lui donne. À la suite d'un rapport d'une Commission royale, une loi générale sur la reproduc tion humaine, et notamment sur l'avortement, a été adoptée en Nouvelle-Zélande et une politique géné- rale y a été définie, de sorte que la question de la politique générale n'a pas réellement été examinée.
L'obligation de la Cour, dans une affaire comme celle-ci, a été expliquée par le juge Stone, J.C.A., dans l'affaire Native Communications Society 19 :
Si, comme le dit lord Wilberforce (et j'y souscris), «le droit évolue en matière d'organismes de charité», nous devons donc considérer si, selon le dossier, les fins actuellement poursuivies par l'appelante s'inscrivent dans la quatrième catégorie d'orga- nismes de charité prévue par lord Macnaghten dans l'affaire Pemsel.
Le dossier contient un long rapport rédigé par un fonctionnaire de l'intimé au sujet des activités de la Société. J'ai reproduit la majeure partie de ce rapport au début des motifs et je veux maintenant y revenir. Le rapport comprend une description fort détaillée de ce qui se passe à la clinique, et ce, en termes particu- lièrement flatteurs. De toute évidence, la clinique se donne énormément de peine pour assurer la qualité des services de santé qu'elle fournit. Elle entretient de bonnes relations professionnelles avec le Vancou- ver General Hospital et avec l'hôpital Shaughnessy, à Vancouver. Elle assure une ambiance et certains ser vices, comme le counseling, qu'on ne retrouve pas dans un hôpital. Elle est accessible à toutes les femmes, indépendamment de leur race, de leur ori- gine ethnique, de leur religion ou de leur niveau de
revenu. Elle n'exige pas de frais des femmes qui n'ont pas les moyens de payer. Environ 15 % des patientes n'ont pas les moyens de payer les frais exigés, en totalité ou en partie. Elle n'admet pas les patientes âgées de moins de 16 ans et exige le con- sentement parental dans le cas des jeunes filles âgées de 16 à 19 ans, ou encore le consentement de deux médecins. Les femmes qui ont un sentiment ambiva lent au sujet de leur décision ne peuvent pas se faire avorter. Les patientes qui sont enceintes depuis plus
18 [1979] 1 NZLR 382 (S.C.).
19 Précité, note 1, à la p. 482.
de douze semaines sont dirigées vers un hôpital. La clinique s'est vu décerner un prix par la Public Health Nurses Association pour sa contribution aux services de santé communautaires. La clinique a reçu 30 fois plus d'appels que prévu et elle ne peut pas répondre aux besoins de toutes les femmes qui s'adressent à elle. Le Vancouver General Hospital limite à cent par semaine le nombre d'avortements effectués à l'hôpital. L'hôpital de Richmond ne pra- tique plus d'avortements. Cinq hôpitaux des régions rurales de la Colombie-Britannique n'offrent pas de services d'avortement. Dans le nord de la Colombie- Britannique, il n'y a pas d'hôpitaux qui fournissent ce service. La clinique reçoit également un grand nombre de patientes du Yukon et de l'Alberta.
En ce qui concerne les frais médicaux, le dossier montre qu'en Colombie-Britannique, deux barèmes s'appliquent aux avortements selon que ceux-ci sont effectués avant ou après la quatorzième semaine de grossesse. Aucune distinction n'est faite entre les sommes versées aux médecins selon que l'avorte- ment est effectué dans un hôpital ou dans une cli- nique indépendante. Les honoraires du médecin ainsi que le test de grossesse et l'analyse d'urines sont cou- verts par le Medical Services Plan. Les frais de coun seling ne sont pas assurés. La politique du régime en ce qui concerne le paiement des frais d'avortement n'est pas différente de celle qui s'applique à tout autre acte médical 20 .
En outre, en l'espèce, l'intimé n'a présenté aucune preuve qui laisse entendre que les activités de la Société ne sont pas utiles à la collectivité. L'intimé a même déclaré que sa position n'est pas [TRADUCTION] «que l'activité de l'appelante, lors- qu'elle fournit un service d'avortement, ou la contro- verse à laquelle donne lieu la question de l'avorte- ment, est préjudiciable à la collectivité» 21 . Cela étant, et puisqu'il s'agit d'une affaire dans laquelle l'acti- vité, soit la fourniture de soins de santé, a prima facie une fin charitable, la Cour devrait suivre l'avis donné par lord Simonds dans l'affaire National Anti -Vivisec tion Society 22 :
20 Dossier d'appel, aux p. 82 et 258.
21 Exposé des arguments de l'intimé, par. 22.
22 Précité, note 12, à la p. 65.
[TRADUCTION] Je dirais plutôt que, lorsqu'une fin semble d'une manière générale être visée par l'une des catégories bien con- nues d'organismes de charité, la cour supposera à moins que le contraire ne soit établi, que cette fin est utile à la collectivité et qu'il s'agit par conséquent d'une fin charitable, et en outre qu'en pareil cas, la cour ne sera pas avisée, en se fondant sur une preuve douteuse, d'aller à l'encontre de l'intention bien- veillante reconnue du donateur.
Somme toute, je suis persuadé que compte tenu des circonstances révélées par le dossier mis à notre dis position, les fins et activités de la Société, à l'heure actuelle 23 , sont utiles à la collectivité, selon l'esprit, sinon la lettre, du préambule de la Loi d'Élizabeth, et que la Société est une œuvre de charité au sens donné avec le temps à un organisme de charité en common law et remplit les conditions voulues pour être une «oeuvre de charité» au sens de l'alinéa 149.1(1)b) de la Loi.
Étant donné la conclusion que je viens de tirer, il est inutile d'examiner les arguments fondés sur la Charte que l'appelante a subsidiairement invoqués.
L'appelante demande les dépens. La Règle 1312 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] prévoit qu'il n'y aura pas de dépens «à moins que la Cour, à sa discrétion, ne l'ordonne pour une raison spéciale». La raison spéciale invoquée par l'appelante est que [TRADUCTION] «le dossier montre que l'intimé a tardé à s'acquitter de son obligation législative de prendre une décision et s'y est soustrait». On peut difficilement dire que l'intimé a [TRADUCTION] «tardé à s'acquitter de son obligation législative et s'y est soustrait» puisque le paragraphe 172(4) de la Loi
23 Le statut d'«ceuvre de charité» peut être révoqué par le ministre. Comme lord Simonds l'a dit dans l'affaire National Anti -Vivisection Society, précitée, note 12, à la p. 74:
[TRADUCTION] Une fin qui, à un moment donné, est considé- rée comme charitable peut à une autre époque être considé- rée différemment... Si, par suite d'un changement des habitudes et des besoins sociaux ou, peut-être, d'une modifi cation de la loi, la fin d'un organisme de charité établi devient superflue ou même illégale ou si, à la suite de l'ac- quisition de nouvelles connaissances, il ressort qu'une fin qui était à un moment donnée tenue pour utile est vraiment préjudiciable à la collectivité, il incombe aux fiduciaires de l'organisme de charité établi de présenter une demande à la cour... Et j'imagine que, dans certains cas, le procureur général pourrait bien croire qu'il lui incombe d'intervenir à cette fin.
Voir également Native Communications Society, précité, note I, aux p. 484 et 485.
l'autorise expressément à ne pas prendre de décision concernant la demande d'enregistrement comme oeuvre de charité dans un délai de 180 jours. En l'es- pèce, l'intimé a précisément fait ce que la Loi lui per- met de faire. Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle les dépens doivent être adjugés.
DISPOSITIF
Pour ces motifs, je serais d'avis d'accueillir l'ap- pel, d'annuler le refus réputé du ministre du Revenu national et de renvoyer l'affaire au ministre pour qu'il rende sa décision en tenant pour acquis que l'appelante est une «oeuvre de charité» au sens de l'alinéa 149.1(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
PRATFE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs. DESJARDINS, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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